Notes
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IREDU-CNRS UMR 5225, University of Bourgogne, Pôle AAFE - Esplanade Erasme - B.P. 26513F - 21065 Dijon Cedex (France), Tel : 00 (0)3 80 39 54 58, Fax : 00 (0)3 80 39 54 79
Mail : claire.bonnard@u-bourgogne.fr -
[1]
Un brevet est dit triadique si l’invention qu’elle désigne a fait l’objet d’une demande de brevet auprès de l’Office européen des brevets, de l’Office japonais des brevets et de l’émission d’un titre de propriété à l’United States Patent and Trade mark Office.
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[2]
Voir annexe A pour une présentation détaillée.
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[3]
Nous appelons inventeur tout ingénieur ayant déposé un brevet.
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[4]
Test de student pour les variables quantitatives et test de Chi-2 pour les variables qualitatives.
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[5]
Caliper (ou compas) est une norme permettant de définir la zone de voisinage.
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[6]
Nous nous intéressons ici uniquement aux ingénieurs travaillant en France.
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[7]
Les estimations détaillées des MCO sont présentées en annexe dans le tableau 1D.
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[8]
Nous définissons les PME de haute technologie, les entreprises de moins de 500 salariés avec une part de chiffre d’affaires consacrée à la R&D supérieure de 5 % ou déposant un brevet chaque année.
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[9]
Ce test a été effectué à partir de la commande mhbounds développé par Becker et Caliendo (2007). Ce test ne peut être effectué qu’après un appariement par le plus proche voisin sans replacement.
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[10]
Ce test a été effectué avec la commande rbounds sous Stata. Ce test ne peut être effectué qu’après l’appariement par le plus proche voisin.
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[11]
Ce test a été effectué à partir de la commande mhbounds développé par Becker et Caliendo. Ce test ne peut être effectué qu’après un appariement par le plus proche voisin sans replacement.
1 – Introduction
1L’innovation est devenue un facteur stratégique de croissance que ce soit au niveau des entreprises ou du pays. En effet, l’innovation est aujourd’hui considérée comme une des sources principales de croissance économique pour un pays (Jones, 2005). Au niveau des entreprises, l’innovation permet notamment de bénéficier d’un avantage compétitif. Le rapport publié par le National Scientific Board en 2010 intitulé « Science and Engineering Indicators » montre une diminution importante du nombre de brevets déposés par l’Union européenne alors que les pays asiatiques connaissent un accroissement important. Au sein de l’Union européenne, il existe également des disparités très importantes. La France dépose en moyenne trois fois moins de brevets triadiques [1] que l’Allemagne. Face à cette concurrence, la question des incitations à l’innovation en France est primordiale.
2En France, le système de rémunération des inventeurs salariés est régi par la loi du 26 novembre 1990. Les entreprises ont l’obligation de verser une rétribution financière aux inventeurs salariés. Ce système de rémunération a été remis en cause en 2010 car il était jugé peu incitatif. En effet, le montant n’est pas fixé par la loi et est déterminé dans les conventions collectives, les accords d’entreprises et contrats individuels de travail [2]. Une étude menée par l’Observatoire de la Propriété Intellectuelle en 2008 souligne qu’il existe une grande hétérogénéité des rémunérations d’une entreprise à l’autre et qu’un système de rémunération n’est pas mis en place au sein de toutes les entreprises. Le système français semble peu incitatif à l’innovation pour les ingénieurs.
3La plupart des études analysent l’innovation au niveau de l’entreprise. Pourtant, Rothaermel et Hess (2007) montrent que l’hétérogénéité des performances innovatrices entre les entreprises provient majoritairement des différences dans le capital humain intellectuel de celles-ci. Il est donc primordial de s’interroger sur les incitations à l’innovation au sein des entreprises. Les études récentes se sont plus particulièrement intéressées aux motivations des ingénieurs à inventer. Elles montrent que les inventeurs présentent une forte motivation intrinsèque, telle que le « challenge intellectuel » ou encore le « désir d’améliorer l’existence » (Sauermann et Cohen, 2010). Par contre, peu d’études ont analysé le type d’incitation mis en place pour les inventeurs au sein des entreprises. Tout d’abord, nous pouvons nous interroger sur la rentabilité pour un ingénieur de devenir inventeur [3] ? D’autre part, les inventeurs connaissent une mobilité inter-entreprise importante. Selon Traijtenberg (2005), 33 % des inventeurs américains connaissent une mobilité. Une stratégie possible des entreprises est, en effet, d’attirer les inventeurs de leurs concurrents afin de bénéficier de leurs connaissances, de leurs savoirs. La perte d’un chercheur productif peut s’avérer relativement coûteuse pour les entreprises. Les entreprises ont donc tout intérêt à mettre en place des incitations afin de retenir leurs chercheurs les plus productifs, plus globalement de protéger leur capital humain intellectuel.
4Dans cet article, nous présentons, tout d’abord, quels types d’incitations ont été proposés dans la littérature économique, notamment dans le cadre de la théorie de l’agence et l’appliquons au cas spécifique des inventeurs. De la littérature ressortent plus particulièrement deux types d’incitations monétaires pour les inventeurs qui sont le salaire et la détention de stock-options. À partir des données de l’enquête du Conseil National des Ingénieurs et Scientifiques de France (CNISF), nous déterminons ensuite empiriquement le type d’incitation reçue par les inventeurs au sein des entreprises avec une attention particulière à la mobilité inter-entreprise de ces derniers.
2 – La théorie de l’agence appliquée aux inventeurs
5Les travailleurs de la connaissance sont la principale source d’innovation au sein des entreprises. La question de la productivité et des incitations des travailleurs de la connaissance est donc primordiale. Afin d’analyser quels types d’incitation peuvent être mis en place, la théorie de l’agence peut être mobilisée. Dans le cas des inventeurs, l’employeur fait face à un premier aléa moral qui est l’observation de l’effort de l’employé. D’une part, observer le comportement de l’ingénieur offre peu d’informations sur l’effort qu’il fournit puisque son travail est principalement cognitif. D’autre part, même s’il était observable, le manager peut difficilement apprécier si le comportement de l’ingénieur contribue ou non au succès de l’innovation (Zenger, 1994). L’activité de recherche n’entraîne pas forcément des rendements immédiats (Lacetera et Zirulia, 2008). Néanmoins, un indicateur possible de productivité peut être le fait de déposer un brevet, soit devenir inventeur.
6Le second aléa moral correspond au risque de mobilité de l’inventeur dans une autre entreprise. En effet, les chercheurs ne développent pas uniquement des connaissances spécifiques à l’entreprise, mais également une forme de capital intellectuel qu’ils peuvent faire valoriser au sein d’autres entreprises (Gibbs, Levenson, 2002). Cet aléa moral est d’autant plus important pour l’entreprise que l’ingénieur devient inventeur. D’une part, les inventeurs peuvent être incités à exploiter leurs résultats de recherche en rejoignant une entreprise concurrente (Moen, 2005). D’autre part, le brevet peut être perçu comme un signal des capacités et de productivité du scientifique (Toivanen et Väänänen, 2011). Les inventeurs peuvent donc faire valoriser leur portfolio de brevets sur le marché du travail et recevoir des offres de travail attractives de la part d’autres entreprises.
7Dans le but de réduire l’aléa moral, deux solutions s’offrent au principal : contrôler le comportement de l’agent ou/et mettre en place des incitations pour que l’agent ait le comportement désiré. Nous développons uniquement la seconde possibilité, soit l’instauration d’incitations. En effet, lorsque le travail de l’agent demande une autonomie et une indépendance importantes ainsi que des compétences très spécialisées, il peut s’avérer difficile et coûteux pour le principal de contrôler le comportement de l’agent. Le principal aura donc tendance à mettre en place principalement des incitations pour que l’agent se conforme à ses exigences (Tosi et Gomez-Mejia, 1989).
8Dans cette section, nous présentons les différentes formes d’incitations proposées dans le cadre de la théorie principal-agent et les appliquons au cas particulier des inventeurs.
2.1 – Les incitations monétaires
9Les économistes se sont, tout d’abord, intéressés uniquement aux incitations monétaires. Selon la théorie de l’agence standard, il est supposé que l’utilité de l’agent est une fonction croissante de sa richesse et qu’il présente une aversion au travail et plus particulièrement à l’effort (Holmstrom, 1979). Il s’agit donc pour le principal de trouver l’incitation monétaire la plus appropriée pour que l’agent adopte le comportement souhaité.
10Selon la théorie du salaire d’efficience, le principal peut être amené à offrir à l’agent un salaire supérieur au salaire du marché afin que ce dernier accroisse son niveau d’effort (Shapiro, Stiglitz, 1984) ou afin d’éviter le turnover, notamment lorsque les coûts d’embauche et de formations sont élevés (Salop, 1979). Dans le cas des inventeurs, les entreprises peuvent offrir un salaire plus élevé aux inventeurs les plus productifs pour qu’ils ne rejoignent pas une entreprise concurrente (Gersbach, Schmultzler, 2003). En revanche, selon Backer, Jensen et Murphy (1988), le fait que de plus hauts salaires permettent de retenir l’agent s’explique facilement, par contre la relation entre plus haut salaire et effort de l’agent est moins claire. Ils montrent que, pour que l’agent accroisse son effort, le principal ne doit pas agir sur le niveau du salaire mais sur la forme de celui-ci.
11Un autre système d’incitation proposé est la « paye à la performance ». Il est supposé que si les agents sont payés sur la base de leur performance, ils vont accroître leur effort et donc leur productivité. Analysant les contrats des chercheurs employés dans trois entreprises d’ingénierie électrique et chimique en Allemagne depuis 1900, Burhop et Lübbers (2010) semblent confirmer cette théorie. En effet, les auteurs ne trouvent pas d’impact d’une augmentation de salaires sur la productivité des inventeurs. Ils montrent, par contre, un impact positif lorsqu’il est versé aux inventeurs une part plus importante de bonus. Ce système de récompense a cependant fait l’objet de nombreuses critiques. Amabile (1996) et Frey et Osterloh (2002) soulignent notamment que ce système de rémunération convient dans le cas de tâches routinières et concrètes et non dans le cas de tâches plus créatives et abstraites.
12D’autres incitations monétaires ont fait l’objet d’analyses, telles que les incitations liées à la performance de l’entreprise comme les stock-options. Ederer, Manso (2009) et Francis et al. (2009) montrent qu’au vu de la nature de l’activité d’innovation, soit un niveau élevé de risque et une probabilité importante d’échec, l’incitation devrait être de long terme et protéger l’agent de l’échec. Les travaux trouvent un lien positif entre les incitations par stock-options et les indicateurs d’innovation tels que le nombre de brevets déposés par l’entreprise (Francis et al., 2009) et la qualité des brevets mesurée par le nombre de citations (Lerner, Wulf, 2007). Il apparaît que les stock-options sont également utilisées afin de sélectionner les meilleurs agents ou bien les retenir au sein des entreprises (Oyer, Schaeffer, 2005), notamment par la mise en place d’un délai d’acquisition (« vesting period »).
13Selon ces différentes théories, les contrats sont considérés comme statiques, simultanés. Des théories relâchent cette hypothèse, notamment celle du « career concern ». Cette théorie initialement développée par Fama (1980) introduit les incitations implicites. En effet, dans ce cadre, les agents exercent des efforts non seulement pour maximiser leur salaire actuel mais également afin d’affecter la perception des autres (Prendergast, 1999), ce qui a été nommé « effet réputation ». Dans le cadre des ingénieurs, le dépôt de brevet permet à l’ingénieur d’accroître sa réputation sur le marché du travail et lui ouvre ainsi de nouvelles perspectives de carrière. Nous pouvons donc supposer que sans incitation explicite, l’ingénieur est tout de même implicitement incité à déposer un brevet d’autant plus fortement qu’il existe une concurrence importante sur le marché du travail des ingénieurs et une forte mobilité inter-entreprise. Par contre, les entreprises ont tout intérêt à mettre en place des incitations afin que les inventeurs ne quittent pas l’entreprise pour une entreprise concurrente. Les entreprises peuvent faire signer un contrat de non concurrence. Or, ce type de clause apparaît couteux et est très encadré.
2.2 – Motivation intrinsèque et incitation monétaire
14Néanmoins, les nouvelles théories, nommées « théories de l’agence comportementale », montrent que toute incitation monétaire n’entraîne pas forcément un accroissement de l’effort et donc de la productivité de l’agent. Ceci provient du fait que contrairement à la théorie standard, la motivation intrinsèque des agents n’est plus considérée comme absente ou constante. Deci (1975) souligne qu’il est important de distinguer la motivation intrinsèque de la motivation extrinsèque des agents. La motivation extrinsèque correspond à toutes les incitations monétaires directes et indirectes et toute forme de reconnaissance. En revanche, la motivation intrinsèque fait référence au désir de l’agent de se sentir compétent, de jouir d’une autonomie (Frey et Osterloh, 2002).
15La première étude présentant la motivation intrinsèque des inventeurs est celle de Rossman datant de 1931. En interrogeant 700 déclarants de brevets sur leur motivation à inventer, l’auteur montre que les deux premiers motifs évoqués sont « l’amour de la science » et « le désir d’améliorer l’existence », le salaire n’apparaissant qu’en troisième position. Dans une étude plus récente, Giuri et al. (2007) trouvent des résultats semblables. Dans six pays européens, les motivations à inventer déclarées par les ingénieurs sont dans une plus grande mesure des motivations personnelles (satisfaction personnelle) et sociales (prestige, réputation) que des motivations monétaires.
16Dans ce cadre d’analyse, la motivation intrinsèque peut donc influer sur le niveau d’effort des agents (Frey et Jegen, 2001). Cela change radicalement avec la théorie standard dans le sens où l’effort est susceptible d’accroître l’utilité de l’agent, il n’est plus supposé exister une complète « désutilité de l’effort » (Kreps, 1997). D’autre part, les motivations extrinsèque et intrinsèque ne sont plus supposées être indépendantes l’une de l’autre. Il existe, au contraire, une relation dynamique systématique entre les deux, nommée « crowding effect » (Frey et Osterloh, 2002). Il est possible que la mise en place d’incitations extrinsèques entraîne une diminution de la motivation intrinsèque des agents, « effet d’éviction » (« crowd out ») ou, au contraire, accroisse la motivation intrinsèque des agents, « effet d’agglomération » (« crowd in ») (Frey, Jegen, 2001, Bénabou, Tirole, 2003). Frey et Jegen (2001) soulignent qu’un « effet d’éviction » est susceptible d’apparaître lorsque par la mise en place d’incitations extrinsèques, l’agent se sent contrôlé ; à l’inverse l’« effet d’agglomération » apparaîtra quand l’agent se sent reconnu, soutenu. Des applications empiriques semblent confirmer l’existence de tels effets dans plusieurs domaines (cf. Frey et Jegen, 2001).
17Selon cette théorie (« crowd theory »), les incitations monétaires ne sont donc pas forcément plus efficientes que toute autre forme d’incitation. Dans certaines situations, il est, en effet, supposé que l’instauration d’incitations non monétaires telles que les « prix », le « challenge », la « gratification » entraîne un « effet d’éviction » moins important sur la motivation intrinsèque des agents que les incitations monétaires (Radhakrishnan, Ronen, 1999, Frey, 2007). L’enquête de l’INPI de 2008 révèle que des entreprises mettent en place des programmes de reconnaissance tels que des lettres de félicitations ou encore une remise de prix. Par exemple, l’entreprise Air Liquide en plus d’une compensation monétaire versée aux inventeurs organise annuellement une cérémonie pour distinguer les meilleures inventions.
18Au vu de ces différentes études, il semble que les inventeurs soient motivés par deux types de motivations, extrinsèque et intrinsèque. Il s’agit pour l’employeur de déterminer le type d’incitation approprié permettant de concilier ces deux types de motivations. Ces différents types de motivation pourraient expliquer pourquoi les incitations mises en place pour l’innovation diffèrent notamment selon la nature de l’entreprise. Honig-Haftel et Martin (1993) soulignent que les ingénieurs dans les grandes entreprises semblent avoir une motivation intrinsèque plus importante que les ingénieurs dans les petites entreprises. Les premiers seraient plus motivés par des incitations non monétaires que par des incitations monétaires, contrairement aux ingénieurs au sein des petites entreprises qui ne réagissent qu’aux incitations monétaires.
2.3 – Études empiriques antérieures
19Les travaux qui se sont intéressés aux incitations à l’innovation concernent principalement le secteur académique et plus particulièrement le secteur académique américain. Aux USA, Thursby et al. (2001) montrent qu’alors que les inventions brevetables appartiennent majoritairement aux universités, les inventeurs reçoivent une part non négligeable (environ 40 %) des revenus générés par le brevet. Concernant les universitaires en Grande-Bretagne, Bains (2005) montre que les inventeurs perçoivent un revenu important lorsqu’ils déposent une licence de droit de propriété intellectuelle. Il semble donc exister des incitations monétaires à inventer pour les universitaires.
20Par contre, peu d’études empiriques ont analysé la rémunération de l’innovation au sein des entreprises privées. À notre connaissance, les seules recherches empiriques analysant la rémunération des inventeurs sont celle de Toivanen et Väänänen (2010) en Finlande et celle de Harhoff et Hoisl (2007) en Allemagne. Ces études trouvent, en moyenne, un avantage salarial pour les inventeurs. En effet, Toivanen et Väänänen (2010) montrent que les inventeurs perçoivent en moyenne un gain salarial de 3 % l’année après avoir déposé un brevet et bénéficient d’un accroissement de salaire de 4 à 5 % trois à quatre ans après. Ils soulignent également que ce rendement varie de façon importante en fonction de la qualité du brevet. Par contre, ils ne trouvent pas de rendement salarial de la mobilité pour les inventeurs. L’étude de Harhoff et Hoisl (2007) s’intéresse plus particulièrement à l’impact de la législation sur la rémunération des inventeurs. Ils trouvent des résultats similaires à l’étude précédente. Il semblerait que la compensation monétaire des inventeurs dépende principalement de la qualité du brevet déposé.
3 – Objet de l’étude et hypothèses
21Dans cet article, nous nous intéressons plus précisément aux incitations monétaires à l’innovation au sein du secteur privé. Nous nous interrogeons sur la rentabilité pour un ingénieur de devenir inventeur. De ces différentes études, principalement deux types d’incitations monétaires pour les inventeurs semblent se dégager, le salaire et la détention de stock-options. Dans la suite de cet article, nous analysons empiriquement ces deux formes de compensation monétaire avec une attention particulière portée à la mobilité de l’inventeur et à la nature de son entreprise. Nous nous intéressons également aux ingénieurs travaillant à l’étranger afin d’analyser dans quelle mesure le type de compensation reçue par ces inventeurs peut différer de celle reçue par les inventeurs français.
22Nous posons les trois hypothèses suivantes :
23Hypothèse 1 : Les inventeurs connaissant une mobilité inter-entreprise perçoivent une rémunération supérieure. Les entreprises sont prêtes à payer les connaissances acquises par les inventeurs au sein des autres entreprises (Dahl, 2002).
24Hypothèse 2 : Les inventeurs percevant des stock-options ont plus de chances de ne pas connaître une mobilité inter-entreprise. Nous pouvons, en effet, supposer que les entreprises utilisent les stock-options comme incitation pour retenir leurs ingénieurs les plus productifs, les inventeurs.
25Hypothèse 3 : Le système d’incitations diffère selon le type d’entreprise et plus particulièrement selon la taille et l’intensité en termes de R&D de l’entreprise. Nous pouvons, en effet, supposer que la politique d’innovation est différente selon le type d’entreprise.
4 – La méthodologie utilisée : Méthode par appariement
26Nous cherchons à analyser le rendement salarial ainsi que la détention de stock-options des inventeurs. La difficulté provient de l’existence de biais de sélection. Il est fort probable que les inventeurs et non-inventeurs différent dans leurs caractéristiques individuelles et de leur entreprise. Les études montrent, en effet, que la productivité des chercheurs peut être fortement influencée par des facteurs individuels ou encore organisationnels. Il est donc important de prendre en compte cette hétérogénéité.
27Dans ce papier, nous utilisons l’approche par appariement (« matching ») initiée par Rosenbaum et Rubin (1983). Ces méthodes ont été utilisées principalement pour l’évaluation des politiques publiques. Récemment, ces méthodes ont également été appliquées dans l’étude des écarts salariaux entre les hommes et les femmes (Frölich, 2007) ou encore dans le rendement de l’enseignement supérieur (Titus, 2007).
28L’idée de la méthode par appariement est d’associer à chaque individu traité (ici, les inventeurs) un individu non traité (les non-inventeurs) dont les caractéristiques sont identiques à celles de l’individu traité (Brodaty et al., 2007). Sous certaines hypothèses, nous pouvons ensuite déterminer l’effet moyen du traitement dans la population des individus traités (ATT), qui correspond dans notre étude à l’avantage salarial des inventeurs.
29Soit Di = 1 pour les ingénieurs ayant déposé un brevet, ici les « inventeurs », et Di = 0 les ingénieurs n’ayant pas déposé de brevet. Yi représente la variable d’intérêt, soit dans notre étude le salaire annuel des ingénieurs. L’effet de traitement, ici devenir inventeur est égal à ?i = Yi1 – Yi0. Or, il n’est pas possible d’observer un même individu face aux deux situations de traitement, nous devons donc mesurer l’effet moyen sur la population traitée (les inventeurs) que nous notons :
31Nous cherchons à estimer l’impact moyen du traitement sur les traités nommé ici ATT (« Average Treatment effect on the Treated »).
32Nous ne pouvons, par ailleurs, estimer E(Yi0|Di = 1). Nous connaissons E(Yi0|Di = 0) mais nous ne pouvons pas nous en servir comme substitut. En effet, il est fort probable du fait de notre hypothèse que les variables déterminant la décision de traitement (devenir inventeur) déterminent également la variable d’intérêt (le salaire). Par conséquent, le revenu des individus traités et des individus non traités différeront même en absence de traitement, ceci correspond au biais de sélection (Caliendo, Kopeinig, 2008).
33On ne pourra donc estimer ?ATT qu’à la condition que E(Yi0|Di = 1) – E(Yi0|Di = 0) = 0
34Pour cela, l’indépendance conditionnelle aux caractéristiques observables (Conditional Independance Assumption) doit être supposée. Selon cette hypothèse, la variable d’intérêt doit être indépendante au fait d’être traité contrôlé par les variables X décrivant l’individu. Cette hypothèse sous-entend donc que la sélection est basée uniquement sur les caractéristiques observées X et que l’ensemble des variables influençant simultanément le traitement et la variable de résultat sont observées par le chercheur (Caliendo, Kopeinig, 2008). Formellement, cette hypothèse s’écrit :
36ou encore E(Yi0|X,D = 1) = E(Yi0|X,D = 0)
37Nous pouvons écrire sous cette hypothèse :
39Le principe de l’estimation consiste à utiliser les informations dont on dispose sur les individus non traités pour construire pour chaque individu traité un contrefactuel, c’est à dire une estimation de ce qu’aurait été sa situation s’il n’avait pas été traité (Brodaty et al., 2007). Cette hypothèse suppose néanmoins la prise en compte d’un nombre important de variables X, l’appariement peut donc s’avérer difficile.
40Rosenbaum et Rubin (1983) proposent une méthode alternative au problème de dimension du vecteur X. Il s’agit de la méthode d’appariement sur score de propension. Ce score correspond à la probabilité, pour une personne de caractéristiques X données, d’être exposé au traitement. Ils montrent, en effet, que la propriété d’indépendance en relation des caractères observés X implique celle d’indépendance à la variable indiquant la probabilité de traitement, ou score de propension à être traité (Brodaty et al., 2007) noté P(X) = Pr(D = 1|X).
41Formellement :
43L’appariement peut donc maintenant s’écrire :
45Pour la méthode d’appariement, une seconde hypothèse importante nommée support commun (Common support) doit être respectée. Cette hypothèse impose que l’on dispose pour chaque individu traité, d’individus non traités dont les scores ont des valeurs proches du score de l’individu traité (Brodaty et al., 2007). Cette hypothèse permet de s’assurer que pour chaque unité traitée, il y a des unités de contrôle s’appuyant sur les mêmes variables observées X. Formellement :
47Dans un premier temps, il s’agit d’estimer le score de propension. En principe, tout modèle à choix discret peut être utilisé (Caliendo, Kopeinig, 2008). Dans cet article, nous choisissons un modèle Probit puisque notre variable s’assimile à la situation ou non d’être inventeur. Le choix des variables pour l’estimation du score de propension est très important puisque pour respecter l’hypothèse du CIA, la variable d’intérêt doit être indépendante au fait d’être traitée conditionnellement au score de propension. Dans la section suivante, nous justifions plus précisément le choix des variables sélectionnées pour notre étude.
48Dans un second temps, nous effectuons l’appariement. Il existe plusieurs méthodes d’estimation, Smith et Todd (2005) soulignent que les différentes méthodes d’appariement entraînent généralement des résultats similaires lorsqu’on dispose d’une base de données importante. Puisqu’il n’existe pas de consensus dans la littérature sur la meilleure méthode d’estimation, nous utilisons différentes techniques qui sont l’estimation par le plus proche voisin (« nearest neighbor »), avec remise n des plus proches voisins et avec noyaux (« kernel »).
49La méthode la plus usuelle est celle du plus proche voisin. Cette méthode consiste à retenir pour chaque individu traité, l’individu non traité avec le score de propension le plus proche du sien. La principale limite de cette méthode est qu’elle peut effectuer un appariement entre deux individus avec une distance en termes de score de propension assez importante. Il est alors possible que de mauvais appariements soient effectués. Une façon de remédier à cette limite est d’effectuer l’appariement à un seuil donné en imposant une distance maximale entre les scores de propension. D’autre part, la méthode par le plus proche voisin peut s’effectuer sans remise (l’individu du groupe de contrôle n’est sélectionné qu’une seule fois dans la construction du contrefactuel) ou avec remise (l’individu peut être sélectionné plusieurs fois). Il est également possible de retenir plusieurs voisins, ceci en fonction d’une zone d’acceptation du voisinage possible, ce qu’on nomme la méthode par les plus proches voisins.
50Une autre méthode d’estimation possible est celle avec noyaux développée par Heckman, Ichimura et Todd (1997, 1998). Celle-ci utilise des moyennes pondérées de l’ensemble des individus du groupe de contrôle pour construire le contrefactuel. Il s’agit de retenir, pour chaque individu traité, tous les individus non traités, mais en les affectant d’un poids inversement proportionnel à leur « distance » avec l’individu traité. Frölich (2007) souligne que c’est cette méthode qui donne les résultats les plus précis et ceci d’autant plus que la distance est mesurée de manière fiable dans le processus. Néanmoins, un inconvénient de cette méthode est qu’il est possible que des observations soient utilisées alors que ce sont des mauvais appariements. Puisque les différentes méthodes présentent chacune des avantages et des inconvénients, nous utilisons ces différentes méthodes afin de comparer les résultats.
51D’autre part, des caractéristiques non observables, telles que la motivation peuvent biaiser les résultats. De ce fait, l’existence de caractéristiques non observables violerait l’hypothèse CIA, la sélection ne s’opérerait plus uniquement sur les caractéristiques observables. Dans la littérature économique, plusieurs méthodes ont été développées afin de prendre en compte l’existence de caractéristiques non observables. Les méthodes habituellement utilisées sont les approches classiques de correction des biais en « deux étapes » telles que le modèle d’Heckman et les régressions instrumentales. La principale difficulté de ces méthodes est de trouver des variables instrumentales valides. En effet, il s’agit de trouver au moins une variable qui affecte le fait de déposer un brevet mais qui n’a pas d’impact sur le salaire. Nous ne disposons directement pas de ce type de variables dans notre base de données. Néanmoins, Rosenbaum (2002) a développé un test nous permettant de tester la robustesse de nos estimations par rapport à l’hétérogénéité non observée.
52La probabilité de bénéficier du traitement pour un individu i avec des caractéristiques observables xi peut s’écrire : P(xi) = P(Di = 1|xi) = F(?xi + ?ui) où ui est une variable non observable et ? l’effet de ui sur le fait de bénéficier du traitement. La probabilité de participation ne dépendra uniquement de xi seulement si ? est égal à zéro. Par conséquent, si deux individus i, j ont les mêmes caractéristiques X, alors leur probabilité P(xi) et P(xj) devrait être égale. Nous parlerons de « biais cachés » (hidden bias) lorsque deux individus i, j présentant les mêmes caractéristiques (xi = xj) ont des probabilités différentes de traitement (P(xi) ? P(xj)). Afin de simplifier, Aakvik (2001) suppose que la variable non observable ui est dichotomique. Il prend l’exemple de la motivation qui est un déterminant à la fois de la participation et de la variable d’intérêt, la personne est motivée (u=1) ou pas (u=0). Nous pouvons dès lors écrire le rapport de cote (odds ratio) pour deux individus i et j :
54La méthode de Rosenbaum (2002) repose sur la sensibilité du paramètre ?. Si ? = 1, les individus avec les mêmes caractéristiques X ont la même probabilité de traitement, il n’existe pas de « biais caché ». Par contre, si deux individus identiques ont un ? égal, par exemple, à 2, cela signifie qu’un des deux individus peut avoir une probabilité deux fois supérieure par rapport à l’autre de recevoir le traitement. Ce résultat peut s’expliquer par le fait que ces deux individus diffèrent par leurs caractéristiques non observables (Rosenbaum, 2002). Il s’agit ainsi de faire varier l’influence ? et de vérifier si les conclusions de l’analyse statistique peuvent être invalidées. Dans cet article, nous faisons varier ? de 1 à 2 par tranches de 0,05.
5 – Les données
55Les données utilisées proviennent d’une étude conduite chaque année (tous les 2 ans jusqu’en 2002) par le CNISF (Conseil National des Ingénieurs et des Scientifiques de France) auprès des diplômés des écoles d’ingénieurs, quels que soient leur âge et leur expérience. Environ 47 500 ingénieurs répondent habituellement au questionnaire. Cet article utilise les données de l’étude conduite en 2009, portant sur la situation des ingénieurs au 31 décembre 2008. Pour chaque enquête, un thème particulier est analysé plus précisément. Pour la 20e enquête, le CNISF s’est penché sur les questions de l’innovation au sein des entreprises. Ces données nous permettent d’avoir les informations nécessaires sur les caractéristiques individuelles et de l’entreprise des inventeurs.
56Seuls les ingénieurs travaillant dans le secteur marchand sont ici pris en compte, ceux employés par les administrations, les universités et les laboratoires publics sont exclus de l’analyse. Nous avons un échantillon d’environ 16 000 ingénieurs.
5.1 – La mesure du brevet
57La variable dépendante concernant les brevets est issue de l’item suivant : Dans les 5 dernières années, avez-vous été déposant ou co-déposant inventeur ou inventeur salarié d’un brevet ?
58Nous sommes conscients que cette variable comporte plusieurs limites pour la mesure de la productivité de l’ingénieur. Mais nous ne disposons pas d’information sur la commercialisation du brevet déposé et dans quelle mesure celui-ci a entraîné un profit à l’entreprise de l’inventeur. Giuri et al. (2007) soulignent, toutefois, que la plupart des brevets n’entraîne pas de succès commercial. À partir de nos données, nous ne pouvons connaître la valeur, la « qualité » du brevet. Les études utilisent habituellement comme mesure de « qualité » du brevet, le nombre de citations reçues par le brevet déposé. Nous n’avons pas de telle donnée. Le fait qu’on se situe sur la période des cinq dernières années entraîne également certains biais. Cette variable ne nous permet notamment pas de mesurer le gain salarial des inventeurs sur le long terme. Or, comme nous l’avons souligné auparavant, la rémunération des brevets peut différer dans le temps, d’autant plus que la valeur du brevet est, en moyenne, révélée au bout de trois années.
5.2 – La mesure de la mobilité
59D’autre part, les ingénieurs reportent les caractéristiques de leur entreprise uniquement à la date de l’enquête. Cependant, il est possible que lors des cinq dernières années de l’enquête, les ingénieurs aient changé d’entreprise. Nous estimons donc les mêmes modèles sur les deux sous-échantillons, les ingénieurs déclarant n’avoir pas connu de mobilité ces cinq dernières années et ceux ayant connu une mobilité. Les ingénieurs n’ayant pas connu de mobilité représentent 60 % de notre échantillon contre 40 % des ingénieurs ayant connu une mobilité. Nous ne savons donc pas si l’ingénieur a changé d’entreprise quand il est devenu inventeur ou s’il est devenu inventeur une fois qu’il a changé d’entreprise. Néanmoins, Traijtenberg (2005) et Hoisl (2007b) montrent qu’il existe une relation simultanée entre mobilité et productivité des inventeurs. Il semble, en effet, que lorsque l’inventeur connaît une mobilité, il devient plus productif. Hoisl (2007b) explique ce résultat par un meilleur appariement entre l’employé et l’employeur et/ou l’inventeur profite des connaissances de ses nouveaux collègues. En même temps, Traijtenberg (2005) montre que les inventeurs les plus productifs ex ante ont plus de chances de connaître une mobilité. Dans les deux cas, la mobilité d’un tel ingénieur entraîne un coût non négligeable pour l’entreprise.
5.3 – Les expatriés
60Dans notre échantillon, 13,6 % des ingénieurs travaillent à l’étranger. Parmi ceux-ci, environ 60 % travaillent dans un pays d’Europe autre que la France (12 % en Suisse, 14 % en Allemagne, 6 % en Belgique et 9 % en Grande-Bretagne). Parmi les 40 % restant, 20 % travaillent aux États-Unis. Dans notre échantillon, les inventeurs travaillant à l’étranger représentent 12 % de l’ensemble des inventeurs. Nous sommes néanmoins conscients qu’il est susceptible d’exister certains biais dû notamment aux non-réponses.
5.4 – Sélection des variables
61Afin d’estimer le score de propension, le choix des variables est très important. Caliendo et al. (2008) soulignent, d’ailleurs, que le fait d’omettre d’importantes variables pour l’analyse risque d’entraîner des résultats biaisés. Il est recommandé de choisir les variables sur la base des théories économiques et des études empiriques antérieures.
62Dans cet article, nous portons une attention toute particulière aux caractéristiques de l’entreprise où est employé l’inventeur (Hypothèse 3). Les ingénieurs n’auront pas les mêmes incitations et les mêmes opportunités à déposer un brevet selon l’entreprise où ils sont employés. Tout d’abord, la taille de l’entreprise semble influer significativement sur la productivité des scientifiques (Hoisl, 2007b, Kim et al., 2002, Mariani et al., 2007). Il est trouvé une relation positive entre la taille de l’entreprise et la productivité de l’inventeur. Ce résultat peut être expliqué principalement par trois facteurs. Premièrement, les entreprises de grande taille s’engagent plus facilement dans des activités de recherche (Crépon et al., 1998). Elles bénéficient également de ressources plus importantes pour embaucher les chercheurs les productifs ou mettre en place des projets de recherche de grande taille (Hoisl, 2007b). D’autre part, les activités de R&D sont organisées différemment dans les grandes entreprises et dans les petites entreprises (Kim et al., 2002). Dans les grandes entreprises, les scientifiques travaillent généralement sur plusieurs projets de recherche en même temps, ils ont donc une probabilité plus importante de trouver des résultats brevetables. Enfin, les grandes entreprises peuvent avoir des moyens plus importants pour la protection intellectuelle des brevets déposés (Mariani et al., 2007).
63Les incitations à l’innovation seront également différentes selon le secteur de l’entreprise de l’ingénieur. La stratégie en termes de brevet peut différer de façon importante en fonction du secteur d’activité.
64La stratégie de l’entreprise en termes d’innovation n’est également pas à négliger. D’une part, l’ingénieur n’aura pas les mêmes opportunités de déposer un brevet en fonction de l’intensité de l’innovation de l’entreprise. D’autre part, des études ont montré la mise en place d’incitations pour les chercheurs très différentes au sein des entreprises de haute technologie et des autres entreprises (Balkin et Gomez-Mejia, 1984). Afin de mesurer les différences d’intensité d’innovation entre les entreprises, nous prenons en considération trois variables qui sont le niveau de dépenses internes de R&D de l’entreprise (Griliches, 1984, Crépon et al., 1998, Mairesse, Mohnen, 2005), la mise en place par l’entreprise d’une politique de veille concurrentielle stratégique et enfin l’existence de partenariat avec des universités (George et al., 2002).
65Enfin, les incitations à innover pour l’ingénieur seront également différentes en fonction de certaines caractéristiques individuelles de l’ingénieur. Nous retenons comme caractéristiques individuelles : l’ancienneté (Mariani, Romanelli, 2007, Hoisl, 2007a, Toivanen et Väänänen, 2011), le niveau de capital humain (Mariani et al., 2007) ainsi que le genre (Giuri et al., 2007, Whittington, Smith-Doerr, 2005). Il est nécessaire de s’intéresser aux caractéristiques de l’emploi et de l’entreprise de l’ingénieur. Au niveau de l’emploi de l’ingénieur, nous introduisons les variables concernant l’activité dominante de l’ingénieur et plus particulièrement si l’activité principale de l’ingénieur concerne l’étude, la recherche et la conception. Nous prenons également en compte le fait que l’ingénieur a participé à un programme de R&D de l’Union européenne ou non.
Statistiques descriptives [4]
Statistiques descriptives [4]
Note :*** significatif à 1 %, ** significatif à 5 %, * significatif à 10 %.66Les statistiques descriptives sont présentées dans le tableau n° 1. Tout d’abord, les inventeurs et non-inventeurs présentent des caractéristiques individuelles significativement différentes. En effet, 10,1 % des inventeurs sont des femmes contre 14 % parmi les non-inventeurs. Les inventeurs possèdent plus fréquemment un doctorat que les non-inventeurs (18,7 % contre 3,8 %). Ils ont également en moyenne une ancienneté sur le marché du travail plus importante que les non-inventeurs (10,52 ans contre 9,28 ans). D’autre part, les inventeurs travaillent plus fréquemment dans des activités de R&D (76 % contre 35 %) et ont participé plus fréquemment à un programme de R&D de l’UE (36 % contre 10 %) par rapport aux non-inventeurs. Au niveau des caractéristiques de l’entreprise, il existe également une différence significative entre les deux types d’ingénieurs. Il semblerait que les inventeurs soient employés plus fréquemment dans des entreprises de taille plus importante. Le tableau n° 1 montre également une différence importante dans la stratégie de leur entreprise en termes d’innovation. Les inventeurs se trouvent plus fréquemment dans des entreprises effectuant une politique de veille stratégique (83,9 % contre 66,8 %) et ayant des dépenses de R&D internes importantes (52,3 % contre 29,4 %). Enfin, une part beaucoup plus importante d’inventeurs travaille dans une entreprise collaborant avec des universités par rapport aux non-inventeurs (70,5 % contre 44,3 %).
6 – Estimation du score de propension
6.1 – Qualité de l’estimation
67Dans un premier temps, le score de propension a été estimé à l’aide d’un Probit. Avant de présenter les résultats, il est important de vérifier la qualité de l’estimation du score de propension. Afin de juger celle-ci, il est nécessaire de vérifier la propriété d’« équilibrage » ainsi que de déterminer le support commun. La propriété d’« équilibrage » est généralement vérifiée par deux tests qui sont le test d’égalité des moyennes et le test des différences standardisées, tous deux développés par Rosenbaum et Rubin (1985). Les résultats sont présentés dans le tableau 1B en annexe B.
68Avant appariement, nous avons vu que les différences de caractéristiques X sont significatives entre les inventeurs et non-inventeurs. Si l’appariement est correct, il ne devrait donc plus avoir de différence significative de moyenne entre les deux groupes d’individus, c’est le principe du test d’égalité de moyenne. Le test des différences standardisées permet, quant à lui, de déterminer la réduction du biais due à l’appariement par le score de propension. Rosenbaum et Rubin (1985) soulignent qu’une différence standardisée supérieure à 20 devrait être considérée comme trop importante. Après appariement, les différences de caractéristiques deviennent non significatives sauf pour l’ancienneté (significatif à 10 %) et l’activité dominante de l’ingénieur (significatif à 10 %). Concernant les différences standardisées, aucune valeur n’est supérieure à |20|. Au vu de ces tests, la qualité du score de propension semble correcte.
69Afin de déterminer le support commun, nous imposons la condition du « minima-maxima ». Cette condition consiste à enlever les observations de la population traitée (les inventeurs) dont le score de propension est plus élevé que le maximum et plus faible que le minimum du score de propension de la population de comparaison (les non-inventeurs). Les graphiques de score de propension sont présentés en annexe B. Le respect de cette hypothèse enlève moins de 1 % de nos observations.
6.2 – Devenir inventeur
70Les résultats du Probit concernant la probabilité de devenir inventeur sont présentés en annexe dans le tableau 1C. Les estimations ont été effectuées sur l’ensemble de l’échantillon et sur les deux sous-ensembles comprenant uniquement les ingénieurs n’ayant pas connu de mobilité et les ingénieurs ayant connu une mobilité ces cinq dernières années. Les résultats diffèrent très peu selon l’échantillon pris en compte.
71Les résultats sont similaires à ceux trouvés dans la littérature. En effet, les femmes ont une probabilité significativement plus faible de déposer un brevet par rapport aux hommes. Nous pouvons tout de même souligner que les études (Whittington, Smith-Doerr, 2005) montrent que les brevets déposés par les femmes sont en termes de qualité (mesurée par le nombre de citations) similaires voire supérieures à ceux déposés par les hommes. Il semble également exister une relation croissante à taux décroissant entre la productivité et l’ancienneté de l’ingénieur. En effet, la variable ancienneté est significativement positive alors que son carré est négatif. D’autre part, être docteur accroît fortement les chances de déposer un brevet. Il semble donc que les docteurs soient plus productifs en R&D. Résultat non surprenant, le fait d’être employé dans des activités d’étude, de recherche et de conception accroît les chances de déposer un brevet et les ingénieurs ayant participé ces cinq dernières années à un programme de R&D de l’UE ont une chance significativement plus élevée de devenir inventeur.
72Les caractéristiques de l’entreprise de l’ingénieur semblent également influer sur le fait de devenir inventeur. L’ensemble des variables décrivant la stratégie de l’entreprise en termes d’innovation sont significatives. La probabilité de déposer un brevet pour un ingénieur ne semble pas être statistiquement significative lorsqu’il est employé dans une entreprise avec des dépenses internes de R&D supérieures à 5 %. Le fait que l’entreprise de l’ingénieur exerce une politique de veille concurrentielle stratégique a un impact positif significatif. Il semblerait que la collaboration entre l’entreprise et les universités soit également un facteur très significatif sur la productivité en termes de R&D.
73Par ailleurs, les ingénieurs ne connaissant pas le montant des dépenses de R&D de leur entreprise et si celle-ci collabore avec des universités ont une probabilité plus faible de devenir inventeurs. Nous pouvons supposer que les inventeurs sont plus intéressés par la politique d’innovation de leur entreprise que les non-inventeurs. Il semble aussi que le fait d’être employé dans une entreprise de grande taille (mesurée en nombre d’employés) influe significativement sur le fait de devenir inventeur.
7 – Les incitations monétaires des inventeurs
74Après avoir déterminé le score de propension, nous pouvons estimer d’une part, l’avantage salarial pour les inventeurs et d’autre part, la détention de stock-options. Les estimations sont effectuées sur l’ensemble des ingénieurs et également sur la population des docteurs-ingénieurs. Caliendo et al. (2008) soulignent, en effet, que si certaines variables nous semblent importantes dans le traitement, il peut s’avérer intéressant de faire les analyses sur ces sous-groupes. Or, nous avons vu auparavant que les docteurs représentent une part importante des inventeurs, environ 20 %.
7.1 – L’avantage salarial des inventeurs
75Dans un premier temps, nous effectuons un appariement afin d’estimer l’avantage salarial pour les inventeurs. Le tableau ci-dessous présente les résultats selon les différentes méthodes d’estimation utilisées. Le tableau 2 présente deux estimateurs qui sont l’estimateur naïf et l’effet moyen global (ATT). L’estimateur naïf correspond à la différence de moyenne des salaires entre les deux groupes d’ingénieurs sans prise en compte des caractéristiques X. L’ATT est l’estimateur qui nous intéresse, il correspond à l’estimateur après appariement. Nous présentons également les résultats des MCO afin de comparer les résultats.
76Tout d’abord, les estimateurs naïfs sont positifs et significatifs pour l’ensemble des échantillons. Les résultats des estimations après appariement montrent un gain salarial positif significatif pour les inventeurs quel que soit l’échantillon utilisé. Nous pouvons noter que pour l’ensemble des échantillons, les estimations par le plus proche voisin sont supérieures aux autres estimations. Ceci provient du fait que ce type d’estimation est moins précis puisque le « plus proche voisin » peut correspondre à un mauvais appariement. Pour l’ensemble des ingénieurs, l’estimation par le plus proche voisin est de 4,0 % alors que les estimations par les plus proches voisins et avec noyaux sont respectivement de 3,4 % et de 2,9 %, significatifs à 1 %. Par ailleurs, il semble que le rendement de l’innovation soit plus important pour les docteurs. En effet, l’effet moyen global est de 8,8 % par le plus proche voisin et de 6,3 % par noyaux.
77Il apparaît que les ingénieurs ayant connu une mobilité présentent un gain salarial à l’innovation supérieur aux ingénieurs n’ayant pas connu de mobilité, ce qui valide notre première hypothèse. L’estimation respectivement par les plus proches voisins et par noyaux montre un rendement salarial de l’ordre de 5 % et 3,3 % pour les premiers contre 3,3 % et 2,7 % pour les ingénieurs sans mobilité. Il est vrai que nous ne savons pas si l’ingénieur a changé d’entreprise quand il est devenu inventeur ou s’il est devenu inventeur une fois qu’il a changé d’entreprise. Néanmoins, comme nous l’avons souligné auparavant, il semble exister une relation simultanée entre mobilité et productivité des inventeurs (Traijtenberg, 2005 et Hoisl, 2007b). Ce résultat semble tout de même suggérer que les entreprises payent les connaissances acquises par les ingénieurs au sein des autres entreprises (Dahl, 2002).
78D’autre part, le rendement salarial de l’innovation semble dépendre également du type d’entreprise où se trouve l’inventeur. En effet, dans les entreprises de moins de 500 salariés, les inventeurs perçoivent un avantage salarial d’environ 6,9 % (estimateur par noyaux), alors que celui-ci est de seulement 1,6 % pour les inventeurs employés dans une grande entreprise. Au sein des entreprises nommées ici PME de haute technologie, l’innovation apparaît fortement valorisée avec un rendement salarial pour les inventeurs supérieur à 10 % (significatif à 1 %).
79Ce résultat pourrait s’expliquer par, comme nous l’avons évoqué précédemment, une motivation intrinsèque différente des inventeurs selon la taille de l’entreprise. Deux autres explications peuvent être apportées pour expliquer ce résultat. Il apparaît tout d’abord que la politique d’innovation diffère selon les grandes ou les petites entreprises. En effet, dans notre échantillon, environ 54 % des grandes entreprises déposent des brevets chaque année contre 13 % des petites entreprises. Il est donc possible qu’il est attendu implicitement des scientifiques des grandes entreprises de breveter alors que les attentes dans les petites entreprises sont moindres, ce qui expliquerait une différence de rémunération entre les deux types d’entreprises. Une autre explication possible est les liens entretenus entre les entreprises et les universités. Dans notre échantillon, 57 % des grandes entreprises entretiennent des liens étroits avec une université contre 32 % pour les petites entreprises. Nous pouvons supposer que le pouvoir de négociation est moins important au sein des grandes entreprises car ils sont plus facilement substituables par des chercheurs universitaires dont les doctorants. Il est également possible que les petites entreprises offrent un salaire important aux inventeurs afin que leur rémunération se rapproche de celle offerte par les grandes entreprises afin de les retenir.
80Les résultats des MCO montrent également un coefficient positif et significatif du fait de déposer un brevet. L’ordre de grandeur est sensiblement le même que les estimations par appariement. Nous pouvons, par ailleurs, souligner que le fait de travailler dans des activités de R&D entraîne une moindre rémunération significative pour les ingénieurs (tableau 1C). En effet, les ingénieurs travaillant dans le secteur R&D /Conception ont un salaire inférieur de 8,5 %, l’écart salarial est de 10,6 % (significatif à 1 %) pour les docteurs-ingénieurs. Des études antérieures (Bonnard, Bourdon, Paul, 2011) ont trouvé des résultats similaires. Ces résultats laissent supposer qu’au sein des entreprises, l’innovation n’est rentable pour les ingénieurs qu’en termes de résultat, de performance.
7.2 – La détention de stock-options
81Le tableau n° 3 montre que les inventeurs perçoivent une part plus importante de stock-options que les ingénieurs non-inventeurs. 5,0 % des inventeurs ont perçu des stock-options en 2008 contre 3,7 % des non-inventeurs. La différence est plus prononcée pour les ingénieurs n’ayant pas connu de mobilité inter-entreprise ces cinq dernières années avec 5,0 % des inventeurs possédant des stock-options contre 3,3 % des non-inventeurs.
Statistiques descriptives : Détention de Stock-Options
Statistiques descriptives : Détention de Stock-Options
82Nous effectuons l’appariement avec la détention de stock-options comme variable d’intérêt. Les résultats sont présentés dans le tableau n° 4.
83Pour l’ensemble des ingénieurs, l’ATT est positif et non significatif quelle que soit la méthode utilisée. Par contre, les résultats sont différents si l’on prend en compte uniquement les ingénieurs ayant connu une mobilité ou les ingénieurs n’ayant pas connu de mobilité. En effet, l’effet global moyen est positif et significatif de l’ordre de 1,5 % pour les ingénieurs n’ayant pas connu de mobilité alors qu’il est non significatif pour les ingénieurs ayant connu une mobilité. Ces résultats suggèrent que les entreprises peuvent offrir des stock-options aux inventeurs afin qu’ils ne quittent pas l’entreprise, validant notre seconde hypothèse. Ils sont en concordance avec la littérature soulignant que les incitations par stock-options peuvent être plus particulièrement utilisées afin d’éviter le turnover et de retenir les employés au sein de l’entreprise (Oyer et Schaefer, 2005).
84Il ne semble, par ailleurs, pas exister de différence selon la taille de l’entreprise. L’ATT est non significatif quelle que soit la taille de l’entreprise.
Résultats de la méthode par appariement : Détenir des stock-options
Résultats de la méthode par appariement : Détenir des stock-options
Note : L’écart-type des estimations est obtenu par la méthode du bootstrap (1000 réplications). ***, **, *, significatif respectivement à 1 %, 5 % et 10 %.7.3 – Le cas des expatriés
85Nous nous intéressons ici plus particulièrement aux ingénieurs travaillant à l’étranger. Cette analyse nous permet ainsi de déterminer s’il existe un système d’incitation pour les inventeurs différent dans les entreprises étrangères et dans les entreprises françaises. Les résultats sont reportés dans le tableau n° 5 ci-dessous.
Résultats des estimations pour le sous-échantillon des ingénieurs expatriés
Résultats des estimations pour le sous-échantillon des ingénieurs expatriés
Note : ***, **, *, significatif respectivement à 1 %, 5 % et 10 %.86Avant de présenter les résultats, il est important de souligner que la variable « expatrié » est très hétérogène. Plusieurs pays sont, en effet, inclus dans cette variable et les systèmes juridiques de rémunération des brevets diffèrent grandement selon les pays. Les résultats sont donc à prendre avec précaution.
87Pour les ingénieurs travaillant à l’étranger, nous trouvons des résultats très différents de ceux trouvés en France. En effet, il ne semble pas que les inventeurs à l’étranger perçoivent une rémunération significativement supérieure par rapport aux ingénieurs non-inventeurs. En revanche, la détention de stock-options ou l’attribution gratuite d’actions sont fortement significatives pour les inventeurs à l’étranger. Plusieurs explications peuvent expliquer ce résultat. Dans la littérature, il est souligné que les entreprises peuvent offrir des stock-options afin d’attirer les ingénieurs les plus talentueux (« stars ») (Hall, Murphy, 2003). Toutefois, en France, l’accès aux stock-options semble plus particulièrement lié à la position hiérarchique de l’individu (Mendez, 2006) et le traitement fiscal sur les stock-options et l’attribution gratuite d’actions apparaît plus contraignante que dans d’autres pays européens tels qu’en Grande-Bretagne ou encore aux Etats-Unis (Andreosso-O’Callaghan, 2000).
8 – Qualité de l’appariement et robustesse des résultats
88Comme nous l’avons souligné dans la section 4, la méthode par appariement ne permet pas de prendre en compte l’hétérogénéité non observée. Or, il est possible que des variables puissent influer sur le fait de déposer un brevet et sur le salaire/la détention de stock-options sans que nous puissions les contrôler. Dans notre cas, cette hétérogénéité pourrait, par exemple, venir de la motivation des ingénieurs à innover. En effet, il semblerait que les inventeurs puissent avoir une forte motivation intrinsèque à la recherche, celle-ci n’est pas prise en compte dans nos estimations. L’existence de telle variable pourrait remettre en cause l’hypothèse d’indépendance conditionnelle. Afin de tester la robustesse de nos résultats, nous effectuons l’analyse de sensibilité développée par Rosenbaum (2002). Les résultats sont reportés dans le tableau n° 1D pour les estimations concernant l’avantage salarial et dans le tableau n° 2D pour les estimations concernant la détention de stock-options. Puisque dans le premier cas, la variable d’intérêt est quantitative, le test utilisé est le test de Wilcoxon alors que dans le second cas, puisque la variable est binaire, nous utilisons le test de Mantel-Haenszel [9]. L’interprétation est la même pour les deux tests.
89Le tableau 1D montre que pour l’ensemble des ingénieurs le seuil critique à partir duquel les résultats des estimations de l’avantage salarial peuvent être contestables est de 1,15. En d’autres termes, à un changement de 15 % dans le rapport de chance de recevoir le traitement pourrait rendre les estimations biaisées à cause des caractéristiques non observables. Par ailleurs, il semble que les estimations concernant les docteurs et les ingénieurs n’ayant pas connu de mobilité sont plus robustes à l’hétérogénéité non observée. En effet, les résultats risquent d’être biaisés à partir d’un seuil de 1,25. Par contre, les résultats concernant les ingénieurs travaillant à l’étranger ne passent pas le test d’hétérogénéité. Ce résultat est non surprenant puisque les résultats de l’ATT sont non significatifs pour cet sous- échantillon.
90Concernant les estimations se référant à la détention de stock-options, les résultats apparaissent très sensibles à l’hétérogénéité non observée pour les ingénieurs travaillant en France quel que soit l’échantillon considéré. Les résultats concernant les stock-options sont donc à prendre avec précaution. Par contre, les résultats concernant le sous-échantillon des expatriés sont fortement robustes à l’hétérogénéité, le seuil étant de 1,85.
91Il est important de comprendre que l’analyse de sensibilité montre uniquement comment les biais peuvent modifier l’estimation. Mais, elle ne permet pas de déterminer si ces biais existent (Aakvik, 2001). Par exemple, les résultats du tableau montrent uniquement que l’intervalle de confiance du gain salarial pourrait inclure zéro si une variable non observable faisait varier le rapport de cotes d’être traité entre les deux groupes d’un facteur de 1,15 pour l’ensemble des ingénieurs et de 1,25 pour les docteurs. Dans la littérature, il n’est pas fait référence à un niveau de seuil conseillé. Rosenbaum (2002) souligne, tout de même, que le test correspond au « pire scénario ».
9 – Conclusion
92Dans cet article, nous nous sommes intéressés aux incitations monétaires à l’innovation au sein des entreprises. Tout d’abord, les résultats révèlent un gain salarial positif significatif pour les inventeurs, cet avantage est plus important si l’ingénieur est docteur. Il apparaît également un rendement salarial plus élevé pour les inventeurs ayant connu une mobilité par rapport à ceux n’ayant pas connu de mobilité ces cinq dernières années. Ce résultat pourrait suggérer que les entreprises sont prêtes à payer les connaissances acquises par les ingénieurs au sein des autres entreprises (Dahl, 2002). Les incitations apparaissent aussi différentes selon la nature de l’entreprise de l’inventeur. En effet, les incitations monétaires sont beaucoup plus importantes dans les petites entreprises et plus particulièrement au sein des PME de haute technologie que dans les grandes entreprises. Il apparaît également que l’utilisation de stock-options comme moyen de compensation des inventeurs soit peu utilisée par les entreprises françaises. Il semble néanmoins que les inventeurs n’ayant pas changé d’entreprise ont plus de chances de détenir des stock-options que les ingénieurs non-inventeurs, ce qui pourrait suggérer que les entreprises utilisent les stock-options comme incitation pour retenir les inventeurs. Ce résultat est tout de même à prendre avec précaution puisqu’il ne satisfait pas le test d’hétérogénéité non observée. Enfin, l’analyse des ingénieurs expatriés révèle un système de compensation des inventeurs à l’étranger très différent du système français. En effet, les incitations pour les inventeurs dans les entreprises étrangères sont en premier lieu la détention de stock-options.
93Plusieurs perspectives peuvent être apportées à cette étude. Tout d’abord, une analyse sur le long terme pourrait s’avérer intéressante. Nous pourrions, en effet, nous interroger sur le caractère transitoire ou permanent du rendement salarial positif pour les inventeurs. Cette étude pourrait également être approfondie an analysant d’autres types d’incitations pour les inventeurs et en les comparant. Une étude récente française de Ferrary (2008) présente un type de management peu utilisé en France, le management par intra-entreprenariat. Il est actuellement pratiqué dans seulement huit entreprises françaises. Le management par intra-entreprenariat consiste à donner la possibilité à l’inventeur de créer sa propre start-up à partir de ses résultats de recherche. Ce type de management présente plusieurs avantages. Tout d’abord, l’incitation pour l’inventeur d’exploiter ses résultats en dehors de l’entreprise devient relativement faible. Ce type de management permet également à l’inventeur de suivre tous le processus de l’innovation, de la conception à la vente et de tirer des profits financiers plus importants de son innovation. Nous pouvons également supposer que ce type de management est plus à même de respecter la motivation intrinsèque des inventeurs.
94Enfin, dans cet article, nous avons défini un inventeur comme un ingénieur ayant déposé un brevet. Or, les entreprises peuvent adopter deux stratégies différentes pour protéger leur innovation soit le brevet ou le secret commercial (Anton et Yao, 2005). Le secret commercial apparaît être plus utilisé pour les innovations majeures. Il serait intéressant d’analyser dans quelles mesures les types d’incitations mis en place par les entreprises pour leurs ingénieurs diffèrent selon ces deux cas.
Annexe A – Réglementation sur la rémunération des inventeurs salariés
95La loi distingue trois catégories d’invention de salariés :
- Les « inventions de missions » ;
- Les « inventions hors missions attribuables » ;
- Les « inventions hors missions non attribuables » ;
- qui est propriétaire de l’invention,
- la nature de la contrepartie financière à accorder à l’inventeur salarié, si l’invention revient à l’employeur.
Annexe B – Score de propension
Score de propension pour l’ensemble des ingénieurs
Score de propension pour l’ensemble des ingénieurs
Score de propension : Ingénieurs n’ayant pas connu de mobilité inter-firme
Score de propension : Ingénieurs ayant connu une mobilité inter-firme
Score de propension : Ingénieurs ayant connu une mobilité inter-firme
Tests de la propriété d’« équilibrage »
Note : *** sign. à 1%, ** sign. à 5%, * sign à 10%.Annexe C – Résultats des Probit
Résultats des probits estimation du score de propension
Résultats des probits estimation du score de propension
Note : *** sign. à 1 %, ** sign. à 5 %, * sign à 10 %.Annexe D – Résultats des MCO
Résultats des régressions par MCO
Résultats des régressions par MCO
Note : *** sign. à 1 %, ** sign. à 5 %, * sign à 10 %.Annexe E – Robustesse des résultats
Test de Rosenbaum [10]
Test de Rosenbaum [10]
Test de Mantel-Haenszel [11]
Test de Mantel-Haenszel [11]
Bibliographie
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : score de propension, inventeur, incitation
Mise en ligne 25/09/2013
https://doi.org/10.3917/rel.792.0045Notes
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[*]
IREDU-CNRS UMR 5225, University of Bourgogne, Pôle AAFE - Esplanade Erasme - B.P. 26513F - 21065 Dijon Cedex (France), Tel : 00 (0)3 80 39 54 58, Fax : 00 (0)3 80 39 54 79
Mail : claire.bonnard@u-bourgogne.fr -
[1]
Un brevet est dit triadique si l’invention qu’elle désigne a fait l’objet d’une demande de brevet auprès de l’Office européen des brevets, de l’Office japonais des brevets et de l’émission d’un titre de propriété à l’United States Patent and Trade mark Office.
-
[2]
Voir annexe A pour une présentation détaillée.
-
[3]
Nous appelons inventeur tout ingénieur ayant déposé un brevet.
-
[4]
Test de student pour les variables quantitatives et test de Chi-2 pour les variables qualitatives.
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[5]
Caliper (ou compas) est une norme permettant de définir la zone de voisinage.
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[6]
Nous nous intéressons ici uniquement aux ingénieurs travaillant en France.
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[7]
Les estimations détaillées des MCO sont présentées en annexe dans le tableau 1D.
-
[8]
Nous définissons les PME de haute technologie, les entreprises de moins de 500 salariés avec une part de chiffre d’affaires consacrée à la R&D supérieure de 5 % ou déposant un brevet chaque année.
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[9]
Ce test a été effectué à partir de la commande mhbounds développé par Becker et Caliendo (2007). Ce test ne peut être effectué qu’après un appariement par le plus proche voisin sans replacement.
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[10]
Ce test a été effectué avec la commande rbounds sous Stata. Ce test ne peut être effectué qu’après l’appariement par le plus proche voisin.
-
[11]
Ce test a été effectué à partir de la commande mhbounds développé par Becker et Caliendo. Ce test ne peut être effectué qu’après un appariement par le plus proche voisin sans replacement.