Notes
-
[1]
J. Daniélou regrettait déjà les « erreurs typographiques [qui] déparent un peu ce beau livre ».
-
[2]
Celui-ci fait souvent référence à l’introduction que nous avons donnée aux textes d’Eunome et de Basile, dans les Sources chrétiennes, mais il ignore, de même qu’Anne Richard d’ailleurs, notre dernier ouvrage Saint Basile et la Trinité (Desclée, 1998) qui propose une analyse de tout ce débat sur le plan des raisons.
I – Le iie siècle : pères apostoliques et apologètes (de 1 à 11)
2. Hermut Löhr, Studien zum frühchristlichen und frühjüdischen Gebet. Untersuchungen zu 1 Clem 59 bis 61 in seinem literarischen, historischen und theologischen Kontext, “Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament“ 160, Mohr Siebeck, Tübingen, 2003, 652 p.
3. Aaron Milavec, The Didache, Texte, Translation, Analysis and Commentary, Liturgical Press, Collegeville, Minnesota, 2004, 112 p.
4. Aristide, Apologie. Intr., textes crit., trad. et commentaires par B. Pouderon, M.-J. Pierre, B. Outtier, M. Guiorgagadzé, « Sources chrétiennes » n? 470, Cerf, Paris, 2003.
5. Adolf von Harnack, Marcion, L’évangile du Dieu étranger. Une monographie sur l’histoire de la fondation de l’Église catholique, trad. par B. Lauret, suivi de contributions de B. Lauret, G. Monnot, E. Poulat et M. Tardieu, coll. « Patrimoines. Christianisme », Cerf, Paris, 2003, 588 p.
6. Athénagore, Athenagorae qui fertur De Resurrectione mortuorum, edidit M. Marcovich. « Supplements to Vigiliae Christianae », vol. LIII, Brill, Leiden-Boston-Köln, 2000, 76 p.
7. Martin Heimgartner, Pseudojustin—Über die Auferstehung. Text und Studie. “Patristische Texte und Studien”, Band 54, W. De Gruyter, Berlin-New York, 2001, 362 p.
8. Craig D. Allert, Revelation, Truth, Canon and Interprétation : Studies in Justin Martyrs Dialogue with Trypho. “Supplements to Vigiliae Christianae”, vol. LXIV, Brill, Leiden-Boston-Köln, 2002, 312 p.
9. Apologie à Diognète. Exhortation aux grecs, Trad. par M. Bourlet, intr. et notes par R. Minnerath, « Les pères dans la foi » 83, Migne, Paris, 2002, 152 p.
10. Éric Osborn, Irenaeus of Lyon, University Press, Cambridge, 2001, 310 p.
11. Véronique Minet, L’empreinte divine. La théologie du corps chez saint Irénée, Profac, Lyon, 2002, 160 p.
11. Sous le titre Concorde et Paix, O. M. Bakke propose une analyse rhétorique de la Première Lettre de Clément de Rome. Après avoir pris position sur l’unité d’auteur de l’opuscule (qu’il estime pouvoir raisonnablement identifier avec le Clément mentionné dans Le Pasteur d’Hermas) et la date (qu’il situe dans la première décennie du IIe siècle), l’auteur s’intéresse, non pas à la structure ecclésiale attestée dans la communauté de Corinthe comme la plupart de ses prédécesseurs, mais à la nature de la sédition qui en a suscité l’écriture et l’envoi. Il s’engage ainsi dans une longue vérification de la mise en œuvre des grands principes de la rhétorique dite « délibérative » (sumbouleutikon), selon Aristote, Quintilien et d’auteurs plus proches de Clément, comme Dion Chrysostome et Aelius Aristide. Cette rhétorique délibérative ou démonstrative est celle qui essaie à la fois de persuader, d’exhorter et de dissuader. En l’occurrence, Clément urge par de pressants appels et de multiples exemples le retour à la concorde dans la communauté. Cette perspective rhétorique permet d’établir avec plus de précision le genre littéraire, la fonction et la composition de la lettre. Son thème central est en effet celui de la concorde (homonoia) qui doit faire cesser la sédition (stasis).
2Deux grands chapitres forment le corps de l’ouvrage. L’un analyse le vocabulaire de l’unité et de la discorde dans l’épître et repère les principaux topoi utilisés. La référence au domaine politique est dominante. Le terme cardinal de concorde (homonoia, 14 fois), celui de paix (eirènè, 21 fois) et leurs nombreux synonymes sont des mots conventionnels de la vie politique. Il en va de même pour l’ensemble des antonymes exprimant le conflit : sédition, querelle, jalousie, haine, persécution, guerre, schisme, etc. Les autres topoi sont l’ordre et l’harmonie de l’univers, la hiérarchie militaire, l’unité du corps humain en ses divers membres, la charité au service du bien commun. Tel est bien le thème principal de la lettre.
3L’autre chapitre étudie la composition de la Lettre à la lumière des principes de la rhétorique. Le texte s’inscrit clairement entre une adresse et une salutation finale avec bénédiction (65,1-2). Son corpus se distribue en un exorde (1,1-2,8) qui comporte une captatio benevolentiae ; une narratio (3,1-4) évoquant la situation présente de révolte ; une longue probatio (4,1-61,3) et enfin une peroratio qui résume et conclut l’ensemble avec une prière (62,1-64,1). La probatio est elle-même répartie en deux temps : d’abord la quaestio infinita ou thesis (4,1-39,9), c’est-à-dire le traitement général de la question à partir d’exemples opposés tirés du passé (Ancien Testament en particulier) et du présent, montrant l’enjeu respectif de la concorde et des désordres contraires, et appelant à la repentance, à l’humilité et à la réconciliation. Cette section est un traité des principes de la concorde pour une communauté chrétienne. Lui fait suite la quaestio finita ou hypothesis (40,1-61,3), c’est-à-dire l’application de ces principes généraux au cas concret et le traitement explicite de la situation à Corinthe avec l’appel aux leaders de la sédition à se soumettre aux presbytres. Ici encore exhortations pressantes et blâmes se succèdent. Cette étude permet de mieux connaître l’environnement social de la lettre : la communauté de Corinthe apparaît comme un monde où la question du point d’honneur joue un grand rôle. De son côté, Clément semble être un homme familier non seulement des topoi de la rhétorique (à l’exemple de Dion Chrysostome, Aelius Aristide, et peut-être aussi de l’épître aux Romains), mais aussi de la terminologie politique, ce qui n’est pas sans intérêt pour l’un des premiers responsables de la communauté romaine.
4Cette étude extrêmement fouillée et très scientifique ne se contente pas de prouver techniquement ce que l’on savait déjà. Elle nous fait avancer dans la compréhension profonde de l’ouvrage et connaître la situation de la communauté de Corinthe. Le découpage proposé par l’auteur est sensiblement différent de celui donné en 1971 par Annie Jaubert dans l’édition des Sources chrétiennes (n. 167). Le point de vue rhétorique fait saillir avec plus de relief l’intention et la dynamique propre au texte que le découpage apporté a posteriori à partir des contenus successivement traités.
52. Voici encore un ouvrage important sur Clément de Rome — qui malheureusement ne connaît pas l’étude précédente : c’est la recherche de H. Löhr sur la grande prière située à la fin de l’épître (ch. 59-61). Ce texte constitue la première prière chrétienne connue, après l’enseignement du Pater dans les évangiles. L’auteur entend la situer dans le double cadre de la prière chrétienne primitive et de la prière juive contemporaine. Selon l’usage il commence par faire le point précis de la recherche antérieure sur son sujet depuis l’époque de Harnack, pour constater que depuis des décennies aucune étude d’importance ne s’était consacrée à cette prière. Le but de l’ouvrage est d’apprécier la langue de ce document du christianisme primitif, de reconnaître l’expression d’une piété populaire anonyme, mais digne d’attention pour une théologie réfléchie, et de donner ainsi un aperçu du monde de la foi et de la pratique chrétiennes des ie et iie siècles.
6L’auteur propose une datation de la lettre un peu plus précoce que Bakke, à la fin du ie siècle au temps de Domitien. Il se livre également à l’analyse des vocabulaires récurrents. Il découpe ainsi la structure de la prière : I. (59,2-3) : Louange du Créateur, souverain et tout-puissant ; II. (59,4) : Intercession ; III (60,1-2) : Louange et confession des péchés ; IV (60,3) : Demandes ; V (61,1) : Intercession pour les gouvernants ; VI (61,3) : conclusion doxologique, la mention du Christ faisant inclusion avec le début de la prière. Le texte est donné en grec et en allemand dans une disposition qui isole sur chaque ligne une unité élémentaire de sens et fournit sa forme au commentaire. Quant à la réception de la lettre et à son usage liturgique dans l’Église ancienne, on remarque que, si les Pères qui se réfèrent à Clément ne citent jamais la prière, les Constitutions apostoliques fournissent, d’une part, des contacts littéraires possibles et, d’autre part, la comparaison des intercessions et demandes de Clément avec les prières eucharistiques, témoins de la tradition liturgique de l’Église ancienne, manifeste aussi des contacts réels. Il existe une proximité entre le judaïsme et le premier christianisme dans cette prière qui semble présupposer le judaïsme du second Temple.
7Löhr donne un commentaire ample et continu de toute la prière, formule par formule, ce qui occupe plus de 200 pages du volume. Sa richesse vient de la multiplicité des rapprochements proposés avec l’AT, les prières juives et aussi la piété hellénistique païenne. Ainsi la prière pour le pardon des péchés rappelle les confessions des péchés de facture vétéro-testamentaire. Si la prière pour les gouvernants affirme la légitimité de leur autorité, elle souligne aussi leur limitation : car leur responsabilité s’exerce sous l’autorité de Dieu. Un excursus important étudie le titre de Jésus comme enfant de Dieu (pais) dans la littérature et la christologie primitives. Ce terme peut signifier à la fois fils ou esclave/serviteur, ce qui renverrait aux chants du Serviteur. Mais les diverses occurrences ne permettent pas d’opposer avec certitude une christologie du Serviteur à une christologie du Fils. La bibliographie ancienne et moderne est impressionnante et l’ouvrage d’une scientificité parfaite. Mais son caractère extrêmement analytique laisse peu de place au bilan des résultats et ne permet pas de dégager les grandes conclusions que doit permettre une telle étude.
83. A. Milavec donne sous une forme brève une nouvelle étude de la Didachè. Il est partisan d’une datation très haute et tient avec raison que le texte ne dépend d’aucun des évangiles connus. Son travail comporte la transcription de l’unique manuscrit, établie par Rendel Harris, à quelques modifications près. La traduction anglaise est donnée en vis-à-vis. Les deux textes sont présentés dans une disposition typographique analytique destinée à attirer l’attention du lecteur sur la valeur de chaque lexie et de ses diverses reprises. L’auteur poursuit son travail par « un bref commentaire », résumé d’une étude beaucoup plus ample, qui aborde des points utiles sur la catéchèse des deux voies (avec la reprise des commandements anciens et l’insertion de commandements nouveaux) et sur la liturgie (insistance sur la dimension sacrificielle de l’eucharistie). L’ouvrage, qui se présente comme un instrument de travail destiné aux chercheurs, se termine par une liste de 25 questions posées sur l’opuscule et qui mériteraient de nouvelles investigations.
94. L’Apologie d’Aristide d’Athènes est l’aînée ou la plus « archaïque » de la série des apologies chrétiennes conservées du iie siècle. Sa transmission nous est parvenue sous quatre versions : deux fragments papyrologiques grecs, une version grecque beaucoup plus ample insérée dans le Roman de Barlaam attribué à Jean Damascène, une version syriaque et un fragment arménien. L’option de cette édition a consisté à ne pas chercher à reconstituer un texte originel et unique, comme l’avaient tenté autrefois Hennecke, Seeberg et Zahn, car le résultat serait inévitablement artificiel, puisque établi à partir de versions sensiblement divergentes, mais d’éditer chacune pour elle-même. Le lecteur est ainsi à même de participer au débat concernant leur valeur respective. Quatre chercheurs se sont répartis la tâche pour offrir une étude quasi exhaustive de ces quatre textes savamment établis, traduits et commentés, selon le stemma fort complexe qui les relie.
10B. Pouderon, auteur de l’introduction générale, reprend à neuf la discussion sur la valeur respective de ces versions. Après avoir exposé longuement les diverses positions de la recherche, les parentés respectives des différents textes entre eux, l’hypothèse de rédactions successives ou de prototypes communs aux versions actuelles, il reconstitue l’histoire du texte en Égypte, dans la péninsule balkanique et en Orient. Sa conclusion privilégie le texte et la structure de la version syriaque. « C’est la traduction [syriaque] qui offre le reflet le plus fidèle et le plus suggestif de ce que pouvait être l’Apologie originelle » (p. 171).
11Aristide, « philosophe » athénien contemporain d’Adrien, nous est connu par divers témoignages anciens, en particulier ceux d’Eusèbe et de Jérôme. B. Pouderon estime devoir garder la datation de l’Apologie fournie par Eusèbe, soit 124-125 : il s’agit d’un discours adressé à Hadrien, même si l’hypothèse de R. Grant d’une seconde édition au temps d’Antonin ne peut pas être totalement exclue. Le genre littéraire est-il déjà celui d’une apologie? Ce serait plutôt un discours fictif ou une lettre ouverte qui s’adresse en fait aux trois « races » barbare, grecque et juive, pour leur montrer la supériorité religieuse de la « race » chrétienne. Le texte passe en revue le culte des barbares ou des Chaldéens, caractérisé par l’adoration des éléments cosmiques, le culte des Grecs, avec ses nombreuses généalogies de dieux divers au mœurs fort humaines, des Égyptiens et de leur zoolâtrie, des juifs croyants au Dieu unique et à la morale élevée, mais responsables de la condamnation du Christ, enfin les chrétiens qui représentent la voie de la vérité. Aristide est le témoin d’une rupture consommée entre chrétiens et juifs.
12Le contenu de la foi est exprimé de manière très brève. La doctrine d’Aristide se ramène d’une part à un monothéisme vigoureux, exprimé en termes philosophiques, et à un exposé bref de l’événement de Jésus, qui évoque le kérygme apostolique. L’éloge de la vie morale des chrétiens annonce le ton de l’Épitre à Diognète, La perspective eschatologique est très présente.
13Dans cette excellente étude nous nous permettrons de faire instance sur deux points. La reconstitution d’un Symbole primitif à partir de l’Apologie d’Aristide nous paraît aller trop loin et ne pas garder les prudences de Hahn et de Harris. Le nombre de crochets et de parenthèses (p. 66) nécessaires souligne le souci de ramener les affirmations d’Aristide à un modèle littéraire de Symbole trinitaire qui ne pouvait exister à cette époque. Car celui-ci suppose que le mariage entre les formules trinitaires et christologiques est déjà accompli, alors que nous le voyons se réaliser progressivement chez Justin et Irénée. Aristide est bien plutôt le témoin de la séparation de formules encore en genèse. Il est vrai qu’il confesse, d’une part, un Dieu unique et créateur (Syr. I,2 ; Barl. XV,1), mais pas dans les formules qui se répandront par la suite. Il propose, d’autre part, un kérygme christologique (Syr. II,4 ; Barl. XV,1-2) qui constituera plus tard le deuxième article du Symbole. Mais il ne relie pas les deux points dans une formule construite. Il est enfin le témoin, dans la seule version grecque de Barlaam, d’une formule de type trinitaire (XV,3), mais séparée du kérygme christologique. La reconstitution d’un symbole à la fois christologique et trinitaire chez lui est donc prématurée.
14Une seconde instance concerne le rapport d’Aristide à l’AT et au NT. L’éditeur nous paraît ici trop affirmatif. Est-il vrai qu’Aristide « évacue quasi totalement les ouvrages vétéro-testamentaires en tant qu’Écritures chrétiennes » (p. 72)? On ne peut que constater qu’il n’en parle pas, si ce n’est indirectement, quand il utilise la formule des « Écritures des chrétiens » (Barl. XVI,4) pour désigner les textes postérieurs à la venue du Christ, ce qui les réfère au concept vétéro-testamentaire d’Écritures. Les exposés d’Aristide sur les autres religions ne lui permettaient guère de citations. Il est vrai qu’il est très bref sur la religion juive : mais il mentionne Abraham, Isaac et Jacob et reconnaît le Décalogue. Ce qui est vrai, c’est qu’Aristide ne met jamais en œuvre la grande argumentation du rapport entre les deux Testaments, qui sera privilégiée par ses successeurs. Il est également très bref sur la doctrine chrétienne, préférant s’étendre sur la moralité exemplaire des chrétiens. Son apologie, archaïque encore une fois, n’entre pas dans un débat argumenté entre chrétiens et païens ou chrétiens et juifs. Aristide recommande la lecture des écrits chrétiens, ce qui suppose qu’il en existe bien à son époque. « Ce sont les livrets évangéliques ou les manuels chrétiens » (p. 64), nous dit l’éditeur. Il faut sans doute être ici plus circonspect. Qu’Aristide connaisse une littérature chrétienne est une chose, qu’il connaisse « les livrets évangéliques » en est une autre. Il parle bien de « l’Écriture sainte de l’Évangile » (Barl. XV,1), mais il ne cite aucun verset des récits évangéliques, il se contente d’une évocation très globale de leur contenu, la vie, la mort et la résurrection de Jésus. Sous ces expressions il faut entendre la globalité du NT encore en genèse, dont les éléments les plus fermes sont les épîtres pauliniennes et dont B. Pouderon reconnaît qu’elles ont exercé une influence déterminante sur Aristide.
15L’étude des sources et de la postérité de l’Apologie d’Aristide est très documentée et permet de s’orienter dans l’horizon de la littérature juive et chrétienne du temps. L’ouvrage s’achève par un long commentaire historique et doctrinal du texte qui tient compte des diverses versions. Il faut remercier les quatre auteurs de cet instrument de travail qui est au plan philologique un modèle.
165. Bernard Lauret a traduit pour la première fois en français la célèbre monographie de Harnack sur Marcion, à partir de sa seconde édition de 1924. Mais le texte de Harnack ne constitue que la moitié du volume. La seconde partie est faite de quatre longues contributions qui font le point des connaissances sur Marcion depuis Harnack et réfléchissent sur l’« actualité » de celui-ci dans le débat chrétien. Distinguons l’ouvrage, déjà daté, de Harnack des réflexions plus contemporaines.
17Marcion. L’évangile du Dieu étranger est-il un livre qui a bien vieilli? Mais tout n’a-t-il pas a été dit sur un ouvrage qui a fait époque et demeure aujourd’hui une référence incontournable des études sur Marcion? Sa lecture reste passionnante, même si le lecteur est gêné par la trop large inconditionnalité de l’auteur à l’égard de « son » Marcion. On ne peut qu’admirer l’acribie scientifique avec laquelle Harnack a décodé les renseignements fournis par les grands adversaires chrétiens de Marcion (Tertullien et Hippolyte en particulier) en vue de reconstituer un curriculum vitae de l’homme, son activité critique à l’égard des documents du NT, le nouveau canon qu’il oppose à l’AT, le contenu de ses Antithèses, les points-clés de sa doctrine autour de l’opposition du Dieu juste et du Dieu bon — à bien distinguer de celle de ses successeurs —, l’histoire de son « Église » qui s’est largement répandue dans le bassin méditerranéen avec une éthique particulièrement austère, la secte de son disciple Apelle, son rôle historique et enfin sa signification pour la genèse de l’Église « catholique ». Harnack a définitivement montré que Marcion n’était pas un « gnostique » et a bien dégagé l’originalité de sa pensée, même s’il est généralement reconnu qu’il a exagéré son rôle dans la constitution du canon du NT. Il y a là une étude d’une grande probité et qui soulève l’admiration pour sa scientificité.
18Mais l’ouvrage n’a pas seulement une prétention historique : il est aussi un livre d’engagement chrétien déterminé sous la bannière de Marcion. L’enthousiasme de l’auteur pour son héros le pousse à boucher avec témérité les trous de sa documentation pour reconstituer le portrait psychologique et religieux de Marcion. Sa thèse, à portée théologique, voit en Marcion un premier protestant (p. 223) et un premier Luther, l’auteur d’une « réformation » (p. 232). Ce point est trop régulièrement affirmé dans des formules parlantes pour ne pas avoir habité lourdement la pré-conception qui a présidé à toute l’enquête du savant : l’opposition de la Loi et de l’Évangile, Marcion devant les prêtres de Rome comme Luther devant ses juges, le Dieu étranger et le Deus absconditus, Marcion vrai disciple de Paul mais qui n’en reste pas à ses demi-mesures, la dialectique d’opposition entre AT et NT, et aussi entre un christianisme pur et le syncrétisme catholique. Marcion est vraiment le « chaînon manquant » entre Paul et Luther. Il est aussi l’homme de la Bible, c’est-à-dire du seul et unique NT, avec ses deux piliers, l’Évangile et Paul. Il a été un initiateur prodigieux et a influencé l’Église de manière décisive, ne serait-ce que par réaction. Marcion a voulu libérer celle-ci de l’AT, mais l’Église l’a conservé à titre prudentiel. Tout cela aboutit à une thèse célèbre : « Rejeter l’AT au iie siècle était une faute que la Grande Église a rejetée avec raison ; le conserver au xvie siècle était une fatalité à laquelle la Réformation n’a pas encore été capable de se soustraire ; mais, depuis le xixe siècle, le conserver encore dans le protestantisme comme document canonique est la conséquence d’une paralysie religieuse et ecclésiale » (p. 240). Bref, si l’AT peut rester une bonne lecture, il faut lui retirer son autorité canonique et ne plus le considérer à l’égal du NT. Le christianisme de Marcion est bien près d’être celui de Harnack. Celui-ci a répondu à un certain nombre de critiques faites à sa monographie, en maintenant ses vues, mais en apportant quelques précisions sur le Dieu de l’AT, qui n’est pas un Dieu mauvais (comme dans le manichéisme), mais un Dieu juste au sens où la loi peut être dite juste, mais qui ne sauve pas pour autant. Tertullien avait bien vu que « la séparation entre la Loi et l’Évangile constitue l’œuvre propre et principale de Marcion » (Contre Marcion I,19).
19La question du rapport entre AT et NT est à l’évidence au cœur de la pensée chrétienne et le livre de Harnack renvoie irrésistiblement son lecteur au respect des auteurs du NT à l’égard de l’Ancien et aux grandes affirmations des Pères de l’Église sur le dessein de Dieu qui ne fait rien « soudainement », et s’exprime dans l’histoire à travers la corrélation entre la prophétie et l’accomplissement. Ce lecteur pense aussi à tout le poids de la typologie — qui est plus qu’une simple allégorie — et qui permet de comprendre chrétiennement l’AT. Il a du mal à admettre que la « falsification » du message évangélique ait pu remonter vraiment à ces origines. Reste toujours la manière de comprendre et d’articuler cette corrélation fondamentale. Harnack met le doigt sur ce point sensible et souvent douloureux, car il est inévitablement solidaire de la relation historique entre juifs et chrétiens.
20B. Lauret se pose, avec d’autres chercheurs contemporains, la question de l’actualité de Marcion. Dans une étude très fouillée, il reprend l’analyse du thème d’un « christianisme pur » avant et après Harnack. Il reconnaît volontiers que le schéma Loi-Évangile chez Harnack est outrageusement simplifié et retrace l’itinéraire dégagé par le savant allemand de ce rapport : subordination (Église ancienne), contraste (la Réforme), sélection/exclusion (la tâche actuelle de l’Église). B. Lauret est aussi préoccupé par le rôle historique que l’« antijudaïsme » de Harnack, radicalement proposé en 1924, a pu jouer sur l’antisémitisme qui se développait déjà et alimenter les thèses nazies. Il est vrai que des théologiens appartenant au groupe des « chrétiens allemands », utiliseront son œuvre.
21Émile Poulat fait un point détaillé de la réception de Harnack et de Marcion dans la science française, de Duchesne à nos jours. Guy Monnot situe les marcionites dans le cadre de l’hérésiologie musulmane. Enfin Michel Tardieu, spécialiste de la gnose, remarque qu’aucune découverte du type de celle de Nag-Hammadi n’a pu nous permettre de revenir aux textes originaux de Marcion. Nous en sommes toujours réduits à le connaître à travers ce qu’en disent ses adversaires. Tardieu note le ton passionné et lyrique du livre de Harnack, qui tranche avec celui de ses œuvres précédentes et le conduit à contredire certaines affirmations de son Manuel d’histoire des dogmes. Il apporte enfin un certain nombre de compléments venus du progrès des études marcionites depuis Harnack. L’ouvrage se termine par un impressionnant répertoire bibliographique raisonné de tout ce qui a été écrit sur Marcion de 1689 à 1921, c’est-à-dire avant Harnack, et ensuite de 1921 à 2002. Le répertoire alphabétique est complété par diverses autres entrées. Nous avons affaire avec cet ouvrage avec une somme sur Marcion par Harnack interposé.
226. M. Marcovich donne une édition critique du De Resurrectione mortuorum attribué à Athénagore. Cette présentation, très scientifique, ajoute en appendice les Scholies d’Aréthas (xe siècle) présentes dans le Codex A et le texte parallèle Sur la résurrection attribué à Justin (sur lequel nous aurons à revenir), repris de l’édition de K. Holl, mais elle ne comporte malheureusement pas de traduction. Nous ne disposons que d’un seul manuscrit de base (codex d’Aréthas 913-914, copié pas son secrétaire Baanes) où le texte suit celui de la Supplique au sujet des chrétiens d’Athénagore, mais les inscriptions de ce manuscrit sont une addition des mains de Baanes et d’Aréthas. Un doute demeure donc. La critique interne a étudié les ressemblances entre la Supplique et le traité Sur la résurrection : les citations communes sont peu probantes, et M. Grant a souligné des différences doctrinales entre les deux ouvrages. Les positions sont donc très contrastées : L. W. Barnard et en particulier B. Pouderon sont les grands champions de l’authenticité (cf. notre recension de l’étude de ce dernier sur Athénagore d’Athènes dans RSR 80 [1992], p. 103-104, et de son édition et traduction du texte dans S.C. 379, RSR 82 [1994], p. 423-424). M. Grant y est opposé, situe le texte à la fin du iiie ou au début du ive siècle et le voit dirigé contre Origène. W.R. Schoedel est du même avis, mais situe ce traité dans les discussions post-origéniennes sur la résurrection. H. E. Lona place même le traité à la fin du ive siècle. E. Gallicet refuse lui-aussi l’authenticité, mais situe l’œuvre dans le cadre de la littérature apologétique à la fin du iie siècle. N. Zeegers-Vander Vorst estime qu’il appartient à la littérature apologétique du iie siècle et s’adresse aux païens. La position finale de Marcovich, exprimée avec prudence, est que l’opuscule n’est pas d’Athénagore, qu’il a été composé à la fin du iie siècle et qu’il est adressé avant tout aux païens.
23Quoiqu’il en soit de l’authenticité, le texte est naïf et médiocre. Son argumentation, peu consistante, est plus le fait d’un rhétoricien habile que d’un vrai philosophe et manque d’unité et de cohérence. Ce n’est pas faire injure à Athénagore que de lui dénier cette paternité. Disons en terminant que Marcovich ne tient pas non plus l’authenticité de l’opuscule attribué à Justin sur le même sujet.
247. Du pseudo-Athénagore passons donc au pseudo-Justin—au risque de revenir au véritable Athénagore –, avec l’étude critique de M. Heimgartner d’un autre traité Sur la résurrection attribué à Justin. Ce court texte n’avait pas encore fait l’objet d’une étude attentive et formelle. La littérature secondaire à son sujet est très limitée. Justin lui-même ne parle pas de cet écrit et le catalogue d’Eusèbe ne le mentionne pas. Jérôme et la bibliothèque de Photius l’ignorent. Mais Jean Damascène et Procope de Gaza le citent au début du vie siècle. Les chercheurs sont divisés : les français sont plutôt contre l’authenticité depuis Le Nain de Tillemont et Maran ; G. Archambault et A. Puech ont émis des doutes graves à son sujet ; mais aujourd’hui P. Prigent, et B. Pouderon la retiennent ; les allemands étaient d’abord plus favorables en raison de la citation qu’en fait Méthode d’Olympe : Zahn, suivi en un premier temps par Harnack, estimait, sans se prononcer formellement, qu’il n’est pas invraisemblable que l’opuscule ait été écrit par un auteur situé entre Irénée et Méthode, ce qui nous rapproche d’une authenticité possible. A. Wartelle, après une comparaison des vocabulaires et de la grammaire, estime que ceux-ci ne justifient pas l’authenticité justinienne. Heimgartner essaie de sortir de cette aporie et d’avancer sur une question non-résolue, en apportant un point de vue nouveau par rapport aux méthodologies précédemment utilisées.
25Son enquête progresse en quatre temps : 1. D’abord l’attestation : l’attribution à Justin ne remonte qu’au vie siècle, alors que le texte est utilisé dès les années 180 à Antioche (Théophile), Lyon (Irénée), et un peu plus tard à Carthage (Tertullien) et Alexandrie (Clément). La citation de Méthode d’Olympe (18 mots) ne peut constituer un argument en faveur de l’authenticité, car elle se situe dans le cadre de la discussion autour de la théologie d’Origène. L’identification avec une partie du Syntagma perdu de Justin reste une pure hypothèse. 2. Ensuite le texte édité sur la base d’une tradition plus large que celle de Holl, la meilleure jusqu’à présent. L’auteur donne le stemma des différents manuscrits, puis le texte et la traduction allemande des divers fragments. Son travail apporte bien des éclaircissements et des précisions sur la transmission, mais le texte de Holl demeure substantiellement. 3. Vient alors l’étude du contenu et du contexte. Puisque l’authenticité ne peut être décidée à partir de l’attestation, il est nécessaire d’analyser en détail le contenu de l’opuscule sur la base du texte réédité. Le résultat de cette enquête montre que les adversaires visés sont, d’une part, les Encratites de l’entourage de Jules Cassien et, d’autre part, les arguments anti-chrétiens de Celse. Dans l’horizon se trouve aussi la Lettre de Rheginos : cette lettre et le Discours vrai de Celse sont présupposés dans l’écrit, dont l’auteur connaît également les ouvrages authentiques de Justin. 4. En terminant, Heimgartner situe l’opuscule à la fin du iie siècle, entre 153 et 185 à Alexandrie. Quant à l’auteur il propose l’hypothèse d’Athénagore. Les arguments qui contestent l’authenticité justinienne sont à ses yeux décisifs : ils sont tirés de la différence de style, de langue, de citations bibliques et de nombreuses particularités de contenu. Au contraire, si la comparaison entre la Supplique d’Athénagore et le texte Sur la résurrection qui lui était attribué se révélait négative, elle donne ici des résultats très positifs et révèle une parenté bien plus proche qu’avec les vrais écrits de Justin. Cette nouvelle attribution a pour conséquence de confirmer l’inauthenticité de l’autre traité Sur la résurrection attribué à Athénagore. L’auteur reconnaît qu’il est plus difficile d’affirmer une authenticité que de la nier. Il conclut à une grande vraisemblance de sa thèse. Mais il se fait aussi l’objection inévitable : pourquoi l’opuscule ne serait-il pas d’un auteur inconnu, puisqu’il a vécu longtemps sans attribution? En tout cas le résultat a le mérite d’être ferme et clair. Il étonne en un temps où les chercheurs visent plus à nier des authenticités qu’à les prouver. L’histoire dira s’il rencontre un réel consensus.
26Le travail de Heimgartner, d’une haute qualité scientifique, donne en appendice le texte du Florilège dit de Vatopédi « Contre ceux qui disent que les âmes existent avant les corps humains », l’édition critique de l’Epitome de Procope de Gaza, une concordance du vocabulaire et une abondante bibliographie.
278. Revenons maintenant au vrai Justin avec les études de C.D. Allert intitulée Révélation, vérité, canon et interprétation à partir du Dialogue avec Tryphon. L’auteur entend en effet rendre compte de la pensée de l’apologiste à partir de ces quatre concepts. Il répond d’abord à ceux qui tiennent que le Dialogue s’adresse avant tout aux païens. Une analyse rigoureuse des arguments invoqués en ce sens, puis de ceux en faveur d’une destination chrétienne et juive, conduit à la conclusion qui s’impose : le dialogue a été écrit en vue d’une audience juive. — En ce qui concerne le concept de révélation chez Justin, Allert fait appel à l’itinéraire philosophique et religieux de l’apologiste, tel que celui-ci le décrit au début du Dialogue, dans sa rencontre avec le vieillard. Justin recherchait la vérité dans le contexte du moyen platonisme. Formé à l’idée platonicienne de la connaissance de Dieu, il s’ouvre à celle de la parole entendue ou vue. Car le Logos se révèle. Le but de la révélation est la venue du Logos en son incarnation. Justin a donc changé sa conception de la connaissance de Dieu : Dieu s’est fait connaître par les prophètes. C’est pourquoi il utilisera les prophètes et les mémoires des Apôtres comme sources de la connaissance de Dieu. Ce que les premiers avaient annoncé, les seconds en ont décrit l’accomplissement. Le mouvement platonicien partait de la quête de l’homme, le mouvement chrétien, révélé par le vieillard, vient de l’initiative de Dieu qui se donne à connaître. Justin entend bien rester toujours un philosophe, car la révélation appartient à son épistémologie. — Le Dialogue est aussi une longue recherche de la vérité, dont les conceptions sont différentes chez les hébreux, les grecs et dans le NT. Si le début du Dialogue (1-9) est proche des dialogues platoniciens, la suite (10-142) est une explication de la vérité trouvée : le texte se fait alors apologie et l’argument prophétique devient la preuve de la vérité. Parce que Justin a trouvé la vérité, il éprouve le besoin de l’exposer. La vérité ne peut être connue directement que par quelqu’un qui a entendu ou vu Dieu, comme ce fut le cas des prophètes. Le centre de cette présentation de la vérité est l’événement de Jésus Christ, Verbe incarné. Dans ce concept de vérité l’histoire est centrale, puisque tout culmine dans la vérité-salut pour tous les hommes en Jésus Christ. (L’auteur reconnaît qu’il n’existe pas de parallèle entre la théologie justinienne du Logos et l’évangile de Jean. Justin ne cite jamais le prologue, p. 177-178). — La question qui se pose d’une référence au canon du Nouveau Testament dans le Dialogue conduit à celle des « harmonies » des quatre évangiles réalisées dès avant Tatien. L’auteur estime que la source citée par Justin est une harmonie. Il entend aussi distinguer le concept d’Écriture de celui de canon. Écriture désigne un écrit reconnu comme faisant autorité ; canon désigne une collection d’écrits estimée exclusive. Ce second concept est anachronique au temps de Justin, car s’il présuppose celui d’Écriture, l’inverse n’est pas vrai. Justin a le sens du statut du concept d’Écritures, mais il ne se réfère pas à celui de canon. Nous sommes avec lui au cours du lent processus qui conduira vers une collection fixée des écrits chrétiens. — Le dernier concept étudié est celui de l’interprétation. L’exégèse de Justin est avant tout fonctionnelle. Elle reconnaît deux lois : celle de l’AT, réservée aux Juifs, et la nouvelle alliance. Elle est christocentrique et pour cette raison propose deux parousies du Christ, la première du Messie souffrant, la seconde du Messie glorieux. — L’ouvrage donne en appendice les citations et allusions évangéliques trouvées dans le Dialogue. Il ne comporte pas de conclusion générale, ce que l’on peut regretter, car, si les quatre concepts retenus sont analysés avec grande compétence, on voit moins bien l’unité du projet et la capacité de ces études à rendre compte de l’ensemble de la théologie de Justin.
289. R. Minnerath et M. Bourlet introduisent et traduisent deux documents anonymes mais importants de l’apologétique des iie et iiie siècles, que le P. Hamman considérait comme jumeaux en même temps que différents, L’Apologie à Diognète et l’Exhortation aux Grecs, longtemps mise sous le nom de Justin. L’introduction présente le développement du genre apologétique et décrit les caractéristiques thématiques des deux opuscules. La publication du premier texte se dit justifiée par les progrès de la recherche depuis la belle édition d’H.I. Marrou. Mais, si l’annotation est assez riche, l’introducteur, qui fait le point des questions toujours en suspens (unité du texte, auteur, date et lieu), n’apporte pas d’éléments nouveaux par rapport aux positions de Marrou. Pour L’exhortation aux Grecs, il reste très prudent sur les mêmes questions (en particulier pour l’attribution à Jules l’Africain) et situe l’œuvre dans la deuxième moitié du IIIe siècle où elle aurait été placée sous le patronage de Justin. Les traductions sont agréables à lire et l’ouvrage comporte les éléments pédagogiques habituels à la collection des Pères dans la foi.
2910. E. Osborn présente avec culture, élégance et clarté la pensée d’Irénée rassemblée sous quatre concepts-clés correspondant à autant d’étapes de son livre, l’intelligence et l’amour du Dieu unique (dont les attributs vont de l’opulence à l’omniprésence) ; l’économie du salut dessinée par l’unique créateur, architecte plein de sagesse et architecte du temps, en même temps que roi souverain (l’auteur fait ici appel aux œuvres de Vitruve sur l’architecture) ; la récapitulation comme réforme et achèvement, inauguration et consommation de toutes choses ; la participation enfin, ici envisagée selon quatre aspects : participation à la vérité à travers la règle de foi et la lecture des Écritures prophétiques qui expriment la pensée et la volonté de Dieu ; participation à la beauté (une esthétique théologique chez Irénée, à la manière de Balthasar) ; participation à la vie (selon la loi de la progression qui conduit l’homme de la création à la résurrection) ; participation enfin à la bonté ou l’éthique de la participation (lien entre bonté et vérité ; le poids de la liberté de l’homme). La conclusion revient sur la théologie de la gloire de Dieu et sur l’homme.
30Signalons seulement, parmi beaucoup d’autres, quelques considérations suggestives qui émaillent le livre : les deux schèmes irénéens en tension sur le rapport entre image et similitude, le rapport esprit/Esprit, la théologie de la gloire ; de discrètes critiques adressées à l’utilisation des idées de M. Foucault par le grand livre de A. Le Boulluec sur la notion d’hérésie (cf. RSR 76 [1988], p. 607-610) ; l’analyse de l’argument prophétique et des principes de l’interprétation biblique chez Irénée, le rôle des images, la formation de la Bible chrétienne et le statut du canon des Écritures à son époque (avec peut-être une référence exagérée à la tradition orale par rapport au texte écrit des évangiles pour les paroles du Seigneur, selon les vues de Y.-M. Blanchard), la typologie, le rapport original d’Irénée à Jean et à Paul. Tout ce qui touche à la Bible est particulièrement intéressant. Bref, ce livre limpide constitue, plus qu’une introduction à Irénée, une sorte de bilan de sa pensée.
3111. V. Minet est préoccupée par la question du corps pour des raisons médicales et culturelles. Elle a essayé de l’éclairer théologiquement en étudiant la théologie du corps chez saint Irénée sous le titre L’empreinte divine. Son étude approche le problème du corps d’un triple point de vue : l’anthropologie (l’homme comme corps, âme et esprit/Esprit ; l’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu ; l’image manifestée dans l’ouvrage modelé lui-même) ; la christologie (le rôle médiateur de la chair et du corps dans la personne du Verbe incarné) ; et l’eschatologie (la résurrection de la chair, de la chair à l’Esprit, l’eucharistie, et la capacité de la chair à recevoir l’incorruptibilité). Cela nous vaut une série d’analyses minutieuses et très bien informées des grands textes de l’évêque de Lyon sur le thème du corps. L’auteur manifeste un réel jugement dans l’interprétation et reste au plus près des textes. À ce titre son travail rendra grand service. Mais il manque d’une synthèse correspondant au sérieux de ses analyses et dégageant quelques grandes avenues doctrinales. L’auteur reste très dépendante des auteurs récents qu’elle cite avec presque trop de respect. La conclusion revient avec justesse à l’apport de la pensée d’Irénée pour notre monde de culture.
II – Le iiie siècle : clément et origène (de 12 à 23)
13. Clément d’Alexandrie, Paedagogus, ed. M. Marcovich, avec J.C.M. Van Winden, “Supplements to Vigiliae Christianae”, vol. LXI, Brill, Leiden-Boston, 2002, p. 240 p.
14. Origène, Homélies sur les Nombres III, Homélies XX-XXVIII, Texte latin de W.A. Baehrens (G.C.S). Nelle éd. par Louis Doutreleau, « Sources chrétiennes » 461, Paris, Cerf, 2001, 396 p.
15. Origenes, Contra Celsum. Libri VIII, edidit M. Marcovich, « Supplements to Vigiliae Christianae », vol. LIV, Brill, Leiden-Boston-Köln, 2001, 638 p.
16-17. Pamphile et Eusèbe de Césarée, Apologie pour Origène, suivi de Rufin d’Aquilée, Sur la falsification des livres d’Origène, texte crit., trad. et notes par René Amacker et Éric Junod, t. 1-2, « Sources chrétiennes » n° 464 et 465, Cerf, Paris, 2002, 338 et 316 p.
18. Daniel Hombergen, The second Origenist Controversy. A New Perspective on Cyril of Scythopolis’Monastic Biographies as Historical Sources for Sixth-Century Origenism, “Studia Anselmiana” 132, Pontificio Ateneo S. Anselmo, Roma, 2001, 448 p.
19. F. Ledegang, Mysterium Ecclesiae. Images of the Church and its members in Origen. « Bibliotheca Ephemeridum theologicarum lovaniensium » CLVI, University Press, Uitgeverij Peeters, Leuven, 2001, 848 p.
20. Henri de Lubac, Histoire et Esprit. L’intelligence de l’Écriture d’après Origène, Œuvres complètes XVI, Cerf, Paris, 2002, 650 p.
21. Origene maestro di vita spirituale, a cura di Luigi F. Pizzolato e Marco Rizzi, “Studia patristica Mediolanensia” 22, Vita e Pensiero, Milano 2001, 316 p.
22. Attila Jakab, Ecclesia alexandrina. Évolution sociale et institutionnelle du christianisme alexandrin (iie et iiie siècles), « Christianismes anciens » vol. 1, Peter Lang, Bern-Berlin etc., 2001, 376 p.
23. Patricia Andrea Ciner, Plotino y Origenes. El Amor y la Unión Mistica, Ediciones del Instituto de Filosofia, UNCuyo, Republica Argentina, 2001, 226 p.
3212. Nous avons déjà fait le point de l’état de la traduction aux Sources Chrétiennes des Stromates de Clément d’Alexandrie (RSR 88, [2000], p. 281-282) et présenté la parution du Stromate VI (RSR 90, [2002], p. 258-259). Voici maintenant le Stromate IV, dont le P. Mondésert, grand spécialiste de Clément, avait pu achever la traduction avant sa mort en 1990. A. van den Hoek a repris pour base de l’établissement du texte l’édition de Stählin-Früchtel-Treu (GCS 52/2, Berlin 1972/3) qu’elle a corrigée sur un certain nombre de points dont la liste intégrale est fournie. Elle a restitué le mouvement de l’œuvre dans son introduction et a abondamment annoté le texte. Une bonne bibliographie et une série d’index complètent cette excellente édition. Ne restent donc à éditer et à traduire que le Stromate III, et les fragments du VIII.
33Ce Stromate porte sur le martyre et la perfection du gnostique. Mais il est bien difficile d’en dégager un plan, tant les méandres de cette « tapisserie » sont variés. Clément y fait un large usage de sa grande culture en citant les poètes, les philosophes grecs et les textes de l’Écriture. Le moraliste y trouvera nombre de réflexions judicieuses sur les différentes vertus, en particulier la foi, l’espérance et la charité, et la conduite d’une vie vraiment gnostique, c’est-à-dire contemplative. L’évocation du martyre, auquel il ne faut pas s’offrir spontanément, donne lieu à des pensées sur la souffrance, la persécution et l’héroïsme, en particulier celui des femmes, qui sont tout autant capables de perfection et de philosophie que les hommes. L’influence stoïcienne est sensible, en particulier en ce qui concerne l’impassibilité et l’attitude devant la mort. Les références au Christ et aux apôtres, et plus généralement à la Bible, pénètrent et animent, élèvent et couronnent une réflexion hautement philosophique.
3413. L’établissement critique du texte du Pédagogue de Clément était jusqu’à présent celui réalisé par Otto Stählin en 1905 (G.C.S. 12). C’est la seconde édition de ce texte (1936) que redonnaient, avec quelques corrections les trois tomes des Sources chrétiennes (70, 108 et 158, H.-I. Marrou, M. Harl, C. Mondésert, C. Matray), en parallèle avec la traduction française. M. Marcovich estimait que cette édition n’était plus satisfaisante, en particulier parce que Stählin n’avait pas été assez attentif à la pensée de Clément et aux problèmes textuels. Celui-ci en était d’ailleurs conscient et avait apporté de nombreuses corrections à son premier travail. Une nouvelle édition critique était donc devenue nécessaire. La tradition manuscrite se réduit à un seul manuscrit, le Parisinus, et à deux apographes de ce manuscrit pour les parties manquantes ou défectueuses. Marcovich a cherché à améliorer l’édition de Stählin là où le texte transmis ne donnait pas de sens, en se référant aux sources de Clément et à son propre lexique. Le volume ne donne que le texte grec et son apparat critique, sans aucune annotation et ajoute en appendice au texte un certain nombre de scholia.
3514. Avec ce troisième volume de la nouvelle édition des Homélies sur les Nombres d’Origène, L. Doutreleau achève l’œuvre entreprise de rénover l’ancienne édition de 1951 (n° 29 des « Sources chrétiennes ») selon les normes scientifiques de la collection en présentant les homélies XX-XXVIII. Ce bulletin a recensé les deux volumes précédents (RSR 85, [1997], p. 633 — sous la plume de M. Fédou — et 90, [2002], p. 259). Le troisième est de la même qualité et l’on ne saurait trop remercier L. Doutreleau de son travail patient et fécond.
3615. M. Marcovich donne une nouvelle édition des huit livres du texte grec du Contre Celse d’Origène. Il rend compte dans son introduction de la tradition manuscrite directe (surtout le Codex Vaticanus graecus 386) et indirecte (la Philocalie composée par Basile de Césarée et Grégoire de Nazianze), et des débats sur la valeur respective de chacune ; il fait le point des travaux de P. Koetschau et de A. Robinson à la fin du xixe siècle ; il évoque la découverte du papyrus de Toura dont la valeur est inestimable; il loue la traduction de H. Chadwick et la « meilleure édition existante » due à M. Borret aux Sources chrétiennes, — la première à utiliser le papyrus de Toura. L’éditeur se pose alors la question : « Après les œuvres monumentales de Koetschau et de Borret pourquoi une nouvelle édition du Contre Celse était-elle nécessaire? ». La réponse tient au fait que ni Koetschau ni Borret n’ont été suffisamment attentifs aux erreurs et aux lacunes du texte transmis par les scribes anciens. C’est à ces erreurs que s’attaque principalement cette édition nouvelle. L’éditeur affirme que les corrections introduites par lui sont légion. Il a suivi, ce faisant, les traces de Élie Bouhéreau qui, vers 1700, avait contribué à restaurer le texte original d’Origène, plus que bien des scholars modernes. Il affirme présenter au lecteur un texte raisonnablement digne de confiance.
37Le volume ne comporte que le texte grec avec son apparat critique, une bibliographie sélective et les index usuels des œuvres citées et des noms propres. Il ne propose aucune introduction à cette œuvre d’Origène et ne donne aucune note. Son intérêt ne vient donc que de l’amélioration du texte. Des collations que nous avons opérées par sondages dans chacun des huit livres du Contre Celse, entre le texte édité par M. Borret et celui de Marcovich, ne donnent que de très maigres résultats. Les deux textes sont quasi identiques et les apparats critiques très proches. De temps à autre, mais sur des points minimes tenant à la ponctuation, à un terme ou à une expression mise entre crochets, à un verbe composé ou simple, à l’attribution à Celse d’un texte annoncé par Origène en style indirect, les deux auteurs font un petit choix différent. Sans doute certains progrès philologiques ont-ils été réalisés. Quoi qu’il en soit, regrettons que Marcovitch n’ait pas lui-même indiqué les principaux passages à propos desquels ses corrections ont une réelle importance pour la compréhension du Contre Celse. Mais on se tromperait à penser que « les erreurs et lacunes » mentionnées par lui puissent concerner le sens même de l’écrit d’Origène. Ses corrections n’invalident en rien l’œuvre magistrale que constituent l’édition, la traduction et les abondantes notes de Marcel Borret.
3816-17. Les « Sources chrétiennes » éditent et traduisent pour la première fois de façon scientifique l’Apologie pour Origène rédigée par Pamphile avec l’aide d’Eusèbe de Césarée au début du ive siècle. Les éditeurs, R. Amacker et E. Junod, présentent rapidement ce dossier historiquement complexe, tel que Rufin nous l’a laissé. Ce dernier a traduit en latin le texte de Pamphile, sans doute en intervenant lui-même ici ou là dans les réflexions mises sous le nom de Pamphile, surtout quand il lui attribue la défense du consubstantiel. Il a donné une préface à l’ouvrage et il écrit lui-même un opuscule intitulé Sur la falsification des livres d’Origène. Sa thèse est que les hérétiques ont souvent interpolé les œuvres des auteurs catholiques : ils ont donc pu le faire aussi pour Origène. Rufin en conclut qu’ils l’ont fait, en s’appuyant sur une lettre d’Origène se plaignant de la chose. Dans le texte de Pamphile, nous avons à faire au début de la première querelle origéniste au ive siècle (vers 307-310) ; avec Rufin, nous sommes à la fin du même siècle, vers 397. Le débat avec Jérôme est intervenu entre temps.
39Le texte grec de l’Apologie pour Origène de Pamphile est perdu. Nous n’avons accès qu’à un livre sur six, à travers la traduction de Rufin. D’autre part, Pamphile a pour méthode de justifier Origène à partir des propres textes de l’Alexandrin qui occupent les deux-tiers de l’ouvrage. Des 70 citations, 34 ne nous sont connues que par cette Apologie. On en voit donc l’intérêt, car elles nous ramènent à Origène lui-même. Pour ne prendre qu’un exemple, signalons le magnifique texte sur le corps humain du Christ, extrait du De Resurrectione, et qui montre à quel point Origène était attaché, contre toute forme de docétisme, à l’humanité de Jésus (n° 113 ; p. 179 sq.)
40Pamphile entend montrer la pleine orthodoxie d’Origène, homme « catholique et ecclésiastique », qui a vieilli et combattu dans l’« l’Église catholique », et est resté fidèle à la tradition de la foi, telle qu’elle était transmise à son époque. Il rappelle avec pertinence que la méthode d’interprétation des Écritures selon Origène ne se présente pas comme apodictique. L’Alexandrin cherche, fait des conjectures, avoue ses hésitations, invite son lecteur à trouver mieux. Il n’est jamais dogmatique dans sa manière de parler, chaque fois qu’il s’agit d’un point qui n’est pas encore clarifié par la tradition. Pamphile cite le prologue du Peri Archôn, qui donne la liste des vérités fermement affirmées par la tradition ecclésiastique au iiie siècle : Trinité et christologie, anthropologie (la philosophie de l’âme), création, résurrection et eschatologie, interprétation des Écritures. Origène fait lui-même le point de ce qui est défini et de ce qui ne l’est pas à son époque. Il donne même le portrait de l’hérétique. Chacun des points sur lesquels Origène était attaqué au début du ive siècle sera éclairci par des citations de l’Alexandrin.
41La traduction est excellente dans son ensemble et l’annotation très riche. Quelques remarques cependant : pourquoi avoir traduit presbyterii dignitate, par dignité sacerdotale et non par dignité presbytérale? Les deux termes n’étaient pas synonymes pour Rufin. Pourquoi avoir traduit subsistentia, par principe existentiel et non pas tout simplement par « subsistence » (avec un e comme l’habitude s’est prise pour les textes patristiques), puisque le terme grec hypostasis est gardé en référence dans la traduction de Rufin?
42Les éditeurs s’étaient contentés dans le premier tome d’une présentation brève. Leur second volume donne une longue étude circonstanciée de la composition et du contenu du dossier, situé dans son contexte. Ils se livrent à une évaluation de la vérité historique propre aux deux témoins-adversaires que sont Jérôme et Rufin. Le premier est obsédé par le Peri Archôn et réfute de façon mordante les thèses de Rufin. Il prétend que l’auteur de l’Apologie est Eusèbe et non Pamphile. Mais sa bonne foi est parfois prise en défaut. De son côté, Rufin se montre trop crédule. Sa théorie des interpolations hérétiques dans l’œuvre d’Origène est une construction de son esprit. Son opuscule demeure cependant fort intéressant sur l’histoire des fraudes littéraires dans l’antiquité chrétienne. D’autres chapitres de cette étude présentent des témoignages anciens intéressant le dossier, analysent le genre littéraire de ce premier livre (discours rhétorique de forme judiciaire), la langue de Rufin et enfin la tradition manuscrite. On trouve en annexe un commentaire philologique et de nombreux index. Cette édition constitue une petite somme d’érudition sur l’Apologie pour Origène.
4318. De cette première controverse origéniste passons à la seconde, même si celle-ci nous éloigne considérablement de la pensée véritable d’Origène. D. Hombergen, sous le titre, La seconde controverse origéniste, reprend le dossier de ce qui s’est passé dans le monde monastique palestinien dans les décennies qui ont précédé 553. Car notre documentation provient exclusivement de sources hostiles. La principale est constituée par les biographies monastiques écrites par Cyrille de Scythopolis. La précision des correspondances historiques et des détails chronologiques donnés par cet auteur a amené les historiens des temps modernes jusqu’à aujourd’hui (B. Flusin) à le considérer comme un véritable historien et à lui faire confiance. C’est ce préjugé trop favorable que l’auteur soumet à critique, au nom d’une fréquentation des textes qui a accumulé ses doutes. Cyrille a décrit la seconde controverse origéniste à la lumière de la « victoire » remportée sur les origénistes ; son information était de seconde main et s’inscrit dans un schème d’interprétation qu’on est en droit de soupçonner de partialité.
44L’auteur présente donc en détail le corpus cyrillianum, plus particulièrement la Vie de Sabas et la description qu’il donne de l’origénisme. Il analyse le genre littéraire de ces biographies, celui de l’hagiographie issue de la tradition initiée par la Vie d’Antoine d’Athanase. Il utilise le terme de « discours hagiographique », proposé par M. de Certeau et repris par Van Uytfanghe, caractérisé par la stylisation de certains thèmes et archétypes. On peut aussi parler de « biographie spirituelle ». L’hagiographie ne va pas sans faire un certain angle avec la vérité historique ; or, c’est dans ce cadre de biographies monastiques que l’histoire de l’origénisme se trouve incluse.
45Cyrille accuse en particulier d’avoir été un leader du parti origéniste un certain Léonce de Byzance que la critique identifie couramment avec le théologien connu sous ce nom. Or ce que nous connaissons des œuvres du théologien ne correspond nullement à cette accusation. Si l’on ne veut pas remettre en cause l’identité des deux personnages, le témoignage de Cyrille est alors sujet à caution. En fait, le portrait de Léonce de Byzance dépeint par Cyrille apparaît comme une caricature, surtout quand celui-ci accuse Léonce d’avoir été un crypto-origéniste prétendant défendre le concile de Chalcédoine. Hombergen en arrive ainsi à réhabiliter la thèse de Loofs en 1887. Cyrille a écrit un récit partisan en faveur d’anti-origénistes qui défendaient en même temps Théodore de Mopsueste dans l’affaire des Trois chapitres. Cependant, la thèse de Loofs doit être conciliée avec la dénonciation modérée de Théodore par Cyrille. Cela conduit à penser à une conversion du camp anti-origéniste à l’orthodoxie impériale, qui prit ses distances avec Théodore autour de 553. Il convient aussi de distinguer chez Léonce les plans dogmatique et spirituel. Léonce n’est nullement origéniste au sens doctrinal, position qui est aussi celle de B. Daley. Mais certains passages de ses écrits révèlent une familiarité avec la spiritualité d’Evagre et l’environnement inspiré par le mysticisme évagrien. La question devient donc celle du conflit entre deux visions de la vie spirituelle. Le récit de Cyrille est erroné sur les points les plus essentiels et reflète davantage les opinions postérieures à 553 que les événements relatés. Cette conclusion ouvre la voie à de nouvelles recherches, si l’on veut avoir une idée plus exacte du monde monastique de la première moitié du vie siècle, et prêter une plus grande attention à la dimension spirituelle et cachée de cette crise. En définitive, nous ne savons pas qui étaient les origénistes de Palestine au vie siècle. Le conflit central se joua sans doute entre deux conceptions de la vie monastique. Tout ceci ne doit pas conduire à une réhabilitation complète des origénistes, mais demande de reprendre sur des bases nouvelles la nature du conflit. Ce gros travail fait fonctionner à bon escient le soupçon qui doit habiter tout historien.
4619. C’est une véritable somme origénienne que livre F. Ledegang avec la traduction anglaise de sa thèse parue en hollandais en 1992 et intitulée Mysterium ecclesiae. Images de l’Église et de ses membres chez Origène. L’auteur regrette l’oubli de l’ecclésiologie de l’Alexandrin dans les manuels, et introduit son travail par la recension des recherches sur ce point depuis 1950 (en particulier les études de J. Chênevert en 1965 et de J. Losada en 1969). Après une brève réflexion sur le problème naguère discuté entre allégorie et typologie chez Origène, il justifie son propos d’étudier les images en tant qu’images, c’est-à-dire un langage figuratif qu’il est difficile de systématiser en raison de la « souplesse du sens métaphorique ». Chaque image constitue un monde en lui-même qui a sa propre organicité et enveloppe l’Église dans son ensemble, mais aussi chacun des croyants selon leurs différentes fonctions.
47Les images majeures retenues et analysées, chacune comme un tout qui peut être lu séparément, sont au nombre de cinq : l’Église corps du Christ, l’épouse du Christ, la famille du Christ, la maison et le sanctuaire, le peuple de Dieu. Un sixième chapitre rassemble les images secondaires tirées « du mystère sacramentel de la nature ». Chaque chapitre est une véritable monographie, étudiant sous tous ses aspects l’image considérée.—Celle du corps a une portée évidemment anthropologique, puisqu’elle essaie de rendre compte des relations d’intériorité et d’inhabitation nouées entre le Christ et les chrétiens. Toutes les fonctions du corps (yeux, bouche, langue, lèvre, oreilles, chevelure, mains, pieds, etc.) sont inventoriées ; l’âme n’est pas oubliée. Enfin le Christ est la tête de ce corps et de tout le cosmos. — L’Église épouse du Christ nous ouvre un nouveau monde et plonge dans le commentaire du Cantique des cantiques, du Psaume 45, de Mt 22,1-14 et 25,1-13, et d’Ep 5. Origène donne une place importante à l’Église des gentils. Mais l’épouse sainte et pure est aussi la prostituée menacée de divorce. Chaque âme connaît des vicissitudes dans son itinéraire entre péché et sainteté. — La famille du Christ détaille ce qui revient à la mère, aux fils, aux filles (avec la légère misogynie reprochée à Origène), aux enfants et aux adultes, aux frères et aux sœurs, et enfin aux serviteurs. Cette image a des racines scripturaires mais elle n’intervient pas comme telle dans le NT. En fait l’image de l’Église-mère est subordonnée à celle de l’épouse. — L’image de la maison « bâtie de pierres vivantes » (1 Pi 2,5), et du sanctuaire ou du temple, permet de détailler le rôle des constructeurs et celui de chaque pierre. Le Christ est à la fois le bâtisseur, l’architecte et le rocher sur lequel l’édifice repose. Tous les éléments de la construction (piliers, poutres, etc.) prennent sens. Le sanctuaire et le temple, lieux de l’habitation de Dieu, ainsi que les objets du culte, sont des images du futur culte christocentrique. — Le chapitre sur le peuple de Dieu reprend toute l’histoire du salut depuis la création. Les grands personnages de l’AT (Noé, les patriarches, les Juges, …), de même que les événements fondateurs (le passage de la mer rouge, l’exode, la conquête de la terre promise) sont des images de l’Église en train de se construire, jusqu’au passage au second peuple de Dieu, l’Église proprement dite. Un trait intéressant, parmi tant d’autres, est la place donnée par Origène au rôle respectif des Juifs et des gentils, car ce sont des croyants venant des deux univers qui constituent l’Église. Cette perspective, fondée sur Ep 2, a été trop oubliée dans l’ecclésiologie classique. — Le chapitre 6 recueille tout ce qui sur la terre multiplie les symboles des réalités spirituelles : le cosmos, la terre habitée, les arbres et les plantes, les animaux, la montagne et la lumière, les nuées, la mer et le sel. Le bestiaire spirituel d’Origène est prodigieusement riche, avec le bœuf et l’âne, le cheval et le chien, le cochon, la gazelle et le lion, le renard et le serpent, le chameau, sans parler des oiseaux et des poissons.
48L’auteur s’est interdit toute systématisation de l’ecclésiologie d’Origène. En conclusion, il livre pourtant une esquisse descriptive de celle-ci. L’Église est toujours visée selon l’histoire du salut : elle est préexistante à sa réalisation historique, présente dès le commencement et même dans le dessein éternel de Dieu. Le peuple de Dieu de l’AT, le peuple de l’alliance en constitue la première réalisation. La venue du Christ fait de lui le fondateur du nouveau peuple de Dieu, celui qui rassemble désormais aussi les païens. Cette Église qui croit au Père, au Fils et au Saint-Esprit devient son corps et son épouse. L’auteur poursuit sa présentation en suivant le schème des quatre marques de l’Église : unité (dans la pluralité des offices et des fonctions), sainteté (mais aussi péché, hérésie, discipline de la pénitence), catholicité (« Hors de l’Église pas de salut ») et apostolicité.
49Cet ouvrage est le type parfait d’une étude de thèmes. À propos de chacune des images, démultipliées presque à l’infini, l’auteur enquête dans l’œuvre d’Origène et analyse avec minutie les textes afférents. L’ampleur de l’enquête dépasse même le domaine de l’ecclésiologie et s’étend à toute la théologie d’Origène. Car l’auteur sait le lien entre l’ecclésiologie et l’anthropologie, la christologie et la pneumatologie. Il rend ainsi le service de mettre à la disposition de son lecteur la richesse particulièrement inventive des métaphores multiples développées par l’Alexandrin. Il fait également l’inventaire des commentateurs modernes. Cet ensemble de monographies constitue un instrument de travail qui sera très utile à tout connaisseur d’Origène. Par exemple, l’ecclésiologie africaine est en train de redécouvrir la théologie de l’Église-famille : les théologiens intéressés par cette perspective seront heureux de trouver ce thème largement mis en œuvre par Origène. Mais trop attaché à l’analyse et à la description, l’auteur est resté prisonnier de son désir de ne pas systématiser. La conclusion finale, quelque peu formelle, ne constitue pas une synthèse à la hauteur des analyses. Le lecteur a du mal à dégager de grandes avenues dans cette épaisse forêt.
5020. La publication des Œuvres complètes du Cardinal Henri de Lubac, entreprise par G. Chantraine, consacre son tome XVI à la réédition du grand livre que fut Histoire et Esprit. L’intelligence de l’Écriture d’après Origène, paru en 1950. Le volume contient une présentation de l’œuvre par Michel Fédou qui en retrace la genèse en son temps, souligne le travail de « réhabilitation » d’Origène, « homme d’Église », réalisé par le P. de Lubac dans son interprétation de l’exégèse des trois sens de l’Écriture mise en œuvre par l’Alexandrin. Il montre la fécondité de cet ouvrage pour la théologie de la seconde moitié du xxe siècle. Les éditeurs ont ajouté à ce volume deux autres écrits concernant Origène : la préface donnée au livre de H. Crouzel sur Origène et la « connaissance mystique », sous le titre « transposition origénienne », et une longue étude publiée dans le Bulletin de littérature ecclésiastique de Toulouse sur « La querelle du salut d’Origène aux temps modernes ». Michel Fédou a assuré la traduction française des nombreuses citations ou expressions grecques et surtout latines dont le P. de Lubac émaillait spontanément ses textes. Ce travail de patience rendra un incontestable service aux nouveaux lecteurs peu latinistes. Le volume s’achève par huit pages d’errata recensés dans le texte primitif par G. Chantraine et M. Fédou, et un précieux index des noms de personnes, qui manquait à l’édition primitive.
51On ne peut que remercier les deux éditeurs du sérieux de leur travail. Mais il est difficile de ne pas exprimer aussi un regret qui vaut pour la totalité de l’édition des Œuvres complètes de H. de Lubac. Des contraintes financières ont conduit à la réimpression anastatique du texte primitif gardé tel quel avec sa pagination originelle. De ce fait, les errata n’ont pu être corrigés dans le texte lui-même et donnent lieu à une liste difficilement utilisable ; la traduction des textes grecs et latins n’a pu être insérée en note à la page où les citations ont été faites. Le lecteur qui veut en profiter doit sans cesse quitter la page qu’il lit pour se reporter à la fin du volume. Il est vraiment dommage qu’une entreprise si importante pâtisse ainsi d’un manque d’argent et ne puisse donner le texte vraiment amélioré que méritait l’œuvre du P. de Lubac. Espérons que des mécènes permettront de pallier cette lacune pour la suite de l’édition.
52Histoire et Esprit, recensé aussitôt dans cette revue par Jean Daniélou dans son « Bulletin des origines chrétiennes » (RSR 37, [1950], p. 605-606 [1]), est un ouvrage qui n’a pas vieilli. À cinquante années de distance il ouvre encore aujourd’hui une voie royale à la compréhension de l’exégèse origénienne. Sans doute certaines vues ont pu être complétées, voire corrigées par des recherches plus récentes comme celles de Jean Pépin, de Pier Cesare Bori (Cf. RSR 80, [1992], p. 139-142) ou d’autres. Mais l’essentiel demeure intact : c’est la mise au jour des trois grilles différentes qui rendent compte, avec souplesse et selon des harmoniques subtiles, des trois sens de l’Écriture dans la recherche inlassable d’Origène. Cette réédition invite à la relecture.
5321. Sous le titre Origène maître de vie spirituelle le « Groupe italien de recherche sur Origène et la tradition alexandrine » du département des sciences religieuses de l’Université de Milan propose, en trois temps, les contributions données au cours d’un Congrès sur la spiritualité origénienne. 1. À propos du contexte, Ch. Kannengiesser fait le point des nombreuses recherches accomplies au long d’un xxe siècle très « origéniste », de G. Bardy, R. Cadiou et J. Daniélou, à P. Nautin et H. Crouzel, en passant évidemment par Histoire et Esprit de H. de Lubac. Ces recherches ont en particulier renouvelé la connaissance de la vie d’Origène et ont proposé une nouvelle herméneutique de son œuvre. L’étude aborde également les débats concernant le caractère systématique ou non de l’œuvre du grand alexandrin. — R. Cacitti revient sur le point controversé des « thérapeutes d’Alexandrie », enthousiastes et apôtres de la sobria ebrietas, sur lesquels Eusèbe nous a laissé une notice (HE II,16,A) qui les présente comme les premiers hérauts de l’Évangile à Alexandrie, hérauts restés en lien avec le judaïsme de la ville. On pourrait peut-être parler ici de frères en un premier temps « jumeaux », selon l’expression mise en avant par André Paul. Peut-être avec Origène nous trouvons-nous devant la « troisième fondation » du christianisme à Alexandrie. — M. Rizzi traite du fondement épistémologique de la mystique de Clément d’Alexandrie. Il montre qu’elle part du modèle exprimé en 1 Co 13 : la foi correspond à la logique, l’espérance à la gnose ; la nouvelle archè promise, qui ouvre le discours sur Dieu, correspond à l’agapè. La philosophie chrétienne chez Clément se résout dans le silence mystique de l’assimilation à Dieu. — 2. En ce qui concerne la doctrine spirituelle d’Origène, L. Perrone commente le De oratione en s’appuyant sur quelques passages du Contre Celse : la prière est une ascèse qui conduit à la connaissance de Dieu, par le colloque qu’elle institue. — G. Lettieri traite d’Origène interprète du Cantique des cantiques, à partir des deux homélies qui livrent le secret de sa mystique. La visée est anti-gnostique, mais l’Alexandrin reste passionné par le mythe valentinien et en tire des analogies pour l’interprétation du personnage de l’épouse. — G. Bendinelli présente le « maître » origénien situé entre l’amour des lettres et la recherche du Logos. Le didaskalos représente un ministère distinct de celui du prêtre et de l’évêque ; il est le chercheur en Écritures celui qui interroge le texte biblique dans un climat de gratuité. — G.Lozza propose une comparaison rapide entre les exégèses d’Origène et de Grégoire de Nysse sur le Pater noster. 3. L’influence de la spiritualité origénienne a été peu étudiée jusqu’à présent. G. Visona fait une place importante à l’influence d’Origène sur la spiritualité d’Ambroise dans une étude qui montre l’étroitesse de la dépendance du milanais par rapport à l’Alexandrin.—N. Pace évalue l’exactitude de Rufin et de Jérôme dans la présentation des idées d’Origène sur l’exégèse d’Ephésiens, à partir du commentaire de Jérôme et de l’Apologie de Rufin, thème important dans la première querelle origénienne. L’exactitude de Rufin est considérable, même s’il se livre à certaines exagérations. Jérôme prend plus de recul mais sa position reste confuse et ambiguë. — B. McGinn propose une série de quatre sondages sur l’influence d’Origène en Occident : Scot Erigène, Bernard de Clairvaux, Hildegarde de Bingen, Maître Eckhart. L’ensemble de ces études constitue un ensemble intéressant, mais reste insuffisamment unifié.
5422. Sous le titre Ecclesia alexandrina, A. Jakab retrace avec toute la prudence du scientifique l’histoire sociale et institutionnelle du christianisme alexandrin depuis ses débuts fort obscurs jusqu’à la fin de l’épiscopat de Denys. Cette thèse, qui fut dirigée à Strasbourg par A. Faivre, constitue le correspondant, pour la période antérieure, de celle d’Annick Martin sur Athanase d’Alexandrie et l’Église d’Égypte au ive siècle (cf. RSR 85 [1997], p. 640-643). « Alexandrie la Grande » est décrite depuis sa fondation, selon sa géographie et son histoire, sa population et son statut juridique, avec l’importante colonie juive qui y habitait non sans tension avec le reste de la population. C’est alors que commence l’exploitation mesurée des quelques sources dont nous disposons pour retracer l’émergence de la communauté chrétienne dans la ville. Pour le ie siècle, nous ne disposons d’aucun document. Nous ne savons pas quand ni comment le christianisme est arrivé à Alexandrie. Les Actes des Apôtres ne parlent jamais de cette ville, si ce n’est pour dire qu’Apollos en était originaire (Ac 18,24-25). Aussi paraît-il difficile de se fier au témoignage d’Eusèbe sur l’évangélisation de la cité par Marc, alors que cette donnée est ignorée par Irénée, Clément et Origène. Il s’agirait d’un « mythe fondateur ». Pour le iie siècle la recherche est d’autant plus méritoire que le jugement admis était que « nous ne savons rien » de l’implantation du christianisme à Alexandrie. L’auteur estime cependant pouvoir rassembler quelques informations relativement nombreuses, mais fragmentaires et éparpillées, et donner « un tableau exact des incertitudes ». Dans cette communauté « plurielle » il resitue l’importance respective des courants « gnostique » (Basilide et Valentin, les écrits de Nag Hammadi) et « non gnostique » (avec l’utilisation d’un passage de Justin, Apol. I,29,2-3). Mais rien ne permet de trancher la question de savoir si le premier christianisme alexandrin fut d’origine gnostique ou non. Il serait d’ailleurs prématuré de parler déjà ici d’« orthodoxes » et d’« hétérodoxes ».
55« L’École d’Alexandrie » est décrite et définie à partir des témoignages anciens et de prises de position modernes très contrastées : « École catéchétique » (E. de Faye) et « Institution ecclésiastique » (A. Méhat), pour en revenir finalement à la position de G. Bardy. L’origine de l’École fut le fait, vers 180, de l’initiative privée de Pantène dont on ne sait pratiquement rien. Clément vient après lui, — ce qui ne veut pas dire formellement qu’il « lui succède » selon la formule d’Eusèbe — entre 195 et 202, mais sans plus de mandat. On ne le connaît qu’à travers ses œuvres et ses auditeurs semblent appartenir à la classe aisée de la ville. Le terme d’inculturation est bien trouvé pour exprimer certains aspects de sa pensée. L’École ne devient école officiellement reconnue et constituée qu’avec Origène. Quant au curriculum de ce dernier, l’auteur distingue les deux phases de son existence et essaie de tirer des écrits de l’époque de Césarée des indications utiles pour l’institution ecclésiale d’Alexandrie. Il discute avec acribie les informations données par Eusèbe et se réfère souvent à la biographie d’Origène par P. Nautin. Deux points surtout sont abordés : la nature de l’enseignement d’Origène à Alexandrie (avec son double niveau, catéchétique d’une part, philosophico-théologique ou « universitaire » d’autre part) et les raisons de son départ de la ville.
56La préoccupation majeure de l’auteur est de montrer le développement institutionnel de l’Église d’Alexandrie tout au cours du iiie siècle, dont Origène est le témoin privilégié, en particulier en ce qui concerne la hiérarchie ecclésiastique. L’analyse des témoignages de Clément sur la trilogie des ministères ordonnés dans la ville à son époque est d’une réserve quelque peu soupçonneuse, mais l’émergence du terme « technique » de laïc est bien montrée. L’auteur retrace alors l’affirmation grandissante du « monoépiscopat », avec Démétrios, Héraclas et surtout Denys le Grand. Un chapitre, inspiré de Clément, propose une description du style de vie de la communauté chrétienne aisée de la ville ; un second, plus dépendant d’Origène, s’attache à la vie ecclésiastique et sacramentaire, en particulier en ce qui concerne la pénitence et le mariage. Pour le premier de ces sacrements, il est étonnant que l’auteur ignore les études approfondies de K. Rahner, parues dans cette revue, concernant « La doctrine d’Origène sur la pénitence » (RSR 37 [1950], p. 47-97 ; 252-286 ; 422-456).
57Ce livre comble avec richesse et talent une lacune importante dans notre connaissance des débuts de l’Église d’Alexandrie. On doit louer l’auteur de sa grande prudence devant les incertitudes de notre documentation (à une exception près peut-être, par son insistance sur la situation dite « embryonnaire » de la communauté d’Alexandrie à la fin du iie et au début du iiie siècle). Certaines études récentes pèchent par le prurit de vouloir décider de ce qui est indécidable au regard de nos sources. La modestie de certains jugements est au service de la vérité.
5823. Signalons une nouvelle étude de P. A. Ciner sur Plotin et Origène. Bien qu’Origène soit l’aîné des deux, l’auteur justifie son titre, qui se distingue du classique Origène et Plotin de H. Crouzel, parce que les analyses thématiques des deux auteurs commencent toujours par Plotin. La thèse majeure de l’ouvrage souligne les différences : Plotin reste un continuateur et un rénovateur de la tradition platonico-pythagoricienne, tandis qu’Origène est avant tout un théologien chrétien. L’exposé, très didactique, est construit sur l’opposition entre l’érôs plotinien et l’agapè origénienne. L’enjeu de l’agapè n’est pas sans conséquence pour la théologie trinitaire et permet de laver l’Alexandrin du soupçon trop répété de subordinatianisme. Dans la pensée d’Origène, le Fils est à la fois subordonné et égal au Père, avec identité de nature et égalité de pouvoir, thèse admise par Athanase et Hilaire (on pourrait ajouter Basile). La subordination ne réside que dans le fait que le Père est père et origine des deux autres personnes. Les autres grands thèmes de la théologie origénienne sont également éclairés par la question de l’amour. L’étude, influencée par les positions de H. Crouzel, est suggestive.
III – Le ive siècle : athanase, basile, grégoire de nysse (de 24 à 37)
25. Asterius, Psalmenhomilien. Eingeleitet, übersetzt und Kommentiert von Wolfram Kinzig, erster und zweiter Halbband, « Bibliothek der Griechischen Literatur » 56-57, Anton Hiersemann, Stuttgart, 2002, 626 p.
26. Nathan Kwok-kit Ng, The Spirituality of Athanasius. A Key for Proper Understanding of this Important Church Father, “Publications Universitaires Européennes”, Series XXIII, Theology, vol. 733, Peter Lang, Bern-Berlin etc., 2001, 392 p.
27. Basilio tra Oriente e Occidente, Convegno Internazionale « Basilio il Grande e il monachesimo orientale », Collectif, Edizioni Qiqajon, Comunità di Bose, 2001, 288 p.
28. Origene e l’Alessandrinismo Cappadoce (III-IV secolo), Quaderni di “Vetera Christianorum” 28, Atti del V. Convegno del Gruppo Italiano di ricerca su « Origene e la tradizione alessandrina », a cura di Mario Girardi e Marcello Marin, Epiduglia, Bari, 2002, 390 p.
29.30.31.Lexicon Gregorianum. Wörterbuch zu den Schriften Gregors von Nyssa, hrggb. von der Forschungsstelle Gregor von Nyssa an der Westfälischen Wilhems-Universität. Leitung : Wolf-Dieter Hauschild. Band III, earheôsphoros, bearbeitet von Friedhelm Mann, Brill, Leiden-Boston, 2001, 850 p. ; Band IV, zalè-iôta, bearbeitet von Friedhelm Mann, 2002, 510 p. ; Band V, kagkasmos-kôphoô, bearbeitet von Friedhelm Mann, Brill, 2003, 560 p.
32. Anne Richard, Cosmologie et théologie chez Grégoire de Nazianze, « Collection des Études Augustiniennes. Série Antiquité » 169, Institut d’Études Augustiniennes, Paris, 2003, 552 p.
33. Francesco Pilloni, Teologia come sapienza della fede. Teologia e filosofia nella crisi ariana del IV secolo, “Nuovi saggi teologici” 56, Edizioni Dehoniane, Bologna, 2003, 200 p.
34. Andrew Carriker, The Library of Eusebius of Caesarea, “Supplements to Vigiliae Christiane, vol. LXVII”, Brill, Leiden-Boston, 2003, 358 p.
35. Ephrem de Nisibe, Hymnes sur la nativité. Intr. par François Graffin, trad. du syriaque et notes par François Cassingena-Trévedy, « Sources chrétiennes », n° 459, Cerf, Paris, 2001, 344 p.
36. Les apophtegmes des Pères 2, Collection systématique. ch. X-XVI, intr., texte crit., trad. et notes par Jean-Claude Guy, « Sources chrétiennes » 474, Cerf, Paris, 2003, 420 p.
37. I Padri del Deserto, Detti editi e inediti. Intr., scelta e trad. a cura di Sabino Chialà e Lisa Cremaschi, monaci di Bose, Ed. Qiqajon, Comunità di Bose, 2002, 318 p.
5924. Annette von Stockhausen a voulu s’intéresser à la Lettre aux Africains, écrit du « dernier » Athanase, qui a jusqu’ici trop peu retenu l’attention. L’intérêt de cette lettre, qui constitue une reprise et un complément plus tardifs à la Lettre sur les décrets du concile de Nicée est de porter sur le Symbole de ce concile, fermement reconnu comme norme de la foi. Les évêques africains destinataires de la Lettre sont fondamentalement fidèles au sens de Nicée, et sont liés aux homéousiens, mais ils restent toujours attaqués par les homéens qui veulent gagner leur région à leur cause. La date exacte de l’écrit, qui se situe entre 366 et 373, est difficile à établir. Une étude minutieuse de la situation ecclésiastique de l’époque la place dans le courant de 367, donc avant la date de 369 souvent retenue. L’authenticité de la lettre était généralement jugée hors de question jusqu’à une récente prise de position contraire de Ch. Kannengiesser : l’auteur la tient fermement et se contente de répondre point par point aux divers arguments de l’objectant. Quant à la forme et au genre littéraire, il s’agit bien d’une lettre qui en comporte tous les éléments, et une étude analytique en précise les relations avec d’autres écrits d’Athanase, pour ce qui concerne en particulier l’introduction des expressions ek tès ousias et homoousion dans le Symbole de Nicée. A. von Stockhausen n’oublie pas la langue, la stylistique et la forme de l’argumentation.
60La seconde partie de l’ouvrage s’intitule Commentaire. On y trouve le texte intégral de la lettre, selon le texte établi dans l’édition des Œuvres d’Athanase, initiée par Opitz et récemment reprise (cf. RSR 85, [1997], p. 639-640), ainsi que sa traduction allemande. Le tout est divisé en paragraphes assez courts, faisant place à un abondant commentaire historique, théologique et grammatical. De nombreuses indications historiques permettent de mieux comprendre la conjoncture exacte de la lettre et sa visée. Les expressions principales et les mots-clés au plan doctrinal sont passés au crible. Cette somme d’érudition constitue un instrument de travail désormais nécessaire pour la compréhension du rôle d’Athanase dans l’apologie du Symbole de Nicée. On regrettera seulement que l’ouvrage ne comporte aucune conclusion, permettant de faire un bilan un peu synthétique des enjeux théologiques et historiques de cette lettre.
6125. Marcel Richard avait publié en 1956 une collection de 31 Homélies sur les Psaumes dues à un Astérius qu’il identifia, ainsi que Eiliv Skard, avec Astérius le Sophiste, auteur arien de la première génération. Cette identification n’avait pas été contestée à l’époque, mais les recherches de W. Kinzig ont conduit à estimer que ni le style ni la théologie de ces Homélies ne consonnent avec ce que nous savons du Sophiste, et que les attestations extérieures ne suggèrent nullement de manière convaincante cette attribution. La réfutation de l’opinion de M. Richard a trouvé progressivement un assentiment chez les chercheurs. Le corpus est homogène et doit être attribué à un seul auteur. Il s’agit donc de le cerner au plus près et d’en estimer la date. Nous ne savons de cet Astérius que ce que lui-même nous dit de lui, c’est-à-dire pas grand’chose. Kinzig situe l’acmè de l’auteur et donc l’écriture des Homélies entre 395 et 410, c’est-à-dire sensiblement plus tard que dans l’hypothèse de l’attribution au Sophiste. Asterius devait être prêtre, mais certainement pas évêque. Il doit avoir vécu en Palestine ou en Syrie de l’Ouest, vraisemblablement à Antioche (où il y avait encore à cette époque une forte communauté néo-arienne), et dépend de Jean Chrysostome. Il a fait de bonnes études en droit et l’on peut penser qu’il est passé par les écoles juridiques de Beyrouth.
62Le genre littéraire est celui d’homélies destinées à la prédication publique et non d’un ouvrage d’exégèse, comme Richard l’avait montré. La Bible d’Astérius comprend les deutérocanoniques, et elle est proche de celle de la tradition antiochienne. Astérius semble avoir eu à sa disposition un recueil de testimonia renvoyant à une recension très ancienne, mais chrétienne, des Psaumes. L’auteur est un témoin de leur interprétation « prosopologique », mise en relief par Marie-Josèphe Rondeau, qui est à la recherche de celui qui parle dans le Psaume et de celui à qui le locuteur s’adresse. Son exégèse se situe dans une position moyenne entre le sens littéral et le sens allégorique et se tient assez proche de celle d’Eusèbe de Césarée (tout en s’en distinguant par la pratique de la prosopologie). Quatre critères dominent ses interprétations : un sens aigu de l’inspiration biblique, l’attention donnée au titre et au genre littéraire du Psaume, afin d’en dégager le but (telos), la référence au NT pour l’interprétation christologique, et enfin l’ordre de leur succession qui a aussi valeur pour l’interprétation. Kinzig donne également une analyse précise de sa langue et de son vocabulaire, comme de son style assez typique et dit « asiatique » pour son usage de l’arsenal rhétorique et son maniérisme. Astérius est animé par un réel antijudaïsme, il polémique souvent avec les hérétiques tels qu’il les conçoit ; il est mesquin à l’égard des païens. Mais le jugement de Kinzig sur Astérius est plus bienveillant que celui de Skard. Ce n’est pas un exégète du rang d’Origène, de Didyme ou de Diodore, mais il reste un bon témoin de l’homilétique chrétienne. Kinzig donne la traduction allemande des 31 Homélies, sur la base du texte établi par Richard, avec une abondante annotation. Son excellent travail jette une lumière nouvelle sur la situation de ce corpus dans le cadre de l’exégèse pastorale des Psaumes à la fin du ive siècle.
6326. C’est à une réhabilitation de la personnalité d’Athanase que se livre N. Kwok-kit Ng avec son étude consacrée à la spiritualité du pape d’Alexandrie. Un certain nombre d’études modernes, en effet, ont patiemment déchiré l’image « sublime » du pieux évêque, défenseur de l’orthodoxie nicéenne et victime à ce titre de longues périodes d’exil. Depuis la fin du xixe siècle nombreux ont été les chercheurs en patristique qui, à la lumière des documents provenant du camp arien, ont décrit Athanase comme un politicien avide de pouvoir, violent et menteur, polémiquant pour des raisons qui n’avaient rien à faire avec la foi. Le mot de « gangster » a même été prononcé à son sujet. D’autres patristiciens sont cependant restés dans la visée traditionnelle et aujourd’hui une position plus « centriste » se fait jour. L’auteur propose d’apporter au débat la clé que constitue la spiritualité d’Athanase, thème qui permet de mettre en regard ses actions et ses paroles. Par spiritualité il faut entendre sa conviction religieuse exprimée par sa vie intérieure et son comportement extérieur.
64Une triple analyse des écrits d’Athanase est alors proposée : d’abord, celle de ses écrits théologiques, car la séparation entre théologie et spiritualité n’existait pas à l’époque. L’anthropologie et la sotériologie d’Athanase nous présentent la création de l’homme dans le bien, son statut d’image de Dieu, sa vocation à contempler Dieu, mais aussi sa chute, et enfin son salut par le Verbe incarné qui lui permet de reprendre sa route vers la contemplation divine grâce à une vie vertueuse. Cette vision dégage le chemin d’un progrès spirituel qui conduit l’homme à Dieu. Il y a ensuite l’ensemble des enseignements ascétiques et monastiques qui s’inscrivent dans la tradition ecclésiale et trouvent leurs racines dans les Écritures et les anciens Pères. Athanase invite les vierges et les moines à la vie ascétique et les achemine à la contemplation, sans qu’il s’agisse pour lui d’un programme de politique ecclésiastique. Certaines interprétations données à ce sujet sont inacceptables. Enfin, la Vie d’Antoine, œuvre centrale étant donné l’influence qu’elle a exercée, montre que la voie vers Dieu a été rendue accessible par Jésus-Christ. On y retrouve l’influence de la tradition biblique et patristique, et spécialement celle d’Origène. Les chrétiens doivent cheminer sur la voie de Dieu en cherchant à contempler Dieu avec une âme pure et dans une vie vertueuse. L’ascèse est un moyen de l’avancement spirituel. Ces trois enquêtes manifestent une grande cohérence entre ces divers témoignages.
65Le point décisif sera donc de vérifier si la même cohérence existe entre ces différents écrits et la « pratique » personnelle d’Athanase. L’auteur revient alors aux débats du xxe siècle. Le « London papyrus 1914 », publié en 1924 et daté de 335, serait une nouvelle preuve de l’inconduite d’Athanase et est venu alimenter une reconstruction de l’histoire de la crise arienne hostile à l’évêque. Mais un jugement tout à fait autre est exprimé par Ch. Kannengiesser qui, en 1988, s’est insurgé contre le formidable préjugé de soupçon qui semble s’être imposé aux études athanasiennes. D. W.-H. Arnold va dans le même sens et propose une réinterprétation du témoignage de l’auteur arien Philostorge et du fameux « London papyrus 1914 ». L’histoire de la vie d’Athanase, suivie étape par étape, montre comment sa spiritualité a été mise en œuvre dans sa propre vie et dans sa gestion de la controverse avec les Ariens. C’est par une longue patience qu’il a pu obtenir la victoire finale. Il a recherché toujours son réconfort en Dieu, orienté vers la récompense céleste et porté par sa foi religieuse. En définitive, Athanase s’est inscrit dans la tradition de la foi chrétienne telle qu’Alexandre la lui avait transmise. Les deux sources antagonistes sont tellement contradictoires qu’elles sont irréconciliables. Constantin ne disait-il pas lui-même qu’il ne restait personne que l’on put croire en l’affaire? L’ensemble des accusations portées contre Athanase est donc injustifié. À la limite elles lui font déjà le reproche de la religion opium du peuple au profit des nantis et des puissants. L’évêque d’Alexandrie était un homme de son temps et, à l’exemple de ses maîtres Alexandre et Antoine, il a été motivé par sa propre spiritualité, fortement monastique. Il a vécu ce qu’il enseignait ; sa conviction de foi et sa spiritualité l’ont toujours conduit. L’intérêt de cette étude est d’avoir montré une cohérence entre doctrine et pratique personnelle qui rend toute duplicité impossible. Il est permis de renouveler notre compréhension de la crise arienne, sans pour autant accabler Athanase.
6627. Sous le titre très adapté de Basile entre l’Orient et l’Occident, plusieurs groupes de chercheurs italiens présentent les actes d’une rencontre tenue en Cappadoce sur le rôle de Basile dans le développement du monachisme. Une première partie étudie Basile en son temps. Les contributions se réfèrent inévitablement à la recherche de J. Gribomont, quitte à apporter quelques nuances ou tempéraments aux jugements parfois excessifs du bénédictin. Il s’agit en particulier du cas douloureux d’Eustathe de Sébaste, grand témoin de la vie ascétique en Cappadoce dans la première moitié du ive siècle — non sans un radicalisme exagéré —, qui tomba ensuite dans l’hérésie au sujet du Saint-Esprit. Basile lui devait beaucoup et le considérait comme son maître. La réhabilitation qu’en a donné Gribomont ne permet cependant pas d’ignorer un caractère à la fois instable et entêté dans les questions doctrinales. Le dossier de cette histoire depuis le concile de Gangres (vers 341) est ici repris (J. Driscoll) avec ses conséquences pour les orientations du mouvement ascétique. L’action de Basile va dans le sens d’un meilleur équilibre, plus social et plus ecclésial. J.-R. Pouchet revient sur la personnalité exceptionnelle de « l’homme-orchestre » que fut Basile à partir de sa correspondance. Comment, dans une vie relativement brève, a-t-il pu être présent sur tant de théâtres d’opérations? À propos du rigorisme de Basile, E. Baudry analyse sa conception du péché ; L. Cremaschi met en relief certains traits de la vie commune dans les communautés basiliennes. Une seconde partie aborde l’influence de Basile sur la tradition monastique ultérieure, non seulement en Orient (monachisme byzantin, russe, Syrien et Arménien), mais aussi en Occident (A. de Vogüé). Nous ne donnons ici qu’un bref aperçu d’un ouvrage riche d’un large contenu.
6728. Le groupe italien de recherche sur « Origène et la tradition alexandrine » publie sous le titre Origène et l’alexandrinisme cappadocien (iiie - ive siècles) un ensemble de monographies distribué en trois sections. La première est une présentation historico-critique du contexte, introduite par M. Simonetti. Sur la base d’informations clairsemées et souvent incertaines, ce dernier vise à restituer le mouvement de pensée exégétique et théologique qui va d’Origène aux Cappadociens, via la rencontre du premier avec Grégoire le Thaumaturge à Césarée de Palestine, et Firmilien dans l’autre Césarée. Ces données, où la conjecture a sa part, ne doivent pas faire oublier la lecture des écrits origéniens eux-mêmes par les jeunes cappadociens. Le Remerciement à Origène, attribué à Grégoire le Thaumaturge — attribution rejetée par P. Nautin, défendue par H. Crouzel, et jugée probable par Simonetti -, est au centre du sujet. Le corps du volume est consacré à l’origénisme des grands cappadociens. Basile et Grégoire de Nysse — qui entendent rester fidèles à la priorité de l’Écriture et de la règle de foi, à l’exemple de l’Alexandrin — prennent cependant, dans leurs commentaires respectifs de l’Hexaemeron, leur distance à l’égard de l’exégèse spirituelle d’Origène au profit d’une réhabilitation du sens littéral. Les deux auteurs ont évolué par rapport à leur enthousiasme de jeunesse envers leur maître. Mais Grégoire, dont la tournure d’esprit plus spéculative, présuppose toujours dans ses Homélies sur les Béatitudes et sur le Cantique la légitimité de l’allégorie, reste « un spiritualiste origénien, tempéré par l’équilibre hérité de Basile et les précautions suggérées par les polémiques en cours » (M. Girardi). Il se sépare aussi de la thèse de la préexistence des âmes chez Origène. En ce qui concerne Grégoire de Nazianze, J.P. Lieggi met en valeur la parenté du thème de Dieu connaissable et inconnaissable chez Origène et Grégoire. Une troisième partie aborde l’héritage des cappadociens, toujours porteurs auprès d’autres auteurs (Evagre le Pontique) de la tradition d’Origène. Bien d’autres contributions judicieuses seraient aussi à signaler. Comme toujours dans les ouvrages collectifs, la variété des centres d’intérêt défie quelque peu le compte-rendu.
6829.30.31. Nous saluons avec joie la parution des iiie, ive et ve tomes du Lexicon Gregorianum consacré aux œuvres de Grégoire de Nysse (cf. RSR 90 [2002], p. 268-269). L’œuvre progresse à un rythme rapide. Le réalisateur en est toujours F. Mann. Le tome III parcourt de bout en bout la lettre epsilon. On y trouvera des termes importants comme eikôn et ecclèsia. La forme eipon du verbe legô et l’adjectif numéral eis donnent lieu à de véritables petits traités grammaticaux et linguistiques. Quatre appendices viennent compléter ce tome : le premier, dû au principal réalisateur de l’ouvrage F. Mann, est consacré au verbe eimi selon ses différentes formes et ses multiples significations, de la plus métaphysique à la simple copule, analysées en sept chapitres, et comporte une centaine de pages. Il constitue une œuvre exemplaire de philologie. L’appendice II, œuvre de V. Henning Drecoll, regroupe en un ensemble très signifiant des mots fort importants de la théologie trinitaire, comme energeia, energeô, ennoia, ennoéô, epinoia, epinoeô, ergon, ergazomai, et de la christologie comme ensarkos, ensômatos, enupostatos. L’appendice III, réalisé par R. Mariss est consacré au verbe ekhô. Un quatrième appendice apporte enfin des compléments et des corrections aux deux premiers tomes. Le tout constitue un volume assez énorme de 850 pages.
69Pour le tome IV, qui parcourt les lettres zèta et iôta, les auteurs ont renoncé à intégrer la lettre kappa, car le volume aurait dépassé les mille pages ce qui l’aurait rendu peu maniable. L’ensemble de l’instrument de travail dépassera donc les sept tomes primitivement annoncés. Celui-ci traite de termes clés de la pensée de Grégoire : vivre et vie (zaô, zôè, etc.), le vocabulaire de la divinité (theios et theos, ce dernier article est un véritable livre de 90 pages et de 270 colonnes), celui de la vision (en particulier theôria), celui des propriétés (idios, idiotès, idioma), si important en théologie trinitaire. À travers le vocabulaire c’est un véritable traité de la théologie de Grégoire qui se constitue selon ses thèmes importants.
70Le tome V embrasse toute la lettre kappa, de kagkasmos à kôphoô. Signalons quelques termes plus importants au regard de la théologie de Grégoire, comme kairos, kakia et kakos, révélateurs de la gestion du problème du mal, kalos, kardia, koinônia, et encore kosmos, ktizô et ktisis, petits traités sur la création, en enfin Kurios. Un appendice apporte quelques compléments et corrections concernant les termes traités dans les tomes précédents. On ne saurait exprimer trop de reconnaissance aux patients réalisateurs d’une telle œuvre.
7132. Cosmologie et théologie chez Grégoire de Nazianze, sous ce titre A. Richard se livre à une analyse extrêmement fouillée de la pensée du Cappadocien. Par cosmologie il ne faut rien entendre ici qui soit de l’ordre scientifique — domaine pour lequel Grégoire était peu compétent et a priori sévère —, mais une vision d’ensemble du monde et des êtres à un niveau métaphysique et théologique. La cosmologie concerne chez lui Dieu dans son rapport au monde qu’il a créé, donc sa transcendance absolue qui dépasse toute connaissance. Les créatures se distinguent en créatures spirituelles et créatures visibles et matérielles. Le symbole de tout ceci est exprimé à travers l’image du Temple où le Saint des Saints, sphère divine, est séparé par deux voiles des autres enceintes : une première tenture, devant cinq colonnes, le sépare des créatures invisibles ; une seconde, devant quatre colonnes, des créatures visibles. La césure la plus radicale reste celle qui sépare Dieu du monde créé. L’homme, autre ange sur la terre, apparaît comme un paradoxe dans cet univers bien ordonné, mais il permet de dépasser cette dualité de base ; car il montre que l’esprit peut pénétrer la matière et lui imprimer ses lois. De son côté, il révèle la vocation du monde sensible à être transfiguré en Dieu, puisqu’il est à la fois spirituel et matériel. Cette anthropologie se retrouve en christologie, où le Christ apparaît comme l’union des extrêmes, puisque le Verbe de Dieu, en vue de sauver l’humanité, s’anéantit pour habiter dans le créé sensible. Ces chapitres de la première partie nous donnent de véritables monographies sur la transcendance de Dieu et la création ; la providence et le problème du mal (traité comme chez les autres Cappadociens dans des perspectives trop platoniciennes) ; le monde intelligible (avec la difficile question de savoir si les anges ne participeraient pas au cinquième élément d’Aristote, en ayant un corps éthéré ; mais le vocabulaire de l’éther n’est sans doute qu’une métaphore exprimant en même temps la nature spirituelle des anges et leur condition de créatures) ; et la connaissance que les anges ont de Dieu. Le traité du ciel pose le problème de son rapport au divin, mais Grégoire est très ferme dans la distinction entre l’un et l’autre (le ciel lui-même appartient au monde sensible et n’a qu’une analogie avec le monde intelligible) et s’inscrit dans la tradition de la polémique contre l’astrologie. Le monde sensible est traité en fonction de l’homme, puisqu’il a été fait pour lui. Son statut ontologique le met dans une altérité radicale avec le monde intelligible, malgré le lien d’analogie qu’ils entretiennent. L’homme se trouve ainsi écartelé, puisqu’il appartient à la fois au monde spirituel et au monde sensible. Tout cet ensemble constitue une hiérarchie dynamique qui a son origine comme sa fin en Dieu. À chaque fois l’auteur s’impose de resituer le propos de Grégoire dans la double tradition à laquelle il appartient : la tradition judéo-chrétienne (Philon, Justin, Tatien, Clément, Origène), jusqu’à ses prédécesseurs immédiats (Athanase et Basile), et la tradition de la philosophie hellénistique à laquelle il a été formé à Athènes (Aristote, le Platon du Timée, le moyen et le néo-platonisme avec Plotin). Chaque point traité met ainsi en série les positions diverses jusqu’à Grégoire et l’ouvrage dépasse ainsi de beaucoup l’expression de la pensée d’un seul théologien.
72Une seconde partie, beaucoup plus rapide, aborde le Dieu trinitaire dans le contexte de la crise arienne. Le traitement du thème classique de la génération éternelle situe bien la dépendance de Grégoire à l’égard de son ami Basile de Césarée pour l’élaboration de la théologie des relations. L’indépendance de la vie Trinitaire et de cette génération par rapport au monde créé est soulignée. L’histoire du salut, telle que la comprend Grégoire, s’articule autour du Verbe de Dieu comme médiateur, à la fois en tant que Dieu et en tant qu’homme. Il est dommage que l’auteur se justifie un peu vite de ne pas parler de l’Esprit, alors que c’est un lieu où Grégoire apporte une véritable nouveauté à la pensée de Basile. Le paradoxe de l’ouvrage est de s’appesantir avec près de quatre cents pages sur la cosmologie de Grégoire, dont l’auteur reconnaît qu’elle est d’un intérêt second pour le Théologien, et de ne concéder que cent pages à l’étude de la Trinité dont elle affirme à juste titre que là se trouve son apport doctrinal majeur. Le centre de gravité et l’originalité du livre se trouvent effectivement dans le premier thème.
7333. L’essai théologique et philosophique de F. Pilloni, Théologie comme sagesse de la foi, reprend le dossier du débat de la deuxième génération arienne, représentée par Eunome, avec les trois grands Cappadociens. Après une mise en situation historique, l’auteur consacre un chapitre à Basile et aux deux Grégoire, avant de revenir sur les présupposés philosophiques de leur débat avec Eunome. L’essentiel de l’ouvrage porte sur la question trinitaire et s’achève par une réflexion sur le débat cosmologique.
74Le dossier historique, appuyé sur une large bibliographie, est bien informé. L’auteur a raison de souligner que la méthode théologique des Cappadociens, et de leur leader Basile, s’inscrit dans la confession de foi professée lors du baptême, confession à laquelle correspond la doxologie trinitaire. Mais il a tort de donner à penser, comme trop souvent d’ailleurs l’historiographie courante, que seul Grégoire de Nysse ait opposé à Eunome une réponse spéculative, comme si Basile et Grégoire de Nazianze en étaient restés à des arguments simplement doctrinaux. Malgré les dépréciations polémiques exprimées à l’égard de la sagesse de l’extérieur, ces deux hommes savent la mettre en pratique avec compétence. Le chapitre sur Basile est particulièrement faible, car il ne prend pas sérieusement en compte l’effort spéculatif intense accompli par l’évêque de Césarée sur le plan du langage et des catégories, sur la portée des noms relatifs de Père et de Fils —réflexion qui inspirera plus tard Augustin —, en vue de répondre à Eunome sur le plan des raisons, plan « philosophique » annoncé par l’auteur [2]. La même critique pourrait être faite à son étude de Grégoire de Nazianze, qui oublie que ce dernier a complété la réflexion basilienne sur les noms relatifs en cherchant à caractériser l’origine du Saint-Esprit par une opposition relative, celle de la procession. Ceci n’enlève rien à la valeur du Contre Eunome de Grégoire de Nysse, dont l’auteur parle comme d’un chefd’œuvre, mais permet de mieux voir comment le « scholar » de la famille a développé et systématisé les intuitions de son aîné.
7534. A. J. Carriker nous fait visiter La bibliothèque d’Eusèbe de Césarée. Il en retrace l’histoire qui remonte à l’installation d’Origène dans cette ville et à l’école qu’il avait animée sur place. L’Alexandrin y déposa un certain nombre de manuscrits : éditions et traductions des livres de l’Écriture, instruments d’analyse des textes scripturaires (Hexaples, Tétraples), florilèges, œuvres et manuels de philosophie. Eusèbe conserva et amplifia les collections. Au cours du ive siècle la bibliothèque fut fréquentée par plusieurs Pères de l’Église, comme Grégoire de Nazianze et Hilaire de Poitiers. Elle continua à exercer une grande influence au cours des ve et vie siècles. La prise de la ville par les Perses Sassanides en 614 ne semble pas lui avoir causé de dommages. Mais elle fut pratiquement détruite au temps de l’occupation arabe à partir de 640. L’auteur estime que la bibliothèque comportait 5 000 rouleaux de papyrus (et aussi un certain nombre de codices), ce qui reste assez modeste au regard de la bibliothèque d’Alexandrie, dont les anciens disaient qu’elle en comportait 500 000, sans doute avec une part d’exagération.
76La méthode d’investigation consistait à partir des nombreuses citations et références données par Eusèbe qui aimait citer les œuvres originales, à les comparer aux autres témoins de la tradition manuscrite, et à interroger les diverses formules d’introduction des citations. Cela permettait d’identifier les citations qui sont de première main et de conclure qu’Eusèbe avait les textes à sa disposition. Mais celui-ci a utilisé aussi d’autres bibliothèques comme celle de Jérusalem. L’auteur passe ainsi en revue les différentes sections de la bibliothèque, pour établir le degré de certitude auquel il est permis d’arriver, degré plus facile à atteindre dans le cas de citations fermes que dans celui d’allusions plus lointaines. Au terme de son enquête il feuillette en quelque sorte le catalogue de la bibliothèque de Césarée au temps d’Eusèbe. Philosophes : rien, semble-t-il, sur Aristote ; par contre, Platon (16 ou 17 dialogues intégraux), platoniciens et stoïciens très représentés, et Celse. Poètes : ici la liste est très courte : Homère, Iliade et Odyssée, Hésiode, et certaines anthologies, mais aucun orateur. Historiens : Abydène, Alexandre, Cassius Longin, Denys d’Halicarnasse, Manéthon, Philon de Biblos. Rien de sûr au sujet d’Hérodote, de Thucydide et de Dion Cassius. Littérature juive : Aristobule, Josèphe, Septante et autres traductions de l’AT, apocryphes, Philon d’Alexandrie (30 œuvres environ). Auteurs et documents chrétiens (par ordre alphabétique) : Alexandre de Jérusalem, Anatole de Laodicée, Apollonius, Ariston de Pella, Clément d’Alexandrie, Denys d’Alexandrie, Héracléon, Hermas, Hippolyte de Rome, Ignace d’Antioche, Irénée de Lyon (7 œuvres), Justin (7 œuvres), Méthode d’Olympe, nombreux évangiles et actes apocryphes d’apôtres, Origène (21 œuvres complètes), Papias, Tatien, Tertullien (l’Apologie), mais aussi Apollinaire de Hiérapolis, Hégésippe, Méliton de Sardes, Théophile d’Antioche. Documents contemporains d’Eusèbe : Maximin Daia, Constantin (nombreuses lettres), Alexandre d’Alexandrie, Arius, Marcel d’Ancyre, Astérius le Sophiste. Les résultats obtenus montrent la pertinence de cette curiosité pour une compréhension meilleure de la méthode de travail des Pères de l’Église.
7735. Les « Sources chrétiennes », qui avaient déjà publié deux œuvres d’Ephrem de Nisibe, en particulier les Hymnes sur le paradis, viennent de donner les 28 Hymnes sur la nativité. L’introduction est signée du P. François Graffin, qui a lié son nom de travailleur infatigable à la Patrologie orientale et qui vient de nous quitter dans sa 100e année. Que cette parution soit l’occasion d’un hommage largement mérité, tant pour la grande compétence de l’homme que pour sa souriante et discrète disponibilité. L’édition ne donne pas le texte syriaque. La traduction, difficile pour un corpus poétique mais réussie malgré quelques tournures précieuses, est de F. Cassingena-Trévedy. Le genre littéraire est celui de couplets didactiques, séparés par un refrain. Ephrem nous introduit aux fastes d’une liturgie orientale, tout en donnant un enseignement. Il le fait par le jeu des formules et des antithèses où les trouvailles sont nombreuses. Son inspiration est intarissable, parfois prolixe, car il use largement du procédé associatif à la manière de Péguy. Elle exprime une intériorisation lyrique des mystères du salut. La conception virginale de Jésus est ici au premier plan de la méditation. Toute la Bible est invitée à comparaître devant l’enfant né de Marie, dans un chatoiement d’images. L’argument prophétique n’est pas mis en œuvre à des fins apologétiques et théologiques, mais pour la présentation gratuite de la beauté d’un dessein de Dieu contemplé dans tous ses tours. Les rapprochements et les antinomies se répondent ; nombre de versets bibliques affleurent en filigrane. Les correspondances symboliques sont légion, ne prenons comme exemple que celle du parallèle entre la calomnie répandue sur la virginité de Marie et celle sur le corps de Jésus enlevé du tombeau par ses disciples : « Ils ont calomnié la conception : ‘Semence d’homme’ que cela ; et aussi la résurrection : ‘Larcin d’homme’ que cela. Le sceau et le cachet les ont condamnés et convaincus que tu étais du ciel » (X,9).
7836. Les « Sources chrétiennes » publient le second tome des Apophtegmes des Pères, collection systématique, naguère préparée par J.C. Guy et longtemps retardée en raison de sa mort prématurée. Le premier tome a paru en 1993 (SC 387) grâce à la révision de B. Flusin. Il contenait la présentation générale de la collection et les ch. I-IX (cf. RSR 82 [1994], p. 619). Ce second tome a reçu ses finitions de B. Meunier et ne donne que du texte, celui des chapitres X-XVI : « du discernement, la nécessité de toujours veiller, la prière constante et vigilante, l’hospitalité et la miséricorde, l’obéissance, l’humilité, l’endurance au mal ». Un prochain et dernier tome donnera les cinq derniers chapitres, ainsi que les différents index et la concordance annoncée. Espérons que ce volume suivra rapidement. On sait l’importance de ces collections au départ de la spiritualité monastique, à la fois en raison de la qualité littéraire de leurs aphorismes facilement mémorisables, de leur saveur pittoresque et de la théologie spirituelle dont elles témoignent sous une naïveté apparente. Cette édition, fruit d’un long travail, est décisive pour la connaissance de ce trésor patristique.
7937. Allons de l’édition scientifique à l’actualisation. Dans un élégant petit livre, deux moines de Bose présentent une anthologie de paroles des Pères du désert, choisies dans les différentes collections. Laissant l’ordre alphabétique traditionnel et ne cherchant pas à imposer à ces « dits » un ordre organique, les auteurs ont préféré procéder par thèmes antagonistes, pour souligner leur caractère d’apophtegmes et de fragments d’une grande mosaïque, que le lecteur a charge de recomposer dans l’équilibre de ses desseins et de ses couleurs. Les rubriques des différents chapitres sont très concrètes et se réfèrent à la vie quotidienne. Elle s’expriment souvent sous la forme verbale, soulignant ainsi leur côté de sagesse éminemment pratique. Les références des textes aux collections sont données. C’est un riche petit manuel de vie spirituelle pour le quotidien, qui nous est ici proposé.
IV – Du ve au xe siècle : théologie mariale et tradition monastique, Maxime le Confesseur (de 38 à 46)
39. Barsanuphe et Jean de Gaza, Correspondance, vol. III : Aux laïcs et aux évêques, Lettres 617-648., intr., texte critique, notes et index par F. Neyt, P. de Angelis-Noah, trad. par L. Régnault, « Sources chrétiennes » 468, Cerf, Paris, 2002, 356 p.
40. Jean-Claude Larchet, Saint Maxime le Confesseur (580-662), « Initiation aux Pères de l’Église », Cerf, Paris, 2003, 288 p.
41. Philipp Gabriel Renczes, Agir de Dieu et liberté de l’homme. Recherches sur l’anthropologie théologique de saint Maxime le confesseur, « Cogitatio Fidei » 229, Cerf, Paris, 2003, 432 p.
42. Assaad Elias Kattan, Verleiblichung und Synergie. Grundzüge der Bibelhermeneutik bei Maximus confessor, “Supplements to Vigiliae Christianae” vol. LXIII, Brill, Leiden-Boston, 2003, 324 p.
43. Giovanni Climaco e il Sinai, [Collectif], Atti del IX Convegno ecumenico internazionale di spiritualità ortodossa sezione bizantina, a cura di S. Chialà e L. Cremaschi, Edizioni Qiqajon, Comunità di Bose, 2002, 398 p.
44. Roman Cholij, Theodore the Stoudite. The Ordering of Holiness, « Oxford Theological Monographs », University Press, Oxford, 2002, 276 p.
45. Syméon le Studite, Discours ascétique, Intr. texte critique et notes par Hilarion Alfeyev, trad. par L. Neyrand, « Sources chrétiennes » 460, 154 p.
46. La tradition grecque de la Dormition et de l’Assomption de Marie, Textes introduits, traduits et annotés par Simon Cl. Mimouni et Sever J. Voicu, Cerf, Paris, 2003, 244 p.
8038. Le travail de N. Constas, Proclus de Constantinople et le culte de la Vierge Marie dans l’antiquité tardive associe la présentation de la pensée christologique et mariale de Proclus à l’édition et à la traduction de cinq importantes homélies sur le Christ et la Vierge. Sa préoccupation est historique, philologique et théologique. La partie historique relate l’itinéraire de cet adversaire décidé de Nestorius qui deviendra son second successeur. Comme nous savons peu de choses sur Proclus (né vers 390 et mort en 446), l’auteur nous présente la situation du christianisme devant l’hellénisme à l’époque, ainsi que les successions épiscopales à Constantinople. Il est peu probable que Proclus ait connu Jean Chrysostome, mais il a été le fidèle secrétaire d’Atticus jusqu’à sa mort. La succession de ce dernier ouvrit un conflit dans la ville entre deux prétendants, Philippe et Proclus qui furent exclus au profit de Sisinnius. Proclus fut alors élevé à l’évêché de Cyzique, mais ne put jamais prendre fonction, parce que les gens de Cyzique avaient déjà élu un évêque. Il revint donc à Constantinople et à la mort de Sisinnius il fut encore une fois évincé du siège de Constantinople au profit de Nestorius (428) dont le comportement peu urbain semble avoir rapidement déplu. Dans le climat du conflit dogmatique naissant, Proclus prit parti pour les opposants et prononça, au moment de Noël 430, sa fameuse homélie sur le Christ et la Vierge Theotokos. Nestorius lui répondit et, après un compliment d’usage, affirma ses propres thèses. Proclus ne participa pas au concile d’Ephèse, mais son homélie fut insérée par Cyrille dans les actes officiels du concile. La déposition de Nestorius du siège de Constantinople relança les conflits internes à la ville et Proclus fut une fois encore évincé au nom du principe qu’un évêque ne pouvait changer de siège. La quatrième fois sera la bonne : Proclus fut élu au siège de Constantinople par volonté de l’empereur aussitôt après la mort de Maximien en 434. Il trouvait la situation fragile laissée par l’Acte d’Union de 433, et intervint avec vigueur pour vaincre la grande réticence de nombreux évêques de l’Orient à abandonner Nestorius. Jean d’Antioche le soutint. Une pression ecclésiale et impériale fut exercée sur les évêques syriens et en particulier Théodoret de Cyr pour obtenir le ralliement à l’Acte d’Union. Comme la résistance à la condamnation de Nestorius se maintenait, les évêques les plus récalcitrants furent exilés. La querelle mit alors en cause les maîtres antiochiens de Nestorius et Proclus devint l’un des protagonistes du combat contre Théodore de Mopsueste et l’école d’Antioche, qui aboutira plus tard à la condamnation des Trois chapitres en 553. Pendant les douze ans de son pontificat, qui se situe entre Ephèse et Chalcédoine, son activité fut confisquée par la controverse christologique et la promotion du culte de la Vierge Marie Theotokos. — L’auteur donne ensuite l’édition critique des cinq homélies, basée sur la collation de 20 manuscrits grecs du ixe au xviie siècle, sauf pour l’homélie 1, reprise du texte établi par Schwartz. La traduction anglaise accompagne le texte grec en vis-à-vis, avec introductions et notes. La première homélie est considérée comme une pièce maîtresse de la littérature patristique et de la théologie mariale. Le grec de l’orateur Proclus est très rhétorique et particulièrement orné, presque baroque, soignant le rythme et multipliant les images, les allitérations, les assonances et les rimes.
81Proclus est donc intervenu dans la théologie mariale et la christologie. L’auteur relève la « poétique du son » : car Marie a conçu le Verbe de Dieu par l’oreille, puisqu’elle a entendu et cru la parole de l’ange. La voix de Gabriel était porteuse de la Parole de Dieu : « J’ai entendu une parole et j’ai conçu le Verbe et donné naissance au Verbe ». Ce thème était assez répandu au ve siècle. Le parallèle avec Eve était repris, puisque celle-ci avait cru à la parole du serpent pour engendrer le malheur. Le Verbe a été conçu sans que le sein ait été ouvert, de même que Jésus ressuscité apparaîtra aux siens toutes portes closes. Proclus aime aussi employer l’image du sein de Marie comme « métier à tisser » du voile de la chair du Fils de Dieu avec un fil de pourpre. Cette perspective renvoie également à la robe rouge de la passion, à la tunique sans couture de la croix et enfin au voile du Temple qui se déchire. La christologie de Proclus est évidemment proche de celle de Cyrille d’Alexandrie, pour les convictions fondamentales, l’affirmation de la Theotokos, le refus de l’homme divinisé et la confession du Dieu incarné. Cependant, l’archevêque de Constantinople, confronté aux difficultés venues de l’Orient antiochien, reste plus prudent dans son vocabulaire. Il reprend à son compte la formule de l’unique hypostase du Christ, mais jamais celle de l’unique nature. Il affirme au contraire, dans une perspective préchalcédonienne que cette unique hypostase assume dans l’unité deux natures. Il lève ainsi l’ambiguïté monophysite du vocabulaire cyrillien. Sa christologie est celle de l’unique médiateur, Verbe devenu chair, ni seulement Dieu ni purement homme. Proclus sut lui aussi exercer un rôle de médiateur entre les deux christologies rivales d’Antioche et d’Alexandrie. Cette monographie rend bien compte du rôle délicat qu’il a joué entre Ephèse et Chalcédoine.
8239. Voici le iiie et dernier tome de la Correspondance entre Barsanuphe et Jean de Gaza dont nous avons présenté et recensé les tomes et volumes précédents (RSR 88 [2000], p. 297-298 ; 90 [2002], p. 276). L’équipe réalisatrice reste la même. Une brève introduction résume les contenus très divers des réponses des deux vieillards. Les destinataires sont le plus souvent des laïcs et les évêques de Gaza et de Jérusalem qui ont posé des questions à partir de leurs difficultés pastorales. Le genre littéraire reste celui que nous avons décrit précédemment. Ces réponses témoignent de l’insertion très concrète des deux moines dans l’Église et la société de leur région. L’ouvrage se termine par un bon index thématique.
8340. Jean-Claude Larchet, qui a déjà beaucoup publié sur Maxime, donne une présentation synthétique de Saint Maxime le Confesseur (580-662). Le genre littéraire choisi est celui des Patrologies, qui passe en revue tout ce qui concerne la vie, les œuvres et la doctrine de l’auteur. La liste des œuvres de Maxime, classée ici selon l’ordre alphabétique des titres latins — certes pratique, mais l’ordre chronologique aurait été également intéressant — est précise et complète. Elle comporte, après la brève présentation du contenu de chacune, l’état actuel des éditions, traductions modernes et études. La même présentation est faite des sources anciennes concernant Maxime. L’essentiel de l’ouvrage expose sa doctrine par grands thèmes : Dieu, la Trinité, la cosmologie et la création, l’anthropologie, la christologie et la sotériologie, l’Église et les mystères (= les sacrements), la doctrine spirituelle et la pneumatologie, l’eschatologie. On sent poindre ici ou là le point de vue proprement orthodoxe de l’auteur (surtout à propos de l’Église de Rome), mais avec discrétion et ouverture. Celui-ci n’oublie pas que Maxime est antérieur à la grande division entre Orient et Occident et souligne que son influence s’est également exercée en Occident. Éminemment orthodoxe quant à la foi, Maxime ne saurait donc être annexé au bénéfice exclusif de l’Église Orthodoxe au sens moderne. Une dernière partie donne la traduction de deux petites œuvres, jusque-là inédites en français. L’ouvrage est enrichi d’une bibliographie de 54 pages. Cet excellent instrument de travail rendra les plus grands services non seulement à tous ceux qui cherchent à s’orienter dans l’œuvre profonde de Maxime, mais encore aux chercheurs toujours en quête d’un renseignement particulier.
8441. La recherche sur Maxime le Confesseur est étonnamment vivante et un « signe des temps » pour la patristique. Malgré plusieurs ouvrages récents sur des thèmes voisins, Ph. G. Renczes, revient sur l’anthropologie de Maxime avec sa thèse, Agir de Dieu et liberté de l’homme et entend mettre en valeur le caractère synthétique de la pensée du Confesseur, dans sa triple acception historique, structurelle et logique. Son œuvre s’intéresse à toutes les régions de la théologie, sans jamais proposer un traité systématique, anticipant ainsi sur la manière de procéder d’un Rahner. L’étude part de deux concepts-clés, energeia et exis, tous deux difficiles à traduire étant donné leur complexité, mais qui structurent le dessein de divinisation de l’homme. Sensible à la caractéristique ternaire de la pensée de Maxime, Renczes construit son travail sur la trilogie des modes de l’être : la raison de l’être (tou einai) à dominante ontologique, celle de l’être-bien (tou eu einai) à dominante éthique, et celle de l’être-toujours (tou aei einai), à dominante eschatologique. Le premier mode donne lieu à l’analyse de l’energeia, le second à celui de l’exis. Le troisième reprend les deux termes dans la perspective de la divinisation.
85Le concept d’energeia est analysé dans ses dimensions métaphysique et économique. L’enquête remonte aux origines du terme étudié dans son champ sémantique (qui peut se traduire suivant les cas par énergie, opération, activité, actualisation ou acte), puis dans la tradition philosophique grecque d’Aristote à Plotin, dans l’Écriture sainte et enfin dans la tradition patristique, afin de situer l’originalité de la pensée de Maxime. L’héritage aristotélicien est sérieusement pris en compte. La thèse dépasse donc le cas de Maxime et constitue une précieuse monographie philologique et philosophique. Chez Maxime energeia est l’épanouissement de la substance divine. Sa pensée s’éloigne de l’opposition cappadocienne entre ousia et energeia. Au sein de l’immanence divine energeia appartient à l’ordre apophatique dont on ne peut rien dire. À l’égard des créatures l’energeia est l’activité qui se diversifie en providence, production créatrice et incarnation, elle-même modèle de la divinisation du cosmos. Energeia et entelecheia coïncident. La finalité tient la même position centrale chez Aristote et chez Maxime. Quant à l’energeia des êtres créés, le mouvement leur appartient au titre même de leur expression ontologique, plan sur lequel Maxime ne fait pas de différence entre philosophie et théologie. Sa pensée s’élabore toujours sous le signe du finalisme. Il met en œuvre différents schémas ternaires, du type ousiadunamis-energeia, ou dunamis-energeia-argia, pour rendre compte du mouvement finalisé des êtres créés.
86L’étude du concept d’exis suit le même mouvement d’enquête (exis peut se traduire par possession, par état ou par le terme latin d’habitus, bien différent de celui d’habitude), à travers les mêmes références philosophiques, scripturaires et patristiques. Exis joue un rôle fondamental dans la théologie maximinienne de la divinisation. Nous sommes ici dans le domaine de l’éthique et de la rencontre entre l’initiative de la grâce divine et la disposition de la volonté humaine (gnômè, « faculté selon laquelle la personne dispose sa volonté en vue de son bien final, naturel et surnaturel » p. 281). Exis et energeia restent toujours en corrélation étroite dans l’acte du vouloir. L’exis, qui est aussi vertu, souligne la différence ontologique entre l’homme et Dieu, lui qui ne saurait avoir d’exis ni de propriétés, tandis que l’exis permet à l’homme d’acquérir des caractéristiques divines et de progresser vers sa propre divinisation.
87Cette divinisation est le fait de la grâce divine pour des raisons qui tiennent à l’ontologie (l’homme n’a pas de faculté susceptible de s’actualiser par une divinisation) et à la réalité historique du péché d’Adam. Elle se réalise à travers les missions du Christ et de l’Esprit, intervenant selon des modalités complémentaires dans l’habitus réceptif de chaque divinisé. L’habitus de la grâce intervient aussi dans les sacrements. La divinisation par la grâce aboutit finalement à la divinisation dans la gloire. En terminant, l’auteur évoque quelques traits de l’incidence actuelle de cette doctrine difficile et hautement élaborée, comme la corrélation entre divinisation et humanisation et l’exemple d’une théologie morale hautement personnelle.
88L’auteur est conscient d’œuvrer sur un terrain déjà très labouré. Il mentionne plusieurs fois l’ouvrage de J.-Cl. Larchet, La divinisation de l’homme selon Maxime le Confesseur, paru en 1996 (cf. RSR 86 [1998], p. 239-241). Il sait l’antinomie entre les interprétations proposées par l’« école » de M.-J. Le Guillou et les orientations de la recherche orthodoxe. Il a la sagesse de proposer avec la plus grande sérénité les résultats de la sienne et ne témoigne d’aucune inconditionnalité à l’égard de son auteur dont il parle avec respect et estime. Son grand mérite est de situer la pensée de Maxime par rapport à ses prédécesseurs et non par rapport à ses successeurs, en particulier Grégoire Palamas. Maxime ne saurait en tout cas être invoqué comme le garant de la distinction entre les énergies divines et l’essence de Dieu.
8942. Voici encore une étude sur Maxime, Incarnation et Synergie, de A. E. Kattan, qui nous vient d’un horizon protestant et est animée d’une intention oecuménique. L’auteur entend combler une lacune de la bibliographie maximinienne récente, en analysant les fondements de l’herméneutique biblique du Confesseur. Après un aperçu sur la vie dramatique et le contenu de l’œuvre de Maxime, l’auteur fait l’histoire de la redécouverte de ce Père depuis les années 1940. Largement ignoré jusqu’alors et considéré comme un compilateur, le Confesseur devient une originale figure de proue de la théologie du VIe siècle. Après la première étude de M. Viller sur les sources de Maxime, ce fut sa grande réhabilitation par H. Urs von Balthasar avec son livre Liturgie cosmique. Depuis lors, de décennie en décennie les études et les débats se renouvellent pour l’élucidation de sa pensée (H.I. Dalmais, I. Hausherr, M. Doucet en 1972, l’« école » Le Guillou en France, en 1980 F. Heinezers et R. Brakes en Allemagne, en 1990 P.M. Blowers et les études de J.-C. Larchet).
90Comme l’exégèse scripturaire n’est pas une région isolée de l’œuvre de Maxime, l’auteur entend la situer dans la cohérence globale de celle-ci. Il remonte donc aux fondements ontologiques de la doctrine du Confesseur concernant les logoi des différents êtres, ce qui l’amène à refaire l’histoire du concept de logos depuis Héraclite jusqu’au Pseudo-Denys, en passant par le NT, Justin, Origène et Athanase. Les logoi des êtres sont chez Maxime, ici influencé par la tradition alexandrine et le Pseudo-Denys, la base ontologique de la création ex nihilo. Chaque créature visible ou invisible est créée selon un logos déterminé qui constitue le principe qui la définit, en même temps que son modèle. Le logos est aussi le terme du mouvement de divinisation d’une créature rationnelle vers Dieu. L’auteur évoque ici la trilogie des raisons d’être, d’être-bien et d’être-toujours dont nous avons rencontré l’analyse chez Renczès. Ces logoi sont en Dieu et peuvent être considérés comme une partie de Dieu. Ils sont donc en affinité étroite avec le Logos divin, qui en est le centre. Seul l’événement du salut et l’incarnation du Logos permettent une représentation de ces logoi. L’incarnation apparaît comme le fil d’Ariane à partir duquel la structure des logoi ancrés dans le Logos divin peut être articulée. L’herméneutique biblique du Confesseur a un autre fondement, anthropologique, celui de l’ascension mystique. Celle-ci n’est possible que par la rencontre et l’interpénétration de la nature divine et de la nature humaine réalisées dans le Christ.
91Sur cet horizon de compréhension, l’herméneutique biblique du Confesseur apparaît comme éminemment christologique. De même que le Confesseur affirme trois régimes de lois, la loi naturelle, la loi écrite et la loi de la grâce, de même il enseigne trois modes d’incarnation du Logos, la première par la présence du Logos dans le cosmos, la seconde par sa présence dans l’Écriture (Maxime pose une sorte d’équivalence ou de symétrie entre cosmos et Écriture) et la troisième par son incarnation historique. La doctrine de ces trois lois lui permet de penser l’autocommunication de Dieu aussi bien de manière horizontale dans l’histoire, que de manière verticale dans l’expérience mystique. L’herméneutique biblique ne fait qu’un avec l’herméneutique de la révélation. Sa conceptualité trouve dans la structure du Verbe incarné son principe organisateur et le modèle de son incarnation dans l’Écriture, qui s’accomplit selon deux modes : l’un est à la surface du texte et consiste dans les lettres, les syllabes et les voix, les textes et les histoires qui fonctionnent comme autant de figures et symboles, et présupposent une signification, parfois sous la forme d’énigme ; l’autre, à un niveau plus profond, est le mouvement dans lequel le Logos abandonne son mode d’être simple pour passer dans le multiple. Ce modèle christologique est aussi un modèle anthropologique. Le principe de l’exégèse se modèlera donc sur la relation entre les deux natures du Christ, telles que définies à Chalcédoine, dans une sorte de périchorèse du divin et de l’humain et dans une dialectique du se-dévoiler et se-cacher. Le sens littéral et le sens allégorique de l’Écriture sont ainsi sans séparation et sans mélange. Sur tous ces points l’auteur tient, avec Balthasar et Sherwood et contre Larchet, la dépendance de Maxime à l’égard d’Origène, dont Maxime a lu et assimilé l’œuvre avec discrétion, afin d’échapper aux reproches d’origénisme. L’exégèse de l’Écriture s’accomplit dans la rencontre synergique et dynamique du logos du croyant avec le Logos divin. L’Esprit Saint et l’effort humain y jouent aussi leur rôle. Cette rencontre est un processus sans fin, car la parole de Dieu est inépuisable. La distinction entre logos et tropos permet de comprendre que la multiplicité des figures et des événements soit l’expression d’un Logos unique, puisque la Parole de Dieu y devient chair. Quant à la pratique du Confesseur, elle met en œuvre à la fois l’exégèse allégorique et l’exégèse théologique et dogmatique surtout dans ses écrits polémiques.
92L’étude A. E. Kattan apporte une contribution importante sur un aspect jusqu’ici négligé de la pensée de Maxime. Nul doute qu’elle ne doive trouver place dans la considération totale de cette œuvre, même si elle doit provoquer certains débats entre spécialistes. Elle apparaît sans doute bien éloignée des préoccupations de l’exégèse contemporaine et ne se situe pas au plan des méthodes. Mais ne rencontre-t-elle pas l’intérêt aujourd’hui renouvelé sur la question de l’inspiration?
9343. Nous ne pouvons que signaler les actes de la ixe rencontre œcuménique internationale de spiritualité orthodoxe consacrée à Jean Climaque et le Sinaï. De nombreuses contributions situent l’higoumène dans le cadre du monachisme sinaïtique de la fin du vie et du viie siècles, ou de l’« école du Sinaï » (I. Hausherr) ; elles étudient la spiritualité du livre l’Échelle, et précisent les traits du portrait de ce « nouveau Moïse ».
9444. R. Cholij donne une étude synthétique sur Théodore Stoudite (759-826), moine byzantin, higoumène de plusieurs communautés et réformateur du monachisme. L’ouvrage contient sa première biographie moderne détaillée, resituée dans le contexte de son temps et faite d’après les sources originales. Sa vie fut très mouvementée en raison des conflits qui l’opposèrent à deux empereurs (en raison d’un mariage « adultérin » et de la reprise de l’iconoclasme) et le contraignirent à trois exils successifs. Les œuvres de Théodore consistent en une Petite et une Grande Catéchèse, faites d’instructions données à ses moines, en quelques 600 lettres et autres écrits liés à la Réforme Stoudite.
95Le paradoxe de cet homme au rigorisme et à l’intransigeance légendaires quant à l’obéissance de ses moines est qu’il s’opposa aux plus hautes autorités de son temps, ecclésiales et séculières. Théodore était un homme d’ordre, se référant à des structures de la société qu’il jugeait d’institution divine. Respecter cet ordre demandait d’obéir aux autorités, qu’il s’agisse de celles de l’empereur, de l’Église ou des responsables monastiques. Les principes de l’autorité sont les commandements de Dieu, les ordonnances ecclésiales, en particulier celles des conciles et les règles monastiques. Toutes ont une égale force contraignante. La réforme monastique de Théodore consistait en un retour au monachisme primitif, mais au monachisme cénobitique et à ses grands législateurs. En disciple fervent de saint Basile, il fut le docteur d’une obéissance monastique qui peut conduire jusqu’au martyre. Or, ce même Théodore dut s’opposer aux autorités impériales pour plusieurs cas graves. Mais il ne remettait nullement en cause la doctrine traditionnelle du rôle spécial que l’empereur doit jouer dans la société, car il est la tête d’un empire chrétien où la séparation de l’Église et de l’État n’avait guère de sens. L’empereur est le protecteur suprême de ce corps chrétien et de tous ses intérêts. La relation entre l’empereur et le sacerdoce devait être une relation de concorde, où l’on attendait du premier qu’il favorise la doctrine et la discipline de l’Église. Mais l’empereur n’est pas au-dessus de la loi de Dieu. Il faut donc résister à tout ce qui attaque publiquement l’intégrité de la vie chrétienne. Théodore s’opposa aux empereurs seulement quand cette harmonie fut brisée et qu’ils abusèrent de leur position pour promouvoir ce qui était contraire au bien de la foi et de la morale. Il s’appuyait dans sa résistance sur la tradition de Chrysostome, de Maxime le Confesseur et de Jean Damascène. Théodore s’oppose en fait au césaropapisme, à l’intervention abusive de l’État dans les affaires ecclésiastiques. Il acceptait le principe de l’« économie », c’est-à-dire d’une mitigation miséricordieuse de la loi ou d’un compromis dans les matières qui ne concernent pas les fondements de la foi en vue du bien de la communauté. Mais l’économie ne fonctionne pas avant d’agir (ad faciendum), mais dans l’évaluation de ce qui a été fait (post factum). Sur l’adultère impérial Théodore s’est prononcé pour la rigueur (akribeia). Le conflit ne portait pas sur le principe mais sur les limites de son application.
96L’auteur étudie enfin « les principes de sainteté » chez Théodore, c’est-àdire les principes du salut. Sa lettre au moine Grégoire passe en revue les mystères ou les rites de sanctification (le myron, l’ordination, l’enterrement et le mariage, l’onction des malades et la pénitence). Sa doctrine du baptême et de l’eucharistie affirme clairement la non-validité ou l’inexistence de ces sacrements célébrés par les hérétiques. La sanctification du laïc et du moine repose sur une anthropologie de la création et de la chute, et de la restauration de l’humanité dans le Christ. Le baptême fonde la sainteté du laïc et la profession monastique est un second baptême et un mysterion. Théodore n’est pas un penseur original, mais un bon miroir de son temps. Il fut davantage un organisateur et un leader qu’un penseur. Par exemple ses vues sur le pape sont une expression intéressante de la pensée byzantine du ixe siècle sur le ministère pontifical.
9745. Le Discours ascétique de Syméon Le Studite nous est parvenu dans la Philocalie grecque et se trouvait intégré aux chapitres de son disciple, Syméon le Nouveau Théologien, jusqu’à ce que Denys de Zagora ne restitue, au xviiie siècle, son attribution au maître. Ce jugement, fondé sur les écrits du Nouveau Théologien et de Nicétas Stéthatos, est confirmé par la tradition de deux manuscrits ; I. Hausherr le reprend à son compte. Ce Discours est fait de 41 petits chapitres qu’édite et annote avec soin H. Alfeyev avec la traduction de L. Neyrand. Si nous sommes relativement informés sur le monastère studite fondé au ve siècle par le patricien Stoudios et qui devait être illustré plus tard par Théodore Stoudite dont il vient d’être question, ainsi que sur son influence et ses activités éducatrices, nous ne savons que peu de chose sur la vie et la personnalité de Syméon Le Studite (mort vers 986-987).
98Syméon n’était pas le « fol en Christ » que certains ont cru discerner. Il était un père spirituel qui n’appartenait pas à une tradition rigoriste et savait subordonner l’obéissance de règle aux nécessités de la pédagogie et à la liberté spirituelle. Son ouvrage n’a rien de systématique. Il est fait d’enseignements divers adressés aux moines, dont les thèmes principaux sont les larmes et la componction, la lecture spirituelle et la prière. Il invite à la confession quotidienne à l’higoumène ou à un autre moine choisi par l’intéressé, à condition de n’en pas changer. L’opuscule reste mineur, mais n’est pas sans intérêt. Il est heureux qu’il soit rendu accessible dans une édition de qualité.
9946. Sous le titre La tradition grecque de la Dormition et de l’Assomption de Marie, S. Cl. Mimouni et S. J. Voicu présentent et traduisent cinq documents de la tradition tardive sur « l’eschatologie mariale ». Les auteurs s’appuient sur des éditions antérieures (K. von Tischendorf, A. Wenger, M. Jugie) et savent que l’établissement scientifique de ces textes reste encore à faire. Sur la base d’un utile inventaire des documents concernant le Transitus Mariae selon les différentes traditions (syriaque, grecque, copte, arabe, éthiopienne, latine, géorgienne et arménienne), ils ont fait le choix de ces cinq textes grecs dont les deux premiers se rattachent au genre littéraire des apocryphes (la Dormition grecque du Pseudo-Jean et le Transitus grec), tandis que les trois derniers sont à l’origine de la tradition homilétique sur le sujet (le Discours sur la Dormition de la sainte Vierge de Jean de Thessalonique et un Epitome du même discours, et enfin l’Homélie sur l’Assomption de Marie). Le premier texte remonterait à la seconde moitié du ve siècle ; les autres à la première moitié du viie siècle. Nous sommes donc en amont des grandes homélies d’André de Crête et de Jean de Damas. Ces textes sont destinés à la liturgie, en particulier pour la célébration du 15 août. Quels que soient leurs écarts, tous ces documents respectent l’ordre d’un certain scénario où le merveilleux tient une grande place : annonce angélique de la prochaine Dormition de Marie ; réunion des apôtres autour d’elle ; enseignement de Pierre, départ de l’âme de Marie au ciel, à la suite d’une apparition de Jésus ; hostilité et outrages des juifs au cours des obsèques ; déposition du corps de Marie au tombeau, puis son transfert au ciel ; visite du paradis par les apôtres. Ces documents distinguent nettement la mort de Marie ou sa dormition, c’est-àdire le départ de son âme au ciel, puis la mise au tombeau de son corps et enfin pour certains le transfert de son corps au ciel. Ils ne parlent pas de résurrection. Les textes, agréablement traduits, font l’objet d’une annotation abondante et de bons index. Cette publication met à la disposition des théologiens et des chercheurs des textes peu connus mais importants pour la théologie mariale (non seulement sur le thème de l’assomption, mais aussi sur le développement de la titulature de Marie), et pourra stimuler une recherche encore nécessaire.
V – Théologie des pères (de 47 à 57)
48. Andreas Merkt, Das Patristiche Prinzip. Eine Studie zur theologischen Bedeutung der Kirchenväter, “Supplements to Vigiliae christianae” LVIII, Brill, Leiden-Boston-Köln, 2001, 288 p.
49. Ramon Trevijano Etcheverria, La Biblia en el cristianismo antiguo. Prenicenos. Gnosticos. Apocrifos, « Introducción al Estudio de la Biblia » vol. 10, Editorial Verbo divino, Estella, 2001, 488 p.
50. Martine Dulaey, « Des forêts de symboles ». L’initiation chrétienne et la Bible (Ie-VIe siècle). « Le livre de poche », Librairie générale française, 2001, 288 p.
51. Plenitudo Temporis. Miscelanea Homenaje al Prof. Dr. Ramon Trevijano Etcheverria, J.J. Fernandez Sangrador, S. Guijarro Oporto Coordinatores, « Bibliotheca Salmanticensis », 249, Publicaciones Universidad Pontificia, Salamanca, 2002, 562 p.
52. Ulrich Volp, Tod und Ritual in den christlichen Gemeinden der Antike. « Supplements to Vigiliae Christiane », vol. LXV, Brill, Leiden-Boston, 2002, 338 p.
53. Anne Jensen, Femmes des premiers siècles chrétiens, avec la collaboration de Livia Neureiter, Version française par Gérard Poupon, « Traditio christiana » XI, Peter Lang, Bern-Berlin-Bruxelles etc., 2002, 316 p.
54. Mirella Susini, Il Martirio cristiano esperienza du incontro con Cristo, Testimonianze dei primi tre secoli, Edizioni Dehoniane, Bologna, 2002, 160 p.
55. Les Pères de l’Église et l’astrologie : Origène, Méthode, Basile, Grégoire de Nysse, Diodore, Procope de Gaza, Jean Philopon, Intr. Par M.-E. Allamandy, annotations, etc. par M.-H. Congourdeau, « Les Pères dans la foi » 85, Migne, Paris, 2003, 244 p.
56. Bernard Meunier, Les premiers conciles de l’Église. Un ministère d’unité, Profac, Lyon, 2003, 238 p.
57. Brian E. Daley, The Hope of the Early Church. A Handbook of Patristic Eschatology, Hendrickson Publishers, Peabdy, Massachussets, 2003.
10047. De la prophétie à la prédication, l’enquête de A. Stewart-Sykes porte sur les origines de l’homélie chrétienne à l’époque antérieure à Origène. Les prolégomènes à une telle étude sont complexes, car si nous avons bien l’attestation d’une activité homilétique dans l’Église primitive, nous ne disposons pas de textes d’homélies formellement identifiables comme tels. Par homélie il ne faut entendre ni la prédication missionnaire (kérygma), ni la catéchèse (didaskalia), mais la communication orale de la parole de Dieu dans la célébration liturgique de l’assemblée chrétienne. La grosse difficulté réside dans l’établissement des critères formels d’une telle prédication. Divers essais ont été faits pour les déterminer (Reicke, McDonald, Collins, Siegert, Wills). Mais ces recherches, qui retiennent toutes l’idée d’exhortation (paraklèsis), se heurtent à la même impasse. Pour aller outre, l’auteur se tourne vers la pratique des formes homilétiques dans le Judaïsme, car la synagogue pratiquait l’exhortation commentant l’Écriture après sa lecture, ainsi que vers les modèles de prédication du monde hellénistique (diatribe, logos protreptique et exposition démonstrative, epideiktikos logos). L’auteur retient à titre de critères formels le traitement point par point de l’Écriture et la présence de paroles de type prophétique ; et à titre de critères fonctionnels, le discours destiné à conforter la foi de l’auditoire et l’exhortation morale. Avec cette grille de lecture s’engage la recherche du genre littéraire de l’homélie dans la littérature néo-testamentaire et post-apostolique. Deux temps sont considérés : d’abord l’homélie tenue dans les maisons (la prophétie chez Paul comme prédication domestique, la révélation d’Hermas, la prophétie de Jean à Patmos, la prédication dans la Ia Petri) ; ensuite la prédication dans des communautés organisées (les Actes des apôtres, les épîtres de Jacques et aux Hébreux, la IIa Clementis ; et enfin la prédication dans les écoles d’Asie (l’école johannique, l’Epistula apostolorum, Méliton), dans celles de Rome (Justin, Valentin, Hyppolite), en Afrique (Tertullien) et à Alexandrie.
101Quelles conclusions peut-on tirer d’une telle enquête, subtile dans ses analyses et ses comparaisons, mais grevée d’une part considérable d’hypothèses? Depuis les origines la Parole de Dieu a été communiquée aux croyants dans le cadre de l’assemblée chrétienne. La prophétie semble avoir constitué la forme primitive de l’enseignement chrétien dans les maisonnées. Le premier mode dominant fut celui de la conversation. L’interprétation et la vérification de la parole prophétique se faisaient à partir de l’Écriture. C’est sans doute dans ce processus, plus que dans la pratique synagogale ou celle des écoles hellénistiques, que se trouve l’origine de l’homélie. L’influence de la Synagogue se manifesta davantage quand l’Écriture en vint à remplacer la voix vivante. Mais la prophétie ne disparut pas quand les maisonnées se développèrent en assemblées chrétiennes plus organisées. Cependant avec le développement théologique, le respect croissant pour le canon des documents écrits et dans le cadre d’une organisation plus « scolaire », l’Écriture en vint à dominer la prophétie. L’instauration de l’épiscopat y joua son rôle. Ce développement se constate de Paul et d’Hermas à Jean, à Justin et à Hippolyte. Ce changement affecte aussi l’exhortation morale qui ne s’identifie ni à la prophétie ni à l’homélie. Cette évolution (dénommée en anglais « scholasticization ») n’alla pas sans certains conflits entre prophétie et prédication, comme en témoigne déjà l’écrit d’Hermas. La forme prophétique sera attestée encore au iiie siècle, en particulier dans le Montanisme. L’exégèse ou diakrisis, qui servait d’abord à vérifier la prophétie à partir de l’Écriture, devient l’interprétation de l’Écriture elle-même.
10248. A. Merkt propose, sous le titre Das Patristiche Prinzip, une monographie consacrée au théologien luthérien Georges Calixte (1586-1656), personnage original en son temps en raison de positions que l’on pourrait appeler « œcuméniques », et qui savait débattre amicalement avec des catholiques. Il fut même considéré comme hérétique par ses coreligionnaires, plus aimé des calvinistes et respecté par les catholiques qui appréciaient sa modération et l’ouverture de ses positions. L’expression « principe patristique » entend correspondre à la célèbre affirmation du « principe scripturaire ». L’auteur resitue Calixte en son temps dans le courant humaniste, et pour cette raison, irénique, qui traversait les frontières confessionnelles. Ses positions se fondaient dans son concept de l’Église : tous ceux qui confessent le Symbole de foi appartiennent à l’Église universelle et doivent se considérer comme frères dans la foi, de même que dans une conception scientifique de la théologie et une grande attention à l’histoire.
103C’est dans ce climat intellectuel que Calixte élabora la théorie du consensus quinque saecularis, qui entendait préciser le principe de Vincent de Lérins, « ce qui est cru partout, toujours et par tous », dont Calixte avait édité l’opuscule. Il entend surtout limiter le « toujours », en donnant à l’antiquitas ecclesiastica un terme temporel clair. Ne peut aucunement valoir comme ancien (antiquus) à ses yeux ce qui n’est reçu que depuis deux, trois, ou au mieux quatre ou cinq des derniers siècles. L’antiquité chrétienne se termine au plus tard au xiie siècle, avec la figure du pape Grégoire VII, jugé comme le premier exemple manifeste du caractère antéchrist du ministère papal. Mais l’antiquité « authentique », celle qui fait foi, se termine entre les années 429 et 629. Dans un autre texte Calixte la limite même à l’an 500. Si une doctrine a rencontré le consensus ecclésial pendant les cinq premiers siècles de l’histoire de l’Église, elle doit donc être tenue pour authentique. Ce consensus, qui doit se formuler « aperte, frequenter, perseveranter » s’exprime par le témoignage des grands témoins de la patristique et par celui des conciles qui ont défini les mystères de la Trinité et de l’incarnation. Il constitue l’argument de tradition et fonde une certitude de foi qui ne permet pas de douter de l’inerrance de l’Église. Il concerne ce qui est nécessaire au salut et a même valeur que la règle de foi. Calixte pensait être ainsi allé à la rencontre du principe catholique de tradition.
104Cette thèse posait donc un principe de connaissance secondaire de la foi qui venait composer avec le principe luthérien de la sola scriptura, ce qui relativisait fortement l’autorité des Pères. L’auteur l’expose largement, sans oublier que les mêmes Réformateurs développèrent ensuite une compréhension de la tradition reconnaissant en celle-ci le « témoignage de la vraie doctrine ». La théorie de Calixte provoqua une grave crise dans l’Église luthérienne allemande du temps, avec la querelle dite du syncrétisme (1645-1656), et le théologien fut censuré par l’orthodoxie luthérienne. Sans doute son principe ne correspond-il pas à la position catholique, telle qu’elle fut exposée à l’époque au concile de Trente et dans l’œuvre célèbre de Melchior Cano sur les lieux théologiques. Les adversaires de Calixte, Véron et Erbermann, le critiquèrent non seulement sur la césure temporelle arbitraire mais encore sur le refus de reconnaître l’autorité pontificale en matière de doctrine. Le principe de Calixte connut un échec historique total. Il provoqua paradoxalement le choc en retour du confessionnalisme qui fit ensuite place aux idées de tolérance de l’Aufklärung. Mais le problème de l’autorité des Pères resta posé du xviie au xxe siècle avec la tension grandissante entre une connaissance plus scientifique des Pères et la doctrine ecclésiale. Au terme de son travail l’auteur prend acte du changement structurel de la situation de la patristique. Non seulement les Pères ont largement perdu leur valeur d’orientation de la théologie dans les Temps modernes, où leur considération est dominée par la recherche historicocritique, mais on a même perdu le sens de la normativité spéciale de l’Église primitive. Quelle est la limite temporelle de cette normativité? Y a-t-il vraiment un consensus des Pères sur les points du contentieux œcuménique? Finalement, qu’est-ce qu’un « Père de l’Église »? Ces réflexions intéressantes restent trop solidaires de la problématique de Calixte à laquelle l’auteur se réfère toujours.
105Cette étude, qui a reçu le prix de la Kurt-Hellmich-Stiftung pour la recherche œcuménique, est à la fois un travail scientifique de par la richesse de son enquête historique, une œuvre authentiquement théologique par le thème qu’elle met en œuvre (en particulier la relation entre la patristique comme science et l’enseignement doctrinal de l’Église) et un travail œcuménique au sens prometteur de ce terme. Le thème traité est toujours d’actualité comme le montrent aussi bien les études des protestants A. Benoit et G. Kretschmar, que des catholiques comme J. Ratzinger et H. Crouzel. Souhaitons à la recherche contemporaine un meilleur succès qu’à celle de Calixte.
10649. Le dernier tome du manuel d’introduction à l’étude de la Bible de R. Trevijano Etcheverria porte sur La Bible dans le christianisme antique. Prénicéens. Gnostiques. Apocryphes. La première partie traite de l’exégèse prénicéenne, c’est-à-dire d’abord de la formation et de la réception de la Bible judéo-chrétienne, du témoignage christologique des Écritures selon les lectures des Pères, c’est-à-dire la naissance et le développement de l’argument prophétique, les exégèses allégorique et typologique, et la lente formation du canon des Écritures. L’exégèse de quelques Pères (Justin, Irénée, Tertullien, Cyprien, Athénagore, Clément d’Alexandrie et Origène) est brièvement évoquée. La seconde partie constitue un véritable traité du gnosticisme : sources, caractéristiques et types divers, les grandes thèses gnostiques : cosmologie, théorie de la connaissance, anthropologie, eschatologie, systèmes divers. Mais un seul chapitre aborde l’exégèse gnostique proprement dite. La troisième partie s’occupe de la littérature des apocryphes du NT : lettres, traditions des paroles du Seigneur, évangiles et actes apostoliques apocryphes, apocalypses. Ce manuel, au contenu très informé et aux riches bibliographies, reste quelque peu composite par rapport au titre annoncé. Il constitue trois chapitres d’une patrologie. L’auteur, très soucieux de la précision documentaire, ne prend pas toujours le recul qui lui aurait permis de situer cet ensemble dans son horizon culturel et religieux.
10750. Le petit livre de M. Dulaey, « Des forêts de symboles ». L’initiation chrétienne et la Bible, est, pour prendre une image venue d’un tout autre registre, un véritable collier de perles. Après deux chapitres sur la mise en place et l’institutionnalisation de la catéchèse chrétienne et le rôle des images et des symboles dans la formation des chrétiens des six premiers siècles, l’auteur nous invite à un long voyage à travers les diverses représentations picturales des scènes de la Bible. Car l’image, ou la séquence des images, synthétise le récit en ses diverses phases et permet d’y lire les symboles multiples de l’événement du salut. Partout la typologie est à l’œuvre. C’est l’image du berger divin, l’une des plus anciennes dans les catacombes romaines, avec sa portée paradisiaque et eschatologique, l’image du Verbe incarné qui ramène la brebis perdue sur ses épaules ; c’est le signe de Jonas, figure du Christ et parabole du salut, dont chaque épisode recèle une signification originale ; c’est Moïse divisant la mer rouge et procurant de l’eau dans le désert, double symbole du baptême ; c’est le sacrifice d’Abraham et d’Isaac, symbole de la passion du Christ, mais aussi de sa résurrection ; c’est Daniel et ce sont les trois hébreux dans la fournaise, signes eux aussi du salut éternel et de la résurrection ; c’est la chaste Suzanne, image de l’Église persécutée mais délivrée ; c’est Noé sauvé du déluge, parabole de la mort, de la résurrection et de la nouvelle création, où l’eau et le bois, la colombe et le corbeau prennent tout leur sens et où l’arche symbolise l’Église ; ce sont Adam et Eve, confrontés aux deux arbres du paradis et à l’action du serpent ; c’est Lot et sa femme, Lot fuyant Sodome et trouvant le salut ; ce sont enfin les combats de David contre le lion, l’ours et le géant Goliath, symboles des combats du Christ. Chaque thème est illustré dans sa riche polysémie par un centon de textes patristiques, puis commenté à partir de plusieurs représentations, soit de fresques soit de sarcophages, dont certaines sont données en illustration. C’est toujours le thème du salut qui court dans le chatoiement de ses multiples résonances : baptême, eucharistie, résurrection, eschatologie. Chaque image de cette grande bande dessinée reste souple et sait se transformer pour se renouveler, comme il arrive dans les surimpressions cinématographiques. Il fallait beaucoup de science pour proposer de manière aussi claire les grands symboles qui ont porté la catéchèse de nos pères dans la foi.
10851. Plenitudo Temporis, tel est le titre du volume d’hommages offert au professeur R. Trevijano Etcheverria dont nous venons de présenter un ouvrage. Les contributions rassemblées traitent des origines chrétiennes, domaine de la chaire tenue par le professeur de Salamanque et héritier de la tradition salmantine. Elles sont organisées autour de trois pôles, correspondant à ses centres d’intérêt : le judaïsme de l’époque du second Temple (le Livre des Jubilés, l’identité du maître de justice de Qumran, une édition du Testament de Nephtali), le Nouveau Testament (plusieurs analyses de péricopes de l’évangile de Mc et de textes pauliniens), le gnosticisme et la patrologie (certains points de la théologie et de la sotériologie gnostiques), ainsi que des études allant jusqu’à certains auteurs ibériques. Comme toujours en ce genre d’ouvrages la multiplicité des contributions, très spécialisées et fortement philologiques, rend impossible le compte-rendu de leurs contenus. Les spécialistes sauront les retrouver et exploiter cette mine.
10952. L’étude de U. Volp porte sur La mort et son rituel dans les communautés chrétiennes de l’Antiquité et constitue la première monographie sur le sujet depuis plus d’un demi-siècle. L’ouvrage commence par une large enquête sur la relation avec les morts dans l’environnement du christianisme ancien, la culture funéraire de l’Égypte, du Judaïsme, de la Grèce classique, de la république puis de l’empire romain : rites d’enterrement, forme des sépultures, repas et dons funèbres, musiques, rôle de la famille et de la communauté, problèmes de l’impureté des morts… L’examen de ces sources ne renvoie nullement à un monde de rites homogènes car les échanges culturels dans l’empire romain laissaient la place à des traditions très différentes. Ce contexte permet de situer les pratiques funèbres chrétiennes, étudiées dans les sources littéraires, archéologiques et artistiques : locaux ou espaces (en particulier les catacombes à partir du début du iiie siècle, émergence du terme de cimetière), processus des funérailles entre le moment de la mort et l’enterrement, toilette funèbre, veille des morts, lamentations, couleurs, musiques, repas et célébration du souvenir… La documentation est extrêmement riche. De nombreuses reproductions illustrent le propos.
110Les documents dont nous disposons ne permettent pas de reconstruire complètement les rites d’enterrement ou de commémoration funéraire et nous sommes en face d’une grande pluralité. Jésus et ses apôtres n’ont pas équipé la jeune religion avec des prescriptions rituelles irrévocables en ce qui concerne la mort et l’enterrement. Le christianisme ne dispose donc pas de tradition rituelle distinctive. Les familles chrétiennes suivaient au départ les coutumes locales, qu’elles soient juives, grecques ou romaines. Graduellement à partir du iie siècle émergent des signes de modification intentionnelle des traditions héritées, ce qui entraîna d’ailleurs des débats et des conflits en matière de rituel. Une question centrale fut celle de la pureté ou de l’impureté liée à la mort. La loi juive était rigoureuse sur l’impureté du cadavre. La réponse chrétienne fut sans ambiguïté, déjà dans le NT et plus encore chez les Pères : les prescriptions juives en la matière n’avaient plus de valeur pour les chrétiens. Mais cette attitude ne signifiait pas que la position chrétienne était définitivement trouvée. Le fait que le défunt n’était plus regardé comme impur ouvrira le culte chrétien aux rites de funérailles et de commémoration. La question de l’impureté fut à nouveau soulevée dès avant le temps de Constantin lorsque des fonctions publiques exercées dans les cultes païens, où la pureté était d’une extrême importance, furent subitement reprises par les chrétiens qui incorporèrent à leurs rituels des éléments païens de pureté rituelle. Cette hypothèse, qui serait à confirmer par d’autres recherches, pourrait expliquer les conflits soulevés à propos de la pureté des reliques placées dans les Églises, qui émergèrent dans la seconde moitié du ive siècle. Les autorités chrétiennes dénièrent tout caractère impur aux restes humains, ce qui constituait un changement décisif par rapport aux positions du judaïsme et du paganisme. Elles prenaient au contraire en compte la vertu (aretè) du défunt. La théologie des reliques était liée à la conviction de la résurrection. La relique pouvait jouer un rôle purificateur, puisque le défunt était endormi et non pas mort. La religion nouvelle ne se contentait pas en effet de répondre aux questions existentielles, comme les écoles philosophiques pouvaient le faire en s’en tenant à la simple idée de la mort. Les textes chrétiens centraux mettaient au cœur de leur réflexion la pensée de la résurrection des morts et réclamaient une intervention ecclésiale en cette sphère, au nom de la revendication universelle et totalisante que le christianisme exerçait sur ses croyants. Les deux fonctions de religion familiale et de culte public furent reprises par le christianisme au moins à partir du ive siècle. Même si l’Église de ce temps n’avait pas les ressources et le personnel qui seront ceux du Moyen Age, cependant dès avant Constantin nous rencontrons des rites et des fêtes dans lesquels les responsables sacerdotaux remplissaient leur tâche liturgique. De telles interventions dans les questions rituelles de la mort soulevèrent des questions difficiles à des évêques comme Jean Chrysostome et Augustin. Ce dernier se montra très compréhensif par son respect de la souffrance humaine et admit le besoin anthropologique d’un rituel de deuil permettant d’en accomplir les diverses phases. La considération des rituels de la mort confronte toujours à la question de ce que signifient pratiques païennes et pratiques chrétiennes. Beaucoup de sources donnent l’image d’un antagonisme entre les unes et les autres. Il exista certainement. Cependant, même dans les cas de conflits, on observe une transformation de pratiques païennes en pratiques chrétiennes, et donc une certaine continuité. La vetus et melior consuetudo ne fut pas toujours invoquée comme chez Minucius Felix. Finalement nos sources suggèrent que les chrétiens ont fait la paix avec l’esprit du temps en ce domaine. La crémation n’a jamais eu la sympathie des chrétiens. Le bilan de cette étude très érudite est donc plein d’enseignements sur tout un versant de l’existence chrétienne.
11153. Anne Jensen publie, sous le titre Femmes des premiers siècles chrétiens, un ensemble de textes patristiques concernant les femmes. Une bonne introduction indique les grandes rubriques du volume : femmes apôtres, prophétesses, martyres, ascètes, vierges et moniales, veuves et diaconesses, docteurs, épouses et mères. Quelques thèmes sur la féminité, ainsi que la présentation de figures exemplaires, achèvent le tout. Les textes proposés reproduisent le même mouvement : ils partent du NT, n’oublient pas les Actes apocryphes ni les informations sur les pratiques sectaires ou hérétiques et conduisent le lecteur jusqu’à la fin du ve siècle. Retenons quelques traits de ce florilège. L’idéal de la « femme virile » fait que la femme continente est regardée « comme un homme ». Étant donné la suppression des sexes dans le Royaume de Dieu, les femmes y entreront comme hommes. Dans les apophtegmes des Pères il y a place pour les paroles de trois « Mères du désert » (sur 150). Le synode de Gangres (340) refuse que les femmes ascètes aient les cheveux coupés courts, car Dieu a donné à la femme une longue chevelure pour lui rappeler sa dépendance. Mais les règles ascétiques sont les mêmes pour les deux sexes. Chez les ascètes il y a place pour l’érémitisme, le cénobitisme et aussi le mariage spirituel, c’est-à-dire le mariage continent, soit après la mise au monde des enfants, soit dès la nuit de noces. L’idée d’une vie commune purement fraternelle entre clercs et vierges donnera lieu à des abus, ceux des femmes « subintroduites », dénoncés par Jean Chrysostome. Certains textes relatent le diaconat féminin, dont l’ordination donne lieu aujourd’hui à discussion. Certaines femmes pouvaient enseigner en fonction de leur culture, être didascales et devenir maîtresses spirituelles. Peu de documents nous renseignent sur les plus nombreuses, c’est-à-dire les épouses et les mères. La doctrine d’Augustin sur le bien du mariage mentionne non seulement la procréation mais aussi l’affection mutuelle entre les époux. À propos d’Eve et de Marie, Irénée ne dit rien de la soumission de la femme à l’homme ; mais Tertullien est particulièrement sévère sur le sexe féminin, collectivement responsable de la chute originelle. Augustin reconnaît à l’être spirituel de la femme la qualité d’image de Dieu, mais pas à son être sexué. La femme est auxiliaire de l’homme, donc un être secondaire. La division du travail est affirmée selon le modèle patriarcal du ménage. La soumission au mari est tempérée par l’amour lui aussi « patriarcal ». Mais Basile de Césarée, influencé par sa sœur Macrine, enseigne l’égalité des sexes comme images de Dieu. Le pèlerinage d’Egérie témoigne d’une belle liberté féminine. Cinq figures sont présentées en fin de volume : une épouse et Mère, Proba, poétesse chrétienne, Macrine et Marcelle, témoins de l’ascétisme féminin, Olympias, veuve et diaconesse, amie de Jean Chrysostome, et le cas plus exceptionnel de l’impératrice Pulchérie.
112Ce dossier, intelligemment choisi et couvrant bien l’ensemble des situations féminines de la société ancienne, manque malheureusement d’une conclusion synthétique. Mais ses auteurs féminins ont soigneusement évité la tentation de la caricature. Quel bilan peut-on donner de ce « discours » patristique sur les femmes, largement tenu par des hommes? L’Église s’est développée à l’évidence dans une société gréco-romaine patriarcale et son héritage juif allait dans le même sens. La hiérarchie des deux sexes était une évidence culturelle. C’est dans ce contexte qu’il faut évaluer la pénétration progressive du personnalisme chrétien au bénéfice de la femme et conduisant à la reconnaissance de l’égalité des deux partenaires humains. Les questions en débat et les jugements de valeur exprimés sont ici tout aussi intéressants que les faits. Une comparaison plus systématique entre mœurs chrétiennes et mœurs païennes permettrait sans doute d’arriver à une interprétation plus ferme de l’évolution générale.
11354. Qu’est-ce qui peut pousser un croyant à souffrir avec joie le martyre pour le Christ? La réponse à cette question est une petite théologie du martyre aux premiers siècles que propose M. Susini, Le martyre chrétien, expérience de rencontre avec le Christ. Les principaux témoignages du NT (Étienne, Paul, les évangiles et l’Apocalypse), les Lettres d’Ignace d’Antioche, le martyre de Polycarpe, quelques actes des martyrs (Lyon, Perpétue et Félicité) et enfin l’Exhortation au martyre d’Origène, permettent de recueillir un florilège impressionnant d’expressions exprimant non seulement la rencontre mais encore une sorte d’« identité » entre le martyre et le Christ. C’est Étienne dont le martyre reproduit les traits de la passion de Jésus ; c’est Paul qui dit : « Ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi » (Ga 2,20), et pour lequel « vivre c’est le Christ et mourir est un gain » (Ph 1,21). C’est Ignace qui veut être un imitateur de la passion de son Dieu (Rom 6,3), « le froment de Dieu », et qui comprend son martyre en termes eucharistiques ; c’est le Christ qui souffre dans le corps du martyr. Ces témoignages (marturia) font apparaître le martyre comme une vocation, un charisme et une récompense, la conformation suprême au Christ et une anticipation de l’eschatologie.
11455. Sous le titre Les Pères de l’Église et l’astrologie, M.-H. Congourdeau et M.-E. Allamandy présentent un dossier thématique sur un sujet qui n’est pas aussi marginal qu’on pourrait le penser. Les sept auteurs choisis et traduits (Origène, Méthode d’Olympe, Basile de Césarée, Grégoire de Nysse, Diodore de Tarse, Procope de Gaza et Jean Philopon) ne sont que d’heureux échantillons d’une polémique anti-astrologique constante chez les Pères. Ce florilège est l’objet d’une longue introduction de M.-E. Allamandy, qui retrace les origines et le développement de l’astrologie dans le monde antique, des chaldéens aux grecs et aux romains, et montre le problème à la fois théologique et pastoral que la pratique répandue de l’astrologie dans les milieux chrétiens posait aux Pères de l’Église. Les croyances astrologiques, considérées comme superstitieuses et ridicules, entretiennent l’idée d’un fatalisme capable de démobiliser la liberté. L’astrologie était aussi une expression du pouvoir du mal dont le Christ est venu nous délivrer. Les grands arguments sont ici recensés sous deux rubriques majeures, l’élucidation du rôle possible des astres dans la vie humaine et la polémique aux raisons innombrables, théologiques, philosophiques, morales, logiques et techniques. Ces arguments sont largement inspirés du philosophe païen Carnéade, mais revitalisés par le souci de dénoncer l’impiété de ces croyances. Les réalisatrices annoncent un dossier analogue d’auteurs latins. Cet excellent instrument de travail mériterait d’être lu par les chrétiens d’aujourd’hui tentés de se fier aux nouveaux horoscopes donnés par les média.
11556. Sous le titre, Les premiers conciles. Un ministère d’unité, B. Meunier publie un cours donné à la Faculté de théologie de Lyon sur la naissance et le développement de l’institution conciliaire dans l’Église ancienne, depuis le « concile de Jérusalem » jusqu’à Chalcédoine. L’entreprise se veut essentiellement historique et ecclésiologique et non proprement dogmatique. Elle suit donc le cours de l’histoire pour repérer l’émergence des conciles ou synodes locaux et régionaux à la fin du iie siècle et dans le courant du iiie et aborde essentiellement les quatre grands conciles de Nicée à Chalcédoine. À propos de chacun, les questions clés se trouvent abordées : sources, contexte historique, présidence, acteurs, ordre du jour et calendrier, symboles et définitions doctrinales promulgués, points disciplinaires, réception enfin. Nicée conduit à l’émergence progressive de la théologie du concile œcuménique ; Constantinople I est un cas original, puisque son œcuménicité est rétroactive ; Ephèse aboutit à l’impasse de deux conciles rivaux, jusqu’à la réconciliation provisoire de 433 ; la réception de Chalcédoine ouvre une longue histoire conflictuelle. Un chapitre est aussi consacré aux conciles qui ont suivi Nicée en raison des résurgences du conflit arien. Il en va de même du brigandage d’Ephèse de 449. Les vicissitudes doctrinales de ces conciles appartiennent en effet à la théologie du concile, car elles mettent en avant le poids de la non-réception. Un chapitre de bilan revient sur la définition et les critères d’un concile œcuménique, évoque le rapport délicat d’autorité entre le pape et le concile, et montre comment celui-ci constitue un ministère d’unité de l’Église.
116Cet ouvrage est sans doute un manuel, mais il est clair, pédagogique, et s’appuie sur une documentation très à jour. Il n’oublie pas le traitement des concepts dogmatiques-clés et exerce un discernement très juste. On regrettera que l’itinéraire conciliaire ne se continue pas à travers Constantinople II et III, dont le but était de donner une interprétation de Chalcédoine. L’impression du livre est malheureusement assez déficiente (par ex. la première lettre des noms manque dans les colonnes de l’index).
11757. Saluons en terminant la réédition du manuel sur l’eschatologie patristique de B. E. Daley, L’espérance de l’Église ancienne, paru en 1991 aux éditions Cambridge University Press, et qui était épuisé. L’auteur n’a pu que corriger certaines erreurs et compléter la bibliographie. Ainsi cet excellent parcours de l’apocalyptique chrétienne, poursuivi de siècle en siècle en Orient et en Occident, continuera à rendre de précieux services.
Notes
-
[1]
J. Daniélou regrettait déjà les « erreurs typographiques [qui] déparent un peu ce beau livre ».
-
[2]
Celui-ci fait souvent référence à l’introduction que nous avons donnée aux textes d’Eunome et de Basile, dans les Sources chrétiennes, mais il ignore, de même qu’Anne Richard d’ailleurs, notre dernier ouvrage Saint Basile et la Trinité (Desclée, 1998) qui propose une analyse de tout ce débat sur le plan des raisons.