Notes
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[1]
Jovic L, Lecordier D. La clinique infirmière : manière singulière de penser et d’agir dans le champ de la santé. Recherche en soins infirmiers. 2021 Jan ;144(1) :87-104.
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[2]
Vonarx N. La discipline infirmière comme discipline créole : retour sur le pluriel, les emprunts et les rencontres qui l’animent. Rech soins infirm. 2018 Jul ;133(2) :7-14.
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[3]
Januel JM. 11e révision de la Classification internationale des maladies : une opportunité pour les soins infirmiers ? Rech soins infirm. 2021 Jul ;145(2) :56.
1 La communication présentée lors des 28e Journées d’études européennes de l’Association francophone européenne des diagnostics, interventions et résultats Infirmiers (AFEDI), qui se sont déroulées les 10 et 11 mars 2022 à Beaune, est publiée en deux parties : l’une abordant la clinique infirmière comme une activité totale et l’autre partie, publiée dans un prochain numéro, poursuivra la réflexion sur la place des savoirs infirmiers dans la clinique.
Première partie : la clinique comme une activité totale
2 Dans l’activité des infirmières, les diagnostics infirmiers concluent une analyse clinique et ouvrent sur des soins visant le rétablissement, le maintien en santé ou l’accompagnement dans la mort d’une personne dans son environnement. L’analyse clinique repose alors sur l’articulation des données recueillies auprès de la personne en demande de soins, avec des connaissances scientifiques et des savoirs académiques. Le parti pris de la communication est de discuter la place des diagnostics infirmiers dans l’activité clinique d’un point de vue épistémologique.
3 Le moment où sont mobilisés les diagnostics infirmiers dans l’activité clinique les place au sein de connaissances scientifiques et/ou savoirs académiques multiples.
4 Ici, nous allons tenter de tenir les trois axes de développement de la discipline des soins infirmiers mais dans un périmètre restreint : un axe professionnel qui se limitera ici à l’activité clinique ; un axe scientifique qui réfère aux connaissances issues des recherches produites au sein de la discipline et qui sont mobilisés dans l’activité clinique ; et enfin, un axe académique représentant les savoirs qui font consensus et qui sont enseignés aux « disciples » qui exerceront la pratique des soins infirmiers. La clinique devenant ici l’élément central à la croisée de ces trois axes.
La clinique comme activité totale [1]
5 La clinique infirmière est généralement considérée comme un processus, débutant par un recueil de données et conduisant à la formulation d’un diagnostic qui permet de dessiner des actions en direction de la santé d’une personne marquée par son environnement.
6 Si nous acceptons d’approfondir la question de l’activité clinique d’une façon générale, nous constatons aisément qu’elle ne se résume pas à un processus, une démarche, un raisonnement. L’activité clinique englobe aussi une position disciplinaire, c’est-à-dire un point de vue particulier sur les situations de soins par rapport à d’autres professionnels de santé, mais elle contient également une posture professionnelle, par exemple, pour l’infirmière, une manière de faire pour rentrer en relation afin de faire advenir le subjectif et le vécu. Cette activité est donc plus large qu’un simple processus. Pour faire advenir un point de vue particulier et une posture singulière, l’activité clinique se fonde sur des savoirs théoriques propres à une discipline.
7 Prenons le temps de préciser le sens de l’activité clinique infirmière en s’arrêtant sur les différentes étapes.
8 Nous préférons requalifier le « recueil de données » en « construction des données », tant le travail de sélection, d’organisation, d’usage de ces données dépasse le simple recueil. Qu’est-ce qui se joue dans cette première phase ? Avant toute chose, c’est l’acceptation ou le refus d’une situation dans le périmètre des soins infirmiers. La situation qui se présente à l’infirmière rentre-t-elle dans le champ des soins infirmiers ? Ne relève-t-elle pas du domaine du médecin, du psychologue, du kinésithérapeute, de la diététicienne, de l’assistante sociale, de l’éducateur, du généticien, du pharmacien, du biologiste… ? Pour qualifier la demande dans le champ des soins infirmiers, nous allons à la recherche d’informations centrées sur la personne, c’est-à-dire qui ne sont pas exclusivement centrées sur des organes ou des fonctions de l’organisme ; qui ne sont pas seulement dirigées vers l’état psychique, les émotions ou les capacités cognitives d’un individu. Ces informations se focalisent aussi sur l’écoute des répercussions des désordres somatiques et psychiques sur la vie sociale de la personne. Centrés sur son vécu à un moment donné de son histoire, nous cherchons le sens que représente cet épisode de santé pour cette personne dans son environnement : les ruptures biographiques qu’il peut entrainer, les rôles sociaux qu’il peut bouleverser, le statut social qu’il peut engendrer… Il ne s’agit donc pas de prendre seulement en compte les désordres d’un corps ou d’un esprit dans son milieu. Ces distinctions conceptuelles (personne/individu, environnement/milieu, santé/maladie) sont essentielles pour qualifier la situation qui se présente en problèmes de santé dans le champ des soins infirmiers. C’est cette qualification qui va conduire l’infirmière à accepter la prise en compte de ces problèmes ou les confier à un autre professionnel du monde médico-social.
9 Une fois la situation acceptée dans le champ des soins infirmiers, l’investigation se précise pour construire les données de façon à les mettre en forme dans le cadre professionnel, autrement dit dans les règles de l’art.
10 Le raisonnement clinique, fondé sur l’analyse des données singulières, vise à les sélectionner, les trier, les hiérarchiser et les mette en forme pour qu’elles s’articulent avec les connaissances scientifiques et les savoirs académiques de la discipline des soins infirmiers. La conclusion se formule en problèmes de santé réels ou potentiels, se caractérisant par des attributs, des symptômes ou des indicateurs et prenant leur source dans des données appelées causes ou facteurs favorisants. Cette synthèse se formule en un diagnostic précisé par une définition. Ces diagnostics ou problèmes de santé vont changer de statut au cours du raisonnement, passant par le stade d’hypothèses confirmées ou réfutées grâce aux indices collectés de façon objective issus de calculs et de mesures, mais aussi recueillis de manière subjective par la perception des émotions et des représentations du patient.
11 Enfin, l’énoncé d’un diagnostic ne pourra s’affranchir d’une interaction permettant de confronter la représentation que s’est construite le soignant de la situation, à celle de la personne en demande de soins. L’activité clinique, là encore, ne se résume pas à un processus purement technique mais à l’articulation du raisonnement d’un professionnel qui forge son point de vue sur des signes, des symptômes, des caractéristiques reconnues avec le vécu et la signification que donne la personne à l’épisode de santé particulier qui l’affecte. Ce n’est qu’à ce moment que se formule une conclusion (toujours provisoire) conduisant à des soins qui seront évalués à court et long termes. Les évaluations pourront amener à réaliser des investigations supplémentaires, rechercher des compléments d’informations, provoquer un retour à la littérature… Elles conduiront in fine à des réajustements.
12 L’activité clinique de l’infirmière ne se résume donc pas à un recueil de données et un raisonnement se terminant pas l’énoncé d’un diagnostic. Mais c’est une activité complexe combinant plusieurs dimensions : un processus d’élucidation d’une réalité fondé sur des savoirs théoriques, des connaissances empiriques, des expériences qui forgent des compétences professionnelles confrontées à des visions profanes ou communes d’un épisode de santé tout aussi importantes et légitimes. Ce qui se joue dans cette activité clinique de l’infirmière en relation étroite avec la personne soignée, c’est la prise en compte d’une situation de vie singulière qui s’inscrit dans une vision générale générée par une discipline à la fois professionnelle, scientifique et académique.
L’ensemble des savoirs et connaissances mobilisés dans l’activité clinique infirmière
13 Pour transformer la représentation d’une situation commune en problème de santé, les professionnels s’appuient sur des indicateurs donnés par une analyse fondée sur la mobilisation de sciences et de disciplines scientifiques diverses. Les sciences qui contribuent au travail clinique de l’infirmière sont de différentes natures :
- les sciences de la vie : biologie, chimie, physique… qui se précisent souvent en fonctions physiologiques, en cinétique pharmacologique… ;
- les sciences humaines et sociales : la psychologie, la sociologie, l’anthropologie, la philosophie… qui se précisent, elles, en ressources psychiques, capacités cognitives, rôle et statut, droit, règles éthiques et déontologiques…
14 Les sciences infirmières, quant à elles, construisent leurs savoirs en puisant des concepts et des théories dans ces deux courants pour créer leurs propres savoirs scientifiques. C’est bien la « métabolisation » de ces différents savoirs au sein de notre discipline au service des soins infirmiers en général, et de la clinique en particulier, qui autorise à « penser infirmier » les situations complexes de soins dans leurs différentes dimensions. Nicolas Vonarx utilise le concept de « créolisation » pour qualifier la création de savoirs infirmiers à partir des savoirs [2] d’autres disciplines, mobilisés de manière empirique aux situations de soins rencontrées par les infirmières. Les concepts et théories issus d’autres sciences sont alors réinterprétés dans le sens de la promotion, de la restauration de la santé des personnes et des communautés, ou de l’accompagnement de la fin de la vie.
15 Les savoirs infirmiers sont construits ainsi depuis le XIXe siècle, à l’époque où, par exemple, Florence Nightingale interprétait déjà les situations d’hygiène en s’appuyant sur ses connaissances médicales, ainsi que sur les mathématiques, en particulier les statistiques. Aujourd’hui, où pouvons-nous situer les diagnostics infirmiers ? Un diagnostic est par essence un concept qui se place dans un ensemble classé, hiérarchisé. Un concept, de façon générale, est constitué au minimum de trois éléments : une étiquette ou un mot (ou plusieurs) qui le désigne, une définition, et des attributs ou caractéristiques qui permettent de le distinguer d’autres concepts, et de le reconnaître, en particulier dans une situation clinique pour les professionnels de santé.
16 En médecine, les diagnostics sont des concepts qui prennent leur place dans une nosographie, qui a débuté par une première version en 1772, publiée par Boissier de Sauvage. Un regard historique nous montrerait probablement les passages difficiles par lesquels sont passés les médecins pour faire évoluer leur nosographie en fonction des connaissances scientifiques mais aussi des demandes sociales spécifiques à chaque époque. Pour arriver aujourd’hui à une onzième version de la Classification internationale des maladies, il a fallu des années de labeur pour un travail jamais achevé.
17 Pour les infirmières, l’œuvre est plus récente et conduit à une classification de concepts réunis dans des taxonomies toujours en construction. On recense treize types de taxonomies créés pour formaliser des diagnostics infirmiers, des interventions infirmières et des indicateurs de résultats [3]. L’articulation entre ces travaux infirmiers et ceux portant sur les théories en sciences infirmières constitue un enjeu pour les infirmières productrices de savoir, dont la finalité est de les mobiliser dans la clinique, mais aussi dans l’enseignement et la recherche.
Notes
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[1]
Jovic L, Lecordier D. La clinique infirmière : manière singulière de penser et d’agir dans le champ de la santé. Recherche en soins infirmiers. 2021 Jan ;144(1) :87-104.
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[2]
Vonarx N. La discipline infirmière comme discipline créole : retour sur le pluriel, les emprunts et les rencontres qui l’animent. Rech soins infirm. 2018 Jul ;133(2) :7-14.
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[3]
Januel JM. 11e révision de la Classification internationale des maladies : une opportunité pour les soins infirmiers ? Rech soins infirm. 2021 Jul ;145(2) :56.