Introduction
1En France, en 2019, 4,8 millions de patients ont été opérés (1). La première complication de la chirurgie, à la fois en gravité et en fréquence, est l’infection du site opératoire. Pour ces patients, la « préparation cutanée » est une étape importante de la prévention de l’infection du site opératoire. Cette préparation se compose essentiellement d’au moins une douche préopératoire réalisée idéalement le matin de l’intervention dans le service de chirurgie ou au domicile du patient, suivie d’une antisepsie du site opératoire, réalisée dans la salle d’opération une fois le patient installé. Dans la version actuelle des recommandations, qui n’impose plus l’utilisation de savon antiseptique, la douche préopératoire n’a pas un objectif « microbiologique » de désinfection (2,3). Son but principal est d’éliminer les souillures de la peau du patient, de façon à ce que l’antisepsie du champ opératoire puisse être réalisée dans de bonnes conditions d’efficacité (2,3). En effet, les souillures perturbent l’action des antiseptiques en limitant leur contact avec la zone de peau à désinfecter et en inhibant leur activité microbienne. Si la douche est bien réalisée et que la peau du patient est propre, il n’est plus nécessaire, à l’heure actuelle, de réaliser une détersion du champ opératoire en salle d’opération avant de réaliser l’antisepsie.
2La qualité de la douche préopératoire est donc un enjeu important, car si on découvre au moment de l’installation du patient en salle d’opération que la peau est sale, l’équipe chirurgicale est contrainte d’opter pour une des trois solutions ci-dessous, en fonction de l’urgence et du rapport bénéfice-risque :
- réaliser en urgence une détersion qui n’était pas prévue, et pour laquelle il faut donc trouver le temps et le matériel ;
- décider d’un « no go », prévu par la check-list « Sécurité du patient au bloc opératoire » de la Haute autorité de santé quand la préparation cutanée n’est pas satisfaisante (4) ;
- réaliser malgré tout l’antisepsie du site opératoire, sur une peau dont la propreté est jugée insuffisante : il s’agit ici d’une solution dégradée, insatisfaisante pour l’équipe chirurgicale et potentiellement à risque pour le patient, mais qui peut être choisie malgré tout par les professionnels par crainte de reporter une intervention attendue par le patient et de « perdre » du temps de vacation opératoire.
3Aucune de ces solutions n’est réellement satisfaisante du point de vue du risque infectieux ou de l’organisation du travail au bloc opératoire, et elles doivent rester exceptionnelles.
4Il est donc indispensable de réaliser la douche préopératoire dans des conditions qui permettent de garantir son efficacité, c’est-à-dire en expliquant au patient comment la douche doit être réalisée et en vérifiant après la douche que la peau est effectivement propre. Cette vérification est nécessaire pour tous les patients, elle est d’autant plus importante que certains patients peuvent avoir mal compris les explications, avoir rencontré des difficultés pratiques pour se doucher ou présenter des souillures résiduelles sur la peau, nécessitant plusieurs douches pour être éliminées.
5L’obésité est un facteur de risque établi d’infection du site opératoire (3,5-7). On peut supposer que les patients obèses rencontrent des difficultés particulières pour se doucher, en raison d’équipements inadaptés à leur domicile ou à l’hôpital, mais aussi parce qu’il peut leur être plus difficile de se mobiliser, de se tenir debout dans la cabine de douche, et d’atteindre certaines parties du corps telles que fesses et pli interfessier, plis inguinaux et sous-mammaires, pieds, dos… (8,9).
6En complément, nous faisons l’hypothèse que les soignants pourraient aussi rencontrer plus de difficultés pour expliquer la procédure de douche et pour vérifier la propreté cutanée après la douche chez les patients obèses que chez les autres patients. En effet, la littérature montre que les professionnels sont fréquemment exposés à ce qui est dénommé en langue anglaise « weight bias », et qui correspond à un préjugé défavorable et une moindre aisance pour prendre en charge les patients atteints d’obésité, et est associé à des prises en charge moins conformes aux recommandations de bonne pratique (10).
7À notre connaissance, les difficultés potentielles des patients obèses pour la douche préopératoire n’ont jamais été étudiées dans la littérature, et il n’existe pas non plus de recommandations nationales ou internationales pour la réalisation de la douche préopératoire pour les patients présentant une obésité. Cette absence d’étude et de recommandation est étonnante dans la mesure où la fréquence de l’obésité est élevée en France (17 % des adultes suivant les dernières estimations) et dans de nombreux pays (11,12). Elle est aussi plus élevée parmi les patients opérés (35 % en orthopédie et 20 % en chirurgie digestive, en 2017) (13). On ne dispose pas actuellement d’informations sur les éventuelles difficultés rencontrées par les patients obèses pour la douche préopératoire, et ce, bien qu’il y ait des raisons de penser que la douche peut poser des difficultés spécifiques pour ces patients.
8Pour aborder ce sujet, nous avons réalisé une étude pilote qualitative pour explorer les freins et difficultés décrits par les patients obèses et les soignants pour la réalisation de la douche préopératoire.
Méthodes
9Cette étude pilote a été réalisée par entretiens semi-directifs avec des patients obèses opérés, et avec des infirmiers et aides-soignants de chirurgie d’un centre hospitalier universitaire. Pour permettre à des étudiantes en sociologie de la santé de réaliser les entretiens pendant leur stage dans le service d’hygiène, tous les entretiens ont dû être menés en un mois. Les guides d’entretien (guide « patient » et guide « soignant ») ont été élaborés en collaboration entre les sociologues et l’équipe d’hygiène et abordaient les thèmes suivants : information sur la technique de douche, déroulement de la douche et matériel, évaluation de la propreté cutanée.
10Deux services de chirurgie ont été sollicités pour participer à l’étude : le service de chirurgie digestive (incluant la chirurgie bariatrique) et le service de chirurgie orthopédique.
11Nous avons choisi de rencontrer les patients à distance de l’intervention, à l’occasion d’une consultation chirurgicale de suivi. En effet, l’entretien était difficilement réalisable pendant le séjour de l’acte chirurgical, en raison du manque de temps entre la douche et l’intervention chirurgicale, des possibles douleurs et de l’éventuelle somnolence postopératoires. Pour permettre au patient d’avoir un souvenir suffisant de la douche préopératoire, nous avons inclus des patients qui avaient été opérés dans les six mois précédant l’entretien. Enfin, nous avons choisi d’inclure uniquement les patients qui avaient bénéficié d’une intervention programmée. Les plannings de consultation ont été examinés par l’équipe d’hygiène qui repérait les patients correspondant aux critères d’inclusion : chirurgie programmée datant de moins de six mois et indice de masse corporelle (IMC) supérieur à 30 kg/m². L’accord des chirurgiens a été demandé au préalable pour prendre contact avec les patients. L’identité des patients à interroger était transmise aux sociologues par l’équipe d’hygiène, sans leur communiquer d’informations sur la pathologie ou sur l’intervention réalisée. L’accord du patient pour l’entretien était demandé systématiquement en précisant que l’étude portait sur la qualité des soins préopératoires.
12L’entretien des patients se déroulait pendant l’attente de la consultation chirurgicale (il n’a pas été demandé aux patients de venir plus tôt pour l’entretien), dans une salle de consultation. La durée annoncée de l’entretien était de 45 minutes.
13Les soignants interrogés étaient des infirmiers (IDE) ou des aides-soignants (AS) des services de chirurgie, impliqués au quotidien dans l’information ou l’aide aux patients pour la douche, et/ou la vérification de la propreté cutanée. L’accord et l’aide des cadres de santé ont été demandés pour prendre contact avec les soignants. L’accord des soignants pour participer à l’entretien était systématiquement demandé. L’entretien se déroulait pendant le temps de travail, le plus souvent dans une salle de pause. La durée annoncée de l’entretien était d’environ 45 minutes.
14Les entretiens ont été enregistrés et retranscrits pour l’analyse. En raison du caractère préliminaire du travail et du cadre temporel très contraint, une retranscription ciblée a été réalisée en sélectionnant les éléments de langage essentiels. Cela a représenté environ une heure de retranscription par entretien. Une analyse thématique descendante a été réalisée. La recherche s’est appuyée sur deux types de triangulation : d’une part, la triangulation théorique s’appuyant sur les données retrouvées dans la littérature et, d’autre part, la triangulation des sources puisque les données ont été recueillies auprès de patients et de soignants de deux services différents. En raison également du temps contraint pour le déroulement de l’enquête, seul un petit nombre de patients et de soignants pouvaient être inclus, et la saturation des données n’a pas été recherchée.
15L’étude a été approuvée par le comité d’éthique sur la recherche du CHU de Rouen (n° d’avis E2018-53).
Résultats
16Neuf patients ont été interviewés (2 hommes et 7 femmes, IMC (en kg/m²) entre 30 et 35 (n=3), IMC entre 35 et 40 (n=4), IMC ≥ 40 (n=2)), et 11 soignants (AS (n=7) et IDE (n=4)). Aucune personne sollicitée n’a refusé de participer. Les entretiens ont duré de 30 minutes à une heure chez les patients, et de 30 minutes à une heure chez les soignants.
Information sur la douche
17Les patients semblaient bien comprendre l’utilité de la douche, même s’ils lui attribuaient fréquemment un objectif « désinfectant » (IDE, entretien n° 3) plus que « nettoyant » (AS, entretien n° 1). Pour eux, la douche préopératoire servait à « retirer les microbes » (AS, entretien n° 7), « être propre » (IDE, entretien n° 4), « éviter les infections » (AS, entretien n° 5), « pour désinfecter toutes les zones » (IDE, entretien n° 2), « il faut qu’on ait un corps propre » (AS, entretien n° 9).
18Si certains patients se souvenaient avoir été informés en amont de la nécessité de prendre une douche, en consultation ou la veille de l’intervention, d’autres « découvraient » la douche le jour de l’intervention : « on m’en a parlé pour la première fois quand je suis arrivée sur place le matin » (P, entretien n° 2). Les IDE, en revanche, précisaient que les informations concernant la douche préopératoire sont données en consultation, et certains disaient appeler les patients obèses la veille de leur entrée à l’hôpital pour expliquer à nouveau la douche.
19Par ailleurs, tous les patients rapportaient avoir reçu des informations assez vagues sur la procédure de douche : « Quelqu’un m’a dit de prendre une douche et c’est tout » (P, entretien n° 5), « on m’a dit : “faites une douche normale” » (P, entretien n° 1), « on m’en a pas vraiment parlé, juste faire une douche » (P, entretien n° 7). Même si certains patients estiment que les explications sont inutiles car ils ont l’habitude de se doucher, d’autres estiment qu’une explication serait utile : « moi, j’ai déjà subi plusieurs opérations donc je connais mais pour quelqu’un pour qui c’est la première fois, il faudrait insister, on manque d’informations » (P, entretien n° 5), « J’ai manqué d’informations, enfin, moi, je connais, je sais comment procéder mais on m’a juste dit : “Prenez une douche” et basta » (P, entretien n° 1).
20Ceci contraste avec les déclarations des soignants, qui disaient tous expliquer la douche de façon détaillée : « on leur dit de se doucher à l’eau et au savon, de bien insister sur l’ombilic » (AS, entretien n° 9), « j’insiste bien en disant : “de la tête aux pieds, on lave et on rince” » (AS, entretien n° 6), « moi, oui, c’est toute une explication, il faut expliquer, on leur fait voir le matériel quand on peut » (AS, entretien n° 7). Toutefois, des IDE disaient ne pas se sentir concernées par l’explication de la douche préopératoire, qui était plutôt selon elles le rôle des AS. Certains soignants déclaraient donner les mêmes explications sur la douche aux patients obèses et non obèses : « c’est pareil, c’est la même définition, donc on leur dit la même chose » (AS, entretien n° 5), mais d’autres déclaraient donner plus d’explications aux patients obèses : « on leur dit d’insister sur les plis de la zone opérée » (AS, entretien n° 9), « on appelle les patients obèses la veille pour leur dire, leur expliquer la douche en plus du matin de leur arrivée » (IDE, entretien n° 11). Plusieurs soignants témoignent de leur gêne pour expliquer la douche à des patients obèses : « ça les met parfois mal à l’aise, ça peut être dérangeant pour les gens… Si eux abordent le sujet, c’est plus facile… Ça dépend si la personne est à l’aise avec son poids ou pas » (AS, entretien n° 1).
21Aucun soignant n’a mentionné de réticences des patients obèses à prendre une douche : « les patients réfractaires sont des personnes âgées et non des personnes obèses » (AS, entretien n° 6).
Déroulement de la douche et matériel
22Des patients mentionnaient que la douche pouvait être difficile pour eux du fait de leur obésité : « avant l’opération, c’était plus compliqué car j’étais plus grosse et il y avait des parties de mon corps que je ne pouvais pas atteindre, comme les pieds ou les parties intimes » (P, entretien n° 3), « avant, oui, j’avais des difficultés, si on me mettait dans une baignoire, je ne ressortais plus » (P, entretien n° 4).
23Les patients n’avaient pas de remarques particulières concernant le matériel mis à leur disposition pour la douche : « Il y a mieux mais il y a pire » (P, entretien n° 5). Le fait que la cabine de douche soit commune était parfois mal perçu par les patients : « en plus, les douches étaient collectives, pour tout le monde, je ne trouve pas ça très hygiénique que tout le monde passe dans la même douche à longueur de journée. J’avais pas trop apprécié. » (P, entretien n° 6). Ils trouvaient que la cabine de douche était de taille suffisante : « Pas de problème car la douche est grande » (P, entretien n° 4), mais certains signalaient qu’elle était encombrée de matériels divers : « entrepôt sauvage » (P, entretien n° 2), « réserve pirate » (P, entretien n° 6), « il y avait quatre fauteuils roulants, un ou deux pieds à perfusion, et deux matelas, donc c’est difficile de s’organiser. En plus, il manque des étagères où on peut suspendre au moins nos vêtements. Niveau hygiène, c’est pas top » (P, entretien n° 6).
24Les soignants du service de chirurgie digestive (qui réalise de la chirurgie bariatrique) appréciaient la grande surface et porte d’entrée des cabines de douche communes qui facilitent l’accès des patients obèses. En orthopédie, en revanche, les soignants jugeaient les cabines de douches trop étroites et disaient avoir fréquemment recours à la « douche au lit » pour les patients obèses : « on enveloppe le patient dans une housse qu’on accroche aux quatre coins du lit, on incline, il est dans une piscine (…) Sinon il faudrait des housses plus grandes pour ces personnes-là, sinon on arrive à se débrouiller comme ça » (AS, entretien n° 5), « c’est galère, donc pour les patients comme ça ; en plus, quand ils ont du mal à tenir debout, on leur fait au lit, c’est mieux pour eux et pour nous » (AS, entretien n° 7).
25Enfin, par manque de chemises de taille adéquate pour habiller les patients obèses à la sortie de la douche, les soignants déclarent couvrir le patient à l’aide de draps pour « respecter sa pudeur malgré son poids » (AS, entretien n° 1).
Vérification de la propreté après la douche
26Le dernier thème abordé dans les entretiens était la vérification de la propreté cutanée après la douche. Les patients étaient tous d’accord sur le constat de l’absence de vérification visuelle de la propreté : « non, pas de vérification, ils n’ont pas le temps » (P, entretien n° 3), « on nous demande juste si on a pris une douche » (P, entretien n° 5), « non, ça dépend peut-être à qui ils ont affaire » (P, entretien n° 6), « on m’a demandé si j’avais pris une douche mais on n’a pas vérifié. On m’a fait confiance apparemment. » (P, entretien n° 4).
27Les soignant confirment cette vérification non systématique, ciblée sur certains patients : « si la propreté est suspecte » (AS, entretien n° 5), « on vérifie plus sur les patients qui sont en manque d’hygiène à la base, c’est-à-dire si la personne sent la friture, a les cheveux sales… » (AS, entretien n° 7), « l’apparence et l’odeur vestimentaire dès leur entrée font que… » (AS, entretien n° 7), « si l’état cutané du patient est bon, on ne vérifie pas » (IDE, entretien n° 11). Les soignants gênés de réaliser cette vérification mettent en place des stratégies pour ne pas dire au patient qu’ils vérifient sa propreté : « si la propreté est suspecte, on va prétexter de vérifier si la tonte a bien été faite ou s’ils ont bien enlevé leur slip » (IDE, entretien n° 2). Une AS disait aussi donner le prétexte de la vérification de la tonte pour, en fait, vérifier la propreté, et pour une autre AS « je dis qu’il faut que je sèche le malade » (AS, entretien n° 1). Le fait d’être présent ou d’aider le patient pour la douche permet aussi d’éviter la vérification de la propreté cutanée : « quand c’est nous qui les lavons, on sait qu’ils sont propres » (AS, entretien n° 6).
28La difficulté à vérifier la propreté ne concerne pas seulement les patients obèses. Ainsi, une AS confiait ne pas trouver « correct » de dire au patient qu’on va vérifier sa propreté cutanée après la douche « même pour une femme mince comme moi » (AS, entretien n° 1). Toutefois, les soignants rapportent une difficulté particulière chez les patients obèses pour vérifier la propreté cutanée après la douche. La vérification de la propreté cutanée des patients obèses après la douche préopératoire, avant le départ pour le bloc, est décrite comme « le gros problème du service » (IDE, entretien n° 2), « je ne me vois pas retourner le patient » (IDE, entretien n° 10), « ce n’est pas naturel, on se met à la place du patient, on a peur de vexer » (AS, entretien n° 1).
Discussion
29Cette étude exploratoire identifie trois types de difficultés pour la réalisation de la douche préopératoire pour les patients présentant une obésité : un manque de matériel adapté selon certains soignants, un manque d’information selon les patients, et une absence fréquente de vérification de la propreté cutanée après la douche, selon à la fois les patients et les soignants.
30Le matériel et les équipements pour les douches prises dans l’établissement ne sont perçus comme une difficulté que par les soignants, qui ne les trouvent pas suffisants pour doucher confortablement et en toute sécurité les patients obèses. Au contraire, pour les patients qui signalent une difficulté à se doucher, celle-ci est présentée comme une conséquence directe de leur obésité, sans lien avec le matériel. L’encombrement fréquent de la salle de douche et le fait qu’elle soit partagée n’est pas présenté par les patients comme une difficulté pratique mais comme un manque d’hygiène, et n’est probablement pas spécifique de cette population. Néanmoins, ces constats mériteraient d’être confirmés sur un échantillon plus large. La difficulté rapportée par les soignants à disposer de matériel adapté pour faciliter les soins chez les patients obèses a déjà été décrit dans la littérature, mais jamais à notre connaissance pour la douche préopératoire (14,15). Les propos des soignants d’orthopédie montrent que ce manque de matériel adapté peut les conduire à adopter des méthodes « dégradées » (douche au lit) d’efficacité non validée pour la douche préopératoire.
31La deuxième difficulté identifiée lors des entretiens est le décalage important entre l’information très succincte que les patients déclarent avoir reçue, et celle détaillée que les soignants déclarent avoir donnée. Ce type d’écart a déjà été observé dans la littérature (16) et peut s’expliquer de plusieurs façons : les soignants peuvent avoir donné moins d’informations que ce qu’ils pensent, ou ils peuvent avoir informé le patient sans que l’information ait été entendue ou comprise, ou l’information a pu être oubliée par le patient à distance de l’intervention (les patients étaient interrogés jusqu’à six mois après l’intervention). Notre étude ne permet pas de distinguer entre ces trois mécanismes, qui peuvent d’ailleurs être associés. Il serait par ailleurs intéressant d’évaluer si la qualité d’information que les patients déclarent avoir reçue est associée à la qualité du résultat de la douche : aucun travail à ce jour n’a étudié cette question. Enfin, cette discordance rapportée entre information donnée et information reçue interroge sur la possibilité de proposer une méthode d’information permettant de s’assurer de la bonne compréhension et mémorisation de l’information. Le fractionnement des tâches (des IDE ont rapporté qu’elles considéraient que la mission d’information du patient sur la douche relevait plutôt du rôle de l’aide-soignant) est ici probablement un obstacle à la bonne communication sur le sujet, et il pourrait être intéressant de mener une réflexion permettant que tous les professionnels concernés, quelle que soit leur catégorie, délivrent un message similaire (y compris en réfléchissant en équipe au choix des mots et des messages) et s’assurent de la bonne compréhension de ce message par le patient. Il pourrait aussi être utile de repérer les patients ayant mal compris l’objectif et la technique (zones où il faut insister, couvrir l’ensemble de la surface cutanée, ordre à respecter…) de la douche, pour lesquels il pourrait être plus sûr de prévoir la douche dans l’établissement.
32Le résultat principal de notre étude est l’absence de vérification visuelle de la propreté cutanée déclarée par les patients et confirmée dans une large mesure par les soignants. Cette difficulté nous semble la plus préoccupante car potentiellement associée à une préparation cutanée insuffisante et un risque majoré pour le patient. Elle conduit en effet à ce que la propreté insuffisante de la peau ne soit découverte qu’au bloc opératoire, conduisant ainsi l’équipe de bloc à adopter une solution dégradée : réaliser une détersion de dernière minute, dans des conditions souvent non satisfaisantes par manque de temps, réaliser l’antisepsie du site opératoire sur une peau souillée, ou reporter l’intervention. Notre étude a inclus uniquement des patients obèses, ce qui ne permet pas de dire si cette absence de vérification concerne seulement cette population, mais les verbatims des soignants suggèrent que les difficultés de vérification de la propreté, les stratégies d’évitement et/ou de ciblage concernent toute la population des patients opérés. Un tel évitement est similaire à celui décrit par Adams et al. chez des médecins devant réaliser un toucher pelvien chez des patients obèses (17). Cette difficulté de positionnement des soignants, pour un soin qui représente pourtant un enjeu de sécurité pour les patients et qui relève explicitement de leur rôle, met en évidence la nécessité d’une réflexion d’équipe sur le sujet, en associant des patients (patients experts), y compris des patients obèses.
33En revanche, les patients interrogés dans notre étude n’exprimaient aucun sentiment de stigmatisation du fait de leur obésité, et les soignants de leur côté ne semblaient pas associer l’obésité avec une moins bonne hygiène personnelle. Ce résultat, rassurant, est inattendu car de nombreux travaux dans la littérature ont montré que les patients éprouvaient fréquemment un sentiment de stigmatisation par les soignants durant les soins (10,18-22). Cette différence avec les résultats de la littérature peut s’expliquer par le petit nombre de patients interrogés mais aussi par l’augmentation de la prévalence de l’obésité en France : certaines études décrivant la stigmatisation des patients obèses ont été publiées il y a 10 à 20 ans, à une époque de moindre fréquence de l’obésité. Il est possible que l’obésité devenue plus fréquente soit moins mal perçue par les soignants. D’autre part, la plupart des études concernaient les médecins, les études des préjugés chez les IDE étaient moins nombreuses, et aucune étude à notre connaissance n’étudiait les AS. Il est aussi possible que les IDE, et surtout les AS, soient moins « choquées » par l’obésité des patients, pour des raisons qui restent à explorer. Enfin, un des services concernés réalisait de la chirurgie bariatrique, dans lequel il est possible que les équipes aient une représentation de l’obésité différente de celle du reste de la population soignante.
34Notre étude a plusieurs limites. Le délai contraint pour réaliser les entretiens ne nous a pas permis d’interroger suffisamment de personnes pour atteindre la saturation des données. Nous n’avons pu inclure que deux patients avec une obésité de grade 3 (IMC ≥ 40 kg/m²) (23), or c’est chez ces patients présentant une obésité massive que les difficultés sont susceptibles d’être les plus importantes. Nous n’avons inclus que des patients et des soignants de chirurgie digestive et d’orthopédie, ce qui a pu nous empêcher de repérer des difficultés spécifiques d’autres spécialités chirurgicales. Le fait qu’un des services réalise de la chirurgie bariatrique conduisait à ce que le matériel soit mieux adapté à la prise en charge des patients obèses, ce qui a pu limiter la mise en évidence de ce type de difficultés. Enfin, les entretiens ont été réalisés jusqu’à six mois après l’intervention chirurgicale, ce qui a pu altérer le souvenir des patients des conditions de leur douche préopératoire.
Conclusion
35Au total, cette étude préliminaire suggère que la réalisation de la douche préopératoire et la vérification de son efficacité sont des questions plus complexes pour les soignants que ce qui était attendu. Toutefois, ces difficultés ne semblent pas être liées à l’obésité, du moins consciemment, ni même limitées aux patients obèses.
36Des pistes d’amélioration peuvent être évoquées en s’appuyant sur cette étude préliminaire, par exemple :
- améliorer l’information sur la douche en menant une réflexion d’équipe permettant de rappeler le rôle de chacun, d’aider au choix des mots ;
- améliorer la réalisation de la douche en repérant les patients susceptibles de rencontrer des difficultés pour se doucher seul ou à domicile, soit par mauvaise compréhension ou mémorisation, ou par difficulté d’équipements du domicile, ou par difficulté de mobilisation (non limitée à l’obésité) ;
- améliorer la vérification de la propreté après la douche, en particulier chez les patients obèses, en formalisant la méthode de cette vérification et en formant les soignants.
37Enfin, des travaux complémentaires seraient utiles concernant l’information, le déroulement de la douche et la vérification de la propreté pour l’ensemble des patients, obèses ou non obèses, ainsi que des travaux explorant spécifiquement les opinions et attitudes des AS concernant l’obésité et les patients obèses.
Déclaration de conflits d’intérêts
38Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.
Remerciements
Les auteurs remercient les équipes de chirurgie et les patients d’avoir accepté de participer à l’enquête.Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : infection du site opératoire, prévention, qualité des soins, obésité, douche préopératoire
Date de mise en ligne : 22/02/2022.
https://doi.org/10.3917/rsi.147.0092