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Article de revue

Freins, difficultés et facilitateurs dans la mise en place d’une recherche financée par le Programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP) : retour d’expérience d’un projet de recherche en santé mentale

Pages 69 à 76

Introduction

1La France est l’un des principaux initiateurs de recherche en Europe et à l’international avec « 10 % des études internationales réalisées » (enquête Leem, 2016). Elle se place comme le premier pays de l’Union européenne devant l’Allemagne et le Royaume-Uni. Parallèlement à cette expansion de la recherche en France, la recherche infirmière se professionnalise et s’autonomise lentement depuis les premiers travaux de santé publique de Florence Nightingale en 1850. Longtemps impliqués comme collaborateurs à des recherches spécifiquement médicales, le but à atteindre aujourd’hui pour les infirmiers est celui d’investigateur principal, de chercheur. Selon certains auteurs, la construction des savoirs infirmiers repose essentiellement « sur des savoirs pratiques hérités de traditions, construits par l’expérience et transmis par l’oralité » (1). L’objectif d’une démarche de recherche permet ainsi d’objectiver ces observations, ces intuitions, tous ces outils propres aux infirmiers, et de construire des savoirs fiables et réutilisables. Une telle démarche permet également d’interroger les soins et les pratiques, de promouvoir la qualité et l’efficacité des soins, notamment en ce qui concerne des sujets centraux pour les infirmiers : les patients et leurs familles (confort, qualité de vie, éducation thérapeutique, douleur…), les soins (techniques, organisation…) et la prévention tertiaire (2). Les progrès, le développement de la recherche infirmière en France restent discrets et récents comparés à l’Amérique du Nord et aux pays anglo-saxons (3). Cependant, des structures, des associations et des événements participent à l’émergence d’une discipline en sciences infirmières en France. Par exemple, un département universitaire en sciences infirmières à Aix-Marseille Université (4) ; l’Association de recherche en soins infirmiers (Arsi) qui œuvre depuis plus de 35 ans au développement et à la reconnaissance de la recherche infirmière (5), etc. La recherche se professionnalise également par la création de nouveaux métiers accessibles aux infirmiers comme le statut d’Infirmier de recherche clinique (IRC) et d’Attaché de recherche clinique (ARC). Dans cette perspective, trois éléments soutiennent la promotion de la recherche en soins infirmiers : le cursus Licence, Master, Doctorat, engagé depuis 2009, qui promeut une démarche, une posture et une culture de chercheur auprès des infirmiers dès la formation initiale ; le Programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP) créé par le ministère de la santé et destiné aux professionnels de terrain et la création de la section 0092 « Sciences infirmières » au Conseil National des Universités en octobre 2019.

2Le PHRIP est un appel à projets de recherche annuel, ayant pour objectif de soutenir la recherche autour des soins réalisés par les infirmiers. Il s’agit d’un financement sur 3 années accordé par la Direction générale de l’offre de soins (DGOS). Un bilan des PHRIP à 5 ans est paru en 2015 (2). La majorité des projets étaient en cours d’obtention des autorisations technico-réglementaires et aucun projet retenu depuis 2012 n’avait terminé son recrutement de patients. Les Centres hospitaliers universitaires (CHU) concentraient à eux seuls 89 % des PHRIP.

3C’est dans ce contexte que dans notre Centre hospitalier spécialisé en santé mentale, un projet de recherche a émergé de la réflexion d’un infirmier, suite à son diplôme universitaire de remédiation cognitive. Des échanges avec un collègue infirmier formé à l’éducation thérapeutique du patient (ETP) les ont emmenés à se questionner sur la potentialisation de la remédiation cognitive par l’ETP auprès de personnes concernées par les troubles schizophréniques. Le protocole de recherche « Vers une nouvelle approche infirmière dans la prise en charge des patients schizophrènes », s’est ainsi formalisé progressivement sur deux ans. L’objectif était d’évaluer l’impact de l’éducation thérapeutique placée en amont d’une prise en charge de remédiation cognitive. Ce protocole de recherche a fait l’objet d’un financement PHRIP en 2012.

4D’importants changements (départ de l’infirmier initiateur du projet, portage multicentrique de l’étude, changements substantielles), ont entraîné des mutations de l’équipe de recherche, dont la succession de trois médecins investigateurs. Un infirmier nouvellement formé aux métiers de la recherche, et une psychologue dédiée sur le temps de cette recherche se sont emparés de l’ensemble des missions auparavant portées par une équipe complète. Au vu de la courbe d’inclusion qui n’a pas atteint l’objectif initial, du nombre de perdus de vue et donc des résultats non significatifs de l’étude, l’équipe de recherche s’est questionnée sur les éléments ayant impacté la conduite de ce programme.

Première partie : Une expérience de recherche appliquée

Méthode

5Il s’agissait d’une étude monocentrique puis multicentrique en partenariat avec le centre hospitalier Le Vinatier suite au départ du médecin et d’un infirmier chercheur dans cet établissement jusqu’en 2016, puis de nouveau monocentrique jusqu’en 2018. Elle s’est déroulée sur cinq ans avec un recrutement initialement prévu de 80 patients répondant au diagnostic de schizophrénie (critères DSM IV-TR), randomisés en deux groupes appariés selon l’âge, le sexe, la symptomatologie évaluée par l’échelle positive and negative syndrome scale (PANSS) et le traitement médicamenteux. Les patients devaient être répartis comme ce qui suit :

  • un groupe expérimental de 40 patients avec 12 séances d’1h30 d’éducation thérapeutique (programme TIPP) puis de 28 séances d’1h00 de remédiation cognitive (programme RECOS).
  • le groupe contrôle de 40 patients avec 28 séances d’1 heure de remédiation cognitive (programme RECOS).

6Les deux groupes devaient être comparés sur l’évolution de leurs performances pré et post-prise en charge à l’aide d’une batterie de tests neuropsychologiques, d’une échelle d’insight (Birchwood), d’une échelle mesurant la qualité de vie (WHOQOL-BREF), et d’une échelle d’estime de soi (Rosenberg). Cette évaluation a été renouvelée six mois après la fin du programme.

7Le schéma de la prise en charge est décrit ci-dessous.

Déroulé de la prise en charge :

Figure 1

Déroulement de la prise en charge

Figure 1

Déroulement de la prise en charge

Résultats

8Sur l’échantillon de 80 patients attendus, nous n’avons pu inclure que 34 patients. Les patients étant répartis en deux groupes distincts comme suit :

9Groupe expérimental (TIPP + RECOS) :

Tableau 1

Groupe expérimental (TIPP + RECOS)

Nombre de patients inclusNombre de patients présents pour l’évaluation de fin de prise en chargeNombre de patients présents pour l’évaluation à 6 mois de la prise en charge
1563

Groupe expérimental (TIPP + RECOS)

10Groupe contrôle (RECOS) :

Tableau 2

Groupe contrôle (RECOS)

Nombre de patients inclusNombre de patients présents pour l’évaluation de fin de prise en chargeNombre de patients présents pour l’évaluation à 6 mois de la prise en charge
1931

Groupe contrôle (RECOS)

11Le nombre de patients ayant terminé la prise en charge et ayant bénéficié de l’ensemble des évaluations étant très faible, il nous a été impossible de réaliser des tests statistiques fiables. En revanche, sur le plan qualitatif pour les quatre patients qui ont suivi l’ensemble de la prise en charge, les participants déclaraient un mieux-être dans leur quotidien, plus sûrs de leurs capacités cognitives. Ces améliorations sont également présentes dans les bilans infirmiers et neurocognitifs. Cela incite donc à poursuivre ce type de prise en charge auprès des patients schizophrènes afin de faciliter leur parcours de réhabilitation.

12D’un point de vue thérapeutique, l’outil de remédiation cognitive semble favoriser :

  • Une meilleure alliance thérapeutique car le cadre de remédiation cognitive efface la frontière soignant - soigné, puisqu’elle place le thérapeute comme partenaire de la prise en charge.
  • Un regard décalé sur la maladie puisqu’on se concentre davantage sur les répercussions fonctionnelles dans la vie quotidienne de celles-ci plutôt que sur les symptômes.

13L’éducation thérapeutique semble avoir favorisé une meilleure inscription dans les soins ambulatoires par le patient (rendez-vous du centre médico-psychologique honorés par exemple).

Discussion

14Seulement neuf patients ont été présents pour l’évaluation de fin de prise en charge parmi les 34 patients inclus. Les ré-hospitalisations des patients ont entravé le suivi prévu de l’étude. La schizophrénie étant une pathologie chronique, nous avons dû faire face à des rechutes nécessitant des hospitalisations, avec des absences à plus de quatre séances, entraînant une sortie d’étude. D’autre part, un des centres associés s’est retiré de l’étude et n’a pas assuré le suivi des patients inclus entraînant plusieurs perdus de vue.

15En partant de l’exemple de ce PHRIP et dans une volonté de partage d’expériences, cet article a pour but de présenter les freins, les difficultés et les facilitateurs à la réalisation d’une recherche infirmière.

Deuxième partie : Retour sur l’expérience et analyse des facteurs d’échec et de réussite

16Dans une première partie, nous présenterons les facteurs liés à la profession d’infirmier (son expérience, ses connaissances, son héritage, ses valeurs et représentations, ses habitudes de travail). Dans un second temps, les facteurs liés à la structure et à son organisation (conditions de travail, ressources humaines et matérielles, culture et valeurs véhiculées, engagement des professionnels). Puis, nous examinerons les facteurs liés à la recherche (fondements, application, accessibilité) (6). Et enfin, nous formulerons des propositions pour faciliter la conduite d’une recherche infirmière.

Méthode

17Une méthode d’amélioration de la qualité par recherche de problème a été mise en place avec les outils « remue-méninge » et QQOCP (7).

Résultats

Facteurs intrinsèques à la profession infirmière

Freins

18Selon Pepin et al, et Krifa et al, l’absence de soutien de la part des pairs ressort comme un frein majeur à la mise en place de recherches cliniques (6,8). Dans le cadre de notre étude, certaines équipes soignantes se montraient réticentes et parfois hostiles lorsque nous abordions la thématique de la recherche. Nous l’avons remarqué lors des temps de présentation et de promotion du projet auprès des équipes soignantes. Certains professionnels ne participaient pas aux temps de rencontres proposés ou se disaient contraints d’être présents par leur encadrement. Durant la phase d’inclusion, certains soignants ne collaboraient pas avec les équipes de recherche, limitant le recueil des données par les infirmiers expérimentateurs, ce qui retardait les délais d’inclusion. Durant la phase de suivi des patients, leur manque d’implication se manifestait par un désintérêt du projet, rendant parfois difficile les prises en charge : rendez-vous non notés, patients en permission les jours de prise en charge, absences de réponses aux mails, etc. De plus les équipes différenciaient également les soins courants réalisés dans les unités de soins de ceux réalisés sur le protocole de recherche, comme si ces derniers ne participaient pas au projet de soins du patient, mais servaient uniquement des enjeux liés à la recherche. Ainsi, une fois les soins terminés sur le protocole de recherche, il n’y avait pas de reprise, ni de poursuite de ces soins par les équipes qui n’en voyaient pas l’intérêt.

19Par ailleurs, les objectifs de la recherche ne sont pas toujours évidents pour les infirmiers. Il semble nécessaire de faire le lien entre la pratique de terrain et la méthodologie de la recherche de manière pérenne. Cela a été mis en place au début du protocole, mais ne s’est pas poursuivi dans le temps, entraînant un délitement de l’implication des équipes de secteur. Les équipes sollicitées étaient des équipes de l’intra-hospitalier, confrontées à des patients en situation aigue, ainsi l’idée du rétablissement à travers des outils tels que la remédiation cognitive n’était pas concevable pour ces professionnels. Cela a donc bien évidemment limité leur adhésion. En effet, selon deux vastes études ethnographiques (9), les infirmières interrogées recevaient positivement une recherche lorsqu’elles étaient convaincues de son impact positif sur les patients, ce qui n’était pas le cas lors du lancement du protocole. Certaines voient la recherche comme un outil venant répondre à des enjeux économiques et non pas aux intérêts du patient. Selon Gagnon et al, la recherche semble trop « théorique », « intouchable », « éloignée des pratiques » (10). Outre la justification par la littérature scientifique en recherche infirmière, ces mêmes éléments nous ont été rapportés par l’ensemble des infirmiers qui ont participé à une formation sur l’outil que nous proposions. Le manque de compétences et d’autonomie des infirmiers dans la recherche renforcent cette incompréhension : la non-maîtrise de l’anglais, le manque d’aisance en informatique, le manque de techniques pour traiter un article scientifique constituent autant de freins pour les infirmiers qui souhaiteraient se familiariser avec la recherche (1). De même, le fait que certaines questions de recherche n’émanent pas d’une problématique de terrain peut justifier cette impression de décalage, de manque de liens entre le protocole de recherche et les pratiques courantes, ce qui n’était pourtant pas le cas de notre recherche. Enfin, les équipes priorisent le soin direct et ne voient pas toujours l’intérêt d’une nouvelle technique de soins qui demande une prise en charge plus ou moins longue dans le temps et lorsque les bénéfices, pourtant établis par la littérature scientifique, ne sont que peu compris par les équipes soignantes.

20Lors de ces temps d’échanges, nous avons aussi pu constater que peu d’infirmiers consultaient les revues cliniques infirmières. En effet, ils ne semblaient pas connaître le type de soins proposé par le protocole de recherche (remédiation cognitive), alors que la littérature infirmière du moment l’abordait régulièrement. Cela est probablement lié à un héritage culturel qui n’est pas orienté dans le sens de la recherche, mais qui est un savoir centré sur l’expérience et la transmission orale (1,3,5). On peut également souligner un manque de temps et de moyens à consacrer à cette dynamique (11).

Facilitateurs

21Cependant, deux éléments ont pu faciliter l’implication des infirmiers des équipes de soins sur le projet d’étude : la formation et l’accompagnement des professionnels dans les nouvelles techniques de soins portées dans le projet de recherche.

22Une formation en remédiation cognitive a été proposée à 10 infirmiers sans condition de secteur d’activités ou d’expériences. Cet enseignement a été conduit par la neuropsychologue et l’infirmier de recherche clinique responsables de l’étude. Il s’agissait d’un enseignement théorique et pratique sur les fondements de la neurocognition, des techniques de remédiation cognitive et de l’usage du logiciel RECOS utilisé sur le protocole. Une troisième journée animée sous forme d’analyse de la pratique était proposée aux infirmiers après une première période de prise en charge de personnes en soins. Tout au long de ces trois journées de formation, l’équipe de recherche sensibilisait les professionnels présents à la question de la recherche infirmière, sa place, sa conduite et ses difficultés. Ainsi, cette formation portait plusieurs objectifs au-delà de la montée en compétences des infirmiers : l’accès à de nouvelles techniques de soins et leur intégration dans les soins courants, la diffusion de nouvelles pratiques de soins dans les unités auprès des pairs infirmiers, mais également de l’équipe de soins dans sa globalité et de la personne en soins, la sensibilisation à la question de la recherche en soins infirmiers, l’implication des équipes soignantes, un décloisonnement des espaces soins et recherches permettant aux différents acteurs de s’exprimer et de confronter leurs regards pour aboutir à un consensus.

23L’accompagnement de ces mêmes infirmiers sous forme de tutorat a complété les enjeux de la formation. Il s’agissait de temps d’entretiens individuels ou groupaux soutenus par l’infirmier chercheur. Sous forme d’analyse de la pratique et d’études de cas, l’infirmier chercheur gardait un lien de qualité avec les personnes formées pour soutenir leurs pratiques dans le temps, notamment au sein de leurs unités où des problématiques humaines et matérielles pouvaient interférer. Cette permanence et cet espace neutre et bienveillant favorisait grandement la motivation des infirmiers dans le protocole.

Facteurs en lien avec l’organisation de la structure

Freins

24Lors de la recherche de partenariat, de nombreuses équipes se montraient indisponibles en expliquant « ne pas avoir le temps de faire de la recherche », d’être « préoccupées par d’autres problématiques que la recherche ». Par ailleurs, la recherche demande du personnel : en effet, l’ensemble des prises en charge de remédiation cognitive et les groupes d’éducation thérapeutique ne pouvaient être assurés seulement par l’infirmier investigateur. Il avait été prévu au moins 3500 heures de temps infirmier pour les assurer. Ainsi, plusieurs infirmiers ont été formés sur l’établissement aux différents outils du protocole. Cependant, peu d’infirmiers ont pu se libérer de leurs unités. En effet, les infirmiers ne parvenaient pas à participer à la recherche pour des raisons de planning. Les soignants mettaient également en avant le positionnement de leur cadre de santé, lorsque nous les confrontions aux difficultés auxquelles nous faisions face, évoquant ainsi un conflit de loyauté : les jours et heures de travail pour la recherche ne correspondaient pas à leur planning de services (repos, manque d’effectif dans le service, distance géographique…). Nous avons remarqué que ce manque d’implication dépendait aussi des conditions de travail et des ressources humaines. Le manque d’effectif dans les unités, les arrêts maladie, le turn-over dans les équipes (recherche et unité de soins), les accidents de travail suite à des passages à l’acte hétéro-agressif ou en cas de burn-out déstabilisent les équipes.

25Par ailleurs, des problématiques matérielles ont également entravé pendant plusieurs mois le bon déroulement de la recherche (absence d’ordinateurs, de locaux, de matériels, de logiciels…). Nous avons également eu des difficultés à mener à terme cette recherche en raison du manque de culture de la recherche clinique. En effet, l’établissement promeut la recherche à travers des conférences, des « journées de la recherche clinique », des comités scientifiques, mais ces derniers ne sont pas toujours accessibles aux infirmiers. L’organisation du travail infirmier en roulement afin d’assurer la continuité des soins peut limiter les possibilités de quitter leur unité et ainsi d’être sensibilisés à la recherche.

Facilitateurs

26L’un des facilitateurs est l’implication de la direction des soins dans sa disponibilité, son accessibilité et son engagement dans ce protocole de recherche infirmier. Cette aide précieuse a pu nous soutenir et nous représenter lors des présentations au sein du comité médical d’établissement et des conférences. Elle a retravaillé avec nous des questions méthodologiques et pratiques, et a légitimé nos actions auprès des différents services de soins et professionnels. C’est également la direction des soins qui a dégagé des ressources humaines et matérielles. Aussi, la création et la formation d’un poste d’infirmier attaché de recherche clinique a été mis à disposition de l’équipe de recherche par la direction, favorisant l’expansion et la montée en compétences des infirmiers dans ce domaine. La direction de l’établissement a également permis le bon déroulement de cette recherche par son investissement dans les formalités administratives inhérentes à sa bonne réalisation au cours des six années de son déroulement.

27La fédération recherche a également facilité la conduite de l’étude. Créé en 2011 sur le Centre hospitaliser, ce dispositif a pour objectif de rassembler, faciliter et accompagner des projets de recherche quels que soient leurs niveaux d’avancement, de la réflexion à la publication. La fédération a eu un rôle majeur dans la bonne conduite du PHRIP. Il s’agissait d’un lieu d’accueil offrant un espace et du matériel pour l’équipe de recherche. Il s’agissait également d’un lieu de rencontre pluridisciplinaire où des professionnels formés à la recherche clinique pouvaient apporter un soutien au PHRIP, tant sur un point clinique, organisationnel que juridique. Enfin, ce dispositif a facilité les liens avec la direction et les démarches près des différents acteurs de la recherche : le Comité de protection des personnes (CPP), la Commission nationale d’information et des libertés (CNIL).

Facteurs en lien avec la démarche recherche

28Les éléments de faisabilité de la recherche n’ont pas été suffisamment anticipés. La neurocognition abordée par le protocole de recherche n’est que peu, voire pas connue en formation initiale. La remédiation cognitive, et plus largement les fonctions cognitives, concepts centraux de notre protocole, sont encore mal connues par certains professionnels, ce qui a entraîné des réticences de la part des unités que nous contactions lors des phases de recrutement et d’inclusion. De plus, les prises en charge de remédiation cognitive prévues au protocole de recherche se réalisaient sur une période de 14 semaines, par un même soignant. Ces contraintes spécifiques au dispositif de recherche ont rencontré celles inhérentes à l’organisation des soins en hospitalisation à temps complet. Toutefois, nous avons pu remarquer que cela a été plus facile à réaliser au sein des hôpitaux de jour et des Centres d’activité thérapeutique à temps partiel (CATTP).

29Plusieurs compétences n’ont pas été anticipées lors du lancement du projet et ont fait défaut aux infirmiers durant son déroulement. Comme nous avons pu le citer plus haut, le manque de plusieurs compétences indispensables à la recherche clinique (informatique, anglais, lecture et analyse d’articles scientifiques) ont entravé la bonne conduite du projet, ralentissant voire paralysant l’activité à certains moments.

30Ce projet s’inscrit dans le cadre d’une recherche infirmière, mais l’inclusion des patients nécessitait un avis médical. Réglementairement, l’investigateur principal était un médecin. Dans ce cas, l’infirmier chercheur est nommé coordonnateur scientifique de son projet. Les patients ne pouvaient participer à l’étude sans l’accord de leur médecin psychiatre référent. Cette présence médicale à tous les niveaux du protocole a entravé la fluidité de la recherche sur le plan infirmier. A plusieurs reprises, malgré un accord préalable de la Commission médicale d’établissement (CME) de l’hôpital, nous avons été confrontés à des médecins rejetant l’idée qu’une recherche soit conduite par une équipe infirmière, bloquant ainsi les recrutements en refusant l’inclusion de patients aux profils pourtant compatibles. Aussi, l’équipe de recherche infirmière se voyait parfois paralysée pendant plusieurs mois, en raison de l’absence prolongée du médecin investigateur principal, seul responsable pour valider les inclusions et les actions de l’équipe de recherche. Il a fallu attendre plusieurs mois avant que des locaux et du matériel (ordinateur, téléphone, logiciel de remédiation cognitive) soient mis à disposition des infirmiers de recherche clinique.

Discussion

31Après avoir analysé les différents facteurs repérés lors de la conduite de notre recherche, nous pouvons proposer des axes de réflexion sur les enjeux à soutenir la recherche menée par les infirmières.

Des propositions portant sur l’élaboration des projets de recherche

Constitution de l’équipe de recherche

32Avant tout, lors de l’élaboration du projet de recherche, il semble nécessaire que la question de recherche soit actuelle et émerge de la pratique (12). Une recherche infirmière doit être élaborée et surtout menée par une équipe avant tout infirmière. En effet, tant que les infirmiers dépendront des médecins et de l’équipe d’encadrement pour réaliser une recherche, peu pourront être conduites à terme.

Communication

33La réunion de mise en place du projet de recherche est un espace d’informations et d’échanges crucial pour la réussite d’un projet de recherche. L’ouverture de cette réunion aux professionnels des unités de soin concernées et la poursuite par un programme de communication déployé dans les unités concernées permettrait d’encourager les échanges.

34Des supports d’informations présentant les points principaux de l’étude sont souvent mis à disposition des investigateurs de l’étude. La diffusion à l’ensemble des professionnels des unités de soins impliquées pourrait faciliter la cohésion de l’équipe autour de ce projet. L’implication de plusieurs investigateurs associés par unité de soin permettrait d’une part de faciliter l’information sur le projet et d’autre part pourrait les inciter à poursuivre cette dynamique en développant leur propre projet de recherche.

Gestion des ressources humaines et matérielles dédiées au projet

35Il conviendrait de penser un dispositif global de gestion des ressources humaines dans l’objectif de soutenir l’organisation de la recherche clinique. En ce qui concerne les difficultés matérielles, il convient de recommander davantage d’anticipation afin que l’ensemble des ressources soient disponibles au lancement de la recherche sur l’établissement et non lorsque la recherche débute, comme cela a été le cas dans notre étude. En effet, nous avions dû attendre plusieurs mois avant d’être équipé de façon à être efficients (ordinateurs et logiciel pour assurer les prises en charge, espace de travail, boite mail, espace de stockage et de partage numérique…).

36Nous avons également repéré qu’un certain nombre de freins étaient liés à « l’origine des patients en intra-hospitalier ». Ainsi, il serait donc intéressant de pouvoir penser à l’avenir un tel projet autour des structures de réhabilitation post-hospitalisation plutôt que d’orienter davantage sur l’intra-hospitalier comme cela était le cas dans notre protocole.

Les propositions pour développer et soutenir la recherche infirmière

Promouvoir la formation à la recherche

37Les formations dédiées à la recherche sont proposées par plusieurs organismes de formation continue. Faciliter les inscriptions pour les professionnels motivés et renforcer la formation à la recherche documentaire, le traitement d’articles scientifiques, mais également à la bureautique (Excel, base de données partagées…) pourraient être un réel levier pour les porteurs de projet. Certaines équipes sont demandeuses de séance de lecture critique d’articles scientifiques. Soutenir ces initiatives permet de former les professionnels et d’autre part d’améliorer la qualité des soins par l’appropriation des données scientifiques. Ainsi, nos infirmiers ont permis à ce PHRIP de se maintenir dans le temps à force de persévérance malgré les différents obstacles cités auparavant. Leurs connaissances de la recherche (de par leurs formations) et du système hospitalier (ils étaient à la fois en poste dans un service de l’institution et à la fois sur la Fédération Recherche de l’hôpital) ont permis à ce projet d’être mené à terme. La recherche devra être abordée de façon attractive et interactive pour sensibiliser le plus grand nombre de professionnels. Il semble alors intéressant de vulgariser, de démystifier les savoirs scientifiques qui peuvent parfois paraître inaccessibles (12).

S’appuyer sur des infirmiers chercheurs

38Des coordonnateurs paramédicaux de la recherche en soins, ayant suivi un cursus académique, sont présents dans la plupart des Centres hospitaliers universitaires français (13,14). Leurs missions sont assez semblables d’un établissement à l’autre : accompagner les porteurs de projet en les guidant dans l’élaboration de leur recherche, faciliter la mise en lien avec les métiers support de la recherche clinique, organiser la mise en place d’un plan de formation dédié à la recherche paramédicale, soutenir une dynamique de recherche pour les professionnels paramédicaux en animant des groupes de travail, en organisant des colloques, en faisant le lien entre les directions recherche et la Coordination générale des soins. L’enjeu est certes d’améliorer la qualité des soins et d’innover dans les soins, mais c’est aussi un vecteur de dynamisme pour les professionnels.

39La mise en place des Groupements hospitaliers de territoire est une opportunité pour favoriser la mutualisation des compétences et l’ouverture des dispositifs de soutien à l’ensemble des établissements de soin du territoire. L’enjeu est aussi de faire se rencontrer les professionnels motivés pour éviter l’isolement.

Conclusion

40En somme, l’expérience de cette recherche financée par le PHRIP vient mettre en exergue différents facteurs contribuant ou non à sa professionnalisation et sa structuration en sciences infirmières dans le contexte français. Cette expérience de recherche vient confirmer différents éléments de la littérature explorée, dont des freins propres à l’infirmier, son héritage, sa culture et ses traditions professionnelles, les difficultés liées à l’organisation et la structuration, les conditions de travail de l’infirmier, les moyens humains et matériels. Toutefois, malgré ces difficultés, cette expérience de recherche a permis d’engendrer de nombreux bénéfices auprès de la profession d’infirmier au sein de l’établissement. L’investissement de divers infirmiers, grâce à une culture de la recherche et une curiosité intellectuelle, a permis le rayonnement de la recherche auprès d’autres infirmiers de l’établissement et de développer de nouveaux projets de recherche, incluant d’autres professions médicales et paramédicales. La réalisation de ce protocole a permis à l’équipe de la fédération recherche de développer de nouvelles compétences (méthodologiques, organisationnelles, de coordination, de communication) favorisant l’émergence et la conduite d’autres projets. A travers ce retour d’expérience, d’autres infirmiers pourront s’inspirer des écueils et des leviers rencontrés et initier un travail de recherche, pour objectiver des pratiques de soins et développer les sciences infirmières. C’est également une expérience dans laquelle d’autres équipes de recherche pourront se reconnaître et se sentir encouragées à continuer leurs démarches. Il est donc nécessaire de poursuivre l’essor de la recherche infirmière pour impliquer toujours plus d’infirmiers et développer les sciences infirmières en France, en palliant les différentes barrières qui ont été mises en avant et en incitant les jeunes générations à s’inscrire davantage dans une démarche scientifique.

Conflits d’intérêts

41Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêts.

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : qualité de vie, soins infirmiers, éducation thérapeutique du patient, schizophrénie, remédiation cognitive

Mise en ligne 10/06/2020

https://doi.org/10.3917/rsi.140.0069

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