Notes
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[1]
Voir Christian Chevandier, Un corps intermédiaire dans la formation professionnelle. Le comité d’entente des écoles d’infirmières (1949-2019), à paraître.
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[2]
Compte-rendu de la réunion des adhérentes de l’ANIDEF, 1er mars 1949.
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[3]
L’évolution est perceptible si l’on met en perspective les œuvres de Guy de Maupassant, Gustave Flaubert, Marcel Proust, Louis-Ferdinand Céline et Michel Houellebecq.
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[4]
Outre un ouvrage à paraître - voir note 1-, le lecteur trouvera aussi les références de certains de mes articles ou contributions à des ouvrages collectifs.
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[5]
Petit Larousse illustré, Larousse élémentaire puis Nouveau Larousse élémentaire.
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[6]
Je n’aborderai pas ici la question de savoir si le travail de l’infirmière relève du métier ou de la profession. Cette distinction, pertinente sous la plume (traduite) d’Everett C. Hughes (dont les travaux sont mis à profit dans le présent article), pose problème à l’historien francophone (pour lequel le mot « métier » évoque évidemment les corporations d’Ancien Régime) lorsqu’il s’agit comme ici d’établir une mise en perspective. Dès lors, les deux mots seront utilisés presque comme synonymes.
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[7]
Notamment “Studying the Nurse’s Work”, American journal of Nursing, n° 5, 1951, p.294-5, dont la traduction en français est parue presque un demi-siècle plus tard, « Pour étudier le travail d’infirmière » (texte de 1961), (13, p.69-73).
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[8]
Ces catégories (CSP puis CPS) ne doivent pas être confondues avec les domaines d’activité définis une quinzaine d’années auparavant, et répartis en trois secteurs sur la base de l’activité de l’employeur : primaire (productif sans transformation du produit), secondaire, (productif avec transformation) et tertiaire (non productif appelé plus tard « de service »). Dès lors, l’infirmière d’une usine métallurgique se trouve dans le secteur secondaire tandis que l’électricien d’un établissement hospitalier est dans le secteur tertiaire.
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[9]
« Projet d’une formation d’infirmières de première ligne » publié à nouveau dans les Cahiers de l’Herne, « Simone Weil », 2014, p.273-277.
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[10]
Pour établir une approche comparative avec deux groupes nationaux d’outre-Atlantique : (28, 29).
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[11]
Dans les 35 années qui ont suivi la guerre, les effectifs ont été multipliés par 5,3 ; sources : Insee et Service des statistiques et étude du ministère concerné.
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[12]
Anne-Marie Metzenthin (présidente du Comité d’entente des écoles d’infirmières et des écoles de cadres), éditorial du numéro de janvier, L’Infirmière enseignante, n° 1, janvier 1981.
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[13]
Qui est un dilemme constant depuis la Révolution française (34) jusqu’à l’hospitalisation à domicile (35).
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[14]
Notamment le chapitre I, « Une appelation contreversée », p.7-24.
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[15]
En 2000, 91 % des assistants de service social étaient des femmes.
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[16]
Avec notamment l’édit de 1656, mais aussi les mesures prises en Provence lors de la peste des années 1720.
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[17]
Rapport de la direction du Budget à propos du budget du ministère de la Santé publique, 1946, p.298 (Archives économiques et financières de la France, Carton B33355).
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[18]
La responsabilité des asiles d’aliénés (devenu hôpitaux psychiatriques puis centre hospitaliers spécialisés) revenait et revient aux départements.
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[19]
Notamment les 4ème, 5ème et 6ème parties, p.155-424 ; il s’agit d’une thèse de droit, soutenue en 1957 et actualisée pour les quatre décennies suivantes.
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[20]
Doublement, puisque docteur ès-Lettres et docteur en médecine.
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[21]
Témoignage de Colette Vanier, L’infirmière enseignante, n° 20/1, janvier 1990.
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[22]
Donc très qualifié pour connaître les processus et enjeux de la qualification.
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[23]
Voir dans ce numéro la contribution de Michel Poisson ainsi que sa thèse (53).
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[24]
André Philip, « Des troubles étudiants et des troubles sociaux », allocution au Centre de développement de l’OCDE, 20 mai 1968.
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[25]
Voir ainsi le projet de réforme que des élèves infirmières de la région parisienne ont élaboré dans des groupes de travail, La Revue de l’infirmière et de l’assistante sociale, 1968, n°8, p.843-844. Pour l’intérêt manifesté par les professionnels, voir les périodiques syndicaux d’alors, notamment le numéro 52 du mensuel féminin de la CGT Antoinette (« Spécial grève », juin 1968) et le n° 142 de l’hebdomadaire de la Fédération CFDT Santé-Sociaux, Pages syndicales (juin 1968).
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[26]
La qualification fondatrice du métier exclut donc les mémoires d’infirmières amatrices du temps de la Grande Guerre, venant de milieux où l’écriture de soi était un exercice habituel des jeunes filles.
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[27]
Si l’ouvrage d’Anne-Marie Arborio n’était pas encore paru, la thèse dont il est tiré avait été soutenue et « basses besognes » est une autre traduction de dirty work.
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[28]
« Même s’il parvient à la cacher, l’anxiété est grande. Le malade, quinquagénaire, est paralysé à la suite d’une fracture de la colonne vertébrale, et des broches externes maintiennent ses membres inférieurs du bassin à la jambe. Et lui est là, habillé en blanc, avec une bassine d’eau tiède, un gant, du savon, sans la moindre formation, sans savoir précisément ce qu’il doit faire. (9, p.338) ».
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[29]
Grade créé dans l’entre-deux-guerres aux Hospices civils de Lyon pour assister les infirmières diplômées, en porte-à-faux depuis la création du grade d’aide-soignant, mais qui a survécu un demi-siècle pour n’être mis en extinction qu’au début des années 1980. Sur l’histoire de ce groupe et de l’impossible multiplication des niveaux de qualification, voir « Ailleurs, d’autres choix (9, p.257-286) ».
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[30]
L’encadrement technique étant assuré par les médecins, comme à l’usine l’ingénieur assure l’encadrement technique du technicien.
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[31]
Une sous-profession serait caractérisée par l’usage de savoirs forgés ou théorisés dans le cadre d’une autre profession. Soulignons à cette occasion qu’il n’existe pas de métier n’utilisant pas des savoirs exogènes.
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[32]
Philippe Marchand, « Le journal de 13 heures », Antenne 2, 18 octobre 1991.
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[33]
Notons que le phénomène, d’une moindre ampleur, est observé chez les enseignants du primaire. Selon les auteurs, c’est parmi les couches moyennes de niveau bac + 2 ou 3 que la réticence est la plus forte, ce qui correspond aux infirmières, mais le fait qu’elles soient en contact avec des patients fragiles dont l’on peut penser qu’elles sont conscientes de les mettre en danger peut faire envisager l’hypothèse d’un déni mettant à distance le savoir médical.
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[34]
En 1922, l’année de l’instauration du brevet de capacité professionnelle, le Petit Larousse illustré ne mentionnait pas le mot nurse sauf pour la définition de nursery : « (de nurse, nourrice) ».
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[35]
Notons à ce propos que le choix du syntagme comprenant l’adjectif invalide quelque peu l’article terminologique de Marie-Françoise Collière et Évelyne Diébolt (70) alors que c’est bien l’ordre des médecins qui a été mis en place par la loi du 7 octobre 1940 dans le cadre de la politique corporatiste de Vichy.
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[36]
Notons la mention des « autres soignants » (75), qui construit implicitement un groupe social des soignants.
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[37]
Les étudiants hospitaliers sont encore, soixante ans après la disparition de l’externat donc alors qu’aucun ancien externe n’est encore en activité dans les structures hospitalières, communément nommés « externes ». Tout comme la persistance de l’appellation « élève infirmière » plus d’un quart de siècle après son obsolescence, l’inertie de la terminologie usitée dans le cadre des formations de professionnels de santé doit interroger.
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[38]
Y compris dans l’intitulé de la collection Blanche des éditions Harlequin (« Leur mission : sauver des vies. Leur destin : trouver l’amour »).
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[39]
Voir l’étude d’un cas dans un grand CHU de province (10, p.280-281).
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[40]
Le journal du comité inter-écoles des élèves infirmières de l’agglomération lyonnaise. s’intitulait « Mettons les voiles » à la fin des années 1970, dans la continuité des journaux des comités d’action lycéens de cette décennie.
-
[41]
J’ai pendant une vingtaine d’années suggéré en vain une recherche en maîtrise puis en master, voire une thèse sur la question à des étudiants (et des étudiantes) en histoire.
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[42]
Elle a également mis au point un outil pour quantifier le phénomène : Maslach Burnout Inventory’s.
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[43]
Michel Poisson souligne également le caractère ambivalent de l’expression : « Urgent, rôle propre cherche pensée, même impure », Soins n° 645, mai 2000, p.56-61.
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[44]
Il est prévu dans le cadre du plan gouvernemental « Ma santé 2022 » que « des ordonnances gouvernementales définissent les conditions d’une « re-certification » régulière des médecins, infirmiers et encore pharmaciens, pour vérifier que leurs compétences sont à jour », Le Figaro, 16 juillet 2019.
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[45]
Le terme « institut » ne vint qu’un peu plus tard.
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[46]
Sur l’histoire de l’éducation, voir les ouvrages d’Antoine Prost, notamment (98, 99).
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[47]
Et qui pouvaient avoir des origines sociales très proches de celles des soignantes non qualifiées. Voir pour la première moitié du XIXème siècle le cas des « sœurs croisées » des Hospices civils de Lyon, (100, avec des données quantitatives p.158).
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[48]
La question des sœurs hospitalières et de leurs compétences de soignante a été abordée par plusieurs historiens (101-103).
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[49]
L. Sabattier, L’Illustration, 7 octobre 1916.
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[50]
Loi du 22 février 1851 sur le contrat d’apprentissage (108, p.369-382).
Introduction : flou milieu de siècle
1En 1946, après avoir beaucoup remanié le texte, Albert Camus déposait chez Gallimard le manuscrit de « La Peste ». Il y est question d’un groupement de nombreux infirmiers bénévoles, d’« un infirmier masqué de blanc » qui fournit des fiches pour compter les morts, d’infirmiers et de fossoyeurs, « d’abord officiels, puis improvisés », qui meurent de la maladie, ainsi que de deux infirmières qui tiennent un malade pendant que le médecin lui incise les bubons. Le mot qualification est aussi employé : « Il semblait avoir été mis au monde pour exercer les fonctions discrètes, mais indispensables d’auxiliaire municipal temporaire à soixante-deux francs trente par jour. C’était en effet la mention qu’il disait faire figurer sur les feuilles d’emploi, à la suite du mot « qualification ». […] Vingt-deux ans auparavant, à la sortie d’une licence que, faute d’argent, il ne pouvait dépasser, il avait accepté cet emploi. » Dans le roman, le mot « qualification » est plus ou moins synonyme d’occupation professionnelle ou d’emploi, ce que dans les listes nominatives du recensement effectué cette année-là l’on notait dans une colonne spécifique intitulée « profession ». Quant aux tâches décrites par Camus des infirmières et infirmiers, elles ne nécessitent pas la moindre qualification. Pourtant, le mot, qui un siècle plus tôt désignait (au masculin et au féminin) des travailleurs hospitaliers sans qualification, était en cette après-guerre employé, généralement au féminin, pour désigner du personnel titulaire d’un diplôme d’État obtenu après deux années d’études. Mieux, une loi votée au mois d’avril de cette année 1946 achevait la régulation de l’entrée dans le corps professionnel en rendant nécessaire d’avoir obtenu un diplôme d’État pour exercer en milieu hospitalier. Bref, sous la plume de l’écrivain, comme dans la plus grande partie de la société, l’incertitude régnait aussi bien pour savoir ce qu’était une infirmière (les hommes infirmiers se faisant plus rares, plus illégitimes) que pour désigner précisément une qualification à un moment où les services statistiques travaillaient pour des définitions plus précises. Avant la fin de la décennie, le grade d’aide-soignant était créé au niveau national, assurant plus encore l’identité du grade immédiatement supérieur. La même année, l’Association nationale des infirmières diplômées de l’État français (Anidef) impulsait la mise en place du Comité d’entente des écoles d’infirmières hospitalières françaises et de l’Union française (CEEI) [1] « se spécialisant sur le plan formation professionnelle » pour, « ainsi qu’il ressort de ses statuts, […] établir entre les représentantes des écoles un lien d’étude et […] rechercher les moyens propres à perfectionner l’enseignement professionnel des élèves infirmières » [2].
2Tout comme l’historien Gilles Vergnon suggère un « apparentement difficile » entre le concept d’identité et la science historique (1), soulignons semblable embarras entre qualification et histoire. L’historien, comme l’ethnologue, ne travaille pas sur le passé, mais sur des présents successifs et une qualification s’apprécie à un moment donné, car c’est bien le risque d’anachronisme, amplifié par l’ignorance des évolutions sémantiques, que peut faire courir la légitime volonté de l’appréhender sur un temps long. Dès lors, obligation est faite de prendre sans cesse en compte des contextes de natures et de compositions différentes, mais n’est-ce pas le lot commun de toute démarche d’histoire, cette « science du changement » pour reprendre la définition de Marc Bloch voulant rompre avec « les vieux analystes [qui] racontaient, pêle-mêle, des événements dont le seul lien était de s’être produit vers le même moment (2, p.81-2) » ? Insistons : les pistes ici suggérées devraient être empruntées sans hésiter à avoir recours aux différentes intellections que permet la science historique (3). Pour ne citer que les historiens, mais l’on trouvera infra mention de nombre de chercheurs d’autres disciplines, tout aussi féconds, c’est sans aucun doute des approches éprouvées de Michel de Certeau, Alain Corbin, Pascal Ory, William H. Sewell, Edward P. Thompson, Michel Vovelle et Eugen Weber que des outils pourraient être dans ce domaine novateurs et fort profitables. Les représentations, les images (dessins, tableaux, et surtout photographies) et particulièrement la littérature [3], devraient également être mises à contribution pour comprendre comment la perception du public a pu construire la profession d’infirmière, en une singulière alchimie où l’identité est constitutive. Les autobiographies de patients (4-6) ont depuis les années 1930 mis en évidence, en les situant en perspective, la médicalisation de l’hôpital et la constitution des équipes de soin. Les travaux des philosophes, ceux de Michel Foucault bien sûr (ou pourquoi pas ?), mais notamment l’étude d’épistémologie médicale de Georges Canguilhem qui permet de cerner les interventions des acteurs dans le rapport à la norme (7), doivent être interrogés pour ce que, en leur temps, ils disaient des infirmières (et plus généralement du niveau de qualification dans le secteur sanitaire).
3L’usage un peu trop courant d’expressions de type « de tout temps », complètement anhistoriques et intellectuellement stérilisantes, a marqué une certaine approche de l’histoire des infirmières. Mais c’est bien une chronologie précise qu’il convient de dégager sommairement pour pouvoir mettre en évidence le processus en discernant comment le concept de qualification peut permettre de comprendre l’histoire du métier d’infirmière (dans la première partie), en étudiant les différents acteurs, au premier rang desquels le groupe social est par définition conscient d’avoir une identité (dans la deuxième partie), puis les enjeux, mais aussi les obstacles d’une dynamique indispensable au secteur de la santé, donc à la population (troisième partie). Le lecteur n’en voudra pas à l’auteur de ce texte, dont les recherches menées sur différents secteurs et groupes professionnels tournent autour des questions de l’identité professionnelle et de la qualification, de citer, afin de proposer des champs et des problématiques, ses propres travaux, notamment quatre ouvrages, consacrés au personnel hospitalier et plus précisément aux infirmières (8-10) [4].
Un concept face au métier
La définition d’un concept
4Dans les années 1920 et 1935, les dictionnaires Larousse les plus répandus [5] donnaient comme définition du mot « infirmier, ère » : « Qui soigne les malades à l’infirmerie, à l’hôpital. » Elle demeure sans grande modification, même trois décennies après la loi de 1946, au moment où le Petit Robert, plus complet, plus rigoureux, insiste sur la subordination et donne des éléments plaçant sur un temps long a-qualifiant (une première occurrence remonte à 1398 et la citation de Zola se situe dans le contexte militaire - donc masculin - de « La Débâcle ») tandis qu’il fait mention de la dimension professionnelle : « Personne, qui, par profession, soigne des malades ou s’en occupe, sous la direction des médecins ou en appliquant leurs prescriptions. » Concept malaisé à cerner, la qualification professionnelle, outil désormais de gestion de la force de travail, caractérisait sans nul doute un métier [6] qui se confirmait comme nécessitant un bon niveau de connaissances théoriques et pratiques, à un moment où la santé publique était devenue une préoccupation de premier plan que la création de la Sécurité sociale prenait en compte.
5La professionnalisation du métier d’infirmière s’est précipitée (dans tous les sens du terme) dans cette après-guerre et c’est dans ces années-là que nous allons chercher la définition du mot « qualification » sous la plume de René Villemer, qui depuis plus d’une décennie travaillait sur la question de l’organisation du travail et des rémunérations : « qualité attachée à un travailleur, en raison de sa formation empirique ou méthodique » (11, p.124). C’est également dans la décennie qui suit la Libération que le sociologue Pierre Naville réfléchit à la question pour en tirer un ouvrage qui, plus d’un demi-siècle plus tard, demeure fondamental et souligné le caractère prévalant de la durée de la formation (initiale avant tout) (12). Pour l’historien, ce critère est relatif et doit inclure le niveau de l’apprenti au début de sa formation alors que le contexte général de l’élévation du niveau scolaire d’une génération peut alimenter, mais aussi limiter le processus de qualification d’une profession. Pierre Naville insiste sur les difficultés qui se présentent lorsque l’on tente de donner une définition précise de la qualification ; le lecteur du présent article se rendra compte que l’embarras a perduré. Les travaux menés dès cette époque par Everett C. Hughes sont essentiels pour étudier le travail d’infirmière, et ils doivent être lus en se souvenant que le principal d’entre eux s’adressait précisément à un public d’infirmières [7]. Mais d’autres sociologues mettant en œuvre des paradigmes d’action individuelle ou collective, influencés par l’interactionnisme de la seconde école de Chicago, ont approfondi l’étude du métier d’infirmière (14). Rappelons enfin que les études des chercheurs en sciences sociales permettent de comprendre à quel point le glissement des tâches mais aussi un certain brouillage des qualifications établissent des éléments constitutifs de l’exercice hospitalier et, plus largement, du travail dans le secteur de la santé. Il faut notamment citer, outre Christophe Dejours, Yves Clot (15, p.102-108) et la passionnante expérience d’observation participante menée à la fin du XXème siècle par le sociologue Jean Peneff dans un service d’urgence (16,17).
6Économistes et sociologues du travail s’accordent avec les historiens pour souligner la proximité des phénomènes de qualification et des démarches de classification, le tout dans une perspective de gestion de la main-d’œuvre et d’accords passés entre employeurs et salariés avec en toile de fond l’intervention de l’État (18). Lors de la guerre de 1914-1918 des grilles de qualification furent établies dans les secteurs des transports et de l’industrie de guerre puis, dès 1919, mais surtout après les grèves du Front populaire, les conventions collectives de branche rendaient nécessaires de définir avec précision les métiers afin d’encadrer les contrats de travail. Du fait des secteurs dans lesquels elles exerçaient lors des premières décennies du siècle, les infirmières n’étaient pas concernées par ces dispositions et échappaient donc à des tentatives de taxinomie relevant surtout du domaine de la législation. La nécessité de classification s’amplifia après la Libération, avec la création de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) qui, pour le recensement de 1954, mit au point une grille précise des catégories socioprofessionnelles qui concernait l’ensemble de la population active. Elle fut revue pour devenir la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles à l’occasion du recensement de 1982 (19, p.153-162). Six groupes professionnels étaient subdivisés en 32 catégories socioprofessionnelles rassemblant plusieurs centaines de professions [8]. Les différentes nomenclatures ont fait l’objet de publications de l’Insee, le « Dictionnaire des métiers et appellations d’emploi » (1955) puis le « Guide des catégories socio-professionnelles » (nomenclature PCS) (1983). C’est pour le recensement de 1962 que l’Insee a créé la catégorie socioprofessionnelle n° 42, « services médicaux et sociaux », dans le groupe des cadres moyens. Les infirmières constituaient les gros bataillons de cette catégorie rendue nécessaire par la singulière et durable croissance de ce groupe social. Elle devint pour la nomenclature de 1982 « Professions intermédiaires de la santé et du travail social » (tout en demeurant le n° 42).
L’histoire d’un métier
7L’histoire des infirmières ne s’est véritablement développée que depuis les années 1980, avec l’ouvrage dirigé par Yvonne Knibiehler (20) et la thèse de Véronique Leroux-Hugon (21). Il est donc possible aujourd’hui de préciser que ce n’est que dans la deuxième moitié du XIXème siècle que l’on peut situer les premiers pas d’un personnel soignant perçu comme un groupe de travailleurs. Ignoré par les confréries de compagnons, l’on n’en trouve nulle trace parmi les groupes sociaux des métiers d’Ancien Régime (22,23), même au temps des corporations tandis que les précurseurs d’une sociologie des groupes professionnels, Louis René Villermé puis Frédéric Le Play, ne l’évoquaient point dans leurs monographies. Certes, les hôpitaux existaient, et des travailleurs sans qualification des deux sexes (dénommés selon les établissements : servants et servantes, infirmiers et infirmières, etc.) ainsi que des religieuses s’occupaient avec plus ou moins de bienveillance et d’efficacité des personnes qui y étaient accueillies. À partir des débuts de la Troisième République, un intérêt plus fort pour ces travailleurs a modifié leur statut, d’autant que les progrès de la médecine et un meilleur accueil réservé aux « administrés » (terme utilisé pour désigner les personnes hospitalisées) nécessitaient un personnel plus compétent (24). De premières formations furent dispensées à leur intention dès les années 1870, puis améliorées au début du siècle suivant. Deux dispositions légales, un décret en juin 1922 puis une loi en avril 1946, ont précisé les conditions et modalités d’exercice de la profession. Il n’en demeure pas moins significatif que lorsque Simone Weil, dont les écrits sur le travail (notamment sur ce que signifie une qualification) sont parmi les plus forts du XXème siècle, propose à plusieurs reprises au début des années 1940 une formation d’infirmières volontaires « pour faire du « first aid » en pleine bataille (25, p.187-195) [9] », c’est le sacrifice qui lui semble essentiel, bien plus que l’efficacité des soins, un peu comme si, somme toute, les caractéristiques de ce qui est en train de devenir un métier s’effaçaient devant le don de soi, exacerbant le modèle des dames infirmières de la Grande Guerre.
8Les dates de rédaction des textes de 1922 et 1946 permettent de souligner l’importance des guerres dans la professionnalisation des infirmières, somme toute dans la logique des effets de la bataille de Solferino et de la guerre de Crimée qui furent à l’origine de la création de la Croix-Rouge et de l’action de Florence Nightingale (26). Si une confusion a souvent été établie entre les volontaires sans qualification venant des milieux aisés (et dont l’action a été popularisée du fait de leur origine) et les infirmières ayant suivi une formation professionnelle de qualité, la Grande Guerre a permis de reconnaître la valeur de l’apprentissage et de prendre conscience de la nécessité de disposer d’un tel personnel (27) [10]. La Seconde Guerre mondiale a eu de moindres effets puisque ce qui a été fait à ce moment s’inscrit, plus encore que pour la précédente, dans la logique de décisions préparées dès l’avant-guerre. Notons que la fin de la guerre d’Algérie, avec l’arrivée en métropole d’un personnel soignant aux statuts souvent divers, a nécessité une certaine clarification sur laquelle s’est appuyée la politique de reclassement prévue notamment par l’ordonnance du 9 juin 1962 (30). Parmi les effets des guerres, les fluctuations du marché du travail sont loin d’être négligeables, et une étude (pouvant associer économistes, statisticiens et historiens) mettant en relation de manière approfondie l’évolution des besoins de main-d’œuvre qualifiée et celle du métier d’infirmière serait bienvenue. Après les deux conflits mondiaux, avec des parts relatives spécifiques, le déficit démographique, un déséquilibre entre les effectifs par sexe des classes d’âge, les nécessités de la reconstruction ont rendu moins attractif un travail dans les services de soins mal rémunéré et entraîné une relative fuite du personnel, notamment masculin, pouvant trouver des places plus attrayantes dans d’autres secteurs.
9Le grand moment de l’histoire de la profession d’infirmière s’est ensuite situé lors des premières décennies de la Cinquième République, tout autant par l’amélioration du vivier d’élèves et de la qualité de la formation que par un accroissement sans précédent du nombre de ses diplômées en exercice, notamment dans les hôpitaux : si les effectifs hospitaliers publics ont augmenté de 84.000 dans les quinze années qui ont suivi la Libération, leur croissance fut de 324.000 les quinze années suivantes [11]. Puis, au cours des décennies 1970 et 1980, les infirmières se sont substituées aux ouvriers comme archétype du militant de l’hôpital (31,32), concourant à féminiser le secteur hospitalier, mais aussi à accorder aux syndicalistes un statut informel de professionnels spécifiques : un délégué du personnel qui intervenait en Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) avait une légitimité d’une autre nature selon son métier, infirmière ou jardinier. Enfin, la longue crise économique et sociale de la fin du siècle n’a que tardivement des répercussions dans le milieu des infirmières, après des inquiétudes suscitées par la politique d’austérité du gouvernement : « perspective de chômage pour les nouveaux diplômés de 1980, peu de postes de surveillants pour les nouveaux cadres de juin, diminution des effectifs pour la rentrée de septembre, incertitude sur le budget des écoles » [12].
10La qualification se définit par un niveau, mais aussi par un domaine. Le décret de 1922 a créé un brevet de capacité des infirmières hospitalières, mais aussi pour les visiteuses d’hygiène sociale et certaines infirmières exerçant dans des contextes spécifiques (hygiène mentale, petite enfance, système scolaire). Dix ans plus tard, en janvier 1932, un décret a institué un diplôme d’assistante sociale, regroupant ainsi les infirmières visiteuses avec les surintendantes d’usine dont la mission datait de la Grande Guerre, lorsqu’elles furent appelées à prendre en charge les ouvrières des usines de guerre, sans s’interrompre lorsque survint la paix (33). C’est le décret du 18 février 1938 qui, autant que l’intervention à domicile ou en établissement [13], distinguait l’action sociale de l’action sanitaire, a institué deux diplômes distincts, celui d’infirmière hospitalière, après deux ans d’études, et celui d’assistante sociale à l’issue de trois années. Un troisième texte, en 1951, à un moment où les infirmières avaient vu la leur définitivement solidifiée par la loi d’avril 1946 (et pendant qu’était organiser l’État social), a achevé la fondation de la profession d’assistante sociale (36,37 [14]). De cette proximité, ne restent plus, quelques décennies plus tard, qu’un semblable niveau de qualification, une forte féminisation [15] et peut-être aussi le fait que la formation d’assistante sociale est dispensée dans des instituts régionaux de formation sanitaire et sociale dont certains, notamment ceux qui dépendant de la Croix-Rouge française, cohabitent encore avec des Instituts de formation en soins infirmiers (IFSI).
Des acteurs dont le groupe social
L’État
11Dans l’avant-propos à l’édition de 1988, son auteur, Nadine Wehrlin, explique : « Dès la première édition de La Profession d’infirmière en France, l’objectif a été de remédier à la méconnaissance quasi-générale de la réglementation concernant les infirmières. Il faut dire qu’il n’est pas facile de se repérer dans le maquis des lois, de leurs décrets d’application et des arrêtés qui en découlent. (38, p.IX) » Elle insiste sur la législation, à raison car les deux moments emblématiques de la qualification des infirmières sont deux textes législatifs, deux étapes dont l’on pourrait estimer que la seconde clôt le processus de qualification. Le décret du 27 juin 1922 crée des brevets de capacité professionnelle permettant de porter le titre d’infirmière diplômée d’État ; puis l’article 4 de la loi n° 46-630 du 8 avril 1946 relative à l’exercice des professions d’assistantes ou d’auxiliaires de service social et d’infirmières ou d’infirmiers indique : « Est considérée comme exerçant la profession d’infirmier ou d’infirmière toute personne qui donne habituellement, soit à domicile, soit dans des services publics ou privés d’hospitalisation ou de consultation, des soins prescrits ou conseillés par un médecin. » Moins décisifs, d’autres textes comme le décret 92-264 du 23 mars 1992 « relatif au programme des études conduisant au diplôme d’État d’infirmier » jalonnent l’histoire de la profession.
12Si les autorités centrales ont, au moins depuis le XVIIème siècle [16], manifesté un intérêt pour la santé de la population, le XXème siècle a connu une modification radicale de l’investissement de l’État dans la gestion des affaires de santé publique. Il n’est que de constater la différence d’effets politiques entre la canicule de 1911 (avec un surcroît de mortalité de 41.000 personnes) et celle de 2003 (surcroît de mortalité de 15.000 personnes pour une population totale qui a cru de plus de moitié) pour se rendre compte que les problèmes se posent en d’autres termes. Mais l’intérêt pour la question du métier et de la qualification du personnel de santé remonte à la fin de la période moderne. Pour les médecins, ce fut très tôt après l’échec de la libéralisation au début de la Révolution que l’État remit en place, dès 1793, des modalités pour recruter - à défaut de former - des officiers de santé puis, dix ans plus tard, pour mettre en place dans le cadre des facultés une formation pour les docteurs en médecine. Les officiers de santé, « créés comme palliatif » précisait la loi qui instituait le nouveau diplôme d’État de docteur en médecine, devaient valider devant un jury leur acquis professionnel tandis que leur exercice demeura longtemps attaché à un département spécifique (39). La suppression des officiers de santé par la loi Chevandier de 1892 correspondait à la volonté de l’État d’une meilleure formation pour les praticiens voire, comme le permirent des dispositions en usage avant la Grande Guerre, d’une qualification plus spécialisée (40-42). Sans doute serait-il pertinent de mettre en rapport la disparition de ces officiers de santé, personnels médicaux moins qualifiés que les docteurs, et les débuts dans le même temps d’une dynamique de professionnalisation du personnel paramédical.
13En prenant une part décisive dans le financement de la formation et dans la rémunération de la plupart des infirmières (aussi bien les libérales, qui doivent leurs revenus aux remboursements par divers organismes des frais de leurs patients, que les hospitalières publiques, dont les traitements sont déterminés selon des règles fixées par les pouvoirs publics), la part de l’État dans l’histoire du groupe professionnel se hisse à une autre dimension avec la création, au lendemain de la Libération, de la Sécurité sociale, qui fut renforcée une vingtaine d’années plus tard par les ordonnances d’août 1967 associant les pouvoirs publics à la gestion jusqu’alors paritaire de la Sécurité sociale.. Les textes statutaires concernant les fonctionnaires, particulièrement avec le Livre IX de la Santé publique portant en 1955 statut national du personnel hospitalier puis le titre IV de la Fonction publique mettant en place un nouveau statut pour les travailleurs de l’hôpital en 1986, sont également significatifs de ce rôle. Rappelons enfin que, par ses organismes publics et en suscitant, soutenant et promouvant la réflexion de chercheurs en sciences sociales ou juridiques, l’État participe au processus de qualification des infirmières. Sans même évoquer les historiens, comme Olivier Faure ou Isabelle von Bueltzingsloewen, dont les travaux sur le personnel de santé en ont permis la mise en perspective, nombre des auteurs mis ici à contribution ont pu travailler grâce à un poste financé par des fonds publics. Pour ne citer qu’un exemple, prenons celui de la sociologue Françoise Acker qui a mené ses premières recherches dans le département « Qualifications du travail » du Centre d’études et de recherches sur les qualifications, sur le travail et la formation des professions de santé. Bénéficiant donc d’éléments de comparaison que ne permettrait pas une approche qui serait uniquement monographique, ses analyses sont particulièrement fécondes au regard de la problématique du présent article.
14Différents ministères ont été les acteurs du processus de qualification des infirmières. Ce fut largement le cas du ministère de l’Intérieur, principal gestionnaire de la santé publique jusqu’à la création pendant la Grande Guerre d’un sous-secrétariat d’État au Service de santé militaire, puis en janvier 1920 du ministère de l’Hygiène, de l’Assistance et de la Prévoyance sociale et enfin en mars 1930 d’un ministère de la Santé. En 1922, c’était le ministre de l’Hygiène, de l’Assistance et de la Prévoyance sociale qui délivrait le brevet de capacité, et trois ans plus tard un bureau central des infirmières était organisé en son sein, dirigé pendant onze ans (tandis que se déroulaient les changements d’intitulé, d’affectation et de titulaire du ministère) par une ancienne surintendante d’usine, Juliette Delagrange, secrétaire du Conseil de perfectionnement des écoles d’infirmières prévu par le décret du 27 juin 1922 (43). En 1946, le ministère de la Santé publique et celui de la Population (qui fusionnèrent deux mois plus tard) étaient concernés par la loi d’avril, mais cela n’empêchait pas qu’une bonne partie du gouvernement pouvait intervenir sur ces questions, du ministère de l’Intérieur (toujours !) à celui de l’Économie et des Finances [17]. Enfin, si l’État central s’est trouvé être un acteur de premier plan dès les débuts de la profession, les municipalités ne doivent pas être négligées, ne serait-ce, que parce que, ayant la charge des hôpitaux généraux publics [18], leurs décisions ont pu être cruciales pour la professionnalisation, notamment celle, décisive, de créer des écoles afin de pourvoir leurs établissements en personnel qualifié (44) [19].
Médecins et juristes : le poids des mandarins
15Le docteur Georges Clemenceau était à la tête du gouvernement, souvent avec le portefeuille de l’Intérieur, à des moments qui sont essentiels pour l’évolution du métier. Ce fut le docteur [20] Émile Combes, ministre de l’Intérieur et président du Conseil, qui signa le 28 octobre 1902 une circulaire pour inciter les préfets à ouvrir des écoles d’infirmières dans leur département. Ce texte, tout en prévoyant que les infirmières devraient être certifiées pour exercer (« Il faut tendre au moment où la justification de ce diplôme sera obligatoire »), changeait la nature de la formation : « Par une école d’infirmières, j’entends non pas une série de conférences destinée au personnel déjà existant, mais une véritable école ouverte à des élèves désirant prendre la carrière d’infirmière et s’y préparer. […]. L’infirmière telle qu’on doit la concevoir est absolument différente de la servante employée aux gros ouvrages de cuisine, de nettoyage, etc. Elle est réservée aux soins directs des malades. » En cela, la circulaire Combes est l’indication décisive de la qualification : « C’est bien d’une carrière qu’il s’agit. » Nous connaissons la part des docteurs Anna Hamilton (45) et Désiré Magloire Bourneville (46) dans la réflexion sur la professionnalisation des infirmières et la création de centres de formation, ainsi que celle du docteur Michèle Barzach, un siècle plus tard, pour réformer les modalités d’accès à la profession d’infirmière. Quant à la qualification des médecins, n’oublions pas non plus qu’y ont contribué le docteur Antoine Chevandier et le professeur Robert Debré (47). Ils étaient médecins, certes, mais ce groupe social a pris une forte part à l’histoire politique du pays depuis le milieu du XIXème siècle (48) et tous ceux qui viennent d’être cités (à l’exception d’Anna Hamilton, mais aussi de Robert Debré, dont l’engagement civique dans la Résistance et en préparant des réformes considérables est d’un autre type) se sont engagés dans la vie de la cité jusqu’à être parlementaire ou ministre.
16Un autre groupe social a joué un rôle fondamental dans le processus de qualification des infirmières, celui des juristes, y compris, dans la logique académique, des économistes (49). Ainsi Jean-Marcel Jeanneney (professeur d’économie dans des universités après avoir soutenu une thèse de doctorat en droit), fit notamment adopter sur habilitation du Parlement les ordonnances de 1967, lui dont une ancienne directrice d’école d’infirmières se souvient qu’il avait reçu une délégation « de quatre directrices mandatées par leurs collègues avec beaucoup de courtoisie et [les a] écoutées avec attention. Ce fut un moment fort sympathique [21]. » Sans doute est-ce, tout en étant loin d’être le seul, un des éléments pour lesquels les textes de nature législative ont largement contribué à étayer le processus de qualification des infirmières. Mais cela renvoie également à la caractéristique évoquée supra de la part de ces deux groupes sociaux parmi le personnel politique, part depuis réduite au profit de professionnels de la politique. Ainsi, le décret du 23 mars 1992 « relatif au programme des études conduisant au diplôme d’État d’infirmier » est signé par le Premier ministre, Édith Cresson (diplômée de L’École des hautes études commerciales (HEC), le ministre des Affaires sociales et de l’Intégration, Jean-Louis Bianco (énarque, alors maître des requêtes au Conseil d’État), et son ministre délégué chargé de la Santé, Bruno Durieux (polytechnicien, un temps chargé de la conjoncture et du plan à la division emploi de l’Insee [22]).
17Toujours est-il qu’en choisissant le titre de son livre d’entretiens avec Jean Lacouture, « Le Mandarin aux pieds nus », le professeur Alexandre Minkowski (50) jouait sur des mots qui, depuis ces années marquées par la révolution culturelle chinoise, ont perdu de leur actualité. La référence aux « médecins aux pieds nus », expérience de soignants à la formation restreinte qui pourrait évoquer les officiers de santé tandis que le terme « mandarin », dont l’origine chinoise n’a pas à être développée, était, ces années-là surtout, utilisé pour désigner les professeurs d’université au pouvoir et à la morgue quelque peu hypertrophiés. Soulignons que c’est dans les facultés (puis les unités d’enseignement et de recherche -UER- à partir de la loi Faure de 1968 supprimant les facultés, et après la loi Savary de 1984 dans les unités de formation et de recherche -UFR) de droit et de médecine que le mandarinat était et demeure le plus prégnant. En fait, si médecins et juristes ont eu une action décisive dans la construction du système de santé et dans le processus de qualification des infirmières, c’est certes du fait de leurs intérêts et compétences disciplinaires, mais aussi, car ce sont deux groupes sociaux qui ont, de la Troisième à la Cinquième République, été très actifs au sein des pouvoirs.
Le groupe social lui-même
18Il serait fallacieux d’omettre la part du groupe social lui-même dans le processus de qualification (51). Si ce ne fut pas le cas des premiers grands noms, en un XIXème siècle où seuls des notables pouvaient être efficaces en ce domaine, aussi bien les médecins déjà cités que Léonie Chaptal (52), force est de remarquer que c’est au sein d’institutions officielles, comme le Conseil de perfectionnement des écoles d’infirmières et l’École internationale d’enseignement infirmier supérieur [23], ou d’associations et de syndicats que des infirmières ont réfléchi et œuvré pour la qualification de leur profession, et ont pu même s’investir lors des années 1970 et 1980 dans la collection « Infirmières d’aujourd’hui » des éditions Le Centurion. Ce choix du collectif, en diverses modalités, n’est pas innocent et fonde bien un groupe social qui n’a rien d’atomisé. C’est lors du « moment associatif » du tournant du siècle (54, p.7) que furent organisées les premières formations d’infirmières, la loi Waldeck-Rousseau codifiant les syndicats en 1884, la Charte de la Mutualité de 1898 ainsi que la loi de 1901 relative au contrat d’association. Si la deuxième n’a eu qu’un effet marginal dans ce domaine, les deux autres lois ont permis d’instituer des organisations reconnues qui, parce qu’elles regroupent des professionnels et, dans le cas des syndicats, défendent les intérêts moraux et matériels de leurs adhérents. Tous ont influé sur la professionnalisation des métiers de la santé et donc sur leur qualification. Parmi bien d’autres, les deux principales associations ayant œuvré pour la qualification du métier d’infirmière sont l’Association nationale des infirmières diplômées de l’État français (ANIDEF) créée en 1923 et, déclarée en 1949 à l’instigation de celle-ci, le Comité d’entente des écoles d’infirmières hospitalières françaises et de l’Union française (CEEI). Après des changements d’intitulés et de sigles, toutes deux existent encore en 2019. Quant aux organisations syndicales, actives de longue date dans le milieu hospitalier, elles se sont préoccupées dès l’origine des modalités d’action plus que des revendications (9, p.75-76), se souciant communément des qualifications. Il a fallu attendre les années 1960, avec la croissance des effectifs et le combat féministe, pour que les infirmières jouent un rôle de premier plan, notamment dans les fédérations CGT et CFDT de la Santé, avec par exemple Marie-Jeanne Lafont, secrétaire générale de la Fédération CFDT Santé-Sociaux de 1967 à1973, et Yvette Bellamy, secrétaire générale de la Fédération CGT de la Santé de 1979 à 1982 (55,56). À partir de 1968 (57,58) la part prise par les infirmières dans les mouvements sociaux, fut à la fois signe et facteur du processus de qualification. Le grand mouvement de 1988 a été déclenché par l’arrêté du 23 décembre 1987 qui prévoyait de permettre aux mères de famille, aux sportifs de haut niveau et aux personnes qui justifieraient de cinq années de travail salarié de se présenter au concours d’entrée aux écoles d’infirmières. C’est parce qu’elles pensaient que ces dispositions remettaient en cause leur niveau de qualification que les infirmières ont mené une lutte sociale d’ampleur. La demande de « reconnaissance », explicite lors de ce mouvement, tout comme le fait qu’il ait permis une augmentation substantielle des traitements des infirmières hospitalières, manifestent l’importance de la problématique du présent article, mais des recherches permettraient d’approfondir ces aspects. Si les travaux de Didier Leschi cités infra ont montré l’importance de l’expérience antérieure des grévistes de 1988 et 1991, il faudrait en établir une prosopographie, montrer comment ces jeunes femmes ont construit leur identité professionnelle dans un contexte inédit. Premières touchées par la réforme Berthoin de l’enseignement (19, p.73-82) et ayant bénéficié de l’allongement de la scolarité, faisant partie de la première génération à vivre de plein fouet la déchristianisation (59), vivant leur adolescence (une nouveauté hors de la bourgeoisie) dans un bouleversement des valeurs et un effondrement des rites, sans doute la conscience de la qualification avait-elle été peu ou prou, pour elles, un mode d’une entrée dans la vie adulte.
19Ce serait une erreur d’oublier, dans le groupe social des infirmières, les élèves (voir infra les raisons du choix de la terminologie), tant leur activité se révéla cruciale dans deux domaines. Il y eut d’abord, mais c’est le fait des apprentis et des jeunes professionnels dans tous les secteurs, celui de la promotion de nouvelles théories et pratiques auprès de leurs aînées. Il y a aussi la pérennité d’une mémoire du métier, des gestes du travail bien sûr, mais aussi des mythes et des expériences, narrées ou vécues. Le politiste Didier Leschi a ainsi retrouvé dans l’implication des infirmières grévistes de 1988 les lycéennes de 1968 devenues élèves infirmières dans la décennie suivante, contestant dans des comités inter-écoles des pratiques pédagogiques qui leur semblaient archaïques (60). Soulignons à ce propos la maturité de ces jeunes travailleurs en formation qui, même lorsque l’entrée en école ne nécessitait pas le niveau du baccalauréat, ont su mener des débats et avancer des propositions de réforme fort pertinentes. L’agitation dans les écoles d’infirmières au printemps 1968 (et dans les mois puis les années qui ont suivi) a été, sans s’y limiter, une réflexion sur le système de santé, la pratique des métiers et la formation professionnelle (61). Il n’est que de comparer la conférence donnée à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pendant le mouvement par l’un des grands intellectuels d’après-guerre expliquant comment, en dépit de l’institution universitaire, il avait mis en œuvre une pédagogie active avec ses étudiants [24] et les quelques traces des débats dans les écoles pour comprendre à quel point et avec quelle intelligence les jeunes élèves étaient sensibles aux idées en mouvement [25].
20L’importance de la culture orale et même l’absence de reconnaissance identitaire de la culture écrite hors d’un cadre pouvant avoir des conséquences légales (lors de transmissions ou de prescription) sont à mettre en relation avec un niveau d’étude des infirmières qui, jusqu’aux années 1970, a pu être inhibant s’il était comparé à celui des médecins. A ce dernier élément s’ajoute le rapport à l’écriture de soi dans les milieux populaires qui rend d’autant moins négligeable la place de l’écrit qu’il est intriqué avec la notion d’identité sans laquelle le concept de qualification n’est pas compréhensible, ne serait-ce que parce que le travail nécessite une incorporation. L’écriture n’en est pas moins constitutive du métier d’infirmière, dont la formation théorique donne l’occasion de productions de textes manuscrits, ou destinés à être dactylographiés, dès la sélection (un concours qui, dans la première moitié du XXème siècle, comportait entre autres une rédaction et une dictée) et jusqu’à l’écriture d’un mémoire à l’issue des études puis l’examen du diplôme d’État. L’infirmière une fois diplômée, c’est par le mode normatif que le récit écrit relié à la pratique professionnelle quotidienne, se révèle signifiant. Il est associé à la parole en un rapport oral/écrit qui se déploie lors des transmissions, quand les mentions dans les cahiers (ou fiches) de relève concernant chaque patient relèvent d’usages normalisés d’écriture qui recoupent/résument/ précisent les échanges oraux (ou les monologues successifs) lors des réunions qui se tiennent au moment des changements d’équipe. La quasi-absence d’autobiographies ou de mémoire d’infirmières jusqu’aux années 1970 (9, p.326-330) est avant tout à mettre en rapport avec les origines populaires de ces infirmières venant d’un milieu où l’on ne pratique l’écriture de soi que si elle peut se révéler exemplaire : « une histoire ne vaut d’être racontée que si elle a une valeur éthique » (62, p.149). Rien de surprenant alors que ce soit souvent des militantes, puis des actrices des mouvements sociaux de 1988 et 1991 qui sont les auteurs des premiers récits de soi d’infirmières qualifiées [26] publiés (et sans doute écrits).
21Même en prenant comme objet le présent numéro, qui participe à l’évidence de cette dynamique, l’action du groupe social lui-même dans le processus de qualification est donc capitale ; c’est là un des éléments qui permettent d’affirmer qu’il s’agit bien d’une profession. Quand bien même les slogans des élèves-infirmières de l’après-1968 et des infirmières de 1988 ont pu mettre en cause des aspects folkloriques du métier et des mentalités de celles qui les ont précédées, le groupe social n’a pas choisi le dénigrement comme élément identitaire. Ce ne fut pas le cas des infirmiers de secteur psychiatrique reprenant, à la suite des psychiatres, la légende d’un « génocide des fous » sous l’Occupation (63). Certes, il y eut bien une surmortalité dans les hôpitaux psychiatriques, qui avait commencé avant la défaite et a continué après la Libération, mais cette surmortalité a touché toutes les institutions renfermant des personnes fragiles - y compris donc hôpitaux et hospices- et n’avait rien de délibéré (64).
Des enjeux et des obstacles
Niveau(x) de qualification
22Paru en 2004 aux Presses universitaires de France et devenu une référence, le « Dictionnaire de la pensée médicale » (dirigé par Dominique Lecourt) comporte une longue notice « Infirmière et aide-soignante », rédigée par Françoise Acker et Anne-Marie Arborio. Si les travaux des deux sociologues ont porté distinctement sur ces deux groupes professionnels, les infirmières pour la première et les aides-soignantes pour la seconde, dont la thèse est la référence principale sur ces travailleuses, l’article commun les amalgame, en une démarche les représentant comme deux niveaux de qualification (65). Quant à l’ethnologue Anne Vega, travaillant sur « l’ambiguïté du quotidien infirmier », c’est dans un ensemble de trois niveaux de qualification qu’elle place les infirmières, « entre les « basses besognes » [27] et le pouvoir médical » (66, p.61). Caractéristiques également de l’avancée des sciences sociales dans l’étude du milieu de la santé, les travaux du sociologue Ivan Sainsaulieu permettent de ne pas circonscrire le monde hospitalier au seul personnel qui intervient auprès des malades (67).
23Au milieu du XIXème siècle, il y avait en ville deux types de médecins, les docteurs et les officiers de santé, corps en extinction à la fin du siècle. Jusqu’en 1959, année de la création du temps-plein hospitalier, les seuls médecins présents en permanence à l’hôpital étaient des élèves, les internes. Mais si le « personnel hospitalier » (terme utilisé pour désigner les soignants) était peu distinct encore dans les premières années de la Troisième République, la mise en place de formations a permis dès la fin du XIXème siècle de distinguer les infirmières des agents hospitaliers sans qualification. C’est donc lorsque le métier d’infirmière est devenu qualifié, nécessitant une formation initiale, qu’un troisième niveau s’en est dissocié, phénomène accentué dans l’entre-deux-guerres. Puis au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, pour contourner le blocage des salaires dans les services publics dans un contexte de grève des agents de service de l’Assistance publique de Paris, décision a été prise de créer un corps d’aides-soignants sans formation ni validation. Longtemps, d’ailleurs, les tâches ont été communes à tel point que les plannings, s’ils distinguaient parmi eux les hommes et les femmes, mêlaient parfois Agent de service hospitalier (ASH) et aides-soignants. C’est ainsi qu’en 1975, pour son premier jour de travail à l’hôpital, un jeune agent de service « [fut] sur le champ mis, seul, au pied du lit d’un homme dont il d[eva]it faire la toilette » [28]. Quelques années plus tard, un aide-soignant choisissait pour titre d’un recueil de poèmes autobiographiques le railleur et déqualifiant « Le Serpillothérapeute » (68).
24Ainsi, celle des infirmières se situe au sein d’un ensemble de qualifications du personnel soignant (au sens strict du terme, comprenant donc les médecins, en milieu hospitalier et en dehors). Si l’on veut ne pas se livrer à un émiettement entravant une analyse qui requiert d’être concomitamment diachronique et synchronique, disons qu’il y a le niveau supérieur, les médecins (auxquels l’on peut rattacher les pharmaciens et les dentistes), le niveau intermédiaire, les infirmières (y compris leurs spécialisations et l’ensemble du secteur paramédical, sans oublier les sages-femmes, certes personnel de statut médical, mais dont la durée de formation et la limitation des compétences ne peut laisser assimiler aux médecins) et le niveau inférieur, les aides-soignantes (ainsi que les auxiliaires de puériculture, dont certaines exercent, marché du travail oblige, comme aides-soignantes auprès de personnes âgées). Cela n’empêche pas l’existence au niveau intermédiaire d’une hiérarchie, souvent basée sur la spécialisation, comme le montrent les publics respectifs de paramédicaux auxquels le professeur Jacques Bourret, un des précurseurs de la rééducation fonctionnelle, a dispensé son enseignement : des assistantes hospitalières [29] lorsqu’il était interne, des infirmières quand il avait des fonctions de chef de clinique puis, après sa nomination comme chef de service, des élèves-kinésithérapeutes.
25Le niveau de qualification n’est pas forcément strictement horizontal puisqu’existent des possibilités de progression à l’intérieur même du groupe soignant, par les différentes spécialisations (bloc, anesthésie, puériculture), tandis que d’autre débouchés conduisent hors de la pratique du soin, soit dans la formation soit dans un encadrement politique [30]. Notons par ailleurs que l’analyse qui met en avant l’équipe soignante (médecins/infirmières/aides-soignantes) et donc les niveaux de qualification évite de se poser la question peu pertinente de la nature de sous-profession [31] du métier d’infirmière. Remarquons enfin que l’approche selon les niveaux de qualification légitimerait des formations initiales consécutives, où l’apprenti commencerait comme aide-soignant, deviendrait infirmier puis médecin, bouleversant ainsi les rapports entre les groupes sociaux tout autant que les carrières.
Volontés de distinction
26Le prestige social et la sympathie de la population sont des conditions sine qua non du pouvoir médical (69). Or, ces deux caractéristiques (avec un prestige social moindre lié au fait que les médecins ont longtemps été des notables, mais une plus grande sympathie de la part de la population) peuvent être constatées pour les infirmières que les sondages d’opinion classent régulièrement comme une des professions les plus populaires et dont les mouvements sociaux n’ont jamais suscité d’hostilité (« Je sais très bien que dans l’opinion publique et dans ma propre opinion les infirmières sont extrêmement populaires », s’est défendu un ministre de l’Intérieur après que les forces de l’ordre ont empêché une manifestation de soignantes d’atteindre l’Élysée [32]). Or, l’estime et le respect sont deux facteurs de l’identité d’un groupe dont la démarche valorisante consiste à se rapprocher du monde médical, mais dont la qualification nécessite de s’en distinguer. Le modèle médical peut être explicite, comme dans la diffusion à la fin des années 1980 de l’usage du substantif adjectivé, à un moment où les dictionnaires ne signalent pas encore l’adjectif : « Pourquoi continuer à utiliser le substantif à chaque fois que le qualificatif devrait être employé. Comme l’on parle de profession médicale -pas de profession des médecins - l’adoption du qualificatif pour désigner la profession infirmière, non seulement ôterait l’équivoque, mais est grammaticalement appropriée (70). » L’enjeu de ces volontés centrifuges n’est pas secondaire, et se retrouve dans la plupart des groupes sociaux d’une qualification intermédiaire. Mais pour ce groupe social, se distinguer peut aussi correspondre à une mise à distance du savoir médical. Comment interpréter autrement, mais en étant conscient qu’il convient de l’étudier sur un temps long, l’étendue des réticences des infirmières face à la vaccination, plus importantes que dans l’ensemble de la population [33] (71,72) ? Pour les infirmières, il convenait dans un premier temps de se distinguer des autres secteurs, mais aussi d’un récent passé sans qualification. C’est la raison pour laquelle Anna Hamilton expliquait, dans un article de 1909, préférer utiliser le mot « nurse » et suggérer que leur formation professionnelle fût assurée dans une école dirigée par une « matron » (21, p.126). Mais comme « nurse » est, en français, devenu assez tôt un synonyme un peu snob de nourrice, de telles modalités de distinction se sont révélées inopérantes [34].
27La question du syntagme à choisir pour nommer se situe sans équivoque dans le champ de la distinction, et il est remarquable que le mot infirmière ait pu désigner du personnel qualifié après avoir, dans un premier temps, nommé des travailleurs sans qualification. Ce phénomène est observable également de l’autre côté de la Manche (73, p.1-18). Une fois le mot entré dans l’usage, le cas des élèves et des écoles est à cet égard symptomatique. Rappelant par trop l’enseignement primaire, « école » a semblé à la fin du XXème siècle dévalorisant alors qu’il désigne communément les centres de formation professionnelle, y compris les plus prestigieuses écoles d’ingénieurs ou les écoles supérieures de la fonction publique. Tandis que le terme est habituel depuis l’origine de la formation initiale, l’article 4 du décret du 23 mars 1992 remplaça le mot « élève » par « étudiant ». Cela évoquait l’université, qui au demeurant ne cessait de perdre de son prestige initial du fait de la démocratisation de l’enseignement supérieur comme de l’inadaptation de nombre de jeunes bacheliers à des exigences accrues. Or, lorsqu’il s’agit de jeunes adultes, « élève » désigne une personne en situation de formation professionnelle. L’étudiant en médecine qui a réussi l’internat devient élève, et il ne viendrait pas à un polytechnicien ou à un énarque l’idée de se dire étudiant. Mais les futures infirmières et celles qui les forment, tiennent à cette nouvelle appellation, singulier contre-sens qui, puisqu’il s’agit de distinction, les situe à l’évidence dans un groupe dominé. Dans le présent article, j’ai fait le choix d’utiliser le terme élève, d’une part parce qu’il a été exclusivement en usage pendant plus d’un siècle, d’autre part parce qu’il insiste sur la situation d’apprentissage comme sur le caractère de futur professionnel et que c’est bien en tant que tel, et non par rapport à une discipline, que s’étaye l’identité dynamique des individus en question.
28Dans une semblable dynamique que celle du glissement des tâches, qui avec le temps est parfois régularisé en glissement des compétences comme la mesure des constantes qui a longtemps relevé des infirmières diplômées d’État avant qu’au XXIème siècle les aides-soignantes puissent les effectuer, un glissement des éléments symboliques peut être mis en évidence. L’imitation du groupe professionnel d’un niveau de qualification supérieur est observable chez les infirmières, notamment, et incontestablement avec plus de légitimité, lorsqu’à partir des années 1970 le niveau de recrutement des apprentis est devenu le même, celui du baccalauréat. C’est ce qui explique le choix de la dénomination « étudiant en soins infirmiers », mais aussi la mise en place d’un « ordre national infirmier » [35] plus d’un demi-siècle après la création des autres ordres professionnels, quelque peu anachronique puisque le modèle de société n’est pas corporatiste lors de sa création en 2006 comme il l’était dans la France de Vichy (74, p.147-56). La démarche est semblable du groupe social moins qualifié, pour lequel fut créé en 1956 le certificat d’aptitude à la fonction d’aide-soignant ou d’aide-soignante, transformé quarante ans plus tard en diplôme professionnel d’aide-soignante qui devient, par un décret d’août 2007 diplôme d’État d’aide-soignant. La terminologie de la certification suit (avec un retard de quelques décennies) celle utilisée pour le groupe plus qualifié ; dès lors, pourquoi ne pas mettre sur son pare-brise un caducée d’« étudiante infirmière » ou d’« aide-soignant » ?
29Les démarches de distinction, qui permettent d’aborder sous un autre angle que celui des compétences la question des niveaux de qualification au sein du secteur de la santé, se déterminent largement en fonction de la hiérarchie des professions. Il n’en est pas moins significatif qu’un éventuel « déclin du “pouvoir médical” » ne corresponde pas à un rééquilibrage qui renforcerait un éventuel pouvoir infirmier (75). Dans ses différents composants, il y a « le pouvoir professionnel » qui consiste notamment en « la monopolisation de l’exercice de soins (c’est-à-dire la domination sur les autres soignants) [36] ». Le glissement des tâches, pour être prestigieux, doit s’effectuer dans le sens ascendant de la qualification, mais il peut se présenter sous la forme d’une incompétence pour les exercices subalternes : « Tous ces médecins, ils ont peur de piquer, ne savent pas […] préparer un chariot et ça se sent supérieur, ça ne dit même pas bonjour le matin, ça demande une infirmière pour changer le bassin » relate une infirmière à une chercheuse. Cette dernière explique : « Les apprentissages des jeunes médecins auprès des infirmières restent le plus souvent informels (les infirmières n’en tirent aucun prestige et les médecins ne les reconnaissent pas comme de véritables apprentissages) (66, p.69). » L’on peut par ailleurs se demander si le fait que, au début du XXIème siècle, le stage obligatoire de quatre semaines d’initiation aux soins infirmiers en deuxième année d’études médicales (donc après le barrage du concours de fin de première année) ne soit pas rémunéré, alors que le sont les stages des étudiants à partir de la quatrième année [37], ne dé-qualifie pas ces tâches et ceux qui l’exécutent. Sans même évoquer la présentation ostentatoire d’un outil de travail (stéthoscope, pinces, garrot) comme signe d’appartenance, l’habit a été et demeure un instrument de distinction et d’affichage de cette distinction, participant d’autant plus à la qualification que le patient, pas toujours très au fait des subtilités des métiers, recherche des indices qui pourraient le rassurer à propos des compétences du professionnel qui le prend en charge. L’habit de l’infirmière en est un, qui s’est éclairci lors des trois dernières décennies du XIXème siècle par un « passage du noir au clair » (76), blanchiment de la soignante parallèle à celui du médecin qui couvre d’autant plus volontiers ses habits de ville d’une blouse blanche qu’il ne peut désormais être que docteur. Les tenues tendent ensuite à s’uniformiser à tel point que la blouse blanche devient un symbole du secteur de la santé [38]. Selon les établissements, et jusqu’à ce que la couleur des badges s’y substitue, des dégradés de plus en plus colorés marquaient parmi leurs subordonnés l’éloignement du niveau de qualification des infirmières [39]. La vêture comporte aussi le couvre-chef, et dans le cas du voile qui est devenu emblématique de la profession [40], reprenant celui des infirmières bénévoles non qualifiées de la Grande Guerre très popularisées par les médias et originaires de milieux privilégiés, la démarche de distinction est aussi matinée d’acculturation pour ces femmes de milieux populaires. Les infirmières hospitalières portaient jusque-là des bonnets ou des petits chapeaux, parfois seule marque d’une certaine élégance, mais, souvent avant même la fin de la guerre, elles adoptèrent le voile, comme ce fut le cas à Paris dès 1917. Pour se distinguer en reprenant des signes ostensibles jusque-là arborés par des femmes de la bourgeoise, ces travailleuses livrent un des rares exemples d’un groupe social qualifié reprenant à son compte un élément d’un groupe non qualifié. Et c’est dans les années 1970, lorsque les composants de la qualification nécessitèrent un niveau d’études singulièrement plus avancé, que les infirmières se débarrassèrent du voile, symbole de leur domination : aucune des manifestantes de 1988 n’en est affublée.
30Sans doute serait-il pertinent d’analyser les comportements non seulement en termes de distinction, mais aussi de culture de classe. Tandis que la popularité des infirmières s’explique largement par leur mise en œuvre de la décence commune propre aux milieux populaires - la common decency chère à George Orwell (77) -, l’historien Pierre Vermeren fait relever de la « désinvolture [des] classes supérieures des métropoles » les attitudes des jeunes médecins qui refusent de s’installer là où l’on a besoin d’eux et dont les horaires ne tiennent pas compte des besoins de la population (78, p.135-36). Toute les considérations sur les hiérarchies à l’œuvre au sein des milieux dans lesquels travaillent les infirmières n’empêchent que l’action de ces dernières, inclues dans un collectif dont elles sont le pivot, est décisive. Christophe Dejours, psychiatre et psychanalyste, titulaire de la chaire psychanalyse-santé-travail du Conservatoire national des arts et métiers et référence en psychodynamique du travail, prend précisément, dans un chapitre consacré à « une autre forme de civilité : la coopération », cet exemple pour étayer sa présentation de « l’espace informel » (« Lieu de réajustement ou encore d’« interprétation collective » des ordres constitutifs de la coordination ») : « Dans un service hospitalier de médecine spécialisée, il y a deux espaces formels au moins : la visite du patron (ou de chef de clinique) et le staff une fois par semaine. Et il y a un espace informel : l’office et parfois le secrétariat médical (79, p.83). » Il convient cependant de prendre garde à tout anachronisme, tant les questions de la professionnalisation, de la qualification et de l’identité professionnelles se révèlent complexes et plurifactorielles. De la circulaire Combes de 1902, texte ministériel fondateur de la qualification des infirmières, qu’il anticipait et dont il suggérait les étapes, l’on pourrait faire la lecture de l’assignation à une tutelle. C’est du moins ce que laisserait penser la définition de l’infirmière : « collaboratrice disciplinée, mais intelligente, du médecin et du chirurgien ». Or, c’est précisément du contraire dont il était question, et aux infirmières sans qualité avant que soient mises en place les formations initiales, il s’agissait de substituer des infirmières qualifiées, du domaine de qualification du médecin, sans en avoir le niveau, pas plus que les officiers de santé n’avaient une décennie plus tôt le niveau d’un docteur en médecine.
Ecueils de l’essentialisation
31Marie-France Collière et Évelyne Diebolt, deux grands noms de la réflexion sur la profession dans le dernier quart du XXème siècle, précisaient, en présentant le numéro spécial « Pour une histoire des soins et de professions soignantes » d’une revue, qu’elles « retiendr[aie]nt à dessein le terme « infirmière » car c’est autour des gardes-malades, des infirmières-visiteuses, puis des infirmières des hôpitaux généraux que s’est opéré le mouvement de professionnalisation aboutissant en 1922 […] puis en 1924 » à un diplôme puis à un titre (p. 83). Ma définition du terme « professionnalisation » ne correspond pas tout à fait à la leur, mais j’ai de mon côté systématiquement usé du féminin dans mes travaux précédents du fait du flagrant déséquilibre entre les sexes au sein du groupe social. Le choix d’écritures mixtant (du type infirmier/ère ou infirmière/er, mais préférer l’une des deux formulations a déjà une signification, qui peut être critiquée) peut aussi être effectué. Dans sa thèse, Michel Poisson regrette l’usage exclusif du féminin qui prive « d’une compréhension élargie du monde des soins par la prise en compte des acteurs des deux sexes et de l’interaction entre eux (53, note 746, p.171) », et l’histoire des hommes infirmiers reste à écrire [41]. L’assignation professionnelle à une identité sexuée est assez habituelle, et s’explique par le fait que les tâches domestiques de soin sont communément réservées aux femmes. « La transformation d’une activité traditionnelle et féminine de soins aux indigents, malades, vieillards », renvoie à la « place de la femme dans l’univers domestique et dans le monde du travail », tandis que lui sont demandées « des qualités prétendument féminines » pour « un métier, encore considéré comme « naturellement » féminin (65) ». Or, si soigner est le premier art de la vie, si les soins à autrui sont naturels et naturellement féminins, ce n’est pas un métier. « Toutes les femmes sont censées savoir s’occuper d’enfants, ce n’est donc pas une qualification » expliquent les auteurs de « Les métiers de la petite enfance » dont le sous-titre est « Des professions en quête d’identité » (80, note 5, p.11). Mais ce n’est pas là le seul signe et effet d’une essentialisation. Alors que « le soin est un humanisme » (pour citer le titre d’un ouvrage de la philosophe Cynthia Fleury) et que « l’attention créatrice de chacun à chacun (81) » peut être considérée comme le fondement d’une société, le care serait caractérisé par les choix plus moraux des femmes étant plus altruistes que les hommes. C’est notamment en mettant en avant les « qualités féminines » que des chercheurs (surtout des chercheuses en l’occurrence) ont développé outre-Atlantique les études d’Ethics of care, renforçant une essentialisation sexuée manifestée de longue date.
32L’expression burn-out a été utilisée en 1960, dans le roman de Graham Green, Burnt Out, avec en toile de fond une léproserie congolaise. Reprenant le terme des professionnels de santé travaillant dans des cliniques de la côte pacifique des États-Unis, le psychanalyste américain Herbert F. Freudenberger n’a défini véritablement (et donc théorisé) qu’un quart de siècle plus tard le syndrome d’épuisement professionnel : c’est bien en milieu hospitalier, pour du personnel qualifié, que le concept s’est cristallisé. C’est également en observant des travailleurs du champ de la maladie et du soin que la psychologue californienne Christine Masclac a approfondi l’approche en élargissant au contexte de travail ce que Freudenberger voyait surtout au niveau de l’individu (82,83). La baisse du sentiment d’accomplissement personnel dans le travail est un des trois éléments qu’elle mettait en avant, mais si elle a d’abord pratiqué ses observations dans le domaine de la santé, elle l’a étendu à l’ensemble des professions qui mettent la relation d’aide au centre de leur pratique [42]. Dans le contexte du travail, la mise en avant du rapport à l’autre tend à privilégier les qualités humaines et, de fait, à extraire d’un contexte de professionnalisation, donc à déqualifier. Le succès de la philosophie du care, qui se veut éthique de la sollicitude, induit une lecture philosophique qui déprofessionnalise l’activité de l’infirmière, d’autant plus que les métiers concernés deviennent d’autant moins aisés dans une civilisation technique que leurs effets ne peuvent être parfaits (84). La mode managériale des évaluations à tout bout de champ et sans véritable rigueur, développées aux États-Unis dans les années 1970 et popularisées en France depuis le début du siècle suivant, renforce l’insatisfaction (85,86). Alors que, comme dans l’enseignement, la question de la productivité est dans la santé non seulement peu pertinente, mais aberrante (87), ces professionnels, confrontés à un imaginaire perfectionniste, peinent à se situer.
33L’instauration d’un « rôle propre » indépendant de son rôle d’auxiliaire médical pour une nouvelle définition de la profession d’infirmière dans la loi du 31 mai 1978 pouvait placer ces professionnelles en dehors du champ de qualification où elles se trouvent entre aides-soignantes et médecins. Le terme désigne certes ce que les infirmières peuvent mettre en œuvre seules, sans prescription ni présence médicale, et assure donc la qualification. Mais cela ne correspondait véritablement à aucune tâche nouvelle et l’on peut même se demander si ce rôle propre n’incluait pas les tâches malpropres et salissantes que n’effectuaient pas les aides-soignantes ainsi que le « sale boulot » [43] décrit par Anne-Marie Arborio dans sa thèse (88), la traduction française du « dirty work », conceptualisé par EC. Hughes (89). Pensons alors à ces travailleurs sans qualification du début du siècle de XIXème siècle et à ce que soulignait dans les années 1980 le sociologue Philippe d’Iribarne : « L’image d’impureté associée aux plus basses couches de la société n’a pas disparu au XIXème siècle (90, p.71). »
Primauté de la formation
34La première école de l’Assistance publique n’a prodigué, à partir de 1878, qu’une formation scolaire primaire avec quelques bribes de connaissances professionnelles. C’est la création en 1907 de l’École des infirmières de la Salpêtrière qui a permis de dispenser une formation professionnelle d’un bon niveau aux femmes soignantes des hôpitaux parisiens (91). Jusqu’à la Grande Guerre, ces deux étapes, notamment le décalage dans le temps, ont été franchies en des modalités différentes dans la plupart des apprentissages de ce métier en construction. Alors que deux années étaient l’usage depuis la création de l’école de la Salpêtrière puis dans la loi depuis 1938, la durée des études est passée à 28 mois en 1972 (alors que les associations d’infirmières avaient deux années plus tôt tenté de la porter à trois ans) puis en 1979 à 33 mois. Le programme de 1992 a prévu 38 mois d’études, plus de trois ans, s’inscrivant dans la dynamique de la hausse de qualification. Alors que, dans les formations professionnelles, le processus de professionnalisation est renforcé par des apprentissages plus longs, singulière fut donc la régression du programme de 2009 réduisant l’apprentissage des infirmières à trois années fractionnées en six semestres. Il ne s’agit pas ici d’écrire une histoire de la formation des infirmières, qu’il est possible de lire dans d’autres textes signalés ici, mais bien de se demander quelles furent les différentes modalités de ses apports à leur qualification.
35En 1948, Pierre Naville insistait sur la prégnance des rapports entre instruction générale et formation professionnelle (92). Le développement considérable de l’enseignement secondaire tout comme le militantisme de partis politiques, d’associations et de syndicats promouvant la dimension émancipatrice de la culture a entraîné une hausse sensible du niveau d’instruction. Alors qu’elle était à 13 ans dans la loi Ferry de 1882, la prolongation de la scolarité obligatoire, par le Front populaire jusqu’à 14 ans en 1936 puis à 16 ans au début de la Cinquième République, a rapproché le niveau de l’ensemble de la population de leur génération de celui des candidates à l’entrée à l’école d’infirmières. De même, si 10.000 baccalauréats ont été délivrés en 1922, ils étaient trois fois plus en 1946 et 18 fois plus en 1972, l’année où le niveau de fin d’études secondaires a été exigé pour être admis à suivre la formation. La hausse du niveau général de la population relativise donc l’indéniable participation des infirmières à cette dynamique. Combiné aux exigences que l’évolution de la médecine, mais aussi des sciences sociales timidement introduites dans leur formation, le groupe social des infirmières a considérablement changé dans les décennies suivant la Libération, à tel point que Pierre Bourdieu l’a choisi dans son ouvrage « La Distinction » paru en 1979 comme exemple d’un fort capital culturel en complet décalage avec des revenus alors très bas (93, p.372-374 et 410-413). Notons enfin que cette formation initiale portant certification, essentielle, ne nécessitait pas jusqu’à la fin des années 2010 [44] une mise à niveau régulière, ce qui n’empêchait bien sûr pas les plans de formation à destination des infirmières, notamment pour les salariées du privé depuis la loi Delors de juillet 1971, mais aussi, selon des modalités différentes, dans le secteur public. Une série de textes législatifs et réglementaires ont depuis consolidé le droit à une formation continue. Souvent prise en charge par des services spécialisés dans les grands centre hospitaliers universitaires, organisée pour les hôpitaux plus petits et les établissements privés par des associations ou des prestataires d’autant plus intéressés que les fonds qui y sont consacrés sont loin d’être négligeables, les formations continues suivies par les infirmières ont été assez hétérogènes et, contrairement à la formation initiale, n’ont pas contribué à asseoir la qualification ou à construire l’identité du groupe social.
36Après la transformation des écoles en « centres [45] de formations en soins infirmiers » par l’article 4 du décret du 23 mars 1992, les « étudiants en soins infirmiers » se substituent aux élèves infirmières. Dans les années 2010, les instituts sont tenus de passer une convention avec la région et une université afin que le diplôme d’État délivré soit reconnu du niveau de la licence. Les modalités d’admission s’adaptent à celle du monde académique, avec notamment la suppression du concours d’entrée en 2018 et la sélection dans le cadre de Parcoursup. Cette évolution correspond à celle, hétérogène, d’une partie de l’enseignement professionnel accueillant des bacheliers, depuis la création en janvier 1966 des instituts universitaires de technologie (IUT), à un moment où la question de la pédagogie était centrale dans les formations post-secondaires (94), puis la création à la fin du XXème siècle des licences professionnelles (95). Le passage dans le monde universitaire de la formation des infirmières va-t-il modifier véritablement l’apprentissage et la réalité du métier (96) ? Une approche poïétique tendrait à relativiser cette hypothèse, ne serait-ce que parce que la nature des savoirs transmis tend à fixer les modalités de la « formation » (au sens du mot anglais « making ») d’un professionnel, et que le cadre aurait donc tendance à s’adapter (97). Il s’agit d’un mouvement de modification des formations professionnelles qui, d’initiative étatique (comme le fut la mise en place des instituts universitaires de technologie), touche l’ensemble de l’Université. Le rattachement des IFSI aux UFR de médecine se situe dans une logique qui est celle d’autres formations paramédicales, et soulignons, tout en ne négligeant pas le fait que celles de médecine étaient les seules facultés à préparer directement à un métier, que nous retrouvons là le dilemme habituel de formation professionnelle, pour les ouvriers ou les techniciens, d’un cadre spécifique (souvent étatique ou dépendant d’une collectivité locale) ou de l’immersion dans une structure du secteur d’activité.
37Plus que la plupart des activités, l’instauration puis la perpétuation des formations professionnelles nécessitent des modèles [46]. Laissons de côté un mythique modèle religieux d’autant moins pertinent que les sœurs hospitalières, qui d’ailleurs n’étaient pas toutes religieuses [47], ne se trouvaient en rien caractérisées par leur qualification [48] tandis que leur principale qualité était, en dépit de la modicité des salaires des autres travailleurs hospitaliers, leur faible coût. Par surcroît, alors que certaines religieuses avaient suivi des formations d’aides-soignantes ou d’infirmières, c’est lorsque les effectifs des infirmières sont devenus considérables que, dans un contexte de crise du catholicisme français, les vocations religieuses sont devenues rarissimes (59). Plus qu’en fournissant un modèle, les Églises ont contribué à la qualification des infirmières en créant des écoles, souvent au sein même des établissements sanitaires, que ce soit dans les hôpitaux Saint-Joseph de grandes villes ou dans La Maison de santé protestante de Bordeaux (104). Tout au plus, indirectement et selon le processus vu supra, le voile peut-il évoquer les religieuses, comme le souligne un dessinateur : « La novice : une prise de voile laïque en temps de guerre » [49].
38Ainsi que cela se fait communément pour toute activité, l’observation des pratiques étrangères a été mise à profit pour construire la qualification d’infirmière. Le modèle anglais, promu par Anna Hamilton qui a valorisé le mythe de Florence Nightingale, s’est heurté à une certaine anglophobie mais, alors que la blouse et le voile sont devenus en France l’attribut symbolique des infirmières, les élèves de l’école Florence Nightingale de Bordeaux ont longtemps conservé une tenue (coiffe, bas ou collants blancs, tablier blanc) inspirée de celle de leurs consœurs anglaises. Mais, tandis que les pratiques d’outre-Rhin étaient loin d’être inintéressantes tout en ne suscitant que peu d’intérêt, la guerre de 1914-1918 a plutôt porté l’attention sur les États-Unis (105). La fondation Rockefeller s’est alors investie en France, créant notamment une école à Lyon dans un quartier encore rural, à proximité de la nouvelle faculté de médecine et de l’hôpital Grange-Blanche en construction (106). Après la guerre, tout en continuant à s’intéresser à ce qui se passe hors du continent, c’est en Europe que les échanges furent les plus fréquents et les plus féconds, allant jusqu’à la création d’une Fédération européenne des enseignants en soins infirmiers (FINE Europe) dont au début du XXIème siècle le Comité d’entente des formations infirmières et cadres (CEFIEC), nouveau nom du CEEI, est un membre actif.
39Mais pourquoi chercher hors des frontières une inspiration pour la formation d’infirmière ? Le modèle généralement oublié lorsqu’il est question des soignantes est celui, pourtant évident, de la formation professionnelle des ouvriers et techniciens dont la chronologie est fort proche de celle des infirmières (107). Si la première loi encadrant l’apprentissage date de la Deuxième République [50], la première école nationale professionnelle, anticipant les écoles pratiques de commerce et d’industrie, a été mise en place en 1886. Puis c’est en 1919, trois ans avant le décret de 1922 qui a créé les brevets de capacité professionnelle, que la loi Astier « relative à l’enseignement technique industriel et commercial » a rendu obligatoire un enseignement théorique pour les apprentis dont la formation était sanctionnée du certificat d’aptitude professionnelle (CAP). Un semestre après la loi sur l’exercice de la profession, le décret de novembre 1946 relatif aux centres de formation professionnelle fut suivi par le 1er Plan de modernisation et d’équipement qui prévoyait les formations en fonction des besoins en main-d’œuvre. En fait, une fois débarrassée des colonies, l’économie française s’est épanouie dans les années 1960 et c’est à ce moment-là que les effectifs d’infirmières croissaient considérablement. Nous avons vu que la formation au sein de l’université correspond à une dynamique qui n’a rien d’exceptionnel au XXIème siècle, et parmi les motifs (le plus souvent implicites) des nombreuses réformes de la formation des infirmières, des nombreuses réformes de la formation des infirmières et, qui n’a rien despécifique à cette profession, la volonté de former des professionnels pour un système qui change (109).
40Mais toute histoire ne vaut que comparative. La qualification des infirmières doit être mise en perspective avec celle d’autres groupes pour en comprendre d’éventuelles spécificités. Ne prenons qu’un exemple, celui du plus bas niveau de qualification de la police, qui par son caractère urbain, la proximité des origines sociales (mais pas forcément des bassins de recrutement de ruraux venus travailler en ville) et le rôle actif des municipalités sous la Troisième République n’est pas éloigné des travailleurs des services de soins. A Paris, des écoles de police ont formé des gardiens de la paix selon un rythme et un calendrier relativement proches de ce que l’on constate pour le personnel hospitalier, ce qui doit dissuader de voir en ces phénomènes des spécificités d’un secteur d’activité. Une première école pratique a été organisée par la préfecture de police en 1883 pour, quelques heures par semaine pendant trois mois, dispenser des cours assurant des connaissances de base à des agents qui étaient sur le terrain. En mai 1914, l’ouverture de l’École pratique professionnelle des services actifs de la préfecture de police a permis de s’adresser à des agents de police recrutés à un meilleur niveau et de promouvoir un apprentissage de qualité, tant par la durée et les méthodes mises en œuvre que par les exigences. Ces deux étapes rappellent les formations successives mises en place presque au même moment pour les infirmières, également à Paris, en 1878 puis 1907. Et un peu comme Bourneville a été le promoteur de la formation des soignantes, le préfet Louis Lépine fut celui de la formation des policiers. Si les apprentissages des gardiens de la paix ont été (et demeurent) bien plus courts que ceux des infirmières, le niveau initial requis a tendance à être équivalent ; ainsi, si certaines promotions de nouveaux gardiens de la paix pouvaient comporter 20 % de bacheliers au milieu des années 1980, le baccalauréat a été exigé des candidats deux décennies plus tard. Pour appréhender la qualification des infirmières, il convient d’observer la qualification de l’ensemble des métiers au sein d’une société comportant nombre de particularités qui participent au processus d’une professionnalisation qui ne peut être que dynamique.
Conclusion : la nécessaire identité professionnelle
41Le métier d’infirmière, qui se met en place progressivement dans la deuxième moitié du XIXème, vit ses trois principales étapes par des initiatives étatiques en 1902, 1922 et 1946. L’obligation d’une formation certifiée en est le principal élément. Les écoles ont donc été les outils essentiels de cette qualification qui s’inscrit au sein du plus large domaine de qualification des professions de santé composé de trois niveaux et dont elle se situe au centre. L’influence du corps médical dans les différents aspects du processus de professionnalisation des infirmières, s’il place l’identité de celles-ci dans un cadre de subordination, ne lui accorde pas moins une bonne partie des qualités des médecins. Mais ce phénomène dynamique, tant la qualification évolue de manière dialectique avec la professionnalisation, ne peut être compris que mis en perspective avec d’autres métiers, d’autres pays. Pour une approche historique, le recours est nécessaire aux autres sciences sociales, à la fois comme source, puisque les travaux de sociologie du travail permettent, surtout depuis le milieu du XXème siècle, d’avoir un corpus inestimable d’observations, mais aussi en empruntant des méthodes (ou en s’en inspirant), tant la démarche interdisciplinaire se révèle être indispensable (110).
42Les différents aspects de cette identité peuvent ainsi être approfondis. C’est le cas de l’identité sexuée d’un métier construit dans un deuxième temps comme féminin et d’une essentialisation liée à des pratiques de soins perçues comme « de tout temps » assignées aux femmes. Le marché du travail est également un élément de poids, tant la question de la qualification se pose comme évidente lorsque les différents niveaux sont remis en cause dans les moments de pénurie de personnel qualifié. Enfin, le processus de qualification des infirmières correspond à l’intérêt pour l’ensemble de la population de compter en son sein des professionnels de qualité rendant efficaces les politiques de santé, dans leurs aspects curatifs, mais aussi, sans que ce soit toujours explicite, pour la prévention : l’on n’hésite pas à solliciter les conseils d’un professionnel dans son domaine de qualification.
43« Ni nonne ! ni bonne ! ni conne ! » Le slogan des manifestations d’infirmières en 1988 et 1991 est significatif de cette volonté de qualification puisqu’il rejette avec euphonie les trois modèles apparemment proposés, le modèle religieux, le modèle ancillaire et celui de l’illettrée. Or, c’est contre ces trois modèles que le métier s’est imposé comme qualifié, et ce mouvement du groupe social rappelle à quel point il a eu lui-même un rôle déterminant, tant la qualification se construit malaisément sans une forte identité professionnelle.
Conflits d’intérêts
44L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt.
Bibliographie
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- 22Kaplan SL. La fin des corporations. Paris : Fayard ; 2001.
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- 24Médicalisation et professions de santé XVIe-XXe siècles. Revue d’histoire moderne et contemporaine.1996 Oct-Dec ;43(4).
- 25Weil S. Écrits de Londres et dernières lettres. Paris : Gallimard ; 1957.
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- 28Higonnet MR. Nurses at the front : writing the wound of the Great War. Boston : Northeastern University Press ; 2001.
- 29Morin-Pelletier M. Briser les ailes de l’ange : les infirmières militaires canadiennes (1914-1919). Outremont : Athéna ; 2006.
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- 44Rochaix M. Les questions hospitalières de la fin de l’Ancien Régime à nos jours. Paris : Berger-Levrault ; 1996.
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Mots-clés éditeurs : infirmières, qualification, identité professionnelle, histoire, formation professionnelle
Mise en ligne 28/01/2020
https://doi.org/10.3917/rsi.139.0031Notes
-
[1]
Voir Christian Chevandier, Un corps intermédiaire dans la formation professionnelle. Le comité d’entente des écoles d’infirmières (1949-2019), à paraître.
-
[2]
Compte-rendu de la réunion des adhérentes de l’ANIDEF, 1er mars 1949.
-
[3]
L’évolution est perceptible si l’on met en perspective les œuvres de Guy de Maupassant, Gustave Flaubert, Marcel Proust, Louis-Ferdinand Céline et Michel Houellebecq.
-
[4]
Outre un ouvrage à paraître - voir note 1-, le lecteur trouvera aussi les références de certains de mes articles ou contributions à des ouvrages collectifs.
-
[5]
Petit Larousse illustré, Larousse élémentaire puis Nouveau Larousse élémentaire.
-
[6]
Je n’aborderai pas ici la question de savoir si le travail de l’infirmière relève du métier ou de la profession. Cette distinction, pertinente sous la plume (traduite) d’Everett C. Hughes (dont les travaux sont mis à profit dans le présent article), pose problème à l’historien francophone (pour lequel le mot « métier » évoque évidemment les corporations d’Ancien Régime) lorsqu’il s’agit comme ici d’établir une mise en perspective. Dès lors, les deux mots seront utilisés presque comme synonymes.
-
[7]
Notamment “Studying the Nurse’s Work”, American journal of Nursing, n° 5, 1951, p.294-5, dont la traduction en français est parue presque un demi-siècle plus tard, « Pour étudier le travail d’infirmière » (texte de 1961), (13, p.69-73).
-
[8]
Ces catégories (CSP puis CPS) ne doivent pas être confondues avec les domaines d’activité définis une quinzaine d’années auparavant, et répartis en trois secteurs sur la base de l’activité de l’employeur : primaire (productif sans transformation du produit), secondaire, (productif avec transformation) et tertiaire (non productif appelé plus tard « de service »). Dès lors, l’infirmière d’une usine métallurgique se trouve dans le secteur secondaire tandis que l’électricien d’un établissement hospitalier est dans le secteur tertiaire.
-
[9]
« Projet d’une formation d’infirmières de première ligne » publié à nouveau dans les Cahiers de l’Herne, « Simone Weil », 2014, p.273-277.
-
[10]
Pour établir une approche comparative avec deux groupes nationaux d’outre-Atlantique : (28, 29).
-
[11]
Dans les 35 années qui ont suivi la guerre, les effectifs ont été multipliés par 5,3 ; sources : Insee et Service des statistiques et étude du ministère concerné.
-
[12]
Anne-Marie Metzenthin (présidente du Comité d’entente des écoles d’infirmières et des écoles de cadres), éditorial du numéro de janvier, L’Infirmière enseignante, n° 1, janvier 1981.
-
[13]
Qui est un dilemme constant depuis la Révolution française (34) jusqu’à l’hospitalisation à domicile (35).
-
[14]
Notamment le chapitre I, « Une appelation contreversée », p.7-24.
-
[15]
En 2000, 91 % des assistants de service social étaient des femmes.
-
[16]
Avec notamment l’édit de 1656, mais aussi les mesures prises en Provence lors de la peste des années 1720.
-
[17]
Rapport de la direction du Budget à propos du budget du ministère de la Santé publique, 1946, p.298 (Archives économiques et financières de la France, Carton B33355).
-
[18]
La responsabilité des asiles d’aliénés (devenu hôpitaux psychiatriques puis centre hospitaliers spécialisés) revenait et revient aux départements.
-
[19]
Notamment les 4ème, 5ème et 6ème parties, p.155-424 ; il s’agit d’une thèse de droit, soutenue en 1957 et actualisée pour les quatre décennies suivantes.
-
[20]
Doublement, puisque docteur ès-Lettres et docteur en médecine.
-
[21]
Témoignage de Colette Vanier, L’infirmière enseignante, n° 20/1, janvier 1990.
-
[22]
Donc très qualifié pour connaître les processus et enjeux de la qualification.
-
[23]
Voir dans ce numéro la contribution de Michel Poisson ainsi que sa thèse (53).
-
[24]
André Philip, « Des troubles étudiants et des troubles sociaux », allocution au Centre de développement de l’OCDE, 20 mai 1968.
-
[25]
Voir ainsi le projet de réforme que des élèves infirmières de la région parisienne ont élaboré dans des groupes de travail, La Revue de l’infirmière et de l’assistante sociale, 1968, n°8, p.843-844. Pour l’intérêt manifesté par les professionnels, voir les périodiques syndicaux d’alors, notamment le numéro 52 du mensuel féminin de la CGT Antoinette (« Spécial grève », juin 1968) et le n° 142 de l’hebdomadaire de la Fédération CFDT Santé-Sociaux, Pages syndicales (juin 1968).
-
[26]
La qualification fondatrice du métier exclut donc les mémoires d’infirmières amatrices du temps de la Grande Guerre, venant de milieux où l’écriture de soi était un exercice habituel des jeunes filles.
-
[27]
Si l’ouvrage d’Anne-Marie Arborio n’était pas encore paru, la thèse dont il est tiré avait été soutenue et « basses besognes » est une autre traduction de dirty work.
-
[28]
« Même s’il parvient à la cacher, l’anxiété est grande. Le malade, quinquagénaire, est paralysé à la suite d’une fracture de la colonne vertébrale, et des broches externes maintiennent ses membres inférieurs du bassin à la jambe. Et lui est là, habillé en blanc, avec une bassine d’eau tiède, un gant, du savon, sans la moindre formation, sans savoir précisément ce qu’il doit faire. (9, p.338) ».
-
[29]
Grade créé dans l’entre-deux-guerres aux Hospices civils de Lyon pour assister les infirmières diplômées, en porte-à-faux depuis la création du grade d’aide-soignant, mais qui a survécu un demi-siècle pour n’être mis en extinction qu’au début des années 1980. Sur l’histoire de ce groupe et de l’impossible multiplication des niveaux de qualification, voir « Ailleurs, d’autres choix (9, p.257-286) ».
-
[30]
L’encadrement technique étant assuré par les médecins, comme à l’usine l’ingénieur assure l’encadrement technique du technicien.
-
[31]
Une sous-profession serait caractérisée par l’usage de savoirs forgés ou théorisés dans le cadre d’une autre profession. Soulignons à cette occasion qu’il n’existe pas de métier n’utilisant pas des savoirs exogènes.
-
[32]
Philippe Marchand, « Le journal de 13 heures », Antenne 2, 18 octobre 1991.
-
[33]
Notons que le phénomène, d’une moindre ampleur, est observé chez les enseignants du primaire. Selon les auteurs, c’est parmi les couches moyennes de niveau bac + 2 ou 3 que la réticence est la plus forte, ce qui correspond aux infirmières, mais le fait qu’elles soient en contact avec des patients fragiles dont l’on peut penser qu’elles sont conscientes de les mettre en danger peut faire envisager l’hypothèse d’un déni mettant à distance le savoir médical.
-
[34]
En 1922, l’année de l’instauration du brevet de capacité professionnelle, le Petit Larousse illustré ne mentionnait pas le mot nurse sauf pour la définition de nursery : « (de nurse, nourrice) ».
-
[35]
Notons à ce propos que le choix du syntagme comprenant l’adjectif invalide quelque peu l’article terminologique de Marie-Françoise Collière et Évelyne Diébolt (70) alors que c’est bien l’ordre des médecins qui a été mis en place par la loi du 7 octobre 1940 dans le cadre de la politique corporatiste de Vichy.
-
[36]
Notons la mention des « autres soignants » (75), qui construit implicitement un groupe social des soignants.
-
[37]
Les étudiants hospitaliers sont encore, soixante ans après la disparition de l’externat donc alors qu’aucun ancien externe n’est encore en activité dans les structures hospitalières, communément nommés « externes ». Tout comme la persistance de l’appellation « élève infirmière » plus d’un quart de siècle après son obsolescence, l’inertie de la terminologie usitée dans le cadre des formations de professionnels de santé doit interroger.
-
[38]
Y compris dans l’intitulé de la collection Blanche des éditions Harlequin (« Leur mission : sauver des vies. Leur destin : trouver l’amour »).
-
[39]
Voir l’étude d’un cas dans un grand CHU de province (10, p.280-281).
-
[40]
Le journal du comité inter-écoles des élèves infirmières de l’agglomération lyonnaise. s’intitulait « Mettons les voiles » à la fin des années 1970, dans la continuité des journaux des comités d’action lycéens de cette décennie.
-
[41]
J’ai pendant une vingtaine d’années suggéré en vain une recherche en maîtrise puis en master, voire une thèse sur la question à des étudiants (et des étudiantes) en histoire.
-
[42]
Elle a également mis au point un outil pour quantifier le phénomène : Maslach Burnout Inventory’s.
-
[43]
Michel Poisson souligne également le caractère ambivalent de l’expression : « Urgent, rôle propre cherche pensée, même impure », Soins n° 645, mai 2000, p.56-61.
-
[44]
Il est prévu dans le cadre du plan gouvernemental « Ma santé 2022 » que « des ordonnances gouvernementales définissent les conditions d’une « re-certification » régulière des médecins, infirmiers et encore pharmaciens, pour vérifier que leurs compétences sont à jour », Le Figaro, 16 juillet 2019.
-
[45]
Le terme « institut » ne vint qu’un peu plus tard.
-
[46]
Sur l’histoire de l’éducation, voir les ouvrages d’Antoine Prost, notamment (98, 99).
-
[47]
Et qui pouvaient avoir des origines sociales très proches de celles des soignantes non qualifiées. Voir pour la première moitié du XIXème siècle le cas des « sœurs croisées » des Hospices civils de Lyon, (100, avec des données quantitatives p.158).
-
[48]
La question des sœurs hospitalières et de leurs compétences de soignante a été abordée par plusieurs historiens (101-103).
-
[49]
L. Sabattier, L’Illustration, 7 octobre 1916.
-
[50]
Loi du 22 février 1851 sur le contrat d’apprentissage (108, p.369-382).