Couverture de RSI_136

Article de revue

Coordination infirmière et maladies chroniques : état des lieux des activités en médecine adulte à l’Assistance Publique-hôpitaux de Paris

Pages 90 à 98

Introduction

Contexte

1La France, comme la majorité des pays développés, est confrontée depuis plusieurs années au défi que représentent les maladies chroniques. Sous l’effet conjoint du vieillissement de la population, des progrès médicaux et des modifications environnementales, le nombre de patients atteints de maladies chroniques augmente. On estime que près de 10,7 millions de personnes affiliées au régime général - soit environ 17 % des assurés - bénéficiaient du dispositif des Affections Longue Durée (ALD) en 2016 (1).

2La continuité et la qualité de la prise en charge des malades chroniques, qui alterne entre soins en ville et hospitalisations, nécessite une coordination des acteurs. La coordination peut être définie comme « l’organisation délibérée des activités de soins d’un patient entre plusieurs acteurs du système de santé. Elle implique la mobilisation de personnels et d’autres ressources nécessaires à la prise en charge du patient et est souvent gérée par l’échange d’informations entre les participants responsables de différents aspects des soins » (2).

3Depuis plusieurs années, la place et le rôle des différents professionnels de santé dans le parcours de soins, et notamment ceux des infirmiers, sont questionnés. C’est dans ce contexte que s’est développé le concept « d’infirmier de coordination » (3). L’amélioration de la qualité des soins ainsi produite pourrait entraîner une réduction des dépenses de santé à plus long terme, en évitant des hospitalisations inutiles ou des complications médicales (3).

4Il n’existe actuellement pas de consensus sur la définition d’infirmier de coordination (IDEC) en France. On retrouve cette notion dans deux textes officiels :

  • le métier de coordinateur de parcours de santé ou de parcours patient (4), accessible aux infirmiers (mais nécessitant un niveau de qualification master 2), recouvre les missions suivantes : « établir, organiser et gérer des liens permettant l’optimisation de la prise en charge sanitaire, sociale et médicosociale d’une personne dans un parcours de soins ; coordonner la réalisation d’une démarche pluridisciplinaire selon le projet de soins établi ».
  • l’expérimentation des infirmiers de coordination prévue dans le Plan cancer (5) : « l’intervention de l’IDEC s’inscrit dans une équipe pluridisciplinaire » et sa mission « consiste à faciliter l’articulation entre les professionnels des soins de ville, les professionnels hospitaliers, les patients et leur entourage ».

5Par ailleurs, la « coordination des activités et le suivi des parcours de soins des patients » sont mentionnés dans le référentiel d’activités des infirmiers diplômés d’Etat (6).

Analyse de la littérature

6Plusieurs études menées à l’étranger ont analysé les impacts des interventions d’infirmiers de coordination dans la prise en charge de maladies chroniques, telles que les maladies cardio-vasculaires ou l’insuffisance cardiaque (7-9), le diabète (10) ou l’insuffisance rénale chronique (11). Dans ces études, les interventions des IDEC permettent d’assurer un meilleur suivi des patients et de meilleurs résultats sur les paramètres biologiques tels que la lipidémie, l’HbA1c, ou la créatininémie, avec des impacts démontrés en termes d’équilibre de la pathologie (moins de décompensations), de réduction des réhospitalisations et de la mortalité, et d’amélioration de la satisfaction des patients concernant leurs soins.

7En France, une étude conduite sur la place et l’impact des infirmiers de coordination en cancérologie (12) a montré que les interventions des IDEC ont permis de faciliter la prise en charge des patients (prise en compte des besoins sociaux) en amorçant une dynamique d’équipe au sein des établissements, notamment en facilitant la coordination du parcours et en améliorant l’information des médecins traitants.

8Cependant, aucune autre étude n’a encore été conduite en France sur la place et les activités concrètes des IDEC dans les pathologies chroniques, et le contexte actuel de transformation des métiers infirmiers encourageait à un état des lieux de l’existant.

Objectif

9L’objectif de ce travail était donc d’identifier et de décrire les activités des IDEC dans les maladies chroniques en médecine adulte, à partir des expériences menées à l’AP-HP, et d’identifier de premiers éléments d’impacts des IDEC dans les prises en charge de maladies chroniques.

Matériel et méthode

Recueil des données

10Le travail réalisé concerne les maladies chroniques en médecine adulte. Les disciplines chirurgicales, la pédiatrie, la gériatrie ont été exclues du champ d’analyse. Ont été considérées « hors-périmètre » les IDEC exerçant des missions de coordination en cancérologie -expérimentation en cours sur les IDEC dans le cadre du Plan Cancer (5) - et en transplantation d’organes, pour laquelle un métier spécifique -coordonnateur de prélèvement ou de transplantation d’organe (13) - existe déjà.

11Nous avons conduit une enquête par courrier électronique auprès des chefs de service en médecine adulte à l’AP-HP. En effet, nous avons souhaité à la fois travailler à l’échelle des services hospitaliers et appréhender le point de vue des médecins sur ces fonctions de coordination. Cette approche a été complémentaire d’une première enquête menée auprès des directions des soins locales (au niveau de chaque groupe hospitalier de l’AP-HP) mais dont les données sur les nouveaux métiers infirmiers étaient plus globales et concernaient les pôles hospitaliers.

12Lors de notre enquête par courrier électronique, les informations recueillies concernaient :

  • le nombre d’IDE impliquées dans ces fonctions de coordination ;
  • une description succincte de leurs principales activités ;
  • les pathologies concernées.

13Les IDEC n’entrant pas dans le périmètre d’étude ont été écartées suite aux réponses des chefs de service.

14Dans un second temps, des entretiens semi-dirigés en face à face (54 %) ou par téléphone (46 %) ont été réalisés avec des IDEC et certains médecins référents. Les médecins référents sont des médecins ayant porté les projets de développement des postes d’IDEC dans les services, et interviennent généralement en « binôme » avec les IDEC.

15Nous avons choisi cette approche par entretiens afin de pouvoir échanger directement avec les professionnels, et aborder de manière plus approfondie et moins formelle - par rapport à une approche par questionnaires - les activités des IDEC.

16Les questions abordées concernaient :

  • leurs activités : description détaillée de celles-ci, moyens dédiés à ces activités et éventuels outils de suivi utilisés ou mis en place ;
  • les modalités d’exercice de la fonction, notamment les relations avec les médecins et les autres personnels des services (paramédicaux notamment), et les modalités d’intervention auprès des patients ;
  • leur expérience et formation ;
  • les impacts de leurs actions d’IDEC sur la prise en charge des patients.

17Les questions abordées avec les médecins concernaient :

  • la description des activités de l’IDEC ;
  • les impacts de l’IDEC sur la prise en charge des patients.

Analyse des données

18Tous les entretiens ont fait l’objet de prises de notes détaillées soit directement pendant l’entretien ou a posteriori. Aucun entretien n’a été enregistré.

19L’analyse a porté initialement sur les activités « en pratique » déclarées par les IDEC et les médecins référents. Ces activités ont été classées et regroupées en deux thématiques, l’expertise et la coordination, permettant d’identifier les missions communes à toutes les IDEC, et celles plus spécifiques de certaines pathologies.

20Les données concernant les modalités d’exercice de la fonction, d’organisation des services et l’expérience/formation des IDEC ont été synthétisées et les points saillants mis en exergue.

21Le point de vue des IDEC et des médecins référents sur les apports et impacts des IDEC, notamment sur la prise en charge des patients, a également été analysé et résumé dans cette étude.

Resultats

22Les entretiens menés avec les IDEC ont duré environ une heure et ceux avec les médecins étaient de plus courte durée (trente à quarante-cinq minutes).

Recensement des IDEC

23Entre le 22 janvier et le 6 mars 2018, 115 chefs de service de médecine adulte ont été contactés, 86 (75 %) ont répondu. Parmi ces derniers, 26/86 (30 %) avaient au moins une IDEC dans notre périmètre d’étude. Au total, 48 IDEC ont été identifiées.

24Les disciplines les plus concernées étaient la pneumologie (broncho-pneumopathie chronique obstructive, hypertension pulmonaire), l’hépato-gastro-entérologie (maladies inflammatoires chroniques de l’intestin), la diabétologie et la cardiologie.

Réalisation des entretiens semi-dirigés

2526 IDEC et huit médecins référents ont été interviewés. Les entretiens menés avec les IDEC ont duré environ une heure et ceux avec les médecins étaient de plus courte durée (trente à quarante-cinq minutes).

Activités des IDEC

26Ces activités, identifiées par l’analyse des 26 entretiens semi-dirigés conduits avec les IDEC, étaient exercées à des échelles géographiques variables : le service, l’hôpital ou le secteur extrahospitalier (tableau 1).

Tableau 1

Classement des activités des IDEC

Tableau 1
Intra-service Intra-hospitalier Extra-hospitalier EXPERTISE - REALISER UNE EDUCATION A LA PATHOLOGIE/AUX TRAITEMENTS - S’assurer de la réalisation d’actions de prévention/ dépistage - Participer à des actions de formation - Donner un avis dans les autres services - (Participer à la transition pédiatrie/adulte) - ORIENTER LES PATIENTS EN DEMANDE OU DANS LE BESOIN - Orienter les professionnels extérieurs en demande - (Appeler le patient pour un contrôle) COORDINATION - Récupérer les résultats d’examens complémentaires -ORGANISER ET VERIFIER LA PROGRAMMATION DES RDV DE SUIVI/CONTROLE, ETC. - (Organiser l’hospitalisation) - (Faire le lien avec les professionnels de ville) AUTRES - (Participer aux activités de recherche) - (Participer aux activités de soins)

Classement des activités des IDEC

27Lecture du tableau :

  • Activites principales de >50 % DES IDEC ;
  • Activités de > 50 % des IDEC, mais pas forcément en activité principale ;
  • (Activités de < 50 % des IDEC).

Activités d’expertise

28La connaissance de la pathologie et la connaissance du service et des professionnels y travaillant ont été acquises avec plusieurs années d’exercice dans le service et auprès des médecins (suivi des consultations et des cours dispensés aux étudiants).

Orienter les patients en demande ou dans le besoin

29Les IDEC répondaient aux sollicitations des patients via une ligne téléphonique et parfois une adresse mail dédiée, les « advice lines » des pays anglo-saxons. L’IDEC était joignable directement et gérait seule la majorité des demandes. Dans les autres cas, elle orientait la demande vers le médecin ou discutait du cas avec lui. Il pouvait être demandé aux patients de réaliser des examens complémentaires ou une prise en charge plus adaptée comme une consultation en ville avec le médecin traitant ou une venue en hôpital de jour (HDJ) était proposée.

30Les IDEC répondaient également selon le même modèle aux sollicitations des professionnels extérieurs à l’établissement, notamment les IDE libérales, afin d’assurer la continuité du suivi.

Réaliser une éducation à la pathologie et aux traitements

31Toutes les IDEC étaient formées à l’éducation thérapeutique du patient (ETP), mais l’activité d’éducation ne s’inscrivait pas forcément dans des programmes validés par l’ARS. Elle prenait la forme d’ateliers collectifs ou de séances individuelles, plus fréquentes ; les ateliers collectifs ne nous ont été rapportés que pour certaines pathologies (MICI, diabète). Dans certains services, l’arrivée de l’IDEC a permis le développement et la structuration de cette activité voire de programmes d’ETP validés, inexistants avant leur arrivée.

S’assurer de la réalisation d’actions de prévention/de dépistage

32Les IDEC nous ont rapporté différentes actions auxquelles elles prenaient part : vérification du statut vaccinal des patients et information du médecin, sensibilisation à l’arrêt du tabac, promotion de l’activité physique, etc. Parfois, ces actions de prévention étaient menées par l’IDEC en pré-consultation avant la consultation médicale, et pour certains patients soumis à des traitements lourds comme les biothérapies, les IDEC centralisaient les informations et s’assuraient qu’ils bénéficiaient d’un suivi adapté. De l’avis des médecins, l’arrivée des IDEC a permis de systématiser et de formaliser certaines de ces actions de prévention.

Participer à des actions de formation

33Ces actions ponctuelles de formation, concernant la pathologie cible des IDEC ou leurs activités en tant qu’IDEC, étaient destinées aux étudiants, personnels du service (aides-soignants, IDE) voire à des professionnels extérieurs (IDE libérales). Certains IDEC avec un bagage universitaire (master 2, diplôme universitaire) ont également partagé leur expérience avec des étudiants suivant le même cursus.

Donner un avis dans les services

34Certains IDEC se déplaçaient dans d’autres services hospitaliers que leur service d’implantation, sur le modèle de l’équipe mobile, pour réaliser l’éducation du patient ou aider leurs collègues sur un traitement ou une prise en charge ; l’IDEC pouvait faire appel au médecin référent si besoin.

Appeler le patient pour un contrôle

35Cette activité de suivi pouvait concerner le traitement - contrôle des paramètres biologiques après mise en route du traitement, adaptation des doses d’une titration médicamenteuse - ou la pathologie - vérification de l’absence de complications, identification de signes de décompensation, etc. Selon les organisations locales, l’IDEC appelait soit directement et systématiquement le patient selon un protocole défini, soit uniquement en cas d’alertes cliniques ou biologiques prédéfinies faisant évoquer une décompensation débutante.

Participer à la transition pédiatrie-adulte

36Pour certaines pathologies chroniques ayant débuté dans l’enfance (maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, cardiopathies congénitales, épilepsie) la continuité de la prise en charge doit être assurée entre la pédiatrie et la médecine adulte, pour éviter les ruptures de prise en charge et les pertes de vue des patients. Des rencontres entre équipes soignantes étaient organisées par les IDEC pour faire le point sur la pathologie du patient et transmettre les informations nécessaires à la continuité de la prise en charge.

Activités de coordination

37La coordination, définie comme « l’organisation délibérée des activités de soins à un patient entre plusieurs acteurs du système de santé » (2), était essentiellement intra-hospitalière dans notre étude.

Assurer le suivi du patient

38Selon les prescriptions ou demandes des médecins, l’IDEC planifiait le suivi du patient ou organisait un bilan diagnostique, avec programmation des rendez-vous ou des venues en HDJ. Parfois, le rôle de l’IDEC était également d’organiser l’hospitalisation des patients.

Récupérer les résultats d’examens complémentaires

39Cette activité était réalisée par les IDEC dans le cadre du suivi de la pathologie/du traitement (centralisation des informations) ou de la préparation d’une consultation, d’une HDJ ou d’un staff pluridisciplinaire, permettant de disposer de l’ensemble des éléments pour une prise en charge adaptée.

Organiser l’hospitalisation

40Cette activité concernait l’hospitalisation des patients pour décompensation de la maladie, directement dans le service où travaillait l’IDEC. L’hospitalisation décidée par le médecin en consultation ou suite à l’appel du patient (gestion de la ligne téléphonique dédiée) était gérée directement par l’IDEC.

Faire le lien avec les professionnels de ville

41L’IDEC contactait notamment les IDE libérales participant au suivi du patient, les « transmissions » portaient essentiellement sur les traitements. Pour certains malades chroniques (BPCO, insuffisant cardiaque) éligibles, les IDEC sollicitaient les conseillers d’Assurance maladie pour mettre en place un programme d’accompagnement du retour à domicile (PRADO).

Autres activités

42Ces activités, rapportées lors des entretiens, n’appartenaient ni à l’expertise, ni à la coordination.

43Certaines IDEC interrogées nous ont rapporté conserver une activité de soins, mais qui restait souvent « marginale », comme la réalisation de prélèvements pour des patients ajoutés au programme. Ce sont la plupart du temps des unités d’HDJ qui étaient concernées.

44Par ailleurs, parmi les IDEC interrogées, certaines nous ont indiqué participer à des activités de recherche. En général les IDEC étaient sollicitées, du fait de leur position dans le service et leur connaissance de la cohorte des patients suivis, par les attachés de recherche clinique (ARC) ou les équipes de recherche, pour l’inclusion des patients dans des protocoles. Dans quelques cas, cette activité de recherche représentait l’une des activités principales de l’IDEC (notamment pour les maladies rares).

Apports des IDEC

45Les IDEC ont permis de libérer du temps pour les médecins et pour les autres IDE (non IDEC) du service en gérant des tâches administratives (gestion des appels/mails des patients, gestion des demandes de prises en charge particulières - réhabilitation, SSR, récupération d’examens complémentaires, aide à la programmation).

46Par ailleurs, quand les IDE avaient une interrogation particulière concernant un patient ou une prise en charge, les IDEC leur apparaissaient comme « référentes » ; étant en effet souvent plus « disponibles » que les médecins et plus souvent présentes dans le service de soins.

47Les patients semblent satisfaits de la présence de l’IDEC, car certains d’entre eux ont exprimé aux IDEC le fait de se sentir soutenus, moins perdus et moins stressés. Ils trouvent en l’IDEC un interlocuteur dédié, « privilégié » et bien identifié (« Si j’ai un souci, je peux l’appeler »).

48Les médecins interrogés ont également souligné le rôle central qu’occupe l’IDEC dans la prise en charge des malades chroniques. L’IDEC centralise tous les bilans et examens, et alerte le médecin quand quelque chose ne va pas.

49D’après les éléments recueillis en entretiens, les IDEC ont également permis une amélioration de la qualité de certaines organisations : réduction des délais de prise en charge, examens et consultations mieux planifiés (« moins de ratés »), et parfois moins d’arrêt de traitements. Dans le cas des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), l’IDEC a permis le développement de programmes d’ETP, ainsi que la systématisation d’actions de prévention/dépistage (statut vaccinal vis-à-vis de l’hépatite B, du pneumocoque et de la grippe en période hivernale).

50Enfin, la gestion des demandes des patients (ligne téléphonique dédiée) par les IDEC ont permis parfois d’éviter des passages aux urgences et une meilleure organisation de la prise en charge : « Si je n’étais pas là, certains patients se tourneraient vers les urgences, ce qui peut potentiellement aboutir à des hospitalisations non justifiées ».

Discussion

51Ce travail constitue un premier recensement et un état des lieux des activités des infirmiers de coordination (IDEC) dans la prise en charge des maladies chroniques chez l’adulte.

52Il semble que les IDEC soient devenus indispensables au fonctionnement des services dans lesquels ces postes ont été mis en place.

Principaux apports de notre étude

53Nous avons pu identifier que l’ensemble des activités déclarées par les IDEC est inscrit dans le référentiel d’activités du diplôme d’Etat d’infirmier (6,14). Les IDEC ne disposent pas d’un statut propre, même si certaines activités, notamment d’expertise, semblent caractériser ce type de poste : éducation thérapeutique, ligne téléphonique dédiée, interlocuteur clairement identifié et facilement joignable. L’expertise clinique de l’IDEC lui assure efficacité et réactivité dans sa réponse aux sollicitations des patients et des professionnels, et font la plus-value de la présence d’IDE à ces postes de coordination.

54Les activités de coordination nécessitent une bonne connaissance du fonctionnement de l’hôpital, des services et des interlocuteurs. Même si ces activités de coordination pourraient être réalisées par d’autres professionnels comme les secrétaires, l’expertise clinique permet une réponse plus rapide et un adressage plus pertinent.

Quatre points d’attention nous semblent importants à considérer

La traçabilité de l’activité

55Les IDEC ont souvent développé leurs propres outils de suivi d’activité et sont les seuls à les utiliser. Peu d’IDEC mentionnent leur intervention dans le dossier du patient. Parfois, les IDEC utilisent un module spécifique du dossier patient informatisé quand il est disponible, mais il est peu consulté par les médecins. Dans certains services, l’IDEC rédige un compte-rendu spécifique de son intervention, intégré au dossier et à terme dans le compte-rendu d’hospitalisation. Enfin, dans de rares cas, ce sont les médecins eux-mêmes qui font mention de l’intervention de l’IDEC auprès du patient.

56Quand l’IDEC participe à des activités de recherche dans le service où elle exerce, elle trace son activité dans des outils dédiés. Mais l’activité d’ETP des IDEC, le cas échéant, est souvent la seule qui bénéficie d’un véritable suivi organisé et adapté. En effet, ce suivi doit être réalisé dans le cadre de l’évaluation quadriennale des programmes d’ETP validés par l’ARS.

57Ainsi, la traçabilité de l’activité des IDEC reste souvent limitée, souvent par manque de temps et d’outils pour l’effectuer : « On n’écrit pas assez, c’est vrai, au niveau traçabilité, ça manque ». L’espoir repose sur les nouvelle générations d’infirmières (et donc d’IDEC) qui ont « compris l’intérêt des écrits » et qui seront donc plus susceptibles de tracer l’ensemble de leurs actes/activités. Actuellement, le manque voire l’absence de traçabilité des activités des IDEC, souvent limitée aux seules activités d’ETP nuit à la visibilité de ces postes.

Glissement de tâches

58L’expertise de l’IDEC (connaissance de la pathologie, de l’organisation du service et des professionnels) lui assure efficacité et réactivité dans sa réponse aux sollicitations des patients et des professionnels. Cependant une partie des activités de coordination des IDEC n’exige pas d’expertise.

59Le glissement de tâches a été évoqué à plusieurs reprises par les IDEC et les médecins référents. Il s’agit essentiellement de tâches qui relèveraient du secrétariat (comme certaines prises de rendez-vous ou l’envoi de convocation aux patients). Des IDEC nous ont rapporté avoir une importante charge de travail « administratif » (« La coordination c’est beaucoup d’administratif »), et être submergés : « On est un point central pour tout le monde, les soignants, les médecins, les patients. Plus ça va, plus tout le monde nous connaît et on est vite submergé ».

60L’absence de statut propre pour les IDEC est un élément qui favorise probablement le glissement de tâches.

Organisation

61Si l’IDEC travaille le plus souvent avec l’ensemble des médecins du service, nous avons parfois identifié un « médecin référent » qui a souvent été porteur du projet de mise en place de l’IDEC. Quelques fois, c’est un véritable binôme « IDEC/Médecin » qui intervient comme « équipe mobile » auprès des autres services hospitaliers.

Formation et compétences

62La quasi-totalité des IDEC est détentrice d’une formation en ETP. Quelques IDEC nous ont rapporté avoir suivi des formations spécifiques à la pathologie dans laquelle ils interviennent ou encore des formations universitaires de grade Master (master 2 en organisation des soins notamment).

63En revanche, les IDEC ont beaucoup et essentiellement appris, sur le terrain, de leur expérience d’activités de soins dans les services, mais aussi des enseignements dispensés par les médecins (identiques à ceux des étudiants en médecine) ou encore des consultations médicales auxquelles ils ont assisté aux côtés des médecins : « Je suis un produit du service », « Si j’allais dans une autre spécialité je ne serais pas aussi performante. L’expertise que j’ai je mettrais 10 ans à l’avoir ».

64Dans certaines pathologies (MICI, BPCO), il y a également eu une « formation par les pairs », les IDEC déjà en poste ayant accueilli les autres IDEC pour leur expliquer leurs activités et partager leur expérience et l’organisation qu’ils ont développée.

65Des qualités semblent nécessaires à l’exercice de cette fonction : diplomatie, écoute, une certaine « autonomie », facilité d’adaptation, qualités en communication et de contact.

66Les IDEC s’accordent sur le fait que ce type de poste n’est pas adapté en sortie d’école, et estiment qu’il faut quelques années d’expérience avant de prendre un poste de coordination : « Quand on vient d’être diplômé, on ne se concentre généralement que sur un élément particulier, on ne voit pas encore la globalité ». Or, quand on exerce ce type de fonction, il faut pouvoir voir le patient dans sa globalité (patient, entourage, vie privée, vie professionnelle, contexte psychiatrique, etc.).

67Ces postes d’IDEC représentent, pour les IDE, des alternatives et des opportunités d’évolution par rapport aux fonctions d’IBODE, d’IADE ou de cadre de santé. Beaucoup d’IDEC que nous avons interrogés n’aspiraient pas à devenir cadre, et souhaitaient trouver une alternative au service de soins tout en conservant un certain contact avec les patients. Le poste d’IDEC a répondu à cette attente, tout en leur permettant de disposer d’une marge de manœuvre plus importante qu’en salle où les IDE sont plutôt des « exécutants ». A ces postes d’IDEC, les IDE se sentent plus actifs, plus responsables. « Pour une IDE, ce sont des postes passionnants ».

Limites de notre étude

68Nous avons abordé cette fonction d’IDEC à travers le point de vue des médecins chef de service en les interrogeant initialement par courrier électronique. Nous aurions pu interroger directement les cadres de santé des services - ce d’autant que certains chefs de service nous ont directement orientés vers ceux-ci - du fait de leur positionnement dans chaque service de soin et de leurs connaissances du sujet. Cela nous aurait peut-être permis d’identifier un plus grand nombre d’IDEC dans notre périmètre d’étude.

69Nous avons choisi de travailler sur les maladies chroniques chez l’adulte, et donc d’exclure certains champs (pédiatrie, gériatrie) de notre étude. Cependant, les malades chroniques de ces tranches d’âge ont des besoins spécifiques de prise en charge.

70Le champ de la chirurgie pourrait quant à lui faire l’objet d’une étude spécifique, car le développement important de l’ambulatoire semble propice à la mise en place de postes de coordination, et particulièrement d’IDEC.

71Par ailleurs, nous n’avons pas interrogé toutes les IDEC identifiées dans l’enquête initiale. En effet, dans certains services, plusieurs IDEC exerçaient leurs activités sur une même pathologie : nous avons alors choisi de n’en interroger qu’un voire deux. Les analyses découlant des entretiens peuvent donc être incomplètes sur certains thèmes, même si la saturation des données a été atteinte, notamment concernant les activités des IDEC.

72Notre approche par entretiens aurait également pu être complétée par des questionnaires ou des observations directes menées dans les services, permettant une meilleure compréhension des activités des IDEC et de leurs relations avec les professionnels et les patients. Les entretiens auraient pu être enregistrés et retranscrits intégralement.

Une expertise se prêtant bien aux évolutions de pratiques

73Au-delà du décret d’actes, nous avons identifié l’existence de protocoles de coopération entre professionnels de santé impliquant des IDEC, ces protocoles leur permettant, dans des situations définies, d’élargir leur périmètre d’activité.

74Par ailleurs, avec la modification récente du paysage des métiers infirmiers par la publication des textes définissant l’exercice infirmier en pratique avancée (15), nous pouvons questionner la place relative des IDEC par rapport aux infirmiers en pratique avancée diplômés d’Etat (IPADE). Du fait de leur expertise des pathologies et des années d’exercice dans leur fonction, les IDEC pourraient être un public cible intéressant pour des premiers postes d’IPADE. Cela aurait d’autant plus de sens que certains IDEC ont acquis une expertise des domaines d’intervention (pathologies chroniques stabilisées - accident vasculaire cérébral, diabète, maladie de Parkinson, épilepsie - ; dialyse) ouverts à l’exercice en pratique avancée. L’exercice d’IPADE permet une montée en compétences et ouvre à un nouveau statut et rémunération de l’infirmier (réglementation attendue en 2019), alors que, n’ayant pas de statut propre et exerçant dans le cadre du décret de compétences de l’IDE, l’IDEC n’a pas de valorisation salariale propre. La possibilité d’évoluer vers le métier d’IPADE avait d’ailleurs été évoquée spontanément par certains médecins.

Conclusion

75Cet état des lieux de la coordination infirmière dans les maladies chroniques (chez l’adulte) à l’AP-HP constitue un premier travail d’importance qui pourra alimenter la réflexion dans le contexte actuel de transformation des métiers et pratiques infirmiers et la nécessaire réorganisation médico-soignante à engager.

76En effet, les IDEC sont nombreuses dans les services de médecine adulte à l’AP-HP et la majorité des disciplines sont concernées par de tels postes.

77Les IDEC exercent des activités de coordination, mais leur plus-value réside essentiellement dans l’expertise qu’elles ont acquise et peuvent mettre au profit de la prise en charge des malades chroniques.

78Les IDEC fournissent aux patients une aide pour la compréhension de leur maladie et représentent un interlocuteur dédié bien identifié. Ces postes d’IDEC libèrent également du temps médical, permettant de prendre en charge des patients toujours plus nombreux et de passer plus de temps auprès de malades « complexes ».

79Enfin, il est à noter que si les missions des IDEC sont retrouvées dans le décret d’actes encadrant l’exercice de la profession d’IDE, leur niveau d’expertise se prête bien à une évolution vers la pratique avancée infirmière.

Declaration de conflits d’interet

80Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt.

Bibliographie

Références

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Mots-clés éditeurs : pratique avancée infirmière, parcours de soins, maladies chroniques, infirmier de coordination, qualité des soins

Mise en ligne 02/05/2019

https://doi.org/10.3917/rsi.136.0090

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