Introduction
1L’une des conséquences du vieillissement de la population est l’augmentation du recours aux services d’urgence des personnes âgées de plus de 75 ans. Les soignants de ces services, ne sont pas toujours formés à la spécificité de la prise en soins de cette population et sont parfois confrontés à des situations complexes à gérer.
2La survenue d’un état d’agitation lors de l’admission aux urgences est un phénomène courant dans cette population. Il traduit un inconfort ou une difficulté d’adaptation en lien avec un état de fragilité. L’agitation est aggravée car les services d’urgence ne sont pas suffisamment adaptés pour accueillir cette population. L’environnement hospitalier peut être anxiogène et angoissant, induisant chez ces patients un sentiment d’insécurité.
3La gestion de l’état d’agitation reste une préoccupation majeure pour tous les intervenants. Elle doit être efficace et rapide pour prévenir les conséquences délétères pour le sujet âgé et son entourage s’il est présent, limiter la désorganisation de l’équipe soignante ainsi que le stress et l’épuisement des intervenants. Des solutions et des organisations permettent des prises en charge spécifiques dont l’appui aux équipes de soins des services d’urgence par des Equipes mobiles de gériatrie (EMG). Des nouvelles fonctions, en cours de développement dans le contexte français, telles que celles d’infirmière de pratique avancée (IPA) pourraient également concourir à la gestion de ces situations complexes.
4Le but de cette étude est de décrire, de comprendre la situation des personnes âgées de plus de 75 ans fragiles en état d’agitation dans un service d’urgence et d’examiner la contribution d’une IPA au sein d’une EMG dans leur prise en soins.
5Nous commencerons par un état des connaissances des concepts de fragilité de la personne âgée et d’agitation, des causes et des conséquences de ce phénomène chez le sujet âgé fragile. Nous aborderons les missions d’une EMG, son action dans le service des urgences ainsi que la définition et les caractéristiques de l’IPA.
6Nous décrirons ensuite la méthodologie de l’étude, puis nous présenterons les résultats et une analyse de ceux-ci. Enfin, nous proposerons des éléments de réponse quant au rôle que peut avoir une IPA dans cette situation particulière de soins.
Etat des connaissances
7L’ensemble des études disponibles à ce jour montre que le recours aux services d’urgence par les personnes âgées est en croissance permanente depuis quelques années ; qu’elles soient adressées ou non par leur médecin traitant. Une enquête de la Direction de la recherche des études de l’évaluation et des statistiques (Drees) de 2013 sur les urgences hospitalières (1) révèle que le passage aux urgences de cette population est passé de 4,82 millions en 1996 à 7,02 millions en 2011. D’autres études de la Drees publiées en 2017 montrent notamment que les personnes âgées aux urgences constituent un public spécifique avec une durée de passage plus longue que celle de la population des 15-74 ans, soit une médiane de 4 heures et 30 minutes versus 2 heures et 20 minutes (2,3).
8Cette progression représente un enjeu à la fois quantitatif et qualitatif, en termes de prise en charge, car cette population présente des situations de soins complexes face auxquelles l’intervention d’une équipe pluridisciplinaire et/ou de professionnels spécialisés est nécessaire.
9L’ensemble des éléments du contexte de prise en soins et les conditions d’accueil dans les services d’urgence contribuent à générer une anxiété. Celle-ci peut induire ou majorer l’agitation de la personne âgée particulièrement si elle est déjà fragile.
La fragilité
10La notion de fragilité, ou « frailty » en anglais, est de plus en plus utilisée en gériatrie. La fragilité est définie, dans le dictionnaire Larousse (4), comme « ayant un caractère de ce qui se brise ou se détériore facilement, de caractère précaire, instable, de manque de robustesse physique ou morale ou encore de manque de vigueur et de vitalité ».
11L’étude de Gonthier et al. (5) concernant l’individualisation des personnes âgées fragiles et les filières de soins, mentionne les principaux syndromes de décompensation d’un état fragile. Les auteurs soulignent que le « sujet âgé fragile est particulièrement exposé à la confusion mentale en cas d’affection aiguë ou de modifications d’environnement telles qu’une hospitalisation ou une institutionnalisation. Des signes comme l’agitation psychomotrice et les hallucinations peuvent apparaître avec un délai de survenu d’un à 14 jours. Des retards de prise en charge, l’absence d’une prise en charge spécifique ou une prise en charge inadaptée exposent à une décompensation rapide ». Selon ces auteurs, un tiers des personnes âgées de plus de 75 ans hospitalisées pour une pathologie aiguë ont vu leur état fonctionnel « se détériorer ».
12Selon Fried, la fragilité peut être définie comme « un syndrome physiologique caractérisé par une réduction des réserves et de la résistance aux facteurs stressants, qui résulte d’un déclin cumulatif de multiples systèmes physiologiques et qui cause une vulnérabilité aux effets nocifs » (6).
13Ce syndrome est également décrit par Trivalle : « il s’agit d’un groupe de personnes à haut risque d’hospitalisation, d’institutionnalisation, et de décès. Les personnes âgées fragiles sont donc fréquemment adressées aux urgences en situation de crise médico-psycho-sociale. Mais cette situation n’est pas irréversible et peut être améliorée par des actions adaptées. Ce syndrome de fragilité semble être un meilleur facteur prédictif des pathologies elles-mêmes » (7).
14La littérature ne fournit pas de définition consensuelle mais les études s’accordent sur le fait qu’il s’agit d’un processus dynamique et d’une impossibilité à répondre de manière adaptée à un stress quel qu’en soit l’origine. Le vieillissement étant hétérogène selon les individus, trois types de personnes âgées sont identifiées : les robustes autonomes ; les fragiles, limitées sur le plan fonctionnel avec une diminution de leurs capacités d’adaptation à un stress mais qui ne deviennent pas dépendantes et enfin les très fragiles et très dépendantes.
15Ces différentes définitions montrent que la fragilité du patient âgé est un facteur de risque important de survenue d’agitation.
L’agitation
16Dans la littérature, plusieurs auteurs ont défini l’agitation. Roberge en 1996 l’aborde par « une approche thérapeutique rationnelle […] basée sur une définition précise du concept et sur une connaissance des changements neurobiologiques associés au vieillissement et des facteurs causaux incriminés ». Il ajoute « l’agitation est un comportement vocal ou moteur qui est soit perturbateur, soit hasardeux, soit nuisible aux soins du patient, selon l’environnement dans lequel il se trouve » (8).
17Pour Hazif-Thomas, c’est « un symptôme psychiatrique caractérisé par une hyperactivité psychomotrice désordonnée et inadaptée » (9).
18Plus récemment en 2017, Noirot et Martin précisent que « l’agitation verbale du sujet âgé est un trouble du comportement excessif et transitoire perturbant l’environnement. Il est la conséquence d’un état de stress non résolu lié à une instabilité psychique entraînant cette mauvaise adaptation à l’environnement » (10).
19Toutes les études réalisées sur le sujet expliquent que la prise en charge de l’agitation de la personne âgée est incontestablement une urgence car les conséquences peuvent s’avérer désastreuses. Cette prise en charge est rendue difficile par l’aspect multifactoriel de son étiologie.
20Bazin note que le diagnostic des états d’agitation des sujets âgés « est difficile à poser tout d’abord du fait de la variété des causes somatiques, psychiatriques ou non et du caractère urgent de la situation, ensuite parce que les troubles de communication sont majorés par les troubles mnésiques, surtout chez le sujet dément, ce qui rend la difficulté de diagnostic encore plus accentuée et enfin parce que les étiologies rencontrées chez les sujets âgés non déments peuvent aussi se rencontrer chez les sujets déments et doivent donc être consciencieusement explorées » (11).
Les facteurs de risques et les mécanismes de l’agitation du sujet âgé aux urgences
21Pour Roberge, « Les causes rapportées sont d’origines somato-métaboliques, psychologiques, iatrogènes/toxiques et sont souvent réversibles. Des facteurs favorisants peuvent également provenir du contexte familial (décès du conjoint, éloignement d’un proche), environnemental (déménagement, hospitalisation), affectif (conflit) ou d’un traumatisme comme une chute. » Il préconise pour le diagnostic d’agitation l’association « des D3AP » soit « Douleur, Delirium, Dépression, Aidant et Psychose » (8).
22D’autres facteurs comme une désorientation liée à un changement de milieu (personne déplacée de son milieu de vie vers un service d’urgence…), la présence de déficits sensoriels dont les conséquences ne seraient pas prises en compte, la peur d’un environnement apparaissant hostile avec une perte des repères, l’inconfort généré par un besoin non satisfait (envie d’uriner ou autre) que la personne ne peut verbaliser, la présence d’une douleur non verbalisée et par conséquent non soulagée conduisant à une réelle souffrance physique et psychologique, la déstabilisation liée à une incompréhension de la situation qui peut induire une auto et une hétéro-agressivité.
23Il est généralement admis que les urgences ne sont pas adaptées pour les personnes âgées, on y accueille dans le même espace tous types de population. Les patients âgés, outre leurs problématiques spécifiques, se retrouvent dans un espace où ils ne peuvent pas déambuler, ils peuvent y être confrontés au bruit voire à la violence et aux cris d’autres patients. Ces éléments de contexte peuvent être source d’agitation.
24L’anxiété, la méconnaissance des intervenants, sont autant de facteurs créant un stress et un inconfort pour la personne âgée qui a des difficultés à s’adapter au contexte. Cette agitation peut avoir des effets négatifs sur la qualité des soins dispensés avec un risque de stigmatisation, de contention et/ou d’évitement. Fréquemment, les soignants confrontés à la gestion des patients doivent aussi gérer des familles, elles-mêmes angoissées par une attente qui leur paraît interminable (besoin d’informations, de réassurance et de solutions immédiates).
25De nombreux états d’agitation débutent au domicile. Ils peuvent révéler des dysfonctionnements familiaux, entraîner un épuisement des aidants conduisant à précipiter une institutionnalisation.
26Enfin, l’agitation peut majorer une anxiété, induire des erreurs de diagnostic et de traitements et aussi engager le pronostic vital.
Les recommandations de prise en soins du sujet âgé fragile agité aux urgences
27En 2003, lors de la 10ème conférence de consensus sur la prise en charge de la personne âgée de plus de 75 ans aux urgences, la Société francophone de médecine d’urgence (SFMU), a rédigé des recommandations de bonnes pratiques concernant la prise en charge de l’agitation aux urgences (12).
28Pour Laquet, la qualité de la prise en charge aux urgences dépend de la collaboration entre médecins urgentistes et gériatres, entre les équipes soignantes et par la mise en œuvre de protocoles de soins adaptés (13).
29Les recommandations émises sont toutes concordantes. Une approche relationnelle et le recours à une approche pharmacologique en cas de nécessité sont privilégiés par la majorité des médecins.
30Roberge préconise l’approche « ABC : A pour Antecedents, événements qui ont précédé l’apparition de l’agitation ; B pour Behaviour, comportement et C pour Consequences, analyse des événements qui surviennent après le comportement » (8).
31La Haute autorité de santé (HAS) s’est appuyée sur une revue systématique internationale pour rédiger des recommandations de bonnes pratiques sur la prise en charge de l’agitation de la personne âgée (14) qui priorise une approche relationnelle de l’agitation.
32Concernant l’approche médicamenteuse, l’étude de Moritz (15) portant sur la conduite à tenir devant une agitation souligne que « la grande majorité des études sur la sédation des patients agités a été réalisée en milieu psychiatrique, chez des patients psychotiques. Ainsi, bien que ce tableau clinique soit fréquent, la 9ème conférence de consensus sur l’agitation aux urgences de 2002, signale qu’aucune étude de niveau de preuve élevé ne permet la comparaison de molécules entre elles dans les situations cliniques autres que psychiatriques. Elle précise ainsi qu’il subsiste beaucoup d’interrogations et des attitudes contradictoires sur la conduite à tenir ».
33Les deux classes de médicaments les plus couramment utilisées sont, parmi les psychotropes, les benzodiazépines et les neuroleptiques. D’après les recommandations de la HAS (14) la prescription de psychotropes chez le sujet âgé doit être justifiée par la présence de symptômes comportementaux ou émotionnels sévères provoquant chez le patient une souffrance significative, de symptômes mettant en danger le patient, de symptômes empêchant des traitements ou des examens indispensables à la prise en charge. Leur utilisation n’est destinée qu’à traiter ponctuellement les symptômes gênants pour le patient et son entourage (anxiété majeure ou agitation sévère). La préconisation de la HAS est de limiter autant que possible le recours aux médicaments, de les administrer durant une courte période et d’évaluer l’effet afin de prévenir les risques de chutes, de confusion et de sédation excessive. La présence de symptômes comportementaux n’est pas spécifique aux personnes âgées fragiles mais les précautions d’usage des médicaments peuvent les concerner.
Les limites et les enjeux pour les soignants des urgences
34Les recommandations de bonnes pratiques peuvent s’avérer difficilement applicables dans le contexte des urgences. Les soignants ne disposent pas du temps nécessaires et/ou d’une organisation dédiée à l’accueil des personnes âgées.
35Recueillir et analyser les informations, comprendre la situation nécessite du temps car il faut examiner, observer et évaluer le comportement de la personne. Comprendre le contexte de vie, rechercher les éléments déclenchants, identifier une cause somatique, psychiatrique où éventuellement iatrogène en interrogeant la personne elle-même, l’entourage ou le médecin traitant sont aussi nécessaires pour obtenir des informations relatives aux traitements et agir assez rapidement pour éviter une aggravation de la situation.
36Pour mettre en pratique les recommandations de bonnes pratiques et utiliser en premier recours les traitements non médicamenteux, l’infirmier doit établir un climat propice à la communication.
37La personne âgée fragile et agitée est rarement réceptive aux sollicitations des soignants, et l’instauration d’une relation de confiance nécessite du temps. S’ajoute à ces difficultés le fait que les infirmiers aux urgences ne sont pas tous formés aux spécificités de la personne âgée.
38Le recours des services d’urgence aux EMG est une ressource susceptible d’apporter un appui aux équipes et de faciliter la mise en œuvre des recommandations.
Les équipes mobiles de gériatrie
39Une EMG est une équipe professionnelle souvent intégrée à la filière gériatrique et généralement composée au minimum d’un gériatre et d’un infirmier. Sa mission est de mettre à disposition ses compétences gériatriques aux services à vocation non gériatrique. Elle émet des recommandations de prise en soins, procède à des évaluations gérontologiques médico-psycho-sociales, donne des avis diagnostiques et/ ou thérapeutiques avec pour but l’amélioration des soins auprès de cette population. Les missions de l’EMG sont précisées dans la circulaire DHOS/02 no 2007-117 du 28 mars 2007 (16) relative à la filière de soins gériatriques. Cette circulaire précise également que « le système hospitalier doit pouvoir faire face, non seulement à l’accroissement du nombre de personnes âgées, notamment des personnes de plus de 75 ans mais aussi, répondre à leurs besoins spécifiques ; souvent polypathologiques et fragiles et ainsi prévenir la perte d’autonomie ».
40Le jury de la conférence de consensus de la SFMU, relative à la prise en charge de la personne âgée de plus de 75 ans aux urgences (12), recommande un repérage minimal de la fragilité chez toute personne âgée se présentant au service d’urgence ainsi qu’une collaboration étroite entre les urgentistes et les gériatres. Cette collaboration est effective grâce à un travail en pluridisciplinarité avec les EMG.
41Dubois et al. soulignent que « la population cible de l’EMG est la personne fragile, âgée de 75 ans et plus, celle sur qui une action de prévention permettra de réduire la fréquence de l’hospitalisation, la perte d’autonomie physique ou psychique et de retarder l’entrée en institution » (17).
Intérêt potentiel d’une EMG aux urgences
42La circulaire relative à l’amélioration de la filière de soins gériatriques (16) précise que « Parmi les missions de l’EMG, on retrouve son intervention dans la structure des urgences dès l’entrée d’un patient à risque de perte d’autonomie et d’hospitalisation prolongée. Dans cette structure des urgences, son rôle est de faciliter l’entrée directe du patient dans le court séjour gériatrique et le cas échéant vers les soins de suite et de réadaptation, d’organiser des retours à domicile ou en structure en collaboration avec la structure des urgences. »
L’infirmière de pratique avancée
43Dans le rapport 2007 de la HAS présidé par Yvon Berland « La formation des professionnels pour mieux coopérer et soigner », il est question des caractéristiques de la fonction d’infirmière de pratique avancée (IPA).
44Ces caractéristiques sont en totale concordance avec la définition du Conseil international des infirmières (CII) (18) : « L’infirmier(ère) qui exerce en pratique avancée est un(e) infirmier(ère) diplômé(e), qui a acquis des connaissances théoriques, le savoir-faire nécessaire aux prises de décisions complexes, de même que les compétences cliniques indispensables à la pratique avancée de sa profession. Les caractéristiques de cette pratique avancée sont déterminées par le contexte dans lequel l’infirmier(ère) sera autorisé(e) à exercer. Un diplôme de type master est recommandé ».
45Les caractéristiques de l’IPA relèvent d’activités dans le domaine clinique avec une approche holistique ainsi qu’une relation de partenariat dans la prise en soins des patients, l’utilisation des résultats de la recherche pour guider ses interventions, l’organisation, la coordination des soins ainsi que l’orientation vers d’autres professionnels. Un rôle de dépistage, de prévention et de promotion de la santé. Elle a un rôle de conseil, de formation et d’enseignement auprès des malades, de leur entourage, des pairs et des autres professionnels avec qui elle travaille en interdisciplinarité. Ses compétences lui confèrent une autonomie professionnelle.
46L’IPA pour être compétente, doit être capable de mobiliser et de puiser dans ses connaissances acquises en formation et son expérience professionnelle pour s’adapter aux situations de soins complexes et être en mesure de prendre des décisions pertinentes. Elle doit pouvoir analyser et porter un regard critique sur les situations. Cette compétence se situe dans cinq domaines précisés par le CII : clinique, conseil et consultation, recherche, leadership et formation.
47La pratique avancée, comme le travail des infirmières généralistes, implique le recours aux modèles conceptuels infirmiers dans la prestation des soins.
48Des études réalisées sur l’agitation de la personne âgée ont mis en lien ce phénomène avec la théorie du confort et le concept de l’attachement. L’une d’elle menée par Schaub souligne que « l’agitation est fortement liée à l’inconfort physique ou psychique et sa récente définition inclut la notion de détresse émotionnelle. Chez une personne avec de grandes difficultés cognitives, l’hospitalisation active le besoin d’attachement et de sécurité auquel le personnel soignant doit pouvoir répondre » (19).
49L’étude de Vaucher et Vuilleumier utilise la validation de Naomi Feil dans la prise en soins de la personne âgée démente aux urgences. Ils soulignent « les services d’urgences sont des lieux anxiogènes et angoissants qui peuvent être délétères pour cette population de patients et ainsi amener à d’autres problématiques. […] Les équipes se trouvent rapidement impuissantes et démunies face aux troubles du comportement et à l’agitation » (20). La méthode de validation de Naomi Feil consiste à comprendre que : « dans la perception de la réalité de la personne âgée, ses comportements sont cohérents et sensés. Le soignant doit comprendre ces comportements et leurs sens dans le but de légitimer ce que vit et ressent la personne âgée démente et ainsi de l’apaiser » (21). La fragilité et l’agitation ne sont pas systématiquement liées au syndrome démentiel mais les trois états peuvent être souvent observés chez les personnes âgées.
50Il a été montré que l’agitation survient fréquemment chez la personne âgée fragile et que cela traduit une réduction des réserves adaptatives, une impossibilité de répondre de façon adéquate à un stress qu’il soit médical, psychologique ou social. Il a été montré également que cet état est réversible, d’où la nécessité de trouver des stratégies pour permettre à la personne de s’adapter à la situation afin de prévenir la survenue de crises telles que l’agitation. Le modèle de l’adaptation développé par Soeur Callista Roy semble être approprié à ce contexte de soin.
51L’adaptation est un concept important dans les soins infirmiers. Il a été défini par des infirmiers et d’autres auteurs dont Piaget dans sa théorie de l’apprentissage, le constructivisme. Pour lui, le processus d’adaptation est la capacité d’intérioriser des schèmes qui vont s’inscrire dans le cerveau, s’organiser en structures opératoires et permettre à l’individu d’apporter une réponse adaptée à une situation. Les concepts d’assimilation, d’accommodation et d’équilibration expliquent ce processus.
52L’assimilation et l’accommodation sont des processus complémentaires qui caractérisent l’adaptation. L’accommodation est le processus par lequel l’individu, confronté à une situation nouvelle, cherche une solution au problème posé car les schèmes déjà inscrits en lui sont inadaptés. On peut noter ici la notion de régulation qui est à la base de celle de l’équilibration (adaptation aux pressions de l’environnement) essentiellement endogène soulignée par Raynal et Rieunier (22).
53Le concept d’adaptation a été défini par plusieurs auteurs (23). Selon Tremblay « l’adaptation psychosociale est l’équilibre ou la recherche d’équilibre entre le bien-être interne et le bien-être externe dans certaines situations données. […] Face à des difficultés internes ou externes, l’individu passe d’un état d’équilibre et de bien-être à un état d’inadaptation provisoire, de stress physique et psychologique, de souffrance. Selon le contexte, il trouvera ou non les ressources nécessaires pour faire face et retrouver un nouvel état d’équilibre. L’inadaptation peut durer dans le temps et nécessite alors, des interventions de réadaptation, réhabilitation, rééducation » (24). L’adaptation est un processus faisant intervenir chez l’individu des mécanismes de régulations à la fois biologiques, cognitifs, émotionnels et comportementaux. Soeur Callista Roy est une théoricienne en sciences infirmières, née en 1939 en Californie ; religieuse et infirmière, elle publie son modèle conceptuel en 1970 à l’issue de son cursus universitaire. Pour elle, la personne est un système capable de s’adapter aux différents stimuli exogènes (l’environnement) et endogènes appelés intrants. Chaque individu possède des capacités biologiques et psychologiques d’adaptation à l’environnement, capacités qu’il développe constamment. Il existe quatre modes adaptatifs : le physiologique, le concept de soi, le mode du rôle et le mode de l’interdépendance. L’environnement représente l’ensemble des intrants qui vont impacter le développement ou le comportement de l’individu. La santé traduit l’adaptation de l’individu à son environnement, la conservation de son intégrité et de son unité face à de nouveaux stimuli. Les soins infirmiers sont centrés sur la personne (approche holistique). C’est une approche basée sur la promotion de l’adaptation qui vise à évaluer et repérer les facteurs qui influent sur la capacité et le niveau d’adaptation de l’individu (25).
54La stigmatisation de cette population en état d’agitation rend souvent difficile l’orientation post urgences, surtout dans les secteurs à vocation non gériatrique et dans des contextes de manque de lits disponibles dans les services.
55Cette étude se propose de décrire la prise en soins aux urgences des personnes âgées de plus de 75 ans fragiles et agitées. Elle vise à comprendre leur situation dans ces services à vocation non gériatrique et d’examiner la possibilité d’améliorer la qualité des soins avec l’intervention d’une IPA.
Methodologie
56Une étude qualitative exploratoire a été menée dans le service d’urgence d’un centre hospitalier de la région parisienne, entre le 6 février et le 15 mai 2017. A cette période, les textes d’application de la loi de modernisation de notre système de santé de 2016 qui précisent la formation et l’exercice de la pratique infirmière avancée n’étaient pas parus. L’étude se fonde sur le modèle et la définition du CII.
57La collecte des données a été effectuée auprès d’un échantillon de convenance constitué de personnes travaillant dans le service d’urgence du centre hospitalier dans lequel a été réalisée l’étude. Les critères d’inclusion portaient sur la profession des personnes : médecins, infirmières, aides-soignantes, assistante sociale du service d’urgence et leur expérience dans ce type de service. Neuf personnes ont été incluses (tableau 1).
Caractéristiques sociodémographiques des professionnels interviewés
Caractéristiques des participants | Effectifs (n=9) |
---|---|
Profession | |
Infirmière Aide-soignante Assistante sociale | 7 1 1 |
Age (ans) | |
21-30 31-40 41-50 | 3 2 4 |
Sexe | |
Féminin | 9 |
Soignant ayant une expérience en gériatrie | |
Oui Non | 6 3 |
Nombre d’années d’exercice aux urgences | |
0-1 2-5 6-10 11-20 | 1 2 3 3 |
Caractéristiques sociodémographiques des professionnels interviewés
58Les données ont été recueillies au moyen d’entrevues semidirigées d’une durée moyenne de 35 minutes (de 15 à 60 minutes). Les entretiens ont été réalisés sur le lieu de travail. Ils ont tous été anonymisés, retranscrits intégralement et analysés. L’autorisation de la direction des soins et l’accord des participants ont été recueillis avant les entrevues.
59Afin de délimiter les différents aspects du sujet à aborder, un guide d’entretien (annexe 1) a été spécifiquement élaboré pour cette étude. Un espace de parole a été laissé aux participants pour les encourager à développer des points qui leur semblaient pertinents en fonction de leur expérience.
60Un résumé problématisé avec une remise en ordre chronologique de chaque entrevue permettant la synthèse des éléments recueillis a été réalisé afin de faire ressortir l’intérêt pour la problématique (annexe 2).
61Ces résumés problématisés ont servi d’outils d’analyse phénoménologique prenant en compte l’ensemble de la situation rapportée par l’interviewé et son point de vue. Les entretiens retranscrits ont été saisis, codés et analysés à l’aide du logiciel NVivo.
62Ce codage a permis d’identifier les différents thèmes et ainsi favoriser la construction d’un arbre thématique permettant de faire émerger les recoupements et de mieux les interpréter (annexe 3).
63Les entretiens ont été complétés par des observations de situations de soins dans le service des urgences. Ces données complémentaires permettent de faciliter la compréhension du contexte de prise en charge des personnes âgées, la place de l’entourage et les modalités d’intervention des professionnels.
Resultats
Contexte de l’étude
64L’enquête s’est déroulée dans le service des urgences d’un centre hospitalier de la région parisienne directement concerné par l’augmentation de sa fréquentation par les personnes âgées de plus de 75 ans. Il a accueilli 7 082 personnes en 2013 et 7 884 en 2016 ce qui représentait respectivement 17 % et 20 % des usagers. Dans ce service, 25 cas d’agitation de cette tranche d’âge ont été enregistrés en 2015 et 40 cas en 2016.
65En 2016, l’EMG de cet établissement est intervenue dans près de 320 situations de soins, tous services confondus, dont 70 aux urgences parmi lesquelles huit concernaient des cas d’agitation de personnes âgées de plus de 75 ans ; cela représente 2,5 % de la totalité des interventions et 11 % des interventions aux urgences. Les huit cas d’agitation ayant nécessité l’intervention de l’EMG représentent 20 % de la totalité des états d’agitation aux urgences. Bien que ce nombre paraisse peu élevé, ces situations posent problème en termes d’effets sur les patients âgés, sur les soignants des urgences et sur la qualité des soins prodigués.
66L’EMG de cet hôpital est composée d’un gériatre à mi-temps et d’une infirmière à temps plein. Ils n’interviennent qu’à la demande du service d’urgence sur appel téléphonique.
67L’infirmière diplômée d’État depuis huit ans, a intégré l’EMG depuis une année. Elle a une expérience auprès des personnes âgées grâce à son ancien métier d’aide-soignante ayant exercé dans divers milieux : Unité de soins de longue durée (USLD), Etablissement d’hébergeant pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et unité de court séjour gériatrique.
68Après le signalement, quel que soit le service d’accueil du patient, soit le médecin et l’infirmière se déplacent ensemble soit l’infirmière intervient seule, en fonction de la disponibilité du médecin. L’infirmière rassemble des informations via le dossier du patient informatisé, en prenant contact avec des professionnels et/ou organismes et auprès de la famille ou de la personne elle-même (tableau 2).
Informations relevées par l’EMG
Nature des informations | Informations recueillies |
---|---|
Cliniques | Antécédents médicaux et chirurgicaux Hospitalisations antérieures Traitement habituel en cours Allergies Consommation tabagique et alcoolique Déficit sensoriel (auditif, …) Paramètres cliniques le poids, la taille, calcule l’indice de masse corporelle (IMC) Niveau de douleur Score du Mini Mental Score Examination (MMSE) |
Biologiques | Numération formule sanguine Bilan biochimique et martial Bilan de la fonction rénale, hépatique Dosage des vitamines (B12, C, D) Bilan lipidique Bilan nutritionnel Sérologies |
Habitudes de vie | Langue parlée, loisirs, alimentation, appétit, sommeil, moral, et s’enquiert d’éventuels problèmes de continence |
Protection juridique | Tutelle, curatelle |
Environnement | Lieu de vie, entourage présent |
Ressources financières | Type de ressources, allocations perçues |
Professionnels de santé | Médecin traitant, médecin spécialiste, autres professionnels soignant libéraux, |
Aidants | Recensement et état de santé |
Structure d’aide et d’appui au maintien à domicile | Centre local d’information et de coordination (Clic), assistante sociale ou la plateforme territoriale |
Informations relevées par l’EMG
69Les urgences disposent d’un protocole médicamenteux pour les états d’agitation, tous âges confondus, et il arrive que la personne âgée ait reçu une sédation excessive ou soit porteuse d’une contention lors de l’intervention de l’EMG.
70Suite aux différentes données collectées et l’examen de la personne, l’infirmière de l’EMG fait des propositions de mesures à prendre pour la prise en charge et les transmet oralement à l’équipe soignante puis au gériatre.
71Lorsque le gériatre est présent, il prend connaissance des données collectées par l’infirmière, ensuite il échange avec le médecin du service puis examine et s’entretient avec le patient.
72Après analyse de la situation par le binôme, le gériatre peut proposer des examens complémentaires à visée étiologique, des interventions thérapeutiques : arrêt, introduction ou réajustement de doses de traitements, levée de la contention, mobilisation, hydratation, prévention des fausses routes liées à la sédation, prévention des escarres, utilisation de techniques non médicamenteuses.
73L’EMG prodigue enfin des conseils pour l’orientation, la continuité des soins ainsi que des plans d’aide à la sortie. L’orientation est expliquée oralement à l’équipe des urgences au cours d’une entrevue avec le médecin puis une synthèse est rédigée dans le dossier patient informatisé et transmise aux partenaires extrahospitaliers en cas d’orientation extérieure.
74Les données collectées permettent d’identifier les causes de l’agitation, les risques pour les personnes âgées, les difficultés de prise en charge et des pistes de solution.
75Les personnes interviewées décrivent les symptômes et les causes de l’agitation, des risques que ces états génèrent pour les personnes âgées et font part de leur interprétation de ce qu’elles observent. Elles évoquent les difficultés engendrées par les personnes agitées et proposent des solutions pour gérer ces situations.
L’agitation et ses causes
76Tous les professionnels interrogés définissent l’agitation en décrivant une activité soit motrice soit verbale, agressive ou non agressive (tableau 3).
Résumé des manifestations de l’agitation des personnes âgées décrites par les professionnels interviewés
Agressivité associée | Agitation physique | Agitation verbale |
---|---|---|
Non agressive | - Fugue - Déambulation - Intrusion dans d’autres chambres - Mouvements incontrôlés - N’entend pas nos demandes - Ne se laisse pas faire - Bouge dans tous les sens - Enjambe les barrières | - Logorrhée |
Agressive | - Frappe - Risque de tout casser - Se tape la tête contre les barrières - Personne incontrôlable - Donne des coups - Tape, crache, bouscule - Se déperfuse - Arrache tout (leurs vêtements) - Touche à tout, se déperfuse d’autres patients | - Cris - Hurlements - Des propos crus |
Résumé des manifestations de l’agitation des personnes âgées décrites par les professionnels interviewés
77Les principales étiologies de l’agitation rapportées par les professionnels sont à la fois d’origines somatiques, psychologiques et iatrogènes/toxiques (tableau 4).
Principales étiologies rapportées par les professionnels interviewés
Causes somatiques | Causes psychologiques | Causes iatrogènes/toxiques |
---|---|---|
- Globe [vésical] - Constipation/fécalome - Occlusion - Problème de tumeur - Démence - Chute - Douleur | - Changement d’environnement, d’habitude - Lieu non adapté - Longue attente - Désorientation - Perte des repères - Peur d’une chute - Syndrome dépressif - Douleur - Peur de l’inconnu - Isolement dans les salles d’examens - Isolement dans les couloirs - Angoisse - Contention - Rapidité des soins - Absence d’explications lors de la réalisation des soins - Défaut d’information - Stress des soignants - Hallucinations - Confusion | - Surdosage ou un sous-dosage d’un traitement qu’il faut réadapter - Hallucinations - Confusion - Alcoolisation |
Principales étiologies rapportées par les professionnels interviewés
78Certains soignants, dont deux infirmières qui ont une expérience de la gériatrie, mettent en cause une approche inadaptée de la personne, l’une d’elle dit : « Ça peut être aussi la personne qui est en face, ça arrive… J’ai des collègues, juste la façon d’aborder la personne… La personne âgée répond à une agressivité ou à un ton… Il y a la manière d’aborder la personne âgée elle peut répondre d’une manière agressive alors qu’il n’y a pas lieu d’être des fois » (infirmière 1).
79Ces soignants estiment que les urgences ne sont pas des lieux adaptés pour cette population, une infirmière explique : « Les urgences, ce n’est pas un service adapté pour les personnes âgées. Ils perdent leurs repères et ça favorise leur agitation » (infirmière 2).
80Une autre infirmière souligne « qu’ils sont un petit peu perdus, ils voient plein de monde, il y a des lumières partout, il y a de l’agitation… Les locaux ne sont pas adaptés, pas de salle d’attente couchée, plus calme pour les personnes âgées… » (infirmière 3).
81Le comportement des membres de la famille est mis en cause par certains soignants : « L’attente est longue, ils sont hyper tendus, mais parfois, ce sont leurs familles qui les accompagnent qui vont les agiter. Eux s’énervent à côté d’eux et du coup quelques fois, on a des personnes qui sont très calmes et il suffit que la fille ou la femme s’énerve et là c’est… » (infirmière 3).
Les risques pour la personne âgée
82Pour la plupart des soignants, l’utilisation de la contention demeure exceptionnelle et se justifie devant les risques encourus par les personnes âgées. Les risques sont liés au fait que les personnes peuvent se perdre en cas de sortie sans avis médical, se faire mal ou se blesser. Ils précisent toutefois que la contention n’est pas une bonne solution car, même si elle s’avère parfois nécessaire, elle peut entraîner une majoration de l’agitation.
L’interprétation de l’agitation
83Tous les avis convergent vers un inconfort de la personne âgée, une peur, un mal-être, une angoisse, une souffrance psychologique, une incompréhension de la situation, un traumatisme et un moyen de défense. « C’est un mal-être, un inconfort qu’ils ne peuvent pas expliquer. L’agitation c’est quelque chose qui se passe dans la tête du patient, c’est une peur, ils se débattent contre quelque chose, ceux qui sont déments ne vont pas savoir le décrire » (infirmière 5). « C’est traumatisant parce qu’on ne prend pas le temps pour eux de faire les choses plus calmement, c’est un chamboulement pour eux, on est invasif, on les installe, on les déshabille, on leurs fait l’ECG [Electrocardiogramme], on les perfuse…et le fait qu’ils soient complètement sortis de leur contexte, ils ont peur et sont agités » (infirmière 3). « Ils sont inconfortables sur les brancards, ils n’ont pas bu, n’ont pas mangé » (infirmière 7).
L’association agitation et fragilité
84Les professionnels s’accordent sur le fait que la fragilité rend plus vulnérable la personne âgée et l’expose à la survenue de l’agitation. Certains professionnels du soin font référence à une fragilité physique tandis que d’autres considèrent que cette population présente plutôt une fragilité psychologique et émotionnelle.
85Seule une infirmière ayant cinq ans d’expérience en gériatrie et l’assistante sociale ont mentionné la fragilité sociale, financière et de l’hébergement.
86L’assistante sociale évoque l’isolement social, familial, la restriction des contacts humains et une fragilité du logement. Ce dernier peut être insalubre, il peut s’agir d’un cas de syndrome de Diogène avec un conflit de voisinage et de personnes âgées sans domicile fixe.
87Concernant la fragilité financière, il s’agit de personnes âgées qui n’ont pas fait valoir leurs droits ou victimes d’escroquerie et qui se retrouvent sans ressources financières. Elle décrit aussi une fragilité psychologique des personnes victimes de maltraitance.
Les difficultés de prise en soins
88Tous les soignants rencontrent des difficultés de prise en charge particulièrement dans le contexte des urgences. Le facteur prédominant est le temps lié principalement à l’affluence dans le service.
89Le temps est un facteur important. Celui d’attente pour rencontrer un médecin, le temps nécessaire aux soignants pour effectuer les soins dans de bonnes conditions avec le risque de sécurité que cela peut engendrer pour les patients, le temps d’attente des résultats biologiques, le temps passé auprès de la personne pour la calmer, la rassurer, lui expliquer les soins et le temps pris pour les familles. Le facteur temps est évoqué comme source de désorganisation pour le service car l’agitation mobilise du personnel supplémentaire auprès d’un seul patient et complique la dispensation des soins pour lui et les autres.
90Le manque de temps pose également la question de la surveillance optimale des patients, la réalisation des soins dans de bonnes conditions de qualité et de sécurité. Pour une infirmière, « C’est compliqué, il faut être à plusieurs pour faire un soin quand ils sont agités, pour les tenir… On n’est pas toujours là pour les surveiller… […] Les urgences, il faut que ça aille vite de base donc si on perd une heure avec un patient juste pour lui faire un change ou le perfuser c’est sûr que… contrairement à un patient qui est plus valide et qui a toute sa tête où on va prendre que 10 minutes, c’est plus chronophage. Parfois, on fait les choses dans les conditions qui ne sont pas aussi satisfaisantes comme on le voudrait, même pour poser une sonde vésicale, si le patient bouge de partout, c’est dur de rester en stérile, donc ça demande plus de personnel pour faire les soins correctement. Ça nous tend aussi de pas arriver à faire ce qu’on doit faire » (infirmière 3).
91Les soignants mentionnent un défaut d’information concernant les antécédents médicaux, les traitements, les habitudes de vie, le degré de dépendance ou d’autonomie des personnes âgées admises et parfois les circonstances de survenue de l’agitation.
92Une soignante explique que : « Les soins de nursing et de confort, ça aussi c’est compliqué quand ils viennent de l’institution ou de la maison de retraite et qu’on n’a pas toutes les infos, ils viennent sans documentation, comment ils sont là-bas ». Une infirmière ajoute : « Parfois, le dossier est vide […] Une fois, on a eu affaire à une cadre qui refusait de communiquer les infos car elle n’était pas le médecin. Tout ça prend du temps. C’est beaucoup une question de temps aux urgences » (infirmière 4).
93Certaines soignantes verbalisent leurs difficultés, reconnaissent leur manque de connaissance en ce qui concerne la spécificité de la personne âgée : « Ici aux urgences, on n’est pas des spécialistes de la personne âgée […] Pour nous, c’est déstabilisant d’avoir des patients agités car on a du mal à les gérer mais ça dépend aussi des soignants. Certains sont habilités surtout s’ils ont fait des services de gériatrie. Mon expérience de l’USLD [Unité de soins de longue durée] est bénéfique mais parfois, on est perdu […] C’est un peu frustrant » (aide-soignante 1).
Des pistes de solutions envisagées
94Les soignants, y compris ceux qui ont une expérience en gériatrie, évoquent la nécessité d’une formation à l’approche de la personne âgée et soulignent la difficulté liée à l’organisation de ces formations.
95Une infirmière pense « qu’il serait bien d’avoir une équipe mobile gériatrique ou psycho-gériatrique directement aux urgences. Les urgentistes sont quelques fois perdus, la psychiatre est perdue parce que ce n’est pas sa spécialité… » (infirmière 5).
96Le personnel souhaite l’aménagement d’un local d’accueil plus adapté, une augmentation de l’effectif en personnel ou à défaut, un soignant qui pourrait les épauler en prenant le temps dont eux ne disposent pas pour recueillir les informations utiles à la prise en charge du patient, pour assister le malade, informer les familles.
Discussion
Les particularités de la prise en charge de l’agitation aux urgences
97L’agitation semble déranger davantage que l’apathie car elle met à mal l’organisation du service. Survenant dans un contexte d’urgence, les effets des interventions sont généralement attendus au plus vite. Cependant, l’analyse de la situation permettant de proposer une prise en charge de l’agitation nécessite du temps dont les soignants aux urgences ne disposent pas forcément.
98Les données recueillies auprès des professionnels corroborent par de nombreux aspects les éléments de la littérature en ce qui concerne la définition de l’agitation, ses causes, ses manifestations, ses conséquences et le lien avec la fragilité de la personne âgée.
99Ces données illustrent les cinq conditions décrites dans la définition de l’Association internationale de psychogériatrie à savoir : « une détérioration cognitive ou un syndrome démentiel, un comportement évoquant de la détresse émotionnelle, une activité motrice excessive, agressive ou non, des comportements provoquant des incapacités importantes qui ne sont pas directement imputables à un trouble psychiatrique ou à une substance et un comportement qui peut être vu comme la manifestation d’un état émotionnel de colère ou de détresse émotionnelle » (18).
100L’agitation est parfois révélatrice de dysfonctionnement interne au service. Prendre du recul et analyser la situation peut permettre d’agir et de revoir les actions à mettre en place. Ainsi les motifs de mise en œuvre d’une sédation, d’une contention méritent d’être discutés en équipe. A l’inverse l’inaction vis-à-vis d’un patient qui s’agite, crie, déambule et suscite de l’agacement chez les autres personnes qui attendent, nécessite également de réinterroger la prise en charge. Les difficultés de prise en soins ont été explicitées par les soignants interrogés à partir de leur expérience. Ils soulignent le caractère complexe des situations de soins compte tenu des différents phénomènes en interaction. Des temps d’analyse de l’activité pourraient aussi être envisagés pour les soignants qui ne parviennent pas ou plus à interagir avec ces patients. L’intervention des professionnels spécialisés d’une EMG peut être une ressource.
101Des questionnements plus généraux relatifs à l’organisation des établissements se posent également sur la pertinence d’ouvrir une unité spécifique à l’accueil de cette population, à sa faisabilité quant aux effectifs et à la formation des professionnels.
102En France, depuis plusieurs années des initiatives et des expérimentations ont permis de préfigurer la pratique infirmière avancée en se référant aux modèles internationaux. Comme précisé plus haut, c’est dans ce contexte qu’a été réalisée l’étude. Cependant, depuis la publication en juillet 2018 des textes formalisant l’exercice et la formation dans le contexte français, celle-ci peut être mise en œuvre. La formation dédiée a débuté en octobre 2018 dans les universités accréditées. L’impact de l’intégration de ces nouveaux professionnels ne sera possible qu’après la prise de poste des premiers diplômés, mais les missions que les IPA pourront assurer sont déjà envisageables.
La pratique infirmière avancée dédiées à la gestion de situations de soins complexes des personnes âgées aux urgences
103En se référant au modèle de l’adaptation de Callista Roy, l’IPA peut contribuer à la prise en soins de cette population. Ses compétences dans la gestion des situations complexes et ses connaissances spécifiques aux problématiques des personnes âgées lui permettent de proposer des actions de prévention primaire ou secondaire afin de prévenir la survenue de l’agitation à la fois auprès du patient, des familles/aidants et des équipes, et aussi de repérer les facteurs susceptibles de provoquer où d’amplifier l’agitation. Elle peut intervenir directement auprès de la personne âgée et/ou de l’équipe des urgences mais aussi auprès des autres intervenants dans les secteurs hospitaliers et extra-hospitaliers (figure 1).
La contribution de l’infirmière de pratique avancée dans la prise en soins de la personne âgée fragile agitée aux urgences
La contribution de l’infirmière de pratique avancée dans la prise en soins de la personne âgée fragile agitée aux urgences
Des actions au niveau de l’environnement du service
104Lorsque les causes d’agitation sont liées à l’environnement, l’IPA veille à accueillir la personne âgée et adapter le lieu de la consultation : favoriser le calme, éviter l’isolement du bureau, rechercher les facteurs permettant d’établir un climat de confiance en utilisant différents modes de communication (toucher, modulation de la voix). Elle doit ensuite recueillir les données nécessaires à l’établissement d’un bilan des capacités sensitives : port d’appareil auditif, de verres correcteurs, d’appareil dentaire. Il complète le bilan notamment cognitif (MMSE).
105L’IPA cherche à déceler un éventuel inconfort quelle que soit sa nature (la douleur, l’hypothermie, la soif, la faim, l’anxiété, …).
Des actions relatives à la fragilité
106La littérature précise que la fragilité est un état à un stade encore potentiellement réversible, cette notion est méconnue des soignants interrogés. L’IPA a donc un rôle de repérage des différentes dimensions de la fragilité rencontrées chez le sujet âgé : physique, psychique, sociale ayant des conséquences sur ses capacités fonctionnelles et son autonomie.
107Sur le plan physique, la fragilité peut se manifester par un trouble de l’équilibre favorisé par un bilan nutritionnel carentiel.
108Une atteinte des fonctions cognitives peut se révéler par des difficultés à se repérer dans l’environnement et/ou dans le temps. Des troubles mnésiques, des difficultés à s’organiser au quotidien peuvent avoir des effets sur la prise des médicaments exposant ces personnes au risque d’iatrogénie. L’anxiété et la dépression nécessitent d’être investiguées car elles sont fréquentes chez ces patients
109La fragilité sociale concerne l’isolement des personnes âgées. Sans contact humain, ce processus peut avoir des conséquences sur les actes de la vie courante (faire ses courses, se déplacer, se rendre à ses rendez-vous). Elle peut se conjuguer avec une fragilité financière qui expose la personne âgée à des situations de dépendance vis-à-vis d’un tiers voire à la spoliation par des individus malveillants.
110L’IPA grâce à ses compétences cliniques, peut dépister les facteurs de fragilité, les signaler et orienter, coordonner des soins avec les partenaires intra et extrahospitaliers. Elle peut contribuer ainsi à la prévention de l’institutionnalisation.
Des actions auprès de l’entourage
111Dans un contexte de passage aux urgences, l’IPA aura l’occasion de rencontrer l’entourage, de l’écouter et de repérer la dynamique familiale au sein du couple, avec les enfants et ainsi d’évaluer l’épuisement possible des aidants.
112L’information donnée sur la prise en charge en cours, l’évolution et l’orientation prévue vers d’autres professionnels, des conseils sur la conduite à tenir en cas de difficultés au domicile relève des activités de coordination de l’IPA.
Des actions auprès de l’équipe
113Pour pallier les conditions d’exercice aux urgences et le temps limité consacré à la relation avec les patients, l’IPA positionnée dans une EMG peut agir en recueillant les données cliniques utiles à la prise en charge (tableau 2). Elle peut effectuer une évaluation gériatrique en utilisant des outils validés et adaptés, des examens complémentaires (bilan sanguin, électrocardiogramme, prise des constantes…), interpréter des résultats d’intervention visant la gestion de l’agitation. Elle transmet ses observations et actions en assurant leur traçabilité sur des supports dédiés et les éléments nécessaires à la continuité des soins aux structures intra et/ou extra hospitalières (aide à domicile, médecin traitant…).
114Les déclarations des soignants concernant les interventions à mettre en place face à l’agitation sont très variables d’une personne à l’autre. Elles traduisent un niveau de connaissance hétérogène vis-à-vis de la spécificité des besoins de la personne âgée. Certains soignants rencontrés expriment leur désarroi face à cette situation, les difficultés de prise en soins, leur frustration et un certain sentiment de culpabilité lié au recours parfois inadapté à la contention.
115Par ses interventions, l’IPA peut contribuer à la transmission de connaissances à l’équipe sur l’agitation, la fragilité, les techniques de relation et de communication spécifiques à ce public et la mise en œuvre des recommandations de bonnes pratiques concernant par exemple l’utilisation de la contention.
Les limites de l’étude
116Cette étude réalisée dans le contexte d’un stage et dans un temps limité a permis d’explorer et de comprendre la complexité de la situation des personnes âgées fragiles et agitées dans les services d’urgence. Cependant, les conditions d’organisation et le déroulement des entretiens dans le cadre des urgences (l’environnement), l’horaire, la disponibilité des soignants n’ont pas toujours été propices à leur bon déroulement et ont limité le nombre de soignants interviewés. Le manque de temps des soignants a empêché la réalisation d’entretiens avec d’autres professionnels comme les médecins qui auraient pu apporter une autre vision de la complexité de la gestion de l’agitation chez le sujet âgé fragile. Certains entretiens ont été interrompus à plusieurs reprises et d’autres ont dû être écourtés voire annulés pour nécessité de service.
117Au moment de la réalisation de l’étude, la fonction d’IPA n’était pas définie dans le contexte français. La loi de modernisation de notre système de santé instaurant la pratique avancée a été promulguée en 2016 mais les textes d’application étaient en attente de parution. Ce contexte n’a pas permis de décrire un champ d’interventions précis de l’IPA positionnée près des personnes âgées fragiles.
118La revue de la littérature a permis d’apporter des connaissances sur les concepts de fragilité et d’agitation, mais certaines références théoriques et conceptuelles pourraient enrichir la compréhension des phénomènes et leur application dans la pratique en s’appuyant notamment davantage sur des travaux infirmiers.
Conclusion
119La fragilité et l’agitation des personnes âgées prises en charge dans un service qui n’est pas spécialisé en gériatrie tel que les urgences sont bien identifiées. Des modalités d’intervention pour prévenir et gérer ces situations existent et peuvent renforcer les dispositifs de prises en charge. Ils reposent sur des professionnels formés spécifiquement, tels que les IPA, qui par leur approche holistique auront, d’une part, une action préventive et, d’autre part, elles pourront intervenir pour gérer des situations délétères déjà installées auprès des personnes âgées, de leur famille, et des acteurs intra et extra-hospitaliers. Les IPA pourront également collaborer avec différents acteurs afin d’assurer la continuité des soins. Le positionnement de ces nouveaux professionnels en France vise aussi à identifier les patients à risque d’institutionnalisation précoce.
120Les résultats de cette étude offrent des perspectives de travaux de recherche ultérieurs. Ils pourraient concerner, par exemple, l’évaluation d’interventions spécifiques aux personnes âgées fragiles et agitées s’appuyant sur le modèle de soins d’adaptation de Callista Roy.
Déclaration de conflits d’intérêts
121Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
Guide d’entretien
122- Vous accueillez des personnes âgées dans votre service, quelles sont les problématiques de soins auxquelles vous êtes confrontés ?
123- Quelles difficultés de prise en charge rencontrez-vous avec cette population ?
124- Quels impacts l’agitation de cette population peuvent avoir sur les soins et comment les gérez-vous ?
125- Selon vous, à quoi est liée cette agitation et comment se manifeste-t-elle ?
126- D’après vous, quelles peuvent être les mesures possibles à mettre en place pour améliorer la prise en soins ?
127- Avez-vous d’autres remarques ou commentaires sur l’agitation et la fragilité de la personne âgée ?
128Données socio-démographiques des personnes interviewées : âge, sexe, fonction, expérience en gériatrie, durée d’exercice aux urgences.
Synthèse phénoménologique de l’entretien avec l’infirmière 3
129Elle est une infirmière de 25 ans, diplômée depuis 5 ans et exerce aux urgences depuis 2 ans, elle n’a aucune expérience de la gériatrie et n’a pas eu de formation spécifique à la personne âgée hormis celle reçue en formation initiale.
130Elle est confrontée régulièrement aux personnes âgées polypathologiques, et trouve compliqué de s’en occuper. Elles prennent plusieurs traitements et il peut y avoir des risques d’erreurs.
131Elle trouve compliqué de les perfuser, il faut parfois être plusieurs pour faire un soin quand elles sont agitées, il faut les tenir. Parfois pour les soins, il faut être à plusieurs. Elles tentent d’enjamber les barrières et les soignants ne sont pas toujours présents pour les surveiller.
132Chez ces patients, l’agitation complique tout, les scoper, ils arrachent tout, une bandelette urinaire devient compliquée à faire car il est impossible de leur demander de se rendre aux toilettes, et elle effectue un sondage qui est plus long à réaliser.
133L’agitation est causée par la présence d’un globe vésical, une constipation, leur pathologie mais aussi par le changement d’environnement. Dans leur lieu de vie habituel, la personne a ses habitudes, ses repères mais aux urgences, elle est perdue car elle voit beaucoup de monde, il y a beaucoup de lumière, de l’agitation.
134Pour elle, les urgences ne sont pas adaptées parce qu’il y a peu de personnel et la prise en charge est compliquée pour des personnes qui nécessitent beaucoup de soins et de plus, il faut que les soins se fassent rapidement et les soignants ne peuvent pas prendre une heure pour une seule personne. Une personne âgée et agitée est très chronophage.
135Les règles de sécurité pour le patient sont difficiles à respecter car pour poser une sonde vésicale par exemple, lorsque le patient est agité, c’est compliqué de rester en stérile et cela mobilise plus de personnel pour effectuer le soin correctement.
136Cela représente une tension de ne pouvoir parvenir à réaliser les soins comme elle le devrait et trouve que c’est bien plus traumatisant pour la personne âgée car les soignants ne peuvent pas prendre le temps pour s’occuper d’elle plus calmement. La rapidité d’exécution des soins les chamboule.
137Ce sont des patients fragiles physiquement et qui peuvent vite décompenser. Elle trouve que tout est fragile chez la personne âgée : leur peau, leurs veines, leur cœur. Elle pense que ces patients sont encore plus fragiles émotionnellement et que la confrontation à l’environnement des urgences est traumatisante.
138Elle dit qu’ils ont parfois recours à la contention lorsque ces patients sont trop agités, qu’ils arrachent leurs sondes, qu’ils se déperfusent ou pour éviter qu’ils fassent une chute mais cela reste une solution de dernier recours.
139Quant à la contention médicamenteuse, il n’y a pas de protocole et reste dépendant du médecin.
140Elle explique qu’elle interroge parfois l’entourage sur les conditions de vie, les aides à domicile, sur le niveau de dépendance de la personne pour ce qui relève des activités de la vie quotidienne et qu’il lui arrive de conseiller la famille de se faire aider mais ne fait pas appel personnellement à l’assistante sociale ni à l’équipe mobile de gériatrie.
141Pour les solutions qui pourraient améliorer la prise en charge de cette population, elle pense qu’il faudrait du temps, du personnel supplémentaire, un local avec un lit où la personne âgée serait installée plus confortablement car il n’y a pas de salle d’attente couchée.
142Selon elle, les soignants ont l’impression de connaître la personne âgée car ils en soignent beaucoup mais ce n’est pas le cas parce qu’elle a des besoins spécifiques auxquels ils ne pensent pas d’où la nécessité de formation.
143Elle souhaiterait plus d’informations quand les personnes âgées proviennent des EHPAD, avoir une fiche de liaison plus complète, et pour celles qui proviennent du domicile, c’est quelques fois difficiles d’obtenir des renseignements. Elle dit que c’est compliqué de joindre les familles, les pompiers n’ont souvent pas ou peu d’informations sauf lorsqu’elles sont déjà connues de l’hôpital.
144Elle aborde le temps d’attente qui est long et qui stresse les patients et énerve les familles qui s’agitent à leur tour.
145Elle porte un regard critique sur l’approche que certains soignants peuvent avoir avec la personne âgée, pense que parfois, c’est le comportement du soignant qui est à l’origine ou qui risque de majorer l’agitation.
Arbre thématique
Infirmière 5 : Ils crient, frappent, parfois risquent de tout casser. Dans le lit, ils se tapent la tête contre les barrières. C’est aussi vouloir partir, fuguer. Ils déambulent, vont dans d’autres chambres et touchent à tout, déperfusent d’autres patients, les mettent en danger et se mettent eux-mêmes en danger. On est confronté à l’agitation de la personne âgée une à deux fois par mois.
Infirmière 6 : C’est des mouvements incontrôlés ou pas mais chez la personne âgée, je pense qu’ils ne sont pas contrôlés. Certains, c’est l’agressivité par la parole. On y est confronté trois à quatre fois par mois.
Aide-soignante 1 : Personne incontrôlable, qui n’entend pas nos demandes et nous dire ce qu’elle ressent, ses besoins à elle. Qui physiquement hurle. Ça arrive une à deux fois dans le mois.
Infirmière 2 : Elle ne va pas se laisser faire, va bouger dans tous les sens, va donner des coups, qui déambule. On en a une vingtaine dans le mois.
Infirmière 4 : Ils essaient de se lever. Parfois, on se retrouve avec des patients qui déambulent.
Infirmière 7 : Ils fuguent, ils tapent, crient, crachent, ne veulent pas se laisser faire, ils se lèvent. Les cris, c’est plus stressant car il y a beaucoup de bruit. Ils vont se déperfuser, arracher leurs vêtements.
Infirmière 4 : L’agitation c’est quand le patient est désorienté dans le temps et dans l’espace, il déambule, il peut être logorrhéique, violent verbalement et/ou physiquement.
Infirmière 1 : Ils errent, sortent de leur box. Ils refusent de se laisser faire.
Infirmière 3 : Ils essaient d’enjamber les barrières, ils arrachent tout.
Infirmière 4 : Une chute, un syndrome dépressif, une hallucination peut provoquer de l’agitation surtout chez les personnes psy. Si elle a un globe… euh… c’est la confusion qui peut être mêlée à de l’agitation mais on peut être confus mais pas agité mais tu peux être les deux. Il y a une cause iatrogénique. C’est aussi pour un problème de constipation, d’occlusion. La contention peut les rendre confus, ils s’agitent parce qu’ils sont attachés et ne le supportent pas. Ça peut être euh… un problème de tumeur. Les cris, c’est surtout chez les gens qui ne peuvent pas se mobiliser et n’ont plus que ça en fait. Si tu mets un agité avec un autre, ce n’est pas facile non plus, les locaux ne sont pas adaptés, l’agitation d’un patient peut entraîner celle de plusieurs patients, ça peut aller crescendo.
Infirmière 6 : Il est énervé, il ne comprend pas la prise en charge, il est désorienté, euh… une démence, le fait d’être à l’hôpital et pas dans leur environnement ça les perturbe. Après, il peut y avoir aussi un agacement du personnel du fait qu’ils ne perçoivent pas d’empathie et du coup… Les déments, les Alzheimer.
Aide-soignante 1 : Une démence, un globe, un fécalome, une alcoolisation. Elle est perturbée parce qu’elle a été arrachée de chez elle, elle n’a plus ses repères.
Infirmière 2 : Je pense que les urgences, ce n’est pas un service adapté pour les personnes âgées. Ils perdent leurs repères et ça favorise leur agitation.
Infirmière 7 : C’est beaucoup liée à la démence, ça va avec la pathologie ça dépend des gens.
Infirmière 1 : Surtout pour les personnes démentes, ils ne vont pas pouvoir dire qu’ils sont douloureux. Ils sont désorientés. La peur de l’inconnu, l’isolement dans les salles d’examens où ils ne vont pas voir passer du monde, ils sont isolés dans les couloirs parce qu’ils sont partis à la radio et ils ne sont pas encore installés. Ils sont déplacés pour des examens, ils attendent les bilans. Un globe, une confusion passagère et quelques fois un surdosage ou un sous-dosage d’un traitement qu’il faut réadapter.
Ça peut être aussi la personne qui est en face, ça arrive… J’ai des collègues, la façon d’aborder la personne… La personne âgée répond à une agressivité ou à un ton… Quelques fois, quand on est en secteur et à l’entrée on sait déjà qui est là, on sait que les personnes vont arriver dans la salle, ils vont être énervés, sous tension. Il y a la manière d’aborder la personne âgée qui fait, elle peut répondre d’une manière agressive alors qu’il n’y a pas lieu d’être des fois. Il y a des collègues qui hurlent tout de suite : retournez dans votre chambre !
A l’accueil, on essaie de leurs expliquer que ça risque d’être long mais des fois ça génère de l’angoisse, et même en leurs expliquant, ça peut quand même générer de l’angoisse et de l’agitation.
Infirmière 3 : Parfois, juste un globe vésical, souvent, ils sont constipés et parfois on passe à côté, ils peuvent être agités, des fois c’est leur pathologie qui fait qu’ils sont agités, c’est aussi le fait de changer d’environnement, d’habitude, ils sont en maison de retraite ou à la maison dans un lieu où ils ont l’habitude d’être, ils sont perdus, ils voient plein de monde, il y a des lumières partout, il y a de l’agitation donc… Les locaux ne sont pas adaptés, pas de salle d’attente coucher, plus calme pour les personnes âgées…
L’attente qui est longue, ils sont hyper tendus, mais parfois, ce sont leurs familles qui vont les agiter.
Eux s’énervent et du coup quelques fois, on a des personnes qui sont très calmes et il suffit que la fille ou la femme s’énerve et là c’est…
L’attitude des soignants également, on ne fait pas trop attention, on veut aller vite on est stressé, il y a plein de monde, et ça nous agacent qu’on n’aille pas comme on le veut et on doit répercuter notre agressivité sur les personnes âgées.
On va vite, on les installe, on est à deux à les déshabiller, à leur faire des trucs sans leurs expliquer et ils ne savent pas forcément ce qui se passe.
C’est à nous de prendre le temps de leurs expliquer, on va faire ci, on va faire ça, et avec tout le monde mais de manière plus poussée avec la personne âgée car elle est plus sensible et plus fragile.
Infirmière 5 : Ils peuvent se blesser contre les bat-flancs. Il y a un risque de chute car la personne va passer par-dessus les barrières. La contention n’est forcément la bonne chose à faire.
Infirmière 2 : Ils peuvent se blesser, se faire mal, se perdent.
Infirmière 7 : On les met en danger si on les contentionne.
Infirmière 1 : Ils risquent de chuter.
Infirmière 3 : Quand c’est trop compliqué, on les contentionne, et ils peuvent se faire mal à bouger dans tous les sens.
Infirmière 5 : Un mal-être, un inconfort qu’ils ne peuvent pas expliquer. C’est quelque chose qui se passe dans la tête du patient, c’est une peur, ils se débattent contre quelque chose, ceux qui sont déments ne vont pas savoir le décrire. C’est un moyen de défense. C’est un gros mal-être pour le patient, un état de mal-être, de peur, de ne pas savoir gérer son état.
Aide-soignante 1 : Les gens agités sont en demande.
Infirmière 7 : Ils sont inconfortables sur les brancards, ils n’ont pas bu, n’ont pas mangé.
Infirmière 1 : En souffrance psychologique. Ils ont peur, ne comprennent pas ce qui se passe. Se sentent isolés, ne savent pas ce qu’on va leur faire ni dans combien de temps ils vont voir un médecin.
Infirmière 3 : C’est traumatisant parce qu’on ne prend pas le temps pour eux de faire les choses plus calmement, c’est un chamboulement pour eux, on est invasif, on les installe, on les déshabille, on leur fait l’ECG, on les perfuse… et le fait qu’ils soient complètement sortis de leur contexte, ils ont peur et sont agités.
Infirmière 5 : Un petit oiseau qui ne sait plus comment faire. Tu ne peux plus marcher, tu n’as plus la force de te battre, tu as des risques de chute, tu es fragile pour tout en fait, tu peux plus te défendre. En vieillissant, tu t’aperçois que tu es fragile, tu as besoin de quelqu’un.
Ce n’est pas parce que tu vas être fragile que tu vas être agité mais si tu es agité, c’est que quelque part, tu es fragile mais par rapport à quoi ? L’agitation découle d’une fragilité mais fragilité psychique ? Fragilité par rapport à une démence ? Ce sont des fragilités quelque part.
Dans la fragilité, il n’y a pas forcément de l’agitation mais l’agitation peut dépendre de la fragilité, c’est que quelque part, t’es fragile au niveau psychique, je pense plus psychique que physique. La personne agitée est fragile au moment de son agitation en revanche en dehors de l’agitation, ce n’est pas forcément quelqu’un de fragile. Je dirai aussi que la personne est fragile et vulnérable mais ça dépend en face de qui ils sont.
Assistante sociale : Fragilité sociale, elle a peu de contacts humains, célibataire, sans enfants ou alors plus de contacts avec la famille depuis des années, ne parle pas avec les voisins ou ont des contacts conflictuels surtout si la maison est insalubre. Fragilité financière, ils n’ont pas fait valoir leurs droits et se retrouvent sans ressources financières. Fragilité de l’hébergement, pas mal de personnes SDF âgées et au grand âge des fois 80 ans à la rue ou alors avec un logement délabré ou qui présente un syndrome de Diogène.
L’isolement, ils ne sont plus capables de faire leurs courses, de se déplacer ou trouver des moyens de le faire, pas capable de solliciter des personnes extérieures que ce soient des aides à domicile, des voisins ou de la famille et qu’on retrouve en état d’incurie très avancé.
C’est la maltraitance psychologique, physique, les gens qui se font arnaquer, prendre leur argent et qui ceux qui profitent de la situation, tous les cas de spoliation. Des personnes vulnérables du fait de l’âgé, de la maladie, de la condition physique, condition mentale, susceptible d’être manipulées ou de tomber sur des gens mal intentionnés.
L’agitation peut survenir chez les personnes SDF quand elles arrivent aux urgences amenées par les pompiers, ils veulent sortir, ils ont une vie différente et dès qu’ils sont enfermés, ils se sentent prisonniers, ils ont besoin de cette liberté de sortir et tout dépend s’il y a l’alcool ou pas.
Les urgences sont des endroits où on met les personnes âgées pendant les vacances, surtout l’été, abandonnées comme des paquets. Ils sont vulnérables.
Aide-soignante 1 : La fragilité mentale, une personne qui a une sensibilité aux mots, au regard, au toucher. Ce n’est pas perceptible, quand elle parle, on a une sensation de fragilité dans la façon dont elle raconte son histoire. Il n’y a pas forcément de lien entre la fragilité et l’agitation mais ça dépend d’où vient la fragilité. Une personne âgée qui vit seule, sans papiers, dans un logement insalubre, pour moi c’est de la fragilité.
Infirmière 2 : Pour moi, les personnes âgées sont plus fragiles donc plus vulnérables donc plus agitées.
Infirmière 7 : Ils sont fragiles sur le plan émotionnel, ils ne comprennent pas pourquoi on doit les perfuser, pourquoi ils ne sont pas dans leur lit, ils veulent faire comme à la maison et ils sont perturbés, agités. Les services d’urgence ne sont pas des lieux très rassurants, il y a des patients psychotiques qui s’énervent, qui sont agressifs verbalement et physiquement et pour des personnes âgées fragiles ça fait peur, c’est source d’angoisse.
Infirmière 1 : Les personnes âgées qui font des TS ont une fragilité psychologique souvent parce qu’elles sont isolées. Certaines reviennent avec de multiples chutes car elles sont fragiles physiquement. Aux urgences, le fait d’être isolé va engendrer une crainte et une agitation, ils vont aller chercher une présence autour d’eux, ils hurlent car ils ne voient personne, ils sont seuls.
Infirmière 3 : Ils sont physiquement fragiles et peuvent vite décompenser. Tout est fragile chez la personne âgée, leur peau, leur cœur, leurs veines et émotionnellement, je pense qu’ils sont peut-être plus fragiles aussi. Ici, ils n’ont pas l’habitude, ça change, à 80 ans être confronté aux urgences, c’est traumatisant quand on est tout seul, quand on est perdu, on essaie de se raccrocher à des visages qu’on connait et qu’on ne voit personne.
Infirmière 5 : C’est un inconfort pour l’équipe car ce n’est pas facile à gérer quand il y a d’autres patients et plusieurs agitations à gérer en même temps.
Ça pose des problèmes de sécurité. Pour certains, on est obligé de les tenir, c’est un peu de la maltraitance mais des fois, tu n’as pas le choix car il faut apporter un meilleur confort au niveau médical et par rapport aux pathologies.
Aux urgences, on n’est pas des spécialistes de la personne âgée. On voit la personne confuse et agitée, on va mettre les barrières, ce qui va la perturber encore plus. Il faut essayer de la maîtriser, de la calmer en lui parlant mais on n’a pas forcément le temps de parler.
On court à droite et à gauche, si le service est calme ok mais s’il y a de grosses urgences ou plusieurs patients dans cet état, on va soit mettre les barrières, soit les contentionner ou donner un traitement.
Je trouve dommage de sédater ou de contentionner car il y a d’autres moyens mais malheureusement on n’a pas le temps. Pour nous, c’est déstabilisant d’avoir des patients agités car on a du mal à les gérer mais ça dépend aussi des soignants. Certains sont habilités surtout s’ils ont fait des services de gériatrie. Mon expérience de l’USLD est bénéfique mais parfois, on est perdu. Si on est trop occupé, on est moins réceptif. C’est un peu frustrant. Le gros problème aux urgences, c’est le temps.
Parfois, le dossier est vide car le patient vient d’arriver et on n’a pas trop le temps de recueillir des infos, on appelle l’EHPAD et quelques fois, on tombe sur la secrétaire qui peut juste donner quelques infos mais ne peut pas entrer dans les détails et te passe l’infirmière ou le cadre.
Une fois, on a eu affaire à une cadre qui refusait de communiquer les infos car elle n’était pas le médecin. Tout ça prend du temps. C’est beaucoup une question de temps aux urgences.
Infirmière 6 : La fatigue de devoir calmer le patient, être toujours sur le qui-vive pour regarder si la personne ne se fait pas mal, surveiller le patient, après pour la famille, quand il y a des contentions, c’est un peu agressif quand même.
Pour les soins, il faut être plusieurs. Au lieu d’être tout seul à faire un soin, faut être trois ou quatre… On parle, on essaie de communiquer mais après c’est une perte de temps et on essaie de gagner plus de temps en mettant plus de monde autour du patient.
Faut toujours l’avoir à l’œil car une chute est vite arrivée, faut la mettre en sécurité, ce n’est pas évident à gérer.
On n’est pas en nombre, on n’a pas le temps, les locaux ne sont pas forcément adaptés non plus et on met les patients en attente dans les box, tout seul, on ne passe pas souvent, on n’a pas un œil sur eux tout le temps, même quand on met des draps, certains les détachent.
La sédation n’est pas systématique, c’est quand vraiment on n’arrive pas à le tenir, ça fait deux heures qu’on est sur le patient et qu’on n’y arrive pas mais c’est très rare. C’est compliqué, c’est un manque de temps.
Aide-soignante 1 : Pour le service, ça représente de gros soucis d’organisation, ça amène à avoir plus de personnel autour d’un patient. Au lieu d’être seul ou deux, on est obligé de passer à l’acte quand on n’arrive pas à calmer avec des mots, contention physique ou médicamenteuse.
Ça retarde le service, ça engendre un retard sur les autres qui attendent, on est accaparé par une seule personne. J’essaye de faire en sorte que la personne n’attende pas trop longtemps, pas autant que les patients qui ne sont pas agités même s’ils sont âgés. Je ne fais pas patienter de la même façon une personne âgée agitée et une personne âgée non agitée.
Il faut toujours lui expliquer la même chose. On n’a pas le temps, lui répéter 50 fois la même chose quand elle demande 50 fois, à un moment donné, on n’en peut plus car l’accueil aux urgences fait qu’on est tout le temps pris, qu’on est tout le temps sur les chapeaux de roue et c’est vrai qu’on passe devant, on ne répond pas parce qu’on lui a déjà répondu et on se dit que ça ne sert à rien, on n’a pas le temps de s’arrêter, de lui expliquer, parce qu’il faut prendre son temps, faut rester auprès d’elle, qu’elle nous voit, faut lui tenir la main, la toucher. Je le fais au début ou je me dis j’arrête de lui expliquer parce que sinon je ne m’en sors pas et tant qu’elle n’est pas prise en charge, on est accaparé par ce genre de patients. A l’accueil, on appelle d’abord les psychiatres pour une tentative de suicide souvent mais il y a aussi des agités.
Aux portes, on appelle les gériatres il y a un circuit normalement qui n’est pas toujours suivi on dérape quelques fois et tant qu’on ne sait pas le diagnostic… Il y a un amalgame et actuellement, on a un groupe de travail avec la gérontologie, l’addictologie, les psys et les urgences.
La contention physique est plus souvent utilisée que la sédation. Certains sont encore plus agités quand on les attache et pour d’autres, ça les calme.
Infirmière 2 : Quand on a énormément de monde, on ne va pas les prendre en charge vraiment comme on devrait, elles sont sur des brancards, des fois on les met en chambre double, la prise en charge est difficile, ça retarde les soins, on perd du temps, il faut les calmer, les rassurer, ça mobilise du personnel. On va se sentir moins à l’aise, c’est plus difficile car on va moins bien se sentir avec elles. On n’utilise pas en systématique la sédation sauf s’il y a beaucoup d’agitation, souvent on utilise la contention.
Infirmière 7 : Tout dépend dans quel état ils arrivent, quand on est à l’accueil et qu’on enregistre les patients et que le délai d’attente est trop long, c’est compliqué de les gérer d’autant plus qu’ils sont déments. Quand ils essaient de fuguer, c’est un peu compliqué dans la prise en charge. Et quand on n’a rien comme infos, c’est compliqué, après on voit avec eux quand ils ont leurs possibilités et leurs capacités sinon on fait comme on le sent.
Infirmière 4 : Les soins de nursing et de confort ça aussi c’est compliqué quand ils viennent de l’institution ou de maison de retraite et qu’on a pas toutes les infos, ils viennent sans documentation, comment sont-ils. C’est compliqué, est-il dépendant ou non. Souvent, on est confronté à ça. Et puis il y a la charge de travail, le manque de temps, pas le temps de se poser, d’expliquer. On n’a pas le personnel ni de locaux pour les accueillir.
Aux portes, on peut plus faire des choses, être plus dans la communication pour éviter le stress mais c’est compliqué. C’est aux portes que le médecin fait appel au gériatre. Nous, on ne fait pas d’évaluation gériatrique.
Infirmière 7 : Aux urgences, on n’a pas le temps de leur expliquer pourquoi ils sont là, pourquoi le temps d’attente est long. Les moyens non médicamenteux sont parfois difficilement applicables aux urgences.
Aide-soignante 2 : Si c’est un peu difficile, on se réfère aux autres collègues pour donner un coup de main et au médecin si vraiment il y a un danger pour la personne, ça peut aller jusqu’à la contention et à la sédation.
Pour la sédation, c’est médecin dépendant et quelques fois, il peut y avoir un surdosage car on n’a pas de notion des autres traitements. Pour la gestion de la douleur, en urgence, ils ne vont pas forcément se plaindre, je regarde le faciès, la position, les réactions mais ce n’est pas forcément évident.
Pour les soins, on doit parfois être à plusieurs, ce qui peut paraître agressif pour la personne âgée par manque de compréhension de notre geste. Ça prend du temps, quand il y a beaucoup de passage, quand on peut prendre le temps, on le fait mais ce n’est pas souvent. Pour le soignant, ça prend beaucoup de temps à revenir expliquer les choses s’il y a une agitation, s’il y a crise, si c’est une errance à raccompagner dans les boxes, à rester un petit peu, risque de fugue, ils se perdent et ça prend du temps à les retrouver. On ne peut pas rester en permanence avec eux, on explique qu’on viendra les voir mais pour des soins et sur une courte durée car on va voir quelqu’un d’autre. On essaie d’expliquer, des fois ça apaise un temps et ça arrive qu’on passe voir régulièrement des personnes qui hurlent et ça demande du temps.
Infirmière 3 : Ça mobilise du personnel quand ils sont agités. On n’est pas toujours là pour les surveiller, même pour les scoper parfois ils ont besoin mais ils arrachent tout, quand ils sont agités tout devient compliqué, parce qu’on n’est pas beaucoup pour un flux de patients qui est quand même pas mal et il y a plein de soins qui sont compliqués.
Et puis même, tout est compliqué avec la personne âgée, on ne peut pas lui demander de faire une BU, d’aller aux toilettes tranquillement, on leurs fait souvent des allers-retours, c’est une prise en charge qui est un peu plus longue. Les urgences ne sont pas adaptées car peu de personnel.
Les urgences, il faut que ça aille vite de base donc si on perd une heure avec un patient juste pour lui faire un change ou les perfuser c’est sûr que…contrairement à un patient qui est plus valide et qui a toute sa tête où on va prendre que 10 minutes, c’est plus chronophage.
Parfois, on fait les choses dans les conditions qui ne sont pas aussi satisfaisantes comme on le voudrait, même pour poser une sonde vésicale, si le patient bouge de partout, c’est dur de rester en stérile, donc ça demande plus de personnel pour faire les soins correctement. Ça nous tend aussi de ne pas arriver à faire ce qu’on doit faire.
C’est aussi compliqué d’obtenir des infos quand les patients sont déments et qu’ils ne parlent pas.
La contention, ça arrive quand ils arrachent leur sonde nasogastrique. On les perfuse, on leur attache une main. On essaie vraiment de le faire le moins possible…on sait que c’est la méthode la plus facile, on tente de les contentionner avec des draps, mais c’est aussi pour leur sécurité, les patients qui tombent sur la tête ou qui se retrouvent avec un col du fémur aux urgences….
Infirmière 5 : Avoir une équipe mobile directement aux urgences ou une équipe psycho gériatrique. Les urgentistes sont quelques fois perdus, la psychiatre est perdue parce que ce n’est pas sa spécialité. Chacun a sa spécialité. Une petite formation sur la personne âgée Alzheimer, ça permettrait de comprendre un peu mieux mais aux urgences on est par secteur et c’est difficile d’organiser une formation, ce n’est pas comme dans les autres services. Savoir c’est important.
Infirmière 6 : Une formation, savoir les bonnes pratiques, des petites astuces qui pourraient nous aider à mieux apaiser les patients.
Aide-soignante 1 : Une formation pour les jeunes, c’est l’expérience qui amène à réfléchir sur pas mal de situations mais même avec l’expérience, je n’ai pas le sentiment d’avoir répondu correctement à la situation. S’il y avait une personne dédiée, ça nous ferait gagner du temps et éviterait qu’ils attendent. Elle pourrait les écouter, les réconforter, leur parler plus longtemps et faire en sorte qu’ils voient rapidement le médecin, leur donnerait les informations, des explications et rechercher des infos utiles à leur prise en charge, infos au niveau social ou médical. Mon parcours d’aide-soignante et la formation sur comment se comporter face à une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer m’aide ici aux urgences.
Infirmière 2 : Une formation serait bien pour mieux gérer, on est un peu démuni, peut-être des outils à mettre en place, peut-être quelqu’un qui puisse être là sur place qui prendrait le temps pour expliquer, informer, ça aiderait peut-être à supporter le temps d’attente qui est long surtout pour les personnes âgées.
Infirmière 1 : Je n’ai pas eu de formation spécifique à la gériatrie mais j’essaie de savoir ce qui ne va pas et si on arrive à trouver une solution tant mieux. Quand les familles sont présentes, on sait qu’il a un point d’encrage, ils savent qu’il y a quelqu’un de connu pas loin donc ils sont un peu moins perdus. Quand ils arrivent, parfois on n’a pas assez d’infos. La recherche d’infos, ça prend beaucoup de temps, si le patient est déjà connu aux urgences, c’est important les infos antérieures.
Quelques fois, on a juste les traitements et pas les dosages, la fréquence… surtout pour les grosses problématiques sociales, SDF, les noms de la famille, l’entourage, dans ces cas-là, c’est le médecin qui fait appel à l’assistance sociale, à l’EMG. Il faudrait une base de données avec les noms des personnes âgées déjà connues. C’est important d’avoir les références des aidants et de toutes les aides à domicile. Faire une grille AGGIR si elle peut s’exprimer.
Si c’est un patient qui es déjà passé par d’autres services, il faudrait faire le lien avec ces services là pour voir ce qui a déjà été mis en place, ce qui est à faire en plus, ce qu’il faudrait faire ou modifier si ça n’a pas marché les premières fois par exemple pour un retour à domicile.
Voire s’il n’y a pas des aidants donc contacter un peu les familles extérieures voir si la personne est isolée ou pas, ça, peut aider et mettre en place un fichier qui regrouperait tout, un cumul de tout, famille, service, aidants qui regrouperait tout pour un prochain passage s’il y a besoin pour qu’on puisse y aller directement pour savoir où chercher… Je sais pas comment dire un petit sigle quelque part qui dirait qu’il est connu, il a un petit dossier, qu’il est géré, que les choses ont été faites où pas ou qu’il y a des choses à faire ou pas, ça ferait le lien entre tout ça, si c’est en maison de retraite ou foyer, si c’est adapté ou pas, voir s’il y a une évolution, un changement ou pas… Si on voit après chaque passage… Un foyer ça suffit plus, ou qu’il faut remodifier la prise en charge. Pour les prochaines prises en charge, ça éviterait de courir après les informations.
Infirmière 3 : Du temps, du personnel. Des personnes âgées installées directement sur des lits plus confortables… et pas des brancards.
Une formation, on a tous l’impression de connaître la personne âgée parce qu’on en voit beaucoup à l’hôpital mais je pense que c’est quand même spécifique, il y a des trucs auxquels on ne pense pas forcément. Une formation sur les contentions, des contentions plus douces.
Quand ils proviennent de l’EHPAD souvent, on a une fiche de liaison avec le GIR mais plein de fois, on n’a rien, on ne sait pas ce sont les aidants familiaux pour ceux qui sont au domicile et parfois, on n’a pas de transmissions on appelle quelques fois pour voir comment ça se passe, ils demandent de l’eau on se dit ça se trouve ils font des fausses routes on ne sait pas et c’est compliqué parfois il n’y a pas de famille…
Des fois les pompiers viennent sans infos, les déposent, on ne sait pas d’où ils viennent quelques fois on retrouve avec le dossier informatique quand ils sont connus de l’hôpital.
Avoir une personne comme une unité mobile gériatrique sur place ce serait bien car nous, on est dans les soins et on n’a pas le temps. Savoir comment ils vivent, comment ça se passe, s’ils ont des aides, parfois on a beau leurs demander tout ça on voit que c’est compliqué à la maison, qu’il y a des problèmes familiaux… Des fois on dit à la famille ça serait bien de vous faire aider, voyez avec l’assistance sociale… On ne fait pas appel à l’assistance sociale en général, c’est le médecin qui le fait après nos transmissions.
C’est rare d’avoir de la place à l’hôpital pour des maintiens à domicile difficiles.
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