Introduction
1On ne dispose pas en France d’une analyse descriptive concernant la part des arrêts maladie pour des femmes ayant eu un congé de maternité. Plusieurs études [1-3] avaient montré une durée particulièrement élevée.
2Au cours de la grossesse, il est fréquent que les femmes enceintes s’arrêtent pour des raisons consécutives à leur état de santé ou à la pénibilité de leurs conditions de travail, en dehors des 15 jours d’arrêt légaux pour « grossesse pathologique ». Selon plusieurs études, ces arrêts sont souvent sous-estimés. Dans le cadre de la recherche de pistes d’action pour réduire les arrêts pour motifs médicaux, nous avons repris les données d’arrêts maladie ordinaire afin de savoir si les femmes enceintes étaient plus souvent arrêtées que les autres salariées et de comparer ces arrêts selon le grade en prenant en compte la pénibilité physique des postes.
3L’existence d’une base de données exhaustive, regroupant l’ensemble des arrêts de travail de tous les salariés de l’APHP, rend possible d’aborder ce sujet de façon exhaustive pour l’ensemble du personnel de l’AP-HP de 2005 à 2008. Cette méthode permet d’éviter tous les biais de recueil et de déterminer l’impact potentiel d’une politique de réduction de la pénibilité physique, si elle s’avère justifiée.
4Les salariées enceintes peuvent bénéficier de 15 jours d’arrêt pour « grossesse pathologique » sur prescription médicale et c’est, jusqu’ici, la seule donnée qui a été prise en compte dans les réflexions de gestion des ressources humaines. Dans le cadre de la recherche de pistes d’action pour réduire les arrêts pour motifs médicaux, nous avons repris les données d’arrêts maladie ordinaire afin de savoir si les femmes enceintes étaient plus souvent arrêtées que les autres salariées et de comparer ces arrêts selon le grade en prenant en compte la pénibilité physique des postes.
5Les données qui peuvent être obtenues sur la totalité des salariées de l’AP-HP et sur plusieurs années permettent d’éviter tous les biais de recueil et de déterminer l’impact potentiel d’une politique de réduction de la pénibilité physique, si elle s’avère justifiée.
Contexte théorique
6Une étude des arrêts officiels de 4 852 femmes de 20 à 45 ans employées dans un grand hôpital danois a permis d’étudier le cas de 773 femmes ayant été enceintes entre 1995 et 1999 [3]. Au total, 236 (31 %) ont été en arrêt maladie au moins 10 % de leur temps de travail pendant leur dernière grossesse et 169 (22 %) ont été absentes 20 % de ce temps. Les femmes enceintes ont en moyenne 6.1 jours d’absence par mois, les femmes non enceintes 0.95 jour. Les arrêts sont plus fréquents en fin de grossesse qu’en début. Les femmes employées comme aides-soignantes, agents de service, blanchisseuses et infirmières ont plus de jours d’arrêt que les autres employés de l’hôpital (emplois administratifs ou médicotechniques). Le travail à temps partiel, des antécédents d’arrêt, des antécédents de lombalgies et dorsalgies ont été des facteurs de risque pour les arrêts longs en cours de grossesse ainsi que de longs déplacements, une station debout prolongée, de longues journées de travail, une forte intensité de travail, peu de soutien des supérieurs et des collègues, beaucoup de manutention et du travail de nuit ou alternant. Les arrêts étaient sans rapport avec la taille de la famille, l’aide reçue au sein de la famille ou l’ancienneté professionnelle.
7Deux études concordantes avaient été menées en France sur ce thème [1-2]. Elles ont été conduites par des médecins du travail de l’AP-HP avec l’appui de l’unité 149 de « l’institut National de la Santé et de la Recherche Médicale » (INSERM), auprès, respectivement, de 204 et 623 femmes reprenant leur travail après leur congé maternité. Elles mettent toutes deux en évidence l’existence de facteurs de risque concernant la pénibilité physique (port de charges lourdes, gros ménage et station debout prolongée) pour la survenue de contractions, d’arrêts de travail, d’hospitalisations et d’accouchements prématurés. La première enquête avait comparé l’échantillon des femmes de l’AP-HP à un échantillon représentatif des femmes de la région parisienne. Les accouchements prématurés étaient plus fréquents (13 % contre 8 %) ainsi que les hospitalisations en cours de grossesse (22 % contre 12 %). Les femmes de l’AP-HP ont été 80 % à s’arrêter et pour 50 % d’entre elles, l’arrêt a dépassé un mois. Les ASH étaient le groupe ayant le plus fort taux de prématurité, 16 %. Par contre, les femmes de l’AP-HP n’étant pas exposées aux conditions physiques pénibles étudiées avaient deux fois moins d’accouchement prématuré et donc moins que l’échantillon représentatif des femmes de la région parisienne. La deuxième étude a établi un indicateur de conditions de travail pénibles additionnant port de charges lourdes, longues périodes de stations debout immobiles et réalisation de grand ménage. Les femmes ayant eu 0 ou 1 seul de ces facteurs de risque ont eu un taux d’accouchement prématuré de 6 % contre 21 % pour celles ayant cumulé 2 ou 3 de ces facteurs de conditions de travail pénibles. Dans le même sens, les femmes ayant eu 0 ou 1 seul de ces facteurs de risque ont été 16 % a être hospitalisées contre 35 % pour celles ayant cumulé 2 ou 3 de ces facteurs de conditions de travail pénibles. Le nombre de jours d’arrêt de travail (maladie ordinaire plus 15 jours de grossesse pathologique sur les 8 ou 9 mois de grossesse) ont été de 37 jours pour les femmes ayant eu 0 ou 1 seul de ces facteurs de risque contre 50 jours pour celles ayant cumulé 2 ou 3 de ces facteurs de conditions de travail pénibles.
8Dans le cadre de l’étude Presst-Next [4], nous avons conduit une analyse sur 4 086 femmes soignantes de moins de 45 ans, parmi lesquelles 381 ont été enceintes au cours des 12 mois et, si 251 ont eu un congé maternité dans cette période, 354 ont eu des arrêts pour des pathologies en cours de grossesse. La durée moyenne de ces arrêts en cours de grossesse, incluant les 15 jours de « grossesse pathologique », a été de 69,2 jours par femme ayant un problème, ce qui rapporté à l’échantillon total correspond à 6,65 jours d’arrêt par individu. La durée moyenne des arrêts passe de 53,1 jours à 73,1 jours en moyenne selon que la charge physique est faible, moyenne ou élevée pour ces soignantes pendant leur grossesse.
Méthode
9Les résultats de quatre années (de 2005 à 2008) ont pu être analysés. L’analyse a été menée séparément pour les agents de services hospitaliers, les aides-soignantes, les infirmières diplômées d’État, les infirmières spécialisées, les cadres de soins, les personnels médico-techniques (manipulateurs d’électroradiologie, techniciens de laboratoires et préparateurs en pharmacie) et les personnels administratifs de tous grades.
10La structure du système d’information de l’AP-HP (SIAP) comporte 5 domaines. Pour la gestion des personnels (carrière, paie, gestion du temps, effectifs, accidents du travail, pertes d’emploi, bilan social), l’ensemble de ces données était regroupé dans l’application centralisée GIPSIE (Gestion Informatisée des Personnels, des Situations Individuelles et des Effectifs) jusqu’en 2008. Nous avons pu faire une interrogation exhaustive de la base de données GIPSIE concernant les arrêts maladie de l’ensemble des salariés de l’AP-HP en utilisant le logiciel 5W® (Solution Pilot RH, Paris, France).
Résultats
Nombre moyen de jours d’arrêts pour maladie ordinaire dans l’année selon que les femmes ont eu ou non un congé de couches
11Pour l’ensemble de l’assistance hôpitaux de Paris, en 2008, les 3 937 femmes ayant eu un congé de couches ont cumulé 132 360 jours d’arrêt « maladie ordinaire » (soit 33,6 jours en moyenne) en dehors des jours de « grossesse pathologique » et des « suites de couches » (Figure 1 ci-dessous et Tableau 1 p.55). Les arrêts maladie ordinaires de l’ensemble des 53 132 femmes de toutes professions s’élèvent à 11,5 jours par agent en moyenne. Mais, la mise à part des femmes ayant eu un congé de couches réduit le nombre moyen de jours d’arrêt à 9,7 jours par femme contre 11,5 jours en les incluant.
Durée des arrêts en maladie ordinaire parmi les femmes des différents grades, employées dans les hôpitaux de l’AP-HP en 2008, selon qu’elles ont eu des congés de couches dans l’année ou non
Durée des arrêts en maladie ordinaire parmi les femmes des différents grades, employées dans les hôpitaux de l’AP-HP en 2008, selon qu’elles ont eu des congés de couches dans l’année ou non
Légende : le nombre moyen de jours d’arrêt en maladie ordinaire décroît avec la pénibilité physique des postes aussi bien pour les femmes n’ayant pas eu de congés de couches dans l’année que pour celles en ayant eu.12L’analyse pour les quatre années donne des résultats similaires avec près de deux jours attribuables à la seule situation des femmes enceintes (Figure 2 p.56 et Tableau 1 p.55).
Nombre moyen de jours d’arrêt pour maladie ordinaire dans l’année des femmes employées à l’AP-HP, selon leur grade et selon qu’elles ont ou non eu un congé de couches dans l’année
Nombre moyen de jours d’arrêt pour maladie ordinaire dans l’année des femmes employées à l’AP-HP, selon leur grade et selon qu’elles ont ou non eu un congé de couches dans l’année
Note : ASH = agent de service hospitalier ; AS = aide soignante ; IDE = infirmière diplômée d’état ; IDE spé = infirmière spécialisée ; M-Tech. = médico-technique : Admin = personnel administratifNote 1 : ASH = agent de service hospitalier ; AS = aide soignante ; IDE = infirmière diplômée d’état ; IDE spé = infirmière spécialisée ; M-Tech. = médico-technique : Admin = personnel administratif
Note 2 : Pour chaque année, le nombre moyen de jours d’arrêt entre le 1er janvier et le 31 décembre est calculé pour chaque profession, pour les femmes ayant eu un congé de couches dans l’année, pour la totalité du groupe et pour la totalité du groupe après exclusion des femmes ayant eu un congé de couches
Durée des arrêts en maladie ordinaire parmi des femmes des différents grades, employées dans les hôpitaux de l’AP-HP avec ou non des congés de couches dans l’année
Durée des arrêts en maladie ordinaire parmi des femmes des différents grades, employées dans les hôpitaux de l’AP-HP avec ou non des congés de couches dans l’année
Légende : Pour l’ensemble des femmes de l’AP-HP, 1,9 jour sont attribuables aux femmes enceintes en 2005, 1,8 jours en 2006, 2 jours en 2007 et 1,8 jour en 2008. Pour les IDE, 2,8 jours sont attribuables aux femmes enceintes en 2005, 2,7 jours en 2006, 2,8 jours en 2007 et 2,8 jours en 2008.Nombre moyen de jours d’arrêt pour maladie ordinaire dans l’année par grade
13L’analyse par grade, pour 2008, montre que le nombre moyen de jours d’arrêt pour maladie ordinaire, une fois mises à part les femmes ayant eu un congé de couches dans l’année, diminue graduellement avec la pénibilité physique des postes : Agents de Service Hospitalier (ASH) 19,9 jours, Aides-Soignantes (AS) 13,7 jours, IDE 8,2 jours, Infirmières Diplômées d’État (IDE) spécialisées 7,7 jours, médico-techniques 5,7 jours et cadres 5,1 jours (figure 1 ci-dessous). La même tendance est observée pour les quatre années (tableau 1 p.55).
14Pour les femmes ayant eu un congé de couches dans l’année, l’analyse par grade, pour 2008, montre que le nombre moyen de jours d’arrêt pour maladie ordinaire, est le plus élevé pour les aides-soignantes (41,9 jours) suivi par les ASH et les IDE (36 jours dans les deux cas). Les IDE spécialisées ont eu légèrement moins de jours d’arrêt (28,3 jours). Par contre, dans les métiers ayant le moins de pénibilité physique des postes les femmes ont toutes moins de 25 jours d’arrêt maladie ordinaire l’année de leur congé de couches : médico-techniques 21,3 jours, cadres 23,1 jours et administratifs 23,7 jours. La même tendance est observée pour les quatre années.
Nombre moyen de jours d’arrêts par mois pendant la grossesse
15Pour les AS, la durée moyenne d’arrêt mensuel est de 4,74 jours si on la rapporte à 12 mois et 6,32 jours si on la rapporte à 9 mois. Pour les IDE, la durée moyenne d’arrêt mensuel est de 4,25 jours si on la rapporte à 12 mois et 5,67 jours si on la rapporte à 9 mois.
Part des arrêts maladie ordinaire attribuable à la grossesse, selon le grade
16Ces arrêts importants des femmes enceintes contribuent fortement à l’élévation du nombre de jours d’arrêt maladie de l’ensemble des femmes et ce pour les quatre années étudiées (fig. 2).
17Cette influence est particulièrement forte pour les infirmières et aides-soignantes, or ce sont les groupes professionnels les plus nombreux.
- Pour les infirmières diplômées d’État, la différence est de 2,8 jours pour trois années et 2,7 jours pour une, lorsque l’on met à part les femmes enceintes. Cette durée moyenne est très stable avec 34,1 jours d’arrêt en maladie ordinaire en 2005, 34,3 jours en 2007, 36 jours en 2008 à 36,7 jours d’arrêt en 2006.
- Pour les AS, la différence est de 2 à 2,2 jours en moyenne et le nombre moyen de jours d’arrêt en maladie ordinaire pour les femmes ayant eu un congé de couches est stable avec 44,4 jours en 2005, 40,8 jours en 2006, 43,2 jours en 2007 et 41,9 jours en 2008.
18La problématique est bien moins nette pour les personnels médico-techniques et administratifs qui sont moins confrontés au travail principalement debout et aux postures pénibles. Les personnels médico-techniques permettent d’observer la même tendance, mais à un niveau moindre entre 0,9 et 1,2 jour selon les années. Pour les personnels administratifs l’analyse mettant à part les femmes ayant eu un congés de couches permet de réduire de 0,8 à 1,1 jour le nombre moyen de jours d’arrêt.
19Les cadres peuvent organiser leur travail pour ne pas être exposés à une pénibilité physique importante. Pour les cadres, la différence est minime, de 0,3 à 0,5 jour attribuable à la grossesse, selon les années.
20En 2008, pour l’ensemble des 53 123 femmes de l’AP-HP, la différence de 1,8 jour sur 11,5 jours attribuables aux femmes enceintes ayant plus d’arrêts en maladie ordinaire pèse pour 15,6 % du total de l’absentéisme maladie ordinaire. L’ajout des 15 jours de grossesse pathologique, identifiés à part, qui sont le plus souvent pris dans les postes physiquement pénibles ajouterait 0,78 jour d’arrêt à l’ensemble des femmes en ne décomptant ces 15 jours que pour les ASH, AS, IDE et IDE spécialisés. La part attribuable à la grossesse pour l’ensemble des femmes devient alors de 22,5 %. En 2005, cette part de l’absentéisme maladie ordinaire attribuable aux femmes ayant eu des congés de couches, sans même ajouter les 15 jours de grossesse pathologique, est de 18 % en 2006 de 17,1 % et en 2007 de 18,4 %.
21Pour les infirmières, la part attribuable est encore plus forte. C’est 25,5 % des arrêts maladie qui sont attribuables à la grossesse, puisque l’on passe de 8,2 jours d’arrêt maladie ordinaire pour les 13 590 IDE n’ayant pas eu de congés de couches dans l’année à 11 jours pour l’ensemble des 15 106 IDE en incluant celles ayant eu des congés de couches dans l’année. Et, si l’on répartit sur l’ensemble des infirmières le poids des 15 jours de grossesse pathologique, généralement pris, les arrêts liés à la grossesse représentent 34,4 % de l’ensemble des arrêts maladie ordinaire plus les grossesses pathologique.
Première évaluation du coût de ces arrêts
22Pour l’AP-HP, les 33,6 jours d’arrêt en maladie ordinaire des 3 937 femmes ayant eu un congé de couches représentent la somme de 11 240 000 euros (pour un salaire moyen journalier de 85 euros par jour) si on devait remplacer tous les agents absents. Une réduction de la pénibilité physique devrait faire passer le personnel soignant non cadre, ayant eu un congé de couches dans l’année, à une durée d’arrêt maladie ordinaire similaire à celle des administratifs ou des cadres, soit une réduction de près d’un tiers.
Discussion
Influence de la pénibilité physique sur le déroulement de la grossesse et les arrêts préventifs
23On constate que les métiers dont le travail est principalement debout et nécessite des efforts physiques sont plus arrêtés en cours de grossesse et que le poids de ces arrêts contribue très fortement dans l’absentéisme général.
24La gradation de la pénibilité physique entre ASH, AS, IDE et cadre est attestée par les résultats de nombreuses études ergonomiques et épidémiologiques [4-5]. Mais d’autres aspects comme la charge mentale et psychique ne sont pas pris en compte ici et peuvent toucher particulièrement les professions moins concernées par la pénibilité physique.
25Nos résultats rejoignent ceux de Kaerlev et coll, 2004 [3] pour les femmes non enceintes (0,81 jour par mois dans notre étude et 0,95 jour dans celle de Kaerlev). Pour les femmes enceintes, en France, la comparaison aux 6,1 jours d’absence par mois de Kaerlev nécessite de rajouter les 15 jours, pris le plus souvent, au titre de la « grossesse pathologique ». Nous avons alors vu que pour les AS, la durée moyenne d’arrêt mensuel est de 6,32 jours si on la rapporte à 9 mois et pour les IDE, de 5,67.
26Les absences des IDE et des IDE spécialisées doivent souvent être remplacées au prix fort par des intérimaires. Or c’est le groupe pour lequel la pénibilité a le plus d’impact sur les arrêts en cours de grossesse.
Possibilités de réduire la pénibilité physique du travail à l’hôpital
27L’étude Presst-Next a montré que la posture debout quasi constante est encore générale, en France, pour tous les soignants auprès des malades. Ils sont debout 6 heures et plus pour 83,2 % des AS, 68,6 % des IDE et 65,5 % des IDE spécialisés.
28Ce n’est pas une fatalité puisque la posture debout 6 heures par jour et plus est décrite par plus de 60 % des IDE français, allemands et italiens. Par contre ceux des Pays-Bas sont moins de 40 % dans ce cas et ceux de Finlande, Pologne et Slovaquie moins de 50 %.
29En France, les tâches telles que laver et baigner, habiller des patients et les aider à s’alimenter sont accomplies par 20 % à 40 % des AS plus de 5 fois par jour. Les IDE les réalisent moins : laver et baigner (12,2 %), habiller des patients (12,9 %) et les aider à s’alimenter (5,9 %). Par contre, une partie des IDE travaillent en binôme avec les AS ou travaillent sans AS et font la réfection des lits. En ce qui concerne les tâches relevant théoriquement du rôle propre infirmier telles que l’aide à l’alimentation, à la mobilisation et à l’hygiène, l’organisation actuelle du travail écarte de fait les IDE de ces tâches. La quantité de soins techniques leur laisse exceptionnellement le temps de travailler en binôme avec un AS pour ce type de tâches. On constate que les IDE qui réalisent ces tâches encore cinq fois par jour et plus sont de 10 à 30 % selon les actes concernés, alors que les aides-soignants sont plutôt de 20 à 40 % à les réaliser à cette fréquence. Or en France, les équipements d’aide à la manutention (lève-malades sur rails au plafond, matelas de transfert…) sont loin d’être généralisés et les lève-malades au sol sont rarement en nombre suffisant pour que chaque AS puisse en avoir un avec lui. Les sanitaires de chambre sont encore rarement équipés d’une douche sans seuil et de surface suffisante pour qu’un AS puisse y faire tourner un malade sur un équipement de manutention. Ces recommandations font pourtant consensus internationalement [6].
30Les IDE et les IDE spécialisés sont amenés à pousser des lits ou des chariots (17 % et 17,3 %, respectivement, plus de 5 fois par jour), cependant c’est surtout le travail des AS (38,9 % plus de 5 fois par jour). A noter que près d’un tiers des IDE des CHU (29,3 %) participe à la réfection des lits, plus de 5 fois par jour, versus 9,4 % en long séjour. Les IDE des longs séjours supervisent plusieurs unités et sont moins concernés pour des tâches comme laver et baigner les patients (8,4 % le réalisent plus de 5 fois par jour), les habiller (7,9 %) par contre ils sont 11,8 % à les aider à s’alimenter.
31La pénibilité physique est fréquemment décrite aussi par les IDE et spécialisés européens (plus de 60 % sont concernés sur les différents aspects), mais un peu moins par les IDE français (ces tâches étant pour une part reportée sur les aides-soignants, plus nombreux en France). Par contre, la posture debout prolongée est très importante en France. Ces résultats sont concordants avec ceux recueillis par l’étude de la Direction de la recherche des études de l’évaluation et des statistiques (DREES) en 2004 [7]. Les IDE français de l’étude PRESST-NEXT, et de celle de la DREES, sont près de la moitié à considérer que leurs locaux sont mal adaptés aux exigences de leur travail. La question n’avait pas été posée dans les autres pays.
Bénéfices attendus pour les femmes enceintes
32Un calcul simple, sans recherche des coûts cachés, a montré qu’une réduction de la pénibilité physique devrait, en faisant passer le personnel soignant non cadre ayant eu un congé de couches dans l’année à une durée d’arrêt maladie ordinaire similaire à celle des administratifs ou des cadres, réduire la durée des arrêts de près d’un tiers. Les remplacements par les collègues devant déplacer leurs jours de repos entraînent à leur tour une insatisfaction, un cumul de pénibilité et de fait un absentéisme aggravé.
33Ces congés maladie pour des situations très angoissantes pour les femmes enceintes (ouverture du col avec risque d’accouchement prématuré fréquemment en cause) doivent être réduits en investissant une part des sommes que l’on espère récupérer pour diminuer la pénibilité du travail, ce qui ne peut que rassurer les futures mères.
34Les ASH cumulent souvent des pénibilités importantes et ont le plus de jours d’arrêt avec une différence moindre liée à la grossesse et doivent bénéficier d’améliorations rapides.
Pourquoi les arrêts en cours de grossesse sont un objectif prioritaire pour la prévention
35Pour la Cour des comptes, qui a rendu public en mai 2006 un rapport sur les personnels des établissements publics de santé [8], le coût de l’absentéisme doit être analysé. Selon les données nationales disponibles, citées dans ce rapport, le taux global de présence, qui rapporte le nombre de journées travaillées au nombre théorique de journées travaillées, diminue, passant de 90 % en 1999, à 89 % en 2001 et 88 % en 2002. La même année, le nombre de jours d’absence par agent en France, hors département d’outre mer (DOM), a été de 25,1 jours. Sur les 20,1 jours d’absence pour motif médical, 8,8 jours correspondent à des maladies de courte durée. Nous pensons efficace de nous intéresser à la réduction des facteurs de risques d’arrêts de 15 jours à 2 mois.
36Des études se sont centrées sur l’absentéisme de courte durée et ont examiné l’absentéisme du lundi et du vendredi comme une extension du week-end. Selon une étude de Libet et al. (2001) [9], sur moins de 200 soignants il diminuerait la productivité des soignants. A partir d’une étude sur 27 541 employés de 1993 à 1997, Vahtera et al (2001) [10], en revanche, évaluent les absences dues à des week-ends étendus entre 0,6 % et 0,9 % de la totalité des journées perdues, tout en estimant qu’il s’agit probablement d’une « surestimation ». En conclusion, pour les auteurs, l’absentéisme de circonstance autour des week-ends est un phénomène marginal.
37A l’inverse une action de réduction de la pénibilité physique et tout particulièrement de la station debout prolongée cherche à agir sur 15,6 % à 18,4 % du total de l’absentéisme maladie ordinaire, selon les années et même sur 25 % si on ne considère que les IDE.
38De plus, le contexte de critique de l’absentéisme, lors des démarches se centrant sur les arrêts courts, a un retentissement sur le climat des équipes de travail. Si la question de la santé est évacuée, chacun va considérer que son propre arrêt est médicalement justifié alors que celui des autres est seulement une question de motivation. Harrisson et Schaffer (1994) [11] ont trouvé que la perception qu’ont les individus de leur propre absentéisme est assez juste mais qu’elle est assez fausse à l’égard de l’absentéisme des autres. En moyenne, entre 85 et 95 % des individus s’estiment être davantage présents que la moyenne.
39Une action de réduction de la pénibilité physique dans des établissements tests pourrait être menée. La réduction des jours d’arrêt en cours de grossesse peut être un indicateur rapide d’évaluation de l’efficacité des investissements.
Bénéfices supplémentaires attendus
40De fait, les améliorations mises en place bénéficieront à l’ensemble des agents, hommes et femmes. Les bénéfices attendus sont en effet, pour l’ensemble des agents, à moyen terme, une réduction des arrêts pour troubles musculo-squelettiques et lombalgies. Nous pouvons nous appuyer pour espérer cette réduction des arrêts pour troubles musculo-squelettiques, sur l’analyse menée sur 3 727 IDE par Trinkoff, Storr et Lipscomb (2001) [12]. Ils ont examiné l’association entre 8 difficultés physiques du travail et les troubles du sommeil, les traitements antidouleur et l’absentéisme. Ils ont montré que l’absentéisme était 1,6 fois plus élevé en présence de chacune des postures inadaptées. Ils ont trouvé une relation dose-réponse : lorsque l’augmentation du nombre de facteurs de pénibilité augmente, l’occurrence des troubles du sommeil, des traitements antidouleur et de l’absentéisme augmentent. Ainsi, lorsque l’infirmier est exposé aux 8 facteurs de risques physiques, son absentéisme est 2,13 fois plus important. D’autres études sont concordantes [13-15]. Tous ces auteurs concluent alors que les interventions pour améliorer la santé des soignants et réduire leur absentéisme doivent se centrer sur la limitation des demandes physiques du travail. L’efficacité des actions de prévention a été démontrée dans la dernière décennie [16-18] et les gains financiers ont souvent été substantiels pour les établissements.
41De plus une telle action permet, en réduisant la pénibilité de tous les postes, outre la réduction immédiate des pathologies en cours de grossesse et à moyen terme de celle des TMS et lombalgies, de maintenir l’employabilité des salariés plus âgés et d’intégrer des personnes en situation de handicap, dans un travail qui a pour eux un sens fort et qu’ils ne veulent pas abandonner.
Remerciements
Les auteurs remercient Marie-Pierre Ferec et Cécile Castagno, Directeurs à la Direction des ressources humaines de l’APHP, pour avoir facilité cette étude, ainsi que le Conseil régional d’Ile-de-France pour son soutien financier à la recherche en amélioration des conditions de travail à l’hôpital.Références bibliographiques
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Mots-clés éditeurs : arrêts maladie, prévention, charge physique, hôpital, grossesse
Date de mise en ligne : 12/01/2014
https://doi.org/10.3917/rsi.113.0051