Introduction
1 La réingénierie de la formation des infirmières en France (2009), orientée vers le développement d’un futur professionnel autonome, responsable, réflexif et projectif constitue le point de départ de cette recherche. Cette réorientation et l’évolution de la pratique professionnelle interrogent la capacité des dispositifs de formation à se transformer, à se rapprocher de la réalité du travail, à devenir plus autonomisants et professionnalisants. Dans ce contexte, la fonction d’accompagnement de l’étudiant, les pratiques autoformatives et la fonction « reliante » (Clenet et Roquet, 2005) [1] qui devient une fonction partagée entre l’étudiant infirmier, le tuteur et le formateur sont à questionner. En effet, tous ces acteurs sont engagés dans un partenariat renforcé et impliqués dans le projet de professionnalisation et d’autoformation de l’étudiant en soins infirmiers (ESI). Les conditions d’un pilotage tripartite, plus ouvert et laissant une place au projet personnalisé de l’étudiant et à la valorisation de ses expériences peuvent-elles modifier la démarche d’accompagnement vers une autonomie professionnalisante ?
2
Cette étude s’intéresse aux conditions d’efficacité de la contractualisation et du lien entre la contractualisation et l’autoformation dite professionnalisante. L’objectif de cette recherche est
- de comprendre les conditions de la relation de contractualisation entre les acteurs impliqués dans le copilotage du projet d’apprentissage de l’étudiant en soins infirmiers qui peuvent déclencher l’autoconstruction des compétences, être vecteur de professionnalisation et d’autoformation ;
- d’évaluer si les étudiants infirmiers qu’ils soient de 1ère, 2ème ou 3ème année se perçoivent dans le contrat et si apprendre par le contrat peut avoir des effets sur l’autonomie, l’autoformation et la professionnalisation.
3 Cette étude pourrait apporter sa contribution théorique dans la meilleure compréhension des conditions favorables au contrat d’apprentissage et aux conditions d’autoformation accompagnée chez les étudiants infirmiers, en regard de leur niveau d’apprentissage et de son effet sur l’apprentissage autodirigé, l’autodéveloppement, le développement personnel et professionnel permanent du futur infirmier.
Le modèle d’apprentissage par contrat
4 Le contrat est apparu dans les années 80 dans le milieu de l’éducation, en prenant appui sur les méthodes actives, la pédagogie coopérative de Freinet en 1924, (Vourzay, 1999) [2], la pédagogie du projet de Dewey (1900), 2008, [3] ainsi que la pédagogie par objectifs (Hameline,1979) [4]. Plus récemment, les travaux de Burguière et al., 1979, [5], Astolfi, 1997, [6], montrent une ouverture à la négociation. Przesmicki, 1994, [7] atteste que le contrat est un outil d’aide pour l’élaboration du projet, source de motivation, un outil de socialisation, un outil qui a valeur psychopédagogique car il permet d’acquérir de la confiance en soi, une aide méthodologique pour l’apprenant.
5 Nous nous appuyons sur le concept de « contract learning » de Knowles, 1980, [8], 1986, [9] pour étayer notre réflexion sur le contrat. Mais le concept de « contract learning », n’a pas d’équivalent français. Nos recherches sur la base de données CINAHL font ressortir 160 résultats de 1977 à 2011 au sujet du « contract learning », et une trentaine concernant les soins infirmiers de 1984 à 2010, cités dans les revues spécialisées (Nurse education, Nurse Today, Journal of advanced nursing). Ces études proviennent des Etats-unis d’Amérique, du Canada, du Royaume-uni, de l’Australie, des pays asiatiques, de l’Afrique du Sud et sont publiées en anglais. La base de données FRANCIS indique 15 résultats sur le « contract learning » et la base de données ERIC, aboutit à 88 occurrences.
6 En revanche, nous trouvons 49 résultats de 1985 à 2008, pour le contrat d’objectifs, 135 résultats de 1971 à 2011, pour le contrat d’apprentissage, et 114 résultats de 1970 à 2008 pour le contrat pédagogique. Toutefois, quand on les regarde plus précisément, ces études ne concernent pas le milieu professionnel infirmier. Nous décidons alors, de confronter, les expériences originales empiriques des structures françaises, aux études de praticiennes infirmières chercheuses qui ont publié leurs recherches. Assurément, le contrat n’est ni un contrat d’apprentissage reliant l’apprenti à son employeur, ni un contrat d’objectifs réduisant l’apprentissage à l’atteinte des objectifs, ni un contrat pédagogique qui s’attacherait uniquement à la négociation des modalités d’atteinte des objectifs.
7 Notre problématique articule les concepts d’apprentissage par contrat vu sous l’angle du « contract learning » de Knowles, 1980, [8], 1986, [9], qu’il utilise à des fins d’autodéveloppement, d’auto-évaluation, valorisant les expériences, l’autodirection des apprentissages, le projet d’apprendre de l’apprenant et celui de Carré, 1992, [10] qui considère le contrat comme un pilier de l’autoformation, qui sert à la co-construction, à la régulation des apprentissages autodirigés et qui engage l’apprenant, le facilitateur et l’organisation (dans notre cas, le tuteur, formateur et étudiant) dans un contrat tripartite, conférant à l’autoformation une dimension « d’autoformation accompagnée ». La conception de Carré, 1992, [10], revisitée dans le cadre des Ateliers de Pédagogie Personnalisée (APP) (Carré, 2003) [11], révèle que le projet de l’apprenant n’est pas établi une fois pour toute et qu’il est nécessaire de l’accompagner. Le contrat vient soutenir le projet personnel de l’apprenant, puisque contrat et projet sont étroitement liés à la compétence « d’apprendre à apprendre ». Cette approche s’inspire du « self directed learning » de Knowles, 1975, [12] qui nécessite de se centrer sur le projet d’apprendre, sur l’évaluation des besoins d’apprentissage, pour explorer ses ressources, et ses stratégies. L’apprenant est capable de s’auto-évaluer, considéré comme un adulte, capable d’autodéveloppement, dont les expériences antérieures sont des ressources. Son besoin individuel est reconnu, son statut d’apprenant est reconnu, qui évolue à son propre rythme d’apprentissage, et qui laisse la place à un apprentissage individualisé. La responsabilité de son apprentissage est reconnue, d’autodiagnostic de son besoin d’apprentissage. Des conditions d’apprentissage par le contrat sont identifiées, comme un climat apprenant, le choix des ressources, une relation d’égalité et un respect mutuel. Sur un plan technicopédagogique, pour Carré (1992, 156) [10], allant du simple accord oral au véritable contrat signé officiellement par les différentes parties impliquées (au minimum l’apprenant et le formateur), le contrat pédagogique est à la fois un outil efficace de guidance de l’apprenant et un outil de « mise en actes » de son apprentissage pour l’apprenant. Il a pour vertu de permettre un langage mutuel compréhensible par tous. Le contrat pédagogique comprend au moins les quatre rubriques suivantes, autour desquelles s’accordent les auteurs travaillant en pédagogie du contrat : les objectifs opératoires de l’apprenant, les ressources pédagogiques utilisées, les conditions pour atteindre les objectifs fixés et les modalités d’évaluation.
8 Ce projet de recherche s’inscrit dans la continuité et le prolongement des recherches sur le « contract learning », déjà initiées depuis les années 1980, dans le contexte clinique auprès des étudiants infirmiers.
9 La revue de littérature révèle que les visées des contrats pratiqués chez les étudiants infirmiers ont pu servir comme méthode d’auto-évaluation (Henfield et Waldron, 1988) [13] pour augmenter la confiance en soi (Richardson, 1987) [14], (Gibbon, 1989) [15], pour motiver (Bouchard et Steel, 1980) [16], (Whittaker, 1984) [17], (Keyser, 1986) [18], (Chan et Wai-Tong, 2000) [19], pour partager la responsabilité (Bouchard et Steel, 1980) [16], (Keyser, 1986) [18], pour développer l’apprentissage de la responsabilité et de l’initiative (Henfield et Waldron, 1988) [13], (Richardson, 1987) [14], (Bouchard et Steel, 1980) [16], (Chan et Wai-Tong, 2000) [19], pour améliorer la communication entre professeur, tuteur et étudiant, (Gibbon, 1989) [15], (Bouchard et Steel, 1980) [16], (Whittaker, 1984) [17], (Chan et Wai-Tong, 2000) [19], pour augmenter l’autonomie (Richardson, 1987) [14], (Whittaker, 1984) [17], (Chan et Wai-Tong, 2000) [19], pour faire évoluer à son rythme (Whittaker, 1984) [17], (Keyser, 1986) [18], pour développer son style d’apprentissage (Richardson, 1987) [14], pour individualiser ses apprentissages (Whittaker, 1984) [17], (Barrington et Street, 2009) [20], pour promouvoir l’intégration de la théorie à la pratique (Keyser, 1986) [18], (Barrington et Street, 2009) [20], pour atteindre des résultats prescrits (Jarvis, 1986) [21], pour apporter des changements dans la pratique (Keyser, 1986) [18] ou pour développer des habitudes d’apprentissage par soi-même tout au long de la vie (Richardson, 1987) [14]. En outre, le contrat a pu servir à l’autodéveloppement, au développement personnel ou professionnel de l’individu (Keyser, 1986) [18], et pour améliorer ses compétences chez les infirmières en formation continue.
L’autoformation professionnalisante
10 Afin de mieux comprendre les conditions de contractualisation entre les acteurs impliqués dans le copilotage du projet d’apprentissage pouvant déclencher l’autoconstruction des compétences, il est nécessaire de se saisir des perspectives de l’autoformation. D’après Carré, Moisan et Poisson, (2010), [22], elles relèvent d’un intérêt pour l’individu et de l’« agentivité » (Bandura, 2002) [23]. En effet, la visée sociocognitive (Bandura, 2002) [23], repose sur la mobilisation de l’individu et sa responsabilité vis-à-vis de l’actualisation de ses connaissances. Dans cette perspective, nous définirons l’autoformation professionnalisante, comme : la prise de conscience par soi de ses transformations, qui se réalise au travers d’interactions sociales et qui valorise une culture de développement de compétence et de professionnalisation (ou de professionnalité) avec une intention de transformation continue de soi et de ses activités issues de ses expériences. Cette question de l’autoformation sous ses aspects théoriques est éclairée par la conception de l’autoformation prise dans le sens d’autodirection des apprentissages (Carré, 1992) [10], du sujet en interaction avec son environnement (Tremblay et Eneau, 2006) [24] et de l’approche tripolaire de Courtois et Pineau, 1991, [25] qui valorise l’autoformation par soi-même, par autrui, et l’environnement.
11 Cette définition présente la dimension du sujet en interaction avec l’environnement social (Tremblay et Eneau, 2006) [24], du sujet social apprenant (Dumazedier, 2002) [26] et l’autoformation prise dans le sens d’autodirection de ses apprentissages (Carré et Moisan, 2002) [27]. Elle définit également l’interrelation tripolaire (Pineau, 1983) [28] entre « autoformation » par soi-même, « l’hétéroformation » par autrui et « l’écoformation » par l’environnement. Ceci explique les liens que l’individu peut tisser, pour apprendre à apprendre avec les partenaires de la formation représentés, ici par les tuteurs, formateurs et de l’intérêt des conditions du milieu d’apprentissage. Nous retrouvons l’idée que l’autoformation c’est se former soi-même, au travers des autres. Mais l’individu reste le principal acteur. Il bénéficie d’espaces et de temps de formation pour négocier son projet avec ses partenaires (ceci est sous-tendu derrière l’intention de transformation).
12 L’autoformation dans l’alternance est mise en relation avec l’expérience (Courtois, 1995) [29] et c’est bien dans la découverte des savoirs nécessaires à l’action, que l’apprenant pourra transférer et créer de nouvelles connaissances. Nous défendons une position progressiste de l’autoformation accompagnée visant l’émancipation et l’autodéveloppement des compétences.
13
Nous nous appuierons sur trois acceptions du concept d’autoformation. Tout d’abord nous retiendrons :
- une dimension psychologique où l’autoformation est perçue comme « la formation de soi par soi » et où le terme former traduit la notion de développement et de transformation de soi. (Il s’agit d’appréhender l’apprenant, sa place, l’autonomie dans son projet) ;
- une dimension plus sociale où l’autoformation est vue comme un fait social, une pratique sociale qui s’exerce en interaction avec des organisations (Ici il s’agira du stage et du lien avec les partenaires du stage). En s’autoformant, l’apprenant peut faire évoluer ses propres pratiques professionnelles et l’activité elle-même ;
- une troisième conception plus pragmatique, qui concernera l’autoformation dans le monde du travail professionnel et sous-tendant des conditions favorables à l’apprentissage (Carré, 2005) [30].
La professionnalisation
14 Alternance sous certaines conditions (utilisation d’outils) professionnalise les apprenants, les activités elles-mêmes et les formateurs (Oudet, 2010) [33]. Pour autant, l’intérêt porté aux conditions de l’alternance professionnalisante réside dans le fait que les pédagogies de l’alternance sont plurielles et qu’elles mettent en jeu les conceptions et valeurs de ses auteurs/acteurs (Fernagu-Oudet, 2007) [34].
15 Par ailleurs, l’approche par compétence et la professionnalisation vient compléter notre éclairage théorique. Nous entendrons par professionnalisation la construction (Le Boterf, 1999) [35] et l’intention de développement (Wittorski, 2011) [36] de ses compétences en permanence. Le terme de développement se différencie d’apprentissage parce qu’il correspond à une temporalité plus longue. Le développement professionnel est également une affaire de l’individu qui se construit. Cela corrobore l’idée de « retour du sujet acteur intentionnel et réflexif » soulignée par Sorel, 2008, [37]. Il revêt une dimension sociale puisqu’il faut l’appréciation d’un autre pour juger de l’efficacité de son action ou de sa performance. On ne peut être considéré comme compétent que grâce à l’appréciation ou la reconnaissance de son environnement professionnel. L’« agir avec compétence » (Le Boterf, 2011) [38] présente donc « une dimension collective et non plus individuelle » (Le Boterf, 2011, 98) [38]. Il définit un professionnel compétent comme quelqu’un à qui l’on peut faire confiance. Ce n’est pas parce qu’il possède une liste de compétences, mais parce qu’il sait agir de façon pertinente, responsable et compétente, dans diverses situations. Il préconise de s’intéresser plus au processus mis en œuvre par le professionnel et d’essayer de le percevoir, de le faciliter, de l’évaluer pour le faire évoluer. L’intérêt que porte Le Boterf au professionnalisme relève aussi de critères éthiques, mettant l’accent sur le fait que « la compétence ne réside pas dans l’agir, mais dans la façon d’agir et dans la façon de prendre en compte les conséquences de ses actes » (Le Boterf, 2011,100) [38].
16 Puisque nous cherchons à percevoir des bénéfices du contrat d’apprentissage sur le développement de compétences, il importe de comprendre comment exercer ce jugement sur la nature de ces compétences. Pour Scallon, 2004, [39], la notion de compétence provient de ce que l’évaluation des apprentissages par l’approche par compétence, ne relève pas de la mesure mais plutôt d’un jugement. Il ne s’agit pas seulement de se centrer sur les compétences à acquérir dans le seul but de les attester ou de les certifier. Les personnes qui évaluent doivent exercer tout leur jugement d’un point de vue professionnel. Pour Tardif, 2006, [40], évaluer des compétences est un vrai défi, car l’évaluation des compétences ne se résume pas à évaluer des ressources ou une performance. Il préconise de s’appuyer sur des « indicateurs de développement » (Tardif, 2006, 164) [40], qui expliqueraient que l’étudiant est en mesure de réaliser ses activités.
Matériel et méthode
Schéma de la recherche
17 Cette recherche compréhensive multicentrique, adopte un devis descriptif, qualitatif et empirique et est complétée par une étude évaluative quantitative. Elle inclut 3 établissements de soins différents faisant partie des hôpitaux de l’AP-HP, d’un établissement public de santé et d’une clinique privée de la région parisienne. Le choix des structures n’est pas aléatoire. Les structures ont été sélectionnées pour leur investissement et leur qualité d’encadrement. Cependant nous ne savons pas dès le départ si elles sont sont réellement dans le contrat ou dans l’esprit d’un contrat d’apprentissage, puisque c’est ce que nous cherchons à découvrir. L’échantillonnage est représentatif de la population cible pour chaque terrain étudié. Il est aléatoire puisqu’il s’agit d’enquêter les personnes présentes au moment de l’enquête (cf. annexe 1 p. 118). Quinze personnes sont enquêtées soit 5 personnes dans chacune des structures, un maître de stage (cadre), un tuteur, un formateur associé au partenariat et deux étudiants infirmiers présents en stage au moment de l’enquête. Il s’agit d’une population différente, mais dont l’intérêt provient de ce que ces personnes sont impliquées et reliées entre elles logiquement par le contrat. S’attendant à des divergences de points de vue entre les populations notamment entre maîtres de stage, tuteurs, formateurs et étudiants, nous ne nous attendons pas à obtenir des éléments stables et significatifs. Toutefois, des éléments saillants sont relevés entre les structures, ils sont mis en corrélation avec les résultats significatifs statistiques de l’étude quantitative. L’efficacité du contrat d’apprentissage, est évaluée grâce à des entretiens semi-dirigés, d’étude de documents (outils utilisés par les unités) et grâce à un questionnaire passé à des groupes de 78 étudiants de 1ère année, 106 étudiants de 2ème année et 47 étudiants de 3ème année (cf. annexe 2 p. 119). L’enquête se déroule de Janvier à Avril 2012. Le guide comprend 13 questions regroupées par thème permettant de rechercher les formes du contrat, les conditions favorables à l’apprentissage par contrat et les effets du contrat.
18 Un questionnaire intitulé « Bénéfices perçus du contrat d’apprentissage » (cf. annexe 3 p. 119), qui a été développé par Cheng ,1997, [41], repris par Chan et Wai-Tong, 2000, [19] [1], et qui s’inspire du contrat de Knowles, 1986, [9] a été utilisé pour obtenir les points de vue des étudiants sur le contrat, vérifier qu’il existe, et que les conditions d’apprentissage le favorisent. L’autorisation d’appliquer ce questionnaire à notre étude, a été donnée par les chercheuses chinoises. Il a été quelque peu aménagé. Il consiste en 25 questions divisées en 3 catégories, qui permettent de mesurer les effets du contrat sur l’autonomie et l’autoformation, sur la professionnalisation et de mesurer les conditions d’apprentissage favorables, que nous avons croisé avec les contenus d’entretiens.
19 La réponse à chaque question repose sur l’échelle de Lickert qui va de 1 à 5 (Tout à fait d’accord = 1 ; d’accord = 2 ; neutre = 3 ; pas d’accord = 4 ; pas du tout d’accord = 5). Les statistiques descriptives ont été calculées. Une moyenne de 3 ou moins est considérée indiquer une perception positive. Une moyenne au-dessus de 3 est considérée indiquer une perception négative. Lors de l’analyse, les scores observés ont été décrits dans chacun des groupes (moyennes des scores, écart type) puis comparés par un test de Student bilatéral.
20 Si l’on s’appuie sur la règle préconisée et utilisée dans les études précédentes, une moyenne de 3 ou moins, indique une perception positive et une moyenne de 3 ou plus indique une perception négative. De fait, tous les étudiants attestent d’effets bénéfiques sur l’ensemble des éléments recherchés, exceptés sur les ressources de stages considérées comme insuffisantes. Estimant ces résultats insuffisamment discriminants, nous avons choisi de ne relever que les éléments qui nous semblaient significatifs et pertinents à croiser avec nos résultats qualitatifs.
21 Nous signalons que lors de la passation du questionnaire, le terme « contrat d’apprentissage », a interpellé les étudiants puisque c’est un terme peu employé. Il a été clarifié dans sa plus simple définition, comme : « la possibilité de se mettre d’accord sur ses objectifs d’apprentissage ».
Plan d’analyse
22 L’analyse descriptive a consisté en une analyse verticale pour chaque entretien pour une prise de connaissance du corpus, puis une analyse transversale pour classer les éléments de même nature qui se livrent comme des catégories conceptuelles. Nous cherchons à élucider les catégories différentielles et à comprendre les conditions de ces différences. Il s’agit de déconstruire les indices préalablement construits pour notre guide d’entretien, à propos du contrat, du pilotage du projet, des conditions de contractualisation et de la relation avec l’autoformation, la professionnalisation. En effet, dans une première étape, il s’agit de comprendre ce qu’est le contrat et de quoi il est fait, ses constituants, les formes qu’il peut prendre. Cet indice a été déconstruit par les indices extraits des propos des enquêtés. Ils ont été agrégés pour créer un ensemble d’indices communs entre tous les enquêtés. Il s’agit alors de cerner les variables explicatives du contrat. Nous supposons à cette étape qu’il existe des conditions qui influent sur le contrat, des éléments qui le font varier et qui le mettent en jeu.
23 De la même façon, nous cherchons à identifier s’il existe une configuration dans le pilotage du projet de l’étudiant, des modalités particulières qui conditionnent le partage de cette fonction et l’instauration d’un pilotage triangulaire ou copilotage. Par ailleurs, le contrat précède l’autodéveloppement de compétences et la professionnalisation. Nous présumons ses effets sur la compétence d’apprendre à apprendre (ou d’autoformation) et sur d’autres compétences dites transversales.
24 Pour l’analyse comparative, nous nous appuyons sur la théorie ancrée (Glaser et Strauss, 1995) [42], qui préconise la comparaison pour produire des éléments plus probants. Les données comparatives servent à tester les hypothèses et à conclure ou pas, à la démonstration de régularités vérifiées sous l’effet de conditions différentes. La réplication des faits observés dans les trois structures peut alors, être considérée comme un moyen de valider nos hypothèses.
25 Les caractéristiques mises en évidence ont été croisées avec les résultats de l’étude quantitative.
26 L’analyse statistique s’appuie sur le test de Student pour mesurer les différences de scores et la comparaison des moyennes entre les groupes de 1ère et 2ème année, 2ème et 3ème, 1ère et 3ème année. Un seuil de significativité de p < 0,05 est toléré.
Résultats qualitatifs
27 L’analyse de contenu qualitative, à partir de l’analyse des verbatims a fait ressortir des invariants sur les formes du contrat et les effets de professionnalisation.
Formes du contrat
28 Les temps de rencontres entre les acteurs impliqués dans le copilotage et ayant initié au préalable des relations triangulaires, sont des opportunités pour contractualiser, bien qu’ils ne fassent pas systématiquement l’objet d’entretiens de formalisation.
29 « On a des rencontres tous les jours avec les infirmières, à la fin de la journée on fait le point. » ESI 1ère Année service C. « les tutrices nous accordent du temps pour répondre à nos questions, on trace nos acquis et nos objectifs sur un cahier de liaison accessible à toutes les infirmières. » ESI 2ème année service A.
30 Les résultats de notre étude laissent entrevoir que l’apprentissage par contrat passe par une « pédagogie de la rencontre » et une « pédagogie du dialogue » (Denoyel, 2003) [43], car ce sont tous ces temps formels de bilans, ou de réflexion sur l’expérience et la pratique professionnelle, qui servent de support à la contractualisation du projet individualisé d’apprentissage et de professionnalisation de l’étudiant.
31 L’ESI est marqué par l’accueil, qu’il soit individuel ou collectif. « L’accueil avec les tuteurs, c’est un temps d’écoute par rapport à notre projet, nos attentes, notre parcours avec le portfolio, sur les stages précédents. » ESI 3ème année service A. Toutes les rencontres avec des IDE sont des opportunités de contractualisation. La meilleure stratégie se situe au bout d’une semaine de stage. La contractualisation est de plus indissociable d’un climat de confiance, d’un espace de parole, de la libre expression, de l’implication des personnes qui encadrent et la consultation d’un outil de contractualisation. « On a eu un accueil avec les maîtres de stage, les tuteurs, l’accueil c’est le plus important. Tout part de là, de l’accueil, si on nous a mis à l’aise, si on s’est senti accueilli. Il y a un lien qui se crée dès l’accueil. » ESI 1. 2ème année service B.
32 Des relations triangulaires sont les prémices d’une contractualisation, parce que les personnes ont travaillé sur une philosophie de partenariat centrée soit sur les analyses de pratiques, l’auto-évaluation, les évaluations formatives, la démarche clinique. Les temps de rencontres ont des buts communs : l’écoute des objectifs, l’évaluation ou l’autoévaluation, le suivi du parcours et des compétences, l’aide et les conseils, les échanges professionnels. Ces temps reflètent une individualisation de la formation. « Il y a des échanges professionnels informels et toujours une occasion pour que je reparle de mes objectifs, que je fasse le point sur mon parcours. » ESI 2. 2ème année service B.
33 Le pilotage du projet individualisé d’apprentissage de l’étudiant est partagé dans un copilotage de trois acteurs (tuteurs, formateurs et étudiants) qui laisse suffisamment de place à l’apprenant, considéré comme un adulte futur professionnel, avec qui on peut avoir des relations de professionnel à professionnel. Seule la relation d’égalité est révélatrice d’une alliance et ce n’est pas donné à tout le monde. « Je sens qu’on accorde une place à mon projet d’apprentissage, car les IDE vont essayer de trouver toutes les situations pour me faire avancer et aller plus loin […] Je fais partie intégrante de l’équipe, on me laisse faire et la confiance est réciproque. Je me sens libre de parler, de faire des choix et dans mes prises de responsabilités. Ça me conforte dans ma volonté de me professionnaliser. » ESI 3ème année service C.
34 La contractualisation qui consiste à se mettre d’accord sur les objectifs est effective car le simple fait de se mettre d’accord sur ses objectifs suffit à se percevoir dans le contrat. Celui-ci a des vertus psycho-socio-pédagogiques ; l’ESI est mis à l’aise, car on est centré sur l’individu. De fait, il gagne en estime de soi, en confiance dans ses compétences. De plus il doit négocier, échanger et communiquer sur son projet. « Le projet part de l’étudiant de ses motivations, c’est lui qui déclenche le processus, qui est le fil conducteur, mais on l’aide à aller jusqu’au bout des objectifs qui se construisent ensemble. » Tutrice service B.
35 Sa typologie est tournée vers la progression et la professionnalisation ou sur la réussite. Des principes fondamentaux sont à respecter pour se situer dans la relation de contractualisation, tels que la mise en commun des attentes respectives de chacun, l’entente, l’engagement mutuel, l’accompagnement.
36 Le contrat d’apprentissage est suffisamment ouvert, négocié grâce au dialogue car il tolère les différences. Il est formalisé à l’écrit ou à l’oral. Il permet d’associer les attentes de chacun. La coopération est un élément qui facilite sa co-construction, co-régulation, et sa renégociation car il est évolutif et progressif. Cependant, des attentes de niveaux de 1ère, 2ème et 3ème année, sont des objectifs incontournables et imposés. « Il y a des objectifs liés à la discipline de stage, des attentes particulières au service, c’est lié aux contraintes du service, mais je constate une attention à mes besoins individuels. » ESI 2. 2ème année service B.
37 Apprendre par le contrat est conditionné par la confrontation aux situations apprenantes et la confrontation aux professionnels. Toutefois, il est nécessaire de se mettre d’accord sur les finalités et méthodes employées et les ressources proposées et de respecter les éléments constitutifs du contrat qui privilégient le temps pour apprendre ou pour faire des recherches personnelles, la disponibilité des formateurs et tuteurs, les temps de rencontres, l’accès aux ressources, l’aide du conseil. « L’étudiant est en position de demander et d’apprendre, ici on fait en sorte qu’il se sente bien dans la structure pour apprendre et on lui laisse du temps pour faire ses recherches, faire des démarches de soins. Il va en bibliothèque. Il apprend à son rythme ». Cadre service C.
38 Les clés du contrat reposent sur la liberté de choix, l’autonomie et l’initiative laissée et prise par l’étudiant et le fait de prendre sa place pour l’étudiant, d’être autonome et d’exprimer ses demandes.
39 Apprendre par soi-même peut s’apprendre, en revanche, cet accompagnement est chronophage, car il requiert plus de supervision, de temps de bilans. Accompagner le projet de l’étudiant ne nécessite pas d’avoir un projet commun, car on peut apprendre dans la différence. « Il suffit d’apporter un peu de souplesse, car l’étudiant peut prendre un autre chemin pour y arriver. » Tutrice service A. En outre des variabilités sont observées dans la prise en compte du projet d’apprentissage : le projet est soit mis en attente, quand la priorité est accordée aux attentes du service, soit pris en compte si l’étudiant défend son projet, soit mis en valeur. Le projet est assignable à l’expérience et à l’âge, mais cela est invalidé par l’analyse quantitative.
40 Le contrat peut avoir des fondements différents : contrat de confiance, d’auto-évaluation, d’évaluation ou basé sur la progression. Par ailleurs, les conditions varient dans l’aide méthodologique proposée, centrée soit sur les analyses des pratiques, les évaluations formatives, le suivi des compétences, la démarche clinique et la réflexion sur les pratiques.
Conditions favorables à l’apprentissage par contrat
41 Si l’étudiant est placé dans des conditions favorables à l’apprentissage et à l’autoformation, il est stimulé pour se professionnaliser.
42
Le bon fonctionnement du contrat d’apprentissage est effectivement soumis :
- À une mise en commun et une cohérence des attentes entre IFSI/Stage et étudiants ;
- Des échanges sur le parcours de professionnalisation ;
- Au temps accordé, la disponibilité pour l’aide et le conseil, la confiance du tuteur. Il n’existe pas de profil particulier de tuteurs, mais des qualités attribuées comme être à l’écoute, chaleureux, motivés, compétents, qui assurent un encadrement de qualité, qui laissent le libre choix et la participation active des étudiants ;
- À des dispositions personnelles d’autonomie, d’autoévaluation, de responsabilité, la motivation, la prise d’initiative et le questionnement.
Effets du contrat
43 Les effets perçus du contrat d’apprentissage, sont prioritairement des compétences professionnelles cliniques pour les 1ère et 2ème année et des compétences d’autonomie, d’autoformation chez les 3ème année. Elles relèvent de compétences liées à la personnalisation du soin, liées à des contextes singuliers, et de savoir-faire liés à la qualité des soins, ainsi que de compétences relationnelles spécifiques. L’appréciation rend compte du caractère individuel des compétences, que l’étudiant a pu développer grâce à son contrat personnel d’apprentissage. Il importe pour l’étudiant d’être reconnu compétent. Enfin des compétences transversales communes perçues sont liées à l’apprentissage permanent par soi-même, la responsabilité, l’initiative, l’auto-évaluation, l’autonomie, le travail en équipe, la connaissance de soi, la gestion des émotions, la confiance dans ses compétences, la confiance en soi, le positionnement, l’aisance, la gestion de situations difficiles, l’organisation, la réflexivité.
Résultats quantitatifs
44 L’analyse quantitative corrobore les résultats de l’analyse qualitative.
Formes et conditions du contrat
45 Les résultats significatifs confirment que les étudiants peuvent mettre en œuvre ce qu’ils ont prévu dans le contrat [Q1 (moyenne 1ère année : 2,46 ; moyenne 2ème année : 2,40 ; moyenne 3ème année : 2,65)] (Annexe 3, 4, 5, p. 119-120-121). De plus, le tuteur est considéré comme un support d’aide [Q3 (moyenne 1ère année : 2,41 ; moyenne 2ème année : 2,26 ; moyenne 3ème année : 2,49)].
Effets du contrat
46 Que ce soit chez les 1ère, 2ème ou 3ème année, apprendre par le contrat développe la capacité de rechercher par soi-même [Q20 (moyenne 1ère année : 2,20 ; moyenne 2ème année : 2,40 ; moyenne 3ème année : 2,38)]. Par ailleurs, le contrat améliore les compétences [Q9 (moyenne 1ère année : 2,31 ; moyenne 2ème année : 2,42 ; moyenne 3ème année : 2,51)]. En outre, le contrat ne rend pas plus autodirigé (Q12), n’aide pas l’ESI à faire des choix (Q18) et à exercer le contrôle sur son projet (Q19).
Variabilités
47
Des différences s’observent en fonction du niveau d’apprentissage.
- Le contrat a plus d’effet chez les débutants. L’analyse comparative statistique montre qu’il existe des différences entre les niveaux d’études. Les effets du contrat sont plus importants chez les débutants et s’atténuent avec le temps, ce qui laisse supposer qu’apprendre par le contrat dès la 1ère année optimise les effets sur l’autonomie, l’autoformation et la professionnalisation (Annexe 6 p. 121). Ceci vient compléter les études précédentes, qui supposaient que le contrat n’était applicable qu’aux fins de formation. De fait, les études n’ont été réalisées qu’auprès des ESI de 3ème année. Ceci vient également contredire les présupposés que seuls les « fins de formation » peuvent avoir un projet de professionnalisation, puisqu’au contraire, les étudiants de 1ère et 2ème année mettent toute leur énergie à montrer qu’ils sont des professionnels. S’appuyant sur le concept de Knowles, 1973, [44], qui s’applique aux adultes en formation, si l’on considère un étudiant (dès l’entrée en formation) comme un adulte et professionnel, il va avoir envie de progresser et d’apprendre à se professionnaliser.
- Le contrat motive plus l’étudiant de 1ère année (Q15). Les résultats montrent que plus on avance dans la formation, moins on a besoin d’apprendre par le contrat, puisqu’on a appris à devenir autonome et à s’autoformer.
- L’étudiant de 1ère année, acquiert plus de confiance dans ses capacités, ce qui n’est pas le cas des 2ème et 3ème année [Q 10 p< 0,005 et p< 0,009], (Annexe 7 ; 8, p. 122-123). On peut alors se demander, si ce mode d’apprentissage les insécurise ou s’ils ont acquis suffisamment de confiance dans leurs compétences en fin de formation. Nous nous appuyons sur les études concernant le « contract learning » qui montrent effectivement, que ce mode d’apprentissage est générateur d’anxiété chez les étudiants plus habitués à un enseignement plus traditionnel (Richardson, 1987) [14]. Nous savons de plus qu’un étudiant n’apprend pas dans l’insécurité. Nous rejoignons de ce point de vue, l’analyse qualitative qui met en avant le climat de confiance et de sécurité, comme conditions fondamentales à l’autoformation.
- Les étudiants de 1ère et 2ème année, communiquent plus sur leur projet, que les 3èmes années. On observe une grande différence entre les 1ère, 2ème et 3ème années [Q 25, p<0,004], (Annexe 8 ; 9, p. 123-124). Ces résultats signifient que les étudiants apprennent progressivement en commençant dès la 1ère année, à défendre et à soutenir leur projet d’apprentissage.
- L’accès aux ressources est déclaré plus aisé, chez les 1ère et 2ème années. Une différence significative se retrouve entre les 1ère, 2ème et 3ème années dans l’accès aux ressources appropriées [Q2, p< 0,0005 et p< 0,002], (Annexe 8 ; 9, p. 123-124) puisque les ressources même si elles sont insuffisantes en stage, sont malgré tout considérées comme accessibles pour les 1ère et 2ème année. Nous pouvons alors émettre une supposition, car le terrain est peut-être plus soucieux d’orienter l’ESI de 1ère et 2ème année vers les ressources, que l’ESI de 3ème année, considéré comme autonome.
- Les étudiants de 1ère et 2ème année s’auto-évaluent plus facilement dans la progression de leur apprentissage que les étudiants de 3ème années. [Q 14 p< 0,02 et p< 0,012], (Annexe 8 ; 9, p. 123-124). Il est possible que cette capacité attendue du nouveau référentiel, ne soit pas acquise dans ce groupe de 3ème année, première promotion à sortir diplômée du nouveau référentiel. En effet, les étudiants ont dû apprendre au fil du temps, à s’auto-évaluer et les stages à laisser plus de place à l’auto-évaluation, ce qui semble admis pour les nouveaux 1ère et 2ème année en cours.
Discussion
48 Outre la nature du climat socio-relationnel de Quintin, 2008, [45] ou psycho-affectif de Withall, 1949, [46]. C’est également un climat apprenant, qui va être déclencheur de la contractualisation.
49 D’autre part, si l’étudiant utilise des stratégies pour se faire entendre et exprimer son besoin au bout d’une semaine, ce qui est préconisé par Gibbon, 1989, [15], on peut les assimiler aux ruses dialogiques de Denoyel, 2002, [47]. Mais il ne suffit pas d’exprimer ses besoins d’apprentissage, encore faut-il être écouté comme le préconise Knowles, 1986, [9].
50 Toutefois, s’il est souhaité que les objectifs correspondent aux attentes du service, comme le préconise Gibbon, 1989, [15], le contrat négocié de Burguière, 1987, [5] permet d’éviter que l’étudiant ne tombe dans un cadre prescriptif ou dirigiste (Hewitt-Taylor, 2002) [48], et que l’étudiant veuille plaire au service et « fasse le boulot » [2] (Gibbon, 1989) [15], au lieu de se concentrer sur ses objectifs d’apprentissage.
51 Nous pouvons relever par ailleurs que le fait de laisser une place à l’apprenant, de l’inclure dans un copilotage, constitue un co-accompagnement comme le préconise Lecat, 2005, [49]. Toutefois ce copilotage n’envisage pas de relation de parité, ni d’égalité. Cela corrobore les limites au contrat évoquées par Burguière, 1987, [5] au sujet de la dissymétrie. Cependant notre étude montre que le contrat est possible sans être dans une relation d’égalité.
52 Toutefois, on constate une recherche de réciprocité éducative (Labelle, 1996) [50], basée sur une logique des contraires et des différences. A ce sujet, notre étude invalide l’hypothèse d’adhésion à un projet commun d’apprentissage entre étudiants, tuteurs et formateurs. Apprendre par le contrat tolère les différences. De plus, l’on constate que l’étudiant s’adapte aux modalités, aux outils, aux projets respectifs des structures même si les objectifs sont planifiés. En fait, si Knowles, 1980, [8] préconise que le contrat soit paraphé, et si Witthaker, 1984, [17] préconise un accord formel, l’idée est de conserver le dispositif souple de Clénet, 2005, [1], un dispositif flexible préconisé par Keyser [18] et Jézégou, 2006, [32]. En contrepartie, la consultation d’un outil de contractualisation est nécessaire et ces contrats doivent être suivis et évalués régulièrement. De notre point de vue, l’approche par contrat bouscule les méthodes d’apprentissage traditionnelles centrées sur la performance. Par conséquent, cela soulève le problème de la capacité des formateurs et tuteurs à adhérer à la théorie andragogique et à la conception de l’autodirection des apprentissages (Knowles, 1973) [44]. En effet si l’étudiant n’est pas encore complètement autodirigé, rencontre-t-il des formateurs et tuteurs suffisamment autodirigés, qui adhèrent à la formation tout au long de la vie (Mazhindu, 1990) [51] ? Il en résulte également qu’apprendre par le contrat pour permettre le développement professionnel suppose : un partenariat avec la mise en commun des attentes et accords mutuels (Zay, 1997) [52] et une organisation apprenante (Batal, 2011) [53], qui laisse du temps, donne l’accès aux ressources suffisantes (lieu dédié, temps pour apprendre…) de la disponibilité, des tuteurs formés.
53 Enfin les effets de professionnalisation vont au-delà de la professionnalisation, puisque l’ESI fait preuve de professionnalité, quand il démontre aux soignants des valeurs éthiques ou d’un professionnalisme quand il démontre une attitude de bon professionnel (Le Boterf, 2010) [54]. En accompagnant l’étudiant dans son projet et par l’intermédiaire d’un contrat, l’étudiant peut dépasser des apprentissages uniquement utilitaires et aller au-delà du prescrit (Le Boterf, 2010) [54]. En ce qui concerne la confiance dans ses capacités, elle est moindre chez les 2ème et les 3ème année et est à mettre en relation avec l’autonomie. L’autonomie s’apprend sur la base de la confiance en soi, d’une estime de soi suffisante, d’un sentiment d’efficacité personnelle (Bandura, 2002) [23]. Donc nous soutenons l’idée que c’est sur le climat de confiance, et l’accompagnement tout au long de la formation que l’on va pouvoir développer un sentiment de compétence et améliorer l’autonomie.
Conclusion
54 En continuité avec les travaux précédents concernant la pratique clinique chez les étudiants infirmiers, le contrat étudié dans notre contexte a montré une efficacité sur la capacité à rechercher par soi-même, le développement de compétences cliniques spécifiques et le développement professionnel permanent. Nous pouvons dire qu’il a des effets sur l’autonomie et l’autoformation. En outre, cette étude est un appui utile pour des perspectives théoriques car elle met en relief qu’il est plus efficace avec les débutants, s’il est démarré tôt dans la formation et apporte sa contribution à la compréhension des conditions d’autoformation et de contractualisation. Les résultats significatifs révélés nous encouragent à envisager une étude longitudinale sur un groupe d’étudiants pendant 3 ans pour étudier la stabilité de l’efficacité de l’apprentissage par contrat plus importante chez les débutants et de la perte de confiance dans ses compétences durant la formation.
55 La question du contrat dans les pratiques de formation des étudiants infirmiers a été saisie et traitée dans notre étude à partir de la conception de l’autoformation et de la professionnalisation. Elle pourrait alors être approfondie en regard de l’autodétermination. En effet, si l’étudiant de 3ème année a moins bien appris à prendre des responsabilités, à prendre des initiatives, à faire des choix, à exercer le contrôle sur son projet, nous supposons que cela a pu influencer son sentiment de compétence.
56 C’est pourquoi nous pourrions explorer si l’autodétermination par l’amélioration de la prise de responsabilité, du libre choix, du contrôle sur son projet, et de la prise d’initiative, apprise dès le début de la formation et maintenue tout au long de la formation, peut contribuer à maintenir le sentiment de compétence de l’étudiant en soins infirmiers. De fait, Piguet, 2008, [55] montre que l’autonomie professionnelle s’acquiert par sa capacité à s’autodéterminer, faire des choix, prendre des initiatives et qu’il y a un lien entre l’autonomie professionnelle et l’agentivité.
57 Pour autant des améliorations pratiques peuvent être envisagées. Apprendre par le contrat suggère : le développement de compétences en andragogie pour les tuteurs et formateurs ; des organisations apprenantes qui mettent à disposition des ressources matérielles et humaines suffisantes, pour libérer du temps pour apprendre, laisser la liberté de choix, un espace temps pour apprendre, de l’aide au développement du projet de professionnalisation par l’écoute et le dialogue pour faire émerger le soi idéal du métier ; une aide à la formulation du contrat et du projet d’apprendre dans le langage de l’étudiant ; un accompagnement tout au long de la formation et un compagnonnage pour accompagner les futurs professionnels pour maintenir la confiance en soi et dans ses compétences ; des principes fondamentaux communs à formaliser dans les projets d’encadrement ou dans les chartes d’encadrement ; la typologie particulière des services à clarifier, comme les méthodes employées, les ressources proposées, le principe pédagogique et valeurs professionnelles attendues énoncées à l’étudiant ; des rencontres entre les professionnels, les étudiants et les formateurs pour renforcer l’accompagnement en stage. Ces temps de rencontres suggèrent un rapprochement de la pédagogie du contrat avec la pédagogie de la rencontre (Denoyel, 2003) [43], (Denoyel, 2005) [56] des acteurs, des activités, des temps et des espaces qui met en dialogue des logiques différentes mais qui est source de questionnement et donc formative, qui vient renforcer l’efficacité du contrat et qui facilite l’esprit de recherche et l’apprentissage de la recherche par soi-même.
58 Reconnu par notre étude comme un dispositif autonomisant, professionnalisant et développant l’esprit de recherche, nous considérons qu’il est un moyen utile pour répondre aux attentes du nouveau référentiel infirmier.
59 Il est dès lors possible de penser qu’une telle approche pédagogique ayant fait la preuve de retombées positives rencontre, au-delà des étudiants infirmiers, un écho favorable auprès des formateurs et tuteurs pour faciliter son développement et son opérationnalité.
Annexe 1 - Recensement des structures et caractéristiques de l’échantillon pour l’enquête qualitative
Annexe 1 - Recensement des structures et caractéristiques de l’échantillon pour l’enquête qualitative
Annexe 2 - Caractéristiques des groupes d’ESI pour l’enquête quantitative
Annexe 2 - Caractéristiques des groupes d’ESI pour l’enquête quantitative
Annexe 7 - Comparaison entre les groupes d’ESI
Annexe 7 - Comparaison entre les groupes d’ESI
Annexe 8 - Comparaison entre les groupes d’ESI
Annexe 8 - Comparaison entre les groupes d’ESI
Annexe 9 - Comparaison entre les groupes d’ESI
Annexe 9 - Comparaison entre les groupes d’ESI
Références bibliographiques
-
1CLENET J, ROQUET P. Conceptions et qualités de l’alternance. Education permanente, 2005 ; 163 : 43-57.
-
2VOURZAY M-H. L’école-Travail de Freinet : métaphore d’une cité médiévale. Mots, 1999 ; 61 : 137-148.
-
3DEWEY J. School and society. Dehli: Aakar Books ; 2008.
-
4HAMELINE D. Note de synthèse. L’entrée dans la pédagogie par objectif. Revue française de pédagogie, 1979 ; 46 : 79-90.
-
5BURGUIERE E, CHAMBON A, CHAUVEAU G. Contrats et éducation : la pédagogie du contrat, le contrat en éducation. Paris : L’Harmattan ; 1987.
-
6ASTOLFI J-P, DAROT, E, GINSBURGER-VOGEL. Y TOUSSAINT. J. « Contrat didactique, coutume didactique ». Mots-clés de la didactique des sciences. Repères, définitions, bibliographies. Bruxelles : De Boeck ; 1997 : 61-65.
-
7PREZESMYCKI H. La pédagogie du contrat. Paris : Hachette ; 1994.
-
8KNOWLES M. The magic of contract learning. Training and development journal, June 1980 ; 76-78.
-
9KNOWLES M. Using learning contracts. San Francisco : Jossey-Bass ; 1986.
-
10CARRE P. L’autoformation dans la formation professionnelle. Paris : La Documentation française ; 1992.
-
11CARRE P. L’autoformation accompagnée en APP ou les sept piliers revisités. In CARRE P, TETART M (éds.). Les ateliers de pédagogie personnalisés ou l’autoformation accompagnée en actes. Paris : L’Harmattan, 2003 ; 125-146.
-
12KNOWLES M. Self directed learning. A guide for learners and teachers. Chicago : Follet Publishing Company ; 1975.
-
13HENFIELD V.-J, WALDRON R. The use of competency statements to facilitate individualized learning. Nurse education today, 1988 ; 8 : 205-211.
-
14RICHARDSON S. Implementing contract learning in a senior nursing practicum. Journal of advanced nursing, 1987 ; 12 : 201-206.
-
15GIBBON C. Contract learning in a clinical context : report of a case study. Nurse education today, 1989 ; 9 : 264-270.
-
16BOUCHARD J, STEELS M. Contract learning : the experience of two nursing schools. The Canadian Nurse, 1980 ; 76 : 44-48.
-
17WHITTAKER A.-F. Use of contract learning. Nurse education today, 1984 ; 4 : 36-40.
-
18KEYSER D. Using learning contracts to support change in nursing organizations. Nurse education today, 1986 ; 6 : 103-108.
-
19CHAN S.W.-C. WAI-TONG C. Implementing contract learning in a clinical context : report on a study. Journal of advanced nursing, 2000 ; 31 : 298-305.
-
20BARRINGTON K, STREET K. Learner contracts in nurse education: interaction within the practice context. Nurse education in practice, 2009 ; 9 : 109-118.
-
21JARVIS P. Contract learning. Journal of district nursing 1986 ; November 1986.
-
22CARRE P, MOISAN A, POISSON D. L’autoformation. Perspectives de recherche. Paris : PUF ; 2010.
-
23BANDURA A. Auto-efficacité - Le sentiment d’efficacité personnelle. Bruxelles : De Boeck. Traduction de J. Lecomte ; 2002.
-
24TREMBLAY N.-A, ENEAU J. Sujet(s), société(s) : regards croisés du Québec et de France. Education permanente, 2006 ; 168 : 75-88.
-
25COURTOIS B, PINEAU G. La formation expérientielle des adultes. Paris : La Documentation française ; 1991.
-
26DUMAZEDIER J. Penser l’autoformation : société d’aujourd’hui et pratiques d’autoformation. Lyon : Chronique sociale ; 2002.
-
27CARRE P, MOISAN A. La formation autodirigée. Paris : L’Harmattan ; 2002.
-
28PINEAU G. Produire sa vie, autoformation et autobiographie. Montréal : Edilig ; 1983.
-
29COURTOIS B. L’expérience formatrice : entre auto et écoformation. Education permanente, 1995 ; 122 : 31-47.
-
30CARRE P. L’apprenance vers un nouveau rapport au savoir. Paris : Dunod ; 2005.
-
31ALBERO B. L’autoformation en contexte institutionnel : du paradigme de l’instruction au paradigme de l’autonomie. Paris : L’Harmattan ; 2000.
-
32JEZEGOU A. La recherche de flexibilité en formation : conceptions et usages de l’autoformation. Education permanente, 2006 ; 168 : 113-122.
-
33OUDET S. Alternances et professionnalisation. Les dossiers des sciences de l’éducation, 2010 ; 24 : 83-95.
-
34FERNAGU-OUDET S. Organisation du travail et développement des compétences : construire la professionnalisation. Paris : L’Harmattan ; 2007.
-
35LE BOTERF G. L’ingénierie des compétences. Paris : Editions d’Organisation ; 1999.
-
36WITTORSKI R. Professionnalisation et développement professionnel. Paris : L’Harmattan ; 2011.
-
37SOREL M. À propos de la professionnalisation : le retour du sujet… Savoirs, 2008 ; 17 : 37-50.
-
38LE BOTERF G. Apprendre à agir et à interagir en professionnel compétent et responsable. Education permanente, 2011 ; 188 : 97-111.
-
39SCALLON G. L’évaluation des apprentissages dans une approche par compétences. Saint Laurent : Editions du renouveau pédagogique ; 2004.
-
40TARDIF J. L’évaluation des compétences. Documenter le parcours de développement. Montréal : Chenelière Éducation ; 2006.
-
41CHENG B.S. Research Report on the Application of learning Contract in clinical Teaching. The University of Hong Kong ; 1997.
-
42GLASER B. G, Strauss A. L. La production de la théorie à partir des données. Enquête, les terrains de l’enquête, 1995 ; 1 : 183-195.
-
43DENOYEL N. L’alternance, une pédagogie de la rencontre. Paris : UMFREO ; 2003.
-
44KNOWLES M. L’apprenant adulte. Paris : Editions d’Organisation ; 1973.
-
45QUINTIN J.-J. Reliance, liance, et alliance : opérationnalité des concepts dans l’analyse du climat socio relationnel des groupes restreints d’apprentissage en ligne. Apprentissage des langues et systèmes d’information et de communication, 2008 ; 13 : 1-105.
-
46WITHALL J. The development of a technique for the measurement of social emotional climate in classrooms. The journal of experimental education, 1949 ; 17 : 347-346.
-
47DENOYEL N. La situation interlocutive de l’accompagnement et ses ruses dialogiques. Education permanente, 2002 ; 153 : 231-240.
-
48HEWITT-TAYLOR J. Self directed learning : views of teachers and students. Journal of advanced nursing, 2002 ; 36 : 496-504.
-
49LECAT B. Vers le co-accompagnement d’apprentis-ingénieurs. Présentation des résultats d’une recherche. Education permanente, 2005 ; 163 : 29-41.
-
50LABELLE JM. La réciprocité éducative. Paris : PUF ; 1996.
-
51MAZHINDU GN. Contract Learning reconsidere d: a critical examination of implications for application in nurse education. Journal of advanced nursing, 1990 ; 15 : 101-109.
-
52ZAY D. Le partenariat en éducation et formation. Education permanente, 1997 ; 131 : 13-28.
-
53BATAL C, CHARBONNIER O. Management, organisation et formation. In Carré P. Caspar P (éds.). Traité des sciences et des techniques de la formation. Paris : Dunod, 2011 ; 103-123.
-
54LE BOTERF G. Professionnaliser. Construire des parcours personnalisés de professionnalisation. Paris : Editions d’Organisation ; 2010.
-
55PIGUET C. Autonomie dans les pratiques infirmières hospitalières : Contribution à une théorie agentique, de développement professionnel. Thèse de doctorat de 3e cycle. Université Paris X – Nanterre ; 2008.
-
56DENOYEL N. L’alternance structurée comme un dialogue. Pour une alternance dialogique. Education permanente, 2005 ; 163 : 81-86.
Mots-clés éditeurs : compétence, alternance, professionnalisation, autoformation, contrat
Date de mise en ligne : 10/01/2014
https://doi.org/10.3917/rsi.112.0107