Notes
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[1]
La définition des pratiques infirmières avancées la plus récente est anglaise : « A Nurse Practitioner/Advanced Practice Nurse is a registered nurse who has acquired the expert knowledge base, complex decision-making skills and clinical competencies for expanded practice, the characteristics of which are shaped by the context and/or country in which s/he is credentialed to practice. A Master’s degree is recommended for entry level (ICN, 2008) » (Delamaire, Lafortune, 2010, 8) [4].
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[2]
Article 51 ‘Coopération entre professionnels de santé’ de la Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.
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[3]
Des activités récemment reconnues possibles pour les infirmier-e-s sont par exemple le renouvellement de prescription de contraceptifs (Loi du 21 juillet 2009, Article 88, J.O. n°0167 du 22 juillet 2009) ou la prescription de matériel de pansement.
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[4]
Pour une facilité de lecture, le dépistage du Virus de l’immunodéficience humaine, Syndrome d’immunodéficience acquise (VIH/SIDA) sera réduit au dépistage du VIH.
-
[5]
Arrêté du 9 novembre 2010 fixant les conditions de réalisation des tests rapides d’orientation diagnostique de l’infection à virus de l’immunodéficience humaine (VIH 1 et 2), JORF n°0266 du 17 novembre 2010 page 20499, texte n°19.
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[6]
Les promoteurs de l’étude sont l’Agence nationale de recherche sur le SIDA et les hépatites virales (ANRS) et Sidaction. Cette étude est définie réglementairement comme une recherche en soins courants. Elle a été conduite en 2009 – 2010.
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[7]
Le test est pratiqué par prélèvement de sang capillaire au bout du doigt. Le dispositif de test permet de lire le résultat en 20 minutes.
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[8]
Un test qui n’est pas négatif (ou non-négatif) fait référence à un test rapide positif. Ce résultat doit cependant être vérifié par un test sérologique classique avant d’être affirmé. C’est la raison pour laquelle, dans la pratique, il n’est pas fait mention de test positif.
-
[9]
Précisons qu’en nombre de tests, ces cinq centres sont dans les huit premiers services sur les 29 de l’étude. Ils sont de niveaux 1 et 2 selon la grille d’évaluation du fonctionnement des centres (Cf. Tableau B, p. 52). Ils ont donc dans l’ensemble bien fonctionné avec 730 tests en moyenne par centre.
-
[10]
D’après la recommandation HAS, les formes de coopération entre professionnels de santé sont réparties entre : « une nouvelle répartition de tâches existantes, dans une logique de substitution (et) la répartition de nouvelles tâches, dans une logique de diversification des activités » (HAS, 2008, 8) [14].
-
[11]
« La diversification renvoie à une extension des services offerts par le système dans lequel les infirmières peuvent expérimenter de nouveaux rôles », (Bourgueil, Marek, Mousques, 2006, 9) [1].
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[12]
Le référentiel de compétences détaille dix compétences infirmières. La compétence 5 est ‘Initier et mettre en œuvre des soins éducatifs et préventifs’ (Arrêté du 28 mai 2009 relatif au diplôme d’Etat infirmier, annexe II) d’après Weber, 2009, 57, [15].
Introduction et cadre de réréfrence
1Dans de nombreux pays, l’extension de la couverture des besoins de santé, en nature de soins et de prévention, exige une réorganisation des missions des professions de santé. Des expériences de transfert entre territoires d’exercice, de médecins à infirmier-e-s par exemple, concernent les Etats-Unis ou le Royaume-Uni (Bourgueil, Marek, Mousques, 2006) [1] ; (Berland, 2003) [2]. L’émergence internationale d’infirmier-e-s de pratique avancée confirme cette réorganisation. L’infirmier-e praticien-ne y est par définition « une infirmière autorisée qui a une formation supplémentaire en évaluation de la santé, en pose de diagnostic et en gestion de maladies et blessures, ce qui comprend l’interprétation de tests ainsi que la prescription de tests et de médicaments. »
2(Rapport ICIS-AIIC, 2006, 6) [3] [1]. Un travail actuel sur les modes de coopération entre infirmier-e-s et médecins en France propose l’élargissement des responsabilités infirmières à des actes ou démarches initialement médicales [2] et amène à réfléchir sur l’organisation du métier infirmier et sa professionnalisation, comme le décrit Schweyer, 1992, [5].
3Cette réflexion est soutenue, « d’une part, par le souci de conserver une qualité de soins (…) et, d’autre part, par la volonté d’assurer une meilleure adéquation entre formation et exercice professionnel » (Berland, 2003, 6) [2]. L’évolution du cadre des coopérations entre ces professionnels de santé s’inscrit dans un contexte de transformation de la profession infirmière avec, notamment l’« universitarisation » de la formation et la possibilité récente de mener des protocoles hospitaliers de recherche infirmière. Ces réorganisations, en particulier de la formation, sont considérées comme « une étape incontournable, et souvent la première, dans la perspective du développement de l’activité autonome de l’infirmière » (Bourgueil, Marek, Mousques, 2006, 15) [1]. Les compétences, les responsabilités ou l’autonomie des équipes infirmières sont alors redéfinies dans des domaines aussi variés que les soins ou la prévention [3].
4Ainsi, dans le domaine du VIH/SIDA [4], des expériences internationales encouragent-elles la proposition et la réalisation de dépistage par test rapide par le personnel infirmier (Cohan, Sarnquist, Gomez et al., 2008) [6] ; (Dohrn, Nzama, Murrman, 2009) [7] ; (White, Scribner, Schulden et al., 2009) [8]. Une étude menée aux Etats-Unis par Anaya, Hoang, Golden et al., 2008, [9] comparant différents modes de dépistage souligne une augmentation des dépistages et rendus de résultats dans le cadre d’une proposition infirmière par test rapide. Un bénéfice fort de cette organisation du dépistage du VIH est relevé dans une étude réalisée en Afrique sub-saharienne par Evancs, Ndirangu, 2009, [10] et met en exergue la valorisation et la reconnaissance de la profession infirmière par ce processus. Le personnel infirmier est fortement stimulé par la capacité de faire cette activité et d’en voir les résultats. Cela se traduit à terme par une responsabilisation et un regain de motivation des équipes.
5En France, le dépistage du VIH était réalisé uniquement sur prescription après consultation médicale, jusqu’à la rédaction récente, en novembre 2010, d’un arrêté [5] qui donne aux infirmier-e-s exerçant dans un établissement de santé la possibilité de proposer et réaliser des tests rapides d’orientation diagnostique et d’en donner le résultat. Cet élargissement des acteurs du dépistage illustre un contexte évolutif de répartition du travail entre professionnels de santé.
6Récemment, une étude [6] visant à déterminer l’intérêt du dépistage systématique du VIH dans 29 services d’urgences d’Ile-de-France a été réalisée. Au cours de ce travail, la proposition d’un test rapide de dépistage (ou test rapide d’orientation diagnostique), la réalisation du test ainsi que le rendu d’un résultat négatif étaient effectués par l’équipe infirmière, après formation sur l’intérêt du dépistage précoce du VIH, la technique du test rapide [7] et l’interprétation des résultats. Le médecin n’intervenait qu’en cas de test nonnégatif [8] qui nécessitait alors une confirmation diagnostique à l’aide d’un dépistage sérologique classique. Le rendu de résultat ainsi que l’initiative de proposition du test représentaient donc deux éléments nouveaux de responsabilité infirmière.
7Les équipes infirmières des urgences, n’étant pas traditionnellement impliquées dans l’activité de dépistage du VIH, ont de fait assumé un rôle nouveau dans ce protocole de recherche de grande ampleur. Ce travail a révélé des niveaux d’implication et de participation variés au sein des équipes. L’acceptabilité de l’activité par les équipes soignantes est alors apparue intéressante à étudier, dans le but de préciser cette implication et la perception de l’activité par les soignants. A notre connaissance, il n’existe d’ailleurs aucun travail similaire en France, en dehors de l’exercice en centres de dépistage anonymes et gratuits, centres par définition spécialisés dans ce domaine.
Objectifs de l’étude
8L’étude de l’acceptabilité du dépistage du VIH par les soignants a été menée avec deux objectifs principaux :
- analyser les déterminants individuels de la participation des équipes soignantes des urgences, qu’ils soient infirmier-e-s, responsables infirmier-e-s ou médicaux, pour mieux comprendre la variabilité d’implication des soignants pour une activité nouvelle initiée par les infirmier-e-s.
Des déterminants, comme l’implication pluridisciplinaire ou un parcours professionnel en lien avec l’activité, peuvent ne pas être spécifiques de l’activité de dépistage du VIH mais refléter un degré de mobilisation individuelle pour une pratique infirmière novatrice ; - recueillir le positionnement des soignants vis-à-vis d’une autonomie infirmière, pour le dépistage du VIH et dans le cadre plus large de la prévention et de la santé publique, afin d’observer la perception de l’organisation actuelle du travail en milieu hospitalier.
9La situation définie par le protocole de dépistage du VIH aux urgences questionne en effet les soignants face aux limites d’exercice de la profession infirmière : les soignants sont-ils favorables à la mise en place à terme de ce dépistage et à l’autonomie de la profession infirmière dans ce cadre ? Le terme d’autonomie est analysé ici à partir d’une application pratique de l’activité de dépistage par les infirmier-e-s. Afin de développer le positionnement des soignants sur cette activité, différents sujets seront abordés, tels que le rôle infirmier ou la place de la prévention infirmière dans les services d’urgences.
Matériel et méthodes
10L’étude générale sur l’intérêt de santé publique d’un dépistage systématique du VIH aux urgences a été menée dans 29 services d’Ile de France sur une durée de six semaines par service. Dans chaque centre, un-e Attaché-e de recherche clinique (ARC) était responsable sur place du déroulement de l’étude.
11Dans 5 des 29 services d’urgences, 25 entretiens ont été conduits à l’issue de la période d’étude auprès de quinze infirmier-e-s, de cinq cadres infirmier-e-s et de cinq médecins-chefs de service par l’ARC responsable. Les entretiens ont été organisés en Ile de France dans les hôpitaux de Gonesse, La Croix Saint Simon, Antony, Saint Antoine et Saint Denis à partir de grilles d’entretien qui s’adressaient aux infirmier-e-s d’une part et aux cadres infirmier-e-s et médecins d’autre part. Les trois infirmiere-s consulté-e-s par centre ont été choisi-e-s pour être représentatif-ve-s des différents positionnements observés, de la pleine participation à l’opposition.
12Une grille de participation semi-quantitative des soignants a estimé en quatre niveaux (Cf. Tableau A, p. 52) l’implication pratique des personnes interrogées, à partir de l’intérêt observé pour la démarche, de la participation (tests proposés, réalisés et résultats rendus) ou du suivi effectif de la recherche. Cette évaluation a été réalisée par l’ARC présent-e sur place pendant l’étude.
Résultats
Déterminants de la participation individuelle à l’étude
13La participation à l’étude est variable dans les équipes soignantes des cinq sites considérés. Dans le groupe des 25 personnes interrogées, cinq infirmier-e-s et deux cadres ont un faible niveau de participation (niveaux 1 et 2) ; dix infirmier-e-s, trois cadres et cinq médecins ont un fort niveau de participation (niveaux 3 et 4). Les infirmier-e-s sont plus nombreux-ses (47 %) dans le niveau 4 [9] que dans les autres niveaux. Les « encadrants » paramédicaux sont partagés entre les niveaux 2, 3 et 4 tandis que les « encadrants » médicaux sont de niveaux 3 et 4 uniquement. Les médecins interrogés sont les responsables de service qui ont donné leur accord pour la réalisation de l’étude.
14Des facteurs favorisant la participation sont relevés au cours des entretiens conduits auprès des 25 soignants. Certains de ces facteurs sont confirmés par les tests statistiques.
15- La motivation personnelle exprimée est quasi-systématiquement corrélée au niveau de participation observée.
16Dix-neuf professionnels ont exprimé une motivation et une considération générale positive de l’étude, avec six personnes de niveau 3 et onze personnes de niveau 4. Dans ce groupe, seuls deux infirmier-e-s, de niveau 1 et de niveau 2, ont eu une implication moindre qui n’interdisait pas une vision positive de l’étude. A l’opposé, l’expression d’une absence de motivation est liée à une participation effective faible : six soignants ont qualifié de manière négative leur motivation et leur vision générale de l’étude ; ils sont trois de niveau 1, deux de niveau 2 et un de niveau 3.
17- Le parcours professionnel des soignants a un impact sur leur niveau de participation :
18• Expérience liée aux domaines d’étude
19Plus de la moitié des personnes interrogées (64 %) déclarent une appétence professionnelle pour les domaines de la prévention et de la santé publique ou pour le domaine du VIH. Sur les 18 professionnels de niveaux 3 et 4, quinze signalent un intérêt pour les domaines de la prévention-santé publique et douze pour le domaine du VIH. Quatre des professionnels de faible participation (niveaux 1 et 2) sur sept indiquent qu’ils n’ont pas d’intérêt pour la prévention et la santé publique et cinq sur sept n’ont pas d’intérêt pour la thématique du VIH.
20• Ancienneté
21Les infirmier-e-s de haut niveau de participation à l’étude ont une expérience professionnelle moins importante que le reste du groupe : huit années d’expérience en moyenne dont 4,5 aux urgences pour dix infirmier-e-s de niveaux 3 et 4, versus 10,5 années dont quatre aux urgences pour cinq infirmier-e-s de niveaux 1 et 2.
22• Profil généraliste versus technique
23Le profil généraliste (expérience dans une variété de services généraux) défini en regard d’un profil technique (expérience antérieure uniquement dans un service à forte orientation technique : réanimation, SMUR, urgences notamment) est un facteur qui influence la participation. Toutes catégories professionnelles confondues, 83 % des soignants (cinq sur six) avec un profil généraliste sont de niveaux 3 et 4, versus 68 % (13 sur 19) pour les soignants de profil technique. Autrement dit, six des sept professionnels de niveaux 1 et 2 ont un profil technique et un seul a un profil généraliste.
24- Le positionnement pluridisciplinaire, des médecins et des cadres infirmier-e-s notamment, a un impact sur la participation individuelle à l’étude.
25Une faible participation au protocole est corrélée à une faible implication des médecins et des cadres. Ainsi, tous les professionnels de niveaux 1 et 2 relèvent une absence d’implication des médecins et cadres paramédicaux, alors que seule la moitié des soignants de niveaux 3 et 4 l’évoque.
26A l’opposé, l’implication d’autres acteurs, tels que les aides-soignants et les hôtesses d’accueil, mentionnée par onze professionnels, a participé d’une cohésion d’équipe pour une plus grande participation à l’étude.
27- L’implication collective infirmière semble en pratique favoriser la participation individuelle, en créant une émulation, de meilleurs résultats et donc une stimulation des infirmier-e-s sur la durée de l’étude.
28Néanmoins les données ne permettent pas de l’affirmer puisque la motivation générale de l’équipe est relevée dans la quasi-majorité des entretiens (88 %). Sans qu’un lien puisse être établi avec leur degré de participation, cinq professionnels (deux de niveau 1 et trois de niveaux 3 et 4) rappellent que cette motivation a été irrégulière voire faible, ou sous contrainte. Les trois professionnels avec une participation forte (niveaux 3 et 4) de ce groupe expriment ici une déception quant au manque de réactivité de la totalité de l’équipe.
29- La simplicité technique du procédé de dépistage, décrite comme facilitant l’étude dans une majorité des entretiens (19 sur 25), a un impact sur la participation individuelle.
30Six soignants, dont quatre de niveau 1 et deux de niveau 3 en termes de participation, n’évoquent pas cette facilité d’utilisation et estiment que la réalisation est principalement contrainte par le flux et le manque de temps. Par ailleurs, ces soignants ne sont pas favorables à la délégation médicale de la proposition de dépistage (un-e infirmier-e, un cadre), à l’interventionnisme de la démarche (un-e infirmier-e) et à la charge de travail qu’implique le systématisme du dépistage (un médecin, un cadre, un-e infirmier-e).
31Des facteurs apparaissent dans les entretiens comme n’influençant pas la participation individuelle.
32- Toutes catégories professionnelles confondues, la sensibilisation personnelle au VIH (prise de risque personnelle ou proche concerné) n’est pas un facteur favorisant la participation. En effet, le rapport singulier à la pathologie est relevé dans huit entretiens seulement, pour des professionnels engagés dans tous les niveaux de participation (un de niveau 1, un de niveau 2, deux de niveau 3 et quatre de niveau 4).
33- La formation pré-étude n’a pas de lien avec la participation observée. Les quatre infirmier-e-s n’ayant pas assisté à la formation sont dans tous les niveaux de participation ;
34- La perception de l’intégration possible du procédé de dépistage du VIH dans les missions du service des urgences n’a pas d’impact sur la participation des soignants : plus de la moitié des infirmier-e-s de faible niveau de participation (trois sur cinq de niveaux 1 à 2) considère que le dépistage du VIH intègre bien le mandat de leur service. Huit infirmiere-s sur dix de niveaux 3 et 4 partagent également ce point de vue ;
35- L’intérêt pour un rôle infirmier en recherche clinique n’est pas associé à la participation. En effet, 13 infirmier-e-s sur 15 considèrent positivement le rôle infirmier dans l’étude, sans lien établi avec leur degré de participation ;
36- La conception positive de la délégation d’activités médicales à l’équipe infirmière n’a pas influencé la participation infirmière. La totalité du groupe infirmier, avec un niveau de participation variable, est favorable à l’existence de protocoles de délégation médicale ;
37- Sans lien avec le niveau de participation, l’apprentissage du protocole de recherche a permis, selon un tiers des infirmier-e-s, une cadre et un médecin, de lever des réticences initiales, telles que la peur du refus des patients ou du rendu de résultat ; ce qui est comparable à une étude anglaise de Thornton, Cridford, Rayment et al., 2010, [11] sur l’attitude des soignants pour ce procédé de dépistage. Seules un-e infirmier-e et un cadre expriment, à l’opposé, une baisse de motivation au cours de l’exercice, de par le caractère répétitif de la démarche et la surcharge de travail qu’elle entraîne.
Positionnement des soignants en regard de l’autonomie infirmière pour le dépistage du VIH
38Après avoir décrit les facteurs qui influencent l’implication pratique des soignants, l’acceptabilité de l’activité par ces équipes est maintenant détaillée, à partir des réponses des soignants sur des thèmes comme la perception de la place infirmière pour cette recherche ou du rôle infirmier de prévention dans les services d’urgences, afin d’aborder la question d’une pratique infirmière de dépistage du VIH.
39• Place infirmière en recherche clinique
40Une grande majorité des soignants (22 sur 25) considère positivement la place centrale attribuée aux infirmier-e-s pour la recherche de santé publique sur le dépistage du VIH. Cette expérience pourrait en susciter d’autres. Un médecin confirme l’intérêt de cette démarche : « Les neurones, on les visualise trop au niveau médical et pas assez dans les autres professions ».
41Seuls deux infirmier-e-s rappellent que les infirmier-e-s étaient les « petites mains » d’une étude « dont les bénéfices sont toujours médicaux ». Enfin, un médecin restreint l’importance de la place infirmière dans cette recherche en rappelant que « c’est une étude de docteurs dont l’effecteur est l’infirmier » et que les études infirmières sont rares car « ce n’est pas leur culture professionnelle ».
42• Rôle infirmier aux urgences
43La variété des situations et l’élargissement du rôle (à 60 %), et l’autonomie (à 27 %) sont relevés comme les éléments les plus intéressants de l’activité infirmière aux urgences par les équipes infirmières. Ainsi, pour trois infirmier-e-s, quatre cadres et trois médecins, le rôle infirmier est élargi vis-àvis d’autres services d’hospitalisation. Les transferts d’actes techniques nécessitant un accord médical sont alors cités comme des illustrations de ce rôle élargi et autonome. La pose de perfusion ou l’électrocardiogramme sont fréquemment réalisés à l’installation du patient avant que le médecin intervienne : « Le médecin n’est pas loin » et « cela permet de gagner du temps » justifient les infirmier-e-s. L’importance du travail en binôme infirmier-e/médecin est par ailleurs relevée par deux cadres et deux médecins.
44• Exercice infirmier sur protocole et autonomie infirmière
45L’activité infirmière sur protocole médical décrit les domaines actuels et formalisés de transferts d’exercice dans les services d’urgence. Les protocoles de délégation médicale de ces services, cités par sept infirmier-e-s, trois cadres et quatre médecins, sont en faible nombre et principalement consacrés à la prise en charge de la douleur à l’accueil. Plus de la moitié des infirmier-e-s, deux cadres et deux médecins évoquent par ailleurs des coopérations de type technique, réalisées hors protocole ou liées à d’anciens protocoles non actualisés. Quatre infirmier-e-s expriment la nécessité de formaliser des protocoles pour valider des pratiques courantes. Sur un plan général, tous les infirmier-e-s et cadres sont favorables à l’exercice infirmier sur délégation médicale, pour un motif de gain de temps selon trois infirmier-e-s et pour « encadrer la liberté qu’on puisse se donner » selon un cadre. Seuls deux médecins sur cinq se disent en faveur de cette délégation. La quasi-majorité des infirmier-e-s (13 sur 15) et des cadres (3 sur 5) ainsi que deux médecins sur cinq considèrent que l’exercice infirmier sur protocole favorise l’autonomie. Le terme d’autonomie est envisagé ici par les soignants comme lié à l’application d’un acte.
46• Prévention infirmière aux urgences
47Selon une majorité de soignants (92 %), les activités de prévention infirmière au sens large ne sont pas actuellement encouragées aux urgences, même si les domaines de la prévention et de la santé publique sont perçus comme indispensables pour 64 % des soignants (onze infirmier-e-s, quatre cadres et un médecin) et inscrits dans le rôle infirmier à 48 % (huit infirmier-e-s, trois cadres et un médecin).
48• Dépistage du VIH aux urgences
49Sur un plan théorique, le dépistage VIH a sa place aux urgences pour une majorité des soignants (18 sur 25). Cependant, dans les conditions d’exercice aux urgences, une majorité d’infirmier-e-s (9 sur 15), de cadres (3 sur 5) et de médecins (4 sur 5) n’envisage pas à terme la réalisation continue de la procédure proposée. Des contraintes de moyens ou de temps pour établir ce dépistage du VIH sont relevées par près de la moitié des soignants interviewés (11 sur 25).
50• Compétences pour le dépistage du VIH et autonomie infirmière
51Les notions de compétence et d’autonomie ont été évoquées dans l’entretien sans préciser si elles s’adressaient à la réalisation de l’acte ou à sa décision. La quasi-totalité des infirmier-e-s (14 sur 15) estime alors qu’elle a les compétences pour assumer le procédé sous la forme établie par l’étude. En dehors des contraintes structurelles liées au contexte d’exercice, ces infirmier-e-s se sentent individuellement prête-s à assumer les responsabilités de dépistage du VIH. Ils-elles considèrent également que ce procédé favorise, sous la forme proposée, une autonomie infirmière. Néanmoins, si la capacité infirmière à assumer le rendu de résultat non-négatif n’a pas été formellement posée lors de notre enquête, ce point a été évoqué par trois infirmières comme une impossibilité : « Oui pour le rendu de résultat négatif. Mais le ‘non-négatif’ est plus du rôle du médecin, on rentre dans le diagnostic médical. C’est un peu plus compliqué. Ca n’empêche qu’on peut accompagner le médecin. Mais le faire seule, je ne suis pas sûre ».
52Bien que tous les cadres infirmier-e-s interrogé-e-s admettent que les infirmier-e-s ont les compétences pour assumer le procédé, trois cadres sur cinq émettent des réserves sur son application, en raison de la nature de l’acte, de sa proposition et du rendu de résultat, initialement du ressort médical. De surcroît, trois cadres se détachent du groupe infirmier en considérant que ce procédé n’est pas en faveur d’une autonomie infirmière, pour le même motif de glissement infirmier vers des responsabilités qui doivent être réalisées avec le médecin. Plus précisément, pour une cadre infirmière, l’évolution proposée par l’étude signe une reconnaissance d’élargissement des compétences plus qu’une réelle autonomie.
53Les médecins quant à eux, estiment en majorité (quatre sur cinq) que l’infirmier-e a les compétences nécessaires ; mais trois d’entre eux-elles rappellent que cette organisation nécessite l’intervention médicale pour les résultats nonnégatifs. Le cinquième médecin estime que les infirmier-e-s n’ont de fait pas les compétences puisqu’ils-elles ne peuvent assumer la totalité du procédé : « Quand on a la responsabilité de quelque chose, on se doit d’être capable de corriger les effets négatifs de ce qu’on fait ». Quatre médecins sur cinq considèrent alors peu favorablement l’autonomie infirmière à partir de ce procédé de dépistage : « Si l’autonomie infirmière, c’est de remplacer le docteur, ça va pas ». A l’opposé, un seul médecin est clairement favorable et évoque dans ce sens une « hyperprotection de l’activité médicale ».
Discussion
54Une variabilité de la participation à l’étude de santé publique sur le dépistage du VIH est observée : 72 % des soignants interrogés sont de haut niveau de participation, versus 28 % de faible niveau. Les éléments individuels favorisant cette participation sont particulièrement liés à l’expression d’une motivation, d’une perception positive de l’étude, d’un intérêt pour les domaines proches du thème de recherche (prévention-santé publique, VIH) et par une ancienneté professionnelle brève. La participation est également associée à une perception de la démarche comme simple à mettre en œuvre et à une exigence d’implication pluridisciplinaire (médecins en particulier) dans le sens de ne pas rester seul face à la nouveauté. Une ouverture professionnelle vers des domaines de santé variés ainsi qu’une implication collective sont donc relevées comme encourageant la participation, alors qu’un parcours professionnel avec une orientation forte vers les aspects techniques est un frein à l’implication.
55Certains facteurs n’ont pas de lien avec la participation observée, tels que la formation pré-étude ou l’acceptation d’une intégration du dépistage VIH dans les missions des services d’urgences. Des éléments variables, comme l’intérêt pour une place infirmière dans la recherche, la perception positive de la délégation d’activités médicales aux infirmier-e-s ou la sensibilisation personnelle au thème du VIH, sont également rencontrés sans qu’ils influencent la participation dans le groupe observé.
56Par ailleurs, des éléments liés à la recherche elle-même (délégation médicale de la proposition de dépistage et interventionnisme de la démarche) ou des facteurs structurels (charge de travail et manque de temps) sont relevés comme des contraintes à la réalisation de la recherche par les soignants les moins participatifs. D’autres facteurs additionnels, tels que le nombre élevé de dépistages positifs par centre (perçu comme un facteur favorisant), ont pu influencer en pratique la motivation des équipes mais n’ont pas pu être tous mesurés. Les déterminants individuels relevés dans l’exemple du dépistage du VIH sont ici des indicateurs de mobilisation pour une nouvelle pratique infirmière.
57L’observation de déterminants influençant l’implication soignante pour ce dépistage amène à analyser les positionnements des soignants quant à la réalisation du dépistage aux urgences et dans un cadre plus large.
58Ainsi, la mise en place du dépistage du VIH apparaît-elle souhaitable dans les services d’urgences. Ce service est en effet défini par neuf soignants, comme une « vitrine du système de santé », « un observatoire » ou « un relais » brassant une large population. Cette observation conforte la nécessité du dépistage dans un lieu du système de soins, perçu comme central. Deux infirmier-e-s ajoutent toutefois que ce dépistage a une pertinence aux urgences au même titre que dans les autres services. Près de 80 % des soignants, consultés dans une étude anglaise similaire de Thornton, Cridford, Rayment et al., 2010, [11], partagent l’idée de proposer un dépistage à tous les patients des urgences et plus de 90 % considèrent qu’il doit être proposé en routine dans des lieux autres que ceux réservés à la santé maternelle et sexuelle.
59Cependant, l’application à terme du dépistage systématique du VIH aux urgences est peu réalisable selon les soignants de la présente étude, principalement par manque de moyens et de temps, comme relevé par l’étude anglaise sus-citée (Thornton, Cridford, Rayment et al., 2010) [11]. Plus particulièrement, le temps d’explication de l’étude au patient apparaît trop contraignant. Pour la moitié des infirmier-e-s de l’étude, ce dépistage serait plus réalisable aux urgences pour une population ciblée.
60A la suite de la réalisation empirique du dépistage infirmier du VIH aux urgences, la compétence infirmière, pour assumer ce dépistage dans un large cadre, est affirmée par la quasi-totalité de l’équipe infirmière. Précisons ici que « La compétence décrit de façon plus précise ce que l’individu est capable de faire dans une situation de travail. Elle est en évolution permanente ». [Elle] est la combinaison de savoirs appris en dehors et dans l’action » (Carre, 2002) [12]. La compétence est ainsi définie par les infirmier-e-s comme un savoir développé lors de la réalisation de l’activité de dépistage.
61Cette activité devient selon ces soignants un vecteur d’autonomie infirmière. Ainsi, un-e infirmier-e explique : « Petit à petit, on va y arriver à être un peu plus autonome. Que le rôle propre sorte de donner un verre d’eau au patient. Il faut avancer (…) Il faut que le personnel infirmier soit motivé (…). Il faut être intéressé par ce qu’on fait ».
62L’autonomie infirmière pour le dépistage du VIH est toutefois considérée dans une forme partielle, puisqu’une réticence existe dans le cas de rendu de test non-négatif. Ainsi, à l’exception d’une infirmiere, le groupe infirmier interrogé n’a pas exprimé de souhait à l’appropriation complète du procédé de dépistage incluant le rendu de résultat nonnégatif, voire il s’y est opposé. Les infirmier-e-s circonscrivent ici leur champ de compétences ; ils réaffirment l’importance des règles hiérarchiques de la division du travail au sein des équipes soignantes qui ne s’effacent pas, même lorsqu’ils disposent de plus de marges de manœuvre. La règle se réfère ici à l’annonce de diagnostic, un domaine strictement médical, et à une pathologie avec un cadre singulier de prise en charge. Le VIH est en effet l’une des seules pathologies qui requiert de manière explicite un consentement informé du patient pour son diagnostic.
63L’autonomie partielle infirmière pour ce dépistage est d’ailleurs envisagée par les infirmier-e-s, à la seule condition que le procédé soit suffisamment encadré : nécessité d’une formation complémentaire (comme retrouvé dans l’étude anglaise de Thornton, Cridford, Rayment et al., 2010, [11]), d’une adaptation du protocole au contexte d’exercice, d’un travail en réseau avec les médecins et d’une possible compensation salariale. Le cadre proposé par ces soignants respecte alors les principes qui président selon Berland à l’autonomisation : « La formation (…) La (définition de la) relation entre le médecin et les acteurs paramédicaux (…). La définition du champ de compétence des acteurs paramédicaux » (Berland, 2003, 47) [2]. La mise en place encadrée d’un dépistage infirmier du VIH est dès lors proposée par les infirmier-e-s pour d’autres formes d’exercice, une consultation infirmière de prévention par exemple, ou pour d’autres lieux d’exercice que les urgences, le cadre libéral notamment.
64La formation nécessaire à la mise en place d’un dépistage infirmier du VIH rappelle la notion de pratique infirmière avancée sous-tendue par « une formation supplémentaire en évaluation de la santé, en pose de diagnostic et en gestion de maladies et blessures, ce qui comprend l’interprétation de tests ainsi que la prescription de tests et de médicaments. ». La situation de dépistage décrite ici s’apparente à un cadre d’exercice de pratique avancée, qui autorise, dans certains pays, le personnel infirmier praticien à prescrire et interpréter des tests de dépistage (Rapport ICIS-AICC, 2006, 6) [3].
65Les cadres et médecins sont plus réservés que l’équipe infirmière sur les compétences et l’autonomie vis-à-vis de ce dépistage infirmier du VIH. Le terme même d’autonomie pose problème, comme l’exprime une cadre : « Le mot autonomie, je n’aime pas. (…) il faut plutôt savoir ce qu’ils ont à faire et quels sont leurs responsabilités, savoir jusqu’où ils peuvent aller » et un médecin : « (il ne faut) pas entendre autonomie comme indépendance ». Le terme d’autonomie est davantage pensé, dans cette étude, comme « la possibilité de s’administrer librement dans un cadre déterminé » (Warchol, 2007, 77) [13] dans lequel les responsabilités de chacun sont clarifiées. La prudence des cadres infirmier-e-s et médecins, sur l’acquisition d’une compétence infirmière pour proposer le test et redonner le résultat, rappelle ici un mode classique de division du travail à l’hôpital, tel que décrit par Freidson, 1984, [14]. Selon un médecin interrogé, la compétence infirmière, pour ce domaine nouveau, et particulièrement pour le rendu de résultat, « ne relève pas de leur technicité propre ». Cette activité renvoie à une démarche médicale qui peut être « source de stress » signale une cadre. Pour la majorité des médecins et cadres interrogés, une autonomie infirmière serait d’ailleurs conditionnée par une prise en charge complète du procédé.
66Toutefois, après avoir exprimé ces limites, cadres et médecins envisagent une application du dépistage infirmier du VIH « à la condition qu’elle (l’infirmier-e) reste à sa place, enfin, qu’elle reste infirmière », tel que le rappelle un médecin, et estiment que l’intervention médicale reste nécessaire. Le point de vue des « encadrants » paramédicaux et médicaux pour une légitimité infirmière à intervenir dans le cadre du dépistage du VIH rejoint ici celui des infirmier-e-s. Même si les « encadrants » sont plus réservés, la mise en place d’un dépistage infirmier du VIH, aux urgences et dans un cadre plus large, est envisagée à la condition d’un ajustement de l’activité au contexte d’exercice.
67Au-delà de l’exemple du dépistage du VIH, les modes de coopération entre médecins et infirmier-e-s, dans les services d’urgences, existent principalement dans des aspects techniques, tels que les exemples précédemment cités de pose de perfusion ou réalisation d’électrocardiogramme l’évoquent. Ces coopérations se réfèrent à une logique de substitution paramédicale [10] en raison d’objectifs d’anticipation et de rapidité de prise en charge des consultants. F. Acker décrit à ce sujet un « héroïsme de la rapidité » (Acker, 2008, 63) [15] souvent retrouvé dans la pratique infirmière. La délégation d’actes, peu formalisée en raison d’une présence médicale continue, est en outre perçue comme vecteur d’autonomie par les infirmier-e-s et cadres interrogé-e-s, qui sollicitent alors sa formalisation. Des médecins craignent cependant que la délégation aux infirmier-e-s signifie une démission médicale : « A chaque fois qu’il y a une autonomie infirmière, ça veut dire qu’il y a une carence médicale » énonce ainsi un médecin. Le groupe des médecins insiste alors sur l’inscription de ces coopérations dans une dynamique de service, en collaboration avec l’équipe médicale.
68Par opposition à une logique de substitution paramédicale, le dépistage infirmier du VIH renvoie plus à une logique de diversification de l’activité infirmière [11] dans un domaine de santé publique « distant » des dimensions techniques des urgences. Les craintes des médecins sont alors moins grandes dans ce domaine : « sur les aspects préventifs, il n’y a aucun souci du moment que l’infirmière a les filières qu’il faut pour avoir recours, alors pourquoi pas ». Le développement de rôles avancés infirmiers, qui est à ses prémices en France, vise à cet égard l’amélioration des prestations de soins de santé primaire (Delamaire, Lafortune, 2010, 6) [4]. Ainsi, un autre médecin partage, avec trois infirmier-e-s et deux cadres, la nécessité de confier des activités, telle la prévention, au personnel infirmier : « à d’autres intervenants du monde de la santé qui sont tout à fait capables de le faire, qui sont aptes à s’investir dans ce domaine là. Ce n’est pas un abandon (médical) ». Des soignants rappellent à propos que l’activité infirmière de dépistage intègre pleinement les mandats de la profession. Elle pourrait formaliser un « savoir spécifique », au sens de Cloarec, 2008, 28, [16], et une mission dédiée à la profession infirmière. En effet, selon une infirmière interrogée : « On est au plus près du patient ; je pense plus près que les médecins (…) L’infirmière est au centre de la prise en charge. C’est elle (…) la plus à même d’établir un contact suffisant pour faire de la prévention (…) C’est complètement de notre rôle de le faire ». L’organisation de la profession en missions faciliterait alors l’adaptation du rôle infirmier aux besoins de santé et favoriserait le développement de pratiques avancées (Delamaire, Lafortune, 2010, 12) [4] et notamment pour l’activité de dépistage. Il reste dès lors à définir les niveaux de responsabilité décisionnelle puisque l’acte autonome de dépistage infirmier est pensé dans cette étude essentiellement en termes de réalisation pratique.
69De nouveaux modes de coopération dans les domaines de la prévention et de la santé publique sont envisagés ici et permettraient in fine de « définir des niveaux de compétence aujourd’hui peu investis, entre les médecins et les professionnels paramédicaux (…) en privilégiant un système dans lequel les professions seraient définies (…) en fonction de types d’interventions ou de missions », (Haute Autorité de Santé (HAS), 2008, 27-32) [17]. Le contrôle d’un « domaine d’activité disjoint » au sens de Freidson, à l’instar d’activités de prévention ou de dépistage du VIH, devient une « source de légitimation indépendante » (Freidson, 1984, 79) [14] et est, dès lors, en faveur de l’autonomisation de la profession infirmière. Ainsi, à partir de l’exemple du dépistage du VIH, l’infirmier-e est-il (elle) réaffirmé-e comme un acteurclé en prévention et santé publique, en s’appuyant sur une compétence infirmière en prévention dite « cœur de métier » comme décrit par Weber, 2009, 57, [18], compétence confirmée par le nouveau programme de formation infirmière de 2009 [12]. Des recherches complémentaires, qui pourraient être initiées par des équipes infirmières, aideraient alors à mieux cerner les missions infirmières et les enjeux actuels des coopérations entre professionnels de santé dans les domaines de la prévention et de la santé publique.
Conclusion
70L’étude réalisée sur la participation soignante et le positionnement quant à une autonomie infirmière pour le dépistage du VIH par test rapide dans 5 services d’urgence d’Ile-de-France montre une participation variable, en particulier selon la motivation exprimée, les domaines d’intérêt professionnel proches du dépistage, l’implication pluridisciplinaire et selon l’évaluation de la simplicité de la démarche.
71Les soignants interrogés sont favorables au dépistage systématique du VIH aux urgences, mais le pensent peu réalisable en raison de contraintes structurelles. Toutefois, une majorité d’infirmier-e-s se considère prête à assumer la proposition, la réalisation du test de dépistage du VIH et le rendu de résultat négatif. Cette activité de dépistage favorise, selon ces soignants, une autonomie infirmière et pourrait être définie comme une possible mission de la profession. Les cadres et médecins de l’étude insistent, de leur côté, sur la nécessité d’une collaboration médicale qui évoque un mode classique de division du travail à l’hôpital. L’activité nouvelle de dépistage, développée dans le sens d’une diversification de l’activité infirmière, nécessite en effet un cadre d’intervention précis (formation préalable, collaboration avec les médecins) et une adaptation au contexte d’exercice, qui permettrait d’éviter certains freins à sa réalisation. La mise en place de ce dépistage ne peut d’ailleurs se concevoir que définie par des besoins identifiés et intégrée aux stratégies actuelles de dépistage.
72Une recherche infirmière, au cœur de laquelle les infirmier-e-s seraient les investigateurs et non seulement les acteurs centraux, permettrait alors de mieux caractériser le développement de compétences infirmières dans les domaines du dépistage, de la prévention et de la santé publique. Ainsi : « plus un groupe professionnel est doté d’une autonomie de formation, de recherche et de régulation, plus il est en mesure de voir son champ de pratique autonome se développer » (Bourgueil, Marek, Mousques, 2006, 15) [1] rappelle une étude internationale sur des coopérations entre infirmier-e-s et médecins.
73Dans un contexte de transformation des modes de coopération entre professionnels de santé, cette étude illustre clairement l’intérêt que les soignants portent au développement d’un champ de pratique infirmière autonome, en articulation avec les équipes médicales, pour le dépistage du VIH en particulier et plus largement dans les domaines de la prévention et de la santé publique.
Remerciements
Les auteurs remercient les équipes soignantes, et en particulier infirmières, pour leur participation à cette étude, ainsi que F. Acker et M. Saussey pour leurs conseils.Grilles d’évaluation de la participation
Grilles d’évaluation de la participation
Niveau général de fonctionnement du centre à l’étude
Niveau général de fonctionnement du centre à l’étude
Bibliographie
Références bibliographiques
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- 18WEBER MT. Les compétences infirmières et la formation initiale 6/10 : initier et mettre en œuvre des soins éducatifs et préventifs. Communiquer et conduire une relation dans un contexte de soins (compétences 5 et 6), SOINS 2009/07-08, 57-58.
Mots-clés éditeurs : dépistage, infirmier-e, autonomie, participation, VIH/SIDA
Date de mise en ligne : 11/01/2014.
https://doi.org/10.3917/rsi.108.0043Notes
-
[1]
La définition des pratiques infirmières avancées la plus récente est anglaise : « A Nurse Practitioner/Advanced Practice Nurse is a registered nurse who has acquired the expert knowledge base, complex decision-making skills and clinical competencies for expanded practice, the characteristics of which are shaped by the context and/or country in which s/he is credentialed to practice. A Master’s degree is recommended for entry level (ICN, 2008) » (Delamaire, Lafortune, 2010, 8) [4].
-
[2]
Article 51 ‘Coopération entre professionnels de santé’ de la Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.
-
[3]
Des activités récemment reconnues possibles pour les infirmier-e-s sont par exemple le renouvellement de prescription de contraceptifs (Loi du 21 juillet 2009, Article 88, J.O. n°0167 du 22 juillet 2009) ou la prescription de matériel de pansement.
-
[4]
Pour une facilité de lecture, le dépistage du Virus de l’immunodéficience humaine, Syndrome d’immunodéficience acquise (VIH/SIDA) sera réduit au dépistage du VIH.
-
[5]
Arrêté du 9 novembre 2010 fixant les conditions de réalisation des tests rapides d’orientation diagnostique de l’infection à virus de l’immunodéficience humaine (VIH 1 et 2), JORF n°0266 du 17 novembre 2010 page 20499, texte n°19.
-
[6]
Les promoteurs de l’étude sont l’Agence nationale de recherche sur le SIDA et les hépatites virales (ANRS) et Sidaction. Cette étude est définie réglementairement comme une recherche en soins courants. Elle a été conduite en 2009 – 2010.
-
[7]
Le test est pratiqué par prélèvement de sang capillaire au bout du doigt. Le dispositif de test permet de lire le résultat en 20 minutes.
-
[8]
Un test qui n’est pas négatif (ou non-négatif) fait référence à un test rapide positif. Ce résultat doit cependant être vérifié par un test sérologique classique avant d’être affirmé. C’est la raison pour laquelle, dans la pratique, il n’est pas fait mention de test positif.
-
[9]
Précisons qu’en nombre de tests, ces cinq centres sont dans les huit premiers services sur les 29 de l’étude. Ils sont de niveaux 1 et 2 selon la grille d’évaluation du fonctionnement des centres (Cf. Tableau B, p. 52). Ils ont donc dans l’ensemble bien fonctionné avec 730 tests en moyenne par centre.
-
[10]
D’après la recommandation HAS, les formes de coopération entre professionnels de santé sont réparties entre : « une nouvelle répartition de tâches existantes, dans une logique de substitution (et) la répartition de nouvelles tâches, dans une logique de diversification des activités » (HAS, 2008, 8) [14].
-
[11]
« La diversification renvoie à une extension des services offerts par le système dans lequel les infirmières peuvent expérimenter de nouveaux rôles », (Bourgueil, Marek, Mousques, 2006, 9) [1].
-
[12]
Le référentiel de compétences détaille dix compétences infirmières. La compétence 5 est ‘Initier et mettre en œuvre des soins éducatifs et préventifs’ (Arrêté du 28 mai 2009 relatif au diplôme d’Etat infirmier, annexe II) d’après Weber, 2009, 57, [15].