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Article de revue

Le MAPP (Mode d'Accompagnement Pédagogique Personnalisé) Un modèle opératoire de compréhension d'une pratique d'accompagnement de l'étudiant en soins infirmiers

Pages 95 à 105

Notes

  • [1]
    MORIN, E., Introduction à la pensée complexe, Paris, ESF, 1992, 4e de couverture.
  • [2]
    Si l’inné, l’innéisme, l’innéité sont issus du latin « innatus », né dans, l’innéisme affirme contre l’empirisme l’existence et le rôle des idées antérieures. Dans les discours informels, riches d’enseignement sur la construction du « sens commun », il n’est pas rare d’entendre auprès des cadres de santé formateurs, que l’accompagnement pédagogique relève du don, de l’innéisme. Par ailleurs, il est assez fréquent d’entendre également que cet accompagnement se construit par touches successives, sur les expériences et l’immersion dans le milieu. Cette controverse épistémologique, où la connaissance issue de l’expérience s’oppose à l’existence des idées innées antérieures à toute expérience (et inversement) préfigure probablement des débats passionnants, dans une mouvance sociétale portée par la reconnaissance de la formation en soins infirmiers en L.M.D.
  • [3]
    SAINT-JEAN M., Le bilan de compétences. Des caractéristiques individuelles à l’accompagnement de l’implication dans le projet, Paris, L’Harmattan, coll. Logiques sociales, 2002, p. 81
  • [4]
    BOUTINET J-P., « Repères anthropologiques », in Accompagner, une idée neuve en éducation, Les cahiers pédagogiques, n° 393, avril 2001, pp. 11-13.
  • [5]
    HOUSSAYE, J., « Le triangle pédagogique », in Carrefour de l’éducation, n° 7, 1999, pp. 2-6, p. 3.
  • [6]
    LE MOIGNE, J-L., La théorie du système général, théorie de la modélisation, Paris, PUF, 1984 (2e éd.), pp. 90-91.
  • [7]
    Le terme éveilleur peut être entendu ici dans la parole métaphorique de R. CHAR, (1983), Feuillets d’Hypnos, 51, p. 187: « L’arracher à sa terre d’origine. Le replanter dans le sol présumé harmonieux de l’avenir, compte tenu d’un succès inachevé. Lui faire toucher le progrès sensoriellement. Voilà le secret de mon habileté ». En définitive, la loi institutrice de ce type de posture, la loi que nous pouvons lire au plus profond de l’éveil, c’est précisément de reconnaître la présence, la différence et l’équivalence d’autrui pour l’accompagner et favoriser son autonomie. C’est probablement cultiver, jour après jour, la rencontre du « je » et d’un « il » ou d’un « elle », pour l’aider à découvrir au fond même de son humanité (ses sédiments), la lecture nouvelle de ses valeurs, de ses croyances, de ses représentations, de ses pré-requis, de sa liberté, de ses manques (sa propre terre), pour naître à l’avenir (son projet).
  • [8]
    GADAMER, H.G., Vérité et méthode. Les grandes lignes d’une herméneutique philosophique, Paris, Seuil, 1976, cit., p. 19.
  • [9]
    SPINOZA, B., Éthique. Troisième partie. Définition des sentiments, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de La Pléiade », 1954, pp. 525-526.
  • [10]
    Avec Spinoza, le désir s’affirme non pas comme puissance de mort et de négation, mais comme puissance de vie et effort perpétuel de vivre: c’est le conatus. « Chaque chose, autant qu’il est en elle, s’efforce [conatur] de persévérer dans son être » (Spinoza, Éthique, III, prop. 6). Une des pièces maîtresse de l’édifice spinozien est cette idée que tout homme tend à persévérer dans son être, dans un effort constant, singulier et unique pour jouir de l’être.
  • [11]
    Au cas par cas.

Liminaire

1Notre intérêt pour la notion d’accompagnement est issu de préoccupations professionnelles, de questionnements, voire de remises en question de notre pratique pédagogique. Dans une sphère professionnelle (connue de l’intérieur) qui est la formation initiale professionnelle des étudiants en soins infirmiers, nous avons conduit une recherche-action sur l’étude des représentations sociales des cadres de santé formateurs et des étudiants en soins infirmiers à propos de l’accompagnement pédagogique. Bien que les éléments avancés dans cet article ne représentent qu’une brève partie de la recherche entreprise, ils permettent d’inscrire notre recherche qualitative dans une approche herméneutique du phénomène étudié.

2Poser la notion d’accompagnement comme un objet de recherche complexe, relève d’une équation réductrice. Cependant si nous rejoignons la pensée d’E. MORIN, pour lequel la complexité n’est pas le sésame du monde, mais le défi à affronter en termes de «…non pas ce qui évite ou supprime le défi, mais ce qui aide à le relever, et parfois même à le surmonter »[1], nous formulons l’hypothèse que la complexité de cette notion tient plus de la diversité de ses différentes approches, dans des champs pluriels, que de son caractère polysémique. Dès lors, il nous plaît de nous inscrire dans ce projet ambitieux, à savoir tenter de proposer un modèle opératoire de cette notion.

3Une réflexion plus avancée sur la formation initiale en soins infirmiers par alternance fait émerger des dispositifs de formation accompagnante déjà existants. Sans hiérarchie aucune, nous listerons ici un ensemble de dispositifs connus et reconnus comme:

4Les stages sur le terrain, le stage du projet professionnel, le bilan de stage, le groupe de parole, le groupe d’analyse de pratique (GAP), le suivi pédagogique, la mise en situation professionnelle, la recherche en soins infirmiers (à partir du mémoire intitulé le Travail Écrit de Fin d’Étude), les aides informelles, etc.

5Or si ces dispositifs existent, rien n’est clairement écrit sur cette fonction d’accompagnement qui vise entre autres à aider l’apprenant à construire des liens qu’il ne saurait établir spontanément seul. Pour ne pas dire instinctivement.

6La compréhension de l’objet social « accompagnement pédagogique » suppose de considérer les situations de suivi pédagogique, les procédures, les pratiques professionnelles. Notre projet de recherche est un projet de connaissances des phénomènes étudiés. Il s’inscrit dans une approche herméneutique. Notre démarche privilégie les ancrages et les dynamiques relationnelles, la manifestation d’un débat social autour d’un objet-phare pour les groupes professionnels, les effets d’appartenance, les liens représentations professionnelles et les systèmes de valeurs, les aspects dynamiques sur la construction des représentations et/ou les aspects différentiels.

7Notre questionnement nous amènera à considérer trois axes de compréhension:

  • Accompagnement, tutorat, guidance, de quel accompagnement parlons nous? Existe-t-il sous le foisonnement de ces appellations des traits communs, des invariants?
  • Quelles sont les connaissances, les croyances, les attitudes des étudiants en soins infirmiers à l’égard de l’accompagnement pédagogique individuel ? Quelles sont leurs représentations socio-professionnelles?
  • Accompagner l’autre relève-t-il de l’innéité? [2] Est ce qu’il n’existe pas là, ici et maintenant, un discours autorisé, policé, magnifié, normatif de la part des cadres de santé formateurs?

Une diversité de modes d’accompagnement

Sous l’éclairage de l’étymologie

8Les mots ont leur histoire. Il nous paraît important de bien préciser le sens que nous utilisons sous le choix des mots suivants: accompagnement, tutorat, guidance… Afin de prévenir tout glissement sémantique, nous vous proposons trois définitions stabilisées:

L’accompagnement

9La notion d’accompagnement est parente de l’idée de « compagnon » du latin « Compagnonis » (« cum – panis »: copain, compagnon, pain), celui qui partage le pain (XIIe siècle). Cette étymologie découle elle-même du gothique « gahlaiba », où « ga » signifie « avec » et « hlaiba » dérivé de « hlaifs » décrit le « pain ». M. SAINT-JEAN, précise que le verbe « accompagner » est issu de l’ancien français « compain » qui veut dire compagnon (1165). L’auteur ajoute que « ce verbe signifie à l’époque « prendre un compagnon » puis « se joindre à quelqu’un » notamment pour faire un déplacement en commun. Il s’agit là d’une relation de partage, d’échange, de communication d’un élément substantiel, le pain ou pas ». [3] Compagnon, en ce sens, dit une relation symétrique, de réciprocité et d’égalité: il faut être deux pour partager le pain, d’égal à égal.

Le tutorat

10Si l’on se réfère à l’étymologie latine, le tuteur désigne un défenseur, un protecteur et/ou un gardien (du latin « tutor – tutrix », 1225). En horticulture, ce terme désigne la tige qui soutient la jeune plante pour accompagner sa croissance, afin qu’elle grandisse en évitant qu’elle ne se brise. Dans sa terminologie juridique, on parle de mise sous tutelle d’une personne incapable majeure, d’un mineur, d’un aliéné. Dans ce processus de tutelle, le tuteur a un rôle protecteur (du latin « tutela » dérivé de « tueri », protéger). Son accompagnement a pour fonction de prendre soin, d’assister, d’aider.

11Par extension de sens, en pédagogie, le tuteur est une personne qui permet à une autre personne ou à un groupe d’individus (apprentis, étudiants, élèves, adultes en formation et en quête de savoir) d’apprendre à se connaître lui-même par le biais de sa formation. Par ailleurs, la connaissance de soi jamais achevée, sans arrêt remodelée et toujours en chantier, permettrait de construire son identité personnelle et sociale au fil du temps qui passe et à venir, situant l’apprenant dans son « être au monde ».

La guidance

12Dans son sens le plus dépouillé, le guide est la personne, qui oriente et conseille, qui montre le chemin. Sans ambiguïté, le guide c’est « celui qui dirige, qui protége la marche de quelqu’un (…) qui conduit (…) qui oriente ». Guider signifie étymologiquement « conduire quelqu’un en lui montrant le chemin ». L’étymologie de ce terme peut se rapprocher de l’ancien moyen français « guier » (conduire, guider), mais également de l’ancien bas francique « wîtan » (conduire), très voisin de l’anglo-saxon « wisian » (observer, suivre une direction) et du terme d’ancien haut allemand « wîsan » (reprocher quelque chose à quelqu’un).

13Autour de ce terme « guider », nous retrouvons une communauté de sens européen, qui définit le guide en position de pouvoir/savoir déplacer et orienter celui qu’il guide, afin que le guidé s’éloigne d’une mauvaise direction (celle qui lui est reprochée), pour en adopter une autre. Aucun des termes définis supra ne fédèrent un ensemble de pratiques d’accompagnement unifiées. Le mot accompagnement, à l’inverse des autres concepts, ne jouit pas d’une légitimité reconnue. Toutefois, nous formulons l’hypothèse de sens que le cadre de santé formateur en formation, peut être reconnu comme un intermédiaire facilitateur entre l’apprenant et les savoirs (contenus et méthodes), entre l’apprenant et lui-même (développement personnel), entre l’apprenant et le contexte socioprofessionnel (stages hospitaliers, établissements privés de soins…).

14A ce titre, il existe plusieurs façons de marcher avec…, pour le moins trois principales. J-P BOUTINET [4] les dénomme suivi, cheminement, et guidance. Pour cet auteur:

  • Le suivi : s’apparente à un accompagnement non directif. Il correspond au degré le plus élevé de l’autonomie de l’apprenant.
  • Le cheminement : s’efforce de définir des rythmes compatibles de marche, entre accompagnateur et accompagné. Il correspond à un degré moyen d’autonomie de l’apprenant.
  • La guidance: correspond à un accompagnement plus directif, qui s’apparente à un encadrement. Il correspond au degré le plus faible d’autonomie.
La relation d’accompagnement formé/formateur n’est pas qu’interpersonnelle, elle met en présence des étudiants qui appartiennent à des groupes sociaux divers et des cadres de santé formateurs, membres d’une profession caractérisée par un statut spécifique. Le cadre théorique des représentations sociales occupe une place privilégiée dans le sens où il peut rendre apparent le système social dans lequel sont enracinés les opinions, les attitudes, les comportements et les relations que les individus entretiennent avec autrui. Depuis la contribution princeps de S. MOSCVICI (1961), il est entendu que décrire une représentation sociale, c’est décrire comment un objet social peut être pensé par une communauté. Une représentation sociale est un ensemble organisé d’informations, d’opinions, d’attitudes et de croyances à propos d’un objet donné. Socialement produite, elle est sous l’influence de l’histoire du groupe qui la véhicule, mais aussi de normes ou de valeurs correspondant à un système socio-idéologique.

15L’actualité récente, dans le champ de l’éducation et de la formation, de ces démarches d’accompagnement nous sollicite à juste titre. Notre attention, fixée et sédimentée, sur l’un des dix énoncés des principes pédagogiques du programme des études en soins infirmiers : « Le suivi pédagogique basé sur l’accompagnement… », s’est densifiée. Dans le « Dictionnaire de la formation et du développement personnel » (Paris, PUF, 1996), nous retrouvons la définition suivante à propos de l’accompagnement: « Fonction qui, dans une équipe pédagogique, consiste à suivre un stagiaire, et à cheminer avec lui, durant une période plus ou moins brève afin d’échanger à propos de son action, d’y réfléchir ensemble et de l’évaluer ».

16Cette finalité demeure un travail d’émancipation permettant à l’apprenant de parfaire son autonomie. Dès lors comment interroger ces pratiques d’accompagnement? Comment identifier ce qu’elles provoquent à un double niveau: le niveau de l’étudiant en soins infirmiers - accompagné et le niveau du cadre de santé formateur – accompagnateur?

Représentations sociales et travail de contextualisation

17Dans la lignée de l’étude princeps de S. MOSCOVICI, de nombreux travaux ont permis d’approfondir ce concept de représentation sociale. Aujourd’hui encore, il est difficile de donner une définition commune à tous les auteurs. Son caractère polysémique rend compte de sa complexité. Nous avons retenu la définition donnée par D. JODELET et G-N. FISCHER. Pour D. JODELET, « c’est une forme de connaissance socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social…». (JODELET D., 1989 : 36).

18Pour cet auteur, ces représentations, si importantes dans notre vie quotidienne, nous accompagnent dans la manière de nommer et de définir les différents aspects de notre réalité. L’auteur précise également le rôle prépondérant du contexte humain, matériel, institutionnel et relationnel dans leur élaboration.

19Pour G-N. FISCHER, « La représentation sociale est la construction sociale d’un savoir ordinaire élaboré à travers les valeurs et les croyances partagées par un groupe social concernant différents objets (personnes, événements, catégories sociales, etc.) et donnant lieu à une vision commune des choses, qui se manifeste au cours des interactions sociales » (FISCHER G-N., 1996 : 126)

20Ainsi, les représentations sociales sont des modalités de pensée pratique orientée vers la communication, la compréhension et la maîtrise de l’environnement. Si les représentations varient selon les individus, nous postulons qu’elles varient également chez un même individu, en fonction des situations, des paramètres organisationnels, du contexte dans lequel il travaille. Pour le champ qui nous intéresse, l’étude des représentations sociales est en relation avec un contexte d’exercice d’activités professionnelles. Dans un article commun (BATAILLE M., et al., 1997), A. PIASER précise: « Les représentations professionnelles sont des représentations portant sur des objets appartenant à un milieu professionnel spécifique. Elles sont partagées par les membres de la profession considérée et constituent un processus composite grâce auquel les individus évoluent en situation professionnelle: opinions, attitudes, prises de position, savoirs etc. ».

21Étudier l’élaboration des représentations dans un contexte professionnel, c’est d’abord considérer les cadres de santé formateurs comme des individus insérés dans un champ social spécifique. Autrement dit, les représentations professionnelles sont avant tout sociales, mais elles ne présentent pas la caractéristique du sens commun. Elles sont une clé qui donne accès à la compréhension de l’ensemble de l’action.

22Outre ses multiples fonctions, nous avons retenu, des représentations professionnelles, leur fonction de justification anticipée ou rétrospective des pratiques. Elles peuvent être invoquées pour expliquer ou légitimer une action, pour justifier a posteriori les prises de position et les pratiques. Les pratiques pédagogiques comme l’accompagnement individuel d’un étudiant, se laissent observer et peuvent faire l’objet d’analyse. Si la finalité de l’accompagnement est présente chez les cadres de santé formateurs, elle est souvent de l’ordre de l’implicite. En édifiant sa finalité, nous pouvons espérer, très modestement, accéder à la théorie conceptuelle qui sous tend l’accompagnement, voire à quelques propositions opératoires.

23Au regard de ce que nous venons de présenter, les objectifs de cette recherche étaient multiples. Il s’agissait d’appréhender les univers représentationnels (signification et image) de l’accompagnement pédagogique, d’étudier leurs régulations en fonction du statut des individus (formés versus formateurs). In fine, de proposer des pistes de réflexion sur les enjeux communicationnels et identitaires qui s’opèrent dans la réalité sociale que représente la relation d’accompagnement.

Le protocole de recherche: orientation méthodologique

Schéma d’étude

24Pour répondre à nos objectifs de recherche, une étude bornée (un temps T0, « ici et maintenant ») dans le temps, multicentrique fut mise en place. Le devis utilisé était descriptif et qualitatif.

La population étudiée

25Nos investigations se sont portées auprès:

  • De 240 étudiants en soins infirmiers de deux Instituts de Formation en Soins Infirmiers. Les réponses émanent de 189 étudiantes féminines et de 51 étudiants masculins. La moyenne d’âge se situe à 24,63 ans avec un écart type de 6,08 et une étendue allant de 18 à 46 ans. La médiane de notre échantillon se situe à 22 ans. Sur 300 questionnaires distribués, 240 ont pu être exploités. Ce qui représente un taux d’exploitation de 80 %.
  • De 32 cadres de santé formateurs exerçant dans des IFSI, de différentes régions du grand sud-ouest (région Aquitaine, région Midi-Pyrénées, région Languedoc-Roussillon). Les réponses émanent de 27 femmes et de 5 hommes. La moyenne d’âge est 47,55 avec un écart type de 4,84 et une étendue allant de 39 à 56 ans. La médiane de notre échantillon se situe à 48 ans. Pour cet échantillon, nous avons mené des entretiens semi-directifs.
Nous avons recueilli dans le cadre de ce travail de recherche, les représentations socio-professionnelles et professionnelles des étudiants en soins infirmiers et des cadres de santé formateurs au sujet de l’accompagnement individuel d’un étudiant.

Modalités de recueil et d’analyse des données recueillies

26Nous avons utilisé un recueil de données multi-méthodologique en double approche quantitative et qualitative:

  • Auto-questionnaires
  • Entretiens semi directifs et protocole de la « Zone muette ».
Les deux recueils de données étaient composés des variables illustratives (Ces variables répondent à la question : Qui le dit ? Qui l’écrit. Elles permettent l’identification du sujet épistémique) et des variables nominatives (Ces variables répondent à la question: Qu’est ce qui est dit? Quelle est la teneur du discours).

Les variables illustratives

27Les variables illustratives reposaient sur l’approche des déterminants sociaux et culturels (sexe, âge, catégorie étudiante et/ou socioprofessionnelle) et sur les variables contextuelles qui regroupent les informations relevant des « collectifs » auxquels les individus adhèrent, appartiennent, comme par exemple la taille de l’Institut de Formation en Soins Infirmiers, l’ancienneté dans l’activité pédagogique, la formation universitaire suivie,…

Les variables nominatives

28Nous avons analysé le discours de la population dans les 3 champs que nous avions décidé d’explorer: l’accompagnement (étude de sa représentation), la relation formé/formateur (L’échelle d’attitude de likert avec une graduation de modalités ordonnées en 6 points), la pratique d’accompagnement pédagogique perçue par les étudiants en soins infirmiers et par les cadres de santé formateurs (protocole de la « Zone Muette »).

Le choix des analyses statistiques

29Après avoir observé les règles d’éthique d’usage (Anonymat des répondants et liberté de participation à l’étude) nous avons procédé à une analyse descriptive et quantitative. Le pourcentage de sujets inclus à tort et le pourcentage de non-réponse aux questions ont été mentionnés. Nous avons effectué dans un premier temps des analyses bi-variées pour identifier les caractéristiques associées à la population: comparaison de moyennes par test du t de Student ou test de Mann et Whitney, comparaison de pourcentage par test du chi 2

30Dans un deuxième temps, les questions ouvertes ont été analysées à l’aide du logiciel ALCESTE©, dans une approche qualitative. Cet outil fondamental a pour but de quantifier un texte afin d’en extraire les structures signifiantes les plus fortes. Décrire, classer, assimiler, et synthétiser automatiquement le contenu écrit des questions ouvertes, tel est l’objectif de l’analyse par ALCESTE©. L’hypothèse générale développée dans ce logiciel consiste à considérer les lois de distribution du vocabulaire dans les énoncés d’un corpus comme une trace linguistique d’un travail cognitif de reconstruction d’un objet par un individu (REINERT M., 1999; 1990). Cette méthode met à jour les traces lexicales les plus prégnantes dans le corpus: les mondes lexicaux. Ces derniers, reconstitués sous forme de classes de discours, vont pouvoir être regroupés sous forme de thèmes (KALAMPALIKIS N., 2003).

Résultats et considérations conclusives

Les résultats

Regard porté sur l’accompagnement par les cadres de santé formateurs

Tableau 1

Réponses dominantes dans la représentation de l’accompagnement selon le contexte

Tableau 1
CONTEXTE Normal Substitution Démarche relationnelle Soutenir Aider aux apprentissages Démarche relationnelle Cheminer Suivre Ecouter Dépendance Face à face pédagogique Assistance Expliciter Protéger

Réponses dominantes dans la représentation de l’accompagnement selon le contexte

31L’analyse factorielle de correspondance a été effectuée sur les mots qui, dans le corpus considéré sont mentionnés par au moins trois sujets. Comme dans une analyse factorielle de correspondance globale, nous avons procédé à l’extraction des facteurs sur les variables illustratives sociodémographiques et indépendantes. Nous avons cinq variables (le sexe, l’âge, l’ancienneté, les diplômes obtenus, l’année d’exercice dans l’année de formation) et vingt modalités utiles. Les résultats de cette analyse montrent que le premier facteur extrait rend compte de 51,98 % de l’inertie et le second plus de 48,02 %. Ces deux facteurs extraits expliquent 100 % de l’inertie totale.

Tableau 2

Rang moyen d’apparition dans la représentation de l’accompagnement selon le contexte

Tableau 2
CONTEXTE Normal Substitution Face à face pédagogique Rm = 2 Suivre Rm = 2 Aider aux apprentissages Rm = 2,14 Démarche relationnelle Rm = 2,22 Cheminer Rm = 2,22 Protéger Rm = 3 Expliciter Rm = 2,6 Soutenir Rm = 3,09 Ecouter Rm = 2,71 Dépendance Rm = 3,71 Démarche relationnelle Rm = 3,5 Assistance Rm = 3,8

Rang moyen d’apparition dans la représentation de l’accompagnement selon le contexte

Figure 1

Graphe factoriel des représentations professionnelles de l’accompagnement (Le contexte (N = normal ; S = Substitution)

Figure 1

Graphe factoriel des représentations professionnelles de l’accompagnement (Le contexte (N = normal ; S = Substitution)

32Le premier facteur oppose les termes « face à face pédagogique » et les termes « soutenir » et « écouter ». De façon claire, c’est à l’orientation de l’accompagnement que renvoie ce premier facteur. D’un côté, la dimension pédagogique de l’accompagnement (pôle ouest). De l’autre, la dimension relationnelle en termes de soutien, d’écoute, de relation duelle (pôle est).

33Le second facteur quant à lui, oppose les réponses qui sont fournies autour du rang 2 pour le terme « suivre » dont le rang moyen: Rm = 2 et le terme « aider aux apprentissages » dont le rang moyen: Rm = 2,14. Examinons l’axe de ce deuxième facteur, d’un peu plus près:

34Côté nord de l’axe: nous trouvons 6 termes, 4 d’entre eux sont associés dans le contexte normal (« aider aux apprentissages, démarche relationnelle, cheminer, expliciter »), 2 d’entre eux sont associés dans le contexte de substitution (« démarche relationnelle, soutenir »).

35Côté sud de l’axe: nous trouvons 6 termes, 3 d’entre eux sont associés dans le contexte de substitution (« assistance, dépendance, suivre»), 3 d’entre eux sont associés dans le contexte normal (« face à face pédagogique, écouter, autonomie »).

36Ce second facteur (qui rend compte de 48,02 % de l’inertie totale) définit essentiellement une opposition entre la posture du cadre de santé formateur qui chemine avec l’étudiant, l’aide à apprendre par l’explicitation, dans une démarche relationnelle de soutien et d’écoute, et la posture du cadre de santé formateur qui suit l’étudiant pour favoriser son autonomie, tout en ayant à l’esprit que de l’assister peut induire de la dépendance.

37D’une représentation professionnelle essentiellement tournée vers une orientation pédagogique dans le contexte normal avec les deux éléments « face à face pédagogique » et « aider aux apprentissages » (une fréquence élevée et un rang moyen tendant vers 1), nous passons dans un contexte de substitution à une représentation professionnelle, centrée sur la démarche elle-même d’accompagnement, avec une dimension sur la définition du verbe accompagner (le terme « suivre » présente une fréquence élevée et un rang moyen Rm = 2 tendant vers 1) et la définition de l’accompagnement en tant que « démarche relationnelle » (une fréquence élevée et un rang moyen Rm = 2,22). Le cas de la réponse « démarche relationnelle » qui laisse entendre que l’accompagnement se définit en terme de relation d’aide dans une approche rogérienne (la réponse « démarche relationnelle » regroupe les induits « congruence », « empathie », « neutralité bienveillante » « relation duelle ») est à prendre en considération. Dans le contexte normal et de substitution, la fréquence de ce terme est la plus élevée. Peut-être s’agit-il d’un élément caractérisé par une grande prégnance dans le champ représentationnel. Cette caractéristique aurait pour effet de rendre cette réponse disponible quelles que soient les conditions dans lesquelles les sujets produisent leurs réponses. La « démarche relationnelle » s’imposerait d’abord à une majorité d’entre eux lors de la procédure d’associations verbales. Par contre nous notons une modification sensible du rang.

38En effet, le rang moyen auquel apparaît la réponse « démarche relationnelle » dans la suite associative est dans le contexte normal: Rm = 3,5. Cependant, lorsque la modification du contexte intervient, il tend davantage vers 1 : Rm = 2,22. Cette différence est significative (t = 2,41, ddl.19, p.< .05). Dans le cas du contexte de substitution, le terme « démarche relationnelle » est à la fois celui le plus fréquent et celui dont le rang moyen dans la suite associative tend le plus vers 1.

39Certains termes apparaissent de façon privilégiée dans un seul contexte. C’est le cas de « dépendance », « protéger » et « assister », qui s’exposent dans la condition de « substitution » massivement et de façon dominante. Pour le terme « dépendance » (fréquence élevée et rang moyen Rm = 3,71), nous faisons l’hypothèse, que le passage d’une condition normale, dans laquelle ce terme n’est pas exprimé, à une condition dite de « substitution » appropriée, suffirait pour le faire apparaître. « L’accompagnement induirait la dépendance de l’étudiant en soins infirmiers ».

40Cette allégation, plutôt à connotation négative, recouvrirait un domaine peu avouable. Nous ne pouvons pas exclure que les sujets interviewés aient une vision plus positive de l’accompagnement que ce qu’ils pensent être celle des autres. Les termes de « dépendance, d’assistance, de protection » seraient des réponses composées de cognitions, de croyances, de valeurs, disponibles pour le sujet, mais difficiles à exprimer dans certaines situations sociales. Il nous apparaît plus vraisemblable qu’un effet d’idéal du moi, lié à la prégnance d’une norme institutionnelle fondée sur une idéologie humaniste et pédagogique, amène les sujets à masquer leur position.

41D’autant plus que nous retrouvons dans ce contexte de substitution des termes comme « portage, escorter, diriger » (cf. tableau 2). Dans ces conditions, tout se passe comme si certaines zones du champ de représentation étaient rendues muettes sous l’effet des pressions sociales ou de certaines normes saillantes dans le groupe.

42Dans une formation initiale en soins infirmiers, l’accompagnement est d’abord appréhendé dans ses finalités pédagogiques. L’accompagnement renvoie à l’aide aux apprentissages, à l’explicitation, à l’écoute. Les finalités psychologiques et existentielles de l’accompagnement exprimées en termes de soutien, d’assistance, de protection de l’étudiant en soins infirmiers seraient perçues comme « créant de la dépendance ».

Regard porté sur l’accompagnement par les étudiants en soins infirmiers

43L’analyse Alceste© a fait apparaître cinq classes lexicales distinctes. Tout le discours écrit recueilli a été traité (ce qui représente un taux intéressant de 99,58 %, soit 239 unités de contexte élémentaires sur 240 u.c.e).

44Notre premier degré d’interprétation s’est basé sur une série d’indices apportés par Alceste comme: - Le poids de la classe lexicale à l’égard de l’ensemble du corpus (exprimé en pourcentage).

  • Le Chi carré d’appartenance d’un trait lexical (mot) à une classe.
  • Le vocabulaire spécifique de chaque classe.
  • L’incidence des variables illustratives (signalétiques) projetées sur le plan factoriel.
Les représentations socio-professionnelles de l’accompagnement résument les choix opérés par les étudiants en soins infirmiers. Leurs prises de position s’organisent en trois champs représentationnels autonomes dont les significations ont été synthétisées par les condensés sémantiques suivants:
  • L’accompagnement: une relation paradoxale entre la loi et le lien.
  • La posture du cadre de santé formateur essentiellement perçue comme un éveilleur, un facilitateur, un transmetteur, un mentor.
  • L’orientation plus axée sur le tutorat et la guidance.

Discussion et modélisation de la notion d’accompagnement

45En méthodologie des Sciences Humaines, l’approche triangulaire utilisée par de nombreux auteurs, appelée aussi triangulation est entrevue comme une opération de croisement de deux sources d’informations permettant de comparer leurs données.

46Par analogie, l’interprétation du « Triangle pédagogique » selon J. HOUSSAYE nous permet d’entrevoir une application possible des différentes typologies de l’accompagnement. « Voici que cette « caricature » (qui donne forme en soulignant) s’est mise à fonctionner pour elle-même, permettant à d’autres de la considérer comme un moyen à leur service, moyen qui pouvait éventuellement rendre des services ». [5]

47Ainsi, si nous envisageons cette configuration triangulaire, cela pourrait signifier par exemple:

  • Que la fusion du pôle méthodes et contenus avec le pôle situation socio-professionnelle renvoie le pôle du développement personnel de l’étudiant en soins infirmiers à accepter un temps de faire le mort (en référence au jeu de bridge) ou d’occuper la place du fou (sous entendu, une place insignifiante en référence au bouffon du roi). Quel serait cet accompagnement occultant l’apprenant?
  • Que la fusion du pôle méthodes et contenus avec le pôle développement personnel de l’apprenant met de coté, à l’écart le pôle situation socio-professionnelle. Quel serait dès lors cet accompagnement occultant la formation professionnelle sur le terrain?
Traiter des dimensions de l’accompagnement d’un étudiant en soins infirmiers, dans une formation initiale par alternance, c’est prendre en compte le changement, les modifications, les variations de celui ci. Dans la typologie des changements, J-L. Le MOIGNE, nous précise:

Tableau 3

De l’interprétation des classes lexicales à leur thématisation

Tableau 3
Classes Thèmes des classes (les mondes lexicaux) Thématiques référentielles Classe 1 L’analyse de cette classe de discours nous donne une représentation socio-professionnelle d’un accompagnement ouvert, qui permet à l’étudiant en soins infirmiers d’être écouté, avec un dessein directif qui vise à guider l’étudiant dans son parcours de formation. Le guide et l’idée d’orientation 31 u.c.e (chi2 moyen : 9,59) Cet accompagnement placerait davantage l’étudiant en retrait, derrière celui qui guide et qui transmet le savoir. Dans cette posture de transmetteur, le cadre de santé formateur donne les savoirs et explique ce qu’il faut retenir. La représentation socio-professionnelle de l’accompagnement serait perçue notamment sur son versant relationnel avec l’accueil et l’écoute, tout en acceptant son versant professoral. Classe 2etClasse 3 Les réponses liées à ces deux classes expriment des choix relatifs aux aspects relationnels et pédagogiques de l’accompagnement. Ces deux aspects valorisés dans la pensée «bicéphale» des sujets types de cette classe laissent entrevoir une représentations socioprofessionnelle qui se structure autour d’un accompagnement axé sur : L’éveil relationnel et pédagogique Classe 2 : 47 u.c.e (chi 2 moyen : 7,33) Classe 3 : 45 u.c.e (chi2 moyen : 17,20) • Le développement personnel de l’étudiant en soins infirmiers, le développement de son autonomie de pensée, sa socialisation. • L’aide aux apprentissages (cognitifs, sensori-moteurs, psycho-socio-affectifs). Classe 4 Dans cette classe de discours, le rôle du cadre de santé formateur dans sa mission d’accompagnement est pensé avant tout comme un facilitateur. Cette posture de facilitateur (en termes de tiers, de pivot, de relais, d’assembleur à l’articulation de l’action et de la théorie) s’enrichie d’une représentation socio-professionnelle illustrée par deux autre choix : la posture du mentor et du tuteur. La conjugaison de ces trois postures permettrait à l’apprenant en soins infirmiers de construire son identité, de mettre à distance sa pratique, de discerner son fonctionnement, de percevoir ses ressources, et probablement de partager ses expériences. Une posture originale : le facilitateur 46 u.c.e (chi2 moyen : 15,32) Classe 5 Les représentations socio-professionnelles de l’accompagnement dans cette classe de discours posent la question du scepticisme, de l’opposition, peut-être même du mécontentement de ces sujets types à l’égard des pratiques d’accompagnement de l’étudiant en soins infirmiers dans la formation initiale. Cette classe s’oppose fondamentalement aux quatre autres. L’accompagnement : un paradoxe entre la loi et le lien : 70 u.c.e du corpus (chi2 moyen : 12,16) L’accompagnement ce n’est pas une rencontre au cours de laquelle l’étudiant est accueilli et écouté (X2 : 12,33), ni un temps privilégié d’expression (X2 : 22,58), ni l’établissement d’une relation de confiance entre le cadre de santé formateur et l’étudiant (X2 : 45,92), ni un moyen de mieux se connaître (X2 : 19,87).

De l’interprétation des classes lexicales à leur thématisation

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« Agir, ou intervenir, sur un objet donné c’est affecter sa position dans le temps toujours, puis souvent dans l’espace (le transport ou la transmission) et/ou dans ses formes, dans sa morphologie (la transformation). Faire, agir, traiter, intervenir, fonctionner, changer donc, c’est toujours affecter la position d’au moins un objet dans un référentiel TEF: Temps, Espace, Forme ». [6]

49Même si la modélisation n’est pas chose aisée, nous nous sommes autorisées à utiliser cette triangulation, en introduisant un autre angle prenant en compte la complexité du contexte. Nous avons inscrit notre discussion et la présentation des résultats sous la forme du Tétralogue (en référence à E. MORIN) de l’Accompagnement Pédagogique dans son rapport au Temps, à l’Espace, à la Forme.

  • Le temps (T): Dire que la démarche d’accompagnement agit sur l’objet en affectant sa position dans le temps, c’est énoncer le principe même que le cadre de santé formateur ne peut pas intervenir n’importe quand sur la trajectoire d’apprentissage de l’étudiant en soins infirmiers. Ainsi l’accompagnement s’inscrira dans la durée des études conduisant au diplôme d’état d’infirmier, avec un début et une fin (durée de trois années de formation).
  • L’espace (E) : Dire que tout ce qui détermine l’accompagnement agit sur l’objet en affectant sa position dans l’espace, c’est énoncer le principe même que la démarche d’accompagnement ne peut pas intervenir n’importe où. Cet accompagnement se réalisera au sein d’un Institut de Formation en Soins Infirmiers.
  • La forme (F) : Dire que la démarche d’accompagnement agit sur l’objet en affectant sa position dans ses formes, c’est énoncer le principe même que le cadre de santé formateur ne peut pas intervenir pour n’importe quoi et de n’importe quelle façon au sein de la formation. Son accompagnement s’inscrira dans le cadre d’une formation réalisée en alternance, en tenant compte des trois différents pôles:
    • Le pôle situation socio-professionnelle: les stages sur le terrain.
    • Le pôle développement personnel: l’apprenant.
    • Le pôle cognitif: contenus et méthodes
Ces quatre pôles en interaction permettent par le jeu des logiques « tensionnelles » qu’ils entretiennent de situer les différents modes d’accompagnement pédagogique. Issus de l’interprétation des différentes classes de discours des étudiants en soins infirmiers et des cadres de santé formateurs, cette figure n’est qu’une proposition. L’interaction de ces pôles, dans leur hétérogénéité et leur complémentarité, constitue ensemble cette figure tétralogique dans le référentiel Temps – Espace – Forme, permettant une prise de conscience, ou tout du moins les prémisses d’une modélisation offerte à la critique et à la controverse.

Figure 2

L’accompagnement dans son approche Temps – Espace – Forme

Figure 2

L’accompagnement dans son approche Temps – Espace – Forme

50Le Mode d’Accompagnement Pédagogique transmissif: MAPt (Nord) : s’inscrit dans une logique didactique, à orientation normative. Il intéresse l’apprentissage de l’étudiant au regard de la théorie, et pose la question du « comment il apprend? ». Cet accompagnement est plus centré sur le processus former. Le cadre de santé formateur serait un conférencier. Il est le vecteur de la tradition soignante. Il sait, il transmet, il enseigne quelque chose à l’étudiant.

51L’accompagnement est vu dans son inscription pédagogique, à savoir dans l’existence de normes et de valeurs que les étudiants en soins infirmiers doivent acquérir pour exercer une activité sociale fortement codifiée (le diplôme d’état d’infirmier). Il répond à la question « Que dois-je devenir? Quelles sont mes obligations? ». Le cadre de santé formateur est ici une personne qualifiée possédant la maîtrise des savoirs à transmettre et la didactique de transmission de ces savoirs.

52Le Mode d’Accompagnement Pédagogique appropriatif : MAPa (Est) : s’inscrit dans une logique sociale et expérientielle. Il intéresse la formation professionnelle dans son articulation entre les terrains de stage et le développement personnel de l’étudiant au regard de son vécu expérientiel. Le cadre de santé formateur serait un jardinier. Il souhaite favoriser l’autonomie, l’autoévaluation de l’apprenant en l’aidant à cultiver et à s’approprier sa propre terre.

53L’accompagnement est vu dans son inscription sociale réelle des situations de soins et dans les rapports sociaux qui les circonscrivent. Il répond à la question « Compte tenu de la situation dans laquelle je suis pris et partie prenante avec d’autres: qu’est ce que je peux faire pour transformer cette situation? ». C’est l’étudiant lui-même, qui s’explique les difficultés rencontrées avec l’aide d’une mise en situation décodée par le cadre de santé formateur. Le cadre de santé formateur est ici un jardinier qui souhaite favoriser l’auto–évaluation et l’auto-transformation en stimulant les potentialités sociales et expérientielles de l’apprenant

54Le Mode d’Accompagnement Pédagogique dialogique: MAPd (Ouest): s’inscrit dans une logique psychologique et existentielle, à orientation personnelle. Il intéresse le développement personnel de l’étudiant en soins infirmiers en tenant compte de son apprentissage sur les terrains de stage, et au sein de l’Institut de Formation. Le cadre de santé formateur serait un éveilleur[7]. Il prend en compte l’apprenant en l’aidant à développer la prise de conscience qu’il a de lui-même, ses valeurs et ses modes de fonctionnement émotionnel, affectif, et intellectuel.

55Cet accompagnement s’inscrit dans une activité communicationnelle, dans l’interaction, dans l’intercompréhension. L’accompagnement est vu sous l’incitation quasi socratique à se connaître soi-même. Il répond à la question « qui suis-je et que puis-je être? ». C’est l’étudiant lui-même, par démarche réflexive, par introspection, par la confrontation aux autres, qui se construit et construit son propre savoir. Le cadre de santé formateur est ici un éveilleur qui favorise l’expression et la communication, en stimulant les potentialités existentielles, psychologiques et culturelles de l’apprenant.

56L’accompagnement dans sa visée éthique et anthropologique (Sud) : s’inscrit dans une finalité en termes de « Accompagnement Pédagogique Personnalisé », de but à atteindre, à savoir la professionnalisation de l’étudiant en soins infirmiers. C’est probablement le temps fort de l’accompagnement autour duquel convergent tous les autres modes d’accompagnement pédagogique.

Conclusion

57Pour le cadre de santé formateur (anciennement infirmier), la représentation du terme « accompagnement » et la représentation du terme « soigner » utilisent le même appareil de notions (« écoute », « centration sur la personne », « démarche relationnelle », « assistance », « aide »…).

58Tout ce qui va dans le sens d’un « prendre soin » pédagogique de l’étudiant en soins infirmiers, va dans le sens d’un « prendre soin » de la personne soignée. Nul ne conteste, cette réalité. Tout se passerait comme si, les deux représentations seraient construites à partir de ressources cognitives appartenant à un même héritage, de valeurs et de croyances.

59« Ce dont l’homme a besoin, ce n’est pas seulement d’un indispensable discernement des questions ultimes, mais également du sens de ce qui est faisable, possible, approprié au moment présent ». [8] Plus concrètement, il s’agit là de s’inscrire dans une démarche d’engagement dans un questionnement sur le sens de cet accompagnement, pour les uns et pour les autres. Parvenu, au stade de cet article, que pouvons nous écrire?

  • Nous avons effectivement constaté dans l’analyse lexicale des deux recueils de données des similitudes dans les représentations socio-professionnelles et professionnelles. Ces convergences articulées autour de deux pôles (relationnel et apprentissage) se confirment.
  • Le protocole de recherche de la « Zone muette » a mis en évidence des éléments dormants sous les notions de « dépendance », « assistance », « soutien », « démarche relationnelle ». Ces cadres de santé formateurs parlent-ils d’accompagnement ou de prendre soin?
  • Les étudiants en soins infirmiers de troisième année perçoivent l’accompagnement dans son inscription institutionnelle comme un obligation.
Ne faut-il pas dès lors interroger la progression du dispositif de formation accompagnante mis en place sur les trois années de formation, ou bien interroger la posture, voire la professionnalité des acteurs qui assurent cet accompagnement?

60Au XIVe siècle, le mot soigner trouve son origine dans le bas latin « soniare » procurer, fournir, le francique « sunnjön » s’occuper de, et l’ancien saxon « sunnea » le soin. Au XVIe siècle, l’expression « Prendre soin » signifie: songer à, occuper son esprit par…

61En plongeant dans cette recherche étymologique, nous découvrons le lien unissant le mot « soigner » au mot « manque ». Les soins infirmiers trouvent leur essence dans la formulation de cette question : quel est le manque le plus fondamental pour l’homme?

62Probablement ce manque à vivre en tant qu’homme, ou pour reprendre une expression de B. SPINOZA [9] en comblant ce manque en désirant, en persévérant et en s’accomplissant dans l’existence. Cette notion philosophique de persévération [10], seul ou ensemble dans l’existence, explique les perspectives particulières et singulières d’un « prendre soin » de l’homme. Dans cet effort de persévération, se lit un élément fondamental, à savoir la conversion du désir dans la réflexion.

63Dans le matériel discursif recueilli auprès des cadres de santé formateurs et des étudiants en soins infirmiers dans le cadre de notre étude, nous retrouvons la signification très prégnante, voire homogène, d’un accompagnement non disjoint d’un « prendre soin pédagogique ».

64Dans leurs activités pédagogiques, ces cadres de santé formateurs, mettent en avant, sous une apparence déguisée, un aspect du « prendre soin », dans des activités d’aide, de conseil, de formalisation, d’accompagnement. Dans cette pensée professionnelle, se dessine une approche bipolaire. L’une, centrée sur le désir et la volonté de prendre soin de l’apprenant dans une visée humaniste et existentialiste. L’autre, centrée sur la réflexion, la prise de distance, l’opérationnalisation pédagogique, dans une visée didactique et transmissive.

65Cet accompagnement, tout comme le « prendre soin », s’inscrit dans une démarche casuistique [11], impliquant une prise en compte holistique de l’apprenant, dans son processus d’évolution et de maturation.

Bibliographie

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  • SAINT-JEAN M., Le bilan de compétences. Des caractéristiques individuelles à l’accompagnement de l’implication dans le projet, Paris, L’Harmattan, coll. Logiques sociales, 2002.

Mots-clés éditeurs : accompagnement, modélisation, formation en soins infirmiers, représentations sociales, pédagogie de l'alternance, complexité

Date de mise en ligne : 11/01/2014

https://doi.org/10.3917/rsi.092.0095

Notes

  • [1]
    MORIN, E., Introduction à la pensée complexe, Paris, ESF, 1992, 4e de couverture.
  • [2]
    Si l’inné, l’innéisme, l’innéité sont issus du latin « innatus », né dans, l’innéisme affirme contre l’empirisme l’existence et le rôle des idées antérieures. Dans les discours informels, riches d’enseignement sur la construction du « sens commun », il n’est pas rare d’entendre auprès des cadres de santé formateurs, que l’accompagnement pédagogique relève du don, de l’innéisme. Par ailleurs, il est assez fréquent d’entendre également que cet accompagnement se construit par touches successives, sur les expériences et l’immersion dans le milieu. Cette controverse épistémologique, où la connaissance issue de l’expérience s’oppose à l’existence des idées innées antérieures à toute expérience (et inversement) préfigure probablement des débats passionnants, dans une mouvance sociétale portée par la reconnaissance de la formation en soins infirmiers en L.M.D.
  • [3]
    SAINT-JEAN M., Le bilan de compétences. Des caractéristiques individuelles à l’accompagnement de l’implication dans le projet, Paris, L’Harmattan, coll. Logiques sociales, 2002, p. 81
  • [4]
    BOUTINET J-P., « Repères anthropologiques », in Accompagner, une idée neuve en éducation, Les cahiers pédagogiques, n° 393, avril 2001, pp. 11-13.
  • [5]
    HOUSSAYE, J., « Le triangle pédagogique », in Carrefour de l’éducation, n° 7, 1999, pp. 2-6, p. 3.
  • [6]
    LE MOIGNE, J-L., La théorie du système général, théorie de la modélisation, Paris, PUF, 1984 (2e éd.), pp. 90-91.
  • [7]
    Le terme éveilleur peut être entendu ici dans la parole métaphorique de R. CHAR, (1983), Feuillets d’Hypnos, 51, p. 187: « L’arracher à sa terre d’origine. Le replanter dans le sol présumé harmonieux de l’avenir, compte tenu d’un succès inachevé. Lui faire toucher le progrès sensoriellement. Voilà le secret de mon habileté ». En définitive, la loi institutrice de ce type de posture, la loi que nous pouvons lire au plus profond de l’éveil, c’est précisément de reconnaître la présence, la différence et l’équivalence d’autrui pour l’accompagner et favoriser son autonomie. C’est probablement cultiver, jour après jour, la rencontre du « je » et d’un « il » ou d’un « elle », pour l’aider à découvrir au fond même de son humanité (ses sédiments), la lecture nouvelle de ses valeurs, de ses croyances, de ses représentations, de ses pré-requis, de sa liberté, de ses manques (sa propre terre), pour naître à l’avenir (son projet).
  • [8]
    GADAMER, H.G., Vérité et méthode. Les grandes lignes d’une herméneutique philosophique, Paris, Seuil, 1976, cit., p. 19.
  • [9]
    SPINOZA, B., Éthique. Troisième partie. Définition des sentiments, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de La Pléiade », 1954, pp. 525-526.
  • [10]
    Avec Spinoza, le désir s’affirme non pas comme puissance de mort et de négation, mais comme puissance de vie et effort perpétuel de vivre: c’est le conatus. « Chaque chose, autant qu’il est en elle, s’efforce [conatur] de persévérer dans son être » (Spinoza, Éthique, III, prop. 6). Une des pièces maîtresse de l’édifice spinozien est cette idée que tout homme tend à persévérer dans son être, dans un effort constant, singulier et unique pour jouir de l’être.
  • [11]
    Au cas par cas.

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