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Article de revue

L’expérimentation EDNA : la méthode IOD au service de l’intégration professionnelle des étrangers primo-arrivants en France

Pages 75 à 78

1L’accès à l’emploi est une condition indispensable pour pouvoir disposer de ressources propres, accéder à un logement, mieux s’insérer dans la société et vivre en toute autonomie. Les étrangers primo-arrivants sont confrontés à de multiples blocages et contraintes à l’abord de l’emploi, que leur seul ressort personnel ou les dispositifs de droit commun peuvent difficilement permettre de dépasser. On ne peut d’ailleurs ramener ces contraintes au seul déficit d’emplois ou à des écarts de compétences, compte tenu notamment d’un fonctionnement du marché du travail particulièrement sélectif à l’encontre de cette catégorie de public. Dès lors, la nécessité se fait jour d’une démarche plus interventionniste sur le fonctionnement du marché du travail, capable d’impliquer les employeurs et les entreprises locales.

La méthode IOD, un constat général sur le marché du travail et les solutions à apporter aux problématiques d’emploi

2Depuis les années 1990, Transfer, une association bordelaise, s’est spécialisée dans l’accès à l’insertion professionnelle des publics en situation de précarité. Elle s’est construite sur une idée forte : « personne n’est inemployable ». Ce principe est inspiré par la psychologie sociale : il implique que l’individu n’est pas regardé comme responsable de la crise du chômage et que la réponse aux problématiques d’emploi actuelles passe par une approche systémique.

3Avancer l’idée que les raisons principales de l’exclusion du marché du travail sont à rechercher dans le déficit de compétences nécessaires aux secteurs dits en tension nous paraît erroné. La réponse institutionnelle qui propose d’axer tous les efforts sur la formation individuelle des demandeurs d’emploi afin de répondre aux besoins dudit marché du travail semble insuffisante pour résoudre une problématique complexe, comme le souligne Denis Castra (2003).

4Cette approche repose principalement sur l’observation et l’analyse de mécanismes qui parasitent le jugement des différents acteurs. Ces erreurs sont probablement issues d’un biais bien connu en psychologie sociale sous l’expression d’« erreur fondamentale d’attribution » ; elles exacerbent une vision des causes du chômage comme étant dispositionnelles, et empêchant donc de les percevoir comme situationnelles (Castra et Pascual, 2003). La conséquence de ce biais est d’enfermer l’ensemble des acteurs dans un schéma qui ne répond pas à leurs besoins. Du côté du demandeur d’emploi, fragilisé par son statut de précaire, le maintien dans une position éloignée du marché du travail devient quasi inévitable. Du côté de l’entreprise, la situation les maintient dans une difficulté de recrutement tant pour trouver de nouveaux collaborateurs que pour les garder. On peut aller jusqu’à parler de « l’embarras des recruteurs » (Marchal, 2015), qui ne semblent pas trouver une solution efficace pour répondre à une situation de besoin, allant parfois jusqu’à utiliser certaines pratiques contre-productives comme le « test par CDD » (Vallée et Pascual, 2012).

La méthode IOD, une nouvelle situation de rencontre entre des acteurs éloignés

5L’enjeu premier pour aider à répondre à la problématique du chômage, et plus précisément du chômage de longue durée, est de faciliter la rencontre d’acteurs réputés comme distants. Le poids des mauvaises réputations associées aux demandeurs d’emploi (Herman et Bourguignon, 2005), a fortiori lorsqu’ils sont identifiés comme « étrangers », suppose de contourner des représentations qui évincent trop souvent ces publics des processus de recrutement, empêchant de fait leur rencontre avec des employeurs potentiels.

6La réduction des pratiques jugées discriminantes appelle ainsi à réformer notre manière d’accompagner les publics considérés. La relation entre le conseiller et le demandeur d’emploi implique trop souvent un jeu de soumission à l’autorité (Bajoit, 1992), du fait de la position asymétrique qui s’instaure. Le demandeur d’emploi devient l’agent d’un système d’insertion qui, potentiellement, pourra le garder captif. Il est davantage engagé envers les conseils que lui formule l’agent d’insertion pour réaliser sa recherche d’emploi qu’envers l’emploi lui-même. La recherche d’une méthodologie plus efficace sur le long terme s’inspire de « la théorie de l’engagement », comme proposé par Castra et Pascual (2003).

7Dans ce cadre, le concept de choix est essentiel pour permettre à l’individu de se positionner au regard des solutions qui vont le faire avancer vers et dans son insertion. La posture de l’acteur qu’est le conseiller devient donc majeure dans sa capacité à proposer plusieurs voies qui faciliteront l’engagement des demandeurs d’emploi (Pascual, 2006) ; la liberté de choisir son avenir professionnel, s’opposant à la notion parfois bloquante de projet, passe par une recherche d’ouverture (et non de délimitation) du champ des possibles.

8Afin d’offrir ce choix, il est nécessaire de mobiliser les employeurs potentiels, les aider à formaliser leurs besoins pour leur donner corps, cela allant même jusqu’à leur permettre de revisiter leurs pratiques de gestion des ressources humaines. Bien souvent, les TPE/PME, qui représentent la majorité du tissu économique français, n’y sont pas formées, alors qu’elles sont en forte demande de conseils sur ces questions souvent délaissées. La question de l’ « employeurabilité » devient centrale pour comprendre les acteurs des entreprises et interroger la place d’une « médiation ciblée sur la fonction Employeur » (Duclos, 2007). En posant ces deux logiques d’action conjointement, il est plus sensé d’organiser une rencontre entre ces acteurs que de chercher à doter chacun d’eux des outils supposés favoriser leur rapprochement.

9Les acteurs de la méthode IOD sont donc des médiateurs entre deux populations réputées éloignées : les publics dits précaires et les entreprises. Leur compétence à accompagner différentes cultures, notamment les cultures d’entreprise, les placent dans la position de médiateurs interculturels. Cette approche, en effet, permet de créer « un espace commun de communication et d’intercompréhension, c’est-à-dire une culture tierce » (Plivard, 2010).

EDNA, une innovation s’inscrivant dans la continuité de la logique IOD

10C’est dans ce cadre que, chaque année, de nombreux conseillers sont formés (en situation de travail, la majorité du temps) par l’équipe de formateurs consultants de Transfer, afin de développer et d’éprouver la méthode IOD. D’abord pensée pour accompagner des jeunes sous-main de justice, puis améliorée pour répondre aux problématiques des publics précaires de manière plus globale, elle est aujourd’hui essaimée dans toute la France au profit d’un ensemble de personnes réputées « éloignées de l’emploi » (BRSA, jeunes sans diplôme…).

11En 2016, au Mans, l’association Le Relais emploi, partenaire historique de Transfer, a été encouragée par la direction départementale de la cohésion sociale (DDCS) de la Sarthe à mettre en place une première action dédiée aux réfugiés primo-arrivants dans le cadre d’une expérimentation visant à créer une synergie entre le dispositif Français langue étrangère (FLE) et l’accès à l’emploi. Les résultats de cette action se sont révélés particulièrement concluants : sur 65 personnes entrées dans l’action, 20 ont validé un emploi durable, 20 ont décroché un contrat court (moins de 6 mois) et 15 en sont sorties en bénéficiant d’une autre solution professionnelle (formation, IAE…). C’est le point de départ d’une expérimentation à plus grande échelle : EDNA (Emploi durable pour les nouveaux arrivants). Ce projet d’envergure nationale sera finalement porté par Transfer qui, grâce à son réseau national, a la capacité organisationnelle de développer rapidement son action sur des territoires particulièrement concernés par l’arrivée de primo-arrivants signataires du CIR (Contrat d’intégration républicaine). L’action est co-financée par le ministère de l’Intérieur sur la ligne BOP 104 et par le FAMI (Fonds Asile Migration Intégration).

12Cinq structures du réseau Transer-IOD, rodées à la mise en œuvre d’opérations IOD, sont associées à Transfer pour mettre en œuvre le projet par le biais de 8 équipes (constituées de 1 à 3 chargés de mission) réunissant au total 19 chargés de mission, dans 8 villes au sein de 4 régions.

tableau im3

13Le projet concerne les ressortissants issus d’un pays tiers à l’Union européenne et autorisés à séjourner régulièrement sur le territoire, et qui présents sur le territoire national depuis moins de cinq ans souhaitent s’installer durablement en France.

14L’expérimentation a démarré le 1er mai 2019 dans sa phase préparatoire et le 26 août 2019 dans sa phase opérationnelle. Elle perdurera au moins jusqu’au 31 décembre 2021.

15Des coopérations fonctionnelles avec l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) et les DDCS sont en place, tant pour l’orientation des publics que pour la mobilisation des acteurs et des ressources locales utiles au bon déroulement du projet.

16La première année d’expérimentation a permis d’éprouver le modèle d’intervention, avec pour objectif d’accompagner 140 étrangers primo-arrivants, pour en capitaliser les réussites et les éventuels ajustements. La seconde année vise à amplifier les réalisations en étendant les capacités d’accompagnement des parties prenantes à 703 étrangers primo-arrivants.

17Sur le plan des objectifs en termes de résultats bénéfiques pour les ressortissants, le projet ambitionne que :

  • 50 % maximum de BPI soient intégrés ;
  • 50 % des personnes quittent le dispositif en « sortie positive » ;
  • 60 % accèdent à l’emploi durant l’action ;
  • 70 % bénéficient de mises en relation avec des entreprises ;
  • 80 % se voient proposer des offres d’emploi.

EDNA : la médiation active pour faire émerger l’expérience, et faciliter et améliorer l’intégration en entreprise des publics migrants

18Comme toute action IOD, l’expérimentation EDNA est pensée autour de trois axes :

  • Un soutien à la recherche d’emploi avec la proposition, dès l’accueil et tout au long de l’accompagnement, d’opportunités locales d’emploi ;
  • La mobilisation des entreprises recruteuses, ce qui nécessite l’identification de leurs besoins, l’animation de collaborations, l’évaluation et la reformulation éventuelle des postes de travail ;
  • Un soutien en matière de recrutement et d’intégration dans l’emploi s’adressant aux participants et aux entreprises ; un appui allant de la mise en relation des candidats avec les recruteurs jusqu’à la sécurisation de l’intégration durable.

19L’ensemble de ces axes s’articulent autour de la médiation active, permettant au conseiller de mener les participants directement à l’emploi, de lever les freins identifiés en cours de période d’emploi et de viser une intégration durable sur le marché du travail.

20Afin de mener une démarche d’évaluation simple et fiable de l’expérimentation EDNA, nos partenaires sont dotés d’un progiciel de gestion de l’activité de leurs équipes conçu et développé par Transfer et spécifiquement adapté à l’action. Ce dernier enregistre les données relatives aux actions des chargés de mission (rencontres avec les bénéficiaires, les entreprises, les partenaires). Cela permet de rendre compte et d’analyser l’activité des équipes et leur environnement, ainsi que d’établir des statistiques sur leur efficacité. Mesurer les résultats produits au regard des objectifs fixés permet d’améliorer la qualité des interventions, à travers la compréhension de leurs modalités de réalisation.

21Quelques résultats, seize mois après le lancement de l’action :

  • 457 personnes ont été intégrées dans le dispositif ;
  • 369 personnes mises en relation, dont 97 dans les 15 premiers jours d’accompagnement ;
  • 266 démarrages de contrats ;
  • 123 sorties positives sur 185 personnes ayant quitté le dispositif, soit un taux de réussite de 66 %.

22Ces résultats sont positifs et démontrent l’impact de l’approche retenue, tant auprès des personnes primo-arrivantes en recherche d’un emploi que des entreprises qui éprouvent des difficultés à recruter et à pérenniser les titulaires des postes. Ces chiffres apportent un argument supplémentaire en faveur d’une approche systémique de « Work First » (Foschia, 2019), y compris pour un public migrant. Les entreprises continuent d’apporter des témoignages de satisfaction, tenant notamment au fait que les services EDNA répondent à leurs problématiques RH préalablement à leur mise en relation avec nos publics.

Premières conclusions et perspectives

23L’expérimentation n’a pas joui d’un contexte économique pleinement favorable, ayant démarré quelques mois seulement avant le premier confinement lié à la pandémie de Covid-19 du printemps 2020. Cependant, les équipes de chargés de mission n’ont jamais cessé leur activité, intervenant à distance. Ils ont continué à soutenir les entreprises dans leurs recrutements et à aider les primo-arrivants à entrer en relation avec ces dernières et signer des contrats. Les résultats sont donc partiels et resteront à consolider. Mais trois leçons principales peuvent déjà être tirées de l’expérimentation EDNA après seize mois d’activité :

  • La maîtrise de la langue n’est pas un frein au démarrage d’un contrat. Elle le devient si elle n’est pas considérée comme une compétence à part entière à développer en situation de travail pendant la période d’essai. Le maintien dans l’emploi est souvent conditionné par une capacité non seulement à faire mais aussi à dire ce que l’on fait, et comment on le fait. Si le salarié n’est pas en mesure d’expliquer les déroulés et les dysfonctionnements de son activité, la collaboration avec ses supérieurs hiérarchiques et ses pairs sera, assez rapidement, compliquée et ne lui permettra pas de progresser aussi favorablement que souhaité. Ce « frein » est souvent perçu comme inhérent aux personnes dont la langue maternelle n’est pas celle utilisée en situation de travail. Notre expérience nous prouve pourtant que nombreux sont les salariés dont le français est la langue maternelle et qui pourtant rencontrent des difficultés à « dire le travail ».
  • Les contrats ont plus de chances de se maintenir durablement si la maîtrise du français en situation de travail est au cœur du plan d’intégration que le chargé de mission IOD négocie avec l’entreprise et dont il en suit la mise en œuvre, en situation, chaque semaine, pendant toute la durée de la période d’essai.
  • Rien n’empêche la mise en emploi directe dès lors que l’ensemble des acteurs sont pris en compte au regard de leurs capacités, leur expérience, leurs envies et leurs enjeux. Il nous reste à progresser sur de nombreux sujets, comme la tendance de certains migrants à ne pas se positionner d’emblée sur un contrat durable (crainte d’être « enfermé » ou besoin de mieux appréhender la culture de l’entreprise ?). Même dans un contexte économique dégradé et en dépit des contraintes auxquelles le public primo-arrivant dit « fragile » doit faire face, l’expérimentation EDNA laisse entrevoir malgré tout que « personne n’est inemployable ».

Bibliographie

  • BAJOIT G. (1992), « Chapitre V : de la privation à la frustration », dans BAJOIT G., Pour une sociologie relationnelle, Presses universitaires de France, pp. 117-143.
  • BOURGUIGNON D. & HERMAN G. (2005), « La stigmatisation des personnes sans emploi : conséquences psychologiques et stratégies de défense de soi », Recherches sociologiques 1, pp. 53-78.
  • CASTRA D. (2003), L’insertion professionnelle des publics précaires, Paris, Presses universitaires de France.
  • DUCLOS L. (2007), « L’entrepreneur ne fait pas l’employeur : qu’est-ce qui définit l’‟employeurabilité” ? », Metis, n°6.
  • FOSCHIA O. (2019), « À contrepied de l’employabilité : insérer pour former », Éducation permanente, n°220-221.
  • MARCHAL E. (2015), Les embarras des recruteurs. Enquête sur le marché du travail, Paris, Éditions de l’EHESS.
  • PASCUAL A., CASTRA D. & GUEGUEN N. (2006), « L’impact des conditions de choix d’un emploi sur l’insertion professionnelle de publics ‟précaires” : une application de la théorie de l’engagement », Psychologie du travail et des organisations, n°12, pp. 21-28.
  • PASCUAL A. & VALLÉE B. (2012), « Le test par CDD comme frein au fonctionnement des entreprises », Psychologie du travail et des organisations, n°18, pp. 291-303.
  • PLIVARD I. (2010), « La pratique de la médiation interculturelle au regard des populations migrantes et issues de l’immigration », Connexions, n°93(1), pp. 23-38.

Date de mise en ligne : 30/04/2021

https://doi.org/10.3917/rindu1.212.0075

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