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Article de revue

Quels fondements pour construire des politiques de l’Anthropocène ?

Pages 83 à 94

Notes

  • [1]
    Richard Dawkins, The Selfish Gene, Oxford, Oxford University Press, 1976.
  • [2]
    Juval Noah Harari dans Homo deus. Une brève histoire de l'avenir, trad. fr. Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, Albin Michel, 2017.
  • [3]
    Isabelle Delannoy, L'économie symbiotique, Paris, Actes Sud, 2017.
  • [4]
    Christian Arnsperger et Dominique Bourg, Écologie intégrale ­ Pour une société permacirculaire, Paris, PUF, 2017.
  • [5]
    Dominique Bourg (dir.), Inventer la démocratie du XXIe siècle ­ L'Assemblée citoyenne du futur, Paris, Les liens qui libèrent, 2017.
  • [6]
    Pascale Dufour, « Politique de la rue contre politique des urnes ? Le mouvement étudiant québécois du printemps 2012 et la question de la représentation politique », Savoir/Agir, vol. 22, no 4, 2012, p. 33-41.
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Quels fondements pour construire des politiques de l’Anthropocène ?

1. Introduction

1 « Je ne comprends pas, comment, après la conférence de Paris, après un diagnostic imparable, ce sujet [l'écologie] est toujours relégué dans les dernières priorités. » Ces mots, prononcés par Nicolas Hulot dans son discours de démission sur France Inter le 28 août 2018, montrent l'impasse dans laquelle se trouve le politique pour penser des politiques de l'Anthropocène et le besoin d'une analyse en sciences sociales pour comprendre les freins et les accélérateurs des transitions énergétique et écologique. Le constat porté par les sciences de l'environnement sur les dégradations écologiques anthropiques majeures conduisant à la mise en lumière de l'Anthropocène est maintenant bien étayé. La place des sciences humaines et sociales devient dès lors prépondérante pour comprendre les phénomènes humains, sociaux, économiques et territoriaux associés et pour accompagner les transitions nécessaires.

2 Cependant, la posture de la science économique moderne, dans sa volonté hégémonique en sciences sociales, se base sur deux constructions intellectuelles qui s'accommodent peu d'une vie en Anthropocène. La première, anthropologique, repose sur le concept d'Homo Œconomicus, celui d'un humain centré sur lui-même et avec une capacité de calcul rationnel infini. La seconde, sociale, se base sur la philosophie utilitariste et conçoit le bien dans une société comme le résultat d'une simple agrégation des comportements individuels. Or, la plongée en Anthropocène oblige les sciences sociales en général, et la science politique en particulier, à rechercher d'autres représentations susceptibles d'offrir une échappatoire pour l'humanité dans le contexte de changements globaux propres à l'ère de l'Anthropocène. Il s'agit alors d'affiner le constat sur la situation actuelle et d'identifier les solutions pour mettre en  uvre les transitions écologique et énergétique dans un horizon proche.

3 Deux enjeux sont alors mis en évidence : celui d'identifier l'anthropologie capable de penser les décisions humaines dans ce contexte de

4 changements globaux, et celui d'analyser, dans une dimension plus politique, les forces en présence et de comprendre la difficile prise de décision dans nos sociétés modernes en faveur de la préservation de la planète. Loin d'être antinomique, ces éléments peuvent s'avérer complémentaires pour comprendre la crise dans laquelle nous nous trouvons. Dans son discours de démission, Nicolas Hulot les place au même plan en blâmant tantôt l'immobilisme des populations : « Ai-je une société structurée qui descend dans la rue pour défendre la biodiversité ? », tantôt la prise de décision biaisée en faveur de certains groupes, non favorables à la préservation de la biodiversité : « C'est un problème de démocratie. Qui a le pouvoir ? Qui gouverne ? »

5 Les ouvrages contemporains en sciences sociales importants pour comprendre le politique en Anthropocène s'astreignent à réinterroger la nature de l'Homme et la nature des sociétés humaines dans ce nouveau contexte anthropocénique. Pour étayer notre propos, nous nous appuyons sur une sélection d'ouvrages francophones pluridisciplinaires récents (2017 ou 2018) apportant des regards nouveaux sur l'homme et/ou la société en Anthropocène : L'Anthropocène contre l'histoire ­ Le réchauffement climatique à l'ère du capital, du géographe suédois Andréas Malm (La Fabrique Éditions, 2017) ; Homo natura ­ En harmonie avec le vivant, de la juriste Valérie Cabanes (Buchet-Castel, 2017) ; L'entraide, l'autre loi de la jungle des biologistes Pablo Servigne et Gauthier Chapelle (Les liens qui libèrent, 2017) ; L'homme, une espèce déboussolée ­ Anthropologie générale à l'âge de l'écologie de l'anthropologue François Flahault (Fayard, 2018) ; Écologie intégrale ­ Pour une société permacirculaire, de l'économiste Christian Arnsperger et du philosophe Dominique Bourg (PUF, 2017) ; Inventer la démocratie du XXIe siècle ­ L'Assemblée citoyenne du futur, écrit par un collectif d'auteurs et conduit par Dominique Bourg (Les liens qui libèrent, 2017).

2. L'échelle pertinente de l'Anthropocène : Humains versus sociétés modernes

6 Un ouvrage récent, celui d'Andreas Malm, pose frontalement la question de l'échelle pertinente pour l'Anthropocène entre celle de l'humain ­ est-il dans la nature de l'homme d'aboutir à l'Anthropocène ? ­ ou celle du développement capitaliste récent en Occident. Ce n'est pas du point de vue des géosciences mais des sciences humaines, singulièrement d'une géographie nourrie d'histoire, qu'il déploie une analyse très critique du concept d'Anthropocène qu'il juge un mot englobant. Il fait l'histoire de l'industrialisation naissante (1830) dans ses liens avec l'utilisation de l'énergie fossile, et plus particulièrement le charbon, montrant le rôle décisif que l'Angleterre, et avec elle l'empire colonial anglais, ont pu jouer dans la généralisation de l'utilisation et bientôt de l'addiction aux énergies fossiles.

7 Titre et sous-titre donnent les clés de lecture de l'ouvrage. Le titre tout d'abord, L'Anthropocène contre l'histoire, définit une ambition épistémologique : quelle est la bonne échelle pour lire les effets de l'activité humaine sur le changement climatique ? Il démonte le semblant de continuité et la téléologie implicite selon laquelle il y aurait dans l'histoire de l'humanité une même posture, sans différence de nature ou saut qualitatif, allant de la maîtrise du feu à la transformation de l'énergie fossile par combustion en force de travail. Il démontre que cette continuité supposée ne résiste pas à l'analyse critique de l'histoire. Au grand récit anthropocène, jugé englobant et abstrait, il oppose des récits relocalisés et resitués historiquement. Il y apparaît alors que le moteur de l'histoire de l'industrie thermique est une lutte pour obtenir une force de travail peu onéreuse. La bonne échelle pour lire la responsabilité anthropique ne serait donc pas l'espèce humaine ou anthropos, mais les peuples, et au sein de ceux-ci, des classes. Le sous-titre, Le réchauffement climatique à l'ère du capital, quant à lui, précise l'ambition critique de l'ouvrage. Il conviendrait, contre l'Anthropocène, de parler de Capitalocène. Le premier concept, trop large, émousserait la pointe de la critique en créant un nouveau destin par la naturalisation de l'enjeu, et en suggérant que c'est l'humanité toute entière qui serait responsable de la crise climatique, ce qui diluerait les responsabilités en obérant le fait qu'une part substantielle de l'humanité ne participe pas à l'économie fossile. L'Anthropocène, au lieu de servir une prise de conscience, tétaniserait et paralyserait l'action en interdisant d'identifier des leviers pour un changement possible ou une alternative. Il importe donc d'identifier où se connectent injustices environnementales et injustices sociales en vue de les dépasser. Il apparaît alors que le changement climatique engage des antagonismes entre humains, et non pas une gigantomachie opposant la nature et l'histoire humaine. Ce point est un élément nouveau dans les sciences sociales : la question de la responsabilité est convoquée pour aborder l'Anthropocène qui ne se réduit plus à une approche géologique.

8 Andreas Malm engage dans cet ouvrage un procès du concept d'Anthropocène dans une perspective d'économie politique, de sorte que, pour cet auteur, le concept ou la notion d'Anthropocène ne trouve aucunement grâce à ses yeux. Il l'écrit explicitement : « une histoire de l'économie fossile doit être militante... et viser le capital fossile. (...) Et cet ennemi n'a pas cessé de vaincre. » (p. 56). Ce travail est donc résolument écocritique, très inspiré par la référence aux théoriciens de l'École de Francfort ou hégélianisme de gauche ­ tout particulièrement la figure de Walter Benjamin. Le propos ne sert pas à la production d'une expertise relative au changement climatique, la préparation d'un projet de réforme du pilotage de la mondialisation, mais la révolution contre elle et ses formes nouvelles de domination. En ce sens, Andreas Malm contribue à enrichir cette tradition de philosophie de l'émancipation qui a très tardivement pris en considération les injustices environnementales parce qu'elle a privilégié la lutte contre les injustices sociales.

9 La thèse de l'ouvrage est forte, mais en démontrant les limites du concept d'Anthropocène, il en néglige la portée heuristique et la fécondité pour unifier des problèmes. Cette réflexion a dans tous les cas le profond mérite de nous questionner frontalement sur la pertinence du terme d'Anthropocène face à la place des sociétés industrielles dans ce changement. Elle questionne peu, en revanche, les anthropologies pouvant sous-tendre la pertinence du récit de l'Anthropocène et les solutions pour en sortir.

3. Quelle humanité en Anthropocène : par-delà l'homo  conomicus

10 Des ouvrages récents questionnent l'hypothèse de l'homo  conomicus et proposent d'identifier d'autres anthropologies pour penser l'humain en Anthropocène. Des anthropologies basées sur l'idée d'Homo natura (Valérie Cabanes, 2017), d'humain inscrit dans une société et dans la nature (François Flahault, 2018), mais aussi d'humain capable d'entraide et pas uniquement de compétition (Pablo Servigne et Gauthier Chapelle, 2017) sont ainsi identifiés.

3.1. Réinterpréter l'anthropologie précapitaliste : des enseignements pour dépasser l'Homo Œconomicus ?

11 Dans son ouvrage Homo natura. En harmonie avec le vivant, Valérie Cabanes montre que l'humanité a évolué et prospéré en lien avec la nature pendant des millénaires. Pourtant, à l'heure actuelle, elle vit de plus en plus comme coupée du reste du vivant. L'ouvrage propose la construction d'un nouveau contrat naturel, pour que l'humanité retrouve son rôle perdu de gardien de la nature. L'homo natura ne peut ressusciter sans revoir notre rapport à la nature et à son droit d'exister, mais aussi sans reconsidérer la question de la propriété ou encore de la souveraineté des États. C'est à ce prix que les générations futures pourraient bénéficier d'une nature préservée et d'une Terre vivable.

12 Pour Valérie Cabanes, l'adaptation des sociétés humaines aux changements climatiques peut s'inspirer de l'expérience et des savoirs des peuples premiers. Par analogie avec les expériences passées, un chemin possible de l'adaptation est tracé, chemin qui passe par le rétablissement de relations fortes avec le vivant sous toutes ses formes. La préservation de valeurs essentielles pour le maintien d'une organisation sociale comme la bienveillance, le partage ou encore la solidarité, est aussi source de paix et d'épanouissement pour la communauté de justice élargie aux non-humains. Pour l'autrice, la clé de cette harmonie avec la nature réside dans la gestion communautaire et le respect de règles universelles.

13 Cette proposition repose sur une hypothèse forte qui énonce l'impossibilité de garantir les droits humains fondamentaux sans que la nature soit dans un état sain et donc qu'elle puisse revendiquer elle aussi des droits. Le principe d'interdépendance qui nous relie à d'autres espèces est ici essentiel. Pourtant, le système juridique occidental et ses modes de gouvernance se sont développés en considérant des éléments dépourvus de toute interdépendance, totalement coupés du réel et d'une approche de nature systémique. Cette totale indépendance de l'évolution des éléments de la nature s'est traduite par une catégorisation des espèces avec en haut de la pyramide l'une d'elle, dotée des pleins pouvoirs : l'espèce humaine. D'un point de vue philosophique, c'est une vision anthropocentrée qui a dominé et a conduit à la dégradation et à la surexploitation de la nature. Quitter cette vision, c'est reconnaître la nécessaire bienveillance à l'égard de toute forme de vie, descendre de son piédestal et se reconnaître comme une partie de la nature. L'humanité fait partie de la nature comprise comme « l'ensemble du monde physique, l'ensemble des êtres et des choses » et ne se situe pas hors d'elle. Au-delà de cette interdépendance, le principe de finitude des ressources, que l'on retrouve chez de nombreux peuples premiers, nous invite à reconnaître que l'humanité fait partie de la nature et ne peut s'en abstraire. Les peuples premiers peuvent nous y aider, eux qui ont conservé la capacité à être relié avec les éléments vivants, en « s'inspir[ant] de leurs valeurs pour amorcer notre résilience » (p. 27).

14 Les écosystèmes ne sont pas la propriété d'une personne ou d'un groupe de personnes : ce sont des biens non appropriables. Il découle de cet enseignement des peuples premiers, la nécessité de privilégier la gestion collective à la possession individuelle, avec des règles de vivre-ensemble basées sur la conciliation, l'inclusion, la collaboration. La violence peut être gérée à l'aide de règles qui favorisent le partage, la justice, la sobriété. Dans ce contexte, il est nécessaire que la communauté internationale puisse envisager que les États perdent leur souveraineté au nom de valeurs universelles. Le crime contre l'écosystème, l'écocide, deviendrait alors un crime international contre la paix entre les peuples.

15 Il serait urgent de s'inspirer à nouveau des peuples autochtones et expérimenter des modes de gouvernance à une échelle écosystémique et communautaire. Ces peuples, qui ont choisi des modes de vie communautaires dans le respect des limites de la biosphère, ont obtenu la déclaration des droits des peuples autochtones à l'autodétermination en 2007 auprès des Nations unies. De cette déclaration, découle un certain nombre de droits qui leur sont reconnus comme celui d'être consultés en cas de projet d'extraction minière ou de mise en valeur des terres, ou encore celui de protéger et de développer leur patrimoine culturel, leurs savoirs traditionnels, leurs ressources humaines et génétiques, mais aussi le droit de conserver leurs liens spirituels avec les territoires, les eaux, les terres, etc. L'éthique environnementale dans laquelle ils s'inscrivent exprime une forme de relation symbiotique avec la nature qui conduit à attribuer un esprit ou une âme à une rivière ou à un écosystème. Deux écueils restent difficiles à intégrer pour le retour de l'homo natura, ceux de la temporalité et de la relation entre les humains.

3.2. La coopération entre humains comme fondement pour une anthropologie de l'Anthropocène

16 Dans leur ouvrage, Pablo Servigne et Gauthier Chapelle s'appuient sur une autre caractéristique, oubliée depuis les peuples premiers et centrale dans la relation entre les humains, celle de l'entraide. En effet, chacun connaît la loi de la jungle selon laquelle les rapports entre les humains à l'état de nature seraient régis par la compétition entre eux. « À l'état de nature, l'homme est un loup pour l'homme » affirmait Thomas Hobbes, un des pères du libéralisme moderne. Selon lui, il est nécessaire que chaque individu ait recours à « un contrat social avec tous les autres » et, pour le faire respecter, à l'État qui peut « utiliser la force et les moyens de tous comme il l'estimera convenir à leur paix et à leur défense commune ». La croyance que la nature en général, et celle de l'homme en particulier, est mauvaise a imprégné les grands récits de notre société, mais aussi la philosophie et les sciences depuis la fin du Moyen Âge et le début de la modernité. À partir de la parution du livre clé de Darwin, De l'origine des espèces au moyen de la sélection naturelle (1859), et durant presque tout le 20e siècle, la compétition a été considérée par la communauté scientifique comme ce qui structurait les relations entre les espèces. La prédominance de la compétition au service de l'individualisme a également marqué, à partir du milieu des années 1970, une nouvelle discipline, la sociobiologie, qui étudie les sociétés animales à partir des méthodes issues de l'éthologie, de la science de l'évolution, et de la génétique (comme en témoigne par exemple la parution en 1976 de l'ouvrage Le Gène égoïste de Richard Dawkins [1]).

17 Tout en se confrontant à ce type de visions centrées sur la compétition, Pablo Servigne et Gauthier Chapelle étudient l'entraide comme l'autre loi de la jungle, complémentaire de la première et tout aussi omniprésente ; elle est un des grands principes du monde vivant. Une loi oubliée depuis des siècles, masquée par des approches manichéennes prédominantes opposant l'inné et l'acquis, ou encore la nature et la culture, deux « notions abstraites et inutilisables lorsqu'elles sont pensées seules » (p. 278). Une autre vision, portée par l'ouvrage L'entraide : l'autre loi de jungle, repose sur le fait que le vivant est le résultat de l'équilibre entre deux forces contraires, intimement liées et qui n'ont pas de sens l'une sans l'autre : la compétition et la coopération.

18 De nombreux exemples tirés de travaux scientifiques dans plusieurs disciplines illustrent le principe de coopération à travers l'étude des règnes du vivant et leurs évolutions, depuis les commencements de la vie il y a des millions d'années jusqu'à aujourd'hui. Concernant l'être humain, on trouve des développements sur ce qui constitue chez l'individu des capacités d'entraide spontanée et de leurs expressions en fonction des contextes et des institutions. Au c ur de l'entraide et plus globalement de tout lien social, on trouve la logique du donner-recevoir-et-rendre, suivant des codes de réciprocité transmis par des normes sociales partagées qui favorisent la cohésion du groupe. L'existence d'institutions stables et pérennes permet de faire vivre la réciprocité, pilier de l'entraide humaine, dans le cas des grands groupes, même si dans ce cas la réciprocité est plus froide, plus impersonnelle et invisible. Ainsi, le déploiement de la réciprocité sous toutes ses formes, du plus proche au plus étendu, permet de faire passer les niveaux de coopération humaine à des échelles supérieures à ce qu'on observe dans les autres espèces, en intensité et en taille de groupe. L'entraide est aussi considérablement favorisée par le danger et les défis qui, de l'extérieur, menacent un groupe, ce qui vient en résonance avec les enjeux actuels de l'Anthropocène.

19 Reprenant à leur compte le propos de Darwin ­ « la différence entre l'esprit de l'homme et celui des animaux supérieurs, si grande soit-elle, est à coup sûr une différence de degré non de nature » ­ Pablo Servigne et Gauthier Chapelle explorent aussi comment ces forces évolutives s'appliquent à l'espèce humaine tout en montrant comment l'entraide atteint des niveaux exceptionnels chez l'être humain, avec une haute sensibilité aux conditions extérieures grâce à l'épigénétique et à la culture. En fait, l'immaturité et la vulnérabilité des petits humains à leur naissance et durant leurs premières années ont obligé nos ancêtres à développer des stratégies collectives pour leur fournir un cadre de sécurité. Le rôle des parents et des grands-parents, sans oublier la solidarité à l'intérieur de la tribu et la coopération entre les mâles du groupe ont été primordiaux. Cette situation à la naissance aurait ainsi conduit l'être humain à devenir plus apte à distinguer les individus qui pouvaient l'aider et ceux qui pouvaient lui nuire, et aussi à développer la capacité à se mettre à la place de l'autre et à prêter attention à ce qu'il pense. « Ce petit primate immature et fragile est devenu un véritable spécialiste de l'autre. » (p. 234) Cette observation permet de mieux comprendre le paradoxe de l'évolution humaine : l'extrême vulnérabilité à la naissance fait la puissance de notre espèce.

20 Une telle conception de l'entraide chez les humains stimule la réflexion politique. D'une part, jusqu'à une époque récente, l'entraide et la fraternité sont restées au niveau d'idéaux. À l'instar du modèle dominant de la sélection naturelle par la compétition, dans la métaphore économique « de la main invisible d'Adam Smith (...), l'égoïsme est considéré comme bénéfique au groupe » (p. 270). Où vit un tel homo  conomicus, rationnel et égoïste ? Pour les auteurs, il sort du laboratoire du libéralisme moderne, dont il n'aurait jamais dû sortir tant l'erreur est « monumentale ». En réalité, si on veut avoir recours à la sociobiologie contemporaine pour fournir un cadre de pensée aux systèmes socio-économiques et à leur évolution, on ne peut que faire appel aux équilibres dynamiques entre compétition et coopération. D'autre part, l'entraide et la fraternité ne peuvent pas rester au niveau le plus élevé de généralités sur des capacités d'altruisme, en étant hors-sol et sans frontières ; les conditions favorables à la mise en place d'entraides à diverses échelles devient crucial. Les auteurs identifient trois conditions indispensables pour faire émerger une entraide puissante et généralisée dans les groupes humains : le sentiment de sécurité, qui dépend de la constitution d'une bonne membrane (les règles que se fixe le groupe, sa raison d'être, son identité) ; le sentiment d'égalité et d'équité, qui permet d'éviter les effets néfastes du sentiment d'injustice ; le sentiment de confiance, qui naît des deux précédents et qui permet à chaque individu de donner le meilleur de lui-même pour le bien du groupe.

21 Enfin, les auteurs soulignent combien nos sociétés modernes épuisent les non-humains, dans une illusion d'indépendance. Appréhender véritablement l'entraide comme l'autre loi de la jungle, c'est non seulement développer chez les êtres humains le sentiment fort d'appartenir à un ensemble plus grand, mais aussi les encourager à coopérer concrètement dans le sens de cette interdépendance radicale avec tous les êtres vivants et à leur venir en aide.

22 L'entraide, l'autre loi de la jungle met en avant l'aspect central du vivre-ensemble dans l'anthropologie, posant in fine la question de l'antériorité entre humain et sociétés humaines. Dans son dernier ouvrage, L'homme, une espèce déboussolée ­ Anthropologie générale à l'âge de l'écologie, l'anthropologue français François Flahault continue de mettre en évidence que l'individu ne précède pas la société. Cet élément est de première importance puisque son corollaire est que l'économie est au fondement des sociétés ; « Or, on sait aujourd'hui que le processus de l'hominisation a été précédé et rendu possible grâce aux millions d'années de vie sociale qui l'ont précédé, celle-là même que les primates observent et dont la complexité, déjà étonnante chez les chimpanzés, s'est développée chez les représentants successifs du genre Homo. Les langues elles-mêmes, propres à Homo sapiens, n'auraient pu se développer en l'absence d'un milieu de vie exigeant que les individus interagissent. » (p. 29) À partir d'un ensemble de travaux scientifiques contemporains, notamment issus de la biologie et du principe de « coévolution », François Flahault travaille à une anthropologie post-prométhéenne au contraire de celle de l'historien Juval Noah Harari dont l'ouvrage Homo deus[2] a rencontré un succès planétaire. François Flahault insiste en effet pour montrer que l'homme ne s'est pas fait tout seul. À contre-courant d'une idéologie moderne utilitariste centrée sur l'individu, il montre l'importance de la relation et la nécessité de penser ensemble le vivant et son milieu, l'organisme et son biotope : l'hominisation ne peut s'opérer sans les interactions avec « cette part essentielle du milieu de vie que sont les autres membres du groupe » (p. 30). Les fondements de son ouvrage comportent des proximités avec celui de l'agronome Isabelle Delannoy, L'économie symbiotique [3] . Dans cet essai économique qui vient mettre au travail une anthropologie relationnelle en rupture avec l'individualisme moderne, Isabelle Delannoy insiste sur nos relations avec le milieu et la possibilité de vivre en harmonie avec les écosystèmes. François Flahault propose une rupture paradigmatique avec les conceptions modernes de l'individu et du sujet : « L'étymologie du mot "individu" le dit bien : un être, non pas composé, mais un. Un noyau, un soi, un moi, autour duquel s'étend le monde : le non-moi. L'intérieur nettement distinct de l'extérieur. » (p. 31)

23 L'Anthropocène, nouvelle ère qui se détache des précédentes époques géologiques, pousse l'humanité à se concevoir différemment. La condition humaine doit être pensée sous ce nouveau prisme. Or, la conscience de l'entrée dans l'Anthropocène s'accompagne d'une difficulté à penser l'humanité de façon essentialisée sur fond d'une anthropologie de l'arrachement de l'humanité à la nature à partir de l'idée de nature, et, dans une moindre mesure de condition. Les analyses de l'anthropologue François Flahault rompent avec l'essentialisation moderne de l'individu : « Alors que, dans le mode de pensée occidental classique, le sujet et le monde sont distincts et que l'être appartient à ce qui existe par soi, le paradigme contemporain met au contraire l'accent sur le fait que l'individu n'est pas extérieur à son milieu de vie : quelque chose existe au contact d'autre chose, un être s'actualise et se maintient en vie à travers ses interactions avec quelqu'un ou quelque chose d'autre. » (p. 38)

24 Les deux derniers ouvrages intègrent autrui, on le voit, de manière directe dans l'anthropologie ; la question de l'organisation des sociétés pour dépasser la relation de soi-même à autrui se pose alors de manière nouvelle en Anthropocène.

4. Les société humaines sont-elles adaptées et/ou adaptables à l'Anthropocène ?

25 Dans les ouvrages identifiés ici, les auteurs proposent l'ajout de deux concepts pour une société en Anthropocène, celui de société permacirculaire [4] et celui d'assemblée citoyenne du futur [5].

4.1. Peut-on penser la fin du règne de la croissance ?

26 L'ouvrage de Christian Arnsperger et Dominique Bourg (Écologie intégrale ­ Pour une société permacirculaire, 2017) articule un effort d'imagination pratique, afin d'envisager une sortie de l'idéologie de la croissance, et une exploration de possibles déjà expérimentés dans l'histoire longue de l'humanité. C'est la raison pour laquelle cet ouvrage se présente comme une sorte de boîte à outils pour parvenir à écologiser les sociétés humaines, lui donnant une allure programmatique. Il est soutenu par deux idées centrales : transformer la transition numérique en accélérateur de la transition écologique, c'est-à-dire aussi en résistant à la logique économique de la croissance standard qui soutient l'expansion de l'industrie du numérique aujourd'hui ; écologiser les sociétés humaines, non pas « de façon monobloc », mais en laissant leur place aux expérimentations, aux inventivités pratiques tout en ayant à l'esprit l'objectif de penser l'activité à l'intérieur des limites matérielles imposées par la biosphère. À cette fin, les auteurs rentrent dans des considérations précises, techniques et détaillées dans des champs aussi variés que ceux de l'économie, avec l'idée d'économie permacirculaire, de l'éthique, avec le concept de sobriété volontaire, et de la politique, en déployant le projet d'une démocratie écologique.

27 Le premier concept, celui d'économie permacirculaire s'appuie sur la thèse suivante : une économie stationnaire n'est pas une économie stagnante. Pour le démontrer, les auteurs convoquent la métaphore de la permaculture issue du monde de l'agroécologie et de sa conception orphique de la nature qui met au jour les processus de circularité naturelle. Ils en font un paradigme stimulant pour penser une société régénérative, ce qui leur permet de prendre leur distance avec le concept de croissance verte. Selon eux, ce dernier étend les valeurs du marché à la nature et à ses services écologiques qu'elle marchande, sans permettre d'ajuster les activités économiques aux limites de la biosphère qui la rendent possible. Les auteurs se distancient également de concepts utiles mais limités, comme ceux d'écologie industrielle, ou d'économie circulaire qui peuvent devenir de nouveaux outils du capitalisme industriel ; ceci en montrant qu'il convient, pour penser une société permacirculaire de l'envisager sur plusieurs échelles : l'efficience technique, la stationnarité de l'économie, et l'évolution des mentalités d'une société volontairement sobre.

28 Le second concept, celui de sobriété volontaire, repose sur la nécessité de faire le choix de l'autolimitation dans une époque qui encourage l'illimitation et la confusion désir/envie. Sans nier le désir d'illimité qui agite l'humain, tout en pointant les dégâts existentiels et psychiques qu'engendre la sollicitation consumériste de ce désir sous le masque de l'envie, la sobriété volontaire met au travail les identités. Elle ouvre ce désir de l'illimité sur des perspectives soutenables : l'infinité relationnelle de et avec la biosphère, le soin environnemental ou la quête d'une solidarité à établir entre Nord et Sud. Cet enjeu existentiel exige de ne pas confondre la sobriété volontaire, qui relève d'un choix et de la conscience du manque de sobriété, avec la sobriété imposée et subie qu'engendrerait un effondrement culturel ou des inégalités croissantes.

4.2. Quels changements institutionnels pour se préparer à l'Anthropocène ?

29 Le troisième concept, celui de démocratie écologique, propose une vision possible pour des changements institutionnels en Anthropocène. En faisant le choix de la solution démocratique et d'un égalitarisme strict comme postulat méthodologique (au moins provisoirement), les auteurs démontrent qu'écologiser la société peut se faire à des rythmes différents (tout en ayant conscience de l'urgence du moment anthropocène) sur des échelles distinctes, et n'impose pas des réponses standards à des problèmes globaux. Une société permacirculaire peut se décliner dans des expressions plurielles, dans des styles et genres de vie eux aussi inventifs. Cette dernière partie s'achève en proposant un grand nombre de leviers opérationnels (TVA incitative, formation de citoyens critiques et actifs, rôle renouvelé des entreprises) au service d'une coévolution de différents segments de l'économie en vue de la soutenabilité.

30 Parmi les leviers proposés pour dépasser une démocratie représentative classique, Dominique Bourg et six autres auteurs dont deux constitutionnalistes, dans l'ouvrage Inventer la démocratie du XXIe siècle, proposent de mettre en place une assemblée citoyenne du futur. Cette idée se veut une contribution à la réforme constitutionnelle annoncée le 3 juillet 2017 par l'actuel président de la République, Emmanuel Macron, notamment dans sa volonté de transformer le Conseil économique, social et environnemental en « Chambre du futur ». L'objectif de celle-ci est de remettre le citoyen au c ur des débats politiques et de prendre en compte le long terme dans l'élaboration de la loi. Appelée par les auteurs, « assemblée citoyenne du futur », elle consiste dans « un lieu de réflexion sur toutes les initiatives citoyennes, de valorisation de la contribution citoyenne à la transition écologique, et d'expérimentation démocratique des voies vers un futur désirable ». De grands principes sont énoncés, associés à des outils concrets (tirage au sort, instance de régulation et de formation des citoyens, etc.) pour développer des dispositifs participatifs qui peuvent être exportés dans d'autres domaines et pour des institutions plus locales.

31 Cet ouvrage, reposant sur un collège d'experts réuni par la Fondation pour la nature et l'homme, expose en cinq chapitres les raisons de la création d'une assemblée citoyenne du futur, ses missions, sa composition, les arguments explicitant la nécessité d'un adossement d'un haut conseil du long terme et de la rénovation des principes constitutionnels pour sortir du présentéisme. Face à une démocratie électorale représentative de plus en plus critiquée, de nouvelles pratiques citoyennes semblent émerger et se structurer. La multiplication de mouvements politiques tels que « Ma voix » qui parle de hacker l'Assemblée nationale ou la mise en place de primaires citoyennes en ligne avec par exemple lesprimaires.org montre bien qu'il y a une volonté de faire participer davantage les citoyens aux institutions politiques traditionnelles, de réintroduire du long terme dans les débats politiques pour penser aux générations futures et sortir d'une dimension trop individualiste, enfin, de ne plus séparer politique et nature.

32 L'assemblée citoyenne du futur proposée n'est pas une assemblée en capacité de voter la loi, mais plutôt une instance qui vise à organiser les débats et à imposer un calendrier du long terme et de la réflexion collective. Il s'agit aussi d'une instance de veille ou de contrôle qui peut saisir officiellement le gouvernement, l'Assemblée nationale ou le Sénat et possède un pouvoir de saisine du Conseil constitutionnel si la loi s'apprêtant à être promulguée n'est pas conforme aux principes constitutionnels de l'environnement. Il s'agit surtout d'une assemblée qui remet au c ur des débats politiques le citoyen, en portant notamment le regard sur les générations futures (ceux qui ne votent pas car pas encore nés).

33 Elle serait constituée de trois collèges : un premier collège de 50 citoyens désignés par tirage au sort dans la population ; un deuxième constitué de 50 spécialistes de l'environnement tirés au sort à partir de leur appartenance à une liste créée par les organisations non gouvernementales environnementales entérinée par le Parlement ; et un troisième de représentants de la société civile organisée (dans le prolongement de ce qui est actuellement le cas dans le fonctionnement du Conseil économique, social et environnemental). Cette assemblée citoyenne du futur cherche à donner la parole à tous et à sortir des profils sociologiques spécifiques de ceux qui participent d'habitude (« super citoyens éclairés [6] » ou des individus qui ont des intérêts personnels à participer au débat) par le biais du tirage au sort. Le tirage au sort inspiré des jurys d'assises est ainsi valorisé pour sa capacité à contourner les difficultés d'inclusion et à cibler plus efficacement une diversité réelle des citoyens.

34 Enfin, l'idée est aussi de former, d'éduquer et de documenter ces citoyens. En effet, cette chambre du futur est adossée à un Haut Conseil du long terme permettant de faire connaître les données scientifiques aux citoyens pour induire des débats documentés et accroître leur sentiment de compétence, nécessaire à la prise de parole citoyenne. L'institutionnalisation peut favoriser le déploiement de stratégies d'instrumentalisation ou de noyautage à l'initiative des élus comme des citoyens. Les auteurs plaident pour un renouvellement des membres du Haut Conseil tous les trois ans.

35 Cependant, une question demeure : comment cette assemblée peut-elle réellement peser dans les décisions si son avis n'est que consultatif ? Ne risque-t-on pas alors de faire de la participation citoyenne pour légitimer les décisions, sans les modifier en fonction de l'avis de la nouvelle Chambre ?

5. Conclusion : quelle place pour la science politique dans cette nouvelle ère géologique ?

36 L'ensemble de ces ouvrages montre l'importance pour la science politique, et les sciences sociales en général, de prendre en charge l'étude de la question de l'Anthropocène pour dépasser la seule vision des sciences environnementales centrée sur les phénomènes climatique et biologique associés. Cette prise en charge commence par l'analyse critique du récit scientifique de l'Anthropocène, en considérant l'humanité toute entière comme responsable, pour le replonger dans la période capitaliste qui l'accompagne. Pour aller plus loin, il s'agit aussi de nourrir la compréhension des modifications que cette nouvelle période géologique impose et/ou rend possible d'un point de vue des acteurs de la vie politique, mais aussi de la prise de décision dans le futur.

37 L'Anthropocène nous invite tout d'abord à repenser une anthropologie d'un humain sous contrainte, quittant son habit tout puissant d'homo  conomicus. Cette nouveauté amène à voir sous un nouveau jour au sein même de cette anthropologie la relation à la nature et à autrui. Dès lors, les connaissances les plus profondes sur cette nouvelle anthropologie nous obligent à analyser les marges de nos sociétés actuelles et les expériences humaines passées précapitalistes. Des concepts comme l'entraide et l'interdépendance avec les éléments de notre environnement reviennent alors au centre des préoccupations contemporaines.

38 En revanche, comme l'enjeu anthropocénique est global, penser une anthropologie nouvelle ne suffit pas à penser l'humain dans son nouveau rôle. La place des institutions, du vivre-ensemble, de la temporalité des prises de décisions sont des enjeux majeurs et il s'agit de penser de manière inédite les formes politiques qui peuvent les accompagner. Les contributions récentes sur ce sujet amènent à questionner des solutions nouvelles comme des assemblées du futur ou des sociétés permacirculaires. Au sein de ces débats, la science politique est amenée à prendre sa place pour définir et proposer de nouveaux modes de vivre-ensemble en société et des modes de vivre pour chaque individu, encore à inventer.


Date de mise en ligne : 03/04/2020

https://doi.org/10.3917/rai.077.0083

Notes

  • [1]
    Richard Dawkins, The Selfish Gene, Oxford, Oxford University Press, 1976.
  • [2]
    Juval Noah Harari dans Homo deus. Une brève histoire de l'avenir, trad. fr. Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, Albin Michel, 2017.
  • [3]
    Isabelle Delannoy, L'économie symbiotique, Paris, Actes Sud, 2017.
  • [4]
    Christian Arnsperger et Dominique Bourg, Écologie intégrale ­ Pour une société permacirculaire, Paris, PUF, 2017.
  • [5]
    Dominique Bourg (dir.), Inventer la démocratie du XXIe siècle ­ L'Assemblée citoyenne du futur, Paris, Les liens qui libèrent, 2017.
  • [6]
    Pascale Dufour, « Politique de la rue contre politique des urnes ? Le mouvement étudiant québécois du printemps 2012 et la question de la représentation politique », Savoir/Agir, vol. 22, no 4, 2012, p. 33-41.

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