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Article de revue

Nationalisme méthodologique – cosmopolitisme méthodologique : un changement de paradigme dans les sciences sociales

Pages 103 à 120

Notes

  • [1]
    Ulrich Beck, The Cosmopolitan Vision, Cambridge, Polity Press, 2006 (Qu'est-ce que le cosmopolitisme ?, Paris, Flammarion, 2006).
  • [2]
    Stephen Toulmin, Cosmopolis : The Hidden Agenda of Modernity, New York, Free Press, 1990 ; Pauline Kleingeld, « Six Varieties of Cosmopolitanism in Late Eighteenth-Century Germany », Journal of the History of Ideas, vol. 60, no 3, 1999, p. 505-524 ; Sigrid Thielking, Weltbürgertum. Kosmopolitische Ideen in Literatur und politischer Publizistik seit dem achtzehnten Jahrhundert, Munich, Fink, 2000.
  • [3]
    Par exemple, Friedrich Meinecke, Weltbürgertum und Nationalstaat. Studien zur Genesis des deutschen Nationalstaats, Munich, Oldenbourg, 1907.
  • [4]
    Voir Thomas W. Pogge, « Cosmopolitanism and Sovereignty », Ethics, vol. 103, no 1, 1992, p. 484-575 ; David Held, Democracy and the Global Order : From the Modern State to Cosmopolitan Governance, Cambridge, Polity Press, 1995 ; Daniele Archibugi et David Held (dir.), Cosmopolitan Democracy : An Agenda for a New World Order, Cambridge, Polity Press, 1995 ; Daniele Archibugi, David Held et Martin Kohler (dir.), Re-Imagining Political Community : Studies in Cosmopolitan Democracy, Cambridge, Polity Press, 1998 ; Andrew Linklater, The Transformation of Political Community : Ethical Foundations of the Post-Westphalian Era, Columbia, University of South Carolina Press, 1998 ; Pheng Cheah et Bruce Robbins (dir.), Cosmopolitics : Thinking and Feeling Beyond the Nation, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1998 ; Mary Kaldor New & Old Wars, Organized Violence in a Global Era, Cambridge, Polity Press, 2006 ; Daniel Levy et Natan Sznaider, The Holocaust and Memory in the Global Age, Philadelphia, Temple University Press, 2006 ; Ulrich Beck, What Is Globalization ?, Cambridge, Polity Press, 2000 ; Ulrich Beck, Power in the Global Age : A New Global Political Economy, Cambridge, Polity Press, 2005 (Pouvoir et contre-pouvoir à l'ère de la mondialisation, Paris, Aubier, 2006), Ulrich Beck, The Cosmopolitan Vision, op. cit. ; Steven Vertovec et Robin Cohen, Conceiving Cosmopolitanism : Theory, Context, and Practice, New York, Oxford University Press, 2002 ; Daniele Archibugi, « Cosmopolitical Democracy », in Daniele Archibugi (dir.), Debating Cosmopolitics, Londres, Verso, 2003, p. 1-15 ; Mary Kaldor, Helmut Anheier et Marlies Glasius (dir.), Global Civil Society ­ Yearbook, Oxford, Oxford University Press, 2003.
  • [5]
    Voir Timothy Brennan, At Home in the World : Cosmopolitanism Now, Cambridge, Harvard University Press, 1997.
  • [6]
    Daniele Archibugi, « Cosmopolitical Democracy », art. cité, p. 11.
  • [7]
    Pour une analyse du cosmopolitisme et de ses contraires relevant proprement des sciences sociales, voir Ulrich Beck, The Cosmopolitan Vision, op. cit. ; « We Do Not Live in an Age of Cosmopolitanism but in an Age of Cosmopolitisation : The "Global Other" Is in Our Midst », Irish Journal of Sociology, vol. 19, no 1, 2011, p. 16-34 ; « Cosmopolitan Sociology : Outline of a Paradigm Shift », in Maria Rovisco et Magdalena Nowicka (dir.), The Ashgate Research Companion to Cosmopolitanism, Farnham/Burlington, Ashgate, 2011, p. 17-32 (« Une sociologie cosmopolite : esquisse d'un changement paradigmatique », Nouvelles Perspectives en Sciences Sociales, vol. 8, no 1, 2012, p. 61-190) ; « Cosmopolitanism as Imagined Communities of Global Risk », in Edward A. Tiryakian, Guest Editor, « Imagined Communities » in the 21st Century, no spécial, The American Behavioral Scientist, vol. 55, no 10, 2011, p. 1346-1361 ; « Multiculturalism or Cosmopolitanism : How Can We Describe and Understand the Diversity of the World », Social Sciences in China, vol. 32, no 4, p. 52-58. Voir Pheng Cheah, Inhuman Conditions : On Cosmopolitanism and Human Rights, Cambridge, Harvard University Press, 2006, Gerard Delanty (dir.), Routledge Handbook of Cosmopolitanism Studies, Londres, Routledge, 2012, Pnina Werbner (dir.), Anthropology and the New Cosmopolitanism : Rooted, Feminist and Vernacular Perspectives, Oxford, Anton Berg, 2008.
  • [8]
    Ulrich Beck et Edgar Grande, The Cosmopolitan Europe, Cambridge, Polity Press, 2007 (Pour un empire européen, Paris, Flammarion, 2007).
  • [9]
    Otto Dann, Nation und Nationalismus in Deutschland, 1770-1990, Munich, C.H. Beck, 1993.
  • [10]
    Sur la critique du multiculturalisme, voir Ulrich Beck, The Cosmopolitan Vision, op. cit.
  • [11]
    Inutile de dire que le diable se cache dans les détails. Qui trouve les procédures selon lesquelles ces minima sont déterminés ? Qui les impose contre l'opposition ? Comment sont résolus les conflits dans lesquels un camp n'est pas prêt à renoncer à l'usage de la violence organisée, laquelle viole les normes minimales de civilisation ? Ces questions montrent clairement que le cosmopolitisme n'offre pas de solutions clé en main ; il est profondément problématique.
  • [12]
    Voir Pauline Kleingeld, « Six Varieties of Cosmopolitanism in Late Eighteenth-Century Germany », p. 516.
  • [13]
    C'est pour cette raison que la philosophie marxiste orthodoxe considère le cosmopolitisme comme « l'autre face du nationalisme et du chauvinisme bourgeois », et non pas comme son contraire. Selon la doctrine marxiste dominante, le cosmopolitisme est « une réponse réactionnaire à l'internationalisme socialiste » (Georg Klaus et Manfred Buhr (dir.), Philosophisches Wörterbuch, 2e ed. Leipzig, VEB Bibliographisches Institut, 1975, p. 667.
  • [14]
    La distinction entre la période pré-moderne et la modernité a simplement une fonction heuristique, nous savons qu'elle est encombrée d'une distinction extrêmement problématique entre tradition et modernité. Il est vrai par ailleurs que la hiérarchie de la différence, sous la forme du colonialisme, était constitutive du processus de formation des États-nations européens au 18e et 19e siècles. Les attaques terroristes du 11 septembre 2001 sont également utilisées pour remplacer l'« ennemi communiste » perdu par l'« ennemi islamiste ».
  • [15]
    Comme dans Anthony Smith, Nations and Nationalism in a Global Era, Cambridge, Polity Press, 1995 par exemple.
  • [16]
    Cela implique une étrange ironie. La post-modernité, qui s'est développée pour démasquer et dépasser l'essentialisme, vient en fait le raviver sous la forme d'un quasi-essentialisme post-moderne fondé sur l'incommensurabilité des Autres. Elle partage avec l'essentialisme de la différence pré-moderne l'idée qu'il faut accepter les choses telles qu'elles sont.
  • [17]
    Axel Honneth, The Struggle for Recognition : The Moral Grammar of Social Conflicts, Cambridge, Polity Press, 1995.
  • [18]
    Voir par exemple David Held et al., Global Tansformations, Stanford, Stanford University Press, 1999.
  • [19]
    Voir Ulrich Beck, « Beyond Class and Nation : Reframing Social Inequalities in a Globalizing World », British Journal of Sociology, vol. 58, no 4, 2007, p. 679-705 ; A God of One's Own : Religion's Capacity for Peace and Potential for Violence, Cambridge, Polity Press, 2010 ; Ulrich Beck et Elisabeth Beck-Gernsheim, Distant Love, Cambridge, Polity Press, 2014 ; Ulrich Beck et Elisabeth Beck-Gernsheim, « Global Generations and the Trap of Methodological Nationalism : For a Cosmopolitan Turn in the Sociology of Youth and Generation », European Sociological Review, vol. 25, no 1, 2009, p. 25-36 ; Ulrich Beck et Daniel Levy, « Cosmopolitanized Nations : Re-imagining Collectivity in World Risk Society », Theory, Culture & Society, vol. 30, no 2, 2013, p. 3-31 ; Nina Glick Schiller et Noel B. Salazar, « Regimes of Mobility across the Globe », Journal of Ethnic & Migration Studies, vol. 39, no 2, 2013, p. 183-200 ; Nancy Scheper-Hughes, « The Last Commodity : Post-Human Ethics and the Global Traffic in "Fresh" Organs », in Aihwa Ong et Stephen J. Collier (dir.), Global Assemblages : Technology, Politics and Ethics as Anthropological Problems, Malden, Blackwell Publishing, 2005, p. 145-167 ; Andreas Wimmer et Nina Glick Schiller, « Methodological Nationalism and Beyond : Nation-State Building, Migration and the Social Sciences », Global Networks, vol. 2, no 4, 2002, p. 301-334.
  • [20]
    Voir Ulrich Beck, World at Risk, Cambridge, Polity Press, 2009.
  • [21]
    Voir Benedict Anderson, Imagined Communities, Londres, Verso, 1983.

1. Introduction : la cosmopolitisation de la réalité

1Quand la modernité était encore nationale, le cosmopolitisme ne pouvait être saisi qu'intellectuellement, comme une idée abstraite, et non comme une expérience vécue. En revanche, le nationalisme était dans tous les c urs. Ce dualisme entre raison et sentiment s'est retourné au cours de la modernisation réflexive, quand la vie quotidienne est devenue cosmopolite par les voies les plus banales. Mais les concepts hérités du nationalisme ont continué à faire des ravages à la fois dans l'esprit des individus et dans les théories et les habitudes des chercheurs en sciences sociales.

2 Dans cet article, je remettrai en question une des convictions les mieux ancrées que l'on peut avoir sur la société et la politique, une conviction qui entrave les acteurs sociaux tout autant que les chercheurs : le « nationalisme méthodologique ». Le nationalisme méthodologique assimile la société moderne à la société organisée sur un territoire confiné de l'État-nation.

3 Ce que j'appelle la « cosmopolitisation de la réalité [1] » n'est le résultat ni d'une conspiration des « capitalistes mondiaux » ni d'une quelconque « pulsion occidentale pour la domination du monde ». La cosmopolitisation n'est jamais prévue, elle est la conséquence sociale d'actions qui visaient d'autres résultats, dans le cadre d'un réseau mondial d'interdépendances risquées. Ces effets secondaires cosmopolites, souvent subis et accidentels, déjouent l'équivalence entre l'État et la société nationale, et créent de nouvelles formes de vie et de communication transnationales, de nouvelles obligations et responsabilités, de nouvelles manières de se voir et de percevoir les autres pour les groupes et les individus. Les pays sont en quelque sorte assiégés et envahis par l'interdépendance globale, par les risques écologiques, économiques et terroristes qui lient ensemble les mondes jusqu'alors séparés des nations développées et sous-développées. Et, dans la mesure où la situation historique se reflète dans l'opinion publique, on voit émerger une perspective cosmopolite par laquelle les gens se voient pris à la fois dans un monde menacé, et dans leurs situations et leurs histoires locales.

4 Quelle est alors la différence entre la perception cosmopolite réaliste et les perspectives universaliste, relativiste, multiculturelle ou post-moderne ? Que signifie exactement le concept de cosmopolitisme ? Comment ce concept est-il lié à la société moderne et à sa transformation ? Il est urgent de clarifier ces questions, car le concept de cosmopolitisme, aujourd'hui à la mode, est utilisé comme synonyme de nombreux autres concepts : mondialisation, globalité, glocalisme (glocalism), globalisme, universalisme, multiculturalisme, pluralisme, impérialisme. On dit que tous ces termes contiennent un élément cosmopolite ; mais ceux qui les utilisent ne cachent pas qu'ils sont fondamentalement différents.

5 Le concept de cosmopolitisme est à la fois ancré dans le passé et tourné vers le futur. En effet, ce qui rend le concept si intéressant pour une théorie des sociétés modernes, c'est qu'il est en même temps pré-national et post-national. Son histoire est bien connue : elle commence avec les Cyniques et les Stoïciens de l'Antiquité qui inventèrent le mot. Le cosmopolitisme eut un certain rôle à jouer à chaque fois que les sociétés européennes se sont confrontées à des changements fondamentaux. Il prit ainsi une importance capitale dans la philosophie des Lumières (on peut citer Kant, Fichte, Schelling, Wieland, Forster, Herder, Goethe, Schiller, Heine, etc.) [2]. Le concept a été repris dans la philosophie culturaliste et nationaliste à la fin du 19e siècle [3]. Pour finir, les débats actuels à propos de la mondialisation ont redécouvert sa valeur positive pour faire contrepoids au pouvoir ordonnateur du marché dans l'État-nation [4].

6 Au regard de cette longue préhistoire, espérer que ce concept ait un sens cohérent serait trop ambitieux. On peut cependant identifier deux prémisses au c ur du projet cosmopolite : le cosmopolitisme associe une prise de conscience de la différence et de l'altérité avec une tentative de concevoir de nouvelles formes de pouvoir démocratique par-delà l'État-nation [5]. Daniele Archibugi résume ce noyau normatif du cosmopolitisme avec trois principes : tolérance, légitimité démocratique et efficacité [6].

2. Manières de gérer la différence : racisme, universalisme, nationalisme, multiculturalisme, cosmopolitisme

7Je souhaite utiliser le cosmopolitisme d'une manière moins traditionnelle ­ tradition dont j'hérite cependant explicitement ­, en en faisant un concept relevant des sciences sociales à proprement parler. Le but est d'analyser un enjeu social spécifique, à savoir une manière particulière de gérer socialement la différence culturelle.

8De façon idéale-typique, le concept de cosmopolitisme peut être distingué de plusieurs autres formes de gestion de la différence, en particulier la subordination hiérarchique, la similarité universelle et nationaliste, et le particularisme post-moderne [7]. Le cosmopolitisme ne doit pas être compris ici en termes spatiaux, son intérêt principal étant de dépasser les dualités entre global et local, national et international, eux et nous. Le cosmopolitisme n'est pas lié au « cosmos » ou au « globe ». Le principe du cosmopolitisme peut être localisé et appliqué partout, y compris à des unités géographiques régionales comme l'Europe ou l'Est asiatique. En effet, comprendre l'Europe dans un sens cosmopolite signifie définir le concept européen de société comme un cas historique particulier d'interdépendance globale [8].

9 Tout d'abord, le cosmopolitisme est fondamentalement différent du principe de différenciation verticale qui cherche à intégrer la différence sociale dans une relation hiérarchique de supériorité et de subordination. Ce principe s'applique d'une part à l'intérieur des sociétés, quand elles se présentent comme des systèmes de caste et de classe hautement différenciés. D'autre part, il a été utilisé pour définir les relations avec les autres sociétés. Typiquement, on dénie aux « Autres » le statut de similarité et d'égalité, en les considérant dans une relation hiérarchique de subordination ou d'infériorité. Les Autres vont jusqu'à être considérés comme des « barbares » dépourvus de droits. Il ne faudrait pas imaginer que seules les sociétés pré-modernes ont essayé de gérer la différence de cette manière : la formation moderne des empires coloniaux depuis le 16e siècle a également suivi ce principe. De plus, comme le montre l'usage des concepts de civilisation et de choc des civilisations (Huntington 1996), même la constellation post-moderne peut être tentée par la hiérarchisation de la différence.

10 La dissolution des différences est le principe inverse de la subordination hiérarchique. Elle présuppose le développement et la reconnaissance de normes universelles qui facilitent la justification et l'institutionnalisation du traitement égal des Autres. L'approche universaliste remplace la pluralité des normes, des classes, des identités ethniques, et des religions, par une norme unifiée. Nous pouvons distinguer au moins deux variantes de l'universalisme : un universalisme substantiel, qui défend l'égalité et l'égale valeur des différents Autres extérieurs au nom de normes substantielles ; un universalisme procédural, qui axe la gestion de l'altérité sur des règles équitables et une justice formelle. Dans ces deux sens, l'universalisme est une manière typiquement moderne de gérer la différence, même si ce n'est pas la seule. Il y a beaucoup d'autres manières de le faire, entre autres notamment le nationalisme et le cosmopolitisme.

11 Le nationalisme standardise les différences et les calque sur les oppositions nationales. En tant que stratégie de gestion de la différence, le nationalisme suit aussi la logique exclusive « ou bien/ou bien ». Mais à la place de la distinction entre supérieur et inférieur, il fonctionne sur la différence entre intérieur et extérieur. Le nationalisme a deux faces, l'une est dirigée vers l'intérieur, l'autre vers l'extérieur. Vers l'intérieur, le nationalisme a pour but de dissoudre les différences et de promouvoir des normes uniformes ­ il partage donc cela avec l'universalisme. Cependant, parce qu'elle est territorialement limitée, la dissolution des différences doit toujours restée inachevée : la différence avec l'extérieur est ainsi accentuée. En ce sens, le nationalisme dissout les différences à l'intérieur tout en les produisant et en les stabilisant à l'extérieur.

12 Il est important que le nationalisme n'ait pas de régulateur propre pour gérer la différence à l'extérieur. Il peut ainsi prendre la forme de la tolérance éclairée autant que celle du nationalisme radical [9]. Dans sa forme la plus extrême, le nationalisme a donc des points communs avec l'universalisme, mais également avec des formes pré-modernes de subordination hiérarchique. Lui aussi a une tendance à rejeter le droit des autres nations et à les stigmatiser comme des « barbares » ­ c'est ainsi qu'il se montre lui-même barbare. On peut alors clairement affirmer que le nationalisme est le mode de gestion de la différence typique de la première modernité.

13 Le cosmopolitisme se distingue de toutes les formes mentionnées jusqu'à présent, car la reconnaissance de la différence devient un principe intellectuel et social pour la vie intérieure et extérieure de la communauté. Le cosmopolitisme ne cherche ni à ordonner hiérarchiquement les différences, ni à les dissoudre. Au contraire, il les accepte en tant que telles, et leur accorde même une valeur positive. Il donne une place à ce qui est exclu par la différence hiérarchique et par l'égalité universelle, en présentant les Autres comme différents et égaux. Tandis que l'universalisme et le nationalisme (ainsi que le particularisme pré-moderne et essentialiste) sont fondés sur l'alternative « ou bien/ou bien », le cosmopolitisme repose sur le principe du « et/et ». Ce qui est étranger n'est pas vécu et désigné comme un danger, une cause de désintégration et de fragmentation, mais comme un enrichissement. La curiosité que l'on a pour soi et pour la différence me rend les Autres irremplaçables. Il y a donc aussi quelque chose d'égoïste dans cette curiosité cosmopolite. Ceux qui adoptent la perspective des Autres dans leurs propres vies apprennent davantage sur eux et sur les autres.

14 La logique cosmopolite qui nous fait considérer les autres à la fois comme égaux et différents peut avoir deux interprétations : la reconnaissance de la particularité des autres peut faire référence soit aux collectifs soit aux individus. Les deux interprétations sont constitutives du principe du cosmopolitisme. L'interprétation collective est difficilement discernable du multiculturalisme. Cependant, le multiculturalisme fait exclusivement référence aux catégories collectives de la différence ; il s'applique d'abord aux groupes (plus ou moins) homogènes, puis les moule dans le cadre de l'État-nation. En ce sens, le multiculturalisme s'oppose à la fois à la transnationalisation et à l'individualisation. C'est tout le contraire pour le cosmopolitisme : il permet de prendre pleinement conscience du fait que les frontières ethniques, en apparence bien nettes, deviennent floues, et que les attachements territoriaux, en apparence bien serrés, s'entremêlent à tous les niveaux, nationaux et internationaux. Par conséquent, dans un monde d'insécurité globale radicale, nous sommes tous égaux, et chacun est différent [10].

15 D'où l'exigence cosmopolite de nouveaux concepts d'intégration et d'identité qui facilitent et affirment la coexistence par-delà les frontières, sans avoir besoin que la particularité et la différence soient sacrifiées sur l'autel de la soi-disant égalité (nationale). L'« identité » et l'« intégration » ne sont ainsi rien de plus que des mots différents pour dire l'hégémonie sur l'Autre, de la majorité sur les minorités. Le cosmopolitisme accepte la différence mais ne l'absolutise pas ; il cherche plutôt des manières de la rendre universellement tolérable. Il opère donc sur un cadre d'unification et d'universalisation de normes contraignantes qui doivent empêcher la déviance vers un particularisme postmoderne [11].

16 Dans la philosophie des Lumières, le cosmopolitisme culturel de Georg Foster en est l'illustration parfaite. Sa défense de la différence culturelle n'implique pas une forme pure de pluralisme mais est plutôt fondée sur une norme universelle de l'égalité humaine [12]. Même si le cosmopolitisme n'est pas une invention de la seconde modernité, j'affirme cependant qu'il est un mode de gestion de la différence typique de cette seconde modernité.

17 Des différentes approches de gestion de la différence que j'ai présentées, trois d'entre elles représentent des variantes modernes ­ l'universalisme, le nationalisme, le cosmopolitisme. L'universalisme a une chose en commun avec les deux autres principes. Il partage avec le nationalisme l'idée d'égalité et de traitement égal de la différence, et donc l'ambition d'unité et d'uniformité. Il partage avec le cosmopolitisme l'idée de validité universelle des normes. C'est pour cette raison que le cosmopolitisme a au départ été longtemps identifié avec l'universalisme, les deux cherchant à surmonter le particularisme, la détermination locale des normes. Plus tard cependant, le cosmopolitisme parvint à s'allier au nationalisme et à viser la réalisation de l'égalité au sein d'un espace national circonscrit ou entre des espaces nationaux [13].

18 Il y a deux contre-propositions radicales à ces manières modernes de gérer la différence. Nous avons d'une part la hiérarchie essentialiste de la différence, qui n'est en aucune façon limitée à la période pré-moderne, et, d'autre part, l'incommensurabilité post-moderne de la différence [14]. On ne doit pas confondre le cosmopolitisme avec le postmodernisme, ou l'interpréter comme l'une de ses variantes [15]. Dans la stratégie post-moderne, la tolérance de la différence consiste à absolutiser l'altérité, sans le support d'un ensemble de normes substantielles et procédurales. Cette approche ancre à ce point le relativisme que l'idéal partagé de critères d'ordonnancement et de sélection disparaît complètement. Ce que le cosmopolitisme valorise énormément ­ une perspective mutuelle internalisée et institutionnalisée qui associe les Autres ­ semble en fin de compte illusoire pour le particularisme post-moderne, au point d'être culturellement exclu et toujours idéologiquement suspect. Même si l'égalité parmi les Autres ne repose pas sur des différences essentielles, elle se fonde avec le post-modernisme sur l'incommensurabilité des perspectives [16].

19 Afin de comprendre le cosmopolitisme comme un concept des sciences sociales, il est d'abord important de le différencier analytiquement et heuristiquement d'autres conceptions pré-modernes et modernes de gestion de la différence. Il faut aussi reconnaître que non seulement les stratégies modernes de gestion de la différence diffèrent les unes des autres, mais aussi qu'elles se conditionnent, voire se complètent les unes les autres quand on les conçoit à partir du cosmopolitisme. Par ailleurs, le cosmopolitisme a besoin d'un certain fonds de normes universelles pour réguler le traitement de la différence et canaliser la « lutte pour la reconnaissance [17] » de manière socialement acceptable. Les questions suivantes peuvent donc rester ouvertes : jusqu'à quel point ce fonds de normes partagées doit-il être exhaustif ? Peut-il être limité à des normes procédurales, ou bien doit-il inclure en plus des normes substantielles (quelle que soit la manière dont elles sont établies) ? On peut en tout cas être sûr d'une chose : si nous n'avons pas ces normes, si nous n'avons ni des critères universellement acceptés ni des procédures réglées pour gérer la différence, alors il y un risque que le cosmopolitisme dégénère en un particularisme post-moderne et/ou en violence ouverte.

20 Mais les difficultés ne s'arrêtent pas là. Si le cosmopolitisme veut garantir des droits collectifs en plus des droits individuels et des identités, il doit alors avoir un mécanisme politique pour produire et stabiliser institutionnellement la différence collective. Or, c'est là précisément la force du nationalisme, qui a le mieux réussi historiquement à fonder et à stabiliser la différence collective avec des normes universelles. Quand il manque de tels stabilisateurs de la différence, le cosmopolitisme peut craindre de se transformer en un universalisme substantiel.

3. La critique du nationalisme méthodologique

21Pour le dire rapidement, le nationalisme méthodologique part du principe que la nation, l'État et la société sont des formes sociales et politiques neutres du monde moderne. Chaque fois que des acteurs sociaux souscrivent à cela, je parle de « perspective nationale » ; chaque fois qu'il s'agit de chercheurs en sciences sociales, je parle de « nationalisme méthodologique ». La distinction entre la perspective d'un acteur social et celle d'un chercheur est cruciale, parce que le lien entre ces deux points de vue n'est pas logique mais historique. La naissance de la sociologie en Europe a coïncidé avec la naissance de l'État-nation, du nationalisme et du système de politique internationale. Même s'il s'agit d'une tradition différente, nous savons bien à quel point les concepts sociaux européens se sont répandus dans les débats sociologiques américains ­ et vice versa bien sûr. Seul le lien historique ­ entre les acteurs sociaux et les chercheurs en sciences sociales ­ donne naissance à l'axiomatique du nationalisme méthodologique. Il ne faudrait pas croire que ce nationalisme méthodologique constitue un problème superficiel ou une petite erreur. Il produit des protocoles de collection et de production de données ainsi que des concepts fondamentaux de la sociologie moderne comme ceux de société, d'inégalité sociale, d'État, de démocratie, de communautés imaginées, de multiculturalisme et, pour nous Européens, notre compréhension de la Communauté Européenne.

4. La distinction cruciale entre le cosmopolitisme normatif et la cosmopolitisation empirique-analytique

22Nous pouvons distinguer trois moments dans l'usage du mot « mondialisation » en sciences sociales : d'abord le déni, puis l'affinement conceptuel et la recherche empirique, enfin la « cosmopolitisation ». La première réaction de la majorité des sociologues était, et est encore, de nier la réalité ou la pertinence de la mondialisalisation et de déclarer que rien de ce que les sciences sociales pouvaient mettre sous le terme de « mondialisation » n'était historiquement nouveau.

23 Ce refus d'expliquer la mondialisation est devenu de moins en moins crédible pendant le deuxième moment. Les chercheurs dans divers domaines ont alors commencé à procéder à une analyse conceptuelle des phénomènes de mondialisation, et à les situer dans la sémantique théorique et empirique des sciences sociales [18]. Cet affinement a montré qu'un nouveau monde social était en train de se faire. Sa principale caractéristique est l'interconnexion, ce qui signifie la dépendance et l'interdépendance des individus sur la planète. L'ensemble de l'expérience humaine est potentiellement influencé d'une manière ou d'une autre par l'interconnectivité totale du monde. (Il ne faudrait cependant pas confondre cela avec les théories du système-monde ou de la dépendance.)

24 On découvre dans le troisième moment la principale conséquence indirecte de cette interconnectivité globale jusqu'alors ignorée : la fin de l'« Autre global ». L'Autre global est désormais parmi nous. Et c'est là finalement que se fait la distinction entre le cosmopolitisme et la véritable cosmopolitisation. Le cosmopolitisme, au sens philosophique de Kant, signifie quelque chose d'actif, comme une tâche, un choix conscient et volontaire, clairement réservé à une élite. Je préfère parler de la cosmopolitisation ordinaire et quotidienne, pour attirer l'attention sur le fait que la réalité cosmopolite grandissante produit simultanément des conséquences secondaires non voulues et non analysées qui n'étaient pas prévues pour être « cosmopolites » au sens normatif du terme. Une cosmopolitisation « banale » et « forcée » déploie des juridictions et des qualifications sous la surface ou derrière la façade des espaces nationaux, et cela même quand on continue d'agiter les drapeaux nationaux ou que les attitudes, les identités et les consciences nationales restent dominantes. La cosmopolitisation peut être étudiée dans de nombreux domaines : en relation avec la migration, l'inégalité sociale, l'amour, la famille, les générations globales, la religion, la science, l'État, la nation cosmopolisée [19]. Elle est également manifeste lorsqu'on observe les risques à l'échelle du monde ou, plus précisément, la fabrique des incertitudes ­ crise financière, changement climatique, menace nucléaire, terrorisme, etc [20]. Par conséquent, nous éprouvons dans une société du risque l'« impératif cosmopolite » : il n'y a plus d'Autre ! Nous sommes tous connectés et confrontés à tout le monde ­ même si les risques globaux affectent très différemment les pays, les États, et les cultures.

25 Le terme « cosmopolitisme » est catalogué à la fois comme « idéaliste » et « vieillot ». Déjà au 18e siècle en Europe, le débat intellectuel sur l'opposition entre nationalisme et cosmopolitisme était d'une importance majeure. Certains soutenaient que le nationalisme était partial et sans intérêt, mais aussi pragmatique, utile, joyeux et rassurant. Le cosmopolitisme, quant à lui, était dit magnifique et de grande envergure, mais aussi de trop grande envergure pour les hommes ­ l'idée est belle, mais ça n'est qu'une idée.

26 C'est exactement mon argument. Les critiques ont raison. C'est une idée naïve, désarmante de simplicité. Avec le cosmopolitisme, il n'y a pas de transition du normatif au réel. Il faut donc prendre le chemin inverse, du réel au normatif. C'est ainsi qu'émerge la question clé : comment peut-on transformer les étrangers ­ construits comme membre de communautés nationales imaginées ­ en voisins ?

27Peut-on remplacer le « cosmopolitisme fin » par une « cosmopolitisation épaisse » ?

28Je présenterai sept thèses pour étayer mon argument.

29Première thèse : les risques globaux font émerger un nouveau « destin cosmopolite et civilisationnel partagé », autrement dit des communautés cosmopolites du risque.

30 Les crises et les risques globaux contredisent le nationalisme méthodologique. Ils ne sont pas confinés aux frontières nationales, et leurs causes ne peuvent être analysées à travers le prisme national. Leurs effets sont ressentis par-delà les frontières souveraines des nations, et ils peuvent devenir les objets de systèmes de gouvernance ou de réactions de la société civile d'envergure transnationale. Je place les menaces globales et les crises au centre de la scène globale, faisant ainsi évoluer mes idées de « société du risque » (1986) à la « société mondiale du risque » (1999) jusqu'à « un monde à risque » (2006). Je distingue trois types de crises globales, à savoir les crises d'interdépendance écologique, économique et terroriste.

31 Dans un monde de crises et de dangers mondiaux, une perspective cosmopolite signifie que les anciens dualismes (intérieur/extérieur, national/international, eux/nous) perdent de leur validité, et que la communauté imaginée du cosmopolitisme devient nécessaire à la survie. Cette perspective d'une « cosmopolitisation forcée » rend possible l'idée que la « fabrique des incertitudes et des insécurités » permise par une société mondiale du risque appelle à la réflexivité transnationale, à la coopération globale et à des réponses coordonnées ­ même si ces mêmes processus peuvent appeler à l'exact opposé !

32 J'insiste sur cette idée de mise en scène de la société mondiale du risque. Cela découle du souci théorique pour les « nouveaux risques globaux ». Ils peuvent être définis comme des menaces et des catastrophes résultant de l'action humaine, incalculables, et non assurables, mais qui sont anticipées. Bien souvent, ils demeurent invisibles ; on les perçoit donc lorsqu'ils deviennent définis et contestés au sein d'un « savoir ». Les risques globaux sont donc socialement construits et définis selon des relations de pouvoir. Leur existence prend la forme d'un savoir (scientifique ou pseudo-scientifique). Par conséquent, en fonction des normes autorisant ce qui est connu et ce qui ne l'est pas, leur « réalité » peut être accentuée ou minimisée, transformée ou simplement déniée. Les risques globaux sont les résultats d'une mise en scène plus ou moins réussie. Il faut donc insister sur le fait que les crises globales dépendent des médias globaux. En effet, lorsque ces risques sont mis en scène dans les médias, ils deviennent des événements cosmopolites pouvant toucher le monde entier avec une rapidité foudroyante. Selon cette perspective, les évènements cosmopolites sont des expériences réflexives, des coups du sort très médiatisés, très sélectifs, très variables, très symboliques, locaux et mondiaux, nationaux et internationaux, matériels et communautaires. Ils dépassent et effacent toutes les frontières sociales, et déconstruisent l'ordre global qui domine l'esprit des gens.

33 Déjà en 1927, John Dewey cherchait « les conditions dans lesquelles la Grande Société pourrait devenir la Grande Communauté ». Il distinguait d'une part les décisions prises collectivement et d'autre part les conséquences de ces décisions. Il reliait cette idée à la théorie selon laquelle la sphère publique émerge non pas d'un quelconque intérêt général pour les décisions mais plutôt pour leurs conséquences. Les gens sont indifférents aux décisions en tant que telles. Ils ne se réveillent pas avant qu'ils aient commencé à discuter ensemble des conséquences problématiques des décisions. C'est la communication qui les sort de leur torpeur et les rend inquiets ; elle secoue leur indifférence en créant une sphère publique et une potentielle communauté d'action. Autrement dit, c'est un risque global ­ plus précisément la mise en scène et la perception d'un risque global ­ qui crée des communautés imaginées qui traversent toutes sortes de frontières. C'est la réflexivité d'une société du risque mondialisée qui produit la relation réciproque entre la sphère publique et la globalité.

34 Je voudrais faire un échange entre les sociologies américaine et européenne. Les Américains ont une longue tradition sociologique fondée sur l'urbanisme, la migration et les communautés d'étrangers. Cette tradition fut largement influencée par un sociologue européen particulièrement cosmopolite, Georg Simmel. Je me considère comme un continuateur de cette tradition, mais je souhaite l'actualiser pour l'âge global afin de rendre à nouveau notre profession pertinente. En sociologie, la ligne pragmatiste américaine par exemple essaie toujours d'étendre les frontières de la nation.

35 Deuxième thèse : Est-ce également vrai pour les risques environnementaux et les risques financiers ? Non. Le changement climatique en tant que tel est global par nature. En revanche, les risques économiques peuvent être individualisés ; ils peuvent légitimement être considérés et gérés comme relevant de la responsabilité des individus ou des nations, plutôt que des communautés transnationales.

36 La crise actuelle, cependant, va au-delà. Il s'agit d'une véritable crise globale qui s'est déployée très rapidement. Elle a créé un sentiment de dépendance mutuelle, ce qui n'a pas été le cas lors de la crise asiatique par exemple (notons qu'un observateur en Thaïlande a sans doute pu voir les choses différemment). Elle a aussi rapidement provoqué des réponses politiques nationales et internationales, tandis que la gestion des crises précédentes était largement laissée aux technocrates et aux spécialistes, notamment ceux de la Banque Mondiale et du FMI.

37 Les seules institutions aussi globales que le système financier, et les seules qui agissent comme lui en temps réel, sont les médias de masse. Il est clair en effet qu'en diffusant l'information les médias ont suscité une prise de conscience d'un problème décrit comme global et issu d'interdépendances économiques. Mais ce qui est intéressant, ce n'est ni la diffusion de l'information en tant que telle, ni le fait que le public des médias se familiarise avec de nouveaux objets mondiaux qui les touchent eux autant que des étrangers. Ce qu'il y a de véritablement intéressant c'est que la réception de l'information nous fait prendre conscience que des étrangers sont en train de suivre les mêmes événements, en ressentant les mêmes peurs et les mêmes inquiétudes. Les étrangers deviennent des voisins !

38 Une autre condition pour créer ces communautés imaginées du risque consiste dans le potentiel de réflexivité des sphères publiques ­ et de la sphère publique mondiale. Les communautés imaginées qui se forment autour des risques globaux peuvent ainsi apparaître non seulement quand les médias de masse (Internet, téléphones portables) se constituent en forum d'échange d'information, mais aussi quand ils permettent de nous faire réaliser que cet échange est en train d'avoir lieu. Comme l'a brillamment montré Benedict Anderson [21], le fondement original du nationalisme ­ les « communautés imaginées » ­ se trouve dans la prise de conscience que l'on suit les mêmes événements en même temps que d'autres et que l'on est tous affectés ensemble. La question qu'il faut alors se poser est la suivante : quelles sont les conséquences quand les crises globales comme l'actuelle crise financière (mais aussi les effets catastrophiques du changement climatique ou la menace des armes nucléaires) sont suivies par un public qui va au-delà des frontières des États-nations ? Une autre question découle de celle-ci : quel type de relation existe-t-il entre les communautés imaginées nationales et les communautés imaginées cosmopolites ? Benedict Anderson utilisait le concept de « communautés imaginées » pour des constructions nationales, et il y a fort à penser que, comme beaucoup d'autres, il considérait les communautés imaginées comme s'appliquant seulement aux nations. Pour ma part, je me pose cette question : peut-on faire fonctionner un concept de communautés imaginées sous une forme nouvelle et élargie pour explorer les conséquences sociales et politiques des risques globaux ?

39 Quelles sont alors les caractéristiques de ces risques qui rendent possibles les communautés imaginées cosmopolites ? Tout d'abord, le traitement médiatique de la crise financière et du changement climatique crée une sphère publique qui peut réflexivement constituer des communautés transnationales du risque ­ sous certaines conditions, entre autres la liberté de la presse, des formes réflexives de traitement de l'information, des garanties étatiques de sécurité, d'égalité, de droits civiques et de libertés publiques. Ensuite, de telles communautés du risque sont rendues possible par la reconnaissance de la dépendance (pouvoir) et de l'interdépendance (dépendance mutuelle). Une telle interdépendance est risquée, puisque telle ou telle région du monde peut se trouver perturbée par les remous financiers d'une autre région lointaine. Seule la réalisation simultanée de ces conditions complexes ­ qui incluent également le « choc anthropologique » que constituent les catastrophes (le 11-Septembre, Tchernobyl, l'effondrement d'une banque) ­ met en marche la cosmopolitisation, qui peut peut-être déboucher sur une action politique à l'échelle mondiale.

40 Troisième thèse : la relation entre la cosmopolitisation et la dénationalisation n'est cependant ni inévitable ni linéaire ; au contraire, la cosmopolitisation peut mener à une re-nationalisation ou à une ré-ethnicisation, comme on l'observe aujourd'hui en Europe et dans plusieurs endroits du monde.

41 On ne doit pas confondre les communautés imposées par les risques globaux et les communautés imaginées. Si quelque chose est effectivement partagé par tous à travers le monde, on peut alors se demander comment échapper à l'imposition du cosmopolitisme, et comment restaurer les certitudes et les limites du national. Il faut alors aussi poser franchement la question inverse et chercher à y répondre de manière empirique : sous quelles conditions la destinée commune et objective des risques globaux ne produit-elle pas (ou seulement à un degré ou pour un temps limité) des communautés imaginées cosmopolites ? Ainsi, quand permet-elle le renforcement des communautés imaginées nationales ? On peut ici distinguer trois questions de recherche :

42 La gestion du risque mondial divise le monde selon une logique propre : il y a d'une part l'élite qui prend des décisions pour assumer ou réduire les risques, d'autre part ceux qui supportent les conséquences ­ les effets secondaires ignorés ­ de ces décisions.

43 S'il est vrai que la gestion politique des risques globaux se fonde principalement sur la présence et la mise en scène des médias de masse, cela signifie en retour que la capacité des risques à forger des communautés est précaire. Plus précisément, cette capacité ou ce pouvoir peut s'effondrer quand l'agenda des médias de masse change. La question centrale concerne donc la durabilité (ou les conditions de durabilité) de la perception globale du risque.

44 La sociologie de la cosmopolitisation ne prétend donc pas indiquer la marche à suivre, quel que soit le résultat de la transformation globale ; elle est également loin de postuler l'existence d'un sujet mondial-historique du cosmopolitisme. Au contraire, elle propose différents processus et différents chantiers de cosmopolitisation, et donc des réponses diverses et contradictoires aux problèmes globaux. Malgré cela, il reste un point essentiel : la cosmopolitisation donne plus de poids à un impératif cosmopolite auquel personne ne peut déroger sans mettre en danger son intérêt propre à la survie. Les « liens » qui caractérisent les communautés cosmopolitiques ne doivent donc pas être perçus comme fugaces, légers, relatifs à des intérêts changeants, incapables de supporter une véritable tension ­ autrement dit, ils ne doivent pas relever d'un « cosmopolitisme fin ». Ces liens sont au contraire fondés sur l'articulation des intérêts nationaux et individuels avec la réalité des chaînes de causes et de conséquences. Ils articulent les intérêts les plus fondamentaux des nations (et des individus) avec les espaces et les devoirs désormais sans frontières de la responsabilité pour la survie de tous. La capacité du risque à faire communauté dépend du réalisme, et non pas simplement de la compassion, du regret ou de la pitié pour la souffrance des autres ­ c'est ce qu'il faut entendre par « cosmopolitisme épais ».

45 Une question se pose alors : comment les communautés nationales et les communautés cosmopolites peuvent-elles être distinguées de façon idéale-typique, et de quelle nature est leur relation ?

46 Quatrième thèse : Les communautés nationales sont comprises comme étant fermées et exclusives. On considère en revanche les communautés cosmopolites comme ouvertes et inclusives ; inclusives dans un sens bien précis : la cosmopolitisation n'est pas l'Autre du nationalisme.

47 Le cosmopolitisme/la cosmopolitisation n'exclut pas les nations, il/elle les inclut. Mais la dualité entre national et cosmopolite existe bel et bien dans la perspective nationale. Cette idée est généralement source de malentendu. Celui qui essaie d'échapper à la perspective nationale affirme que la dichotomie entre national et cosmopolite est exclusive (ou bien/ou bien) ; mais il ne voit pas ce que la perspective cosmopolite prend pour acquis, à savoir que l'articulation entre national et cosmopolite est inclusive (et/et).

48 Aucune nation ne se présente comme équivalente à l'humanité. L'idée que les nations rêvent d'intégrer tous les Hommes est hors de propos, ne serait-ce que parce que chaque nation présuppose la dualité entre national et international. Le cosmopolitisme non plus ne cherche pas à créer une communauté mondiale, à la manière des Chrétiens qui imaginaient convertir toute la planète. Au contraire, le cosmopolitisme signifie que toutes les nations, toutes les religions, tous les groupes ethniques, toutes les classes, etc. sont et se considèrent comme obligés de constituer une communauté destinée à assurer leur survie, étant donné le développement de la civilisation et son potentiel auto-destructeur.

49 Nous l'avons dit, les communautés imaginées autour du risque partagé sont des communautés forcées de concevoir un destin commun. Contrairement à ce que le cosmopolitisme semble suggérer, elles ne sont pas fondées ni sur un choix volontaire ou un statut dominant, ni sur une normativité ou un savoir philosophique. La communauté cosmopolite du risque n'est précisément pas fondée sur l'idée que nous sommes tous membres de la communauté humaine. Ce qu'on pourrait appeler « l'effet bon Samaritain » n'est pas suffisant : la pratique chrétienne ou cosmopolite de l'amour du prochain est une solidarité pour ceux qui sont vulnérables, qui souffrent ou dont l'humanité même est menacée ou sur le point d'être détruite. En réalité, parce que nous avons un intérêt à survivre, nous sommes forcés de considérer les Autres lointains et de faire communauté avec eux. Le but est de se battre pour fabriquer une nouvelle sorte de communauté et une nouvelle manière de faire de la politique.

50 Le risque mondial est un bouclier forgé par les moyens de communication pour se protéger de la vulnérabilité de l'humanité face aux menaces qu'elle-même a engendré. Les risques globaux relient les gens qui n'ont rien (ou ne veulent rien avoir) en commun avec les autres. Ces risques signifient que les particularités nationales ­ culture, langue, religion, loi ­ doivent être relayées au second plan pour permettre la coopération par-delà les frontières et les différences, même en situation d'hostilité. Tout cela est possible, non pas grâce à la mise en place délibérée des principes normatifs du cosmopolitisme, mais de façon involontaire, à l'insu des acteurs. C'est par l'expérience de situations de menace globale ou d'interdépendances face au risque que peut se former, plus ou moins involontairement, une force qui nous pousse à coopérer. Pour que cette force prenne forme, la politisation et l'établissement de normes peuvent être nécessaires, mais pas en tant qu'application de beaux principes d'un grand philosophe quelconque.

51 Une caractéristique essentielle des communautés nationales et des communautés cosmopolites est que l'histoire de leur émergence est très liée à la multiplication de nouvelles technologies de communication. Cependant, il s'agit pour chaque cas de types de technologie différents. Tandis que les communautés nationales sont fondées sur l'invention et la production massive du livre imprimé ­ Benedict Anderson l'a montré ­, les communautés cosmopolites dépendent d'Internet et de ce qu'il a rendu possible (communications mondiales, mobilité, réseaux, forums de débat, etc.).

52 Cinquième thèse : Les deux types de communautés imaginées (nationales et cosmopolites) ont en commun le fait de ne pas être l'objet de choix ; elles sont données. Mais il existe une différence importante : ce qui est donné pour la communauté national est relatif à l'origine, ce qui est donné pour la communauté cosmopolite est relatif au futur.

53 Les communautés nationales sont enracinées dans le passé (un « passé imaginé » cependant, car si le passé apparaît ancien aux yeux des nationalistes, pour l'historien il date du début de la modernité européenne). À l'inverse, les communautés cosmopolites sont forgées dans un futur anticipé dans le présent. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, tous les groupes ethniques et religieux, toutes les populations en général habitent un même présent fait d'un futur menacé pour la civilisation. Mais alors jusqu'à quel point ce présent est-il partagé ? En effet, ce « même présent » ou « présent commun » existant à partir d'un futur menacé omniprésent n'est pas fondé sur un passé commun. Au contraire, la cosmopolitisation, rendue possible par des catastrophes imaginées (qui pour beaucoup sont bien réelles !), apparaît pour lutter contre la variété et les hostilités des passés nationaux. Autrement dit, les principes de la nationalité (territorialité, frontière, souveraineté, exclusion des étrangers) entrent en conflit avec les principes du cosmopolitisme (solidarité transfrontalière, inclusion des étrangers, responsabilité causale). Et c'est là un point d'achoppement majeur, puisque l'on répond généralement à la cosmopolitisation par une re-nationalisation, plutôt que par un cosmopolitisme conscient.

54 Sixième thèse : Il y a cependant une différence décisive. La force et la survie d'une nation dépendent in fine du fait que chacun de ses membres est prêt à sacrifier sa vie pour elle. Dans une société mondiale du risque, l'action est fondée au contraire sur l'idée que la survie de tous devient l'intérêt propre de chacun.

55 La communauté cosmopolite n'est donc pas conçue, à la manière de la communauté nationale, sur une fraternité d'armes où tous considèrent qu'il est honorable de mourir pour la patrie (Dulce et decorum est pro patria mori). La communauté cosmopolite, forgée dans l'urgence, déconstruit ce mythe national ; le mot d'ordre est désormais : ne pas mourir mais survivre ! Pour être plus exact, afin d'assurer la survie de tous, un processus d'apprentissage collectif, mondial et rapide est nécessaire. Toutes les nations, religions, groupes ethniques, et tous les individus qui les composent, doivent  uvrer à réduire les conflits nationaux et religieux, et se défaire de l'imaginaire de l'ennemi, de façon à ne pas empêcher une « co-opération de sauvetage ». En d'autres mots : oui aux particularités, non à la diabolisation ! Autrement dit encore, l'émancipation imposée ­ ce qui doit être fait doit être acté et entrepris immédiatement. Sinon la crise devient catastrophe, la communauté de destin devient communauté de destruction. Quand ils sont pris au sérieux, les risques globaux lèvent les doutes et les ambiguïtés ! (C'est ici que se forgent les fondamentalismes totalitaires !). La communauté nationale fait désormais partie intégrante de la communauté cosmopolite, mais elle doit changer structurellement en s'ouvrant. Le nationalisme n'imagine ni ne construit l'altérité selon la distinction supérieur/inférieur, mais selon l'opposition intérieur/extérieur. À l'intérieur, le nationalisme dissout les distinctions et unifie la sphère de validité des normes. C'est d'ailleurs ce qu'il partage avec l'universalisme. C'est un universalisme interne, qui s'arrête là où les autres nations commencent. À l'extérieur, dans sa relation avec les autres nations, il oscille entre la tolérance éclairée et l'excès nationaliste. Ceci n'est plus possible lorsque le national se cosmopolitise. La diabolisation des autres nations doit être déconstruite, elles doivent être reconnues comme égales. Plus encore, il faut non seulement apprendre à voir la situation des autres ­ en raison d'un intérêt à survivre strictement égoïste ! ­, mais aussi à se voir à travers les yeux des autres. Par conséquent, si l'on veut résoudre les problèmes mondiaux il faut ouvrir un nouvel espace d'action de responsabilité causale.

56 Septième thèse : Apparaît ainsi une différence essentielle entre la communauté nationale et la communauté cosmopolite : l'empathie nationale est remplacée par une responsabilité causale qui crée un espace transnational d'obligation potentielle vis-à-vis des étrangers exclus.

57 Les risques globaux sont aussi le fruit de décisions collectives. Leurs conséquences seront systématiquement rejetées sur les Autres tant que les communautés nationales traceront des frontières entre ceux qui profitent de l'industrialisation et ceux qui récoltent les risques et dont l'existence est menacée (voir ci-dessus).

Conclusion

58Contrairement aux communautés nationales, les communautés cosmopolites ne sont pas des communautés territoriales, mais des communautés aux origines variées, non-territoriales, et qui peuvent se recouper. Ces communautés imaginées doivent néanmoins aussi être créées, même lorsqu'elles sont « socialement construites » comme des communautés (civilisationnelles) de destin. Leur création coïncide avec la définition et la mise en scène des risques dans un contexte où les relations de pouvoir de définition (« méta-pouvoir ») sont globales et évoluent. (...) Le but est de déconstruire et dépasser la conception de la nation comme conteneur. Qui plus est, le relativisme national (qui est dans l'intérêt de la nation) pourrait en fin de compte rendre réalistes les communautés cosmopolites imaginées.

59 Pour réussir, il demeure cependant une condition très exigeante, et donc fragile : tous les acteurs et toutes les organisations devront penser aux répercussions des décisions des autres en même temps qu'aux conséquences de leurs propres actions sur les autres. Il faut aboutir à un certain degré de consensus dans ce processus (« résonance transnationale »), car, autrement, le risque qui nous affecte tous peut être drastiquement minimisé. (Y a-t-il alors un modèle de comportement familier auquel on peut se référer ? Oui, il suffit d'observer les conducteurs de voitures !)


Date de mise en ligne : 11/09/2014.

https://doi.org/10.3917/rai.054.0103

Notes

  • [1]
    Ulrich Beck, The Cosmopolitan Vision, Cambridge, Polity Press, 2006 (Qu'est-ce que le cosmopolitisme ?, Paris, Flammarion, 2006).
  • [2]
    Stephen Toulmin, Cosmopolis : The Hidden Agenda of Modernity, New York, Free Press, 1990 ; Pauline Kleingeld, « Six Varieties of Cosmopolitanism in Late Eighteenth-Century Germany », Journal of the History of Ideas, vol. 60, no 3, 1999, p. 505-524 ; Sigrid Thielking, Weltbürgertum. Kosmopolitische Ideen in Literatur und politischer Publizistik seit dem achtzehnten Jahrhundert, Munich, Fink, 2000.
  • [3]
    Par exemple, Friedrich Meinecke, Weltbürgertum und Nationalstaat. Studien zur Genesis des deutschen Nationalstaats, Munich, Oldenbourg, 1907.
  • [4]
    Voir Thomas W. Pogge, « Cosmopolitanism and Sovereignty », Ethics, vol. 103, no 1, 1992, p. 484-575 ; David Held, Democracy and the Global Order : From the Modern State to Cosmopolitan Governance, Cambridge, Polity Press, 1995 ; Daniele Archibugi et David Held (dir.), Cosmopolitan Democracy : An Agenda for a New World Order, Cambridge, Polity Press, 1995 ; Daniele Archibugi, David Held et Martin Kohler (dir.), Re-Imagining Political Community : Studies in Cosmopolitan Democracy, Cambridge, Polity Press, 1998 ; Andrew Linklater, The Transformation of Political Community : Ethical Foundations of the Post-Westphalian Era, Columbia, University of South Carolina Press, 1998 ; Pheng Cheah et Bruce Robbins (dir.), Cosmopolitics : Thinking and Feeling Beyond the Nation, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1998 ; Mary Kaldor New & Old Wars, Organized Violence in a Global Era, Cambridge, Polity Press, 2006 ; Daniel Levy et Natan Sznaider, The Holocaust and Memory in the Global Age, Philadelphia, Temple University Press, 2006 ; Ulrich Beck, What Is Globalization ?, Cambridge, Polity Press, 2000 ; Ulrich Beck, Power in the Global Age : A New Global Political Economy, Cambridge, Polity Press, 2005 (Pouvoir et contre-pouvoir à l'ère de la mondialisation, Paris, Aubier, 2006), Ulrich Beck, The Cosmopolitan Vision, op. cit. ; Steven Vertovec et Robin Cohen, Conceiving Cosmopolitanism : Theory, Context, and Practice, New York, Oxford University Press, 2002 ; Daniele Archibugi, « Cosmopolitical Democracy », in Daniele Archibugi (dir.), Debating Cosmopolitics, Londres, Verso, 2003, p. 1-15 ; Mary Kaldor, Helmut Anheier et Marlies Glasius (dir.), Global Civil Society ­ Yearbook, Oxford, Oxford University Press, 2003.
  • [5]
    Voir Timothy Brennan, At Home in the World : Cosmopolitanism Now, Cambridge, Harvard University Press, 1997.
  • [6]
    Daniele Archibugi, « Cosmopolitical Democracy », art. cité, p. 11.
  • [7]
    Pour une analyse du cosmopolitisme et de ses contraires relevant proprement des sciences sociales, voir Ulrich Beck, The Cosmopolitan Vision, op. cit. ; « We Do Not Live in an Age of Cosmopolitanism but in an Age of Cosmopolitisation : The "Global Other" Is in Our Midst », Irish Journal of Sociology, vol. 19, no 1, 2011, p. 16-34 ; « Cosmopolitan Sociology : Outline of a Paradigm Shift », in Maria Rovisco et Magdalena Nowicka (dir.), The Ashgate Research Companion to Cosmopolitanism, Farnham/Burlington, Ashgate, 2011, p. 17-32 (« Une sociologie cosmopolite : esquisse d'un changement paradigmatique », Nouvelles Perspectives en Sciences Sociales, vol. 8, no 1, 2012, p. 61-190) ; « Cosmopolitanism as Imagined Communities of Global Risk », in Edward A. Tiryakian, Guest Editor, « Imagined Communities » in the 21st Century, no spécial, The American Behavioral Scientist, vol. 55, no 10, 2011, p. 1346-1361 ; « Multiculturalism or Cosmopolitanism : How Can We Describe and Understand the Diversity of the World », Social Sciences in China, vol. 32, no 4, p. 52-58. Voir Pheng Cheah, Inhuman Conditions : On Cosmopolitanism and Human Rights, Cambridge, Harvard University Press, 2006, Gerard Delanty (dir.), Routledge Handbook of Cosmopolitanism Studies, Londres, Routledge, 2012, Pnina Werbner (dir.), Anthropology and the New Cosmopolitanism : Rooted, Feminist and Vernacular Perspectives, Oxford, Anton Berg, 2008.
  • [8]
    Ulrich Beck et Edgar Grande, The Cosmopolitan Europe, Cambridge, Polity Press, 2007 (Pour un empire européen, Paris, Flammarion, 2007).
  • [9]
    Otto Dann, Nation und Nationalismus in Deutschland, 1770-1990, Munich, C.H. Beck, 1993.
  • [10]
    Sur la critique du multiculturalisme, voir Ulrich Beck, The Cosmopolitan Vision, op. cit.
  • [11]
    Inutile de dire que le diable se cache dans les détails. Qui trouve les procédures selon lesquelles ces minima sont déterminés ? Qui les impose contre l'opposition ? Comment sont résolus les conflits dans lesquels un camp n'est pas prêt à renoncer à l'usage de la violence organisée, laquelle viole les normes minimales de civilisation ? Ces questions montrent clairement que le cosmopolitisme n'offre pas de solutions clé en main ; il est profondément problématique.
  • [12]
    Voir Pauline Kleingeld, « Six Varieties of Cosmopolitanism in Late Eighteenth-Century Germany », p. 516.
  • [13]
    C'est pour cette raison que la philosophie marxiste orthodoxe considère le cosmopolitisme comme « l'autre face du nationalisme et du chauvinisme bourgeois », et non pas comme son contraire. Selon la doctrine marxiste dominante, le cosmopolitisme est « une réponse réactionnaire à l'internationalisme socialiste » (Georg Klaus et Manfred Buhr (dir.), Philosophisches Wörterbuch, 2e ed. Leipzig, VEB Bibliographisches Institut, 1975, p. 667.
  • [14]
    La distinction entre la période pré-moderne et la modernité a simplement une fonction heuristique, nous savons qu'elle est encombrée d'une distinction extrêmement problématique entre tradition et modernité. Il est vrai par ailleurs que la hiérarchie de la différence, sous la forme du colonialisme, était constitutive du processus de formation des États-nations européens au 18e et 19e siècles. Les attaques terroristes du 11 septembre 2001 sont également utilisées pour remplacer l'« ennemi communiste » perdu par l'« ennemi islamiste ».
  • [15]
    Comme dans Anthony Smith, Nations and Nationalism in a Global Era, Cambridge, Polity Press, 1995 par exemple.
  • [16]
    Cela implique une étrange ironie. La post-modernité, qui s'est développée pour démasquer et dépasser l'essentialisme, vient en fait le raviver sous la forme d'un quasi-essentialisme post-moderne fondé sur l'incommensurabilité des Autres. Elle partage avec l'essentialisme de la différence pré-moderne l'idée qu'il faut accepter les choses telles qu'elles sont.
  • [17]
    Axel Honneth, The Struggle for Recognition : The Moral Grammar of Social Conflicts, Cambridge, Polity Press, 1995.
  • [18]
    Voir par exemple David Held et al., Global Tansformations, Stanford, Stanford University Press, 1999.
  • [19]
    Voir Ulrich Beck, « Beyond Class and Nation : Reframing Social Inequalities in a Globalizing World », British Journal of Sociology, vol. 58, no 4, 2007, p. 679-705 ; A God of One's Own : Religion's Capacity for Peace and Potential for Violence, Cambridge, Polity Press, 2010 ; Ulrich Beck et Elisabeth Beck-Gernsheim, Distant Love, Cambridge, Polity Press, 2014 ; Ulrich Beck et Elisabeth Beck-Gernsheim, « Global Generations and the Trap of Methodological Nationalism : For a Cosmopolitan Turn in the Sociology of Youth and Generation », European Sociological Review, vol. 25, no 1, 2009, p. 25-36 ; Ulrich Beck et Daniel Levy, « Cosmopolitanized Nations : Re-imagining Collectivity in World Risk Society », Theory, Culture & Society, vol. 30, no 2, 2013, p. 3-31 ; Nina Glick Schiller et Noel B. Salazar, « Regimes of Mobility across the Globe », Journal of Ethnic & Migration Studies, vol. 39, no 2, 2013, p. 183-200 ; Nancy Scheper-Hughes, « The Last Commodity : Post-Human Ethics and the Global Traffic in "Fresh" Organs », in Aihwa Ong et Stephen J. Collier (dir.), Global Assemblages : Technology, Politics and Ethics as Anthropological Problems, Malden, Blackwell Publishing, 2005, p. 145-167 ; Andreas Wimmer et Nina Glick Schiller, « Methodological Nationalism and Beyond : Nation-State Building, Migration and the Social Sciences », Global Networks, vol. 2, no 4, 2002, p. 301-334.
  • [20]
    Voir Ulrich Beck, World at Risk, Cambridge, Polity Press, 2009.
  • [21]
    Voir Benedict Anderson, Imagined Communities, Londres, Verso, 1983.
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