Notes
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[1]
Nous reprenons ici la notion de dispute issue de la sociologie pragmatique dans un sens générique visant à subsumer aussi bien la notion de débat que celle de controverse (Mohamed Nachi, Introduction à la sociologie pragmatique, Paris, Armand Colin, 2006). Nous réservons la notion de controverse aux disputes savantes et celle de débats aux disputes entre militants. Cet usage est justifié par le souci de ne pas identifier d'emblée sous le même concept des disputes qui ont peut-être des spécificités propres. Notre usage est ici proche de celui adopté par Francis Chateauraynaud dans le sens où l'on admet une pluralité d'« arènes de débat » : « Invention argumentative et débat public regard sociologique sur l'origine des bons arguments », Cahiers d'économie politique, 2004, vol. 2, no 47, p. 191-213 ; Argumenter dans un champ de force, Paris, Éd. Petra, 2011.
-
[2]
Pierre Bourdieu, Science de la science et réflexivité, Paris, Raisons d'agir, 2001.
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[3]
Lilian Mathieu, « L'espace des mouvements sociaux », Politix, no 77, 2007, p. 131-151 ; L'espace des mouvements sociaux, Paris, Éd. du Croquant, 2012.
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[4]
Cette tradition recouvre des auteurs tels que Émile Durkheim, Gaston Bachelard ou encore Pierre Bourdieu.
-
[5]
Luc Boltanski, De la critique. Pour une sociologie de l'émancipation, Paris, Gallimard, 2009.
-
[6]
Elle oppose par exemple Marx à Bakounine. C'est également cette tension qui est à l' uvre dans des débats et des oppositions de pratiques militantes d'inspiration léniniste et d'autres d'inspiration anarchiste ou syndicaliste d'action directe. On la retrouve en outre dans l'opposition entre Jacques Rancière et Pierre Bourdieu ou Jacques Rancière et Alain Badiou.
-
[7]
Sur les liens entre sociologie pragmatique et philosophie pragmatiste, voir L. Boltanski, De la critique, op. cit.
-
[8]
John Dewey, Logique ou la théorie de l'enquête, trad. de l'angl. par Gérard Deledalle, Paris, PUF, 1993.
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[9]
Ibid., p. 362.
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[10]
Elle consiste à proposer une grille commode d'analyse du réel, mais ne prend pas position sur les approches sociologique qui entendent porter un jugement sur la réalité en soi, que ces approches soient explicatives ou au contraire compréhensives. L'approche pragmatiste se centre sur l'étude des discours et des actions des acteurs individuels ou collectifs tels qu'ils apparaissent.
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[11]
Ces deux études ont eu lieu plus particulièrement entre 2006 et 2010, et ont servi de terrain à notre thèse de doctorat : Irène Pereira, « Un nouvel esprit contestataire. La grammaire pragmatiste du syndicalisme d'action directe libertaire », sous la direction de Luc Boltanski, EHESS Paris, Juin 2009.
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[12]
Il s'agit d'une organisation communiste libertaire créée en 1991 et comprenant environ 300 membres répartis sur l'ensemble de la France.
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[13]
Syndicat membre de l'Union syndicale Solidaire, il a été fondé en 1996 et rassemble depuis 2010 un peu plus de 1 000 adhérents.
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[14]
Cette étude a été publiée sous le titre : Irène Pereira, Les grammaires de la contestation, Paris, La Découverte, 2011.
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[15]
On peut ainsi rappeler d'un côté, les productions savantes ou émanant de savants à destination du grand public par Bourdieu ou des sociologues bourdieusiens : P. Boudieu, Sur la télévision, Paris, Raisons d'agir, 1996 ; Patrick Champagne, Faire l'opinion, Paris, Minuit, 1990. On peut noter l'existence d'associations ou de journaux militants s'inscrivant dans cette veine critique et dans un lien avec cette école sociologique : le journal CQFD, le journal Le Plan B, l'association ACRIMED (Action Critique Médias).
-
[16]
Serge Moscovici, Psychologie des minorités actives, Paris, PUF, 1979.
-
[17]
Il ne s'agit pas d'une rupture au sens rationaliste du terme dans la mesure cette conception implique le passage de l'opinion à la vérité, alors que la conception pragmatiste consiste à établir des degrés de justification entre différents énoncés. Un énoncé est plus ou moins rationnellement acceptable.
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[18]
En effet, ce qui distingue classiquement l'argumentation de la démonstration, c'est qu'elle s'appuie sur des prémisses vraisemblables et non nécessaires : Aristote, La rhétorique, trad. du grec ancien par Médéric Dufour et André Wartelle, Paris, Gallimard, 1998 ; Chaïm Perelman et Lucie Olbrecht-Tyteca, Traité de l'argumentation : la nouvelle rhétorique, Bruxelles, Éd. de l'Université de Bruxelles, 1992 [5e éd.].
-
[19]
Hilary Putnam, Raison, Vérité et histoire, trad. de l'angl. par Abel Gerschenfeld, Paris, Minuit, 1984 (Reason, Truth and History, Cambridge, Cambridge University Press, 1981) ; Jürgen Habermas, Vérité et justication, trad. de l'all. par Rainer Rochlitz, Paris, Gallimard, 2001.
-
[20]
Jacques Rancière, Le maître ignorant, Paris, Fayard, 1987.
-
[21]
Pour reprendre la formule rationaliste qu'utilise Lénine dans Que faire ?.
-
[22]
Alain Bihr, « Éléments pour une théorie de l'auto-activité du prolétariat », Critique politique, no 11, 1982.
-
[23]
Émile Pouget, L'action directe (1910), disponible sur : http://cnt-ait.info/article.php3?id_article=1280
-
[24]
É. Pouget, L'action directe et autres écrits syndicalistes, Marseille, Agone, 2010.
-
[25]
Cette pratique est encore appliquée et suscite encore régulièrement des disputes lors des mouvements étudiants comme l'ont montré le mouvement anti-CPE et les mouvements étudiants qui ont suivis.
-
[26]
É. Pouget, L'action directe et autres écrits syndicalistes, op. cit.
-
[27]
Une grammaire telle que nous l'avons définie en nous appuyant sur la sociologie de la critique est une modélisation des discours et des pratiques des acteurs qui repose sur des homologies structurelles avec des théorisations philosophico-politiques. Une grammaire n'existe pas a priori. Elle est une construction scientifique instrumentale, visant à rendre plus intelligible la réalité, construction qu'effectue le sociologue à partir des constantes et des logiques qu'il constate dans les pratiques et les discours des acteurs.
-
[28]
I. Pereira, Les grammaires de la contestation, op. cit.
-
[29]
Association pour la taxation des transactions financières et l'aide aux citoyens.
-
[30]
Sarfati Elia-Georges, La sémantique : de l'énonciation au sens commun, Mémoire d’habilitation, Université Clermont Ferrand II, 1996, disponible sur : http://www.revue-texto.net/Inedits/Sarfati/Sarfati_Semantique.html
-
[31]
I. Pereira, Les grammaires de la contestation, op. cit., p. 35-38.
-
[32]
Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger (1790), trad. de l'all. par Rainer Rochlitz, Paris, Vrin, 1993, [25a].
-
[33]
Même si Kant pour sa part n'y est pas opposé.
-
[34]
Marx/Engels, L'idéologie allemande (1845), disponible sur : http://www.marxists.org/francais/marx/works/1845/00/kmfe18450000c.htm.
-
[35]
Voir par exemple Maria Puig De la Bellacasa, « Divergences solidaires. Autour des politiques féministes des savoirs situés », no 12, Multitudes, 2003, p. 39-47 ; Donna Haraway, « Savoirs situés »(1988), disponible sur : http://bader.lejmi.org/tag/theoriedu-point-de-vue/.
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[36]
On peut citer par exemple Christine Delphy, Françoise Picq, Marie-Jo Bonnet...
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[37]
Lénine Vladimir Oulianov, Matérialisme et empiriocriticisme (1908). Disponible sur : http://www.marxists.org/francais/lenin/works/1908/09/index.htm.
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[38]
I. Pereira, Les grammaires de la contestation, op. cit. La grammaire syndicaliste d'action directe nous permet de modéliser de manière générale cette épistémologie pragmatiste que nous avons décrite plus haut avec le cas du syndicalisme révolutionnaire.
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[39]
Nous utilisons dans ce passage le présent anthropologique pour signaler des positions régulièrement observées lors de débats militants.
-
[40]
Jacques Rancière, Le maître ignorant, Paris, Fayard, 1987.
-
[41]
H. Putnam, Raison, Vérité et histoire, op. cit.
-
[42]
Pierre Ansart, Naissance de l'anarchisme, Paris, PUF, 1970.
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[43]
Pierre-Joseph Proudhon, De la justice dans l'Église et la révolution, Bruxelles, Office de publicité, 1860.
-
[44]
Gilles Deleuze et Michel Foucault, « Les intellectuels et le pouvoir », Dits et Écrits, Paris, Gallimard, 1994, p. 309.
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[45]
Martine Revel, « Pratiques délibératives et engagement des profanes : la montée en généralité des associations », disponible sur : http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00484680/fr/
-
[46]
Richard Rorty, Conséquences du pragmatisme, trad. de l'angl. par Jean-Pierre Cometti, Paris, Seuil, 1993 (Consequences of Pragmatism, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1982).
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[47]
H. Putnam, Raison, Vérité et histoire, op. cit.
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[48]
J. Habermas, Vérité et justification, op. cit.
-
[49]
P.-J. Proudhon, De la justice dans la Révolution et l'Église, op. cit., « Septième étude : Les idées ».
-
[50]
Ainsi contrairement à ce que l'on peut penser, parmi les pragmatistes classiques, cette thèse n'est pas propre à Charles Sanders Peirce : William James, L'idée de vérité, trad. de l'angl. par L. Veil et Maxime David, Paris, Felix Alcan, 1913.
1 REVENU GARANTI, STATISTIQUES ETHNIQUES, prostitution, décroissance... : autant de sujets de disputes [1] qui traversent à la fois le champ savant [2] et l'espace des mouvements sociaux [3] de la gauche radicale. L'étude comparée des controverses savantes et des débats militants pose de manière générale la question du rapport entre science et politique, et plus spécifiquement ici entre discours savants et discours militants. Il s'agit d'une question épistémologique qui recouvre de nombreux aspects qu'il ne serait pas possible de traiter intégralement dans les limites de cet article. C'est pourquoi nous souhaitons limiter notre réflexion à la question du rapport au sens commun.
2 Il est possible de problématiser cette thématique, au regard de notre sujet, à différents niveaux. Tout d'abord, une sociologie des disputes peut-elle se donner pour objet, en les mettant au même niveau, en les étudiants de manière identique, les discours savants et les discours militants ? En effet, la science, en particulier dans sa tradition rationaliste [4], ne s'est-elle pas donnée pour objectif de rompre avec les prénotions du sens commun ? Cette question d'épistémologie générale peut être reprise sous une autre forme en la limitant au cadre de la sociologie. La question du rapport au sens commun traverse par exemple l'opposition entre une sociologie critique, attachée à dévoiler les rapports de domination qui déterminent les agents, et une sociologie pragmatique qui part des capacités critiques des acteurs [5]. Tandis que la première semble réduire les capacités d'auto-émancipation des acteurs, la seconde pourrait sembler négliger les déterminations qui pèsent sur eux. Cette tension traverse également la gauche radicale : elle oppose une tradition militante qui met en avant le rôle d'une avant-garde, armée d'une théorie savante, dans la prise de conscience de l'aliénation par les masses, à une conception qui insiste sur la capacité d'auto-organisation collective des exploités [6].
3 Pour notre part, nous nous situerons dans une perspective pragmatique (ou pragmatiste) [7]. Celle-ci consiste à considérer que l'activité scientifique n'établit pas une rupture d'emblée avec le sens commun ordinaire, mais qu'il s'agit d'un processus d'enquête qui part de l'expérience commune [8]. Cela signifie par conséquent que si l'enquête scientifique produit des résultats qui diffèrent de l'opinion ordinaire, ce n'est pas du fait d'une rupture intellectualiste avec les prénotions du sens commun, mais à l'issue d'un processus d'expérimentation pratique. La seconde conséquence, c'est qu'entre le discours ordinaire et le discours savant, il n'y a pas une différence de nature qui serait celle qui opposerait l'opinion à la vérité, mais une différence de degrés de justification. De fait, une perspective pragmatiste rejoint la position d'inspiration aristotélicienne de Perelman selon laquelle il existe à la fois une pluralité de sens commun, et selon laquelle les énoncés scientifiques sont liés à des sens communs spécifiques : « les thèses admises seront tantôt celles du sens commun tel qu'il est conçu par l'auditoire, tantôt celles du sens des tenants d'une discipline déterminée scientifique, juridique, philosophique ou théologique (...) Le statut épistémologique de ces thèses peut être variable : il s'agira tantôt d'affirmations élaborées au sein d'une discipline scientifique, tantôt de dogmes, tantôt de croyances de sens commun [9]. » L'auditoire universel est alors la limite idéale de l'enquête qui consiste à construire par la discussion des énoncés dont la validité ne se limite pas à un sens commun spécifique. La perspective pragmatiste étant instrumentaliste [10], et non immédiatement réaliste, elle ne prétend pas se situer d'emblée dans l'unicité de la réalité en soi, mais part de la pluralité de l'apparence.
4 Ces préliminaires épistémologiques étant posés, nous allons donc énoncer l'hypothèse que nous tenterons de justifier durant cet article : il serait possible de distinguer des épistémologies implicites des rapports au sens commun dans les débats militants. Ces épistémologies peuvent être en outre mises en parallèle avec des épistémologies savantes.
5 Pour étayer cette hypothèse, nous nous appuierons sur du matériel recueilli lors de trois études différentes. Les deux premières sont les enquêtes [11] en situation d'observation participante que nous avons menées au sein d'une part de l'organisation politique appartenant à la mouvance anarchiste française, Alternative libertaire [12] et d'autre part du syndicat SUD Culture Solidaires [13]. La troisième est l'étude documentaire que nous avons menée sur les recompositions de la gauche radicale française entre mai 2007 et fin 2009 [14].
Un préalable militant au sein de l'espace des mouvements sociaux : l'opposition sens commun dominant
6 Si la science peut établir des énoncés qui diffèrent de ceux du sens commun ordinaire, pour autant les sens communs militants ne se confondent pas non plus avec ceux du sens commun ordinaire. Le discours des militants de la gauche radicale se construit en opposition avec un sens commun que l'on peut qualifier de dominant.
Sens commun dominant et sens communs militants
7 Si l'on observe les discours militants au sein de la gauche radicale, il est possible de constater que ceux-ci portent sur des revendications qui peuvent paraître, même à ceux qui les défendent, comme minoritaires ou opposés à l'opinion dominante qui serait, en particulier selon les militants de la gauche radicale, fabriquée par les médias. On peut ainsi songer à la célèbre affiche de Mai 68 : « Presse. Ne pas avaler ». Il est possible également de constater l'alliance entre militants de la gauche radicale et des sociologues proches des thèses de Pierre Bourdieu autour de la critique des médias [15]. On peut en outre mentionner le succès que rencontre, auprès des militants de la gauche radicale, le discours de dénonciation de fabrication de l'opinion par les médias effectué par Noam Chomsky.
8 Face à cette critique de l'opinion dominante, les revendications militantes peuvent apparaître comme contraires au sens commun ordinaire : revendication de l'abolition de l'État par les militants anarchistes, déconstruction des catégories de sexe par les militants de la mouvance queer, revendication d'une régularisation de tous les sans-papiers... Il est néanmoins possible de remarquer que tous les militants de la gauche radicale ne possèdent pas le même sens commun militant. La possibilité d'une disparition du système capitaliste est partagée par tous les militants anti-capitalistes, tandis que l'abolition de l'État est principalement le fait des militants anarchistes. En outre, les militants adhèrent plus ou moins à des thèses en rupture avec le sens commun ordinaire : par exemple certains militants défendent des thèses anti-capitalistes, tout en ayant sur les questions de genre ou l'écologie, des thèses conformes au sens commun dominant. Il ne vont pas admettre par exemple que l'on prétende déconstruire la catégorie de sexe biologique.
9 Il est ainsi possible d'avancer l'hypothèse que la critique d'une opinion dominante qui serait fabriquée par les médias dominants serait un topos des militants de la gauche radicale. On peut également avancer l'hypothèse qu'il existe un sens commun militant, qui se prétend, comme le sens commun savant, en rupture avec le sens commun dominant ou ordinaire. Il est donc possible de considérer que les militants de la gauche radicale entrent dans la catégorie des minorités actives, au sens où les définit Serge Moscovici [16] : un groupe d'individus qui défend des positions, minoritaires, mais qui exerce une influence sur la majorité des autres membres de la société en vue de les conquérir à leurs positions.
10 Comment comprendre dans la perspective d'une épistémologie pragmatiste d'une sociologie des disputes le processus de « rupture [17] » avec le sens commun dominant ? Il ne s'agit pas de recourir à la théorie selon laquelle la conscience de l'oppression est apportée du dehors à partir d'une connaissance scientifique du réel et cela pour trois raisons. La première, est que cette théorie intellectualiste introduit le présupposé que celui qui est dans le rôle du savant détient une parole de vérité. Or la théorie de l'argumentation présuppose au contraire qu'il n'y a que des discours vraisemblables [18], dont certains sont certes plus vraisemblables que d'autres : c'est la distinction pragmatiste entre vérité et justification [19] qui induit le refus d'un point de vue de Dieu. Le second élément, c'est que cette théorie rationaliste de la rupture induit une remise en cause du présupposé d'« égalité des intelligences » qui est au principe de la démocratie selon Jacques Rancière [20] et qui est aussi la condition de possibilité de la revendication d'une « auto-émancipation » des opprimés. Troisième point, c'est qu'il ne suffit pas que les dominés acquièrent une connaissance de leur domination pour qu'ils cessent de se soumettre. La dimension intellectualiste de l'épistémologie de la rupture paraît ainsi discutable.
11 Si les militants sont considérés comme une minorité active, qui remet en cause le sens commun dominant, il est possible d'émettre l'hypothèse que ce n'est pas en partant d'une connaissance savante ou même d'une connaissance militante, mais d'une pratique. De fait, c'est la pratique militante qui déterminerait la conscience et non l'inverse. Si les militants opèrent une rupture avec le sens commun dominant, ce ne serait pas du fait d'une « conscience qui leur est apportée du dehors [21] », mais du fait de leur « auto-activité [22] ». Il est ainsi possible, si l'on adopte cette hypothèse, de tenir ensemble le fait que des militants analysent la société en termes de rapports de domination, qu'ils considèrent ainsi que tous les individus n'ont pas une conscience égale de ces rapports de domination et qu'ils affirment l'auto-émancipation des opprimés dans la mesure où ces derniers ne peuvent parvenir à la conscience progressive de ces rapports de domination que dans une pratique soit théorique (par exemple des lectures), soit militante. Certes, une question se pose : comment si ce n'est pas la conscience qui détermine la pratique, cette pratique se déclenche-t-elle ? Il est ici possible d'émettre l'hypothèse de la rencontre : avec un texte, une personne ou une situation.
Un exemple d'épistémologie militante pragmatiste : le syndicalisme révolutionnaire
12 Cette épistémologie militante pragmatiste, opposée à l'intellectualisme rationaliste, se trouve présente dans les discours et les pratiques des militants syndicalistes révolutionnaires. Ceux-ci, tels Émile Pouget [23], opposaient les « minorités agissantes [24] » du syndicalisme révolutionnaire aux majorités passives de la démocratie parlementaire. Il est possible d'analyser une telle conception comme une critique non pas de la démocratie en soi, mais de la démocratie représentative. En effet, le présupposé démocratique de radicale égalité des intelligences dans ce cas n'existe que dans une forme de démocratie directe qui est celle des assemblées générales souveraines syndicalistes. Celles-ci se distinguent néanmoins de la démocratie rousseauiste, reposant sur le principe majoritaire (qualifié de « démocratisme »), par la place prépondérante accordée aux « minorités agissantes ». Il y a certes radicale égalité des intelligences, mais l'activité participative conduit à des degrés de conscience divers. Seule compte la voix de ceux qui participent : ainsi les assemblées générales, même minoritaires, sont décisionnaires [25], l'abstention dans une telle perspective ne doit pas être comptabilisée [26]... Ce qui oppose la conception rationaliste de la rupture avec le sens commun et la conception pragmatiste, c'est que la première est intellectualiste et suppose une hétéronomie des opprimés, tandis que la seconde met en avant leur pratique et leur auto-activité ainsi que le principe de l'autonomie ouvrière. Le caractère anti-intellectualiste de la conception syndicaliste révolutionnaire amène à considérer qu'il ne s'agit pas d'une rupture qui aurait trait à la force de vérité d'un discours scientifique, mais qui au contraire serait issue d'une pratique. Par conséquent, la rupture avec le sens commun dominant peut prendre plusieurs formes, correspondant à la diversité des pratiques militantes, qui peuvent être en conflit les unes avec les autres. Il n'y a donc pas d'individus qui aient une place privilégiée, qui puissent apporter une vérité susceptible de produire la rupture, puisque celle-ci ne peut s'effectuer qu'à travers une pratique, une auto-activité.
13 Nous allons maintenant analyser la manière dont s'exprime le rapport au sens commun et aux références savantes issues des sciences sociales et de la philosophie dans des débats militants de la gauche radicale. Nous verrons qu'à travers ce que nous appelons les grammaires socialiste léniniste et nietzschéenne, nous retrouverons la tension entre une épistémologie de la rupture et une épistémologie qui part des acteurs.
Rapport au sens commun dans les épistémologies militantes implicites des débats de la gauche radicale
14 À partir des trois grammaires [27] que nous avons élaborées dans Les grammaires de la contestation [28], il est possible de distinguer trois théories épistémologiques implicites du rapport au sens commun dans les débats militants.
L'épistémologie rationaliste universaliste
15 La première grammaire que nous avons distinguée est la grammaire républicaine sociale. Celle-ci s'appuie sur une logique universaliste et humaniste. Elle met en avant la dimension politique de la contestation et en particulier la revendication démocratique. Elle effectue une critique économique qui ne vise pas à détruire le système capitaliste, mais à l'humaniser soit grâce à un État social, soit grâce à un renforcement du tiers secteur. Les discours et les stratégies d'action de l'organisation militante ATTAC [29], en particulier au moment de l'équipe Bernard Cassen et Jacques Nikonoff, peuvent être modélisées adéquatement par cette grammaire.
16 La grammaire républicaine sociale s'appuie sur les topoï qui fondent la modernité philosophique : l'universalité du sens commun, l'affirmation de l'égalité et de la liberté en droit de tous les êtres humains... Or comme l'a montré Georges Elia Sarfati [30], ces thèses constituent l'arrière-plan topique des sociétés occidentales contemporaines. Cependant, comment expliquer que pour autant les revendications des militants, dont les pratiques peuvent être modélisées par cette grammaire, peuvent apparaître en rupture avec le sens commun dominant ?
17 Si ces principes sont conformes au sens commun dominant, les conclusions qui sont défendues par les militants des droits de l'homme de la gauche radicale et qu'ils tirent de ces principes ne recoupent pas néanmoins le sens commun dominant, alors qu'elles peuvent être des lieux communs pour ces militants. Par exemple, les militants de RESF (Réseau éducation sans frontière) reprennent « le droit à une vie de famille normale » reconnu par des conventions internationales, telle que la Convention européenne des droits de l'homme. Ils en infèrent la régularisation de tous les sans-papiers scolarisés. De même, la Ligue des droits de l'homme, en se fondant également sur les principes de la défense des droits de l'homme, est opposée : à la peine de mort, au fichage et à la biométrie. Il est possible aussi de citer les organisations anti-racistes de type SOS-racisme ou MRAP, qui s'appuient également sur des positions universalistes pour promouvoir l'anti-racisme, et aboutissent à des positions par lesquelles elles critiquent les politiques sécuritaires des gouvernements visant les personnes d'origine étrangère.
18 Comment expliquer le décalage entre les organisations des droits de l'homme, proches de la gauche radicale, qui appuient leurs discours sur les principes de la modernité, et le sens commun dominant qui pourtant reconnaît les mêmes principes ?
19 Cela tient, peut-être, à la dimension kantienne présente dans la grammaire républicaine sociale. En effet, la grammaire républicaine sociale peut être construite en s'appuyant sur la philosophie de Kant [31].
20 Or il y a chez Kant une théorie du sens commun qui est une théorie universaliste. Ainsi définit-il dans La critique de la faculté de juger des maximes du sens commun : « 1. Penser par soi-même ; 2. Penser en se mettant à la place de tout autre ; 3. Toujours penser en accord avec soi-même. La première maxime est la maxime de la pensée sans préjugés, la seconde maxime est celle de la pensée élargie, la troisième maxime est celle de la pensée conséquente [32]. » Dans cette conception, les topoï du sens commun ne sont pas ceux d'une communauté particulière, mais le sens commun renvoie à une universalité garantie par des conditions a priori.
21 De fait, dans une telle conception par exemple, l'opposition à la peine de mort [33] ne saurait dépendre des circonstances : il s'agit d'être conséquent avec soi-même. C'est un impératif non pas hypothétique, mais catégorique. Par exemple, un militant des droits de l'homme conséquent n'est pas favorable à la peine de mort si par exemple il s'agit d'un crime contre un enfant et opposé à celle-ci lorsqu'il apprend qu'il y a eu une erreur judiciaire. C'est ce caractère cohérent de la pensée conséquente qui à la différence de l'opinion ordinaire pourrait rendre compte de la divergence entre les positions des militants, modélisables par la grammaire républicaine sociale, et les positions de l'opinion commune.
L'épistémologie rationaliste de la rupture
22 La grammaire socialiste, pour sa part, analyse la société comme divisée en deux classes sociales antagonistes inéluctablement en conflit qui nécessite une révolution avec une abolition de la propriété privée des moyens de production. La grammaire socialiste se caractérise par la mise en avant de la dimension économique de l'oppression, en faisant de l'exploitation économique la base de l'inégalité sociale. Dans sa version léniniste, elle s'appuie sur une théorie intellectualiste de l'avant-garde qui peut être résumée en partie par cette affirmation de Lénine extraite de Que faire ? : « sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire ».
23 Cette grammaire qui met l'économique au fondement du social entend ainsi rompre avec le sens commun dans la mesure où elle met en avant une analyse matérialiste qui apparaît contre intuitive.
24 La scène se passe au cours de la réunion d'une section du syndicat Sud Culture Solidaires en 2006. Parmi les militants présents, on peut citer : un homme ayant effectué des études universitaires en philosophie durant les années 1970 et ancien militant maoïste ; une femme ayant pour tout diplôme le baccalauréat et sans bagage politique antérieur ; un militant ayant un niveau bac+3 et n'ayant pas de formation politique particulière.
25 Le débat porte sur le fait de savoir si Sud Culture doit maintenir dans ses textes la notion d'anti-libéralisme ou doit la remplacer par celle d'anti-capitalisme.
26 Le débat est soulevé par le militant qui est un ancien maoïste et ancien étudiant en philosophie. Ses arguments consistent à affirmer que le libéralisme n'est qu'une idéologie mystificatrice, mais que le principe de base des actions dans une société, ce sont les rapports d'organisation économiques et non les idéologies.
27 Cette idée apparaît difficilement compréhensible aux deux autres protagonistes. Ainsi la militante présente quand on lui explique que c'est la base économique qui détermine la conscience s'exclame : « alors c'est tout le contraire de ce qu'on pense habituellement ! ».
28 L'obstacle tient à l'idée que ce n'est pas ce que pensent les acteurs qui déterminerait leur action. Cette position contre-intuitive par rapport au sens commun immédiat, exige donc une explication.
29 La scène en question semble corroborer la thèse rationaliste. L'assimilation de la théorie marxiste, dont l'élaboration d'origine savante prétend à une rupture avec la conscience immédiate commune, paraît effectivement induire une conversion de la pensée : « Ce sont les hommes qui sont les producteurs de leurs représentations, de leurs idées, etc., mais les hommes réels agissants, tels qu'ils sont conditionnés par un développement déterminé de leurs forces productives et des rapports qui y correspondent, y compris les formes les plus larges que ceux-ci peuvent prendre. La conscience ne peut jamais être autre chose que l'être conscient et l'être des hommes est leur processus de vie réel. Et si, dans toute l'idéologie, les hommes et leurs rapports nous apparaissent placés la tête en bas comme dans une camera obscura, ce phénomène découle de leur processus de vie historique, absolument comme le renversement des objets sur la rétine découle de son processus de vie directement physique [34]. »
30 Le militant qui s'introduit à une telle vision de la société doit rompre avec son ancienne conception. La socialisation militante a dans ce cas comme conséquence la rupture avec le sens commun dominant.
L'épistémologie du point de vue
31 La troisième grammaire que nous avons distinguée est celle que nous avons appelée nietzschéenne. Elle s'appuie sur le principe minoritaire que celui-ci soit celui de la singularité individuelle ou celui des minorités numériques ou politiques. La grammaire nietzschéenne se caractérise par une déconstruction des principes de la modernité comme l'humanité ou l'universel et de la grammaire socialiste le prolétariat masse ou la révolution. Elle met en avant la dimension culturelle et langagière de l'oppression.
32 La grammaire nietzschéenne conduit à une conception, qui en s'appuyant sur les minorités, entend rompre avec un sens commun universel qui est dans ce cas compris comme un sens commun majoritaire ou dominant. En revanche, la dimension perspectiviste d'une telle grammaire accorde une valeur au point de vue [35] et au vécu des acteurs comme source d'un discours légitime.
33 On peut prendre par exemple les organisations de défense du « travail sexuel » qui telles que le Strass (Syndicat du travail sexuel) prétendent s'appuyer sur le discours des acteurs eux-mêmes, des prostitué(e)s. Il est néanmoins possible de faire apparaître un premier débat concernant cette prétention. Parmi les points de vue, qui peuvent être divers des acteurs, lequel choisir ? S'agit-il d'appuyer les personnes prostituées qui par exemple souhaitent obtenir une reconnaissance juridique plus grande de leur activité prostitutionnelle ou s'agit-il d'appuyer les prostitué(e)s qui réclament la lutte contre le système prostitutionnel en se présentant comme des survivant(e)s ?
34 La revendication de la valeur du point de vue des acteurs est aussi par exemple affirmée par les organisations de malades du SIDA, telles Act Up, ou des associations de personnes intersexes, telles que OII (Organisation Internationale des Intersexué-e-s), contre le pouvoir des médecins.
35 Il est possible de noter, dans le cadre de ces mouvements qui entendent défendre une minorité opprimée, l'antériorité du point de vue militant et sa défense par rapport au discours des sciences sociales. On constate ainsi que nombre d'universitaires féministes [36] ont pu être issues des mouvements féministes des années 1970. Or ces mouvements, à travers par exemple les groupes de parole de femmes, ont pu revendiquer la prise en compte du ressenti des femmes comme ayant une valeur en lui-même. De même, il est possible de noter l'antériorité du mouvement queer militant sur le mouvement queer universitaire.
36 Ces trois grammaires républicaines sociale, socialiste léniniste et nietzschéenne sont porteuses implicitement chacune d'une épistémologie. La première implique une prétention à une connaissance universelle, la seconde à une connaissance de la réalité [37], et enfin la dernière peut être qualifiée de perspectiviste. Les deux premières se caractérisent par le fait qu'elles visent une prétention à la vérité qui du point de vue de la troisième peut apparaître comme une illusion. C'est cette tension épistémologique au sein des débats militants que nous allons maintenant examiner.
Références savantes et rapport au sens commun dans des débats militants au sein d'une organisation de la mouvance libertaire
37 Pour conclure nous souhaitons partir de l'analyse de l'exemple de débats militants issus d'une organisation libertaire afin de montrer comment dans cet exemple se pose la question des rapports au sens commun et aux références savantes, comment elle se pose dans le cadre d'une organisation relevant de ce que nous avons modélisé sous la dénomination de grammaire socialiste syndicaliste d'action directe [38]. Les exemples en question portent sur des débats entre militants de l'organisation Alternative libertaire, une organisation communiste libertaire, au sujet du féminisme.
Points faibles des trois épistémologies implicites
38 Il est possible de remarquer que plus ou moins clairement les militants ou les savants vont utiliser l'une ou l'autre des épistémologies que nous avons énoncées pour justifier leur position. Un scientifique peut par exemple défendre sa position en estimant qu'elle rompt avec les illusions du sens commun ordinaire ou au contraire qu'elle se situe dans la continuité du point de vue des acteurs opprimés, ou à l'opposé qu'elle se caractérise par son universalité.
39 Ces trois épistémologies souffrent néanmoins chacune de points faibles qui ressortent lors des débats militants que nous avons observés.
40 L'épistémologie située souffre du fait que, lors des disputes, il existe fréquemment d'autres points de vue situés qui lui sont opposés. Ainsi, il nous est arrivé régulièrement de remarquer que lors de débats militants sur le féminisme, en situation de mixité, une femme essaie de faire valoir son point de vue contre un homme en affirmant que celui-ci défend ce point de vue parce qu'il est un homme. Or elle est en général contredite par une autre femme qui va affirmer qu'elle même ne partage pas ce point de vue alors qu'elle est une femme.
41 La femme qui vient d'être contredite peut alors rétorquer : « tu ne te rends pas compte que tu es aliénée, si tu avais lu un tel ou une telle, tu saurais [39]... ». Lors des débats militants auxquels nous avons pu assister la théorie de la rupture se voit en général reprochée sa position part trop intellectualiste et élitiste. En effet, elle entraîne des réponses du type : « ce n'est pas parce que je n'ai pas lu un tel ou une telle que mon point de vue n'a pas de valeur ou que je n'ai pas le droit à la parole ». Il s'agit là peut-être d'une particularité des milieux libertaires qui partagerait le topos suivant, que l'on pourrait énoncer à la manière de Rancière : le présupposé d'une égalité des intelligences [40]. L'utilisation de la référence à un auteur, fonctionnant comme un argument d'autorité, fait donc régulièrement l'objet d'une critique. Elle constitue bien souvent une faute de grammaire explicitement signalée dans des débats entre militants libertaires, au point que la remarque qui peut y être opposée assez couramment prend la forme suivante : « Faut pas verser non plus dans l'anti-intellectualisme ». Il est possible d'émettre l'hypothèse que cette position est une particularité des militants libertaires où il n'existe pas dans ce courant d'auteurs ayant la même légitimité que dans les organisations de la tradition léniniste où Marx, Lénine, Trotski pourraient apparaître peut-être comme des références incontestées.
42 À l'inverse, la militante qui a rejeté le point de vue situé peut intervenir dans les débats auquel nous avons assisté pour en faire un gage de la prétention à l'universalité de sa position : « Bien que je sois une femme, je ne pense pas que... ». Mais le soupçon pèse alors, ce qu'elle peut faire remarquer elle-même, qu'elle ne se rend pas compte de son intérêt propre parce qu'elle est aliénée. Ici c'est l'épistémologie de la rupture qui fonctionne contre l'illusion d'un point de vue universel ou point de vue de Dieu [41].
43 Dans le cadre des débats militants, quel rôle peut jouer le recours à des arguments d'ordre scientifique ? N'ont-ils que pour objectif, comme l'affirme la théorie socialiste léniniste, que de montrer que le sens commun militant n'opère de rupture avec le sens commun dominant que sous l'effet d'une théorie savante ? Quel rapport s'établit entre les savoirs situés militants et la prétention du discours savant à une universalité ?
Usages grammaticalement corrects des références savantes
44 S'il existe une prétention des militants de la gauche radicale à rompre avec le sens commun dominant, il est possible de considérer que partir de la thèse kantienne selon laquelle il existe un sens commun universel transcendantal dont les topoï seraient devenus dominants depuis la Révolution française n'est pas, au moins dans un premier temps, la position nous permettant de rendre compte des phénomènes que nous observons.
45 De même, un autre argument nous fait considérer que la théorie rationaliste de la rupture n'apparaît pas non plus comme la thèse la plus adéquate. En effet, il est possible de remarquer que les mouvements de contestation n'ont pas attendu une théorisation scientifique pour émerger. De fait les mouvements sociaux contre l'inégalité sociale, les revendications communistes, les luttes ouvrières , n'ont pas attendu Marx pour exister. Certes, le marxisme fut un apport pour le mouvement ouvrier, mais il serait inexact de penser que ce sont les théories savantes qui ont suscité l'apparition de ces mouvements sociaux. En effet, ceux-ci peuvent apparaître d'autant plus comme des miracles sociaux qu'une théorie semble induire, par une position intellectualiste, que le dévoilement de la réalité sociale par le discours scientifique serait la condition de possibilité d'une remise en cause de la domination.
46 Il nous semble plus juste de penser que ce que les militants du mouvement ouvrier ont pu trouver chez Marx, et dans une moindre mesure chez d'autres auteurs socialistes, ce sont des justifications théoriques a posteriori de leur révolte. Ils y ont puisé des confirmations, des armes argumentatives pour légitimer scientifiquement leur révolte. Ils ont pu reprendre des arguments scientifiques à l'appui de leurs revendications.
47 Ainsi, comme l'explique Pierre Ansart [42], le socialisme de Proudhon, qui prétend ne pas être utopique mais scientifique, repose sur les expérimentations militantes de son époque. Proudhon lui même écrit que : « toute idée naît de l'action et doit retourner à l'action, sous peine de déchéance pour l'agent [43] ». Il adopte donc une épistémologie pragmatiste, anti-intellectualiste, dans laquelle il considère qu'il y a une antériorité de la pratique sur le discours savant.
48 Par conséquent, ces deux critiques nous conduisent à partir de l'hypothèse selon laquelle le sens commun militant s'édifie en prenant appui sur un point de vue situé. Ce point de vue situé l'est à un double titre. D'une part, il peut s'appuyer sur la revendication d'une irréductibilité de l'expérience vécue. D'autre part, il est également perçu de l'extérieur comme situé puisqu'il est vu comme engagé et non pas neutre. Affirmer un énoncé en tant que militant, c'est nécessairement revendiquer un point de vue situé au sein du champ politique ou de l'espace des mouvements sociaux.
49 Dans les débats militants auxquels nous avons assisté au sein d'Alternative libertaire le discours scientifique était utilisé de deux manières perçues comme explicitement légitimes, c'est-à-dire comme un usage grammaticalement correct (au sens que cette notion prend dans la sociologie pragmatique).
50 Le premier consiste à s'appuyer sur une source jugée crédible. Par exemple, citer un chiffre de la revue Science afin d'affirmer que la question des inter-sexes selon cette revue 1/1000 naissances n'est pas un problème si exceptionnel qu'il n'y paraît au premier abord pour le sens commun ordinaire. Dans ce cas, il est possible de constater que les militants s'appuient ici sur des critères de légitimité qui semblent être les mêmes que ceux du sens commun dominant. Au contraire, s'il s'agissait de prendre appui sur un journal de la gauche radicale, ce critère de légitimité apparaîtrait comme étant différent du sens commun dominant.
51 Le second usage légitime que nous avons pu remarquer consiste à utiliser des arguments issus du discours scientifique afin de justifier une thèse. Le discours scientifique fonctionne alors ici comme une « boîte à outils [44] ». Mais ce qui en est tiré consiste dans un argument simplifié, mais jugé compréhensible par tout un chacun sans recours nécessaire à des connaissances scientifiques particulières.
Argument utilisé pour convaincre que le patriarcat est un système autonome du capitalisme (inspiré de la sociologie de Christine Delphy sur le mode de production domestique) :
Ce sont les femmes qui réalisent l'essentiel des taches ménagères
(La prémisse s'appuie sans doute pour fonctionner sur les études régulièrement diffusées dans les journaux auxquels adhèrent les militants : cas d'un topos militant qui n'est pas opposé au sens commun dominant)
53 !Or les tâches ménagères sont du travail.
54 !Donc les femmes sont victimes d'une forme spécifique d'exploitation de leur travail (L'argument s'appuie sur le fait que pour ces militants la théorie de l'exploitation économique défendue par Marx au sujet du capitalisme fonctionne comme un topos)
55 Remarquons que dans cet exemple les deux topoï auxquels adhèrent les militants et qui leur permettent d'accepter les prémisses du raisonnement sont issus du champ savant.
56 Le discours militant fait donc un usage instrumental des références savantes lui permettant de convaincre tout en s'appuyant sur des lieux communs partagés. Mais pour que cette référence apparaisse comme légitime, elle ne doit pas encore une fois être perçue comme trop intellectualiste et élitiste : la critique portée par plusieurs militants à l'encontre d'un texte qui comporte des phrases trop longues, des mots trop compliqués qui ne sont pas compris par les militants peut lui être fatal.
57 C'est ce qui arrive par exemple à une motion présentée sous le titre de « motion anti-raciste » au congrès d'Alternative libertaire de 2010 dont voici un extrait :
58 Comprendre que le racisme est un système, c'est-à-dire un ensemble structuré de représentations, de discours et de pratiques, reconnaître d'autre part que le racisme en tant que fait social total et systémique ne se réduit ni à des individualités porteuses de schémas xénophobes arriérés ni à des groupes qui se revendiquent politiquement comme racistes, et enfin admettre les formes renouvelées et actualisées du phénomène raciste sont les trois nécessités à partir desquelles se forge la lutte antiraciste.
59 Il est intéressant de constater que cet aspect fait différer le débat militant au sein de cette organisation d'une controverse dans le champ savant. En effet, il ne paraîtrait probablement pas grammaticalement correct que des participants à une controverse savante arguent de leur ignorance du vocabulaire scientifique par exemple pour déclarer illégitime un argument. La référence savante, pour être utilisée de manière grammaticalement correcte, ne doit pas donner l'impression aux participants d'exiger une spécialisation ou une expertise pour être comprise. L'argument doit sembler être susceptible de convaincre toute personne capable de suivre un raisonnement relativement simple, énoncé dans les formes du langage ordinaire. Or, comme nous l'avons vu, en réalité, cette argumentation suppose des lieux communs militants qui limitent la portée universelle de l'argument.
60 Néanmoins, il nous semble que l'usage qui est fait dans ces arènes militantes libertaires des références scientifiques semble relativement différent de celui des débats publics où l'expertise oppose des experts qu'ils soient scientifiques ou citoyens et associatifs et des contre-experts [45]. Un modèle qui semble d'ailleurs récusé, comme nous l'avons vu.
61 On peut dès lors se demander dans quelle mesure l'usage qui est fait par les militants d'arguments scientifiques ré-interroge la question du rapport entre neutralité et objectivité scientifique. En effet, dans le cadre militant, ces arguments scientifiques, utilisés au service d'une thèse militante, peuvent difficilement être qualifiés de neutres ; tout au moins peut-on dire qu'ils gardent une prétention à l'objectivité. La neutralité est-elle la condition de possibilité de la prétention à l'objectivité ? Au regard de la communauté de lieux communs que partagent les participants à des arènes militantes, cela ne semble pas être le cas. Néanmoins, il existe un autre type d'épreuve de légitimité à laquelle se soumettent les militants : par exemple lorsqu'ils tentent de convaincre des individus qui ne font pas partie des arènes militantes, ou lorsqu'ils vendent le journal de l'organisation sur un marché. Dans ce cas, ils sont amenés à discuter avec des militants d'autres organisations, voire des citoyens curieux. Or une telle pratique, si on essaie d'en rendre compte en lui supposant une cohérence conformément au principe de charité, suppose l'adhésion implicite à une épistémologie dans laquelle l'absence de neutralité du locuteur ne soit pas un obstacle à sa prétention à convaincre de manière universelle. Dans une telle conception, alors même que le militant apparaît explicitement comme non-neutre à son interlocuteur, comme engagé et situé, il va supposer que, malgré tout, il est en mesure d'énoncer des arguments ayant une prétention à une validité universelle indépendamment de la position sociale du locuteur et de l'interlocuteur.
62 Ce dernier point rejoint le débat interne au pragmatisme entre une position relativiste, incarnée par exemple par Richard Rorty [46], et une position qui maintient la notion de « vérité » comme limite idéale qui est par exemple celle d'Hilary Putnam [47] ou de Jürgen Habermas [48]. L'approche pragmatique (ou pragmatiste) s'oppose-elle épistémologiquement à la prétention à l'universalité, voire à l'objectivité, à la recherche de la vérité ou à une connaissance de la réalité ? Pierre-Joseph Proudhon [49], qui fut une des références revendiquée par le syndicalisme révolutionnaire, défend la thèse que si la connaissance ne peut se fonder sur l'absolu, la « raison publique » permet néanmoins de sortir de l'enfermement des perspectives monadiques irréductibles. Cette thèse rejoint celle de William James [50] lorsqu'il affirme que le philosophe pragmatiste, partant de l'apparente pluralité, se donne l'horizon hypothétique d'une connaissance d'une réalité unifiée. Ainsi l'opposition entre fondationalisme et pragmatisme ne conduit pas nécessairement à l'abandon de toute prétention à l'universalité et à un réalisme épistémologique.
63 Nous avons essayé, dans le cadre de la perspective pragmatiste qui est la nôtre et qui tente de construire des logiques permettant de rendre compte, d'une manière commode de la pluralité des phénomènes, d'analyser les rapports entre sens commun et discours scientifiques dans des débats militants de la gauche radicale. Nous avons tout d'abord tenté de montrer comment il était possible, en prenant l'exemple du syndicalisme révolutionnaire, de dégager une épistémologie pragmatiste des rapports entre discours ordinaires dominants et discours militants. Nous avons été conduits à établir une opposition entre le rationalisme et l'expérience pratique du pragmatisme pour établir deux voies de rupture avec le sens commun dominant. Nous avons ensuite essayé de mettre en valeur l'existence de trois épistémologies implicites à l' uvre dans les débats militants qui pouvaient être mises en parallèle avec des épistémologies savantes : une épistémologie rationaliste universaliste, une épistémologie rationaliste de la rupture et une épistémologie du point de vue situé. Nous avons enfin cherché à mettre en évidence une dernière dimension épistémologique, celle selon laquelle le point de vue situé des militants qui peut être qualifié de non-neutre et donc de partiel ne constituait néanmoins pas un obstacle absolu au fait d'induire l'existence d'une prétention à l'objectivité. Cela nous a conduits à distinguer le fondationalisme rationaliste et le pragmatisme qui fait de l'universalité et de l'objectivité l'horizon de la connaissance et non son point de départ.
64 Nous avons, pour la clarté de l'exposition, réservé dans le cadre de cet article la notion de « controverse » aux disputes savantes et la notion de « débat » à celles entre militants. Au-delà de ces distinctions lexicales, qui peuvent varier d'un auteur à un autre, il est possible d'essayer de dégager deux orientations possibles d'une sociologie des disputes ou des controverses. Le premier angle d'approche suit une voie qui est celle des objets classiques de la science politique en limitant plus particulièrement son champ d'analyse aux arènes de délibération institutionnelle. Il y aurait ainsi une pratique conventionnelle de la discussion en démocratie qui est celle tracée par la tradition du libéralisme politique centrée sur la notion de représentants élus. La science politique se donnerait avant tout pour objectif d'étudier les arènes de délibération institutionnelles de la démocratie représentative. Une seconde voie possible remet en question cette distinction normative, entre des arènes de délibération conventionnelles et donc légitimes, et des lieux et des pratiques non-conventionnelles, infra-politiques, dans lesquels il n'y aurait pas de réelle discussion. L'approche pragmatiste conduit à mettre en avant la pluralité des arènes possibles de discussion sans que cela suppose une différence de nature entre elles. L'espace du politique ne se limite plus alors à un espace public institutionnalisé. Les controverses savantes, les débats militants, les disputes de la vie ordinaire peuvent être également des lieux d'investigation pour le politologue. Il est ainsi possible d'étudier par exemple la circulation des arguments entre ces différents espaces, les homologies entre les argumentations étudiées. En définitive, « penser la controverse », ce serait alors non plus penser le politique comme un espace public délimité et constitué une fois pour toutes, mais être attentif à la pluralité des formes que peuvent prendre dans une société les processus de politisation.
Notes
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[1]
Nous reprenons ici la notion de dispute issue de la sociologie pragmatique dans un sens générique visant à subsumer aussi bien la notion de débat que celle de controverse (Mohamed Nachi, Introduction à la sociologie pragmatique, Paris, Armand Colin, 2006). Nous réservons la notion de controverse aux disputes savantes et celle de débats aux disputes entre militants. Cet usage est justifié par le souci de ne pas identifier d'emblée sous le même concept des disputes qui ont peut-être des spécificités propres. Notre usage est ici proche de celui adopté par Francis Chateauraynaud dans le sens où l'on admet une pluralité d'« arènes de débat » : « Invention argumentative et débat public regard sociologique sur l'origine des bons arguments », Cahiers d'économie politique, 2004, vol. 2, no 47, p. 191-213 ; Argumenter dans un champ de force, Paris, Éd. Petra, 2011.
-
[2]
Pierre Bourdieu, Science de la science et réflexivité, Paris, Raisons d'agir, 2001.
-
[3]
Lilian Mathieu, « L'espace des mouvements sociaux », Politix, no 77, 2007, p. 131-151 ; L'espace des mouvements sociaux, Paris, Éd. du Croquant, 2012.
-
[4]
Cette tradition recouvre des auteurs tels que Émile Durkheim, Gaston Bachelard ou encore Pierre Bourdieu.
-
[5]
Luc Boltanski, De la critique. Pour une sociologie de l'émancipation, Paris, Gallimard, 2009.
-
[6]
Elle oppose par exemple Marx à Bakounine. C'est également cette tension qui est à l' uvre dans des débats et des oppositions de pratiques militantes d'inspiration léniniste et d'autres d'inspiration anarchiste ou syndicaliste d'action directe. On la retrouve en outre dans l'opposition entre Jacques Rancière et Pierre Bourdieu ou Jacques Rancière et Alain Badiou.
-
[7]
Sur les liens entre sociologie pragmatique et philosophie pragmatiste, voir L. Boltanski, De la critique, op. cit.
-
[8]
John Dewey, Logique ou la théorie de l'enquête, trad. de l'angl. par Gérard Deledalle, Paris, PUF, 1993.
-
[9]
Ibid., p. 362.
-
[10]
Elle consiste à proposer une grille commode d'analyse du réel, mais ne prend pas position sur les approches sociologique qui entendent porter un jugement sur la réalité en soi, que ces approches soient explicatives ou au contraire compréhensives. L'approche pragmatiste se centre sur l'étude des discours et des actions des acteurs individuels ou collectifs tels qu'ils apparaissent.
-
[11]
Ces deux études ont eu lieu plus particulièrement entre 2006 et 2010, et ont servi de terrain à notre thèse de doctorat : Irène Pereira, « Un nouvel esprit contestataire. La grammaire pragmatiste du syndicalisme d'action directe libertaire », sous la direction de Luc Boltanski, EHESS Paris, Juin 2009.
-
[12]
Il s'agit d'une organisation communiste libertaire créée en 1991 et comprenant environ 300 membres répartis sur l'ensemble de la France.
-
[13]
Syndicat membre de l'Union syndicale Solidaire, il a été fondé en 1996 et rassemble depuis 2010 un peu plus de 1 000 adhérents.
-
[14]
Cette étude a été publiée sous le titre : Irène Pereira, Les grammaires de la contestation, Paris, La Découverte, 2011.
-
[15]
On peut ainsi rappeler d'un côté, les productions savantes ou émanant de savants à destination du grand public par Bourdieu ou des sociologues bourdieusiens : P. Boudieu, Sur la télévision, Paris, Raisons d'agir, 1996 ; Patrick Champagne, Faire l'opinion, Paris, Minuit, 1990. On peut noter l'existence d'associations ou de journaux militants s'inscrivant dans cette veine critique et dans un lien avec cette école sociologique : le journal CQFD, le journal Le Plan B, l'association ACRIMED (Action Critique Médias).
-
[16]
Serge Moscovici, Psychologie des minorités actives, Paris, PUF, 1979.
-
[17]
Il ne s'agit pas d'une rupture au sens rationaliste du terme dans la mesure cette conception implique le passage de l'opinion à la vérité, alors que la conception pragmatiste consiste à établir des degrés de justification entre différents énoncés. Un énoncé est plus ou moins rationnellement acceptable.
-
[18]
En effet, ce qui distingue classiquement l'argumentation de la démonstration, c'est qu'elle s'appuie sur des prémisses vraisemblables et non nécessaires : Aristote, La rhétorique, trad. du grec ancien par Médéric Dufour et André Wartelle, Paris, Gallimard, 1998 ; Chaïm Perelman et Lucie Olbrecht-Tyteca, Traité de l'argumentation : la nouvelle rhétorique, Bruxelles, Éd. de l'Université de Bruxelles, 1992 [5e éd.].
-
[19]
Hilary Putnam, Raison, Vérité et histoire, trad. de l'angl. par Abel Gerschenfeld, Paris, Minuit, 1984 (Reason, Truth and History, Cambridge, Cambridge University Press, 1981) ; Jürgen Habermas, Vérité et justication, trad. de l'all. par Rainer Rochlitz, Paris, Gallimard, 2001.
-
[20]
Jacques Rancière, Le maître ignorant, Paris, Fayard, 1987.
-
[21]
Pour reprendre la formule rationaliste qu'utilise Lénine dans Que faire ?.
-
[22]
Alain Bihr, « Éléments pour une théorie de l'auto-activité du prolétariat », Critique politique, no 11, 1982.
-
[23]
Émile Pouget, L'action directe (1910), disponible sur : http://cnt-ait.info/article.php3?id_article=1280
-
[24]
É. Pouget, L'action directe et autres écrits syndicalistes, Marseille, Agone, 2010.
-
[25]
Cette pratique est encore appliquée et suscite encore régulièrement des disputes lors des mouvements étudiants comme l'ont montré le mouvement anti-CPE et les mouvements étudiants qui ont suivis.
-
[26]
É. Pouget, L'action directe et autres écrits syndicalistes, op. cit.
-
[27]
Une grammaire telle que nous l'avons définie en nous appuyant sur la sociologie de la critique est une modélisation des discours et des pratiques des acteurs qui repose sur des homologies structurelles avec des théorisations philosophico-politiques. Une grammaire n'existe pas a priori. Elle est une construction scientifique instrumentale, visant à rendre plus intelligible la réalité, construction qu'effectue le sociologue à partir des constantes et des logiques qu'il constate dans les pratiques et les discours des acteurs.
-
[28]
I. Pereira, Les grammaires de la contestation, op. cit.
-
[29]
Association pour la taxation des transactions financières et l'aide aux citoyens.
-
[30]
Sarfati Elia-Georges, La sémantique : de l'énonciation au sens commun, Mémoire d’habilitation, Université Clermont Ferrand II, 1996, disponible sur : http://www.revue-texto.net/Inedits/Sarfati/Sarfati_Semantique.html
-
[31]
I. Pereira, Les grammaires de la contestation, op. cit., p. 35-38.
-
[32]
Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger (1790), trad. de l'all. par Rainer Rochlitz, Paris, Vrin, 1993, [25a].
-
[33]
Même si Kant pour sa part n'y est pas opposé.
-
[34]
Marx/Engels, L'idéologie allemande (1845), disponible sur : http://www.marxists.org/francais/marx/works/1845/00/kmfe18450000c.htm.
-
[35]
Voir par exemple Maria Puig De la Bellacasa, « Divergences solidaires. Autour des politiques féministes des savoirs situés », no 12, Multitudes, 2003, p. 39-47 ; Donna Haraway, « Savoirs situés »(1988), disponible sur : http://bader.lejmi.org/tag/theoriedu-point-de-vue/.
-
[36]
On peut citer par exemple Christine Delphy, Françoise Picq, Marie-Jo Bonnet...
-
[37]
Lénine Vladimir Oulianov, Matérialisme et empiriocriticisme (1908). Disponible sur : http://www.marxists.org/francais/lenin/works/1908/09/index.htm.
-
[38]
I. Pereira, Les grammaires de la contestation, op. cit. La grammaire syndicaliste d'action directe nous permet de modéliser de manière générale cette épistémologie pragmatiste que nous avons décrite plus haut avec le cas du syndicalisme révolutionnaire.
-
[39]
Nous utilisons dans ce passage le présent anthropologique pour signaler des positions régulièrement observées lors de débats militants.
-
[40]
Jacques Rancière, Le maître ignorant, Paris, Fayard, 1987.
-
[41]
H. Putnam, Raison, Vérité et histoire, op. cit.
-
[42]
Pierre Ansart, Naissance de l'anarchisme, Paris, PUF, 1970.
-
[43]
Pierre-Joseph Proudhon, De la justice dans l'Église et la révolution, Bruxelles, Office de publicité, 1860.
-
[44]
Gilles Deleuze et Michel Foucault, « Les intellectuels et le pouvoir », Dits et Écrits, Paris, Gallimard, 1994, p. 309.
-
[45]
Martine Revel, « Pratiques délibératives et engagement des profanes : la montée en généralité des associations », disponible sur : http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00484680/fr/
-
[46]
Richard Rorty, Conséquences du pragmatisme, trad. de l'angl. par Jean-Pierre Cometti, Paris, Seuil, 1993 (Consequences of Pragmatism, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1982).
-
[47]
H. Putnam, Raison, Vérité et histoire, op. cit.
-
[48]
J. Habermas, Vérité et justification, op. cit.
-
[49]
P.-J. Proudhon, De la justice dans la Révolution et l'Église, op. cit., « Septième étude : Les idées ».
-
[50]
Ainsi contrairement à ce que l'on peut penser, parmi les pragmatistes classiques, cette thèse n'est pas propre à Charles Sanders Peirce : William James, L'idée de vérité, trad. de l'angl. par L. Veil et Maxime David, Paris, Felix Alcan, 1913.