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Article de revue

« Expérience collaborateur » et « Expérience client » : comment l’entreprise peut-elle utiliser l’Intelligence Artificielle pour progresser ?

Pages 135 à 156

1« Welcome to the Experience Economy ». Cet article de B. Joseph Pine II et James H. Gilmore paru dans la Harvard Business Review (juillet-août 1998) a marqué le développement de la pensée centrée autour de l’expérience, l’« Experience thinking ». Dans une première étape les chercheurs et les praticiens se sont principalement intéressés à l’« expérience client », l’ensemble des interactions perçues par le client avant, pendant et après l’achat. Les limites de l’approche traditionnelle du marketing ont conduit à l’émergence d’un marketing expérientiel avec la volonté de s’adapter à l’expérience du nouveau consommateur (W. Batat & I. Frochot, Marketing Expérientiel, comment concevoir et stimuler l’expérience client ? Dunod, 2014). Dans la continuité du marketing expérientiel s’est développé le marketing collaboratif, ou marketing participatif, qui renvoie à la participation du client à la création de valeur de l’entreprise. Les premiers à s’emparer de l’exploitation des données que les individus et les objets connectés produisent sont les marketers pour mieux connaître les clients et les consommateurs. Les usages marketing du Big Data sont développés par les entreprises soucieuses de valoriser les masses de données accumulées. La mise en œuvre à vaste échelle d’algorithmes utiles au marketing peut produire des externalités négatives (ségrégation, biais de sélection, polarisation, hétérogénéisation). Elle présente aussi des faiblesses intrinsèques de dépendances des données. Elle pose la question de la manière dont les algorithmes doivent être gouvernés (Benavent, Big Data, algorithmes et marketing : rendre des comptes, Statistique et Société, vol. 4, n˚ 3, 2016).

2L’approche expérientielle s’est également développée dans le domaine des Ressources Humaines avec un souci de symétrie des attentions. Dans l’ouvrage Les employés d’abord, les clients ensuite (2011), Vinet NAYAAR, exprime la conviction qu’il faut mettre les collaborateurs au centre de l’entreprise pour apporter une meilleure expérience vécue aux clients. Dans Question(s) de management (2016/4, n° 15), nous avions posé dans le cadre de cette rubrique la question : Entre « Customer first » et « People first », quelles postures managériales l’entreprise doit (ou peut)-elle adopter ? Les réponses font ressortir une conviction partagée : La symétrie des attentions doit permettre d’améliorer l’« Expérience client » en améliorant l’« Expérience collaborateur ». L’analytique et le Big Data RH se sont développés avec le souci de la fonction RH d’exploiter des données massives produites par les personnes et les objets connectés. Cappelli,Tambe et Yakubovich (“Artificial Intelligence in HRM : Challenges and a path forward”, SSRN Electronic Journal, 2018) ont identifié quatre défis liés à l’utilisation des techniques de l’IA en RH :

  • la complexité des phénomènes RH ;
  • les contraintes imposées par de petits ensembles de données (l’IA fonctionne mal pour prédire des résultats relativement rares) ;
  • les questions éthiques et les contraintes légales, (Les décisions en matière de RH ont des conséquences très graves pour les salariés et l’équité – justice procédurale et justice distributive – est un enjeu primordial. De plus, le cadre juridique limite la liberté des employeurs de décider avec des analyses basées sur des algorithmes) ;
  • la réaction des salariés à la gestion via des algorithmes basés sur des données (ils sont capables de jouer ou de réagir négativement aux décisions basées sur des algorithmes. Leurs actions, à leur tour, affectent les résultats organisationnels).

3Ces quatre points limitent-elles les possibilités d’utilisation de l’IA pour améliorer l’expérience collaborateur par la fonction RH ?

4Les perspectives de progrès qu’ouvre l’utilisation de l’Intelligence Artificielle en marketing comme en GRH et les problèmes qu’elle pose nous ont conduits à poser à des praticiens et des chercheurs la question suivante :

5« Expérience collaborateur » et « Expérience client » : Comment l’entreprise peut-elle utiliser l’Intelligence Artificielle pour progresser ?

6Elie BASBOUS, Faouzi BENSEBAA, Hervé BERAUD, Houcine BERBOU, Thomas CHARDIN, Pierre CHAUDAT, Richard DELAYE, Marc DELUZET, Michelle DUPORT, Jean-Jacques EKOMIE, Corinne FORASACCO, François GEUZE, Alexandre GUILLARD, Sana HENDA, Jacques IGALENS, Assya KHIAT, Delphine LACAZE, Hubert LANDIER, Myriam LEPETIT-BRIERE, Ziryeb MAROUF, Jean-Yves MATZ, Ruphin NDJAMBOU Guillaume PERTINANT, Mathieu PETIT, Marc PHALIPPOU, Pierre PIRELECHALARD, Patrick PLEIN, Elena de PREVILLE, Pierre-Alain RAPHAN, Stéphane ROUSSEL, Aline SCOUARNEC, Thérèse SEIF, François SILVA, Mamadou L. SYLLA, Jean-Paul TCHANKAM, Lassana TIOTE, Laura TOCMACOV VENCHIARUTTI, Oumar TRAORE, Delphine van HOOREBEKE, Valéry YAKUBOVICH et Joumana YOUNIS.

741 experts de 10 pays, enseignants-chercheurs, dirigeants d’entreprise, DRH, experts et consultants ont accepté de répondre à la question posée et de croiser leurs regards. Leurs réflexions sur l’Intelligence Artificielle et son utilisation pour améliorer l’expérience collaborateur et l’expérience client dans une politique de symétrie des attentions, ouvrent des perspectives intéressantes.

8Faouzi BENSEBAA souhaite une relation apaisée dans laquelle l’humain profiterait de l’efficacité de la machine et celle-ci tirerait profit de l’intelligence émotive de l’humain. Pour Hervé BERAUD, il faut donner de l’action à ce qui fait du sens pour le client et donner de l’empathie à la relation avec une pleine présence humaine. Selon Houcine BERBOU, le potentiel de l’IA est sans limites quoiqu’il ne remplace pas la compétence humaine. Thomas CHARDIN précise que les professionnels RH ne doivent pas seulement s’accaparer de nouvelles techniques digitales, ils doivent changer de posture et passer au marketing RH. Avec Pierre CHAUDAT, l’intelligence artificielle se présente aujourd’hui comme un enjeu central de compétitivité, d’efficience et de qualité de service. Richard DELAYE souligne l’importance de la gestion des données. Marc DELUZET rappelle que les technologies ne doivent pas être conçues comme une réduction de l’intervention humaine mais comme une démultiplication de son potentiel. Pour Michelle DUPORT, il ne faut pas oublier que derrière l’illusion du tout automatique il y a du « digital labor ». Jean-Jacques EKOMIE et Jean-Paul TCHANKAM affirment que L’IA offrira à l’entreprise de l’amont à l’aval une amélioration de l’expérience client tout au long du processus. Corinne FORASACCO présente les caractéristiques du coach augmenté. François GEUZE s’interroge à comment faire parler les données. Selon Alexandre GUILLARD et Marc PHALIPPOU, l’IA va constituer une incitation pour mettre en avant la responsabilité sociale et sociétale de l’Entreprise Pour Sana HENDA l’IA permet de favoriser le développement du travail et de tenir compte des attentes des salariés en les fidélisant et les garder. Jacques IGALENS indique qu’il il peut être dangereux de trop considérer le salarié comme un client. D’après Assya KHIAT, l’IA dicte de nouveaux rapports de force. Delphine LACAZE préconise de développer l’empowerment des machines…grâce aux « fusion skills » des humains. Pour Hubert LANDIER, il ne s’agit pas de rejeter l’IA, mais de l’utiliser à bon escient. Myriam LEPETIT-BRIERE, pense que l’IA est la clé pour libérer l’Intelligence Émotionnelle au sein de l’entreprise.

9Selon Ziryeb MAROUF, la démarche « pertinente » consisterait à compléter l’humain, à l’augmenter par de nouvelles capacités et non à le remplacer par la machine. Jean-Yves MATZ s’interroge sur les réels apports des solutions digitales françaises de bien-être au travail. Ruphin NDJAMBOU souligne que l’IA consacre le transfert d’expertises de l’homme à un système intelligent. Pour Guillaume PERTINANT, l’intelligence humaine ne suffit plus, elle a besoin d’aide. D’après Mathieu PETIT, l’IA devrait permettre aux entreprises de progresser dans l’élaboration de leurs systèmes de rémunérations vers encore plus d’équité interne et externe. Pierre PIRE-LECHALARD et Delphine VAN HOOREBEKE rappellent que le seul véritable défi de l’homme face à l’IA est de devenir encore plus humain. Patrick PLEIN souligne que l’intelligence artificielle permet une plus grande personnalisation de l’offre au client/collaborateur. Selon Elena de PREVILLE, il est préférable de considérer des rapports entre l’intelligence artificielle et l’intelligence humaine non pas en termes de concurrence mais en termes de synergie. Pierre-Alain RAPHAN insiste sur la gestion des ressources algorithmiques. Stéphane ROUSSEL pense que l’IA nous amène vers plus d’autonomie, d’intelligence collective et d’opportunités d’évolution dans l’expérience collaborateur. Pour Aline SCOUARNEC, l’IA est une occasion pour les équipes RH de confirmer leur positionnement d’entrepreneurs innovants au service d’une qualité de services augmentée. Thérèse SEIF présente l’utilisation d’Edtech britannique dans les systèmes éducatifs libanais. François SILVA souligne les enjeux éthiques liés à l’usage de l’IA et de la data. Mamadou L. SYLLA donne des indications afin d’éviter le risque de déshumanisation des relations de travail. Lassana TIOTE analyse les défis RH/ IA dans des contextes informels tels que les Afriques. Laura TOCMACOV VENCHIARUTTI indique que l’Intelligence Artificielle est une opportunité de prospection au service du « bien commun ». Oumar TRAORE fait le lien entre l’IA et l’organisation apprenante. Valéry YAKUBOVICH incite à l’utilisation des données pour favoriser l’agilité. Joumana YOUNIS donne des exemples des apports de l’IA dans les domaines de la finance, la banque et l’industrie au Liban.

10Ces textes dans leur diversité reflètent la richesse des débats que suscite l’irruption de l’Intelligence Artificielle dans les pratiques managériales avec des perspectives attrayantes mais aussi des limites et des risques qu’il est nécessaire d’identifier et de réduire.

Intelligence artificielle. Faouzi BENSEBAA, professeur, Université de Paris 8

11Transformation profonde de la chaîne de valeur des entreprises, identification de milliers de types psychologiques permettant d’élaborer des messages précis en adéquation avec les préférences des clients, envoi de réponses automatiques aux clients via les réseaux sociaux et les mails, gestion des stocks en temps réel permettant la réception de produits sans passer par des commandes formelles, reconnaissance faciale pour repérer les clients frustrés ou mécontents dans les files d’attentes dans les magasins, rédaction automatique d’articles dans les entreprises de presse, outils d’aide à la décision voire outils de décision par les algorithmes, travail avec des collaborateurs (préalablement détectés) ayant des profils en correspondante précise avec ce qui est attendu, contrôle très étroit de ces mêmes collaborateurs par des machines, etc. sont des exemples illustrant les avancées de l’intelligence artificielle concernant les organisations. Exit ainsi l’outil statistique classique, l’analyse des données et leur interprétation. Les machines nous permettent de surcroît d’être de plus d’être dans la tête des clients en amont de leurs envies, de leurs besoins, de préférences comme elles nous amènent à connaître profondément nos collaborateurs. Foin donc de la surprise ! Les machines pouvant accomplir n’importe quelle tâche intellectuelle aussi bien (peut-être mieux) que les humains auraient-elles gagné à la grande joie des transhumanistes et au grand dam des néo-luddites ? Le consensus est cependant loin d’être acquis sur la place des machines dans les organisations et dans la société. Quid dans cette veine du libre arbitre ? De l’anonymat ? De l’indéterminisme ? Le système l’aurait-il emporté au détriment de l’acteur ? La dictature des processus serait-elle irréversible ? Peut-être que la configuration la plus souhaitable serait une relation apaisée dans laquelle l’humain profiterait de l’efficacité de la machine et celle-ci tirerait profit de l’intelligence émotive un peu chaotique de l’humain.

L’UX de l’IA. Hervé BERAUD, directeur-associé de CollectivZ

12La transformation numérique, à la fois, génère de nouveaux comportements des clients – tant particuliers qu’entreprises –, et, à la fois, favorise l’émergence de nouveaux outils et modes de travail pour les collaborateurs. Dans ce contexte de profonde mutation, la notion même d’Intelligence Artificielle procède d’un choix philosophique qui incombe à chacun : est-ce que je crois que l’avenir de l’humanité est le transhumanisme ? Les clients et les collaborateurs sont alors parties d’un système plus vaste qui les sert efficacement mais les dépasse jusqu’à les absorber. Ou, alors, ai-je foi en l’humain et l’alliance des intelligences ? Dans ce cas, clients, collaborateurs et intelligence artificielle coopèrent au service de rêves, d’intentions et de moments de vie pleinement humains. Il s’agira alors pour collaborateurs, tout au long de l’expérience client, désormais omni-canal et sans couture, de : 1. Donner de l’action à ce qui fait du sens pour le client par de gestes techniques parfaits. En effet, le client viendra, pour les choses importantes, sécuriser les informations fournies par l’IA. A cet effet, les conseils de haute qualité, de valeur ajoutée substantielle, ne pourront être produits que par des assemblages ad hoc de collaborateurs, qui eux-mêmes disposeront de savoirs-métiers et d’expertises encapsulés dans des outils à base d’IA pour être activables aux moments et lieux idoines. Les compétences les plus sollicitées : Pensée critique, Collaboration, Créativité. 2. Donner de l’empathie à la relation avec une pleine présence humaine. En effet, le client viendra à des moments de vie chargés émotionnellement, quand il y aura des enjeux personnels importants. Or aucun robot, aucune IA, ne pourra se prévaloir d’être le partenaire de vie de ses clients… Les compétences les plus sollicitées : Communication, alignement Corps-esprit. Concernant l’expérience collaborateurs, par le jeu de la Symétrie des Attentions, l’entreprise doit prendre la même décision philosophique – certains diraient éthique – et peut utiliser l’IA dans le même esprit pour progresser.

13Dès lors que la gouvernance s’est prononcée pour l’humain, Heidegger nous rappelle que l’esprit technique apporte des solutions : Les RH auront ainsi à cœur d’inclure l’IA dans le vivier de talents pour faire progresser les capacités techniques de l’entreprise et accroître l’éventail des solutions qu’elle puisse produire. L’esprit poétique apporte le sens : Or, c’est le sens qui mobilise et relie. La question devient alors comment développer l’esprit poétique de l’entreprise pour ré-enchanter le métier et redonner de la fierté aux collaborateurs pour que l’IA continue d’être un outil au service d’aspirations, d’intentions et de décisions intégralement humaines ?

Le potentiel de l’IA est sans limites. Houcine BERBOU, professeur ENCG Settat

14L’intelligence artificielle présente, certes, une révolution quant à la manière de faire les choses au sein des entreprises : Une combinaison parfaite entre l’action humaine et les capacités des algorithmes ne peut être qu’enrichissante. En parlant de combinaison, l’accent est mis sur l’incapacité de l’intelligence artificielle à remplacer celle humaine, néanmoins, le potentiel qu’offre l’IA pour les entreprises est indéniable. L’IA donne aux entreprises les clés pour mieux comprendre et gérer les attentes de leurs clients. Nombreuses sont les entreprises qui aujourd’hui font appel à l’IA dans les services assistance à la clientèle pour répondre aux préoccupations ou même anticiper les attentes de leurs clients, d’autres pour l’optimisation de leurs chaînes logistiques et ce ne sont que des exemples parmi d’autres : rapidité, réactivité et efficacité deviennent ainsi les mots d’ordre. L’amélioration de « l’expérience client » passe avant par l’amélioration de « l’expérience collaborateur » qui – dispensé des tâches pouvant être automatisés – arrive à se concentrer mieux sur les tâches à forte valeur ajoutée. Pour conclure, le potentiel de l’IA est sans limites quoiqu’il ne remplace pas la compétence humaine. Le plus important est de combiner les deux pour progresser.

Expérience collaborateur : des DRH croyants mais non pratiquants ! Thomas CHARDIN, dirigeant Fondateur de Parlons RH

1574 % des professionnels RH affirment connaître « bien » ou « très bien » le concept d’expérience collaborateur et 93 % le jugent « stratégique » ou « important ». Ils ne sont pourtant que 25 % à avoir initié une démarche d’expérience collaborateur dans leur organisation. Pourquoi ? D’abord, parce que l’expérience collaborateur est un méta-sujet. Il embrasse large en concernant toute l’organisation et toutes les parties prenantes (management, partenaires sociaux, collaborateurs, candidats, etc.). La mise en œuvre d’une telle démarche d’expérience collaborateur suppose donc une approche systémique et holistique qu’il n’est pas simple de mettre en place. Ensuite parce que l’expérience collaborateur comprend intrinsèquement une forte dimension marketing : il faut écouter le corps social, évaluer et mesurer les perceptions, les sentiments, segmenter son « marché cible » en fonction des attentes et des ressentis, définir une offre RH, etc. Les professionnels RH n’ont aujourd’hui qu’une appréhension très partielle et partiale du marketing appliqué à leurs prérogatives. Les DRH privilégient en effet légalité à l’équité. Ils sont donc parfois averses à la segmentation pourtant nécessaire au développement une bonne expérience collaborateur. « Vous avez beau avoir toutes les aptitudes, si vous n’avez pas l’attitude, vous ne réussirez pas » disait Gandhi. Pour résonner avec le monde contemporain, les professionnels RH ne doivent pas seulement s’accaparer de nouvelles techniques digitales, ils doivent changer de posture et passer au marketing RH. Le marketing comme le management des ressources humaines sont des processus profondément humains ; ils cherchent tous deux à explorer, à épouser, par empathie, la psychologie et la sociologie de leur époque. N’est-ce pas là la finalité de la fonction RH ?

L’intelligence artificielle, un levier de progrès à condition de répondre aux problématiques éthiques et juridiques. Pierre CHAUDAT, Maître de Conférences HDR, IAE Clermont Auvergne – School of Management

16La question de l’intelligence artificielle (IA) comme outil de progrès dans l’entreprise se présente aujourd’hui comme un enjeu central de compétitivité, d’efficience et de qualité de service. Pour en être persuadé, il suffit de consulter le rapport paru en février 2019 concernant l’intelligence artificielle : « État de l’art et perspectives pour la France ». Les acteurs privés et publics ont multiplié par dix leurs investissements au cours des cinq dernières années, afin de maîtriser cette technologie d’avenir et prometteuse de gains. Pour la fonction RH, il est aujourd’hui question de la qualifier de « RH augmentée » permettant entre autres aux collaborateurs de se délester d’un certain nombre d’activités routinières et automatisables. L’utilisation d’un chatbot affecté à répondre à des questions répétitives et générales, permettant pendant ce temps au DRH de prendre le temps de recevoir un collaborateur en difficulté, est évocatrice d’un certain progrès humanisant. Quant aux clients, ils pourraient entre autres bénéficier d’un matching affinitaire plus fiable. A la question : comment l’entreprise peut utiliser l’IA pour progresser au sens noble du terme, la réponse s’avère – au moins en partie – liée à l’utilisation de cet outil. L’humain doit rester le garant de l’usage éthique des outils inhérents à l’IA, et leur assurer des gardes fous juridiques. Tout d’abord ce n’est pas parce qu’une mission est automatisable qu’il faut systématiquement l’automatiser. C’est à l’entreprise d’utiliser l’IA pour certaines tâches pertinentes en accord avec sa politique et sa culture. Par ailleurs, le fait qu’aucun regard humain ne soit porté sur les décisions prises par l’IA en ce qui concerne un entretien de recrutement n’est pas concevable. Enfin, les quantités de données accumulées doivent protéger les libertés individuelles des clients et des collaborateurs. Pour conclure, la réussite dans l’application et la diffusion des outils de l’IA est tributaire d’une réflexion initiée par des groupes de travail et de la mise en place d’une politique de formation des collaborateurs.

Management et Intelligence artificielle (IA) : l’enjeu de l’éducation des robots. Richard DELAYE, IMG Geneva

17Les références à l’intelligence artificielle sont de plus en plus fréquentes dans notre environnement professionnel. Entre les chatbots qui remplaceront petit à petit le chargé RH dans les décisions basiques comme les réponses apportées aux salariés par les « self-service RH », la Robotic Process Automation (RPA) qui vient renforcer les systèmes robotiques existants et qui amènent à remplacer plus de 80 % de la chaine de fabrication d’un véhicule dans le secteur de l’automobile, il convient d’admettre que ces nouvelles formes de travail peuvent impacter positivement les équipes et par conséquent le management. En effet, sur le plan RH, l’archivage des documents, la gestion des arrêts maladie, l’élaboration des contrats de travail, les gestions des pics d’activité sont des tâches désormais rendues possibles grâce à l’intelligence artificielle. Mais l’IA peut aller beaucoup plus loin, dans les processus de recrutement par exemple, en développant le recrutement prédictif en croisant les données émanant de LinkedIn, Viadeo ou tout autre réseau social, ou en étant capable, en interne, d’identifier les collaborateurs susceptibles de rechercher un poste dans une autre société et donc de démissionner suite aux « traces » laissées sur lesdits réseaux. Bien entendu, dans ce cadre précis, la question de l’éthique s’impose tout comme celle des libertés individuelles. Par ricochet, l’IA impacte également le management de la relation avec le consommateur ce qui doit nous amener à réfléchir à l’arrivée des jumeaux numériques qui vont littéralement changer le paradigme de la créativité telle que nous la voyions. Initialement, on créait le produit, pour ensuite le tester et lui apporter les modifications nécessaires. D’après une étude de pwc, « aujourd’hui, grâce à l’IA et au jumeau numérique, la visualisation progressive de la construction sur son modèle numérique permet de comparer en temps réel le développement avec la cible finale et aide à la décision en matière d’ergonomie et de design ». Cependant, si ces robots représentent une formidable opportunité pour le management en termes d’anticipation et de prise de décision, deux points demeurent essentiels si l’on veut que la cohabitation homme-machine fonctionne et devienne rentable, et cela doit passer par une meilleure collecte ainsi qu’une qualification rigoureuse des données collectée ainsi qu’à une éducation de ces derniers.

Démultiplier l’intelligence humaine plutôt que prendre sa place. Marc DELUZET, délégué général OSI

18L’intelligence artificielle est d’abord une technologie comme une autre : elle assure aujourd’hui des tâches cognitives de base, routinières et répétitives, comme par le passé un bras articulé est venu suppléer le geste ouvrier, lui apportant force et endurance. Et si l’intelligence artificielle peut être source de progrès en matière d’« expérience collaborateur » ou « expérience client », tout dépend surtout de la façon dont elle est mise en œuvre et des objectifs qui sont poursuivis avec elle. Les expériences qui se développent dans les différents domaines montrent qu’il s’agit davantage de mettre l’intelligence artificielle au service des personnes et de leur l’intelligence, afin de mieux satisfaire le client, le renseigner et lui offrir de nouveaux services, ou pour faciliter le travail des collaborateurs et augmenter leur capacité d’initiative, d’innovation et de coopération. Il est donc essentiel que la mise en place des applications d’intelligence artificielle s’appuie sur l’expérience et le point de vue de leurs utilisateurs et bénéficiaires, qui, autant sinon plus que les experts, peuvent enrichir les services qu’elles peuvent rendre. Finalement, les technologies ne doivent pas être conçues comme une réduction de l’intervention humaine mais comme une démultiplication de son potentiel.

L’IA au service des organisations : rendre visible l’invisible et optimiser les décisions humaines ? Michelle DUPORT, Ingénieur de recherche, Université Paul Valéry, Montpellier 3

19L’intelligence artificielle (IA) regroupe les technologies informatiques qui « permettent d’imiter des comportements intelligents, que ce soit en termes de perception, en raisonnement ou en génération d’informations ». Elle est désormais présente dans tous les secteurs santé, transports, e-commerce, industries… et connue par certaines applications largement médiatisées comme l’imagerie médicale, le GPS, le profilage des internautes…En médecine comme ailleurs, elle a pour objectif de rendre visible l’invisible pour anticiper, prévenir, lire les signes d’un dysfonctionnement à venir et adapter au plus vite la réponse ou la prise en charge, et dans les entreprises de modéliser les comportements afin d’orienter les décisions stratégiques des organisations. Son caractère prédictif, rendu possible par une meilleure visualisation de l’imperceptible, par la puissance de calcul de ses algorithmes lui confère des pouvoirs quasi maléfiques ou magiques selon les points de vue. L’IA est tantôt présentée comme initiatrice de la disparition du travail humain au profit de robots, d’un monde hyper rationnel devenu binaire (1 ou 0, oui ou non, vrai ou faux, etc.) tantôt parée de mille vertus, libérant l’Homme des tâches ingrates lui permettant de se consacrer à des tâches plus nobles. Dans cette dernière perception, l’IA parée de vertus, est devenue la clé de la réduction des coûts et l’accroissement de la performance des entreprises notamment par l’aide à la décision stratégique mais aussi dans tous les actes de gestion. La réalité est simplement différente de ces représentations ou croyances. Certes l’IA accélère le traitement des activités de gestion et peut en apparence se substituer à l’Homme comme dans le tri des CV. Pour autant, il ne faut pas oublier que derrière l’illusion du tout automatique il y a du « digital labor » fourni gratuitement par les internautes eux-mêmes ou par les travailleurs précarisés des « fermes à clics » (Casilli, 2019). L’hyper rationnel supposé de l’IA comporte aussi sa part d’erreur et d’aléatoire, d’autant que les modèles d’analyse et les données traitées proviennent des humains qui y transposent leur idéologie, leurs stéréotypes et leurs représentations. Le « tout rationnel » n’est pas encore la norme, même si on s’en approche, les algorithmes comportent des biais nombreux, ne seraient-ce ceux de nos représentations et de nos visions du monde (Bernheim et Vincent, 2019). L’humain a encore sa place pour intégrer la complexité, l’intuition, les dimensions émotionnelle et relationnelle et prendre des décisions intelligentes, adaptées à la culture, au contexte, à l’ADN de l’organisation.

Pourquoi l’intelligence artificielle devient-elle une priorité dans le développement de l’expérience collaborateur pour améliorer l’expérience client ? Jean-Jacques EKOMIE, Professeur des Universités, Université Omar Bongo, Libreville (Gabon), Jean-Paul TCHANKAM, Full Professor, KEDGE BS Bordeaux

20Selon Pierre Volle « L’IA est une forme d’intelligence proche de celle de l’homme dont sont capables les machines lorsqu’elles exercent les fonctions cognitives telles que la compréhension, l’apprentissage ou la résolution de problèmes ». L’une des tendances les plus importantes aujourd’hui semble probablement de considérer l’IA au cœur des stratégies des organisations. Si ces considérations sont vues comme un mythe par certains, il n’en demeure pas moins que ces techniques d’IA ne cessent de se manifester dans les robots conversationnels (chatbots) et la plupart des spécialistes s’accordent à reconnaître que l’usage de ces techniques rendent plus efficaces les collaborateurs en contact. La plus grande opportunité d’usage consiste sans aucun doute à aider les collaborateurs à mieux faire leur travail. L’intérêt pour l’entreprise est l’amélioration de la qualité des services rendus aux clients, l’optimisation des actions les plus structurées et routinières, le traitement des questions les plus simples, le déploiement des compétences sur des projets ou des processus à forte valeur ajoutée. Les robots conversationnels sont reconnus comme des assistants virtuels intelligents et peuvent servir d’interactions avec les clients. On s’accorde de nos jours à reconnaître que si l’intelligence artificielle est encore très souvent utilisée en amont du parcours, dans un futur très proche, elle développera des robots permettant de mieux accompagner les clients pendant la phase d’usage, après achat. A n’en pas douter, l’écosystème constitué aujourd’hui des start-ups et des grandes entreprises en feront une priorité. L’IA offrira à l’entreprise de l’amont à l’aval une amélioration de l’expérience client tout au long du processus.

Le « coach augmenté » une ressource pour renforcer et étendre l’expérience collaborateur ? Corinne FORASACCO, Coach – Fondatrice d’Alma Alter Consulting

21Le « care » représente une tendance forte des politiques ressources humaines, traduite par des actions variées traduisant l’attention portée aux collaborateurs. Ces initiatives ont pour objectifs d’impacter positivement l’engagement du corps social. Parmi les leviers utilisés dans ce cadre, l’accompagnement personnalisé du développement des personnes et le recours au coaching professionnel ont illustré leur performance. Plusieurs aspects restreignent cependant à ce jour les bénéfices potentiels du coaching. Et l’IA semble, dans l’état actuel des produits développés et expériences réalisées, pouvoir lever quelques-unes des objections souvent exprimées telles celles du temps et du coût ou encore celle du nombre limité de bénéficiaires. Dans l’inventaire des outils digitaux entrés d’ores et déjà dans le champ du coaching et qui embarquent des formes plus ou moins complexes d’AI les Chatbot tels par exemple « Pocket Confidant » ou avec plus de réserve « Woebot », les outils de matching tels « You-Trust » (Monkey Tie) ou « The place to coach » ouvrent des voies à explorer. Dans le 1er cas, s’il semble aventureux d’en faire usage sans prévoir aussi des interactions avec un « coach humain », ils permettent d’assurer potentiellement une permanence de contact 24/24 et donne l’initiative au coaché. Dans le second cas les Plates Formes de matching permettent un gain de temps dans la rencontre coach-coaché et là aussi libèrent l’initiative. En revanche la prudence doit être de rigueur pour tous le usages trop extensifs et sans contrôle de données pouvant être recueillies sur les personnes et traitées via l’AI afin de formuler une prédictivité inquiétante de personnalités ou de comportements. En outre de nombreuses études illustrent que les relations entretenues par l’intermédiaire d’un support, un écran par exemple, génèrent de la frustration. Elles hypothèquent la création du lien, composante fondamentale de la relation coach coaché, générateur de confiance et de motivation. Or ces deux derniers éléments demeurent clés pour une évolution comportementale de la personne accompagnée. A ce jour les experts affirment que les perspectives d’une IA dite forte sont encore très incertaines et porteuses de beaucoup d’inconnues. Nous nous situons donc dans le contexte d’une IA dite faible. Et ici le coach augmenté, à la fois performant et éthique, est celui qui saura conserver cette réalité de relations et d’interactions humaines, empreintes à la fois de cognitif et d’émotionnel, tout en faisant usage d’outils qui optimisent son action par les apports de l’AI. Entre transhumanisme et négation d’intéressants progrès dans les champs à la fois biologique technologique et psychologique, l’usage éclairé des apports de l’AI dans le coaching se dessine comme une troisième voie.

Ux, connais-toi, toi-même. François GEUZE, Directeur Scientifique HRFiablab Europe, Groupe Fiabilis

22Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux… Cette phrase attribuée à Homère (ou Socrates) écrite sur le temple de Delphes devrait être parfois remise au gout du jour. Cette invitation à se reconnaître mortel et non de caractère divin, à refreiner notre orgueil et à ne pas se prendre pour Dieu prend aujourd’hui tout son sens. Quand l’on parle d’expérience utilisateur ou collaborateur et d’IA l’on pense assez naturellement aux « Bots » et à l’analyse de données. Le nombre de « bots » ou « agents conversationnels » utilisant véritablement des techniques d’intelligence artificielle est assez limité, il s’agit en plus de traiter un grand nombre de questions de la part de collaborateurs, candidats ou clients. L’entrainement de ces robots par les utilisateurs eux même entraine généralement un coté déceptif par la pauvreté des interactions. Ce problème tend à être corrigé, des algorithmes de machine learning permettant à ces robots de s’améliorer. Il convient donc ici de savoir donner du temps au temps. Que l’on parle d’expérience collaborateur ou d’expérience client l’on est bien dans une logique ou l’on cherche à décrypter, connaître et anticiper les attentes des collaborateurs ou des clients pour leur apporter une expérience utilisateur (dites maintenant Ux cela fait start-up) censée être optimale. L’on se retrouve alors dans une logique de type User Analytics ou sur la base d’un ensemble de données, l’on cherche à décrire le phénomène, le comprendre, l’anticiper et enfin évaluer l’impact sur le niveau de satisfaction de l’utilisateur. L’IA ou plutôt les techniques de statistiques inférentielles sont pour cela particulièrement utiles pour autant que l’on dispose des données nécessaires (généralement obtenues par des enquêtes, le suivi du comportement du consommateur, etc.). Toutefois, nous ne disposons pas de l’ensemble des données nécessaires et l’enjeu des années à venir sera bien d’en recueillir un maximum pour améliorer la réponse de nos entreprises. Au-delà du recueil, le choix et la nature des données dont on se servira pour « alimenter » le nouveau moloch impactera le fonctionnement et les objectifs réellement poursuivis par l’entreprise en faisant « parler les données ». C’est alors en se connaissant soit même que l’on évitera les dérives, le fichage et les bruits de « bots ».

Expérience Client, expérience collaborateur : et l’IA dans tout ça ? Alexandre GUILLARD, agence des transformations, direction dynamique interne Covéa, Marc PHALIPPOU, pôle expérience client, direction marketing Covéa

23Répondre à la question sans brouiller les cartes implique de définir clairement les terrains de jeu de l’expérience client et collaborateur, ainsi que les rôles que peut remplir l’Intelligence Artificielle (IA), ses limites et les besoins d’arbitrage dans l’entreprise. Clients et collaborateurs sont en relation avec l’entreprise dans deux cadres différents : les premiers ont avec elle une relation régie par un contrat commercial ; les seconds une obéissant à un principe de subordination. Ces deux cadres juridiques distincts communiquent néanmoins entre eux et présentent des résonances : les clients forment des communautés, les collaborateurs revendiquent de l’autonomie. Sur tous ces terrains l’IA a un rôle à jouer avec l’intelligence… « naturelle », qu’elle soit émotionnelle, relationnelle, individuelle ou collective.

24Des entreprises recourent à l’IA pour connecter les clients et les conseillers avec le plus de chances de « matcher » entre eux. D’autres personnalisent leur offre en temps réel pour leur client. Certaines émettent un diagnostic ou anticipent la conclusion d’un dossier pour alerter le collaborateur et aider sa décision. Dans tous ces cas l’IA les aide à progresser techniquement et opérationnellement dans trois directions : la qualité de la relation, de la transaction et de la décision. Mais l’IA n’est pas dotée en elle-même de sens moral ou politique, même si elle fera de plus en plus illusion au point qu’il sera difficile de distinguer le vrai du faux : 1984 n’est pas si loin avec des robots-agents conversationnels instruits à écrire de faux avis, des armées de « chat-bot » dressés pour sabrer l’e-réputation d’un concurrent… Les entreprises ont avec l’IA un outil de relation et de pouvoir à l’éthique indéfinie et l’apprentissage opaque. Pour grandir en intelligence artificielle autant qu’en confiance, l’entreprise a trois défis à relever : mettre l’IA au cœur de l’apprentissage, au cœur du collectif et au cœur de la relation avec pour chacun une valeur éthique. Un collaborateur comme un client vit une expérience réussie quand son vécu se rapproche le plus de ses attentes voire les dépasse. Avec l’IA, les entreprises ont un nouvel atout pour piloter et améliorer l’expérience client ou collaborateur par une meilleure qualité de perception, de traitement et de mesure d’atteinte des préférences… à condition d’honorer le besoin de sens et de transparence. Paradoxalement l’IA va constituer une incitation pour mettre en avant la responsabilité sociale et sociétale de l’Entreprise récemment mise en valeur dans la Loi Pacte. Dans ce contexte, le secteur des assurances mutualistes à condition de se réinventer, dispose d’une carte à jouer pour combiner les progrès de l’IA avec le développement des écologies des personnes et des collectifs.

Expérience collaborateur et Intelligence artificielle vont-elles dans le même sens ? Sana HENDA, Enseignant-chercheur, ESC Amiens

25Avec la rapidité des changements technologiques et les mutations sociologiques, les Ressources humaines sont donc devenues, pour les entreprises, la variable fondamentale pour faire face aux incertitudes de l’environnement. Ainsi les procédures RH se transforment, l’entreprise doit ce cas miser sur ses ressources internes pour les renforcer et se fonder un avantage concurrentiel fort et durable. Ainsi avec l’intelligence artificielle (IA) les pratiques RH et le travail collaboratif pourrait évoluer et répondre aux besoins de ces évolutions. Dans ce sens, la question que nous pourrions formuler concerne l’impact de l’intelligence artificielle sur le capital humain et l’expérience collaborateur. Dans ce cadre-là, l’IA va aider l’entreprise à mettre en avant l’expérience collaborateur qui est une notion essentielle du marketing RH et de la réputation de l’entreprise. L’IA permet de favoriser le développement du travail et de tenir compte des attentes des salariés en les fidélisant et les garder. Mais en fait l’expérience collaborateur a pour objectif de faire progresser la performance de l’entreprise ou bien l’intégration des salariés et des collaborateurs et dans ce cas l’IA va tenir compte uniquement de leurs compétences. Pour certains l’IA pourrait avoir un effet négatif sur l’employabilité des salariés alors que dans la pratique, elle permet aux RH de se recentrer sur les tâches les plus pertinentes, de les alléger et de se concentrer sur le capital humain. A titre d’exemple l’IA aide les entreprises à cerner les profils talentueux, d’analyser les compétences pour arriver à trouver et identifier les salariés les plus compétents et aussi développer l’engagement des salariés et valoriser l’expérience collaborateur tout en mettant en place des formations spécifiques. L’entreprise doit scruter donc les moyens à mettre en place pour attirer, fidéliser et motiver les salariés dont elle a besoin. Pour cela, l’entreprise doit travailler sur son attractivité, sa marque employeur. Pour la développer, elle doit chercher des moyens novateurs qui répondent aux besoins et attentes de ses salariés et futures recrues. Ces moyens doivent lui permettre de se différencier de ses concurrentes et de les surpasser afin d’attirer les hauts potentiels et conserver ceux qu’elle détient déjà et c’est de cette manière qu’elle arrivera à développer sa performance. En mettant en place des processus d’IA, de faciliter la mobilité des salariés, de les considérer comme des « clients internes » représentants de l’entreprise qui sont l’interface entre l’entreprise et son environnement, qui vont accentuer. D’où l’importance d’engager ses employés en tenant compte de leurs attentes, de leurs besoins de la même manière que leurs clients en valorisant ainsi l’apport de l’IA.

Attention le collaborateur n’est pas toujours un client… Jacques IGALENS, Professeur émérite de l’Université de Toulouse Capitole, Président de l’Institut International de l’Audit Social

26La notion d’« expérience collaborateur » transpose à la GRH « « l’expérience client ». Elle participe ainsi de ce mouvement plus large qui consiste à considérer le collaborateur comme un client interne de l’entreprise et la DRH comme une direction commerciale. On sait que plusieurs outils de marketing ont ainsi été transposés à la gestion des RH, la « marque employeur » qui fait écho à la marque commerciale, le marketing interne ou RH qui répond au marketing traditionnel, etc. Il peut être instructif de se demander si un salarié doit être traité comme un client. A l’évidence cette transposition offre de l’intérêt car elle modernise la GRH mais elle présente également des limites. Le salarié engage beaucoup plus de lui-même dans sa relation à l’entreprise que le client. Il y passe une grande partie de sa vie, il en tire le revenu qui le fait vivre. Donc pour lui, l’entreprise fournit un horizon de vie dans la durée et pas seulement un « moment » de vie. L’expérience client désigne l’ensemble des émotions et sentiments ressentis par un client avant, pendant et après l’achat d’un produit. Autant dire qu’il s’agit d’une impression qui va être essentiellement ressentie sur le point de vente ou sur le site internet de l’entreprise. C’est souvent une expérience solitaire, le client est seul ou bien il est choyé par un « vendeur » qui lui consacre quelques instants. On sent que ces trois caractéristiques, le caractère partiel et éphémère de l’expérience et la solitude du client sont à l’opposé de la situation du collaborateur qui est dans la durée, qui s’insère dans un dense réseau de relations interpersonnelles et qui s’engage entièrement. Les deux situations sont donc très différentes et il peut être dangereux car à trop considérer le salarié comme un client on court le risque qu’il considère l’entreprise qui l’emploie comme une simple épicerie.

« Expérience collaborateur » et « Expérience client » : quand l’IA dicte de nouveaux rapports de force. Assya KHIAT, Professeur, Université d’Oran 2

27La question : « comment l’entreprise peut-elle utiliser l’IA pour progresser ? » en suscite bien d’autres. L’entreprise est-elle entrée dans l’ère du client comme pour repositionner le client ROI ? En quoi l’usage des algorithmes peut déterminer des tendances dans la prise de décision ? Comment peut-on parler de relation sociale quand cette dernière se fait d’homme à robot voire de robot à robot ? Quant à l’expérience collaborateur, force est de constater combien les plateformes (Amazone, e-bay, vente privée, etc.) s’érigent comme sanction quand le client n’est pas satisfait (livraison en retard, avarie, etc.). Si les tenants de l’AI prônent l’humain dans la triptyque Client / Technologie / Humain dans le passage de la relation client à l’expérience client, c’est pour donner du sens à l’expérience des collaborateurs qui du reste capitalisent une banque de données en vue de se focaliser sur la valeur ajoutée de l’entreprise. Le plaidoyer des tenants de l’AI repose sur la notion de « relation digital apaisée ». Encore que !!!! Les collaborateurs et les clients sont-ils formés / outillés de la même manière au tout digital ? Sont-ils dans le même confort quant à l’utilisation des technologies ? Au profit de qui l’asymétrie des attentes profite-t-elle ? Ce questionnement montre bien à ce stade que l’IA dicte bien de nouveaux rapports de force. Relevons la place que peut revêtir le marketing RH dans la gestion des ressources humaines dans l’entreprise quant aux conséquences d’un In / Out où collaborateurs et clients seraient pleinement satisfaits.

Développer l’empowerment des machines… grâce aux « fusion skills » des humains. Delphine LACAZE, Professeure, Aix-Marseille Université

28Les entreprises de service se transforment par l’intégration de l’IA tant pour la satisfaction des clients et des collaborateurs que pour répondre aux frustrations et aux méfiances. Pour véritablement accroître la qualité de l’expérience client, l’entreprise est contrainte de développer l’intelligence collaborative entre les humains et les machines. D’une part, pour les collaborateurs au contact des clients (en B to C), la notion de « fusion skills » émerge comme étant prioritaire. Ces compétences représentent la capacité d’une personne à travailler avec une interface humain-machine : déléguer des tâches à la machine et combiner les compétences spécifiquement humaines comme reconnaître les émotions fines, gérer les exceptions, prendre en compte l’éthique, donner sa place à l’intuition avec celles des machines comme gérer un important volume de données ou prendre des décisions automatiques. D’autre part, pour les inventeurs des systèmes d’IA, les compétences collaboratives sont essentielles pour comprendre les besoins de leurs clients (en B to B) ; ces derniers sont ceux qui connaissent le mieux le client final. Aujourd’hui, les bases de données d’INTEX sur les actifs immatériels montrent que la R&D dans le domaine de l’IA est la plus prolixe en matière d’innovation avec plus de 1600 brevets déposés par an et en croissance constante. Ces mêmes bases de données montrent qu’IBM est l’entreprise la plus active dans l’IA avec par exemple son programme Watson. Cette entreprise incite ses inventeurs à travailler en réseau avec ses clients pour bâtir des solutions d’IA qui vont optimiser à la fois l’expérience du client final et l’expérience des collaborateurs. C’est ainsi qu’IBM a développé récemment une solution logicielle qui détecte les biais des algorithmes (pouvant conduire à des décisions discriminantes) et qui en informe les utilisateurs pour améliorer la confiance vis-à-vis de l’IA.

Ne pas être prisonnier du mythe. Hubert LANDIER, Vice-Président IAS

29L’intelligence artificielle existe-t-elle ? Il convient pour le moins de ne pas surévaluer les possibilités offertes par l’informatique. Celle-ci permet de réaliser des automatismes qui font gagner du temps au client, qui n’a plus, par exemple à attendre à un guichet de banque pour retirer de l’argent. La machine excelle pour réaliser ce qui est machinal. Le problème, c’est que la machine ne sait pas sourire. Elle contribue ainsi à dégrader les relations entre le client et l’entreprise à laquelle il s’adresse. Or, « l’expérience client » passe aussi par la qualité de l’accueil. A défaut du sourire de la caissière de mon supermarché, si je dois scanner moi-même mes achats, je m’adresserai donc à Amazon. Je bénéficierai ainsi du sourire du livreur. Même chose en ce qui concerne les collaborateurs. Et les audits sociaux me permettraient de citer nombre d’entreprises où l’intelligence artificielle a été le prétexte d’une centralisation des décisions et d’une dépossession, pour les collaborateurs, de toute capacité d’initiative. Autrement dit, un retour au taylorisme. Ceci sans compter les conséquences négatives pour les clients. Ce qu’il est devenu courant d’appeler « l’intelligence artificielle » fait l’objet d’une campagne de promotion démesurée venant des entreprises qui la vendent, ou qui vendent ce qui s’en réclame. Il ne s’agit pas de la rejeter, mais de l’utiliser à bon escient.

L’Intelligence Artificielle, la clé pour libérer l’Intelligence Émotionnelle au sein de l’entreprise. Myriam LEPETIT-BRIERE, Directrice des Ressources Humaines, département des Yvelines

30Qui s’intéresse à l’Expérience Collaborateur, s’intéresse aux émotions ressenties par le collaborateur dans son quotidien. Les émotions déclenchées par ses interactions avec l’organisation, ses process, son cadre de travail, son management, ses collègues, ses valeurs,…peuvent être positives et ainsi favoriser une expérience épanouissante et un engagement au service de son entreprise. Elles peuvent aussi parfois être négatives. Mon rôle de DRH est de reprendre en main l’Expérience Collaborateur, de devenir un régulateur mais aussi un créateur d’émotions. L’Intelligence Artificielle est une véritable alliée dans cette quête. L’IA peut m’aider à limiter certains irritants. Les chabots apporteront une réponse immédiate 24h/24 au collaborateur sur sa situation administrative, ses possibilités de formation, ou encore à sa demande d’attestation. Oubliée l’insatisfaction liée aux RH qui ne répondent pas ou alors à côté ! L’IA peut aussi me transformer en DRH augmentée. Grâce aux algorithmes de matching, je peux identifier parmi 500 candidatures, les 3 candidats correspondant le mieux aux compétences recherchées mais aussi à la culture de mon organisation. Le robot conversationnel donnera à chaque candidat une visibilité immédiate sur l’état de sa candidature. Une évolution de carrière pourra être proposée à chaque collaborateur sur la base de son parcours, de ses souhaits, de ses compétences et des formations suivies. L’IA est l’assistant rêvé qui soulagera le manager des nombreuses tâches quotidiennes chronophages et sans valeur ajoutée : Traitement des centaines d’emails reçus nécessitant une réponse simple, consolidation de reporting fiables issus d’une multitude de sources de données facilitant la prise de décision et l’arbitrage. Le manager ainsi libéré se concentrera sur le développement de son intelligence émotionnelle au service de la création de sens, de confiance et de liens d’intimité professionnelle indispensables à une expérience collaborateur positive et mémorable.

IA et travail, l’équation abstraite. Ziryeb MAROUF, Directeur de la transformation digitale et du réseau social Orange Directeur de l’observatoire des réseaux sociaux d’entreprise

31Même si nous ne nous en rendons pas toujours compte, elle nous entoure au quotidien : dicter un sms, converser avec un service après-vente, calculer un itinéraire en fonction de la circulation. Tous ces services se fondent sur l’intelligence artificielle. Au-delà des opportunités qu’elle représente dans notre vie quotidienne, l’intelligence artificielle gagne du terrain dans les organisations : nous assistons aux premiers supermarchés sans caisse, ni caissière ; dans les centres d’appels, de plus en plus de chatbots traitent un certain nombre de tâches en toute autonomie, des robots humanoïdes vous accueillent dans certains hôtels. La question de la cohabitation de l’IA et de l’emploi se fait de plus en plus prégnante : « coopération ou compétition ? ». En effet, l’impact de l’intelligence artificielle sur l’emploi est une des sources principales d’inquiétudes, même s’il y a fort à parier que de nombreux emplois vont voir le jour grâce à l’IA. Une étude de Cap Gemini en 2018 indiquait que 85 % des emplois qui existeront en 2030 n’existent pas encore, ce qui démontre que tous les besoins en expertise liés à ces technologies ne sont pas encore satisfaits. En revanche, les personnes remplacées par les machines ne sont pas nécessairement celles qui seront embauchées car les compétences recherchées seront extrêmement spécialisées. Les machines ne sont pas dotées d’empathie et n’éprouvent pas de sentiments. Elles ne font que nous renvoyer à notre propre projection. Elles sont régies par des algorithmes écrits par l’homme. Pour autant, le mouvement transhumaniste prétend que l’accélération de l’innovation atteindrait le point de singularité en 2050, une nouvelle ère où les machines, plus intelligentes que les humains, prendraient le contrôle sur nos vies. La démarche « pertinente » consisterait à compléter l’humain, à l’augmenter par de nouvelles capacités et non à le remplacer par la machine.

32Il est donc à espérer que cette intelligence artificielle soit réellement au service des femmes et des hommes pour augmenter leurs compétences, leur confort au travail. Nous avons là une hypothèse bien plus séduisante que celle d’une réduction drastique d’emplois dans nos entreprises.

« Qualité de Vie au Travail : rejoindre ou pas les "happy plateformes" ? » Jean-Yves MATZ, Consultant Responsable Relation Entreprises IDF & International, APEC

33Le bonheur au travail numérique est devenu une industrie florissante : en France, pas moins de cinquante start-up environ proclament s’occuper de QVT, du bien-être des salariés ou du bonheur au travail. Comment faire pour cerner la valeur ajoutée de leur solution ? Comment s’assurer que leur prestation est à la hauteur des standards en vigueur (RH, déontologiques, juridiques, numériques…) et des attentes des entreprises ? La plupart mesure l’humeur des salariés en leur prenant le pouls régulièrement par des sondages d’opinion. Mais le bonheur au travail se résume-t-il à l’humeur des salariés ? Se sentir bien, est-ce être bien ? Le sondage est-il l’outil adéquat pour évaluer le bien-être, constituant de la santé mentale, si non, comment le mesurer ? Autant de questions qui intéressent les entreprises soucieuses d’optimiser la gestion de leurs ressources humaines et les obligations en matière de santé au travail. Les réponses apportées ne sauraient être hasardeuses. Au-delà de l’Audit Social, que nous préconisons et promouvons, un éclairage intéressant est développé dans le dernier livre Promouvoir le bien-être au travail de Pierre-Eric Sutter et de Carole Blancot pour analyser le phénomène et répondre aux interrogations ci-dessus. Ils ont établi à l’aide d’un collectif d’experts une cartographie des solutions digitales françaises de bien-être au travail. Leur objectif : informer les utilisateurs des risques et opportunités des différentes solutions.

L’Intelligence Artificielle : une nouvelle frontière pour les entreprises ? Ruphin NDJAMBOU, Maître-Assistant des Universités, CIREGED, UOB-INSG, Libreville, Gabon

34A la faveur de la révolution numérique (Sapet, 2018), l’Intelligence Artificielle (IA) se déploie remarquablement dans tous les pans de la société au cours des dernières années. C’est le cas notamment dans les entreprises du monde industriel, même si le rythme d’appropriation de l’IA dans les organisations varie d’un pays à l’autre. En effet, l’IA semble induire des avantages pour les entreprises sur au moins trois niveaux : industriel, commercial et ressources humaines. La plupart des entreprises industrielles, quel que soit leur taille, intègrent l’IA dans leur process de production par la mise en place des machines automatisées et des logiciels de planification. La production se trouve optimisée grâce au machine learning qui permet aux robots de procéder à des calculs de toutes sortes en temps réel pour adapter la cadence, augmenter le taux d’occupation des machines, épauler un opérateur sur une ligne de production, gérer les stocks de manière optimale. A ce titre, l’IA accélère la production, augmente la productivité, diminue les frais et les délais. Dans la Gestion de la Relation client (CRM), les entreprises de services ou de vente de produits bénéficient d’une meilleure performance commerciale et financière (Lefébure, Venturu, 2004). A cet égard, les nouvelles versions des CRM tels que Salesforces sont susceptibles de permettre aux commerciaux, aux responsables marketing et digitaux ou encore aux managers d’atteindre et de dépasser les objectifs en proposant des meilleures expériences à leurs clients. Les premières expériences de l’IA dans les entreprises montrent qu’elle induit de profonds changements dans la manière de recruter, de diriger et d’évaluer les employés de l’entreprise. En cela, l’IA participe à la redéfinition d’une nouvelle politique RH qui privilégie les profils polyvalents, flexibles, ouverts aux changements au détriment des profils pointus et figés (Cohen, 2014). Cela permet, entre autres, à l’entreprise de devenir plus flexible, moins hiérarchique, plus horizontale en offrant notamment aux salariés plus d’autonomie et d’indépendance dans le travail (Peretti, 2016). Par ailleurs, cette mutation s’accompagne des nouveaux métiers comme la fonction de supervision et de contrôle. L’IA consacre le transfert d’expertises de l’homme à un système intelligent. Mais doit-elle être envisagée dans une relation de substitution de la machine à l’homme ou dans le cadre d’une collaboration machine-homme ? Tel est probablement l’un des défis auxquels les managers seront confrontés dans les prochaines années.

L’intelligence humaine ne suffit plus, elle a besoin d’aide. Guillaume PERTINANT, HAVASU

35Les conditions de la réalisation de la performance managériale ont évolué. L’ouvrier, bénéficiant d’une carrière linéaire et naguère hébergé dans les bâtiments attenants à l’usine est désormais confronté à l’incertitude professionnelle, aux transports, à la garde de ses parents et à ses aspirations de qualité de vie au travail. À l’image du monde actuel, le management s’est complexifié, car la caractéristique d’une économie mondialisée et orientée vers la croissance est le changement. Changements réglementaires, technologiques, sociologiques, démographiques et organisationnels. Ces changements fréquents et souvent profonds sont autant de variables à intégrer dans l’équation du management attentionné. Mais cette équation est devenue si complexe qu’elle est désormais difficilement appréhendable par le manager, même expérimenté. Par ailleurs, les attentes des collaborateurs elles-mêmes évoluent, orientées vers le bien-être et la qualité de vie. Lorsque les variables explicatives d’un phénomène se multiplient et que le modèle utilisé pour les appréhender évolue fréquemment, l’intelligence humaine ne suffit plus, elle a besoin d’aide. Une approche statistique flexible, ou intelligence artificielle, qui sait valoriser signaux faibles et forts au sein de modèles reconfigurables, offre alors une perspective prometteuse. Celle d’aider à mieux comprendre les ressentis et attentes des collaborateurs pour faire évoluer adroitement les pratiques managériales.

IA et gestion des rémunérations : de belles promesses à concrétiser. Mathieu PETIT, Consultant en Rémunération

36De nombreuses espérances et inquiétudes, justifiées ou non, illustrent le peu de connaissance que nous avons des progrès réels de l’IA. Les promesses des systèmes probabilistes cognitifs – qui intègrent l’apprentissage automatique ou profond (machine learning ou deep learning) et permettent une puissance de calcul jamais atteinte à partir d’un volume de données toujours plus grand – laissent imaginer l’ampleur des innovations pouvant faire progresser l’entreprise et améliorer l’expérience collaborateur et l’expérience client. Cette puissance de calcul est particulièrement intéressante pour la gestion des rémunérations. L’IA devrait permettre aux entreprises de progresser dans l’élaboration de leurs systèmes de rémunérations vers encore plus d’équité interne et externe, de répondre au plus près à leurs besoins tout en tenant compte des spécificités de chaque salarié. Elle pourrait également rendre possible une appréciation de la performance de ces systèmes et de leur retour sur investissement favorisant ainsi l’optimisation de la masse salariale. C’est d’ailleurs le positionnement de Beqom, start-up hyperspécialisée, qui parie sur l’IA pour faire progresser la gestion des rémunérations. Cependant ces capacités de progression me paraissent encore bien dépendantes des avancées de la recherche académique. Par exemple, selon Ian Larkin « nous ne savons pratiquement rien […] sur la meilleure manière de mettre en place un système de rémunération exploitant l’ensemble des facteurs de motivation d’un individu ». Pour prendre le pas sur les humains, les robots vont devoir attendre que la recherche progresse ! Au moins en ce qui concerne la gestion des rémunérations…

L’expérience artificielle humanisée. Pierre PIRE-LECHALARD, Enseignant – chercheur, ESC Clermont Ferrand, Delphine VAN HOOREBEKE, Maître de Conférences, HDR, Université de Toulon

37Gare Part Dieu à Lyon, il est 18h05. Une femme converse avec un robot humanoïde blanc. Cette scène peut paraître tirée d’une nouvelle de science-fiction ou d’une image du futur, mais il n’en est rien. Cette scène a eu lieu le 14 mars 2019. Qu’il soit physique ou sous la forme d’un bot internet, « l’intelligence » de cette nouvelle espèce grandit de façon exponentielle du fait qu’elle est devenue apprenante (machine learning). Elle accumule le savoir au grès des contacts, des demandes, envies, réactions et des comportements des humains. Cette scène démontre que la machine est aujourd’hui capable de remplacer efficacement l’agent d’accueil –prochainement, c’est sans doute le vendeur sédentaire qui se verra concurrencé-. Le rôle actuel de l’intelligence artificielle (IA) est de faciliter l’expérience d’achat ou de consommation. Elle participe également à la mise en scène polysensorielle de l’expérience. Grace à ses capteurs, elle recueille des données en masse tant de localisation, de comportement, de sensation, jusqu’aux expressions d’émotions du visiteur ou du chaland. Ces données sont traitées dans l’instant pour répondre à l’interlocuteur, mais aussi conservées pour servir aux analystes afin d’obtenir une connaissance clients extrêmement fines qu’aucune étude traditionnelle n’est en mesure d’offrir à coûts équivalent. Dans ce scenario, le salarié doit apprendre à travailler avec l’IA et non contre elle. Le défi de l’homme face à l’IA : devenir encore plus humain.

De l’expér-IA-nce client et collaborateur… Patrick PLEIN, Directeur digital working et Academy VINCI

38Que l’on soit client ou collaborateur, la notion « d’expérience » est devenue cruciale pour toute entreprise. Pour ses clients, elle doit en effet générer dans les multiples interactions avec eux un ensemble d’émotions et de ressentis avant, pendant et après l’acte d’achat engendrant confiance et fidélisation. Pour ses collaborateurs, il s’agit de leur offrir des moments tout au long de leur parcours afin de les attirer, les motiver et les fidéliser. Car un client satisfait ou un collaborateur engagé sont source de valeur ajoutée pour l’entreprise. Si cette affirmation n’est pas nouvelle en soi, les modalités de mise en œuvre le sont, par l’apport des nouvelles technologies et en particulier de l’intelligence artificielle s’avérant être une véritable source d’enrichissement de l’expérience client / collaborateur. L’intelligence artificielle permet d’automatiser les activités simples et répétitives mais néanmoins essentielles au bon fonctionnement de la relation avec les clients / collaborateurs. Ceci améliore le support par une prise en charge des demandes, via des assistants virtuels par exemple, ou encore par une présence permanente sur certains sujets (24/7). L’intelligence artificielle permet également une meilleure connaissance des clients / collaborateurs. La capacité à collecter et à traiter la donnée est source d’une meilleure compréhension de leurs souhaits, d’amélioration de l’expérience en continu, voire d’anticipation des questions et problématiques grâce à la modélisation prédictive. L’intelligence artificielle permet enfin une plus grande personnalisation de l’offre au client / collaborateur. La puissance et la rapidité de calcul et les techniques algorithmiques ouvrent la voie à une individualisation plus pertinente et plus adaptée aux besoins exprimés (ou non). Mais cela permet surtout aux interlocuteurs humains de se consacrer aux accompagnements plus complexes et ainsi de monter dans la chaîne de valeur. En résumé, l’intelligence artificielle est un des grands chantiers de la transformation des entreprises. Elle va jouer un rôle très important dans l’amélioration et l’enrichissement de la relation Client / collaborateur. Dans cette optique, les directions des ressources humaines, marketing et des systèmes d’information ont un challenge décisif à relever. Il l’est d’autant plus qu’ils doivent le faire ensemble.

L’intelligence artificielle et l’intelligence humaine : concurrence ou synergie ? Elena de PREVILLE, consultante-formatrice, Chercheur associée à la Chaire ESSEC du changement

39Les domaines de l’utilisation de l’Intelligence artificielle (IA) sont nombreux : finances, industrie, médecine, transport… et des exemples de gains apportés se multiplient. Pourtant, cette intelligence suscite une attitude ambivalente : l’admiration et la crainte de la part des personnes qui ont eu un contact direct avec elle ou en ont entendu parler de loin… Dans le monde de l’entreprise, les questions se posent : l’intelligence artificielle, est-elle une menace sur les emplois ou au contraire, un moyen de finir avec ce qui est difficile à faire par l’homme ? Comme, par exemple, dans un entrepôt d’Amazon dans la banlieue de Londres où les petits robots déplacent les étagères avec des produits stockés, en évitant au personnel de parcourir inutilement des kilomètres…Nous ne sommes pas seule à penser qu’il est préférable de considérer des rapports entre l’intelligence artificielle et l’intelligence humaine non pas en termes de concurrence mais en termes de synergie. Suite à Tad Friend (2019), citons l’ancien champion d’échecs Garry Kasparov, selon qui « utiliser les ordinateurs [IA, EdP] pour « les aspects les plus ingrats » du raisonnement nous libérera et nous permettra de consacrer nos facultés intellectuelles à « la créativité, la curiosité, la beauté et la joie ».

De la gestion des ressources humaines à la gestion des ressources algorithmiques. Pierre-Alain RAPHAN, Député de l’Essonne, DBA Sciences de Gestion, Laboratoire CORHIS, Université Paul VALERY Montpellier III

40Rendre à l’humain ce qui appartient à l’humain et rendre à la machine ce qui appartient à la machine, tel est l’apport que pourra avoir l’IA dans notre quotidien. Le rôle de l’IA sera d’optimiser les processus, d’aider à la décision par sa puissance prédictive et de permettre à l’humain un gain de temps considérable qu’il pourra mettre au service de l’écoute, de l’empathie, de la réflexion profonde. Aux entreprises de saisir l’enjeu et l’importance de la finesse des analyses comportementales issues des données massivement récoltées. Quelques études sont parlantes :

  • En 2020, Gartner prévoit en moyenne 6 objets connectés par personne (montres, enceintes, vêtement…) ce qui facilitera cette récolte.
  • Le Dr Kosinski de Standford a démontré qu’en analysant 10 likes sur les réseaux sociaux, l’algorithme vous connaît mieux que vos collègues, avec 230, mieux que votre conjoint.

41Dans l’écosystème de l’entreprise, l’IA permettra de personnaliser tous les parcours. Pour le salarié, les tâches ingrates et répétitives ou déplacements inutiles seront bannis. Côté clients, ils capteront, par des systèmes de « push » le bon service/produit au bon moment en cohérence avec leur valeur. Pour l’entreprise, les connexions seront plus simples rendant le recrutement intuitif, la recherche de tendances facilitée ainsi que des améliorations socio-économique et environnementale permanentes. En conclusion, en faisant des choix algorithmiquement éthiques, l’IA pourra rendre à chacun un quotidien stimulant.

L’intelligence artificielle amène un supplément de qualité. Stéphane ROUSSEL, Président-directeur général de Gameloft, membre du Directoire de Vivendi

42Jusqu’à la fin du XXe siècle, les progrès technologiques apparaissaient et se développaient en entreprise bien avant qu’ils trouvent une application pratique à la portée de chacun dans sa vie courante. C’était le cas en particulier dans le domaine informatique où les systèmes de réseaux n’étaient accessibles qu’entre experts d’une même entreprise. Une véritable révolution technologique et surtout culturelle est apparue au début de ce nouveau siècle : les GAFA, qui ont apportés aux particuliers les moyens de piloter leur vie directement. Renversement de l’Histoire : les entreprises répliquent, plus ou moins rapidement, les codes des réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram, Snapchat, Linkedin…), aussi bien pour favoriser l’intelligence collective à l’intérieur de l’entreprise que pour pouvoir recruter et fidéliser ses collaborateurs. Ces derniers exigent de retrouver la fluidité du système de relations expérimentée dans leur vie privée en milieu professionnel. L’intelligence artificielle amène ce supplément de qualité, par la sophistication des systèmes de recommandation pour les clients. Ainsi, en tant que client, nous sommes guidés dans nos choix de films, de chansons, voire d’amis. Comme collaborateurs nous pouvons nous trouver bloqués dans un système de relation et de développement professionnel par des technologies et des règles internes complètement dépassées. Les progrès rapides apportés par l’intelligence artificielle dans l’expérience client ne pourront qu’accélérer le changement vers plus d’autonomie, d’intelligence collective et d’opportunités d’évolution dans l’expérience collaborateur.

IA et RH : une opportunité de développement d’une qualité de services RH « augmentée ». Aline SCOUARNEC, Professeur Agrégé des Universités, IAE CAEN et ESSEC Business School

43D’une manière générale, la question du digital n’est pas qu’une question de modernisation des pratiques et des outils RH mais c’est une posture nouvelle et un changement total de paradigme auxquels les organisations répondent d’ailleurs de façon parfois très différenciée. Depuis peu, les apports de l’Intelligence artificielle, même si les premiers travaux sur le sujet datent des années 50, viennent apporter des solutions nouvelles en RH. Dans une logique d’équilibre entre les attentes des clients et celles des collaborateurs (Esprit de service France), la question de l’expérience vécue devient un des objectifs. Pour la fonction RH, l’IA contribue à améliorer cette expérience collaborateur, en symétrie de ce que les équipes marketing peuvent imaginer pour les clients. En effet, en RH, l’IA favorise la diffusion d’informations via les « chatbot », facilite la dématérialisation dans le domaine de l’administration du personnel et ainsi optimise la gestion des process, ou encore permet un traitement et une analyse « augmentée » des data RH. Il faut donc voir dans l’IA une opportunité pour la fonction RH et plus globalement pour l’ensemble des métiers RH. L’IA permet de développer des compétences nouvelles, d’apporter des solutions augmentées visant une meilleure efficacité des solutions RH rendues aux collaborateurs, parce que plus rapides, plus personnalisées et plus évolutives. Ainsi, l’IA peut éclairer des décisions stratégiques RH, visant une qualité de services RH « augmentée », elle peut également favoriser, au niveau opératif, plus de collaboration et de co-construction entre des acteurs qui ne se parlaient pas suffisamment par le passé (Equipes RH-UX-designer-Equipes informatique). L’IA contribue également, au niveau tactique, à gagner en efficacité opérationnelle. C’est ainsi une occasion pour les équipes RH de confirmer leur positionnement d’entrepreneurs innovants au service d’une qualité de services augmentée : un beau challenge à ne pas rater !

L’Intelligence Artificielle, entre évolution et révolution dans les écoles libanaises. Thérèse SEIF, Université Libanaise, Elie BASBOUS, Université Saint Joseph, Beyrouth, Liban

44L’IA est lancée, depuis peu, dans les écoles libanaises par le ministère libanais de l’Éducation. Ce lancement est opéré en coopération avec un partenaire britannique « AI-Education CENTURY-Tech ». S’agissant d’un projet pilote stratégique, les experts de CENTURY-Tech et de la British Educational Suppliers Association ont visité des écoles locales publiques et sensibilisé les équipes pédagogiques aux bienfaits de ces nouvelles méthodes. La mission a alors exploré le potentiel d’utilisation d’Edtech britannique dans les systèmes éducatifs libanais. Elle a également mis en place une plate-forme d’apprentissage axée sur l’IA. Ce nouveau partenariat s’appuie sur le succès acquis par la plate-forme au Royaume-Uni et dans des écoles internationales d’autres pays. Le partenaire britannique témoigne de la polyvalence de la plate-forme pour fournir une éducation personnalisée et bénéfique aux élèves dans de divers contextes. L’objectif de la mission est de dispenser une éducation adaptée à chaque enfant, quel que soient ses origines ou son niveau. D’ailleurs, le ministère considère l’intégration de l’I.A. dans les écoles comme une opportunité en vue de mieux préparer les élèves à l’enseignement supérieur. Aussi, il est à noter qu’au cours des dernières années, le Liban a utilisé activement les nouvelles technologies pour garantir une croissance économique et sociale structurelle répondant à ses obligations vis-à-vis d’un marché globalisé. Ce projet pilote s’inscrit donc dans la logique de l’évolution permanente d’un apprentissage et d’un enseignement tourné vers un avenir de « compétences augmentées ».

Les conséquences du développement des big data ou IA dans certaines fonctions RH. François SILVA, Professeur, KEDGE Business School

45Depuis quelques années, on voit une prolifération d’applications RH qui proposent des services RH à partir d’algorithmes et de traitement de données maintenant disponibles qui peuvent ainsi être croisées. La fonction RH a été initialement une administration du personnel de l’entreprise, c’est-à-dire une gestion de dossiers sur chacun de ses salariés. Avec les Systèmes d’Information RH, ces dossiers sont devenues données et avec le développement des technologies numériques (et leurs outils), ces données peuvent être croisées avec beaucoup d’autres données d’autres sources, de la géolocalisation aux requêtes sur le Web constituent autant d’informations sur la personne… Ces croisements peuvent apporter des informations qui, analysées, vont permettre d’apporter des indications nouvelles et éclairantes sur les salariés, leurs motivations, leurs attentes, leurs besoins qui peuvent devenir extrêmement intrusives. Si les entreprises commencent à utiliser des outils s’appuyant sur des algorithmes d’intelligence artificielle pour améliorer certains processus, l’usage de ces technologies reste encore limité mais permet d’entrer dans l’intimité de chacun. Leur utilisation va nécessiter de s’appuyer sur des principes déontologiques. Ainsi, les pratiques nouvelles doivent avoir un cadre éthique mis en œuvre, « pratiquées » par chacune des personnes. Ce qui nécessite que les utilisateurs de ces outils comprennent bien les conséquences éthiques de leurs requêtes : sont-elles ou non éthiques ? Tout est là la question…

Intelligence Artificielle et expérience collaborateur : à utiliser avec intelligence pour éviter une déshumanisation du travail. Mamadou L. SYLLA, Expert en RH, Auditeur Social Agréé

46L’intelligence artificielle est devenue un outil incontournable dans les entreprises pour réduire les activités répétitives et atteindre la performance économique et financière. Elle peut être très utile pour l’expérience collaborateur dans la mesure où elle peut permettre de confiner ainsi les collaborateurs à des activités et tâches à haute valeur ajoutée, en les débarrassant des activités répétitives qui pourraient être confiées à la machine. C’est ainsi une source non négligeable d’enrichissement du parcours professionnel, donc de l’expérience collaborateur. En tant qu’outil mis à la disposition du salarié pour atténuer ses activités, elle peut être vécue par celui comme un soutien que lui apporte l’organisation et susciter de sa part un engagement en contrepartie de ce soutien (Blau, 1964). Plusieurs auteurs (Wils et al., 1998 ; Cropanzano et al., 2001 ; Lavelle, 2007) ont démontré que cet engagement affectif est source de performance « extra-rôle ». Ainsi l’intelligence Artificielle pourrait avoir un impact positif dans l’expérience collaborateur. Cependant, son utilisation ne devrait pas se substituer entièrement à l’intelligence humaine au risque de déshumaniser les relations de travail. En effet, il faudrait toujours maintenir ce dialogue et cette reflation de proximité entre le supérieur et le collaborateur pour promouvoir un climat social interne propice à la mobilisation et à la motivation des salariés. L’intelligence artificielle ne saurait se substituer à ce contact et à cette relation au risque d’enlever tout sens au travail. Des valeurs fondamentales, comme la parole, l’écoute, la solidarité ne sauraient être sacrifiées sur l’autel de l’Intelligence Artificielle. Alors, « Intelligence Artificielle : A consommer avec Intelligence ! », un slogan à avoir à l’esprit !

Intelligence Artificielle et performance RH : Plus d’Humain ou plus de Machine ? Lassana TIOTE, Enseignant-chercheur au CESAG, Dakar, Sénégal

47Avec le développement accru des ERP, de l’Intelligence Artificielle, se pose la question de savoir si la machine s’en va remplacer l’homme dans le métier de GRH. Interrogation légitime même s’il faut reconnaître les avantages incontestables en termes de rendement et de réduction des coûts de supervision. D’ailleurs, dans l’histoire de l’humanité, la robotisation de gestes répétitifs consommateurs de temps et d’énergie a toujours été à la base des grands progrès dans le milieu professionnel. Cette systématisation devient impérieuse dans un monde où les préoccupations de développement durable et de RSE sont le socle des bonnes pratiques de gestion des organisations. L’Intelligence Artificielle qui devrait donc être une alliance Homme/ machine, aidera par exemple dans l’analyse de big data complexes qui optimisera l’activité du DRH, surtout pour un continent comme l’Afrique avec une économie fortement informelle. Cela dit, il sied juste de faire en sorte de ne pas éluder le fait que le focus de la GRH est l’humain avec des dimensions plutôt psychosociologiques qui vont au-delà d’une simple technique artificielle. Le sentir et le ressentir (la chaleur humaine) ne sauraient être remplacés par aucune autre chose que l’humain lui seul.

L’Intelligence Artificielle, pont ou gouffre entre l’entreprise et le collaborateur ? Laura TOCMACOV VENCHIARUTTI, Directrice Fondation impactIA

48Pour le grand public, l’Intelligence Artificielle (IA) est le plus souvent synonyme de « robots qui remplacent l’Humain, voire le travail ». Elle est même, trop souvent, uniquement le fantasme de scénarii apocalyptiques. Or, pour l’entreprise, l’IA est tout autre chose. Elle contribue à l’efficience opérationnelle et peut même servir de passerelle vers la rentabilité. Entre l’entreprise et le collaborateur, l’Intelligence Artificielle est encore toute autre. On y trouve là une façon d’allouer au mieux les ressources. Nous arrivons à une période clé, où les modèles de fonctionnement sont en passe d’être totalement disruptés, un moment où il faut choisir un pont entre l’entreprise et le collaborateur ou l’accentuation du gouffre entre l’entreprise et ses salariés. L’IA, peut-être justement un nouveau partenaire de poids dans cette relation, car si le lien entre bien-être, confiance et performance n’est plus à démontrer en entreprise, l’Intelligence Artificielle impactera chaque aspect de cette relation entreprise-collaborateur. En automatisant une multitude de tâches, en prenant des décisions (semi-automatiques), en quantifiant chaque aspect (du temps à la satisfaction, grâce à la reconnaissance d’émotions faciales), elle devient un facteur-clé de l’optimisation. Mais s’arrêter à cet aspect est une erreur ou, tout du moins, une sous-utilisation du potentiel de l’IA. En effet, il apparaît clairement que les modèles actuels ne sont pas à même de répondre aux défis et enjeux posés par le bouleversement amené par l’IA. En effet, l’IA doit être mise en œuvre au-delà des premières applications d’optimisation évidentes. Elle doit devenir un partenaire à part entière soutenant le collaborateur, en diminuant les activités à faible mobilisation cognitive et pénibles et en agissant pour augmenter son bien-être général. En le dotant d’un « collègue numérique » on lui permet de se concentrer sur les activités à forte mobilisation cognitive, empreintes de sens et de valeur ajoutée pour l’entreprise et lui-même. Dans cette perspective, les Ressources Humaines doivent intégrer ce nouveau partenaire comme une opportunité de prospection au service du « bien commun » et de la pérennité durable (au sens systémique) de l’entreprise. A ce titre, les RH doivent devenir les bâtisseurs dudit pont, mais elles ne peuvent le devenir qu’en ayant une compréhension globale et stratégique de ce qu’est l’Intelligence Artificielle, de ce qu’elle amène comme nouveaux paradigmes, comme façon de travailler ainsi que de tous les enjeux liés à l’éthique soulevés. Il convient de de préparer les dirigeants et les RH à être « AI Ready », état de maturité d’une entreprise qui n’a pas encore d’Intelligence Artificielle en son sein mais qui a mis en place la structure adéquate pour l’intégrer et à travailler à « l’AI Readiness » de ses collaborateurs afin d’ouvrir des champs de perspectives où l’optimisation laisse une vraie place à l’innovation pour redéfinir de nouveaux modèles.

Expérience collaborateur – Expérience client à l’ère de l’Intelligence Artificielle(IA) : c’est le progrès pour tous ! Oumar TRAORE, Optimum-international, Expertise et solutions RH

49La révolution IA gagne de plus en plus d’importance dans la stratégie des entreprises. L’intelligence artificielle, c’est un bon qualitatif au-delà de la digitalisation. Elle n’est donc pas sans impact sur la logique managériale des entreprises qui repose sur la traditionnelle équation d’employés heureux=clients heureux = business heureux. La révolution IA exige que les entreprises se donnent une impulsion nouvelle face à cette avancée très rapide de la technologie sur les concepts de l’expérience collaborateur et de l’expérience client. Dans un futur proche, l’entreprise devrait grâce à l’IA, être en mesure d’améliorer l’expérience client grâce aux données recueillies qui permettront de personnaliser la relation client selon les centres d’intérêt, d’évoluer vers une approche prédictive pour non seulement identifier les problèmes mais les prévenir. Les tâches répétitives pourraient être déléguées à l’IA, pour une meilleure concentration sur les problématiques les plus pertinentes. L’IA à travers les technologies de la robotisation, le chatbot…devraient également contribuer à une collaboration harmonieuse et fructueuse. L’entreprise pourrait utiliser l’IA pour réinventer l’expérience collaborateur en s’appuyant sur un système automatisé qui permettrait de cerner le centre d’intérêt de chaque collaborateur. L’expérience collaborateur face à l’IA évoluera certainement vers une adaptation des compétences que doit garantir l’entreprise, en offrant un cadre d’apprentissage continu qui la ferait progresser vers le profil d’une Learning company, caractéristique des organisations apprenantes.

HR Management as AI’s Litmus Test. Valéry YAKUBOVICH, Professeur ESSEC Business School

50HR management is a litmus test for the ability of AI to deliver on its promise to business. Unlike clients, employees observe the introduction of new management technologies closely and experience the high stakes of their implementation. There is some empirical evidence showing that employees are algorithm-averse even when they can benefit from its implementation. To assuage their concerns, managers must explain AI-augmented personnel decisions and demonstrate that these decisions are fair, legal, and ethical. That said, explainability, fairness, legality, and ethical concerns are exactly the weakest points of the current AI technologies that are based on pattern recognition. The good news is that active research in these areas is currently underway. While waiting for the results of this research, businesses can do three things on their own in the meantime. First, they can put their data in order. Companies continually struggle to find data when needed. HR professionals sometimes do not even understand that to create a credible hiring algorithm they need the historical data on rejected candidates. Some HR data exist only on paper, others in Excel spreadsheets, and still others exist in idiosyncratic formats of various HR Information Systems. Locating the right data, matching them across various sources and formats, and loading them into an analyzable form can take up to 90 % of any AI-management project’s total time. Second, companies can experiment and prototype a new AI system before its official launch. Well-designed experiments help verify whether an algorithm is biased and how it fares vis-à-vis human decision-makers. Finally, companies can solicit input from its employees from the very beginning. Research shows that giving employees the ability to contribute to an algorithm’s design and implementation goes a long way towards overcoming their algorithm aversion.

L’intelligence artificielle au cœur de l’entreprise libanaise. Joumana YOUNIS, Doyenne de la Faculté des Sciences, Université Jinan

51If, Then, Else : « nanos » seconde machine, au service de l’humain. Abstraction faite de l’aspect technologique, les enjeux de l’usage de l’intelligence artificielle se révèlent à travers les changements multiples auxquels les entreprises devraient de plus en plus faire face. Le Liban n’est pas à l’abri de la logique du changement du fait de la globalisation tant économique que technique. Dans ce domaine, notre témoignage portera sur trois champs d’application : la finance, la banque et l’industrie au Liban. Investir en bourse grâce à l’intelligence artificielle devient une pratique courante intégrée dans les activités de gestionnaires de fortune ainsi que les conseillers en investissements et placements. En effet, ces professionnels libanais de la finance utilisent des plateformes d’intelligence artificielle pour tester et simuler des stratégies d’investissement dans les bourses aussi bien moyen-orientales qu’internationales ; ce qui leur permet une meilleure fiabilité et un meilleur rendement dans leur offre à leurs clients, qu’ils soient particuliers ou institutionnels. Quant aux banques libanaises, elles utilisent également l’intelligence artificielle dans le calcul de risques de crédits. De ce fait, les agences n’ont plus à faire des calculs savants comme il fut jadis. Grâce aux algorithmes intégrés dans les systèmes d’aide à la décision (SAD), les crédits sont accordés ou refusés en fonction de critères préétablis. Concernant le domaine industriel, l’intelligence artificielle permet de répondre à des niveaux de qualité exigée par les différents systèmes internationaux de normalisation ; Ainsi, le contrôle qualité est automatisé par le biais des systèmes de vision par ordinateur. Grâce à l’intelligence artificielle, les agents de l’économie libanaise peuvent graduellement honorer leurs engagements en matière de mise à niveau tant sur le plan euro-méditerranéen que mondial. Il est vrai qu’à priori l’intelligence artificielle se substitue à l’humain, mais à posteriori les compétences se transforment. De ce fait, l’ensemble des programmes actuels d’enseignement prépare les nouvelles générations à interagir avec l’intelligence artificielle en vue d’assumer le statut d’Homme Augmenté.

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