Couverture de QDM_182

Article de revue

« Comment développer la capacité de transformation d’une organisation ? »

Pages 157 à 180

Notes

  • [1]
    Autissier, D., Guillard, A. & Moutot, J. (2010). La capacité de transformation comme composante du capital humain : une étude exploratoire dans un groupe coté. Management & Avenir, 31,(1), 95-117.
  • [*]
    « Heureux celui qui peut connaître la raison des choses » (Virgile in Les Géorgiques)
  • [2]
    Autissier D., Guillard A., Moutot J.M, 2010, « La capacité de transformation comme composante du capital humain : une étude exploratoire dans un groupe coté », Management & Avenir, 31,(1), 95-117.
  • [3]
    Petitbon F., Bastianutti J., Descamps M (2017), Managers : libérez, délivrez, … surveillez ? Les 6 clés pour travailler en confiance !, Cherche Midi

1La capacité de transformation, entendue comme la capacité qu’ont les personnes, les groupes internes et les parties prenantes de modifier leurs cadres et modèles mentaux de référence, constitue une capacité organisationnelle clé. Selon Autissier, Guillard et Moutot (2010) [1], elle est une composante majeure du capital humain de l’organisation. Développer la capacité de transformation est une question à fort enjeu pour les chercheurs en sciences de gestion et pour les dirigeants. C’est pourquoi dirigeants et enseignants-chercheurs ont été sollicités dans le cadre de la traditionnelle rubrique « regards croisés », pour répondre à la question : « Comment développer la capacité de transformation d’une organisation ? »

2François ACQUATELLA, Hélène BEAUGRAND, Jean-Christophe BEJANNIN, Laurent BIBARD, Mireille BLAESS, André BOYER, Luc BOYER, Patrick DAMBRON, Richard DELAYE, Séverine DIEUZE, Yves ENREGLE, Jean-Marie ESTEVE, Malick FAYE, Corinne FORASACCO, Anne Marie FRAY, Christelle GERARDOT, Baï Judith M. GLIDJA, Laurence HIRBEC, Jacques IGALENS, Michel JONQUIERES, Sabine KHALIL, Assya KHIAT, Hubert LANDIER, Jean-Pierre LE CAM, Jocelyne LOOS BAROIN, Mouloud MADOUM, Claire MARTIN, Gérard MATENCIO, Xavier MOULINS, Jean-François NGOK EVINA, Emmanuel OKAMBA, Philippe PACHE, André PERRET, Frédéric PETITBON, Patrick PLEIN, Patrick PLUEN, Philippe POZZO di BORGO, Frédéric ROUSSEAU, Delphine VAN HOOREBEKE et Benjamine VO VINH MARECHAL ont accepté de répondre et de confronter leurs regards.

3La capacité à se transformer joue un rôle central dans la réussite d’un processus de changement. Les comportements valorisés par l’organisation dans un contexte dynamique sont le développement de nouvelles compétences, la créativité, le savoir interagir avec autrui et l’adaptation à de nouveaux contextes. Ces comportements agiles sont considérés comme cruciaux dans l’atteinte des objectifs organisationnels. L’agilité s’insère dans des dynamiques d’apprenance. Il s’agit d’apprendre le changement permanent. La question se pose alors de savoir comment créer cette ouverture à la transformation.

4Devenir une organisation apprenante semble la stratégie la plus efficace. Etre une organisation apprenante consiste à développer sa capacité à se structurer de manière à permettre une professionnalisation collective au service de la professionnalisation de son activité. Dans cette perspective, les notions de confiance, responsabilisation, accompagnement au développement professionnel des collaborateurs, réflexion sur les problèmes rencontrés dans le travail, droit à l’erreur, valorisation et reconnaissance, prise d’initiative, autonomie… sont valorisés et développés. Dans une organisation apprenante, tous les membres apprennent les uns des autres. Les apprentissages des uns favorisant ceux des autres. Les individus comme le collectif sont invités à apprendre à apprendre. Apprendre plus vite que la concurrence, c’est la seule façon de demeurer compétitif et de se transformer. « Learn or die ». L’essentiel est de créer les conditions pour que chacun apprenne. La question n’est plus de savoir quoi apprendre, mais comment susciter une dynamique d’apprentissage et de transformation.

5Les 40 experts – enseignants-chercheurs, dirigeants d’entreprise, DRH, directeurs des affaires sociales, experts en relations sociales et consultants RH – qui ont accepté de répondre à la question posée, apportent des éclairages complémentaires et nous proposent des pistes intéressantes pour relever ces défis.

Transformation digitale : les RH votent pour le MOOC. François ACQUATELLA, Telecom-Paristech

6La transformation numérique porte un nouvel idéal de production, de conception, d’organisation du travail, définissant ainsi une nouvelle intelligence économique que l’organisation doit intégrer pour demeurer compétitive. Il devient nécessaire pour toute organisation de développer ses capacités de transition numérique. La reconfiguration des compétences organisationnelles par le biais d’un artefact socio technologique de formation semble stratégique. Le modèle d’apprentissage collaboratif porté par le MOOC est perçu comme « désilotant » l’organisation. Ce dispositif offre un espace d’interactions plus libres et informelles entre des salariés aux cultures, actions, métiers diversifiés sur des lieux de travail éloignés. Le MOOC est ainsi perçu comme un artefact permettant des formations plus coopératives et transversales notamment en raison d’une égalité de statut entre les salariés. L’usage du MOOC inciterait au développement de nouvelles routines de formation entraînant un partage de valeurs de transversalité, flexibilité, innovation, afférentes au dispositif et susceptibles dans le temps de faire évoluer l’organisation.

Transformations : ouvrir les voies individuelles et collectives. Hélène BEAUGRAND, Directrice TCHANCA

7Développer la capacité de transformation d’une organisation, c’est développer la capacité des acteurs qui la composent à identifier et anticiper les changements, à construire ensemble le chemin pour y parvenir, dans l’objectif de se renouveler collectivement. Mais pour cela, encore faut-il que chaque individu composant le collectif ait envie de s’engager dans cette voie, y compris lorsque les changements s’imposent à lui et qu’il semble les subir. Comment le convaincre de s’engager dans la transformation ? Cette question est d’autant plus prégnante à la lecture de l’étude Gallup de 2017 qui montre qu’en France, moins de 10 % des actifs sont « engagés » ; ce sont ceux qui se donneraient à fond pour réaliser leur travail, seraient capables d’innover et chercher à faire avancer l’entreprise. A contrario près de 70 % des salariés auraient un comportement « désengagé », réalisant le minimum attendu, exécutant les tâches sans toutefois prendre d’initiative. Développer la capacité de transformation d’une organisation, pour moi, passe donc par cette problématique d’engagement individuel au service du collectif et de l’organisation. Pour y répondre, il me semble important de donner du sens, expliquer le pourquoi du changement, fixer un cap et le partager, stimuler les initiatives collectives, responsabiliser, susciter l’intérêt personnel pour créer l’envie de se transformer. Avec un accent spécifique sur les managers, qui restent des salariés à part entière et sont en même temps des acteurs particuliers, piliers de la transformation. L’engagement n’est pas intrinsèque à une fonction ; l’accompagnement des managers sur leur propre chemin vers la transformation est une clef majeure de réussite pour favoriser la capacité à co-créer et ouvrir la voie des transformations individuelles et collectives.

La transformation de l’organisation COVEA. Jean-Christophe BEJANNIN, Méthodes projet & Accompagnement du Changement, Direction Technologie & SI, COVEA

8Développer la capacité de transformation de l’organisation Covéa : – en fonctionnant en mode projet le plus souvent possible et en intégrant la transformation dans les projets (démarche AQUEDUC, Amélioration Continue Apprenante…). – en intégrant des démarches souples et agiles dans l’organisation de nos projets de transformation (SCRUM), – en mettant en place des circuits et lieux pour « vivre » des transformations (CODEV, CAMPUS, TRACE, LABs…) – en mettant en place trois grands programmes mobilisateurs, sponsorisés au plus haut niveau de l’entreprise, qui rendent les participants acteurs de la transformation (Relation Client, Environnement de Travail immobilier, WorkPlace numérique). – en ouvrant nos chakras face aux transformations en cours « à l’extérieur » (Veille, Safaris, Webconférences, Expéditions apprenantes…). – en faisant évoluer notre réseau managérial vers un rôle d’acteur des transformations (formations, démarches RH, objectifs…). – en transformant progressivement notre modèle d’apprentissage vers l’« Any Time, AnyWhere, Any Device ». Ces leviers concourent à augmenter la capacité de transformation des collaborateurs, des managers et donc de Covéa. Pour mesurer cette évolution et l’efficacité de nos dispositifs, nous construisons des indicateurs et… apprenons en marchant : – Par la mesure du nombre de participants aux expériences ci-dessus, – Par la cartographie des foyers de « transformers » sur lesquels s’appuyer, – Par des baromètres et mesures de l’implication dans les transformations …

Pour transformer, reconnaître d’abord ! Laurent BIBARD, Professeur ESSEC Business School

9La frénésie contemporaine de changement a plusieurs effets identifiables dont deux particulièrement saillants : la focalisation sur le changement pour le changement d’un côté, et la transformation du vocabulaire ensuite. Il est devenu indispensable de parler de transformation, le changement ayant pris un coup de vieux. Il est indispensable de ne jamais être dupe des modes managériales, et encore moins de leurs slogans plus ou moins idéologiques (c’est-à-dire irréfléchis). Il est évident que les entreprises et les organisations ont besoin de savoir changer, se transformer, s’adapter à un monde qui change lui-même de manière drastique sur certains points. Mais il est tout aussi indispensable d’observer avec une bienveillante ironie, que dans un contexte où le changement – ou les « transformations » – est et sont devenus la règle, le véritable changement est de s’arrêter de changer. Ceci, en particulier quand le changement est tellement considéré comme une évidence, qu’il devient le but et non le moyen d’une durabilité et d’une stratégie sensée des organisations. Pour favoriser véritablement le changement, ou les possibilités d’une réelle transformation des organisations, il est indispensable d’observer qu’il n’y a pas de changement sans stabilité minimum, ou de transformation sans continuité de ce qui se transforme. On peut prendre une métaphore plus que parlante qui m’avait été dite par un ami qui me voulait du bien, il n’y a pas d’élan sans appui. Jusqu’à nouvel ordre organisationnel, l’appui solide des organisations consiste en ce qu’elles savent déjà faire. Reconnaissez les compétences déjà en route dans une organisation, et vous deviendrez capable de tout transformer sans qu’il y ait de morts, dont les Directions elles-mêmes ! Comment faire cela ? C’est une autre histoire…

Transformer l’organisation : petit guide pratique d’alignement comportemental. Mireille BLAESS, Directeur Ressources Humaines et RSE

10Partant du fait qu’une organisation est composée d’individus, nous préférons au terme de transformation la notion d’évolution de comportements partant d’un postulat qui est qu’on ne change pas fondamentalement les individus mais qu’une évolution des comportements est possible. Pour avoir travaillé dans des organisations en complète refonte de leur « business model », il convient dans ces démarches de définir quelles sont les transformations à opérer relatives au métier de l’entreprise et en évaluer les conséquences dans le management de celle-ci. Cette étape permet de décliner des comportements clés attendus par chacun des managers de l’organisation qui sont ensuite déclinés en actions et partagés dans l’ensemble des équipes. Pour faciliter ces évolutions, il nous semble essentiel de capitaliser sur chacun. Pour cela, s’assurer que chacun renforce sa connaissance de lui-même, facteur essentiel à une meilleure acceptation du changement. Cela passe par des bilans et de la formation adaptés à la transformation à mener. Chacun ayant une meilleure connaissance de soi aborde alors avec sérénité la mise en œuvre de la transformation. Pour créer les conditions de l’évolution, la formation doit reposer sur une philosophie bienveillante par exemple avec des orientations du type :

  • une réflexion personnelle autour des valeurs de l’entreprise ;
  • des moments de partage et d’échange entre managers ;
  • des messages passés par la direction ;
  • un temps de parole libre avec les dirigeants.

11Cela passe par un entrainement comportemental sur des situations concrètes, des apports pratiques sous forme de fiches outils, des étapes formalisées de suivi de progrès pour chaque collaborateur. Alors l’organisation pourra évoluer grâce au comportement bienveillant et adapté de chacun !

La conduite du changement au cœur de l’organisation. André BOYER, Professeur Émérite en Sciences de Gestion, Université Nice Sophia-Antipolis

12Toute organisation se trouve confrontée à la nécessité de se transformer, que ce soit pour répondre aux nouveaux enjeux du marché ou pour mettre en place de nouveaux modes de fonctionnement managériaux ou pour utiliser de nouvelles technologies. Or, tout processus de transformation implique de mettre en avant la capacité de transformation de l’organisation. En effet, toute transformation agit à la fois sur les structures formelles de l’entreprise, à savoir sur son organisation, ses processus, ses systèmes, son business model mais aussi sur ses structures informelles que sont ses pratiques professionnelles, ses compétences, ses valeurs, son identité qui sont plus difficiles à saisir donc à maîtriser. Il s’agit donc de mobiliser les différentes dimensions managériales susceptibles d’agir sur les structures formelles et informelles de l’organisation, sa vision, ses cibles évolutives, ses objectifs de création de valeur, sa dynamique incarnée par le management et les valeurs d’entreprise. Cette mobilisation implique de revenir sans cesse aux finalités stratégiques de la transformation, d’identifier les gains futurs attendus de la transformation, de manager la complexité et de traiter les risques liés aux projets de transformation. Développer la capacité de transformation de l’organisation implique de placer la conduite du changement au cœur de son dispositif.

Se transformer : Vivre ou Mourir. Luc BOYER, Directeur de Recherches, Université Paris-Dauphine

13Les Organisations – un peu comme le êtres vivants-ne peuvent survivre (et a fortiori se développer) dans un statu quo : elles sont condamnées, conçues en quelque sorte, pour évoluer : Vivre, c’est-à-dire « Agir » ou « Mourir ». Il peut exister quelques exceptions, par exemple lorsque la « Référence » de notre entité se situe en dehors du cadre étudié(le cas des Ordres..). Voulue (poussée par une volonté interne) ou subie (l’action de forces exogènes), la transformation ne peut que faire l’objet d’un accompagnement dont l’efficacité sera déterminante. Pour développer cette capacité à se transformer, l’Organisation devra mette évidence des enjeux qui agiront comme autant d’incitations au changement. Le Management va être conduit à utiliser au mieux ce concept d’enjeux, quitte parfois à en exagérer l’ampleur supposée pour obtenir le maximum d’implications. Une Organisation, finalement, donnera son optimum d’efficacité que lorsqu’elle le but à atteindre est ambitieux… ou lorsque elle est en grand danger !

Le mécénat d’entreprise, possible prélude à la transformation. Patrick DAMBRON, Président de l’Institut des Etudes d’Administration et de Management

14La capacité de transformation d’une organisation est dépendante de son management, bien entendu, de la culture d’entreprise, également. Ils ne suffisent cependant pas. L’ouverture culturelle dont bénéficient chacune et chacun influe sur la faculté d’aborder le changement. Deux attitudes opposées se rencontrent, l’une conduisant au repli, l’autre cherchant l’ouverture, avec des nuances entre ces deux possibilités. Sous-jacents, c’est l’éducation reçue, les études entreprises, les activités menées, l’intérêt porté à la vie en collectivité qui rejaillissent sur la capacité à accepter tout projet de transformation dont nous savons qu’il est nécessaire. L’art est, en ce sens, un facteur déterminant. Il est ouverture, par essence. J’ai eu l’occasion, voici quelque temps, de rapporter ma visite auprès du patron d’une entreprise de métallerie installée à Nay, en Béarn. Tous les ans, il invitait un artiste à concevoir une œuvre dans les ateliers pour que les salariés le voient créer. Il voulait les sortir des projets traditionnels sur lesquels ils travaillaient et les inciter à aller plus loin pour enrichir leur perception de leur mission. Penser que les choses ne se répètent pas nécessairement, qu’elles peuvent être mises en perspective et réinventées. Rien n’est jamais figé et les artistes, plus que d’autres, le démontrent. Cette ouverture sur la vie peut éviter l’enfermement dans les habitudes, le repli sur soi, la peur de l’inconnu, et corriger cette impression de confort – ô combien précaire – auquel on s’accroche, persuadé que le pire est à venir. La pratique du mécénat d’entreprise est, à cet égard, d’une aide précieuse. Dans un monde appelé à évoluer en permanence, elle est source d’ouverture et participe au renouveau des pratiques d’entreprise. Elle est instigatrice de métamorphose, pour reprendre le mot cher à André Malraux (La Métamorphose des dieux) qui voyait dans l’art les infinies potentialités humaines.

Une dimension sacralisée qui repose sur la confiance. Richard DELAYE-HABERMACHER, IMSG et Groupe IGS

15« Transformation », ce mot que l’on retrouve accolé à de nombreux autres (numérique, génétique, financière, digitale, de l’action publique…) puise son origine dans la sphère religieuse (transformatio). Pour Saint-Augustin (IVe siècle après J.-C. ou après notre ère), il est synonyme de métamorphose, de changement d’une forme en une autre. Cette approche qui relève du sacré est intéressante car elle est un fondement de la doctrine catholique (concile de Trente, 1551). On retrouve, en effet, le terme de transformation dans la transsubstantiation qui incarne le changement du pain et du vin en Corps et Sang du Christ tout en gardant leurs propriétés initiales. C’est du reste un point central qui opposera et oppose toujours de nos jours catholiques et protestants. Pour ces derniers point de transformation d’un état à un autre, mais place à la consubstantiation, une coexistence des différents états et matières.

16En réalité, dans le cadre de la transformation organisationnelle, cette étymologie prend tout son sens. Dans un premier temps car il s’agit bien d’une métamorphose qui fait passer les organisations (ainsi que les mentalités) d’une forme structurelle plutôt verticale et rigide à une autre beaucoup plus fluide, mobile et par conséquent agile. Dans un second temps parce que la transformation impose une véritable déconstruction de l’état précédent pour pouvoir reconstruire à l’image de tous les rites de passage que nous côtoyons dans les espaces professionnels comme personnels. Cette disconfirmation qui caractérise cette rupture nécessaire pour qu’il y ait continuité, comme aime à le rappeler le Prof. Luc Boyer, est reprise par le sociologue américain Kurt Levin dans sa méthode U.M.R. (Unfreeze-Moving-Refreeze) qui régit le pilotage du changement organisationnel. Néanmoins, cela ne peut être rendu possible si un ingrédient est absent de l’équation. Il s’agit de la confiance, car, sans confiance, point d’engagement et donc impossibilité de constituer un « noyau du changement », composé des fidèles parmi les fidèles, (autre terme relevant sacré), et qui est incontestablement la véritable pierre angulaire de tout pilotage du changement réussi.

Permettre à chacun d’avoir conscience de son potentiel créateur et de le développer en commun pour créer les conditions de la métamorphose. Séverine DIEUZE, Ingénieur Formation Continue, Conseil en Formation Entreprises, Groupe ESC Clermont

17La transformation signifie le passage d’une forme à une autre. La capacité de transformation d’une organisation réside dans la capacité des individus qui la composent à imaginer cette nouvelle forme et à la co-façonner au service du bien commun et de ce qui fait sens pour chacun. Nous pouvons faire le parallèle avec la métamorphose, terme du vivant utilisé par Alain de Vulpian dans son ouvrage Eloge de la métamorphose. Soyons ces cellules imaginales de la chrysalide, connectons-nous pour imaginer et créer l’organisation qui fait sens pour nous. Cela passe par une vraie croyance des dirigeants dans le potentiel créateur de chaque membre de l’organisation, par la (re)connexion de chaque personne à ses capacités et par la création d’espaces de co-création d’un futur commun choisi. Les derniers apports des neurosciences, l’étude des sciences sociales (sociologie, sciences cognitives, psychologie humaniste, etc.), les expériences de décentrement, les espaces de dialogue structuré (méthodes agiles, design thinking, liberating structures, etc.), l’accompagnement du développement des personnes et des collectifs (mentoring, coaching individuel et collectif), la formation transformatrice peuvent aider à créer ces organisations apprenantes capables de générer les conditions de leur propre transformation.

Développer la capacité de transformation d’une organisation. Yves ENREGLE, Président de Propédia, centre de recherche du groupe IGS

18Thème rabattu s’il en est !

19Les années soixante bourdonnaient déjà de discussions sans fin, de livres d’articles… On parlait alors de Développement Organisationnel, de Processus de Changement, d’Analyse Institutionnelle etc…

20Ce qui fut alors nouveau et en tant que tel salutaire, voire (presque) utile existe encore à la manière d’un vieillard qui raconterait ses combats d’antan.

21Il est donc temps d’une nouvelle rupture à laquelle Propédia souhaite contribuer en posant ce problème de transformation à partir des notions de « territoire » et « d’identité ».

22Constat de départ : si on habite un territoire, en retour ce territoire nous habite tout autant en nous imprégnant de toute une série de repères, traces des fortes émotions de la première enfance qui nous marquent à jamais ; nous sommes ce que ce territoire originel a fait de nous et cela s’exprime par une symbolique commune à tous ceux qui ont vécu dans ce même territoire. (Ce qui justifie pleinement le « droit du sol » en ce qui concerne les questions de nationalité ; voire Montesquieu !)

23Symbolique commune, à commencer par ce qui en est l’essentiel : la langue que nous parlons, mais aussi tous les rituels qui marquent la vie d’une communauté. C’est grâce à cette symbolique commune que l’on peut vivre ensemble : on a, qu’on le veuille ou non, les mêmes émotions, exprimées par les mêmes mots et vécues au travers des mêmes rituels.

24Cela a bâti notre identité et notre « identité commune » (pardon pour ce pléonasme : le mot identité procède de « idem » ; l’identité c’est ce qui est identique, donc ce qui est commun ; il nous faudra donc articuler notre identité avec notre personnalité, qui elle est porteuse de l’indispensable unicité de la personne.)

25C’est donc à partir de ces repères qu’on peut décrire, voire maîtriser et infléchir l’évolution d’un groupe social, « macro » ou « micro » : Territoire → symbolique → rituels → identité → donc possibilité d’un nouveau territoire → donc nouvelle symbolique → nouveaux rituels → nouvelle identité, etc… à l’infini. On pense à la conclusion des « Voix du Silence » lorsque Malraux contemple « l’éternel dialogue des métamorphoses et des résurrections ». Et ceci pour toute société et toute organisation, de l’entreprise à la Cité.

26Transformer une organisation c’est, avant tout, poser et reposer sans cesse la question du « nous » : Qu’est-ce qui constitue ce « nous » et comment le faire évoluer ? Quel sont les symboles que nous partageons ? Les émotions que nous revivons ensemble grâce à nos rituels ? Comment enrichir ces rituels ?

27Cela revient à dire qu’il faut aborder une organisation avec une approche similaire à celles que nous utilisons lorsqu’on étudie un peuple. Micro-peuple d’une entreprise. Macro-peuple de la Cité. Les deux posent le même problème de l’articulation « Laos »-« Demos »(les deux mots grecs signifiant « peuple »).

28Laos renvoie à l’idée d’un ensemble instructuré de besoins et de désirs : c’est l’émotionnel dans toute sa splendeur. Fort mais enclin à de possibles explosions incontrôlables.

29Demos lui, renvoie à l’idée d’organisation rationnelle.

30L’indispensable dialogue « Laos-Demos », c’est l’incontournable nécessité de l’articulation « émotionnel-rationnel » ; l’énergie des émotions cadrée par l’exigence de la raison. : on retrouve la « témérité dirigée » chère au philosophe Alain.

31C’est dans cette perspective que Propédia met au point ses grilles d’analyse et d’interventions pour la transformation micro et macro-sociétale.

Il n’est de richesse que d’hommes (J. Bodin). Jean-Marie ESTEVE, Président Valor BTP, Chercheur associé Labex Entreprendre, Montpellier Recherche Management

32Pour assurer avec sérénité sa transformation progressive et minimiser sa forte dépendance au dirigeant, la PME doit développer de l’intelligence collective. C’est-à-dire s’appuyer sur une équipe d’individus solidaires et complémentaires. Un essai avec une observation longitudinale est en cours dans une PME du BTP avec la mise en place d’une innovation managériale facilitatrice d’une innovation produit. Voilà une approche en PME singulière et causale, que certains qualifieront de déterministe : l’innovation sociale comme émulation du succès industriel. Après avoir proposé au dirigeant d’évaluer son capital réticulaire (nombre de contacts…), son implication réticulaire (affective, calculée et normative) et le bilan réticulaire de sa PME, il a été décidé d’opérationnaliser ces concepts auprès des proches collaborateurs qui constituent le noyau dur. La finalité est de dépasser la vision isolée du dirigeant de PME en considérant l’apport du réseau du noyau dur. Ainsi, le dirigeant sort de son isolement tout en étant soulagé d’une activité réticulaire chronophage. Cette méthode permet de sortir le dirigeant isolé de la routine managériale et de mobiliser des ressources humaines collectives nécessaires à la transformation de son organisation. La libération des énergies des collaborateurs exige du dirigeant de l’humilité et de l’altérité. En d’autres termes, la reconnaissance de leur richesse. La toile collective ainsi tissée permet de saisir un grand nombre d’opportunités par une maîtrise plus large de l’activité, du marché et la perception de signaux faibles. La proxémie qui caractérise la PME et la multiplication des contacts génèrent une plus forte densité réticulaire. Ces interactions cognitives sont source d’émulation et d’implication collective. Cette innovation managériale, accompagnée par deux séniors, après une phase d’étonnement, a été le moteur du développement d’expertises distinctives portées par les membres du noyau dur. Cet entrepreneuriat créatif et collectif est, et a été, source de développement et de transformation de la PME.

Une chance pour l’Afrique. Malick FAYE, Directeur des programmes et Accréditations, BEM Dakar – Sénégal

33Le discours sur la transformation des organisations a connu un succès fulgurant ces dernières années sous l’effet conjugué de la crise économiques et de l’intensité de la concurrence. Il s’agit au fond de s’adapter, de changer de se transformer ou de disparaître. Cet amer constat ne doit pas nous conduire à faire le choix de l’inertie. Bien au contraire, la transformation sous toutes ses formes (organisationnelle, digitale…) est à l’ordre du jour. Elle suppose le passage d’un état connu à un état souhaitable. Seulement entre les deux, beaucoup de perturbations peuvent surgir mettant en cause le confort, les certitudes et les avantages acquis. On sait généralement ce que l’on perd, mais on ne sait pas forcément ce que l’on gagne. De façon machiavélique, on sait aussi que le changement a pour ardents détracteurs ce qui perdront leurs avantages et pour tièdes défenseurs ceux qui bénéficierons de l’ordre nouveau.

34Dans le contexte africain, le processus est beaucoup plus délicat du fait des difficultés économiques, de la faiblesse des ressources humaines qualifiées et des capacités financières. C’est en cela que paradoxalement, réside notre chance. Le développement de nos capacités de transformation de nos organisations doit s’appuyer principalement sur deux leviers que sont la volonté de changer et l’agilité de nos organisations du fait de leur petite taille. Les capacités d’adaptation, d’anticipation, et de réactivité seront des atouts incontestables. La jeunesse des populations et les innovations majeures dans le domaine de l’économie numérique en Afrique en sont la preuve.

Pour un leader transformé et transformant. Corinne FORASACCO, Coach et Partner d’Alma Alter Consulting

35L’engagement global d’une organisation dans la transformation exige l’implication du dirigeant lui-même ; il s’agit là d’une nécessité largement démontrée et partagée.

36Mais comment cette exigence se concrétise-t-elle dans la réalité des changements dans l’entreprise ? Bien souvent ledit dirigeant hérite d’un titre de « sponsor » et se voit ainsi attribué un rôle associé avec quelques actes symboliques notamment de communication ; participation à un « quick off » de projet ou à quelques expressions publiques.

37Le curseur est parfois poussé plus loin dans la mise en place d’organisations plus collaboratives Et sans aller jusqu’à viser le costume du « leader libérateur » pivot d’une entreprise dite « libérée » il est fondamental que le dirigeant incarne et donc vive effectivement des transformations dans son propre leadership et ses modes de gouvernance.

38Quels ingrédients à cette transformation du dirigeant ? Ne s’agissant pas d’une recette managériale mais de l’évolution de comportements directement liés à la personne il serait réducteur de répondre par une liste de compétences nouvelles à développer.

39Cependant au cœur, la question nouvelle pour le dirigeant, est réellement d’apprivoiser la complexité. Il lui faut mettre en particulier dans la transformation à la fois vision et rapidité d’exécution, traduction concrète d’une capacité à surfer en permanence sur le double registre des court et moyen termes.

40Mais il s’agit en termes plus personnels que ce gardien du temple suprême des résultats et de la « compliance » puisse aussi reconsidérer certaines croyances et accepter de se connecter à ses émotions moteurs profonds de l’action. Développer une nouvelle écologie personnelle lui permettant en conscience et confiance de revisiter sa relation au pouvoir, de pouvoir sortir de sa zone de confort, accepter les échecs, d’avoir une envie véritable de « faire avec les autres », de s’autoriser à être ouvert et curieux à l’égard de la différence et de l’innovation. Bref un marathonien qui a l’énergie, la concentration et le souffle pour tenir la distance tout en sachant regarder et capter l’évolution quotidienne de son environnement.

41Un humaniste enfin qui perçoive que son changement de regard sur les autres puisse changer les autres, message que le dirigeant ne doit pas oublier s’il veut embarquer son entreprise dans une réelle transformation.

Changer de tête n’est pas guillotiner… Anne Marie FRAY, secrétaire générale de l’IAS

42Et pourtant, développer la capacité de transformation d’une organisation passe souvent par un changement de tête. Méthode brutale, mais à valeur forte… pour un moment…. Car rien ne garantit la transformation de l’organisation par une nouvelle arrivée. Donc pourquoi pas un changement dans la tête tout en gardant le chef sur le col ? Mais c’est bien la transformation des individus qui est la plus difficile. Comment penser ou faire penser autrement tout en gardant les compétences nécessaires. Comment être le, la, même tout en étant un, une, autre ? Et pour quelle transformation ? Faut-il devenir agile et/ou militant ? Faut-il se séparer de ses dirigeants emblématiques ou les inscrire dans une pérennité rassurante face aux bouleversements ? Faut-il tracer des plans ou vivre une transformation empirique ? C’est donc bien sur les dirigeants que se pose la question, car imposer la transformation n’est pas possible. Le processus doit être organique, dynamique, vécu, expérientiel et agile. Dirigeants et salariés doivent apprendre à le vivre par des activités, des ateliers, des initiatives innovantes, des remue-méninges… qui font appel à la collaboration de tous les membres de l’organisation, pour vivre ensemble une co-transformation. Construite sur le courage de changer des responsables de l’organisation. C’est à ce prix que chacun gardera une tête dans laquelle il se sentira en adéquation avec son environnement et ses propres valeurs.

Des petites actions pour une grande transformation. Christelle GERARDOT, Consultante en change management dans le secteur de l’assurance

43Je vois trois axes à investiguer pour y parvenir : d’abord, encourager l’apprentissage permanent et vivre de nouvelles expériences pour tous au sein de l’entreprise. Cela peut passer par des learning expeditions, des conférences, du benchmark, des rencontres avec des start-ups, de l’innovation participative avec les collaborateurs, des réseaux apprenants etc. Second axe : favoriser l’amélioration continue, le retour d’expériences, la « positive attitude » et la libération de la parole. On peut ainsi imaginer la mise en place de groupes d’échanges de pratiques type co-dev entre pairs ou des focus groupes au sein des différentes entités de l’entreprise par exemple mais aussi introduire des modes de travail inspirés de la méthode agile. Troisième piste : former l’ensemble de la ligne managériale, top management inclus, au management collaboratif et agile pour s’orienter vers une animation des nouvelles pratiques et favoriser la prise d’initiatives des collaborateurs. Toutefois, pour réussir à mettre en œuvre ces idées, un certain nombre de conditions me semblent nécessaires. En premier lieu, communiquer régulièrement sur le sens du changement (le célèbre « Why » de Simon Sinek) et les réussites, petites ou grandes, encourager, féliciter et récompenser. Deuxièmement, bien sûr, obtenir des budgets pour rendre possibles les actions nécessaires. Troisièmement, disposer d’une équipe interne en change management pour concevoir et animer le change stream permanent mais aussi faciliter la capitalisation des expériences et chercher à mesurer régulièrement l’évolution de cette capacité de transformation de l’organisation pour proposer de nouvelles pistes de travail. Et enfin mettre en place un dispositif de prévention et de traitement des RPS (Risques Psycho-sociaux) inhérents aux situations de changement pour que chacun, s’il le souhaite, travaille sur ses résistances et ses leviers de changement.

La perpétuelle transformation. Baï Judith M. GLIDJA, Professeure, Université Abomey-Calavi, Cotonou, Bénin

44Système d’actions collectives, l’organisation est en perpétuelle transformation car elle doit entretenir des relations durables avec son contexte (attentes des clients, révolution digitale, etc.) pour rester compétitive (Peretti, 2016). Les intérêts divergents des parties prenantes rendent davantage complexe la gestion de l’organisation dans ce contexte très instable. La transformation est donc consubstantielle aux organisations, mais ses dernières aussi bien que les individus préférant la stabilité et un horizon prévisible donc entretenant une forte résistance au changement (Magakian et al., 2003), toutes les analyses soulignent la complexité de ce processus en mettant l’accent sur la dimension essentielle de l’apprentissage. La transformation implique ainsi le développement de capacités diverses : anticipations de conditions futures de productions, rythme de renouvellement des outils, nouveaux profils de compétences requises, modifications incontournables des systèmes d’organisation et de gestion. De l’approche de la Conduite du Changement (1960) à celle de Lewin (1965), les modèles de Kotter (1996) et le modèle de changement agile sont nécessaires pour réussir une transformation durable et relever les enjeux collaboratif et du digital qui restent actuels.

Quelques ingrédients vers une organisation auto-transformante. Laurence HIRBEC, Leadership Learning & Development Manager, Thales Talent & Culture, Thales Group

45« La capacité de transformation d’une organisation est intimement liée à la capacité de transformation des êtres humains qui la composent, celle-ci étant fortement influencée par la culture de l’organisation et les modes managériaux qui y règnent. Dans l’optique d’une libération des énergies de changement, les managers sont appelés à favoriser les approches d’intelligence collective qui redonnent de l’autonomie aux collaborateurs et invitent à la pleine expression de leur créativité et de leur capacité à innover, ingrédients de base de toute transformation. Le pilotage de la transformation est alors partagé, distribué, et agile, afin de prendre en compte à la fois les changements rapides et ceux qui nécessitent plus de temps. Dans un principe d’apprentissage permanent, l’expérimentation est valorisée, l’erreur fait partie intégrante du processus de changement, les contributions au changement sont visiblement valorisées, et il est naturel de donner ou recevoir du feedback. En bref, la capacité de transformation d’une organisation est une résultante de la confiance qu’elle accorde aux hommes et aux femmes qui y agissent et interagissent. »

Il y a toujours plus de nouvelles idées ailleurs que chez nous. Jacques IGALENS, Professeur émérite, Université de Toulouse Capitole

46Toute organisation est en interaction avec de nombreux environnements, le marché pour les organisations productives et commerciales, le public pour les services publics mais aussi les institutions qui l’encadrent, le monde scientifique pour certaines d’entre elles (nos Universités, par exemple). « Etre en interaction » signifie que des échanges de toute nature ne cessent d’avoir lieu, échanges commerciaux, financiers, informationnels, symboliques, etc. Pour moi la meilleure façon de développer la capacité de transformation d’une organisation est de tout mettre en œuvre pour favoriser ces échanges et pour en tirer des enseignements. Autant je suis convaincu que la qualité des ressources internes (notamment bien-sûr la compétence et l’engagement des salariés) constitue un facteur clef de performance, autant je doute qu’elle soit suffisante pour développer la capacité de transformation. Etre ouvert, favoriser les rencontres et les échanges, chercher à apprendre des « Autres », voilà, pour moi, le secret du développement de la capacité de transformation. Après il faut réussir la transformation mais c’est un autre sujet sur lequel nous attendrons un prochain numéro de QDM.

Et si la responsabilité sociétale était réellement un indiscutable vecteur au service de la transformation d’une organisation ? Michel JONQUIERES, Secrétaire Général, Académie de l’Ethique

47Jadis décriée par le patronat français, la responsabilité sociétale représente désormais un réel gisement de vecteurs d’amélioration et de facteurs d’évolution au service de toute organisation. En effet, mettre en œuvre une démarche de responsabilité sociétale conduit plus particulièrement l’organisation a : – se préoccuper de l’impact de ses décisions et activités sur la société et pouvoir s’en expliquer (la redevabilité) ; – se pencher sur son mode de gouvernance et être en mesure de rendre des comptes auprès des parties intéressées (la transparence, say or pay) ; – porter un regard différent sur l’éthique de ses pratiques et le comportement éthique de ses parties prenantes (l’éthique de la responsabilité) ; – être capable de démontrer le respect des exigences auxquelles elle doit satisfaire ou qu’elle a choisi de s’appliquer (la compliance, le respect du principe de légalité) ; – se préoccuper de nouvelles problématiques telles que le devoir de vigilance, la discrimination, la corruption, les achats responsables…Ces opportunités doivent indéniablement permettre à l’organisation de développer sa capacité de transformation.

Transformation organisationnelle ; vers une appropriation réussie des nouvelles technologies. Sabine KHALIL, Enseignant-chercheur en Management des Systèmes d’Information, ICD Paris – Groupe IGS

48La conduite des transformations organisationnelles, suscitées par la mise en place des nouvelles technologies d’information et de communication, ne sont pas faciles à mener. Une myriade de projets de digitalisation échoue, principalement, à cause d’une non prise en compte des besoins des acteurs concernés par le processus de digitalisation. De fait, les acteurs organisationnels se retrouvent face à des technologies faiblement voire non alignées à leurs besoins métiers, compétences techniques ou encore à leurs méthodes et organisation de travail. A cet effet, l’identification et l’analyse des parties prenantes constitue une première étape fondamentale dans tout processus de transformation organisationnelle.

49Les utilisateurs finaux doivent ainsi être placés au cœur du processus de changement. Des méthodes d’innovation managériale, notamment celles qui relèvent du design thinking, vont aider les entreprises à centrer le processus de transformation organisationnelle autour des utilisateurs concernés. En ce sens, celles-ci vont être en mesure de mieux cerner les ajustements à faire au niveau des processus métiers, de la structure et de la culture organisationnelles affectés par la mise en place des technologies. Ces ajustements sont fondamentaux pour aligner les technologies aux besoins de l’organisation et des individus et par conséquent, améliorer l’appropriation et l’utilisation de ces technologies.

Habitude quand tu nous fige ! Innovation quand tu nous porte ! Assya KHIAT, professeure, Université d’Oran 2 – Mohamed Ben Ahmed – Algérie

50« Comment développer la capacité de transformation d’une organisation ? « Une question qui met en avant soit la perspective d’acteur, soit la perspective d’observation. Deux questions alors : Comment gérer le changement ? Ou alors Comment se produit le changement ? (Rondeau A. 2006). L’une et l’autre des questions ne peuvent s’exclure. Reste cependant la grande faculté pour trouver le juste équilibre et l’harmonie entre les deux. Quoi, pourquoi et comment dans une réflexion partagée entre les différentes parties prenantes vont mettre en marche un processus de transformation dynamique, évolutif, ou tout un chacun apporte sa pierre à l’édifice dans le processus à améliorer, voire à construire. Les énergies vont alors se rencontrer, se confronter, fusionner pour impulser le partage des connaissances en vue de la création, de l’innovation conditions nécessaires à la création de richesse. La magie dans la capacité de transformation d’une organisation ne tient-elle pas dans la confiance à laisser l’intelligence collective se développer tout en maintenant un système de pilotage agile et flexible ? Seuls ceux et celles qui sauront conjuguer passé, présent et avenir trouveront des réponses à ce dilemme.

Pour une transformation inclusive. Hubert LANDIER, Expert en relations sociales

51Le management du changement se heurte souvent à des résistances qui s’expliquent par :

  • la force de l’habitude et la paresse intellectuelle ;
  • la crainte de perdre les avantages ou la rente de situation dont on bénéficiait ;
  • le manque d’informations sur les raisons du changement envisagé ;
  • l’incompréhension qui en résulte des intentions de la Direction ;
  • le comportement autoritariste et bureaucratique de celle-ci.

52La politique de la Direction peut donc se heurter à la résistance passive, voire active, de l’ensemble du corps social. D’où la nécessité :

  • d’une information massive sur les circonstances qui justifient les changements envisagés ;
  • d’une participation de chacun des salariés à la mise en œuvre du projet, chacun à son niveau de responsabilité ;
  • d’une information des représentants du personnel sur les conséquences qui en résultent pour les salariés, en amont du projet, suivie, dans sa mise en œuvre d’une prise en compte de leurs observations et d’une négociation des compensations prévues au bénéfice du personnel.

53Ces dispositions ne doivent pas être improvisées mais s’inscrire dans la durée de façon à créer de la confiance. A contrario, pour paralyser la capacité de changement d’une organisation, la Direction doit se montrer autoritariste, ceci afin de susciter une opposition a priori et une mobilisation massive du personnel contre le projet, le rapport de force suppléant à l’intelligence stratégique et les intérêts corporatistes l’emportant sur la recherche du bien commun. Sous peine de ’enfoncer dans l’inertie, le changement organisationnel doit être inclusif.

Positionner les managers de la banque en acteurs opérationnels de la transformation. Jean-Pierre LE CAM, Directeur Conduite du changement, Société Générale

54L’industrie bancaire subit des vagues incessantes de changements qui nécessitent de développer fortement la capacité de transformation de leurs organisations, métiers bancaires de réseaux ou financements spécialisés, fonctions support ou régaliennes. Ces inducteurs de changement sont notamment les (trop ?) nombreuses réglementations (BCBS 239, IFRS 9, GDPR, MIFID 2, BÂLE 3, …), l’extension rapide du digital comme les usages du RPA dans les middle offices bancaires, la montée de l’AI dans le conseil et l’analyse financière, la concurrence grandissante des GAFA dans les applications numériques de paiements. Tous ces éléments permettent, ou nécessitent, des transformations bancaires importantes comme, par exemple, les nouveaux maillages et formats d’agences, la mutualisation accélérée des middle offices, l’offshoring progressif des back offices comptables, la virtualisation des centres d’appels mass market, les capacités nouvelles de pilotage marketing et financier par le big data, le recours à l’intelligence artificielle dans le conseil financier mass affluent, dans l’analyse des risques corporate ou dans la lutte contre la fraude et le blanchiment… Face à ces multiples changements qui s’entrecroisent et se superposent, le management et le pilotage de la transformation ne doivent donc pas être réservés à une minorité de spécialistes située dans une direction projet ou programme, fût-elle transversale, mais maîtrisés par l’ensemble du dispositif managérial. Développer la capacité de transformation d’une organisation bancaire, passe donc par la montée en compétences et l’autonomisation des managers en matière de conduite du changement, de pilotage de la transformation et d’innovations managériales. Ainsi les Top managers, les exécutives des enseignes bancaires notamment, doivent pratiquer une conduite du changement efficace auprès de leurs collaborateurs, bien sûr, mais également auprès de leurs partenaires parties prenantes de la transformation de leurs franchises et enseignes : directions IT, ligne finance, filière risques, producteurs externes, distributeurs franchisés. Et ainsi ne pas subir les changements des autres mais faire intégrer sa propre transformation dans la stratégie de celles des autres… En parallèle, les responsables des fonctions supports et régaliennes doivent faire monter en compétences leurs relèves managériales en terme de techniques de transformation, et les missionner en mode coalition avec les managers clés des métiers bancaires afin de co-construire de manière agile et interactive les changements, et éviter d’imposer des changements d’« en haut » ou par « injonctions bureaucratiques » des entités supports ou régaliennes. Au niveau du middlement management, leur montée en compétences et autonomisation doit intégrer impérativement les techniques de conduite du changement, bien sûr, mais aussi les nouveaux formats managériaux et organisationnels du Run The Bank ou du Change The Bank (agilité, sociocratie, …) qui permettent la réactivité et la souplesse face aux transformations, et facilitent grandement l’adhésion des collaborateurs en les rendant acteurs du changement. Il faut sortir l’innovation managériale du bac à sable, et accompagner les managers pour qu’ils disposent d’un nouveau levier, d’une nouvelle capacité, de management de la transformation bancaire.

De l’art d’ouvrir des options et de se laisser challenger. Jocelyne LOOS BAROIN, Senior Consultant, Innovations sociales & Accompagnement du Changement

55Nombre de plans de transformation échouent car la dimension humaine de la transformation et la mobilisation des hommes et des équipes n’ont pas été prises en compte au bon niveau et avec une dynamique appropriée. De mon expérience, je retiendrai ces lignes directrices qui me servent aujourd’hui pour l’action. Si un alignement de l’équipe dirigeante autour de la vision et de valeurs cohérentes avec la culture d’entreprise est un incontournable, il ne saurait se suffire à lui-même. Les impulsions Top Down, même soutenues par une excellente stratégie de communication, peuvent rester lettre morte car le déploiement par la ligne hiérarchique métiers/régions/fonctions ne va pas de soi. Pour que la capacité de transformation d’une organisation se développe, il faut que l’équipe de Direction prenne conscience de la nécessité d’embarquer pleinement le management et les équipes dans le projet en acceptant d’ouvrir les options et de se faire challenger ! Le pilotage de la transformation centré sur des boucles rétroactives avec les managers locaux est un levier majeur de l’appropriation par les équipes. Dans cette perspective, les enquêtes d’engagement récurrentes, assorties de plans d’actions et d’ajustements croisés Direction/entités locales ont fait leur preuve. Des commandos de transformation, organisés en mode projet très en amont des décisions organisationnelles, et aguerris aux méthodes de conduite du changement, permettent de changer de braquet ! Des communautés d’acteurs sont alors enrôlés pour co-designer le changement organisationnel et en devenir les ambassadeurs les plus convaincants. Le passage à l’échelle se fait dans ce cas par propagation virale dans leurs écosystèmes.

D’abord reconnecter l’organisation avec elle-même. Mouloud MADOUM, professeur, FireBird, Institute of Research in management, Coimbatore, Tamil Nadu, India

56The future is not some place we are going to, but one we are creating. The paths to it are not found, but made, and the activity of making them changes both the maker and the destination. John SCHAAR

57L’organisation fait face à des défis majeurs : Aujourd’hui c’est la digitalisation qui met en question le modèle de management encore en vigueur : Relations au travail et relations sociales connaissent des bouleversements dont on perçoit à peine les effets. Transformer l’organisation et la société de façon globale devient un impératif et exige de nouvelles capabilités.

58Développer la capacité de transformation c’est d’abord reconnecter l’entreprise avec elle-même, l’amener à se voir et voir d’un autre regard les autres et ses partenaires, se reconnecter à soi et aux autres. Aujourd’hui, l’organisation reste une structure hiérarchique, un mode de contrôle qui se heurte aux exigences et défis de la confiance et de l’autonomie recherchées par les employés encore souvent considérés comme marchandises. Dans son livre la « grande transformation », Karl Polanyi dénonçait la « commodity fiction » et la marchandisation des individus, de la nature et des relations sociales qui empêche de renouveler la conception que l’entreprise entretient avec les individus et les parties prenantes.

59La capacité de transformation passe aussi par le développement de sa capacité d’écoute : Passer de l’écoute « téléchargement », voire empathique à l’écoute « générative » qui permet de co-créer le contenu et la méthode de transformation. Le digital, intégré dans une vision humaine peut aider à acquérir cette capabilité.

60Un exemple concret pour illustrer la puissance de la co création : Confronté à une crise majeure (baisse significative de la performance et menace sur la survie) le Directeur réunit ses collaborateurs pour connaître leurs suggestions. Tous (Le DRH, en tête) proposèrent une baisse des effectifs de 25 % en attendant la reprise. Il décida de réunir tous les salariés pour avoir leur avis et suggestions. Il arrive à la décision de réduire les salaires, acceptés par tous les salariés. Il commence par réduire son propre salaire. Deux ans plus tard, la situation s’améliorant, il décida de rétablir et faire rattraper tous les salaires ; il remercie le personnel pour les sacrifices. « Je suis amené à les obliger à partir en vacances aujourd’hui », me dit-il, il y a un mois.

L’Énergie du changement, de l’homéostasie à la dynamique de transformation. Claire MARTIN, directrice générale, RENAULT-NISSAN Consulting Benjamine VO VINH MARECHAL, Directrice Practice People & Management, RENAULT-NISSAN Consulting

61Appréhender la transformation d’une organisation, c’est accepter d’accueillir et de solliciter l’énergie du mouvement selon deux composantes : celle, de vie, des individus et celle de la force motrice des organisations conçues comme un organisme aux équilibres complexes mais puissants. Les organisations les plus agiles et célères aujourd’hui nous donnent à voir une forte capacité de mobilisation de l’énergie humaine de construction. De retour de la Sillicon Valley où nous sommes allés à la rencontre d’un autre mode de management propre à favoriser le rebond opportun de tous et l’action de chacun, nous avons en effet identifié quelques leviers inspirants ; à adapter à notre culture bien évidemment. La capacité de transformation, au sens le plus littéral, de ces organisations (start-up – au stade de graine ou unicorne reconnue – incubateur, capital venture, écosystème universitaire) peut se mesurer autour de trois sources d’énergie collective et individuelle : l’état d’esprit, l’environnement organisationnel, les compétences et méthodes de travail. Bienveillance, passion et envie sous-tendent cet état d’esprit moteur. Elles sont générées au travers de la création forte de sens et d’une éthique vécue, d’un sentiment de sécurité assuré aux équipes pour encourager l’initiative, la responsabilité et le droit d’échouer, rapidement. La reconnaissance et la valorisation de la différenciation, la réflexion à partir du besoin du client (de son « problème » non résolu) viennent y consolider davantage la capacité de rebond. L’organisation qui étaye cette culture managériale s’appuie sur une réelle clarté structurelle pour tous, sur un écosystème fluide et ouvert à toutes formes de contribution, et sur des équipes et/ou des individus transdisciplinaires encouragés par une licence d’innovation constante.

62La structure organisationnelle est plate ou à ressenti plate (flat feeling) ie. les accès à chacun, où qu’il soit dans l’organisation, même hiérarchique, sont ouverts. L’environnement de travail vise la concentration décontractée et l’adaptation aux usages des métiers plutôt que l’inverse. Les compétences et les méthodes de travail croisent constamment émotions, cognitions, relations (du soft et du hard) dans un enjeu de maîtrise d’un temps accéléré et d’une complexité accentuée par des données foisonnantes. L’empathie, l’usage de la visualisation, la créativité (design thinking, out-of the box) sont au service de la capacité à développer une vision, à résoudre des situations complexes. Elles facilitent la création de boucles projet courtes en mode essai-erreur-rebond, dans un écosystème requérant une réelle agilité organisationnelle. La responsabilisation et la capacité d’action de l’ensemble des collaborateurs, au plus près du besoin du client, est le terreau de ce mode d’approche. Il est le garant du droit à l’erreur, donc – croisé à l’envie de succès – de l’initiative. La pratique de la conduite du changement, quant à elle, nous a fortement sensibilisé à l’importance de la prise en compte du mouvement nominal de l’organisation. Les transformations apparaissent ainsi non comme des remises en cause mais comme une puissance motrice à accompagner vers un nouveau chemin, un nouveau but formulé en cohérence avec un constat collégialement partagé et la culture de l’organisme. Il s’agira alors d’identifier collectivement et dès l’origine les équilibres que les décisions transformationnelles viendront percuter, mettre en mouvement, créant parfois des paradoxes, ce, afin d’élaborer en continu les inflexions de mouvements, les réponses aux interrogations. La mise en mouvement de ces équilibres, par effets de ricochet, doit pouvoir s’appuyer sur des catalyseurs de la transformation, soient des agents aux profils pionniers, découvreurs, passionnés, analytiques, courageux et tenaces mais aussi bienveillants, responsables, intellectuellement honnêtes, pédagogues, agiles dans les situations. Ils sont internes de préférence mais aussi externes, pour l’enrichissement, et sont déployés dans les différents secteurs de l’organisation, où liberté de mouvement et prise d’initiative leur offriront les moyens de leur action. Entraîneurs par le partage réitéré de sens, ces innovateurs à l’affût des nouvelles tendances, curieux et déterminés peuvent initier et structurer une démarche de transformation, qui doit toujours bénéficier du soutien du top management, voire être initiée par celui-ci. Ce mouvement développé volontairement sera alors guidé et ancré par des instances et méthodes – robustes, joyeuses et festives à la fois – d’animation, de visualisation, de suivi qualité-coût délai, de relance, de résolution, d’écoute et de clarification des comportements hors-jeu, si besoin est. Enfin, en tablant sur la force des émotions positives dans le changement, la célébration viendra marquer les avancées significatives mais aussi les difficultés comme autant de progressivité du mouvement.

Développer la plasticité de l’entreprise. Pour une approche systémique et coordonnée. Gérard MATENCIO, Directeur de la Transformation, DRHTS, ENEDIS

63Seule une approche systémique et coordonnée tendue vers ce seul objectif : permettre la résilience et la « plasticité » de l’organisation à son contexte, ses enjeux, ses challenges …est réellement de nature à développer cette capacité transformative de l’entreprise. Ce sont les comportements humains qui sont comme toujours, évidemment, la clé de cette approche systémique et que l’on souhaite durable. Dès lors, l’ensemble des process destinés à induire les comportements adéquats doivent être alignés avec cette impérieuse nécessité :

  • Le recrutement interne et externe.
  • La formation.
  • L’évaluation.
  • La reconnaissance.
  • La gestion des carrières et des parcours professionnels.
  • Les rites sociaux (réunions, remise de prix, etc.).

64Ces process doivent largement intégrer la valorisation des comportements basés sur la confiance, l’ouverture, la capacité à oser, la capacité à rebondir après un échec, à agir plus qu’à procrastiner, à jouer collectif en tissant des partenariats internes et externes. Force est de constater que l’outillage managérial est souvent très pauvre pour permettre une appréciation objective, lucide et sincère de ces comportements. Il est temps d’y consacrer l’investissement nécessaire.

Savoir se transformer : « Felix qui potuit rerum cognoscere causas » [*]. Xavier MOULINS – DRH Groupe de GETLINK (ex Groupe Eurotunnel

65Avoir la capacité de se transformer est un enjeu vital pour une entreprise. Ce n’est donc pas une option à laquelle elle doit porter une attention particulière : c’est une obligation qu’elle doit intégrer dans son mode de fonctionnement.

66Pourquoi donc ? C’est précisément la question que doit être capable de se poser continuellement toute entreprise qui veut performer durablement et ce, aux fins d’identifier les actions à mettre en œuvre et d’y apporter ainsi la réponse idoine.

67Pourquoi se transformer ? Car les besoins des clients évoluent, car les outils, les techniques se modernisent, car les compétences et les appétences des collaborateurs actuels et futurs changent…

68Pouvoir développer sa capacité à se transformer, c’est donc pour l’entreprise tout d’abord un prérequis à satisfaire : celui de l’acquisition d’une connaissance élargie de son écosystème et de la compréhension qui en résulte. C’est dès lors naturellement bien connaître ses métiers et son environnement technique, mieux connaître ses clients, leurs attentes, leurs usages, mieux connaître ses collaborateurs actuels et futurs, les compétences futures à mobiliser ou à acquérir,…

69Une entreprise qui a compris l’enjeu de la transformation devra dès lors, au service de cette connaissance et de cette nécessaire compréhension, valoriser avec force au sein de son collectif de travail à la fois :

  • le sens renforcé de l’écoute ;
  • celle des clients, des collaborateurs, des concurrents, de son territoire, de son écosystème de formation interne ou externe ;
  • la curiosité ;
  • l’audace et le droit à l’erreur ;
  • la créativité et l’innovation ;
  • le sens et l’envie du partage, en s’efforçant quotidiennement d’aller chercher l’adhésion du collectif au-delà de la simple obéissance et en favorisant pour ce faire la libération des énergies. Et en veillant à respecter un rythme soutenu mais soutenable. Car à défaut, la transformation sera vouée à l’échec et l’entreprise, et l’emploi qu’elle génère, et la valeur qu’elle crée, seront à court ou moyen terme en péril.

70Développer sa capacité de transformation, c’est donc savoir favoriser un « modèle contributif » permettant à toutes les parties prenantes, internes ou externes, d’être des contributeurs du développement durable de l’entreprise.

71Ce prérequis rempli, une telle entreprise constituera une « communauté apprenante » qui saura ainsi positionner la formation au cœur de la transformation. Et qui sera apte à la fois à savoir pourquoi elle doit se transformer et à savoir comment elle doit le faire, au bon moment et au bon rythme. Confrontée à un environnement qui évolue de manière inédite tant dans ses proportions que dans son rythme, une telle entreprise, s’inspirant ainsi de l’aphorisme de Spinoza, n’aura « ni (à) rire ni (à) pleurer » de son sort « mais (à) comprendre »… pour mieux anticiper et agir et, in fine, pour exister et se développer durablement.

72Car, résolument, ayons la conviction à l’instar d’Antonio GRAMSCI, qu’« il faut avoir une parfaite conscience de ses propres limites, surtout si on veut les élargir. ». Ou a minima les maintenir.

La triple préoccupation. Jean-François NGOK EVINA, Professeur agrégé, Université de Douala Cameroun

73La transformation d’une organisation pose en réalité une triple préoccupation qui relève du style de leadership mis en place par le dirigeant. C’est la raison pour laquelle Hirschman (1970) conçoit qu’un membre faisant partie d’une organisation a trois choix fondamentaux :

  • rester et participer comme prévu, ce qu’il appelle la « loyauté » ;
  • partir, ce qu’il appelle « faire sa sortie » ;
  • rester et s’efforcer de changer le système, ce qu’il décrit par protestation.

74Pour peu qu’un acteur de l’organisation choisisse de s’exprimer, il devient un détenteur d’influence. Hirschman s’intéresse particulièrement au comportement des clients mécontents par rapport à une organisation qui leur fournit un bien ou un service défectueux. Le dirigeant doit donc, par son style de leadership faire en sorte que tout le monde puisse adhérer aux idéaux de transformation de l’organisation. On distingue généralement six styles de leadership dans la littérature managériale à savoir : le leader directif ; le chef de file ; le visionnaire ; le collaboratif ; le participatif et le coach. Ces différents styles de leadership ne sont pas exclusifs, ils sont cependant complémentaires car un bon leader doit combiner tous ces styles.

75Nous convenons donc ainsi avec Alfred Sauvy que « Tout organisme social qui doit se réformer le fait plus facilement par additions que par soustractions ».

Accompagner et faciliter. Emmanuel OKAMBA, MCF HDR en Sciences de Gestion, Université Paris Est

76La capacité de transformation des organisations est leur aptitude à créer continuellement les conditions favorables au changement, à favoriser son déploiement et son intégration dans leur fonctionnement pour s’adapter à leur environnement. Elle se distingue de la conduite du changement qui ne vise qu’à maîtriser et à contrôler le processus de transformation pour tirer un avantage concurrentiel. La capacité de transformation consiste à accompagner et à faciliter la construction des pratiques et des savoirs permettant de gérer l’auto-transformation nécessaire au développement continue des activités. Cette ressource, par son contenu (actif tangible et intangible) qu’un processus, par sa capacité à créer et à utiliser la dynamique du changement et par son contexte paisible ou violent qui renouvelle la capacité organisationnelle. Celle-ci est la faculté d’intégrer les pratiques et les savoirs opérationnels et stratégiques, en créant davantage de la valeur, mesurable par l’efficacité ou capacité à fabriquer un langage commun permettant aux routines organisationnelles de s’ajuster pour faciliter la communication ; la portée, faisant référence à leur complémentarité plus qu’à leur substitution ; et la flexibilité, renvoyant à la capacité d’innover, de développer de nouvelles capacités, de les intégrer et de reconfigurer les capacités existantes.

Transformer l’organisation c’est responsabiliser. Philippe PACHE, psychologue, Genève, ppache@imsgeneva.ch

77Développer la capacité de transformation d’une organisation a toujours été un enjeu essentiel. Avec l’augmentation du flux d’information, l’omniprésence des outils de communication ainsi que leur simplicité d’utilisation, la propension au changement est à la fois devenue plus rapide et plus présente.

78Créer un environnement propice à la transformation d’une organisation passe avant tout par le soin apporté aux liens sociaux de ses acteurs. Ces derniers, confrontés de plus en plus à une accélération des processus de changement, chercheront dans l’organisation un cadre structurant leur permettant de trouver une sécurité à travers des objectifs et buts auquel ils adhèreront. C’est donc une confiance en des valeurs communes qui permettra de renforcer l’implication des acteurs dans le processus de transformation de l’organisation.

79Cette dernière se doit donc de favoriser la créativité de ses acteurs tout en les rassurant d’un cadre structurant, afin d’éviter une crise de confiance déclenchée par des changements technologiques et sociétaux trop brutaux.

80L’enjeu consiste donc à responsabiliser l’individu, à favoriser sa créativité, et à lui permettre de proposer des solutions novatrices et inattendues sans crainte de s’exposer. Il s’agit de renforcer la conscience collective à travers la mission de l’organisation tout en soulignant l’intérêt des spécificités de chaque acteur.

Non ! Orgasme et organisation n’ont pas la même étymologie… surpris ? André PERRET, Vice-Président, Directeur Pôle Formation et Conseil, DPM & Associés

81Le plus souvent voici ce que l’on dit de la nécessité de peaufiner une organisation : « L’intérêt de l’organisation – tant dans sa conception que dans sa gestion – est de prendre en compte pour essayer de la réduire, la tension naturelle qui existe spontanément entre d’une part les finalités choisies, de l’autre les moyens disponibles et/ou réunis pour y parvenir. L’organisation parvient d’autant mieux à réguler cette tension qu’elle est capable de « faire système », c’est-à-dire d’être et d’agir comme un ensemble d’éléments en interaction, regroupés au sein d’une structure pilotée, ayant un système de communication pour faciliter la circulation de l’information, dans le but de répondre à des besoins et d’atteindre des objectifs déterminés. ». On est d’accord…mais ça fonctionnait bien comme dans le théâtre antique : unité de lieu, de temps et d’action. Aujourd’hui l’entreprise est un théâtre moderne : les trois unités ne sont plus là ! On peut travailler de n’importe où (télétravail, coworking.), n’importe quand et sur des actions mouvantes. Les parties prenantes sont de plus en plus souvent hors les murs. Dès lors pour mettre à jour une organisation performante, en accord avec ce nouveau type d’environnement, il n’est plus possible de faire abstraction des besoins (eux aussi mouvants) et des variations de finalités (visibilité restreinte oblige). Considérer l’Organisation comme un contenant rigide ne peut satisfaire à l’hétérogénéité du contenu, la géométrie variable devient la règle. Alors la seule obligation : faire passer l’idée (et rechercher le consensus) selon laquelle la structure que l’on co-construit est à revoir périodiquement, avec très certainement une date de péremption… Mais on ignore quand… il convient de s’y préparer. Organigrammes glissants peut-être, mais avec anticipation renforcée, pour éviter les décalages trop abrupts. Et un non-dit… interdit ! Ce n’est pas l’organisation qu’il va être difficile d’adapter, mais bien le mode de management qui l’accompagne. D’ailleurs il n’existe pas d’anagramme complet avec organisation : on trouve avec 11 lettres des mots comme agonisions, rationnais… alors à quoi bon le regretter.

La transformation du mindset des managers est la clé. Frédéric PETITBON, People & Organisation, Associé, PWC Consulting

82La capacité de transformation d’une organisation se mesure maintenant avec précision par des questionnaires ad hoc qui explorent tout à la fois méthodologies du changement, modes de coaching et d’apprentissage, organisation des projets [2].

83Idem, on sait ce que devrait être une learning company, son organisation de l’apprentissage pour porter les indispensables capacités de transformation de toute entreprise dynamique qui se respecte.

84Néanmoins la concrétisation de cette capacité de transformation ne va pas de soi, c’est le moins qu’on puisse dire, si on écoute les lamentos des dirigeants sur la lenteur d’adaptation de leur entreprise.

85La transformation du mindset des managers est clé ici, et bien mal enclenchée dans de nombreux cas… Trois points ici permettent de la concrétiser [3] :

86Tout d’abord la construction commune, individuelle et collective, du management à adopter dans l’univers particulier de chaque entreprise / de chaque situation : comment, dans la relation bilatérale avec mon collaborateur, je développe la capacité de transformation en explicitant son « contrat moral » à court terme, en construisant avec lui ce qu’il va apprendre et en quoi il va permettre à l’unité de grandir… et en lui facilitant son employabilité, son « coup d’après ». Comment je crée des « rites pour ma tribu » qui seront autant de transformations concrètes et d’occasions d’apprentissage ; comment mon parcours personnel me conduit à sortir de l’entreprise, à découvrir d’autres univers et d’autres réflexes que je pourrai rapatrier.

87Ensuite le travail sur l’écosystème du manager : comment faire pour que les exigences de la vraie vie au travail ne soient pas être orthogonales avec ces pratiques du « manager-qui-incarne-et-développe-les-capacités-de-transformation-de-l’organisation » ? Que les KPIs ne soient pas délirants de ce point de vue ? C’est possible, il faut rentrer dans le cambouis de l’environnement du manager..

88Et enfin que le dirigeant incarne un tant soit peu ces pratiques. Exemple de hier matin dans une convention interne d’une entreprise du CAC 40 portant une volonté d’apprentissage collectif et de développement de capacités de transformation – très belles planches, sympathiques… mais un dirigeant qui cloue au pilori les deux collaborateurs ayant posé une question un tant soit peu décalée… cherchez l’erreur !

La transformation, c’est permanent ! Patrick PLEIN, directeur digital working VINCI, Academy VINCI

89Pour toute entreprise, se transformer continuellement pour rester dans le jeu n’est plus optionnel mais est bien devenu une condition normale de son fonctionnement. Sa capacité à se transformer doit donc désormais être une donne naturelle devant être intégrée à son ADN. Dès lors, quelles sont les leviers à actionner pour créer les conditions durables d’une transformation permanente ? Nous en distinguerons cinq :

90Développer son agilité organisationnelle, en s’appuyant sur une remise en question régulière de son positionnement, sur sa capacité à disposer d’un système informationnel lui permettant de se nourrir en flux continu d’informations pour adapter son comportement, sur son aptitude à autoriser le droit à l’erreur et la prise de risque, à impliquer les individus qui la composent et à se nourrir de leurs richesses. S’ouvrir sur son écosystème et entrer en interaction permanente avec lui, en rendant ses frontières perméables pour accélérer la recherche de solutions aux problématiques ou encore la création de nouvelles activités. Fonctionner en réseau : le partage des informations, des pratiques, des expériences est la règle et les échanges entre les individus, les équipes, les entités ou les départements de l’entreprise sont favorisés et encouragés afin d’accroître la collaboration, source de création de valeur. Faire des compétences son carburant : l’enjeu est d’anticiper et d’adapter les compétences en flux continu, de maximiser l’utilisation de toutes les compétences présentes, de les actualiser, de les renouveler, et d’en acquérir de nouvelles. Enfin, placer les individus au cœur de sa réflexion et de son fonctionnement et les engager individuellement et collectivement à apprendre tout le temps, plus rapidement, sous des formes variées. En synthèse, c’est en rendant l’entreprise plus apprenante qu’elle créera les conditions de sa transformation continue.

Savoir se transformer en impliquant les équipes, un apprentissage et un atout. Patrick PLUEN, consultant

91Une organisation accroîtra significativement sa capacité de transformation lorsque ses dirigeants se rendront compte que l’approche directive, top-down, quels que soient les atouts de la nouvelle organisation qu’ils projettent, n’est pas efficace et générera des freins, lorsqu’ils prendront conscience que tout changement est un véritable projet, lorsqu’ils comprendront qu’associer dès le départ leurs équipes à leur réflexion, en leur faisant confiance, libérera les énergies et fera surgir des idées qui contribueront au succès. Lorsqu’ils sauront aussi que la difficulté d’un changement réside bien plus dans son implémentation que dans sa conception… car il s’agit d’obtenir l’adhésion d’hommes et de femmes plutôt que de dessiner des organigrammes et des flux. Les dirigeants, à mon sens, prendront ce chemin lorsqu’ils verront au sein de l’entreprise des expériences réussies, des cas réels où la mise en œuvre du changement de façon construite, par étapes, en co-construction avec tous les acteurs, mène à des résultats bien plus solides et acceptés par tous, avec de réels gains de productivité, et en prime la confiance et la motivation réelle des équipes.

Casser les codes de bonne conduite et lever le pied ! (parole d’un tétraplégique). Philippe POZZO DI BORGO

92Autant se poser la question : « qu’est-ce qui s’oppose à la capacité de transformation d’une organisation ? ». La routine, la normalité, une hiérarchie pesante, la pression du résultat… Tous ces diagnostics sont évidents.

93Un avantage compétitif demande un investissement sur le long terme. Les transformations requises nécessitent du temps et s’oppose à l’immédiateté des résultats exigés par des actionnaires pressés. La direction doit s’opposer à la tyrannie de la performance à court terme.

94Une organisation a une tendance naturelle à se sécuriser. Le risque est de se déconnecter de la réalité du terrain et de ses marchés. Maintenir l’organisation dans un mode d’adaptation permanente revient à inoculer le changement dans l’ADN de l’entreprise. Cette aptitude au changement se conjugue à la différence. Introduire systématiquement la différence dans l’entreprise remet en question les solutions acquises, dérange, oblige à l’analyse, à la considération de la différence, source de solutions et de richesses pour l’organisation. La DRH, soutenue par la direction générale, aura une politique d’embauche qui privilégie l’originalité et la diversité par rapport au profil standard.

L’œil guide la main : L’émergence d’une vision partageable prépare la marche transformative de l’organisation. Frédéric ROUSSEAU, Directeur Adjoint de la Maîtrise d’ouvrage, VINCI Concessions

95Comme en urbanisme, la capacité de transformation d’une organisation s’appuie sur un trépied : une vision, un process, des actions. La vision est incarnée et fractale, s’ancrant dans chaque entité. Le process, ouvert, cadence et structure la transformation, intègre toute l’entreprise en mode étendu. La mise en œuvre des actions engage simultanément le court terme, le moyen terme et le long terme. Le développement des capacités de transformation d’une organisation se fait en marchant sur deux jambes l’une latente, l’autre active. Et pour marcher il faut accepter le déséquilibre ! Développer les capacités latentes de transformation : par le partage de la vision du monde actuelle, une connaissance profonde des enjeux de la société, du marché, et de l’entreprise et de leur temporalités. Faire entrer des intrus dans les équipes, ceux qui montrent les vaches invisibles dans les couloirs. Cette capacité latente s’exprimera lorsque le temps sera venu de la transformation. Développer les capacités actives de transformation : à petite échelle mener des expérimentations locales, faire émerger des leaders, learning expédition, vis ma vie,… Progressivement assembler les histoires individuelles dans un récit collectif qui va nourrir un rêve partageable. Ce rêve de plus en plus partagé, sera le vecteur puissant ancrant la vision de la transformation souhaitée, outillée par le process, mise en œuvre par les actions. Ce process est à mener avec rigueur, ce qui signifie pour tous, partout et tout le temps.

Transformation de l’organisation, une question de cognition et d’émotion ? Delphine VAN HOOREBEKE, Maître de Conférences, HDR, Université de Toulon

96L’entreprise se transforme pour survivre ou se développer dans un contexte mouvementé et compétitif. L’individu au travail se doit, alors, de prendre la décision d’accepter le changement que cela implique et de s’y adapter. Un moyen d’assurer la capacité de transformation, selon March et Simon (1955) au sujet des choix d’innovation en entreprise, c’est de créer des conditions afin que l’acceptation du changement, vue comme une décision inhabituelle et non programmée, se transforme en une décision programmée, c’est-à-dire attendue, raisonnée, cognitive, presque mécanique. Il est à présent pris pour acquis que la décision, quel que soit son type, est dépendante des émotions. L’un des objectifs de rendre la décision d’acceptation du changement ’programmée’ serait de libérer l’individu de toute préoccupation émotionnelle négative. En effet, si ces dernières peuvent aider la prise de décision, elles peuvent aussi agir comme frein ou biais de la décision. Reste, néanmoins, un point subversif à ne pas négliger, puisque les émotions aident à la décision efficace, limiter leur intervention ne doit pas nuire aux capacités des individus à prendre les décisions d’innover, d’entreprendre, autres éléments indispensables à la pérennité et à la transformation de l’entreprise.


Date de mise en ligne : 24/09/2018.

https://doi.org/10.3917/qdm.182.0157

Notes

  • [1]
    Autissier, D., Guillard, A. & Moutot, J. (2010). La capacité de transformation comme composante du capital humain : une étude exploratoire dans un groupe coté. Management & Avenir, 31,(1), 95-117.
  • [*]
    « Heureux celui qui peut connaître la raison des choses » (Virgile in Les Géorgiques)
  • [2]
    Autissier D., Guillard A., Moutot J.M, 2010, « La capacité de transformation comme composante du capital humain : une étude exploratoire dans un groupe coté », Management & Avenir, 31,(1), 95-117.
  • [3]
    Petitbon F., Bastianutti J., Descamps M (2017), Managers : libérez, délivrez, … surveillez ? Les 6 clés pour travailler en confiance !, Cherche Midi
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