Couverture de QDC_045

Article de revue

Individualisation et autonomisation de la pratique sérielle en France

Mise en regard des enquêtes Pratiques culturelles des Français·es 2018 et Elipss Series 2017

Page 223

Notes

  • [1]
    Le concernement (soit le fait de se sentir ou non concerné par un contenu) désigne l'intérêt socio-biographique que chacun trouve à certaines œuvres culturelles plutôt qu'à d'autres (Glevarec, 2021a). Cet article a été soutenu par le Conseil européen de la recherche (CER) dans le cadre du programme de recherche et d'innovation Horizon 2020 de l'Union européenne (convention de subvention n° 834759).
  • [2]
    L’enquête Elipss a été passée en juin et juillet 2017 auprès de 2 439 personnes, âgées de 19 ans à 79 ans, représentatives de la population française adulte.
  • [3]
    Pour quelques résultats généraux de l'enquête PC18, nous renvoyons à Philippe Lombardo et Loup Wolff (2020).
  • [4]
    Dans l'enquête SERIES, la question concernant l'auto-désignation comme « amateur » de série indiquait 9 % de « très amateurs » et 34,5 % « d'amateurs », soit 43,5 % des spectateur·ices de séries (deux Français·es sur cinq) se déclarant amateur·ices.
  • [5]
    En 1989, dans le cadre de l’enquête Pratiques culturelles des Français·es, dans un contexte télévisuel antérieur à internet, les taux de citation des séries et feuilletons Les Enquêtes du commissaire Maigret (1967-1972), Santa Barbara (1984-1993) et Maguy (1985-1993), « regardées plusieurs fois », sont respectivement de 55 %, 32 % et 42 % des Français·es de 15 ans et plus (Donnat et Cogneau, 1990 : 48) ; elles ne sont citées comme « préférées » que par 17 %, 14 % et 10 % des enqueté·es. Ces séries de l’ère de la télévision ne constituent pas non plus un grand public. Olivier Donnat et D. Cogneau considèrent comme « seules émissions véritablement fédératrices » l’émission de divertissement Ushuaïa et les documentaires sous-marins du commandant Cousteau.
  • [6]
    La liste PC18 inclut davantage de genres (N = 16) que la liste SERIES (N = 12), intégrant par exemple les genres aventure, musical, western ou érotique. À l'inverse, notre liste comprenait le genre médical (dont Grey's Anatomy est encore une représentante majeure) absent de la liste PC18. Enfin, cette dernière associait les genres policier, espionnage et thriller, ainsi que les genres politique et juridique, ce qui n'a pas été notre choix pour l'enquête SERIES. Au final, on compte sept modalités communes, modulo des différences d'appellation : par exemple, nous appelons « romance » ce qui est désigné par « séries d'amour » ou « sentimentales » dans PC18, auxquels nous pourrions ajouter trois genres quasi communs (mais combinés dans PC18) policier, horreur et politique.
  • [7]
    O. Donnat et Gwenaël Larmet (2003 : 67-68) notaient déjà : « La télévision [des années 1986-1998] est majoritairement une pratique familiale qui réunit plusieurs membres du foyer, ou au moins se déroule en leur présence, alors que la lecture ou l'écoute de la radio et de musique enregistrée sont des pratiques très majoritairement solitaires ». Ils ajoutaient : « D'ailleurs, l'emplacement du téléviseur, notamment dans les ménages ne disposant que d'un poste, traduit cette situation : le fait qu'il soit situé le plus communément dans la salle de séjour ou la cuisine, c'est-à-dire des lieux de réunion du groupe domestique traduit la fonction collective qui lui est assignée, et rend, de fait, souvent difficile un usage solitaire » (ibid. : 67-68). Cette localisation de la consommation télévisuelle dans des espaces communs est à la fois persistante comme localisation majoritaire de la consommation sérielle mais aussi particulièrement bousculée au sein des jeunes générations par l'utilisation des écrans de portables et d'ordinateurs. Cécile Brousse (2015 : 105) confirmait à l'aide des enquêtes Emploi du temps de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) cette baisse de l'écoute collective de la télévision.
  • [8]
    Par exemple, dans cet extrait d'entretien tiré d'une enquête plus récente : « On se fait notre petite soirée Stranger Things tous les deux. Ça a mimé un petit peu notre petite soirée cinéma, je crois. C'était notre cocon, notre moment en fait. (…) C'était notre moment où on se dit, dans la semaine on se fait tous les deux, on se fait notre petite bulle » (Christelle, 36 ans, technicienne radiologie, Rennes, 2021). Extrait d'entretien tiré de H. Glevarec, et al. (2024).
  • [9]
    Le plan factoriel des genres vus, des genres aimés et des séries vues (dans la liste proposée), traités comme variables actives, dessine le même ordre de contribution à la structuration des axes, à savoir l'âge puis le niveau de diplôme. Voir, de même, le plan factoriel des genres de série aimés et des genres de série dépréciés traitées en actives (Fig. 6) où la variable du sexe prend une valeur plus significative. Par rapport à la pratique (i.e. voir), le goût (aimer) accentue le concernement individuel.
  • [10]
    La modalité de revenu a été prise en compte mais n'est pas reportée sur le plan, afin de pas l'alourdir.
  • [11]
    L'interprétation de la catégorie socio-professionnelle demeure toujours délicate parce que la variable étant composée (notamment du revenu et du diplôme) sans l’être de façon délibérée, elle peut représenter un « véritable paquet de variables » (Héran, 1997 : 51) et la question demeure de savoir quelle variable est agissante.
  • [12]
    La Contribution par facteur (CPF), utilisée pour l'interprétation, représente la proportion, pour un facteur, de la somme des carrés apportée par chaque ligne ou colonne. La somme des CPF vaut 1 000 (à l'arrondi près).
  • [13]
    PEM >= 20%. Le Pourcentage de l'Écart Maximum (PEM) est un indice de liaison entre modalités d'un tableau de contingence (Cibois, 1993).
  • [14]
    Pour le plan factoriel des variables socio-démographiques, nous renvoyons les lecteurs et lectrices à notre ouvrage (Combes et Glevarec, 2021 : 78).
  • [15]
    Sur la scotomisation de l'âge et de la génération en sociologie de la culture, nous renvoyons à H. Glevarec (2021b) et H. Glevarec, Raphaël Nowak et Dominique Mahut (2020).
  • [16]
    Un des auteurs a été membre du comité scientifique à l'origine de cette enquête sur les pratiques culturelles et a pris part à l'élaboration du questionnaire de l'enquête 2018. À l'époque, l'enquête SERIES n'avait pas encore été exploitée.
  • [17]
    Nous pouvons illustrer cette différenciation par cet extrait d'entretien. « Les Predators, les choses comme ça, Expendables, Fast and Furious, c'est vraiment les films où ça bouge un peu. C'est vrai que les films gnian-gnian, j'ai un peu de mal. Qu'est-ce que vous appelez un film gnian-gnian, par exemple ? Les films d'amour, les machins. Peut-être que je me remettrai dedans le jour où je serai en couple mais actuellement, en étant célibataire, c'est pas ce que je vais regarder » (Antoine, 36 ans, technicien, Etercy, 2021). Extrait d'entretien tiré de H. Glevare, et al. (2024).
  • [18]
    Faut-il appeler « mépris » une « inappétence » dans une tradition qui interprèterait toute inappétence comme un rejet ? Quoi qu'il en soit, en matière culturelle, les catégories supérieures n'ont pas le monopole de l'inappétence sociale (du « mépris social » ?). Elle est présente chez les catégories populaires et est aussi structurée selon l'âge et selon le genre.
  • [19]
    Charlotte Brunsdon (1981) pointait déjà, propos du feuilleton anglais Crossroads (1964-1988), la perspective de la « vie personnelle » et des « relations personnelles » au fondement du soap opera, genre particulièrement apprécié par certaines femmes.
  • [20]
    En effet, une « performance de genre » peut-être être reproduction (héritée) ou revendication (voulue et choisie). Voir Glevarec (2014).
  • [21]
    Pour une réflexion critique sur l'usage contemporain – extensif, voire universalisant – du concept de socialisation pour penser toute acquisition, nous renvoyons à H. Glevarec (2021a).
  • [22]
    « Si la part de travail domestique réalisée par les hommes a légèrement augmenté ces 25 dernières années, c'est que les femmes y ont consacré moins de temps. Les femmes demeurent toujours les premières responsables de la bonne tenue de la maison et des membres de la famille », écrivent Clara Champage, Ariane Pailhé et Anne Solaz (2015). Voir Insee, Enquête emploi du temps 2009-2010. Accès : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2118074#consulter-sommaire. Patrick Parmentier le disait déjà à propos de la lecture pour les années 1980 : « On peut voir là [la préférence pour les romans et les romans psychologiques] un effet de l'orientation sociale des femmes vers l'intériorité, le narcissique, et des hommes vers l'extérieur, l'impersonnel. Pour ne pas essentialiser cette différence, on doit se demander si elle ne recouvre pas la différence entre les dispositions liées à l'activité professionnelle d'une part, à la vie au foyer de l'autre » (Parmentier, 1986 : 417).

1 Les séries télévisées constituent dorénavant un domaine de pratiques culturelles et sociales en de nombreux points semblable à la musique, un domaine différencié du côté des œuvres et approprié individuellement du côté des pratiquants. Dans ces domaines, la diversification culturelle de l'objet pousse à la différenciation sociale des raisons d’aimer telle ou telle œuvre (Combes et Glevarec, 2021). Sans doute est-ce là une raison pour laquelle les sociologues peuvent trouver dans les séries des motifs à investiguer le « concernement » que chacun trouve à des œuvres différentes [1]. Le second point à souligner est celui d’une individualisation de la pratique sérielle à la faveur de la multiplication des écrans personnels et de leur consultation délinéarisée par rapport à une consultation en direct.

2 Afin de montrer ces deux mouvements d'une individualisation des pratiques et d'une différenciation des goûts, il est ici proposé, dans le prolongement de l’enquête Series (passée dans le cadre du dispositif Étude longitudinale par internet pour les sciences sociales, Elipss, en juillet 2017 [2]), d'explorer les questions relatives aux séries télévisées posées à la même période dans le cadre de l'enquête Pratiques culturelles en France de 2018 (PC18) [3] et de les comparer à l'analyse qui avait été menée dans l’ouvrage Séries (Combes et Glevarec, 2021).

3 L'analyse procède en deux grandes étapes, une première caractérisant la pratique sérielle contemporaine à partir de ses formes d'accomplissement temporel et relationnel, et de ses configurations esthétiques en termes de structuration et de différenciation génériques. Après avoir montré le poids de cette pratique et sa structuration esthétique, le mouvement d'individualisation de la pratique sérielle sera examiné ; celui-ci rapproche de façon significative la pratique des séries de l'écoute de musique et de la lecture. Dans une seconde partie, en recourant à l'analyse factorielle, seront mises au jour la différenciation du goût sériel et les dimensions d'âge, de diplôme et de sexe à son principe. L'analyse factorielle se prolonge par une typologie des publics qui précise les logiques de différenciation du goût, selon ces dimensions à l'œuvre dans les préférences et dans les dépréciations. Ces deux constats inscrivent la série comme une culture au cœur d’une individualisation des centres d’intérêt et des préférences.

Une pratique culturelle de premier plan pour deux Français·es sur trois

4 Sur l'ensemble des Français·es interrogé·es dans le cadre de l'enquête PC18 (à savoir 9 234 individus représentatifs de la population des 18 ans et plus), 78,6 % déclarent avoir regardé une ou des séries au cours des douze derniers mois (Tabl. 1). Dans l'enquête Séries (Elipss) de 2017, 91 % des Français·es répondaient positivement à la question d'avoir suivi, même de façon peu régulière, à un moment de leur vie, une série ou un feuilleton télévisé et 61,1 % citaient au moins une série vue intégralement ou presque (plusieurs saisons) au cours des trois dernières années. Ces trois chiffres présentent ainsi des différences plausibles pour deux périodes d'interrogation contemporaines (2017 et 2018).

Tableau 1. Les spectateur·ices de séries et feuilletons.

Figure 0

Tableau 1. Les spectateur·ices de séries et feuilletons.

PC18 ; champ : ensemble des Français·es (N = 9 234). Question : « au cours des 12 derniers mois, à quelle fréquence en moyenne avez-vous regardé des séries, feuilletons ? »

5 Quatre Français·es sur cinq rendent compte d'une fréquentation régulière et soutenue des séries, affirmant en regarder au moins de façon hebdomadaire (Tabl. 2). Pour un gros tiers de ces derniers (38,9 %), c'est même une pratique quotidienne. L'enquête Series révélait des résultats convergents, à ceci près que la modalité « tous les jours ou presque » s'élevait à 27 % – soit 12 points de moins.

Tableau 2. La fréquence de visionnage des séries des spectateur·ices du genre.

Figure 1

Tableau 2. La fréquence de visionnage des séries des spectateur·ices du genre.

PC18 ; champ : ensemble des spectateur·ices de séries (N = 7 051)

6 À l'instar du constat établi dans Séries, la pratique quotidienne des séries est féminine, de classe sociale « populaire » (employée) juvénile comme âgée (Tabl. 14).

7 Dans le cas où il/elle ne pourrait plus regarder de séries, un·e Français·e sur trois ressentirait un fort sentiment de manque, un·e autre un léger manque, tandis qu’un·e dernier·ère n'en serait pas ou peu affecté·e (Tabl. 3). Ce sont ainsi 65 % des Français·es qui témoignent d'un attachement aux séries [4].

Tableau 3. Le sentiment de manque.

Figure 2

Tableau 3. Le sentiment de manque.

8 Si elle est loin derrière la musique comme pratique culturelle qui manquerait beaucoup aux Français·es (à 56,3 % d'entre eux) s'ils/elles ne pouvaient plus en écouter, la série fait partie des biens culturels qui comptent, avec le film (35 %), la télévision (29,4 %) et la lecture (29 % ; Glevarec, 2021a). Le manque se manifeste en priorité chez les jeunes (moins de 34 ans), tous diplômes confondus, femmes puis hommes.

Hiérarchie des genres et éclectisme sériel

9 L'enquête PC18 interroge les Français sur leurs genres de série vus, préférés et dépréciés, ainsi que sur leur visionnage passé de 15 séries spécifiques. Parmi cette liste de 15 séries, cinq séries sont déclarées vues « ne serait-ce qu'un ou deux épisodes » par presque ou plus d'un panéliste sur deux (Tabl. 4). Celles-ci sont soit (très) anciennes et multi-diffusées à l'instar de La Petite maison dans la prairie (1974-1983) et de Chapeau melon et bottes de cuir (1961-1969), soit sont plus récentes mais disposent d'une longévité remarquable : Les Experts, qui a duré 15 saisons, de 2001 à 2016 (sans compter les autres séries de la franchise) ; Grey's Anatomy (depuis 2006) et Plus belle la vie (2004-2022) qui se sont déployées sur 19 et 18 saisons. Ces séries ont en outre bénéficié d'une diffusion sur des chaînes gratuites (TF1, M6, France TV), contrairement à Game of Thrones (2011-2019), The Walking Dead (2011-2022) ou encore Mad Men (2007-2015) par exemple, moins vues par les Français·es. Enfin, on notera une tonalité plus consensuelle et familiale pour les premières tandis que les suivantes s'adressent à des publics plus restreints : fantastique et humoristique pour les plus jeunes, politique à l'endroit des plus diplômé·es.

Tableau 4. Les séries vues parmi la liste des 15 séries proposées.

Figure 3

Tableau 4. Les séries vues parmi la liste des 15 séries proposées.

PC18 ; champ : ensemble des spectateur·ices de séries (N = 7 051). Question : « dans la liste suivante de séries et feuilletons, quels sont ceux dont vous avez vu(s) ne serait-ce qu'un ou deux épisodes ? »

10 L'enquête PC18, tout comme l'enquête Series, manifeste qu'il n'y a guère de séries grand public ; des séries mises en avant médiatiquement comme Game of Thrones ne rencontrent qu'un tiers des Français·es, moins que Les Feux de l'Amour (depuis 1973). Sans doute « un·e Français·e sur trois » n'est pas un taux négligeable, mais il est le produit d'une question peu exigeante (« avoir vu un ou deux épisodes »). Les taux plus élevés de visionnage de PC18 par rapport à ceux de SERIES (où Game of Thrones avait été vu « en intégralité ou presque » par seulement 11 % de spectateur·ices) manifestent l'effet du niveau d'engagement sollicité dans le questionnaire sur ce qui est mesuré [5].

Un goût polarisé par le genre policier et le rejet de l'horreur

11 Les enquêtes PC18 et Series interrogent toutes deux la hiérarchie des genres sériels (Tabl. 5), mais elles se distinguent à deux égards :

  1. la première adressait trois questions (les genres « regardés », les genres « aimés particulièrement » et les genres « pas aimés du tout »), tandis que la seconde se limitait à une unique question portant sur les genres « préférés » ;
  2. les deux listes présentent des différences quant aux genres [6].

13 Ces différences ne permettent pas de comparaison terme à terme, cependant nous observons des similarités s'agissant des genres les plus valorisés. Dans les deux enquêtes, le genre policier est de loin celui le plus cité, qu'il soit regardé (62 %), aimé (38,7 %) dans PC18 ou « préféré » (50,2 %) dans Series (Combes et Glevarec, 2021 : 53). Ce genre plébiscité est suivi de l'action, de la comédie, ainsi que de la science-fiction. Leur pratique est, pour partie, dépendante aussi de l'offre qui existe des différents genres.

Tableau 5. Les genres de séries vus et aimés.

Figure 4

Tableau 5. Les genres de séries vus et aimés.

14 On note des écarts parfois importants entre la pratique et l'appréciation, corroborés par le Tableau 5. Les spectateur·ices déclarent en moyenne plus de genres sériels regardés qu'aimés particulièrement (Tabl. 7). On peut supposer que l'adverbe « particulièrement » aura incité les répondant·es à se limiter au cœur de leurs goûts. Ainsi la pratique étend-elle le périmètre du goût individuel. Elle peut être, parfois, l'expression d'une activité partagée avec un conjoint (ou un autre proche). Par ailleurs, elle ne signifie pas la même chose que le goût (la préférence) : hormis le genre policier (60,9 %), les autres genres sont regardés sans être majoritairement déclarés comme aimés (Tabl. 15). Autrement dit, moins d’un·e spectateur·ices d’un genre sur deux déclarent par ailleurs aimer celui-ci : des genres science-fiction (49,1 %), comique (46,7 %) ou action (45,9 %) au genres dramatique (seulement 25,6 %), western (22,6 %) ou encore musical (17,9 %). En cela, la pratique n'est pas pleinement synonyme du goût, sa signification l'excède bien qu'elle l'inclut. À l'inverse, et à l'exception du genre érotique, les spectateur·ices qui aiment un genre le consomment pour au moins 80 % d'entre eux (Tabl. 16). Sans surprise, les genres dépréciés dessinent ainsi une image en négatif des genres aimés : les premiers devenant les derniers et réciproquement (Tabl. 6). Du reste, c'est l'horreur/épouvante, qui n'est pas le genre le moins aimé et regardé, qui fait l'objet – et de loin – du plus fort rejet.

Tableau 6. Les genres de séries dépréciés.

Figure 5

Tableau 6. Les genres de séries dépréciés.

PC18 ; champ : ensemble des spectateur·ices de séries (N = 7 051)

15 Le genre horreur est particulièrement rejeté par les femmes âgées, quel que soit leur niveau de diplôme.

L'éclectisme sériel des Français·es

16 Le Tableau 7 manifeste la distribution du nombre de genres regardés, aimés et dépréciés, ainsi que du nombre des séries nominatives vues dans l'enquête PC18. Il témoigne du rétrécissement, déjà noté et somme toute logique, du champ de la préférence par rapport au champ des pratiques. Quant à la dépréciation générique, elle tend à être légèrement plus forte que la préférence, exprimant là la diversification d'un domaine à l'intérieur duquel les spectateur·ices manifestent ce qu'ils n'aiment pas.

Tableau 7. La distribution du nombre de genres regardés, aimés, dépréciés et de séries vues.

Figure 6

Tableau 7. La distribution du nombre de genres regardés, aimés, dépréciés et de séries vues.

PC18 ; champ : ensemble des spectateur·ices de séries (N = 7 051)

17 Le Tableau 8 témoigne d'un relatif éclectisme générique. Les Français·es se divisent en trois groupes de spectateur·ices : le premier tiers concentre sa pratique sérielle sur un ou deux genres, le deuxième tiers sur trois à quatre genres, le dernier sur cinq genres et (parfois beaucoup) plus.

Tableau 8.  Le nombre de genres regardés.

Figure 7

Tableau 8.  Le nombre de genres regardés.

PC18 ; champ : ensemble des spectateur·ices de séries (N = 7 051)

18 Il est intéressant de comparer cet éclectisme sériel à l’autre pratique audiovisuelle cousine qu’est le visionnage de films à domicile.

Éclectisme sériel et éclectisme filmique

19 L'enquête PC18 offre la possibilité de comparer la pratique sérielle à la pratique filmique (à domicile). Ainsi les spectateur·ices de séries au cours des douze derniers mois représentent-ils 78,6 % de la population française, tandis que les spectateur·ices de films en représentent 93,2 % (soit 14,6 points de plus).

20 La comparaison de la distribution du nombre de genres de séries vus et du nombre de genres de films vus, sur la base d'une liste fermée de genres identiques, montre un éclectisme sériel plus restreint que l'éclectisme filmique (Fig. 1). Il en est de même pour les préférences et pour les dépréciations. Plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour expliquer cette différence entre éclectisme sériel et éclectisme filmique : une moindre diversification générique de l'univers sériel par rapport à l'univers cinématographique ; une ancienneté plus forte de la pratique des films et de ses différents genres pour les Français·es (et par conséquent avec un nombre plus élevé de spectateur·ices de films que de séries) ; et, enfin, le format court du film facilitant peut-être une exploration plus élargie de son répertoire.

Figure 1. Les éclectismes génériques des séries et des films.

Figure 8

Figure 1. Les éclectismes génériques des séries et des films.

PC18 ; champ : ensemble des spectateur·ices de séries (N = 7 051) et des spectateur·ices de films (N = 8 555).

Un éclectisme générique masculin, jeune et diplômé

21 L'éclectisme générique décroît fortement avec l'âge et croît avec le niveau de diplôme. Il est plutôt le fait des hommes. Le plus fort éclectisme en matière de série est ainsi manifesté par les jeunes hommes diplômés (Tabl. 9). Il fait ainsi contraste avec la pratique sérielle quotidienne dont on sait qu'elle est féminine, populaire, âgée mais aussi juvénile, comme nous l'avons noté plus haut (voir aussi Tabl. 14 en annexe) et dans Séries (Combes et Glevarec, 2021).

Tableau 9. Le fort éclectisme générique selon la variable croisée sexe-âge-diplôme.

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Tableau 9. Le fort éclectisme générique selon la variable croisée sexe-âge-diplôme.

PC18 ; champ : ensemble des spectateur·ices de séries (N = 7 051) ; groupes les plus éclectiques selon la variable croisée sexe-âge-diplôme.

22 La pratique de la série est alors le lieu d'une double caractéristique en termes d'intensité quotidienne et d'extension générique. Elle est pratiquée au quotidien par un public féminin peu diplômé ; elle est pratiquée de façon éclectique, en termes de genres, par un public masculin diplômé bien qu'exclusivement jeune.

Diversification et individualisation de la pratique sérielle

23 Le déploiement du champ des séries s’accompagne d’une transformation des configurations et des expériences de la série articulée aux conditions de sa consommation qui, tout en s’éloignant du téléviseur, demeure majoritairement télévisuelle et suit un mouvement continue d’individualisation.

L'autonomisation juvénile vis-à-vis de la télévision et du téléviseur

24 L'écran de télévision domine les modes de visionnage des séries, mais il n'est plus le seul : il est concurrencé par l'ordinateur et le téléphone (Tabl. 10). Près de deux Français·es sur 10 regardent même leurs séries sur un équipement mobile hors du domicile. L'autonomisation de la série hors du domicile n'est pas sans faire écho à la révolution qu'entraîna le transistor dans les années 1950 et 1960 pour la radio en termes d'émancipation par rapport au collectif familial (Fesneau, 2011).

Tableau 10. Les équipements de visionnage des séries.

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Tableau 10. Les équipements de visionnage des séries.

PC18 ; champ : ensemble des spectateur·ices de séries (N = 7 051)

25 Les sources de visionnage privilégiées des séries témoignent, elles, d'une irrésistible montée des accès alternatifs que sont les rediffusions et la vidéo à la demande (VOD) au sens large incluant les plateformes (Tabl. 11).

Tableau 11. Les sources de visionnage des séries.

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Tableau 11. Les sources de visionnage des séries.

PC18 ; champ : ensemble des spectateur·ices de séries (N = 7 051)

26 Un tiers des spectateur·ices (30 %) déclarent regarder des séries dans une autre langue que le français, massivement en anglais.

27 Les équipements et sources de visionnage des séries alternatifs à la télévision et au téléviseur varient fortement selon l'âge (Fig. 2) : les plus jeunes investissent massivement les écrans d'ordinateur et de smartphone ; la diffusion télévisée est, pour eux, dépassée par la VOD et quasiment rejointe par le replay et le streaming. Enfin, ils sont les plus portés sur le visionnage mobile hors du domicile. Quant à leur pratique des séries dans une langue étrangère (en anglais), elle les distingue nettement des plus âgé·es.

Figure 2. Les équipements et sources de visionnage des séries selon l'âge.

Figure 12

Figure 2. Les équipements et sources de visionnage des séries selon l'âge.

PC18 ; champ : ensemble des spectateur·ices de séries (N = 7 051) ; valeurs extrêmes indiquées. Lecture : sur 100 spectateur·ices de 15-24 ans, 73,7 % ont regardé des séries sur un écran de télévision.

28 En résumé, on assiste à une autonomisation caractéristique de la pratique sérielle vis-à-vis de la diffusion télévisée et du téléviseur, ainsi qu'à une émancipation du domicile. Très marqués parmi les catégories les plus jeunes, ces deux détachements sont profondément articulés à l'individualisation de cette pratique culturelle, parce qu'ils sont en grande partie sa cause et sa condition.

L'individualisation significative de la pratique sérielle

29 Le visionnage solo est devenu une dimension très significative de cette pratique. Trois quarts des spectateur·ices (71,5 %) visionnent des séries seul·es et un tiers (35,7 %) le fait même de façon exclusive d'autres modalités de consommation (Fig. 3 et Tabl. 12). La modalité de visionnage solitaire des séries est dorénavant plus élevée que celle du visionnage de films en solo et, bien entendu, que celle des films en salle (pour lesquelles elle est faible, 16,7 % ; Tabl. 21 et Tabl. 22). Les données de 2018 confirment donc que la pratique solitaire de la série est une dimension significative d'une pratique audiovisuelle qui tend à la rapprocher de la musique et de la lecture. Le taux de visionnage en couple s'inverse entre séries et films : il est de 48 % pour les séries contre 64,5 % pour les films vus à domicile (ou sur des supports hors domicile), donc plus faible pour les séries.

30 Par conséquent, tout porte à rattacher tendanciellement la série plutôt à l'individu et le film au collectif, que le film soit vu dans la sphère domestique ou dans la sphère publique. La pratique sérielle tranche en ce sens avec la dimension partagée des sorties au cinéma, au concert ou encore au théâtre, davantage synonymes de sociabilité (et d'un moindre confort ; Glevarec et al., 2024). Regarder des séries est devenu une pratique personnelle, partagée seulement en partie.

Figure 3. La sociabilité de la pratique des séries, des films hors cinéma et des films au cinéma.

Figure 13

Figure 3. La sociabilité de la pratique des séries, des films hors cinéma et des films au cinéma.

31 Parmi les spectateur·ices de série, un tiers (35,7 %), nous l'avions noté, regardent exclusivement seul·es leurs séries contre moins d'un quart (20,7 %) qui les regardent exclusivement en couple (Tabl. 12).

Tableau 12. Les modalités de visionnage des séries.

Figure 14

Tableau 12. Les modalités de visionnage des séries.

PC18 ; champ : ensemble des spectateur·ices de séries (N = 7 051)

32 Ces différents constats conduisent à dire des séries qu'elles sont aujourd'hui un objet médiaculturel de premier plan dans les pratiques et les préférences des Français·es, et l'objet d'une appropriation individualisée de plus en plus marquée. La série s'offre alors à la double appropriation personnelle et partagée. Elle opère là une transformation par rapport à la fonction collective anciennement attachée à la télévision [7] et rejoint l'écoute de la musique, la plus individualisée des pratiques culturelles, et la lecture, « compagnon privilégié d'une intimité inédite » (Chartier, 1999 : 135) depuis les xvie et xviie siècles (Establet et Felouzis, 1992).

33 Il a été montré ailleurs que le visionnage de séries, activité le plus souvent domestique, apparaît comme un retrait momentané du monde, un temps à soi et pour soi, généralement synonyme d'intimité (Glevarec, 2012 ; Combes, 2013). Les entretiens rendaient compte à cet égard de l'usage fréquent d'adjectifs possessifs : « mes séries », « ma télé », « mon moment de détente », « c'est mon coin », « mon petit moment » ou encore « mon moment de rire ». La consommation solitaire manifeste cette individualisation/autonomisation à la fois du goût et de la pratique. Le visionnage en solitaire permet d'aller à sa propre allure, sans attendre après ou être pressé par un tiers. C'est en particulier le cas pour les séries feuilletonnantes qui nécessitent une plus grande régularité de la part des spectateur·ices, laquelle peut s'avérer fastidieuse dès lors qu'il s'agit d'instaurer un rythme commun. La consommation en solitaire permet également de visionner des séries qui ne conviennent pas à l'autre.

34 Le visionnage en couple apparaît lui-même affecté par ce mouvement d'individualisation et d'intimisation. À « ma série » répond le « notre cocon » et « notre moment » [8], et l'expérience cinématographique en salle se trouve reprise à domicile, mais sans son dispositif et ses participants. L'intimisation de la pratique s'inscrit plus largement dans une évolution historique qui voit le dispositif télévisuel – unique et central au sein du foyer – perdre du terrain au profit d'un dispositif audiovisuel – multiple et distribué sur les personnes et les espaces.

35 S'il y a une nette individualisation de la pratique sérielle, elle se manifeste, assez logiquement, au niveau des pratiques et des goûts sous les traits de la différenciation.

La différenciation sociale de la pratique sérielle en 2018 : diplôme, âge et sexe

36 Pour représenter les pratiques de consommation de séries des Français·es recueillies dans l'enquête PC18, nous avons mené une analyse factorielle en retenant, en variables actives, les genres de séries regardés et les séries vues (nominatives) tels que proposés dans les deux listes fermées, et ce, de façon à privilégier ici la pratique (déclarée) sans la mélanger avec la préférence et l'inappétence (déclarées) [9]. Ont été mises en variables supplémentaires les genres de séries aimés, les genres de séries pas aimés (i.e. dépréciées), le sentiment de manque en cas de privation, le support de visionnage et les variables sociodémographiques traditionnelles.

Figure 4. L'espace des séries vues et des genres regardés.

Figure 15

Figure 4. L'espace des séries vues et des genres regardés.

37 Le plan factoriel est structuré par trois variables que sont l'âge, le diplôme et le sexe. Les modalités d'âge offrent les plus fortes contributions à l'axe 1, suivi du niveau de diplôme (voir les contributions aux axes en annexe). Les modalités de diplôme, suivies de celles des catégories socio-professionnelles et du sexe [10] (Tabl. 23) contribuent le plus à caractériser l'axe 2 [11]. Sur le plan, jeunes et diplômés (jusqu'au brevet) forment un angle droit correspondant à une situation d'indépendance (il y a des jeunes diplômé·es et d'autres qui ne le sont pas). Pour les plus âgé·es, l'absence de diplôme croît avec les générations les plus anciennes.

38 Si l'on examine les modalités actives, on distingue un « triangle » : son premier sommet, en bas à gauche, correspond aux modalités ayant les plus fortes contributions sur le premier ou le deuxième axe (CPF > = 40 pour 1 000) [12] qui montrent un pôle horreur et science-fiction fantastique avec les séries correspondantes, The Walking Dead, The Big Bang Theory (2007-2019) et Games of Thrones. Le visionnage se fait plutôt sur smartphone ou sur ordinateur et est le fait de jeunes de 15 à 34 ans. Le deuxième sommet du triangle se situe en haut à gauche avec un pôle de séries d'auteurs, historiques ou politique/juridique : Mad Men, Le Bureau des légendes (2015-2020) et Versailles (2015-2018). Tout ce secteur est lié aux études supérieures, à l'utilisation d'un vidéoprojecteur et ses spectateur·ices regardent également Game of Thrones[13]. Le troisième pôle, à droite, est le fait de personnes ayant regardé Chapeau melon et bottes de cuir, La Petite maison dans la prairie, Plus belle la vie, Les Feux de l'Amour et, d'une manière plus générale, des séries sentimentales. Les variables socio-démographiques liées sont « féminin », « 55 ans et plus », peu ou pas diplômé·es (CAP-BEP, aucun/CEP). Enfin, entre le pôle de droite et celui du haut se trouve le visionnage des documentaires. Le sentiment de manque, si on ne disposait plus des séries, est faible à droite (féminin et plus âgé) où le visionnage se fait sur une télévision. Il s'accroît en descendant vers les plus jeunes qui regardent les séries sur d'autres supports.

39 Le plan factoriel des genres de séries regardés est ici semblable à celui issu de l'enquête Series (Glevaerc et al., 2024 : 77) qui manifestait aussi une première opposition selon l'âge et une seconde selon le niveau de diplôme, voire le niveau socio-culturel approché par la catégorie socio-professionnelle (Fig. 2) [14].

Figure 5. Comparaison avec l'espace des séries vues de l'enquête Series 2017. Plan factoriel des axes 1 et 2.

Figure 16

Figure 5. Comparaison avec l'espace des séries vues de l'enquête Series 2017. Plan factoriel des axes 1 et 2.

Source : Enquête Series 2017. Champ : 84 premières séries citées comme vues en intégralité au cours des trois derniers mois correspondant à N supérieur ou égal à 20 citations. N. B. : la taille des triangles est proportionnelle à la contribution de la série. Les ellipses représentées sur le plan factoriel sont les ellipses de concentration (kappa = 2, contenant 86 % de la population) correspondant à la classification hiérarchique qui suit l'analyse factorielle (infra).

40 Sur l'espace des séries préférées des Français·es de l'enquête Series (Combes et Glevarec, 2021), il suffit de pointer les séries proposées à l'appréciation dans l'enquête PC18, qui lui est contemporaine, pour voir qu'elles ont été principalement sélectionnées dans l'espace des séries de l'axe 2, axe socio-culturel, au détriment de l'axe 1 corrélé à l'âge ; il y a un très faible nombre de séries regardées par les jeunes et une absence de séries consommées par les plus âgés [15]. Cette confrontation entre des séries déclarées librement dans l'enquête SERIES et une liste de séries a priori dans PC18 suscite un retour critique sur les choix effectués par les concepteurs de l'enquête, dont nous fûmes [16], qui ont privilégié a priori (sans doute par un ethnocentrisme sociologique) des séries relevant d'une opposition populaire-diplômé non représentative des séries majoritairement préférées des Français·es (scotomisant en partie le goût des jeunes adultes et des plus âgés). Il n'en demeure pas moins que, malgré cette sous-représentation des séries selon l'âge de leur public, le simple genre des séries vues confirme à la fois l'axe premier de l'âge et, concomitamment, la forte cohérence, déjà notée, entre les séries particulières et le type de fiction qu'elles représentent, à savoir leur genre.

Un goût générique

41 Les genres « aimés » dans PC18 sont dans un rapport de proximité avec les séries « regardées » et en opposition aux genres « non aimés ». Autrement dit, ce qu'on apprécie va, sans incohérence, comme on l'a vu, avec ce qu'on regarde, tandis que les genres que l'on n'aime pas correspondent à des séries aimées par le public diamétralement opposé sur le plan. Notons que les personnes diplômées ont peu de genres de série dépréciés de leur côté (dans le quart haut gauche), sinon le genre de la comédie.

42 Les séries regardées sont en rapport, pour l'essentiel, avec les genres regardés qui leur sont proches. Games of Thrones, Walking Dead appartiennent au genre fantastique ; Feux de l'amour à la romance ; Versailles au genre historique ; Twin Peaks (1990-1991 et 2017) au genre d’auteur ; Le Bureau des légendes au genre politique ; Rizzoli and Isles (2010-2016) genre policier, etc. Il y aurait là un argument fort en faveur d'un goût sériel générique : le genre d'appartenance d'une série caractérise, de façon significative et pertinente, le goût des personnes. Celles-ci n'aiment pas seulement telle et telle série mais, plus généralement, un ou des genres de série. Cela serait en continuité avec le fait, noté dans Séries (Combes et Glevarec, 2021 : 55), que le genre de la série (sitcom, science-fiction, policier, etc.) se démarque comme le plus structurant des critères de choix des séries, loin devant la chaîne de diffusion, le pays d'origine ou encore le format. Ainsi 64 % des Français·es déclaraient s'appuyer « toujours ou souvent » sur le genre pour choisir les séries qu'ils regardaient ; la chaîne (26,8 %) et le pays d'origine (25 %) étant loin derrière.

43 Il a aussi été remarqué que les catégories diplômées s'orientent particulièrement vers le genre « politique ». Elles apprécient les séries proposant des contenus ayant, de façon privilégiée, une dimension « politique » en un sens large, abordant, via des sujets d'actualité, des enjeux moraux (l'avortement, le terrorisme, par exemple) ou des enjeux de représentation (comme l'intimité, le genre, par exemple). Si la série politique est privilégiée par les catégories supérieures, ce n'est pas dans un souci de distinction, mais pour des raisons culturelles et politiques liées à leurs études et à leur rapport d'identification au monde et à ses problèmes (Cautrès, 2009 ; Galland, 2009) dont on sait qu’il varie selon la taille de la commune de résidence et du niveau de diplôme (Lemel, 2009), la distinction n’expliquant rien sans le goût (sauf quand elle est pure recherche de distinction). Les catégories jeunes apprécient, elles, un genre fantastique mettant en scène des situations moins réalistes que potentielles et questionnant les identités, ainsi que les relations entre personnages proches par leur âge. Le pôle populaire et féminin est davantage tourné vers le quotidien, les situations familières, ordinaires et relationnelles avec des proximités de condition (c'est le cas de Plus belle la vie, par exemple). Les séries policières comme Les Experts mettent surtout en scène des faits divers Enfin, les plus âgé·es tendent à se tourner de même avec les séries réalistes de type policier, documentaire ou historique.

Typologie du goût sériel : la dimension d'inappétence de la différenciation

44 Il faut préciser davantage les formes de différenciation des publics au goût sériel à travers leurs préférences et leurs inappétences. Afin de voir les rapports entre genres appréciés et genres dépréciés, ceux-ci sont mis, seuls, en variables actives dans une analyse factorielle suivie d'une classification hiérarchique ascendante (CAH) (Fig. 6). Cette analyse factorielle manifeste de nouveau le rôle des variables d'âge (sur l'axe 1), de niveau d'études (sur l'axe 2) et du sexe (sur les deux axes) dont la valeur est ici accentuée par rapport à la précédente analyste factorielle sur les pratiques.

Figure 6. L'espace des genres aimés et des genres dépréciés.

Figure 17

Figure 6. L'espace des genres aimés et des genres dépréciés.

PC18 ; champ : spectateur·ices de séries (N = 7 051). Variables actives : genres aimés et non aimés (« dépréciés »). Les autres libellés représentent les variables supplémentaires ainsi que les classes issues de la classification ascendante hiérarchique (CAH). Le centre des classes est noté AG (agrégat) 71 à 77.

45 La classification permet d'isoler des profils de goûts/dépréciations en matière de séries où les trois variables s'articulent pour former des classes de spectateur·ices de séries. Une classification en sept classes, différenciant bien les pratiques (notées AG71 à AG77), a été retenue.

Les tablatures du goût sériel : goût pour la fiction, le réalisme, l'action et les relations

46 Nous avons construit des « tablatures » du goût sériel, en 2018, sur le modèle des tablatures du goût musical et cinématographique (Glevarec et Pinet, 2009 et 2013), à partir des classes issues de la classification. Ces tablatures, ou univers de goûts et d'inappétences génériques, ont été ordonnés selon la valeur du PEM qui est un indicateur de liaison entre modalités (voir note 14).

47 La classe 1, située en bas à gauche de la Figure 6, représente 4,5 % de la population des spectateur·ices de séries télévisées. Elle est la classe du goût juvénile masculin pour l'horreur et d'un rejet des autres genres, à l'exception du genre science-fiction-fantastique. Il y a là un positionnement culturel qui se manifeste, à travers le genre horreur et le rejet d'un large ensemble d'autres genres, positionnement significatif pour cette population.

Figure 7. Classe 1 : le goût juvénile masculin pour l'horreur et rejet des autres genres (4,5 %).

Figure 18

Figure 7. Classe 1 : le goût juvénile masculin pour l'horreur et rejet des autres genres (4,5 %).

Les valeurs positives correspondent à des appréciations, les valeurs négatives à des inappétences ; genres aimés et dépréciés ont été classés selon l'ordre décroissant de PEM (en ordonnées). Seules les valeurs du PEM supérieures à 8 % ont été retenues. Le graphique de droite représente les variables socio-démographiques associées à la classe et traitées en variables illustratives.

48 La classe 2, en haut à droite, à l'opposé de la classe 1 sur le plan, est celle du goût pour le policier et du rejet de l'horreur et du fantastique de la part de Françaises diplômées. Ces spectatrices s'opposent à un goût masculin, jeune en partie représenté par les hommes de la classe 1, à un goût sans doute perçu comme immature et violent.

Figure 8. Classe 2 : le goût féminin, diplômé et âgé pour le policier et rejet de l'horreur (11 %).

Figure 19

Figure 8. Classe 2 : le goût féminin, diplômé et âgé pour le policier et rejet de l'horreur (11 %).

49 La classe 3, près du centre, est celle du goût masculin populaire et juvénile pour les genres du western, de l'érotique, du comique, de l'action et de l'aventure. Ses membres déprécient les genres politique et juridique, historique et documentaire, qui sont préférés par les plus diplômés et âgés. Il y a là un goût marqué pour la fiction et le thème de l'évasion, ainsi qu'un désintérêt pour les genres réalistes. Cette population semble se positionner en rejetant un goût âgé « sérieux », représenté par les genres politique et historique.

Figure 9. Classe 3 : le goût masculin populaire et juvénile pour le western, l'érotique et le comique (18,2 %).

Figure 20

Figure 9. Classe 3 : le goût masculin populaire et juvénile pour le western, l'érotique et le comique (18,2 %).

50 La classe 4, proche mais plus âgée que la classe 2, est celle du goût pour les genres auteur et documentaire de la part de diplômé·es âgé·es. Les individus rejettent ici les genres préférés de la classe 3, genres qui leur apparaissent sans doute « légers ».

Figure 10. Classe 4 : le goût auteuriste et documentaire des diplômé·es âgé·es (20,2 %).

Figure 21

Figure 10. Classe 4 : le goût auteuriste et documentaire des diplômé·es âgé·es (20,2 %).

51 De fait, il y a entre la classe 3 et la classe 4, opposées sur la diagonale sud-est/nord-ouest, un rapport de préférences et de dépréciations inversés : les un·es préfèrent les genres que les second·es n'apprécient pas et vice versa. Les un·es dévaluent des genres sans doute trop « sérieux » que valorisent les second·es, qui elles/eux n'apprécient pas les genres trop « légers » des premier·ères.

52 La classe 5 est celle du goût masculin, juvénile (et ce jusqu'à la tranche 35-44 ans) pour le fantastique et l'animation. Il s'agit d'un public diplômé du baccalauréat et au-delà qui n'aime pas le genre sentimental.

Figure 11. Classe 5 : le goût masculin jeune pour le fantastique et l'animation (7,7 %).

Figure 22

Figure 11. Classe 5 : le goût masculin jeune pour le fantastique et l'animation (7,7 %).

53 La classe 6 est celle du goût masculin pour le policier, l'action, l'animation et le fantastique. Ce goût s'accompagne d'une dépréciation des genres sentimental, musical, érotique, d’auteur et western[17]

Figure 12. Classe 6 : le goût masculin pour le policier et inappétence pour la romance et le genre musical (25,7 %).

Figure 23

Figure 12. Classe 6 : le goût masculin pour le policier et inappétence pour la romance et le genre musical (25,7 %).

54 La classe 7, en bas à droite du plan factoriel, est celle du second goût féminin pour les genres romance et musical émis par des femmes âgées et faiblement diplômées. Elles déprécient les genres policier, horreur et action. Leurs goûts et leurs dépréciations sont le symétrique du goût masculin de la classe 6, les unes et les uns dépréciant ce que les autres apprécient. Romance et policier s'opposent comme s'opposent sans doute des qualifications en termes de « mièvrerie » et de violence.

Figure 13. Classe 7 : le goût féminin populaire pour la romance et inappétence pour le policier (12,8 %).

Figure 24

Figure 13. Classe 7 : le goût féminin populaire pour la romance et inappétence pour le policier (12,8 %).

55 L'articulation des préférences et des inappétences génériques de chaque classe, ainsi que la combinaison des variables, disponibles ici, d'âge, de sexe et de diplôme, manifestent, d'une part, des « concernements » différents (Glevarec, 2021) – par exemple, se sentir concerné·e par des thématiques en tant que femme par rapport aux hommes, en tant que jeune par rapport aux plus âgé·es ou encore en tant que détenteur·ice d'un savoir par rapport à des non-détenteur·ice –, et, d'autre part, des rapports sociaux différenciés à l'endroit des autres genres et de leur public. Le Tableau 13 synthétise les sept classes, leurs caractéristiques et les rapports sociaux de différenciation qui les définissent.

Tableau 13. Les classes du goût sériel.

Figure 25

Tableau 13. Les classes du goût sériel.

PC18 ; champ : spectateur·ices de séries (N = 7 051). Classes issues de la classification ascendante hiérarchique (CAH).

56 C'est donc une différenciation plurielle que manifeste la préférence sérielle quand elle est déclarée, selon trois ordres : l'inappétence de genre, d'âge et de diplôme [18]. Ces oppositions donnent consistance à une différenciation à la fois par le goût mais aussi par la démarcation vis-à-vis d'autres genres aimés par certains autres.

57 Sur le plan théorique, l’analyse des goûts sériels permet de soutenir un modèle qui articule identité et rapport social, comme les deux faces du goût culturel : l’exemple des goûts sériels montre que les goûts ont une nature qui est identitaire (ils incarnent principalement un âge, un genre et un niveau de savoir) et relationnel (ils sont manifestent des rapports sociaux, de génération, de compétence et de genre).

58 Comment expliquer, dans un cadre sociologique (sachant qu'on ne l'expliquera pas par des dispositions naturelles), le goût genré pour certaines séries ? Peut-on l'expliquer par un concernement différencié, soit un intérêt de nature socio-biographique ? Pourquoi, de façon privilégiée voire significative les femmes se portent-elles vers les genres comédie, amour et dramatique et les hommes vers les genres action, science-fiction et aventure (Tabl. 18) ? Cette différence semble recouvrir une différence très générale entre « l'intérieur » et l'« extérieur », amplement notée par les sociologues (Duru-Bellat, 1997). Sa traduction serait ici : les femmes se portent sur des séries traitant du relationnel, et les hommes sur des séries traitant d'une activité dans le monde [19]. Comment expliquer sociologiquement ce goût genré ? Deux explications et un choix semblent a priori disponibles à la sociologie : l'explication par la socialisation antérieure (débouchant sur des attachements de genre) ou par les conditions présentes d'existence (débouchant sur des concernements de genre) ; l'appropriation identitaire [20]. La socialisation expliquerait ces préférences genrées par l'apprentissage, arbitraire et relatif, d'identités et de rôles différenciés au long de l'enfance, voire au-delà [21]. Les conditions d'existence actuelles des femmes et des hommes expliqueraient, elles, ces préférences en les rapportant aux situations d'investissement privilégié qui continuent de caractériser les vies féminines et masculines – les femmes continuant de prendre en charge l'espace domestique et familial davantage que les hommes [22]. Quant au choix appropriation identitaire, c'est-à-dire à l' volontaire des femmes et des hommes pour des traits par ailleurs hérités, stéréotypés, il acquiert une place grandissante à mesure qu'un « tournant subjectif » opère dans nos sociétés (Glevarec, 2020a). Il n’est pas possible de trancher ici cette question ni d’en expliciter toutes les causes : il faudrait en passer par des entretiens sollicitant les femmes et les hommes sur les raisons qu'ils pourraient donner de leur préférence genrée.

Conclusion : culture et individualisation

59 La série est devenue une pratique culturelle qui compte au sein de la culture audiovisuelle domestique. La série participe activement au processus d’individualisation des centres d’intérêt et des préférences dans les sociétés contemporaines. Son importance tient à son appropriation individualisée par les spectateur·ices. Autonomisation vis-à-vis de la diffusion télévisée, détachement du téléviseur, émancipation du domicile et individualisation de la pratique donnent à cette pratique culturelle sa caractéristique contemporaine mais aussi éloignent cette pratique du cinéma et la rapproche de la musique et de la lecture. Cette individualisation ne tient pas tant à une présence accrue des séries au sein des programmes télévisés qu'à l'évolution matérielle qu'entraîne internet en mettant à disposition à la télévision (rediffusion) et hors télévision (plateformes, téléchargement, streaming) une diversité thématique et de formats de ce type d'œuvre culturelle. Ces évolutions s'articulent à des concernements particularisés dont rendent compte les variables sociologiques et socio-biographiques derrière les goûts, concernements qui mériteraient une exploration qualitative plus poussée.

60 Les deux enquêtes, PC18 et SERIES, montrent une structuration identique de la diversité des goûts en fonction de l'âge, du diplôme et du sexe des spectateur·ices. Tout porte à voir dans l'articulation des goûts et des inappétences une différenciation à l'œuvre, où jouent à la fois des concernements socio-biographiques spécifiques et des positionnements par rapport au goût de certain·es autres. La différenciation est plurielle, à la différence de la distinction sociale qui, elle, est de « classe » et verticale (Glevarec, 2020b). La différenciation qu'illustre ici la pratique des séries est un processus où sont articulées affirmation de préférences et prise de position à l'endroit du choix des autres, selon une pluralité de variables qui vont définir, pour chacun·e, des centres d’intérêt particularisés pour certains genres de séries et un éloignement, une indifférence ou une prise de position à l'égard d'autres genres.


Tableau 14. La fréquence de visionnage des séries selon les variables socio-démographiques.

Figure 26

Tableau 14. La fréquence de visionnage des séries selon les variables socio-démographiques.

PC18 ; champ : ensemble des spectateur·ices de séries (N = 7 051) ; les valeurs supérieures à la moyenne ont été mises en gras.

Tableau 15. Les genres de série aimés selon les genres de série vus.

Figure 27

Tableau 15. Les genres de série aimés selon les genres de série vus.

PC18 ; champ : ensemble des spectateur·ices de séries (N = 7 051) ; les valeurs les plus fortes en colonne ont été mises en gras. Lecture : parmi les spectateur·ices du genre comique, 46,7 % aiment le genre comique.

Tableau 16. Les genres de série vus selon les genres de série aimés.

Figure 28

Tableau 16. Les genres de série vus selon les genres de série aimés.

PC18 ; champ : ensemble des spectateur·ices de séries (N = 7 051) ; les valeurs les plus fortes en colonne ont été mises en gras. Lecture : parmi les amateurs du genre policier, 97,6 % regardent le genre policier.
Figure 29
PC18 ; champ : ensemble des spectateur·ices de séries (N = 7 051) ; les valeurs supérieures à la moyenne ont été mises en gras.

Tableau 18. Les genres de série préférés selon les variables socio-démographiques.

Figure 30

Tableau 18. Les genres de série préférés selon les variables socio-démographiques.

PC18 ; champ : ensemble des spectateur·ices de séries (N = 7 051) ; les valeurs supérieures à la moyenne ont été mises en gras.

Tableau 19. Les séries vues parmi les 15 proposées selon les variables socio-démographiques.

Figure 31

Tableau 19. Les séries vues parmi les 15 proposées selon les variables socio-démographiques.

PC18 ; champ : ensemble des spectateur·ices de séries (N = 7 051) ; les valeurs supérieures à la moyenne ont été mises en gras. Liste de 15 séries soumises aux enquêté.e.s.

Tableau 20. La sociabilité de la pratique des séries.

Figure 32

Tableau 20. La sociabilité de la pratique des séries.

PC18 ; champ : ensemble des spectateur·ices de séries (N = 7 051) ; plusieurs réponses possibles.

Tableau 21. La sociabilité du visionnage des films (hors cinéma).

Figure 33

Tableau 21. La sociabilité du visionnage des films (hors cinéma).

Tableau 22. La sociabilité de la sortie au cinéma.

Figure 34

Tableau 22. La sociabilité de la sortie au cinéma.

PC18 ; champ : ensemble des spectateur·ices de films au cinéma (N = 5 677) ; plusieurs réponses possibles

Tableau 23. Les contributions aux axes de l'espace des séries vues et des genres regardés.

Figure 35

Tableau 23. Les contributions aux axes de l'espace des séries vues et des genres regardés.

PC18 Nota : les contributions supérieures à la moyenne de l'ensemble des contributions ont été mises en gras.

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    • Glevarec H., 2012, La Sériephilie. Sociologie d’un attachement culturel et place de la fiction dans la vie des jeunes adultes, Paris, Éd. Ellipses.
    • Glevarec H., 2014, « Les Cultural Studies sont-elles des paradigmes ? Communauté paradigmatique et épistémologique avec la sociologie », Questions de communication, 25, p. 187-195. https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.9022
    • Glevarec H., 2020a, « Le tournant subjectiviste de la sociologie française. L’objectivation sociologique face à l’identité revendiquée, notamment sexuelle », dans Maigret E. et Martin L. (éds), Les Cultural Studies. Au-delà des politiques des identités, Lormont, Éd. Le Bord de l’eau, p. 255-266.
    • Glevarec H., 2020b, « La distinction n’est pas une différenciation », Recherches sociologiques et anthropologiques, 51 (1), p. 39-59. https://doi.org/10.4000/rsa.3838
    • Glevarec H., 2021a, L’Expérience culturelle. Affects, catégories et effets des œuvres culturelles, Lormont, Éd. Le Bord de l’eau.
    • Glevarec H., 2021b, « L’“espace social” selon P. Bourdieu. Examen des fondements d’une figuration de la société et d’une interprétation des pratiques culturelles », L’Année sociologique, 71 (1), p. 223-266. https://doi.org/10.3917/anso.211.0223
    • Glevarec H. et Pinet M., 2009, « La “tablature” des goûts musicaux : un modèle de structuration des préférences et des jugements », Revue française de sociologie, 50/3, p. 599-640. https://doi.org/10.3917/rfs.503.0599
    • Glevarec H. et Pinet M., 2013, « Positivité et négativité du goût culturel. Les tablatures du goût cinématographique », Communications, 31 (1). https://doi.org/10.4000/communication.3753
    • Glevarec H., Nowak R. et Mahut D., 2020, « Tastes of our Time: Analysing Age Cohort Effects in the Contemporary Distribution of Music Tastes », Cultural Trends, 29 (3), p. 182-198.
    • Glevarec H., Combes C., Nowak R. et Cibois P., 2024, Sortir. Une sociologie des sorties culturelles des Français·es, Lormont, Éd. Le Bord de l’eau.
    • Héran F., 1997, « La catégorie socioprofessionnelle : réflexions sur le codage et l’interprétation », dans E. Dupoirier et J.-L. Parodi (éds), Les Indicateurs socio-politiques d’aujourd’hui, Paris, Éd. L’Harmattan, p. 49-68.
    • Lemel Y., 2009, « Identification géographique : du village au monde », dans P. Bréchon et J.-F. Tchernia (éds), La France à travers ses valeurs, Paris, A. Colin, p. 33-36.
    • Lombardo P. et Wolff L., 2020, « Cinquante ans de pratiques culturelles en France », Culture Études. Département des études, de la prospective et des statistiques, 2, p. 1-92.
    • Parmentier P., 1986, « Les genres et leurs lecteurs », Revue française de sociologie, 27 (3), p. 397-430. https://10.2307/3321316

Mots-clés éditeurs : goût, différenciation, concernement, attachement, pratique culturelle, série télévisée

Mise en ligne 07/11/2024

Notes

  • [1]
    Le concernement (soit le fait de se sentir ou non concerné par un contenu) désigne l'intérêt socio-biographique que chacun trouve à certaines œuvres culturelles plutôt qu'à d'autres (Glevarec, 2021a). Cet article a été soutenu par le Conseil européen de la recherche (CER) dans le cadre du programme de recherche et d'innovation Horizon 2020 de l'Union européenne (convention de subvention n° 834759).
  • [2]
    L’enquête Elipss a été passée en juin et juillet 2017 auprès de 2 439 personnes, âgées de 19 ans à 79 ans, représentatives de la population française adulte.
  • [3]
    Pour quelques résultats généraux de l'enquête PC18, nous renvoyons à Philippe Lombardo et Loup Wolff (2020).
  • [4]
    Dans l'enquête SERIES, la question concernant l'auto-désignation comme « amateur » de série indiquait 9 % de « très amateurs » et 34,5 % « d'amateurs », soit 43,5 % des spectateur·ices de séries (deux Français·es sur cinq) se déclarant amateur·ices.
  • [5]
    En 1989, dans le cadre de l’enquête Pratiques culturelles des Français·es, dans un contexte télévisuel antérieur à internet, les taux de citation des séries et feuilletons Les Enquêtes du commissaire Maigret (1967-1972), Santa Barbara (1984-1993) et Maguy (1985-1993), « regardées plusieurs fois », sont respectivement de 55 %, 32 % et 42 % des Français·es de 15 ans et plus (Donnat et Cogneau, 1990 : 48) ; elles ne sont citées comme « préférées » que par 17 %, 14 % et 10 % des enqueté·es. Ces séries de l’ère de la télévision ne constituent pas non plus un grand public. Olivier Donnat et D. Cogneau considèrent comme « seules émissions véritablement fédératrices » l’émission de divertissement Ushuaïa et les documentaires sous-marins du commandant Cousteau.
  • [6]
    La liste PC18 inclut davantage de genres (N = 16) que la liste SERIES (N = 12), intégrant par exemple les genres aventure, musical, western ou érotique. À l'inverse, notre liste comprenait le genre médical (dont Grey's Anatomy est encore une représentante majeure) absent de la liste PC18. Enfin, cette dernière associait les genres policier, espionnage et thriller, ainsi que les genres politique et juridique, ce qui n'a pas été notre choix pour l'enquête SERIES. Au final, on compte sept modalités communes, modulo des différences d'appellation : par exemple, nous appelons « romance » ce qui est désigné par « séries d'amour » ou « sentimentales » dans PC18, auxquels nous pourrions ajouter trois genres quasi communs (mais combinés dans PC18) policier, horreur et politique.
  • [7]
    O. Donnat et Gwenaël Larmet (2003 : 67-68) notaient déjà : « La télévision [des années 1986-1998] est majoritairement une pratique familiale qui réunit plusieurs membres du foyer, ou au moins se déroule en leur présence, alors que la lecture ou l'écoute de la radio et de musique enregistrée sont des pratiques très majoritairement solitaires ». Ils ajoutaient : « D'ailleurs, l'emplacement du téléviseur, notamment dans les ménages ne disposant que d'un poste, traduit cette situation : le fait qu'il soit situé le plus communément dans la salle de séjour ou la cuisine, c'est-à-dire des lieux de réunion du groupe domestique traduit la fonction collective qui lui est assignée, et rend, de fait, souvent difficile un usage solitaire » (ibid. : 67-68). Cette localisation de la consommation télévisuelle dans des espaces communs est à la fois persistante comme localisation majoritaire de la consommation sérielle mais aussi particulièrement bousculée au sein des jeunes générations par l'utilisation des écrans de portables et d'ordinateurs. Cécile Brousse (2015 : 105) confirmait à l'aide des enquêtes Emploi du temps de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) cette baisse de l'écoute collective de la télévision.
  • [8]
    Par exemple, dans cet extrait d'entretien tiré d'une enquête plus récente : « On se fait notre petite soirée Stranger Things tous les deux. Ça a mimé un petit peu notre petite soirée cinéma, je crois. C'était notre cocon, notre moment en fait. (…) C'était notre moment où on se dit, dans la semaine on se fait tous les deux, on se fait notre petite bulle » (Christelle, 36 ans, technicienne radiologie, Rennes, 2021). Extrait d'entretien tiré de H. Glevarec, et al. (2024).
  • [9]
    Le plan factoriel des genres vus, des genres aimés et des séries vues (dans la liste proposée), traités comme variables actives, dessine le même ordre de contribution à la structuration des axes, à savoir l'âge puis le niveau de diplôme. Voir, de même, le plan factoriel des genres de série aimés et des genres de série dépréciés traitées en actives (Fig. 6) où la variable du sexe prend une valeur plus significative. Par rapport à la pratique (i.e. voir), le goût (aimer) accentue le concernement individuel.
  • [10]
    La modalité de revenu a été prise en compte mais n'est pas reportée sur le plan, afin de pas l'alourdir.
  • [11]
    L'interprétation de la catégorie socio-professionnelle demeure toujours délicate parce que la variable étant composée (notamment du revenu et du diplôme) sans l’être de façon délibérée, elle peut représenter un « véritable paquet de variables » (Héran, 1997 : 51) et la question demeure de savoir quelle variable est agissante.
  • [12]
    La Contribution par facteur (CPF), utilisée pour l'interprétation, représente la proportion, pour un facteur, de la somme des carrés apportée par chaque ligne ou colonne. La somme des CPF vaut 1 000 (à l'arrondi près).
  • [13]
    PEM >= 20%. Le Pourcentage de l'Écart Maximum (PEM) est un indice de liaison entre modalités d'un tableau de contingence (Cibois, 1993).
  • [14]
    Pour le plan factoriel des variables socio-démographiques, nous renvoyons les lecteurs et lectrices à notre ouvrage (Combes et Glevarec, 2021 : 78).
  • [15]
    Sur la scotomisation de l'âge et de la génération en sociologie de la culture, nous renvoyons à H. Glevarec (2021b) et H. Glevarec, Raphaël Nowak et Dominique Mahut (2020).
  • [16]
    Un des auteurs a été membre du comité scientifique à l'origine de cette enquête sur les pratiques culturelles et a pris part à l'élaboration du questionnaire de l'enquête 2018. À l'époque, l'enquête SERIES n'avait pas encore été exploitée.
  • [17]
    Nous pouvons illustrer cette différenciation par cet extrait d'entretien. « Les Predators, les choses comme ça, Expendables, Fast and Furious, c'est vraiment les films où ça bouge un peu. C'est vrai que les films gnian-gnian, j'ai un peu de mal. Qu'est-ce que vous appelez un film gnian-gnian, par exemple ? Les films d'amour, les machins. Peut-être que je me remettrai dedans le jour où je serai en couple mais actuellement, en étant célibataire, c'est pas ce que je vais regarder » (Antoine, 36 ans, technicien, Etercy, 2021). Extrait d'entretien tiré de H. Glevare, et al. (2024).
  • [18]
    Faut-il appeler « mépris » une « inappétence » dans une tradition qui interprèterait toute inappétence comme un rejet ? Quoi qu'il en soit, en matière culturelle, les catégories supérieures n'ont pas le monopole de l'inappétence sociale (du « mépris social » ?). Elle est présente chez les catégories populaires et est aussi structurée selon l'âge et selon le genre.
  • [19]
    Charlotte Brunsdon (1981) pointait déjà, propos du feuilleton anglais Crossroads (1964-1988), la perspective de la « vie personnelle » et des « relations personnelles » au fondement du soap opera, genre particulièrement apprécié par certaines femmes.
  • [20]
    En effet, une « performance de genre » peut-être être reproduction (héritée) ou revendication (voulue et choisie). Voir Glevarec (2014).
  • [21]
    Pour une réflexion critique sur l'usage contemporain – extensif, voire universalisant – du concept de socialisation pour penser toute acquisition, nous renvoyons à H. Glevarec (2021a).
  • [22]
    « Si la part de travail domestique réalisée par les hommes a légèrement augmenté ces 25 dernières années, c'est que les femmes y ont consacré moins de temps. Les femmes demeurent toujours les premières responsables de la bonne tenue de la maison et des membres de la famille », écrivent Clara Champage, Ariane Pailhé et Anne Solaz (2015). Voir Insee, Enquête emploi du temps 2009-2010. Accès : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2118074#consulter-sommaire. Patrick Parmentier le disait déjà à propos de la lecture pour les années 1980 : « On peut voir là [la préférence pour les romans et les romans psychologiques] un effet de l'orientation sociale des femmes vers l'intériorité, le narcissique, et des hommes vers l'extérieur, l'impersonnel. Pour ne pas essentialiser cette différence, on doit se demander si elle ne recouvre pas la différence entre les dispositions liées à l'activité professionnelle d'une part, à la vie au foyer de l'autre » (Parmentier, 1986 : 417).
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