« Que s’est-il passé pour que les utopies effrayantes dominent à la place des utopies souhaitables ? […] Nous ne comprenons pas pourquoi nos espérances ont soudain fondu comme neige au soleil, pour ainsi dire, pourquoi nous avons perdu espoir, courage et cœur. »
« J’avais l’impression d’être dans un roman de Philip K. Dick. C’était comme devenir une proie. »
Désignant étymologiquement un « lieu mauvais », la dystopie, qui apparaît, en ce sens, comme l’antithèse de l’utopie, est aujourd’hui très en vogue ; elle est en effet une forme culturelle omniprésente dans la littérature (notamment mais pas seulement dans la science-fiction), au cinéma, à la télévision, dans les jeux vidéo, ou encore dans les mangas et les bandes dessinés, voire dans la musique. Le présent numéro de Quaderni est ainsi né d’une interrogation à l’égard de cette mode actuelle de la dystopie dont le mot lui-même, longtemps considéré comme un anglicisme, s’est largement banalisé dans la langue française. Or, si les dystopies contemporaines ont suscité de nombreuses études dans le champ des études culturelles et littéraires, leur dimension politique a été beaucoup moins examinée, du moins dans l’espace francophone. Pourtant, il est couramment admis que la dystopie « n’est pas seulement une forme narrative ou une catégorie esthétique mais bien une vision du monde qui est aussi un mode de pensée » (Bazin, 2009, p. 7). En effet, « qu’elle convoque ou non des thèmes futuristes, qu’elle fasse intervenir la science, le régime totalitaire, les intempéries climatiques ou d’autres prétextes au cataclysme, son principal invariant semble être l’attention portée à une communauté ou à un groupe humain dont les dimensions maximales peuvent être planétaires…