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Article de revue

Les expériences de Walter Benjamin avec le haschich : ressemblances, illuminations et méthode dialectique

Pages 11 à 35

Notes

  • [1]
    Trois orthographes sont possibles : haschisch, hachisch, haschich.
  • [2]
    Il ne s’agit pas ici de proposer une sémiologie de l’intoxication cannabique à travers les écrits de Benjamin. Ses écrits, comme Les Paradis artificiels, sont très différents, par exemple, du livre du psychiatre Moreau de Tours publié en 1845 où sont décrites les phases de l’ivresse cannabique après que l’auteur en a pris lui-même pour reproduire artificiellement la folie. Selon Michel Foucault, cela a été un des moyens pour la psychiatrie au XIXe siècle de faire exister la réalité de la maladie : « À ce fameux corps organique que les anatomo-pathologistes avaient devant eux et qui fait défaut à l’aliéniste, à ce corps, à ce sol d’évidence, à cette instance de vérification expérimentale qui fait défaut au psychiatre, le psychiatre va pouvoir substituer sa propre expérience » (Foucault, 1973-1974, p. 282).
  • [3]
    Dans sa lettre à Paul Demeny du 15 mai 1871, Rimbaud énonce son but et sa méthode : « Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant. Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit – et le suprême Savant ! – Car il arrive à l’inconnu ! » (Rimbaud, 1871, p. 348).
  • [4]
    À Paris, au XIXe siècle, le haschich se consommait sous forme de confiture, la plus connue étant le dawamesk, un mélange d’extraits gras de haschich, de sucre et de différentes épices (Baudelaire, 1860, p. 116).
  • [5]
    Milner (2000) souligne que Baudelaire change le titre de la partie consacrée au haschich quand Les Paradis artificiels sont sur le point d’être édités, et l’intitule Le Poème du hachisch. C’est un titre ambigu qui peut faire l’objet d’une lecture ironique mais n’indique-t-il pas aussi que ce texte est un véritable poème ?
  • [6]
    La même année que l’essai de Benjamin sur le surréalisme, Freud publie Le malaise dans la culture qui est resté pour la postérité le symbole de son pessimisme (André, 1995). La phrase finale ajoutée en 1931 pour la seconde édition le renforce encore plus : entre Eros et la pulsion de mort, « qui peut présumer du succès et de l’issue ? » (Freud, 1929, p. 89).
  • [7]
    La vision pessimiste de Benjamin lui permet d’apercevoir dès 1929 les catastrophes qui attendaient l’Europe parfaitement résumées par la phrase ironique : « Et confiance illimitée seulement dans l’I.G. Farben, et dans le perfectionnement pacifique de la Luftwaffe » (Benjamin, 1929, p. 132) même s’il ne pouvait pas, bien sûr, prévoir que l’I.G. Farben allait fabriquer le gaz utilisé par les nazis (Löwy, 1996).
  • [8]
    Horkheimer et Adorno le rappellent aussi : « Une telle idylle [avec le lotos], qui nous fait penser au bonheur que procurent les stupéfiants dont usent dans les systèmes sociaux figés les membres des couches opprimées afin d’être en mesure de supporter l’intolérable, est inadmissible pour les partisans d’une raison autoconservatrice » (Horkheimer et Adorno, 1974, p. 76).

1Walter Benjamin est un penseur majeur du XXe siècle. Écrivain, traducteur, critique littéraire, philosophe, théoricien politique, théoricien de l’art, il est inclassable. Son œuvre continue à fasciner et à susciter débats, commentaires et recherches. Il est né à Berlin en 1892. Il quitte cette ville définitivement en 1933, après l’accession d’Hitler au pouvoir. En 1940, face à l’échec de sa tentative de passer en Espagne, il se suicide à Port-Bou, à la frontière franco-espagnole (Witte, 1988).

2Entre 1927 et 1931, il fait l’expérience du haschich [1] avec ses amis médecins Ernst Joël et Fritz Fränkel et d’autres amis, Ernst Bloch, Egon et Gert Wissing. Ces expériences sont organisées selon un protocole précis. Le sujet de l’expérience (Benjamin ou un de ses amis) écrit lui-même ses impressions au cours de l’ivresse ou juste après. Un des médecins ou un des amis qui n’a pas pris de haschich peut aussi rédiger l’observation du sujet et rapporter ses propos. Les récits de sept expériences avec le haschich ont été retranscrits. Benjamin a aussi raconté une expérience faite seul à Marseille en 1928. Trois expériences avec d’autres substances ont aussi été rapportées, deux selon le même protocole (avec la morphine en 1931 et la mescaline en 1934) et une avec l’opium, probablement au cours d’un séjour chez un ami, Jean Selz, à Ibiza en 1932.

3Ces récits et ces observations ont été publiés de façon posthume et ont été regroupés dans un recueil intitulé Sur le haschich et autres écrits sur la drogue, traduit en français en 1993. Deux textes ont été, toutefois, publiés par Benjamin et ont donc été retravaillés à distance des expériences. L’un, Myslowice – Braunschweig – Marseille, publié en 1930, est une fiction (Allerkamp, 2013). Le narrateur se présente comme celui qui rapporte une histoire qui lui a été racontée par un peintre un soir où plusieurs personnes étaient présentes, dont Bloch. Dans ce texte, Benjamin emprunte des éléments de ses propres expériences avec le haschich mais aussi de celle de son ami médecin Joël. Il utilise aussi des passages de son texte Marseille publié en 1929. Ce texte est un « paysage urbain » de cette ville où Benjamin a séjourné en 1927 et en 1928. Le second texte Haschich à Marseille est en rapport avec une expérience qui a eu lieu en 1928. Il a été publié en 1932. Une traduction française révisée par Benjamin lui-même a été publiée en 1935 dans une revue française, Les Cahiers du Sud.

4Benjamin s’est donc beaucoup intéressé aux effets du haschich dans une perspective esthétique, philosophique et politique, la drogue permettant de « tirer d’une seule et même donnée matérielle – par exemple un décor ou une image de paysage – une pluralité d’aspects, de contenus, de significations » (Benjamin, 1927-1934, p. 83) et de conquérir ainsi d’autres espaces-temps. Par rapport aux autres auteurs qui ont utilisé les drogues, ce qui caractérise Benjamin est son « désir de comprendre ce qui se passe, non pas comme le ferait un scientifique soucieux des causes et des effets, mais d’intégrer les rêves et les aberrations sensorielles dans un univers de pensée où les éléments les plus imprévus seraient porteurs de sens » (Milner, 2000, p. 340).

5Benjamin souhaitait écrire un livre sur le haschich, comme en témoigne la lettre adressée à son ami Gershom Scholem le 26 juillet 1932 : « Je voudrais énumérer ici les quatre livres qui marquent le véritable champ de ruines ou de catastrophes qui s’étend à perte de vue devant moi quand je laisse mes regards courir sur les prochaines années. Ce sont les Passages parisiens, les Essais réunis sur la littérature, les Lettres et un livre très important sur le haschich. Je n’ai parlé à personne de ce dernier projet, et cela doit rester entre nous pour l’instant » (Benjamin et Scholem, 1933-1940, p. 23). Mais ce livre n’a jamais vu le jour.

6Les expériences de Benjamin sont à mettre en lien avec son projet de livre sur Charles Baudelaire, modèle du Livre des Passages (Benjamin, 1927-1939). Même si Les Paradis artificiels sont finalement assez peu commentés dans ses écrits sur Baudelaire, les relations intertextuelles entre ses textes sur le haschich et l’œuvre de Baudelaire sont évidemment étroites (Benjamin, 1935-1940). Au début de son texte, Haschisch à Marseille, Benjamin cite d’ailleurs des passages d’un article scientifique de Joël et Fränkel paru dans une revue médicale en 1926. Pour eux, « il est remarquable que l’intoxication au haschich n’ait pas encore été étudiée de façon expérimentale. C’est à Baudelaire qu’on en doit la meilleure description » (Benjamin, 1932a, p. 49).

7L’analyse des écrits de Benjamin proposée ici [2] s’articule autour de trois motifs :

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  • Tout d’abord, le haschich a permis à Benjamin d’expérimenter sur lui-même sa méthode d’exploration du monde, la méthode dialectique, en particulier grâce aux modifications de la perception de la temporalité (Berdet, 2014).
  • Ensuite, ces expériences ont eu des implications philosophiques en lui permettant de continuer ses travaux sur le langage avec ses deux textes de 1932 et 1933 sur la ressemblance et le pouvoir d’imitation qui trouveront une application littéraire dans son texte autobiographique, Enfance berlinoise vers 1900 (Benjamin, 1932-1933).
  • Enfin, si Benjamin a fait ces expériences, c’est parce qu’Arthur Rimbaud [3] et les surréalistes avaient posé l’exigence politique d’une connaissance par illuminations. Il peut ainsi en parler en expert lorsqu’il souhaite « gagner à la révolution les forces de l’ivresse » dans son essai sur le surréalisme en 1929 (Benjamin, 1929, p. 130).

9D’autres lectures peuvent être proposées, en relation avec d’autres éléments de sa philosophie du langage ou avec sa théorie sur l’œuvre d’art et son aura, mais elles n’ont pas été choisies ici.

Le temps et l’espace : finis et infinis, fugaces et éternels

Le temps

10La perception de la temporalité est bouleversée avec le haschich et plus largement avec toutes les drogues. Il est alors possible, au moins transitoirement, de s’affranchir du temps et de ne plus craindre l’avenir (Olievenstein, 1982 ; Le Poulichet, 2000 ; Taïeb, 2011). Être en dehors du temps procure un sentiment de toute-puissance, l’éternité est possible et la mort n’est plus crainte, comme dans un tout autre contexte, s’en réjouit le narrateur de La Recherche du temps perdu : « Une minute affranchie de l’ordre du temps a recréé en nous pour la sentir l’homme affranchi de l’ordre du temps. Et celui-là on comprend qu’il soit confiant dans sa joie […], on comprend que le mot de “mort” n’ait pas de sens pour lui ; situé hors du temps, que pourrait-il craindre de l’avenir ? » (Proust, 1927, p. 263).

11Lors de son expérience à Marseille, Benjamin évoque le vécu d’éternité qu’il a ressenti : « Voici que se font valoir les exigences temporelles et spatiales propres au consommateur de haschich. Elles sont, c’est bien connu, absolument royales. Versailles, pour qui a pris du haschich, n’est pas trop grand, ni l’éternité trop longue. Et sur fond de cette expérience intérieure aux dimensions immenses, de la durée absolue et de l’espace démesuré, un humour merveilleux, bienheureux, s’attache d’autant plus volontiers aux contingences du monde spatio-temporel » (Benjamin, 1932a, p. 50).

12Avec le haschich, Benjamin expérimente en quelque sorte sur lui-même sa méthode dialectique, qui est un mode de pensée qui procède par contradictions (Berdet, 2014). Son objectif est de dégager les contradictions les plus manifestes et de les immobiliser dans des images poétiques. Cette méthode, qui peut être perçue dès ses premiers textes, aboutit à la mise en tension des oppositions les plus extrêmes. Benjamin l’appelle la « dialectique à l’arrêt » (Tiedemann, 1987) : « L’expression dialectique à l’arrêt évoque non seulement […] la suspension de la dialectique avant le moment réconciliateur de la synthèse des contradictions historiques, mais aussi sa dimension figurative sous l’aspect de leur arrêt sur image » (Berdet, 2014, p. 22). Cette méthode trouvera son équivalent dans l’image dialectique dans ses derniers travaux.

13Toujours à Marseille, au restaurant Basso, même si le bar va fermer et que les lumières vont s’éteindre, Benjamin est convaincu que tout va rester en l’état : « J’éprouve infiniment cet humour au restaurant Basso, lorsque j’apprends, à l’instant même où je m’y attable pour l’éternité, qu’on est sur le point d’éteindre les fourneaux. Ensuite, néanmoins, le sentiment que tout cela est lumineux, fréquenté, animé, et demeurera tel » (Benjamin, 1932a, p. 50). Il y a ainsi « arrêt dans l’image », comme le dit Jean-François Poirier dans sa postface au recueil Sur le haschich : « L’image qui se réalise dans l’ivresse, parce qu’elle est interruption du continuum de la vie, annulation de l’événement au moment même où il se produit, pourrait bien être le paradigme de cette dialectique à l’arrêt, de cet instant utopique qui persiste sous sa forme immatérielle et qui médiatise la connaissance des possibles restés enfouis dans le passé » (Poirier, 1993, p. 108). C’est en repérant ainsi de tels « moments féconds » au cours de ses expériences avec la drogue que Benjamin a approché cette « dialectique à l’arrêt » qui signale, dans le flux des habitudes, l’instant utopique (Didi-Huberman, 2009).

14Ces mouvements dialectiques entre fugacité et éternité, entre fini et infini ont aussi été remarqués par Baudelaire dans Les Paradis artificiels : « Par bonheur, cette interminable imagination n’a duré qu’une minute, car un intervalle de lucidité, avec un grand effort, vous a permis d’examiner la pendule. Mais un autre courant d’idées vous emporte ; il vous roulera une minute encore dans son tourbillon vivant, et cette autre minute sera une autre éternité. Car les proportions du temps et de l’être sont complètement dérangées par la multitude et l’intensité des sensations et des idées. On dirait qu’on vit plusieurs vies d’homme en l’espace d’une heure » (Baudelaire, 1860, p. 134). Plus loin, il ajoute : « La notion du temps ou plutôt la mesure du temps étant abolie, la nuit entière n’était mesurable pour moi que par la multitude de mes pensées. Si longue qu’elle dût me paraître à ce point de vue, il me semblait toutefois qu’elle n’avait duré que quelques secondes, ou même qu’elle n’avait pas pris place dans l’éternité » (ibid., p. 139). Dans le Salon de 1859, Baudelaire emploie, à propos de Delacroix, l’expression « l’infini dans le fini » en écho intertextuel avec « l’infinie précarité de ce qui est » de Benjamin (1930, p. 47) : « Mais d’où vient que [Delacroix] produit la sensation de nouveauté ? Que nous donne-t-il de plus que le passé ? […] pourquoi nous plaît-il davantage ? […] C’est l’infini dans le fini. C’est le rêve ! et je n’entends pas par ce mot les capharnaüms de la nuit, mas la vision produite par une intense méditation, ou, dans les cerveaux les moins fertiles, par un excitant artificiel » (Baudelaire, 1859, p. 296).

L’espace

15Avec le haschich, le temps n’est pas le seul à s’étendre. L’espace s’étend aussi comme Baudelaire le perçoit : « Je crois avoir suffisamment parlé de l’accroissement monstrueux du temps et de l’espace, deux idées toujours connexes, mais que l’esprit affronte alors sans tristesse et sans peur. Il regarde avec un certain délice mélancolique à travers les années profondes, et s’enfonce audacieusement dans d’infinies perspectives » (Baudelaire, 1860, p. 149). Benjamin, lui, « joue » avec l’espace : « La seconde perception tout à fait forte a été le jeu avec la pièce d’à côté. On commence de manière générale à jouer avec les espaces. Il se produit des égarements du sens de l’orientation » (Benjamin, 1927-1934, p. 13). Parallèlement, le langage lui-même semble s’allonger : « On est très frappé par la longueur des phrases qu’on prononce. Cela en rapport avec l’extension horizontale et (sans doute) avec l’éclat de rire. Le phénomène des passages est aussi cette longue extension horizontale, peut-être combinée avec la fuite dans une perspective qui se fait fugitive au loin, minuscule » (ibid., p. 10).

16L’investissement de l’espace par Benjamin se retrouve dans son texte autobiographique, Chronique berlinoise, contemporain des expériences avec le haschich et publié de façon posthume : « Depuis longtemps, des années à vrai dire, je caresse l’idée d’organiser graphiquement sur une carte l’espace de la vie. […] J’ai imaginé un système de signes conventionnels et sur le fond gris de telles cartes, on en verrait de toutes les couleurs si les logements de mes amis et amies, les salles de réunion des divers collectifs […], les chambres d’hôtel et de bordel que j’ai connues le temps d’une nuit, les bancs décisifs du Tiergarten, les chemins de l’école et les tombes que j’ai vu remplir, les lieux où trônaient les cafés dont les noms ont aujourd’hui disparu et qu’on avait quotidiennement sur les lèvres, les courts de tennis où se trouvent maintenant des maisons de rapport vides » (Benjamin, 1932b, p. 252). Quand plus loin, il évoque son ami Fritz Heinle mort en 1914, il montre que ses souvenirs s’ancrent dans les rues de Berlin : « Jamais je n’aurais pensé que je repartirais un jour à sa recherche sur cette voie – la voie topographique. […] Il me semble néanmoins aujourd’hui plus légitime d’essayer de saisir l’espace extérieur où le mort a vécu, et même la pièce où il était “domicilié”, que d’embrasser l’espace intellectuel dans lequel il a composé ses poèmes. Mais peut-être est-ce seulement parce qu’il a traversé au cours des dernières et plus importantes années de sa vie l’espace où je suis né » (ibid., p. 269). La mémoire tente ainsi de se spatialiser pour reprendre l’expression de Jankélévitch (1974).

17Avec le haschich, Benjamin décrit un « phénomène de colportage de l’espace », c’est-à-dire qu’« il y a simultanément la possibilité de percevoir toutes les choses qui, d’aventure, se sont potentiellement produites dans cet espace. L’espace vous adresse des clins d’œil : à présent qu’est-ce qui a bien pu se produire en moi ? » (Benjamin, 1927-1934, p. 19). Le temps se sédimente dans le même espace, comme la carte de Berlin où Benjamin aimerait retracer et mémoriser tous ses parcours. Mais le haschich modifie davantage la perception du temps en allant, au-delà de l’histoire individuelle, vers une histoire collective, réduite à quelques événements désincarnés : « L’espace se déguise devant nous, il se drape, comme un être séduisant, dans le costume des ambiances. J’éprouve le sentiment que dans la pièce d’à côté auraient aussi bien pu se dérouler le sacre de Charlemagne que l’assassinat d’Henri IV, la signature du traité de Verdun que l’assassinat d’Egmont. Les choses ne sont que des mannequins et même les grands moments de l’histoire du monde ne sont que des costumes sous lesquels elles échangent des regards de connivence avec le néant, le bas et le banal » (ibid., p. 14).

18Le haschich modifie aussi la reconnaissance du lieu dans lequel on est. C’est l’occasion à nouveau pour Benjamin d’expérimenter sa méthode dialectique. Il retrouve à Marseille le pavé de Paris, ce qui ne l’empêche pas d’en percevoir les différences : « Je ne voyais que des nuances : mais elles étaient identiques. Je m’absorbai dans la contemplation du pavé devant moi, qui par une sorte d’enduit que j’y étalais pouvait aussi bien être une seule et même chose que le pavé parisien. Les pierres étaient le pain de mon imagination, soudain avide de savourer l’identique en tous lieux et en tous pays. Et pourtant je songeais avec une immense fierté que je me trouvais ici à Marseille sous l’effet du hachisch » (Benjamin, 1932a, p. 56).

Les autres dialectiques

Être seul ou en relation

19La dialectique entre l’identité et l’altérité est aussi mise à l’épreuve avec le haschich dont les effets sont ambigus, voire paradoxaux. La bienveillance et l’envie de rire au début de l’ivresse semblent faciliter les relations mais la situation est plus complexe : « Bienveillance sans limites. Disparition des complexes d’angoisse névrotiques obsessionnels. […] Le comique provient non seulement des visages mais aussi des événements. On cherche l’occasion d’éclater de rire. […] En souriant, on se sent pousser des petites ailes. Sourire et voleter apparentés » (Benjamin, 1927-1934, p. 10). À Marseille, la solitude semble disparaître mais finalement il n’en est rien : « Rien d’autre qu’une certaine bienveillance, l’attente de voir les gens vous aborder amicalement. L’impression de solitude se perd rapidement. […] Je ne serais pas surpris de voir tel ou tel s’avancer vers moi. Mais qu’ils n’en fassent rien me laisse indifférent » (Benjamin, 1932a, p. 50).

20Mais cette impression de familiarité n’enlève pas le vécu d’étrangeté qui peut devenir une source d’inquiétude (Freud, 1919) : « Les gens à qui on a affaire (en particulier Joël et Fränkel) ont fortement tendance à se métamorphoser un peu, je ne dirais pas à devenir étrangers, ni à cesser d’être familiers, mais à ressembler un peu à des étrangers » (Benjamin, 1927-1934, p. 11).

21Les autres passent ensuite au second plan face à la progressive inflation narcissique. L’autre se rapatrie en quelque sorte à l’intérieur de soi. Avec un « humour merveilleux », Benjamin se décrit comme son propre entremetteur : « Dans ces circonstances, il ne pouvait plus être question de solitude. Étais-je à moi-même ma propre compagnie ? Non, pas tout à fait, pas si ouvertement que cela. Si tel avait été le cas, je ne sais pas si j’aurais été aussi heureux. Plutôt ceci : je me fis pour moi-même l’entremetteur le plus entendu, le plus tendre, le plus impudent, et me procurai les choses avec l’assurance équivoque de celui qui connaît et a étudié à fond les désirs de son client » (Benjamin, 1932a, p. 52).

22Au cours de certaines expériences, le dehors peut devenir persécutant. Benjamin a alors besoin de se replier pour être seul mais ce besoin reste étroitement associé à celui d’être avec les autres. La tension devient maximale entre ces aspirations antagonistes et la souffrance qui en résulte augmente : « La pensée du “dehors” devient presque une torture. Ce n’est plus comme la fois précédente, le séjour amical et sociable dans l’espace, par plaisir pris à la situation telle qu’elle est, mais un repliement dans une trame, dans un cocon plus serrés, une toile d’araignée dans laquelle le cours du monde est accroché, éparpillé à la ronde […]. On ne veut pas se séparer de cette caverne. Ici se développent aussi les rudiments d’un comportement désagréable envers les personnes présentes, l’angoisse qu’elles puissent vous déranger, vous expulser […] La simultanéité maléfique du besoin d’être seul et de demeurer avec les autres […] augmente » (Benjamin, 1927-1934, p. 16).

23Toujours lors du même protocole, Benjamin s’aperçoit que le seul centre d’intérêt est lui-même : « À peine le partenaire a-t-il ouvert la bouche qu’il nous déçoit immensément. Ce qu’il dit reste infiniment en retrait de ce dont nous l’aurions si volontiers et avec tant de joie cru capable s’il s’était tu. Il nous déçoit douloureusement en s’écartant du plus grand objet de toute attention : nous-mêmes. […] Ce dont nous avions précisément l’intention de parler nous attire infiniment ; ce qui plane dans nos intentions, nous l’accueillons amoureusement à bras ouverts » (ibid., p. 19). La drogue « peut donner même à des natures assez modestes une souveraineté que celles-ci ne possèdent pas à l’origine […]. Cette disposition d’esprit sera particulièrement précieuse à l’individu parce qu’elle ne se révèle pas seulement aux autres […] mais accessoirement, et peut-être même en premier lieu, au drogué lui-même » (ibid., p. 86).

24Benjamin rejoint ici Les Paradis artificiels mais sans dénoncer avec autant de passion l’omnipotence entraînée par le haschich. Pour Baudelaire, l’homme qui consomme du haschich n’est séduit que par lui-même sans aucune attention pour autrui. Il se glorifie sans fin, devient « le centre de l’univers » et « croit à sa vertu et à son génie » (Baudelaire, 1860, p. 155). Rien n’est à découvrir puisque « le haschich ne révèle à l’individu rien que l’individu lui-même » (ibid., p. 160) : « Il n’est que le même homme augmenté, le même nombre élevé à une très haute puissance. Il est subjugué ; mais, pour son malheur, il ne l’est que par lui-même » (ibid., p. 119). Le haschich est seulement un « miroir grossissant » (ibid., p. 120). Il « rend l’individu inutile aux hommes et la société superflue pour l’individu, le poussant à s’admirer sans cesse lui-même et le précipitant jour à jour vers le gouffre lumineux où il admire sa face de Narcisse » (ibid., p. 160).

Le bonheur ou la dépression

25Les effets décrits varient du bonheur éclatant à un vécu plus ou moins intense de dépression selon les expériences. Une des sources du bonheur de l’ivresse est d’en résoudre les mystères. Ce bonheur épistémophilique est, pour Benjamin, proche de celui de toute création. « Pour mieux cerner les énigmes du bonheur que procure l’ivresse, il faudrait penser au fil d’Ariane. Quel plaisir dans le simple geste de dérouler un écheveau. Plaisir profondément apparenté à celui de la drogue comme à celui de la création. Nous avançons ; mais ce faisant, nous ne découvrons pas seulement les méandres de la caverne dans laquelle nous nous aventurons, nous ne jouissons du bonheur de cette découverte que sur l’arrière-plan de cette autre félicité rythmique que procure le dévidage d’un écheveau. Cette certitude d’un écheveau artistement enroulé, que nous dévidons : n’est-ce pas là le bonheur de toute créativité, du moins dans l’ordre prosaïque ? » (Benjamin, 1932a, p. 55).

26Mais les expériences ne se ressemblent pas toujours. Découvrir « du nouveau » dans l’ivresse n’est pas toujours facile et peut renforcer le vécu de faiblesse : « Le grand espoir, goût, désir d’approcher du nouveau, du vierge dans l’ivresse ne sont plus cette fois accessibles par des ailes qui vous pousseraient mais le sont par un cheminement fatigant, absorbé, détendu, indolent, paresseux sur une pente descendante » (Benjamin, 1927-1934, p. 15). Dans le même protocole, Benjamin insiste sur la conviction d’être faible pendant l’ivresse : « “Je me sens faible” et “Je me sais faible” – ce sont ici des intentions fondamentalement différentes. […] Mais dans le haschich, on peut presque parler d’une dictature exclusive de la seconde » (ibid., p. 20).

27Dans un autre protocole, Benjamin décrit, de façon bouleversante, un vécu quasiment mélancolique en percevant l’exil à venir. Sa tristesse était déjà présente avant mais le haschich l’a exacerbé. « Très profonde dépression due au haschich. […] Assurément les fondements sérieux de ma tristesse étaient déjà là. Il y a deux jours une rencontre fugitive qui a mis en évidence à quel point le cercle de mes activités s’est rétréci. […] Je doute de parvenir à ce que les choses prennent bonne tournure. L’avenir ne m’offre que les perspectives les plus incertaines quant au pays, quant au lieu et à la situation, quant au mode de logement, beaucoup d’amis mais je passe de main en main, beaucoup de compétences mais aucune dont je puisse vivre et un assez grand nombre qui entravent mon travail. C’était comme si ces pensées voulaient me tenir captif, c’est ce qu’elles faisaient cette fois et presque avec des cordes. […] Je suis si triste de devoir presque continuellement plaire pour vivre » (ibid., p. 61).

28Heureusement, à la fin de ce même protocole, une image poétique a pu être sauvée du naufrage intérieur : « Le chagrin avait atteint trop d’intensité au cœur de ce bastion qu’était mon canapé et il n’était plus possible que je fusse sauvé. Alors les visages les plus incroyables furent eux aussi submergés, rien, presque rien ne put être sauvé des eaux si ce n’est la flèche d’un clocher gothique en bois, nageant sur ce flot noir, une flèche de bois à vitres multicolores d’un vert et d’un rouge sombres » (ibid., p. 63).

Une ressource ou une entrave à la création

29Au cours de l’ivresse, Benjamin repère, comme Baudelaire, les distorsions sensorielles : « Le tuyau de poêle devient chat. Au mot de gingembre, à la place du bureau, une boutique de fruits est soudain là, dans laquelle je reconnais tout de suite après, le bureau » (Benjamin, 1927-1934, p. 11). Dans un autre protocole, ce phénomène est encore plus marqué : « Première expérience que j’ai faite de l’audition colorée. Ce qu’Egon a dit n’a pas été enregistré très attentivement par moi quant au sens parce que la perception que j’avais de ses mots se transposait immédiatement en perception colorée de paillettes métalliques se réunissant pour former des motifs » (ibid., p. 57). De ces sensations, Benjamin en a fait au moins un usage direct puisque l’épigraphe d’Enfance berlinoise vers 1900 provient d’un vers qu’il a écrit au cours d’une expérience : « Oh colonne de la victoire dorée comme un biscuit / Enrobée par le sucre du brouillard les jours d’hiver » (ibid., p. 104).

30Baudelaire avait déjà repéré cette « acuité supérieure dans tous les sens » mais en mettant en garde son lecteur contre le caractère envahissant des sensations, des idées et des « analogies » qui assaillent celui qui prend du haschich. « L’odorat, la vue, l’ouïe, le toucher participent également à ce progrès. Les yeux visent l’infini. L’oreille perçoit des sons presque insaisissables au milieu du plus vaste tumulte. C’est alors que commencent les hallucinations. Les objets extérieurs prennent lentement, successivement, des apparences singulières ; ils se déforment et se transforment. Puis, arrivent les équivoques, les méprises et les transpositions d’idées. Les sons se revêtent de couleurs et les couleurs contiennent une musique. Cela, dira-t-on, n’a rien que de fort naturel, et tout cerveau poétique, dans son état sain et normal, conçoit facilement ces analogies » (Baudelaire, 1860, p. 132). Dans l’ivresse du haschich, « ces analogies revêtent alors une acuité inaccoutumée ; elles pénètrent, elles envahissent, elles accablent l’esprit de leur caractère despotique » (ibid., p. 133).

31Après l’ivresse, pour Benjamin, la volonté s’affaiblit et la capacité d’agir diminue : « La première attente grave qui intervient est sans doute l’incapacité de pouvoir faire des projets pour les séquences de temps suivantes. On voit, quand on y regarde de plus près, ce qu’il a d’étonnant dans le fait que nous puissions faire des projets par-delà des nuits et des nuits, c’est-à-dire par-delà les rêves habituels » (Benjamin, 1927-1934, p. 17). Benjamin porte un jugement moins négatif sur les effets à distance du haschich que Baudelaire qui dénonce l’importance de la faiblesse de la volonté. La capacité de création est, pour lui, menacée. Pourquoi travailler si « avec une cuillérée de confiture » [4] un homme « peut se procurer instantanément tous les biens du ciel et de la terre » ? (Baudelaire, 1860, p. 157) : « Le terrible lendemain ! […] La hideuse nature, dépouillée de son illumination de la veille, ressemble aux mélancoliques débris d’une fête. La volonté surtout est attaquée, de toutes les facultés la plus précieuse » (ibid., p. 157). La consommation de drogues a ainsi souvent été associée à ce modèle de l’action connu depuis Aristote sous le terme d’akrasia, traduit le plus souvent par l’idée de « faiblesse de la volonté ». Selon ce modèle, la force de la drogue emporterait toute volonté du sujet, à la manière dont une rivière emporte une branche morte (Pharo, 2011).

32Baudelaire s’insurge surtout face à la facilité de l’accès au bonheur et au génie avec « un peu de monnaie » : « C’est l’infaillibilité même du moyen qui en constitue l’immoralité, comme l’infaillibilité supposée de la magie lui impose son stigmate infernal » (Baudelaire, 1860, p. 160). Pour lui, l’homme ne peut faire du haschich « une espèce de machine à penser, un instrument fécond », même si « la mémoire des impressions survit à l’orgie » (ibid., p. 160). C’est un « cercle vicieux » même si on admet que « le haschich donne, ou du moins augmente le génie ». Le haschich diminue la volonté et « ainsi il accorde d’un côté ce qu’il retire de l’autre, c’est-à-dire l’imagination sans la faculté d’en profiter. Enfin il faut songer, en supposant un homme assez adroit et assez vigoureux pour se soustraire à cette alternative, à un autre danger, fatal, terrible, qui est celui de toutes les accoutumances. Toutes se transforment bientôt en nécessités. Celui qui aura recours à un poison pour penser ne pourra bientôt plus penser sans poison » (ibid., p. 160). Le haschich est ainsi toujours perçu comme un recours possible face à la souffrance, comme Benjamin le rappelle : « J’étais incapable de craindre le malheur à venir, la solitude à venir, il y aurait toujours le haschich » (Benjamin, 1932a, p. 56).

33L’impression laissée par la lecture des Paradis artificiels est, cependant, plus ambiguë. Même si la condamnation des drogues par Baudelaire est explicite et sincère, l’état dans lequel fait plonger le haschich « ressemble trop à celui qui permettrait les réalisations artistiques les plus conformes à l’idéal baudelairien pour ne pas en concevoir une rancœur contre cette drogue, qui promet ce qu’elle ne peut tenir » (Milner, 2000, p. 145). Baudelaire ressent probablement le risque d’un appauvrissement de sa créativité poétique [5]. Benjamin, sans doute plus confiant dans ses capacités de travail, reconnaît plus facilement que le haschich peut avoir une fonction esthétique et littéraire, comme le montrent les deux textes publiés sur son expérience à Marseille. Le lendemain de l’ivresse est moins sombre : « Ce que l’on note par écrit le lendemain est plus qu’une énumération d’impressions ; pendant la nuit l’ivresse vient à se découper, avec de belles franges prismatiques, sur le fond du quotidien. Elle forme une sorte de figure et prend les couleurs du souvenir. J’ai envie de dire : elle se recroqueville et dessine une forme de fleur » (Benjamin, 1932a, p. 54)

La disparition par les ressemblances

34Benjamin explore avec ses écrits sur le haschich ses idées sur les ressemblances formalisées dans ses textes théoriques, La théorie de la ressemblance écrit en 1932 et Sur le pouvoir d’imitation, assez proche, écrit en 1933. Dans son écrit autobiographique Enfance berlinoise vers 1900, dont la rédaction a commencé en 1932, il aborde le thème des comportements mimétiques de l’enfant à travers ses propres souvenirs (Lavelle, 2012).

35Pour lui, « c’est chez l’homme qu’on trouve la plus haute aptitude à produire des ressemblances. Le don qu’il possède de voir la ressemblance n’est qu’un rudiment de l’ancienne et puissante nécessité de s’assimiler, par l’apparence et le comportement » (Benjamin, 1933, p. 359). Ce pouvoir de percevoir et de produire des ressemblances existait chez les premiers hommes. Il n’était pas initialement dirigé vers leurs semblables mais vers la nature. Il persiste chez l’enfant, en particulier dans le jeu : « Cette faculté a une histoire, au sens phylogénétique non moins qu’au sens ontogénétique » (ibid., p. 359). Ce don mimétique s’est modifié tout au long de l’histoire et s’exprime désormais à travers le langage oral et écrit : « Ainsi le langage serait le degré le plus élevé du comportement mimétique et la plus parfaite archive de la ressemblance non sensible : un médium dans lequel ont intégralement migré les anciennes forces de création et de perception mimétique » (ibid., p. 363).

36Chez l’enfant, le jeu est « l’école » des conduites mimétiques : « Le jeu des enfants abonde en conduites mimétiques, dont le champ ne se limite nullement à l’imitation d’un individu par un autre. L’enfant ne joue pas seulement au marchand ou au maître d’école, il joue aussi au moulin et au chemin de fer » (ibid., p. 359).

37Cette assimilation à la nature a eu probablement une fonction protectrice : l’homme n’a rien à craindre du monde s’il se confond avec lui (Rusch, 2013). Mais cette ressemblance avec l’environnement n’est pas sans danger et peut susciter la peur de sa propre disparition. Le texte d’Enfance berlinoise vers 1900 intitulé Cachettes illustre très bien le jeu de l’enfant avec les ressemblances : « L’enfant qui se tient derrière la portière devient lui-même quelque chose de flottant et de blanc, il devient un fantôme. La table à manger derrière laquelle il s’est accroupi, il la transforme en une idole de bois et les pieds sculptés sont les quatre piliers du temple qui l’abrite. Derrière une porte, il est lui-même porte ; il s’en revêt comme d’un lourd masque et devient le prêtre magicien qui ensorcellera tous ceux qui entrent sans se douter de rien. Il ne doit à aucun prix être découvert. Quand il fait des grimaces, on lui dit que si l’horloge sonne à ce moment-là, il restera toujours comme ça. Ce qu’il y a de vrai là-dedans, je l’ai découvert en jouant à cache-cache. Qui me découvrait pouvait me pétrifier comme une idole pétrifiée sous la table, faire de moi un fantôme pour toujours cousu dans les rideaux, m’enfermer à vie dans la lourde porte » (Benjamin, 1932-1933, p. 107). Pour accroître son pouvoir, l’enfant se fond dans le monde, mais par-là s’expose dangereusement en étant à la merci d’un regard qui lui interdirait tout retour.

38Avec le haschich, le pouvoir mimétique de l’enfance réapparaît mais sans la dimension de jeu et de faire-semblant. Les objets proches du sujet ivre réclament son image « comme les ombres de l’Hadès le sang de l’animal sacrifié » (ibid., p. 29). Benjamin sent qu’il disparaît progressivement, la main qui tient un objet est d’abord menacée puis la métamorphose progresse ensuite au bras et à l’ensemble du corps. « On me mit dans les mains un livre de Kafka. […] Mais ce livre devint alors tout de suite pour moi ce que devient un livre dans la main d’un poète pour le sculpteur, un peu académique peut-être, qui doit faire la statue en pied de ce poète. Il fut immédiatement intégré par moi à la constitution plastique de ma personne […]. Mais il y avait encore autre chose : c’était en effet comme si je fuyais l’esprit de Kafka et que, au moment où il entrait en contact avec moi, je me métamorphosais en pierre, tout comme Daphné, au contact d’Apollon, devient lierre » (Benjamin, 1927-1934, p. 20).

39Benjamin rapporte d’autres déformations dues aux objets qu’il tient dans sa main, aux positions qu’il adopte ou aux idées qui le traversent : « J’ai tenu à la main le verre rempli de café un bon quart d’heure, si ce n’est plus, sans bouger, j’expliquais qu’il était indigne de moi d’en boire, le métamorphosais d’une certaine façon en sceptre. Car on peut bien parler, dans le haschich, d’un besoin de sceptre éprouvé par la main » (ibid., p. 60). Dans une autre expérience où les notes sont prises par un des amis médecins, sa main se transforme : « Le sujet d’expérience tient le bras droit appuyé sur le coude et l’index à la verticale comme lors d’expériences antérieures. “Ma main est peut-être en train de devenir lentement une petite branche.” » (ibid., p. 75). Un peu plus tard, dans cette même expérience, l’identité de Benjamin disparaît totalement : « Le sujet de l’expérience fait part à l’auteur du protocole de son désir de ne pas être tutoyé par lui. Motif : “Je ne suis pas je, je suis à certains instants le haschich.” » (ibid., p. 79).

40Dans Les Paradis artificiels, Baudelaire évoque aussi la formidable obligation mimétique à laquelle le sujet est soumis sous l’effet du haschich, au point de le transformer en objet ou de le faire disparaître complètement : « Il arrive quelquefois que la personnalité disparaît et que l’objectivité […] se développe en vous si anormalement, que la contemplation des objets extérieurs vous fait oubliez votre propre existence, et que vous vous confondez bientôt avec eux. Votre œil se fixe sur un arbre harmonieux, courbé par le vent ; dans quelques secondes, ce qui ne serait dans le cerveau d’un poète qu’une comparaison fort naturelle deviendra dans le vôtre une réalité. Vous prêtez d’abord à l’arbre vos passions, votre désir ou votre mélancolie ; ses gémissements et ses oscillations deviennent les vôtres, et bientôt, vous êtes l’arbre. De même l’oiseau qui plane au fond de l’azur représente d’abord l’immortelle envie de planer au-dessus des choses humaines ; mais déjà vous êtes l’oiseau lui-même. Je vous suppose assis et fumant. Votre attention se reposera un peu trop longtemps sur les nuages bleuâtres qui s’exhalent de votre pipe. L’idée de l’évaporation, lente, successive, éternelle, s’emparera de votre esprit, et vous appliquerez bientôt cette idée à vos propres pensées, à votre matière pensante. Par une équivoque singulière, par une espèce de transposition ou de quiproquo intellectuel, vous vous sentirez vous évaporant, et vous attribuerez à votre pipe (dans laquelle vous vous sentez accroupi et ramassée comme le tabac) l’étrange faculté de vous fumer » (Baudelaire, 1860, p. 133) La drogue devient tellement la cause et l’origine du sujet, qu’il finit par disparaître complètement sous ses assauts (Pachet, 1991).

Les perspectives politiques

L’illumination profane

41L’ivresse avec les drogues pour Benjamin peut avoir une fonction politique, à condition de savoir la dépasser. Dans son essai sur le surréalisme, publié en 1929, il montre que « cet ébranlement du moi par l’ivresse fut en même temps l’expérience féconde et vivante qui arracha [les surréalistes] à l’emprise de l’ivresse » (Benjamin, 1929, p. 116). En effet, André Breton considérait le surréalisme lui-même comme un paradis artificiel : « Tout porte à croire qu’il agit sur l’esprit à la manière des stupéfiants ; comme eux il crée un certain état de besoin et peut pousser l’homme à de terribles révoltes. C’est encore, si l’on veut, un bien artificiel paradis et le goût qu’on en a relève de la critique de Baudelaire au même titre que les autres […]. Il a comme le haschich de quoi satisfaire tous les délicats » (Breton, 1924, p. 48). Le recours aux drogues n’est donc pas indispensable et il faut même les éviter puisqu’il s’agit de dépasser le réel et non de s’évader hors de lui. Pour Benjamin aussi, l’ivresse n’est pas la seule expérience qui permet d’accéder à « l’illumination profane » : « Le véritable dépassement, le dépassement créateur de l’illumination religieuse ne se trouve pas dans les stupéfiants. Il se trouve dans une illumination profane, dans une inspiration matérialiste, anthropologique, à laquelle le hachisch, l’opium et toutes les drogues que l’on voudra peuvent servir de propédeutique. (Mais une propédeutique dangereuse. Celle des religions est plus rigoureuse.) » (Benjamin, 1929, p. 117). Benjamin salue ainsi les découvertes des surréalistes mais il leur reproche une position trop littéraire. Il reprend le potentiel révolutionnaire de leurs illuminations pour proposer d’autres moyens et d’autres figures que celle de « l’homme pris d’ivresse » : « Le lecteur, le penseur, l’homme qui attend, le flâneur sont des types d’illuminé tout autant que le fumeur d’opium, le rêveur, l’homme pris d’ivresse. Et de plus profanes. Pour ne rien dire de cette drogue terrible entre toutes – nous-mêmes – que nous absorbons dans la solitude » (ibid., p. 131).

42Dans ses expériences avec le haschich, Benjamin souligne que « certaines choses prennent la parole d’elles-mêmes » (Benjamin, 1927-1934, p. 17) comme avec l’écriture automatique, mais, le plus souvent, d’une façon trop rapide pour être complètement mémorisées : « Il peut y avoir […] une production de véritables rafales d’images, indépendamment de toute autre fixation et polarisation de notre attention. Tandis qu’à l’état normal des images involontaires, auxquelles nous ne prêtons aucune attention, restent justement inconscientes, les images n’ont apparemment pas besoin le moins du monde dans le haschich, pour se présenter à nous, de notre attention. À vrai dire la production d’images peut faire venir au jour des choses si extraordinaires et cela si fugitivement et avec une telle vitesse que nous ne parvenons plus, tout simplement en raison de la beauté et de la singularité de ces images, à nous intéresser à autre chose qu’à elles. […] Je ne puis plus dire grand-chose des images mêmes en raison de la formidable vitesse avec laquelle elles surgissaient et disparaissaient, d’ailleurs sur une petite échelle. C’étaient pour l’essentiel des images d’objets » (ibid., p. 58). Pour Baudelaire, l’intelligence devient l’« esclave » du haschich : « Le raisonnement n’est plus qu’une épave à la merci de tous les courants, et le train de pensées est infiniment plus accéléré et plus rhapsodique » (Baudelaire, 1860, p. 144).

43Benjamin rend hommage au positionnement politique des surréalistes même s’il n’a pas, pour sa part, adhéré au parti communiste. « Avant ces voyants et ces devins [les surréalistes], personne n’a vu comment la misère, non seulement la misère sociale, mais aussi la misère architecturale, la misère des intérieurs, les objets asservis et asservissants, basculent dans le nihilisme révolutionnaire. […] L’astuce qui permet de venir à bout de ce monde d’objets […] consiste à substituer au regard historique porté sur le passé un regard politique » (Benjamin, 1929, p. 120). C’est ce à quoi Benjamin va travailler dans Le Livre des Passages parallèlement à ses travaux sur Baudelaire.

44Pour les surréalistes, comme le rappelle Benjamin en citant André Breton dans Nadja, « l’émancipation humaine à tous égards […] demeure la seule cause qu’il soit digne de servir » (ibid., p. 130). Mais Benjamin se questionne aussitôt à leur propos : « Ont-ils réussi à lier la révolte à la révolution ? […] Gagner à la révolution les forces de l’ivresse, c’est à quoi tend le surréalisme dans tous ses livres et dans toutes ses entreprises. Pour y arriver, il ne suffit pas que tout acte révolutionnaire comporte, comme nous le savons, une part d’ivresse. […] Y insister de façon exclusive serait négliger entièrement la préparation méthodique et disciplinaire de la révolution au profit d’une pratique qui oscille entre l’exercice et la célébration anticipée. À quoi s’ajoute une conception trop courte, non dialectique, de la nature de l’ivresse. L’esthétique du peintre, du poète “en état de surprise”, de l’art comme réaction de l’être “surpris”, reste captive de quelques préjugés romantiques fort dommageables. […] Il ne nous avance à rien en effet de souligner, avec des accents pathétiques ou fanatiques, le côté énigmatique des énigmes ; au contraire, nous ne pénétrons le mystère que pour autant que nous le retrouvons dans le quotidien grâce à une optique dialectique qui reconnaît le quotidien comme impénétrable et l’impénétrable comme quotidien » (ibid., p. 130). Pour Benjamin, l’ivresse ne peut donc pas être isolée comme méthode, il faut y associer la méthode dialectique pour en analyser les effets. Il propose ainsi une autre voie, en tentant de construire une alliance entre le matérialisme dialectique et le matérialisme anthropologique dans une perspective de complémentarité et de correction réciproque (Löwy, 2013 ; Berdet, 2014). En particulier, devant l’optimisme des partis bourgeois face à la menace nazie [6] (« Qu’est-ce, en effet, que le programme des partis bourgeois ? Un mauvais poème de printemps » (Benjamin, 1929, p. 132).), Benjamin [7] propose « l’organisation du pessimisme », concept emprunté à Pierre Naville dans son livre La Révolution et les intellectuels (ibid., p. 132).

L’image dialectique

45Avec les Thèses sur l’histoire, Benjamin (1940) approfondit sa méthode et propose une nouvelle dialectique du présent et du passé. Pour lui, l’histoire est à écrire à partir du présent de l’historien, le passé n’étant pas un récit fixé pour toujours. Il peut se figurer comme une image mobile, une image dialectique, qui s’adresse au présent de l’historien mais qui risque de disparaître aussi soudainement qu’elle est apparue : « L’image authentique du passé n’apparaît que dans un éclair. Image qui ne surgit que pour s’éclipser à jamais dès l’instant suivant. […] C’est une image unique, irremplaçable du passé qui s’évanouit avec chaque présent qui n’a pas su se reconnaître visé par elle » (Thèse V) (Benjamin, 1940, p. 435). De cette rencontre entre ces événements non contigus « naît une figure de pensée nouvelle, où le présent féconde le passé et réveille le sens oublié ou refoulé qu’il porte en lui, alors que le passé retrouve, au cœur du présent, une actualité nouvelle » (Mosès, 1992, p. 224). Benjamin transpose ainsi la bidirectionnalité des processus psychiques au temps de l’histoire conçu comme une expérience intérieure collective (Taïeb, 2019). Il critique le temps continu accumulatif de l’idéologie du Progrès pour défendre l’idée, empruntée au messianisme juif, d’une utopie surgissant au cœur même du présent, une utopie donnant une nouvelle chance à tout ce qui dans le passé a été manqué, oublié ou abandonné. Dans l’histoire défendue par les vainqueurs, l’avenir est prévisible, le Même revient inlassablement et les injustices se perpétuent (Löwy, 2014). Face à ce danger, l’historien doit s’efforcer de sauver de l’oubli l’histoire des « vaincus », « des sans-noms » (Benjamin, 1940, p. 454) en revisitant le passé pour faire surgir quelque chose de nouveau. Tout ce qui dans le passé, tant personnel que collectif, a été manqué ou a échoué, peut être ainsi réélaboré et remanié dans le présent, de même que tout ce qui a été oublié peut être rappelé à la mémoire. C’est, en effet, à partir des espoirs des générations passées que les rêves prennent forme : « C’est donc à nous de nous rendre compte que le passé réclame une rédemption dont peut-être une toute infime partie se trouve être placée en notre pouvoir. Il y a un rendez-vous mystérieux entre les générations défuntes et celle dont nous faisons partie nous-mêmes. Nous avons été attendus sur terre. Car il nous est dévolu à nous comme à chaque équipe humaine qui nous précéda, une parcelle du pouvoir messianique. Le passé la réclame, a droit sur elle. Pas moyen d’éluder sa sommation » (Thèse II) (ibid., p. 434).

46Pour l’historien, la remémoration ne se contente donc pas seulement d’évoquer un moment du passé, elle vise à le transformer. Grâce à elle, le temps historique cesse d’apparaître comme irréversible. Dans ce processus, il s’agit de déchiffrer les traces que le passé a laissées dans le présent : « Le passé a laissé de lui-même des images comparables à celles que la lumière imprime sur une plaque photosensible. Seul l’avenir possède des révélateurs assez actifs pour fouiller parfaitement de tels clichés » (ibid., p. 452).

47Benjamin propose ainsi une histoire où chaque moment du passé peut être réactualisé, rejoué dans d’autres conditions, sur une nouvelle scène. Le messianisme n’est pas conçu comme l’attente d’une apothéose qui se produirait au terme d’un temps linéaire et continu mais comme la possibilité donnée à chaque moment du temps, de l’avènement du nouveau.

48Cette nouvelle dialectique entre passé et présent permet donc aux insurgés et aux vaincus d’interrompre et de dynamiter le temps homogène et vide de l’histoire des vainqueurs et de passer ainsi comme une « boule de feu » ou un « fauve bondissant » par-dessus les temps (Berdet, 2014). Dans la Thèse XV, Benjamin rappelle que les ouvriers pendant le soulèvement de 1830 à Paris tiraient sur les horloges, montrant ainsi que l’interruption temporelle est nécessaire à toute révolution.

49Le haschich et les autres drogues peuvent contribuer à faire surgir des images dialectiques en faisant exploser la continuité historique et en facilitant les « sauts » hors de la temporalité homogène. Mais si les expériences avec les drogues se répètent et se pérennisent, les images risquent de s’arrêter définitivement et de perdre ainsi leur valeur d’alarme sans parvenir à liquider les tensions qu’elles contiennent. C’est l’expérience du lotos faite par les compagnons d’Ulysse. En mangeant du lotos, ils ont oublié leur passé : « Mes gens, ayant goûté à ce fruit doux comme le miel, / ne voulaient plus rentrer nous informer, / mais ne rêvaient que de rester parmi ce peuple / et, gorgés de lotus, ils en oubliaient le retour… » (IX, 94-7). Ulysse a dû les ramener de force, « les traîner aux vaisseaux et les attacher sous les bancs » (IX, 98-9). C’est d’autant plus dangereux que l’expérience du lotos est une issue possible pour les opprimés [8] dans une société de « vainqueurs », mais une issue qui impose l’abandon de la révolution et des luttes.

50L’oubli est donc redoutable parce que l’utopie dépend de la mémoire. Le mouvement dialectique ne doit pas s’interrompre trop longtemps. Après la destruction des idées des vainqueurs de l’histoire, puis la remémoration des souffrances passées et des rêves perdus, une troisième étape est indispensable pour relancer l’espoir des générations suivantes.

51En conclusion, même si le livre n’a jamais vu le jour, les écrits sur le haschich de Benjamin s’inscrivent dans une transmission intertextuelle commencée au XIXe siècle par Baudelaire et poursuivie ensuite par Henri Michaux après la Seconde Guerre mondiale. Ses expériences avec leurs protocoles préfigurent, en effet, celles d’Henri Michaux.

52Mais au-delà de leur intérêt littéraire, les expériences de Benjamin ont servi de véritable laboratoire pour sa méthode dialectique, fil conducteur de son œuvre. L’illumination la plus importante reste, toutefois, la pensée : « L’étude la plus passionnée de l’ivresse du hachisch ne nous apprendra pas sur la pensée (qui est un éminent narcotique) la moitié de ce que cette illumination profane qu’est la pensée nous apprend sur l’ivresse du haschich » (Benjamin, 1929, p. 131). L’ivresse doit rester une façon de jouer avec le monde et ne pas devenir une nouvelle aliénation sociale ou psychopathologique.

Bibliographie

Références

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Notes

  • [1]
    Trois orthographes sont possibles : haschisch, hachisch, haschich.
  • [2]
    Il ne s’agit pas ici de proposer une sémiologie de l’intoxication cannabique à travers les écrits de Benjamin. Ses écrits, comme Les Paradis artificiels, sont très différents, par exemple, du livre du psychiatre Moreau de Tours publié en 1845 où sont décrites les phases de l’ivresse cannabique après que l’auteur en a pris lui-même pour reproduire artificiellement la folie. Selon Michel Foucault, cela a été un des moyens pour la psychiatrie au XIXe siècle de faire exister la réalité de la maladie : « À ce fameux corps organique que les anatomo-pathologistes avaient devant eux et qui fait défaut à l’aliéniste, à ce corps, à ce sol d’évidence, à cette instance de vérification expérimentale qui fait défaut au psychiatre, le psychiatre va pouvoir substituer sa propre expérience » (Foucault, 1973-1974, p. 282).
  • [3]
    Dans sa lettre à Paul Demeny du 15 mai 1871, Rimbaud énonce son but et sa méthode : « Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant. Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit – et le suprême Savant ! – Car il arrive à l’inconnu ! » (Rimbaud, 1871, p. 348).
  • [4]
    À Paris, au XIXe siècle, le haschich se consommait sous forme de confiture, la plus connue étant le dawamesk, un mélange d’extraits gras de haschich, de sucre et de différentes épices (Baudelaire, 1860, p. 116).
  • [5]
    Milner (2000) souligne que Baudelaire change le titre de la partie consacrée au haschich quand Les Paradis artificiels sont sur le point d’être édités, et l’intitule Le Poème du hachisch. C’est un titre ambigu qui peut faire l’objet d’une lecture ironique mais n’indique-t-il pas aussi que ce texte est un véritable poème ?
  • [6]
    La même année que l’essai de Benjamin sur le surréalisme, Freud publie Le malaise dans la culture qui est resté pour la postérité le symbole de son pessimisme (André, 1995). La phrase finale ajoutée en 1931 pour la seconde édition le renforce encore plus : entre Eros et la pulsion de mort, « qui peut présumer du succès et de l’issue ? » (Freud, 1929, p. 89).
  • [7]
    La vision pessimiste de Benjamin lui permet d’apercevoir dès 1929 les catastrophes qui attendaient l’Europe parfaitement résumées par la phrase ironique : « Et confiance illimitée seulement dans l’I.G. Farben, et dans le perfectionnement pacifique de la Luftwaffe » (Benjamin, 1929, p. 132) même s’il ne pouvait pas, bien sûr, prévoir que l’I.G. Farben allait fabriquer le gaz utilisé par les nazis (Löwy, 1996).
  • [8]
    Horkheimer et Adorno le rappellent aussi : « Une telle idylle [avec le lotos], qui nous fait penser au bonheur que procurent les stupéfiants dont usent dans les systèmes sociaux figés les membres des couches opprimées afin d’être en mesure de supporter l’intolérable, est inadmissible pour les partisans d’une raison autoconservatrice » (Horkheimer et Adorno, 1974, p. 76).
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