Notes
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[2]
Le premier travail d’envergure en français sur la phénoménologie des expériences psychodysleptiques, dans la suite du travail de Georges Lanteri Laura sur les « Hallucinations », est l’ouvrage de Jean-Pierre Valla, L’expérience hallucinogène, édité en 1983.
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[3]
MDMA = méthyl-dioxy-meth-amphétamine, substance entactogène (ou empathogène) de la famille des phényléthylamines.
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[4]
La kétamine est un anesthésique, qui a la particularité de pouvoir être utilisé chez les sujets « fragiles » (enfants, personnes âgées), ou sur les champs de bataille, lorsque l’on n’a pas à disposition de matériel de réanimation, car il ne provoque pas de dépression respiratoire ou de risque sur le plan cardiaque. Par contre, les « réveils de kétamine » se caractérisent par des sensations de rêves éveillés, avec des éléments de délires et d’hallucinations. À des doses infra-anesthésiques, elle produit des impressions de « sortie hors du corps », et elle a été utilisée à partir des années 1980 comme une alternative aux drogues psychédéliques du type LSD, particulièrement par les membres des premières « tribus » techno (travellers).
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[5]
La mescaline est le principal alcaloïde psychédélique présent dans deux espèces de cactus, poussant en zone aride d’Amérique du Sud, les Peyotl (Lophophora Willliamsii) et les San Pedro (Trichocereus Pachanoi ou Echinopsis pachanoi) du Pérou.
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[6]
La psilocybine, avec la psilocine, sont les principaux alcaloïdes psychédéliques présents dans une espèce de champignons, les psilocybes.
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[7]
La DMT (dimethyltryptamine) est présente dans l’ayahuasca qui est une infusion composée de Psychotria viridis, contenant la DMT, et de la liane Banisteriopsi caapi, qui contient des enzymes (IMAO) ; ces deux substances entrent en interaction synergique permettant l’assimilation orale et digestive de la DMT, normalement détruite dans l’estomac par les sucs digestifs.
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[11]
Erika Dyck, Ph.D, est Professeur et titulaire de la Chaire d’histoire de la médecine à l’Université du Saskatchewan au Canada. Elle est l’auteure de Psychedelic Psychiatry: LSD from Clinic to Campus (2008).
- [12]
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[13]
Editorial, « End the Ban on Psychoactive Drug Research ». Scientific American, 2014, 310(2), 1-2, http://www.scientificamerican.com/article/end-the-ban-on-psychoactive-drug-research
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[14]
Classification produite en 1970 par la FDA (Controlled Substance Act), pour classer toutes les substances psychotropes en 4 catégories : I, II, III, et IV ; la Schedule 2 étant la catégorie des substances narcotiques ayant un « haut potentiel d’abus, et pouvant causer de sévères troubles psychologiques ou une pharmacodépendance physique ».
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- [20]
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[23]
https://jeanyvesnau.com/2016/05/17/champignons-hallucinogenes-et-therapeutiques-les-nouveaux-espoirs-psychedeliques/
https://www.sciencesetavenir.fr/sante/les-promesses-ambigues-de-la-medecine-psychedelique_15615
http://www.cite-sciences.fr/fr/ressources/science-actualites/detail/news/des-champignons-hallucinogenes-pour-lutter-contre-la-depression/?tx_news_pi1%5Bcontroller%5D=News&tx_news_pi1%5Baction%5D=detail&cHash=0b446ea41c50cbea912f9c7d5ead5263
http://www.cerveauetpsycho.fr/ewb_pages/a/article-le-pouvoir-therapeutique-des-drogues-psychedeliques-18861.php
https://www.psychoactif.org/forum/t22413-p1-Reportage-sur-les-hallucinogenes-therapeutiques.html
http://psypressuk.com/2016/02/08/the-science-of-treating-depression-with-ketamine - [24]
Où en étions-nous à la fin du siècle dernier ?
1Les travaux médico-psycho-pharmacologiques sur les hallucinogènes ont véritablement débuté dans l’immédiat après-guerre, avec les premières expérimentations sur le LSD par Albert Hofmann, son « inventeur », puis, par la suite, les premières observations faites sur les effets de la mescaline et de la psilocybine, avec, essentiellement, en Suisse Arthur Stoll (le co-créateur du LSD avec Albert Hofmann), son fils Werner Stoll et Ernst Rothlin, en Angleterre, R.A Sandison et deux psychanalystes londoniens, Joyce Martin et Pauline McCririck, aux États-Unis, Betty Eisner, Sydney Cohen, Aldous Huxley, Richard Yensen, Leo Hollister, Miron Stolaroff, Ralph Metzner, Harold Abramson, Lester Grinspoon et James Bakalar, au Canada, Humphry Osmond et Abraham Hoffer, en Tchécoslovaquie, Stanislas Grof, en Allemagne, Hanscarl Leuner, en Italie, Roberto Assagioli, Giberti et Gregoretti, et en Hollande, Jan Baastian, Arendsen-Hein et van Rhijn.
2Les « thérapies psychédéliques » étaient très répandues durant les années 1950-1960 et considérées comme des traitements sûrs, en dépit de la description de quelques effets indésirables, qui étaient considérés comme n’affectant qu’une proportion négligeable des sujets traités.
3Dans l’étude de Cohen (1960), le taux de complications, concernant 44 thérapeutes, avec 5 000 patients, et 25 000 administrations de LSD ou de mescaline, se chiffre à 0,04 % quant au risque suicidaire, 0,18 % quant au risque d’évolution psychotique de plus de 24 heures (une bouffée délirante aiguë de moins de 24 heures étant considérée comme un « effet indésirable » iatrogène lié au traitement, un « bad trip »).
4Dans l’étude de Malleson (1971), le taux de complications pour 4 300 patients et 49 500 administrations de LSD est de 0,07 % en ce qui concerne le risque suicidaire et de 0,9 % en ce qui concerne les évolutions psychotiques chroniques.
5Les différentes expériences thérapeutiques au siècle dernier se sont principalement développées avec des équipes travaillant autour des personnalités suivantes :
- Stanislas Grof (en Tchécoslovaquie puis aux États-Unis), qui pratiquait des « thérapies psychédéliques », avec de relativement fortes doses de LSD. Il avait commencé ses recherches en 1956 à l’Institut de recherches psychiatriques de Prague et les poursuivit jusqu’en 1967. Il émigra alors aux États-Unis et s’établit à Baltimore (Maryland) pour devenir chercheur et professeur de psychiatrie à l’université Johns-Hopkins. À la suite du Printemps de Prague (1968), il s’est installé aux États-Unis où, de 1967 à 1973, en qualité de chef de projet au Centre de recherches psychiatriques du Maryland, il poursuivit ses travaux sur le potentiel psychothérapeutique des états de conscience produits par l’utilisation du LSD dans un contexte approprié. Son travail portait en particulier sur certains types de population (toxicomanes, personnes en phases terminales, etc.). Son travail a toujours été en lien avec les théories psychodynamiques, non seulement de Sigmund Freud, mais également en relation avec le domaine périnatal (découvert par Otto Rank en 1924), rattaché aux expériences de naissance et de mort, et le domaine transpersonnel concernant les états non ordinaires de conscience, et l’inconscient collectif dans la lignée de Carl Gustav Jung.
- Oscar Janiger (à Los Angeles, États-Unis) ; ce psychiatre eut, entre autres, comme patients, Sydney Cohen, Alan Watts, Aldous Huxley, Anaïs Nin, Cary Grant et Jack Nicholson.
- Timothy Leary, avec Richard Alpert et Richard Metzner (aux États-Unis), utilisèrent très tôt le LSD, la mescaline et la psilocybine. Leary avait eu l’occasion, au Mexique, de consommer des champignons hallucinogènes contenant de la psilocybine ; cette expérience changera radicalement le cours de sa vie. En 1959, il a fait appel à Allen Ginsberg afin de participer au mouvement psychédélique naissant en expérimentant les effets du L.S.D. Dès son retour à Harvard en 1960, Leary s’est associé avec Richard Alpert (connu plus tard sous le nom de Ram Dass), et il entreprit, avec ses étudiants, des recherches sur les effets de la psilocybine, puis sur le LSD, psychotrope qui était alors fourni librement par les laboratoires Sandoz (sous le nom de Délysid).
6Il affirmait que le LSD, correctement dosé, de préférence avec les conseils d’un professionnel, pouvait changer radicalement le comportement. Ses recherches ont eu pour objectif de trouver, grâce à l’expansion de conscience, de meilleurs traitements pour l’alcoolisme, de réhabiliter les criminels et de dynamiser la libido. Plusieurs participants à ses recherches disent avoir vécu des expériences mystiques et spirituelles profondes, qui, prétendent-ils, ont changé leur vie d’une façon très positive.
- Sydney Cohen, qui, après avoir lui-même pratiqué des thérapies psychédéliques, devint un des principaux détracteurs de cette méthode, dénonçant particulièrement les « dérives mystiques » de certains de ses anciens collègues.
- Abraham Hoffer et Humphry Osmond travaillèrent, eux, au Canada, dès le début des années 1950, particulièrement avec les alcooliques.
- Hanscarl Leuner (à partir de 1955, en Allemagne) pratiquait, lui, des « thérapies psycholytiques » avec de relativement petites doses de LSD, qui conduisaient à des états de rêve-éveillé, facilitant les processus de catharsis émotionnelle.
7Les différentes indications des substances hallucinogènes, ainsi que l’histoire des pratiques en la matière, a fait l’objet en 1999, de deux numéros de la Revue Théma, revue documentaire du Réseau Toxibase, rédigés par notre équipe de la Mission Rave de Médecins du Monde, intitulés : « Les substances hallucinogènes et leurs usages thérapeutiques. Revue de la littérature ».
8Dix ans plus tard, un ouvrage intitulé La médecine psychédélique a été publié par un psychiatre lyonnais, Olivier Chambon, sur la même thématique.
9Cet ouvrage fait écho à deux ouvrages publiés à la même époque aux États-Unis, intitulés Psychedelic Medicine in the 21th century et Neuropsychedelia: The Revival of Hallucinogen Research since the Decade of the Brain.
10Ces travaux puisent abondamment sur les écrits, principalement américains, réalisés par les pionniers du monde psychédélique, qu’ils soient pharmacologues, botanistes ou historiens des plantes médicinales, ethnologues ou psychothérapeutes.
11Force est de constater qu’en France, sur le sujet, rien n’a été expérimenté depuis les années 1960, à l’époque où la France comptait quelques pionniers et découvreurs, en particulier des « champignons hallucinogènes » [1], et quelques expérimentateurs (Jean Delay et Claude Olievenstein).
12Toutes les expérimentations cliniques qui ont persisté au-delà de la promulgation des Conventions de New York sur les stupéfiants de 1961, qui interdisaient l’usage, même médical, des différentes plantes et composés chimiques de synthèse présentant des effets psychédéliques, hallucinogènes ou « psycholytiques », se sont produites essentiellement aux États-Unis, en Israël et dans certains pays d’Europe (Suisse, Pays-Bas, Angleterre…).
13La famille de substances regroupées sous les termes d’hallucinogènes est désormais désignée sous le terme générique de substance psychédélique.
14Mais d’autres termes (psycholytique, psychodysleptique, psychomimétique, délirogène, entactogène…) ont été utilisés au cours de l’histoire, et se réfèrent à un angle particulier d’observation des effets de ces substances dites « hallucinogènes ».
- Substance hallucinogène : il s’agit du terme le plus couramment utilisé dans la littérature psychiatrique concernant ces substances. Pour Hoffer et Osmond, le terme d’hallucinogène n’est pas satisfaisant, car « il met l’accent sur l’élément perceptuel de la réponse à ces drogues » ; les hallucinogènes étant censés induire exclusivement des hallucinations, au sens d’illusions de perceptions, de perceptions imaginaires sans objet réel. Les hallucinogènes sont donc précisément « des composés chimiques qui à des doses non toxiques, entraînent des modifications des perceptions, du cours de la pensée et de l’humeur, mais rarement de la confusion mentale, des troubles de la mémoire, ou une désorientation à l’égard des personnes, de l’espace et du temps ».
- Substance délirogène, utilisée pour les substances induisant, au contraire des hallucinogènes, plutôt une confusion mentale importante, avec perte massive du rapport à la réalité, désorientation spatio-temporelle et troubles mnésiques (cet effet est typique des glycolates naturels (datura, belladone – atropine, scopolamine, hyosciamine…) et synthétiques (trihexyphénidyl – Artane)).
- Substance psychédélique : le terme a été inventé en 1956 par le psychiatre anglais Humphry Osmond (1917-2004), dans un échange de lettres avec Aldous Huxley. Alors qu’ils cherchaient tous les deux comment désigner ces substances (le LSD et la mescaline) dont ils découvraient les effets sur le psychisme, Huxley, en réponse à une proposition d’Osmond qu’il n’avait pas comprise, avait, à partir de deux mots grecs anciens (le verbe phaneroen et le nom thymos), forgé le terme phanérothyme qui peut se traduire par « qui rend l’âme visible, manifeste ».
- Substance psychodysleptique : terme proposé en 1959 par le psychiatre français Jean Delay, un des « pères » de la psychiatrie française moderne, qui le définit de la façon suivante : « Dans ce groupe rentrent toutes les substances qui perturbent l’activité mentale et engendrent une déviation délirante du jugement avec distorsion dans l’appréciation des valeurs de la réalité. Ces drogues sont génératrices d’hallucinations ou d’illusions, d’états oniriques ou oniroïdes, d’états de confusion ou de dépersonnalisation […] ces drogues sont susceptibles de reproduire le fait le plus caractéristique de l’aliénation, celui que les Anciens identifiaient à la “folie” elle-même, c’est-à-dire le délire (de de lira, sortir du sillon). »
- Substance psycholytique : substances provoquant une modification des fonctionnements psychologiques habituels, entraînant par voie de conséquence des modifications « spontanées » des patterns de comportement, et une réorganisation des émotions et du cours de la pensée. C’est le terme que les « thérapeutes psychédéliques » californiens des années 1970 ont utilisé dans le cadre des psychothérapies médicalement assistées par ces substances.
- Substance psychotomimétique ou psychomimétique : substances pouvant entraîner un état psychotique temporaire et artificiel.
- Substance entactogène ou empathogène : terme employé pour certaines substances, en particulier les phényléthylamines de la famille de l’ecstasy (MDA, MDEA, MDMA, MBDB…), améliorant chez de nombreux sujets la capacité à entrer en relation avec les autres (empathie), et à atteindre pour soi-même à un état de sérénité. L’euphorie provoquée est également caractéristique et se rapproche de celle induite par les champignons hallucinogènes de la famille des psilocybes (contenant des tryptamines). Le terme d’entactogène a été défini au début des années 1980 par Alexander Shulgin et David Nichols deux chimistes américains, comme le fait de « produire un contact avec son propre corps ».
Les « vertus » thérapeutiques des hallucinogènes
15Les « vertus » ou capacités thérapeutiques des hallucinogènes sont donc reconnues de longue date, et apparaissent déjà dans de nombreuses « mythologies » de civilisations disparues, dans le champ de ce qui est appelé aujourd’hui la « médecine chamanique ».
16Ce n’est qu’au milieu du 20e siècle, à la fin des années 1940, à partir de la découverte du Lysergique Saur di-ethylamid, le diéthylamide de l’acide lysergique (LSD) par le Dr Hofmann, le chimiste suisse des laboratoires Sandoz, que la psychiatrie s’est mise à utiliser ces substances dites « psychédéliques », « psycholytiques », entheogènes et entactogènes, pour « faciliter » les psychothérapies, en « ouvrant le champ de la conscience », de par leurs effets neurobiologiques et psychopharmacologiques spécifiques, au travers de leurs interactions avec les différents systèmes de neuromédiateurs cérébraux (récepteurs de la dopamine, de la sérotonine, de l’adrénaline, des anandamides et autres cannabinoïdes, des enképhalines et endorphines et autres opioïdes endogènes, de la NMDA…).
17Selon le dosage, les circonstances de la consommation, la structure de la personnalité et la « disposition psychique » du moment (ce qu’on appelle le « set and setting »), les substances psychédéliques peuvent causer des modifications profondes de la conscience et de la perception de l’espace et du temps. Ils peuvent également provoquer un « dérèglement positif du moi » (expériences mystiques) : loquacité accrue, franchise ; expérience de transe et expérience religieuse/mystique, expérience de l’extase ; concentration méditative.
18Les psychédéliques ont la capacité de dissocier l’ego de la personnalité, ainsi que de stimuler les perceptions. Comme notre cerveau se modifie en fonction des expériences émotionnelles et cognitives que nous vivons, une expérience psychédélique dans un cadre optimal permet une transformation intérieure positive. Ce sont des substances qui permettent un élargissement et un approfondissement de la conscience humaine. Ils agissent en favorisant le fonctionnement de certains circuits cérébraux, qui normalement sont inhibés.
19En dépit des différences théoriques et pratiques que l’on peut repérer en fonction des auteurs, concernant les approches thérapeutiques psychédéliques, il existe un certain nombre de conclusions communes. Elles constituent les paramètres fondamentaux des « psychothérapies assistées par les psychédéliques » et différencient nettement l’usage de ces substances des celles des autres drogues psychotropes, comme les antidépresseurs, les psychostimulants, les anesthésiques, les narcotiques et les tranquillisants par exemple [2].
20Selon Metzner (1998) :
- « Il est reconnu que les psychothérapies avec hallucinogènes provoquent une expérience contenant une profonde expansion de la conscience (“état modifié de conscience”), au travers de laquelle l’individu ne gagne pas seulement en termes d’insight thérapeutique vis-à-vis de sa dynamique émotionnelle et névrotique, et en termes de modifications comportementales, mais aussi, que cette expérience provoque un questionnement sur sa propre vision de la nature de la réalité, en transcendant ses propres conceptions existentielles. »
- « Il est couramment accepté dans ce champ, que le concept de “set and setting” est le déterminant le plus important de l’expérience psychédélique, au cours de laquelle la drogue joue le rôle de catalyseur ou de gâchette. »
L’hypothèse du « set and setting » consiste à penser que les déterminants les plus importants sont le positionnement psychique interne (motivation, attente, intentionnalité, projet…), et l’environnement externe, le contexte, y compris la présence d’un (ou de 2) thérapeute(s), d’un « guide », ou d’un « passeur ».
« Cette hypothèse peut d’ailleurs être étendue à l’ensemble des autres expériences entraînant des états modifiés de conscience sans drogue (hypnose, méditation, transes, isolation sensorielle…). » - Toujours selon Metzner, « deux analogies ou métaphores pour ce type d’expérience ont été évoquées de manière répétitive, par les différents auteurs du paradigme psychédélique. La première est “l’analogie de l’amplificateur”, qui accorde à la drogue la fonction d’un amplificateur non spécifique des contenus psychiques […]. La deuxième analogie est la “métaphore du microscope”, qui suppose que les psychédéliques pourraient jouer le même rôle que celui que le microscope joue en biologie, à savoir ouvrir directement sur des observations reproductibles et vérifiables concernant des contenus et des processus psychiques qui sont habituellement inaccessibles. »
- « Toujours en rupture vis-à-vis de l’usage habituel des autres substances psychoactives en psychiatrie, il est généralement reconnu que l’expérience personnelle du thérapeute ou du “guide” est un pré-requis essentiel d’une psychothérapie psychédélique effective. Sans cette expérience préalable, la communication entre le thérapeute et le sujet dans un état psychédélique est sévèrement limitée. Ce principe entraîne par voie de conséquence que l’un des paramètres importants de l’expérience psychédélique est l’expertise du thérapeute. La grande majorité des thérapeutes psycholytiques ou psychédéliques ne consomme bien sûr pas la drogue en même temps que le patient. »
- « Un accès à une dimension transcendantale, religieuse ou transpersonnelle de la conscience peut ainsi être atteint. Cette expérience mystique et spirituelle se produit très souvent avec l’usage des psychédéliques, et cela a été reconnu très tôt par la plupart des chercheurs dans ce domaine, et cela constitue à la fois un challenge, et une ouverture pour les professions et les disciplines du champ psychologique.
Albert Hofmann a indiqué que cette capacité à reconnaître les propriétés psycholytiques de l’expérience du LSD était basée sur sa similarité avec la famille des expériences mystiques naturelles. »
21De façon beaucoup plus discrète, dans la dernière décennie du siècle dernier, dans plusieurs pays, des expérimentations cliniques se sont poursuivies et ces expériences ont intéressé l’usage d’ecstasy (MDMA [3]), de cannabis, de kétamine [4], de mescaline [5], de tryptamines (psilocybine [6], ibogaïne, ayahuasca [7]), et de LSD, retrouvant progressivement les usages courants dans les années 1950 et 1960, interrompus au début des années 1960, et qui, pour certaines, avaient persisté en Suisse dans les années 1980.
22La plupart des différentes expérimentations cliniques, qui vont reprendre à la fin du siècle dernier aux États-Unis (à partir de 1994) ont reçu le soutien d’une association internationale, la MAPS ou Multidisciplinary Association on Psychedelic Studies [8] basée en Californie, puis celui du Heffter Research Institut [9] (fondé en 1993 par le Prof. David E. Nichols et Dennis J. McKenna au Nouveau-Mexique) ou encore, de la fondation anglaise The Beckley Foundation [10].
23Si l’on revisite les recherches du siècle dernier, il faut citer, à partir de 1985, les expérimentations d’Howard Lotsof, qui commença, à cette époque, à utiliser l’Ibogaïne pour aider à la prise en charge des désintoxications des toxicomanies à l’héroïne et autres opiacés.
24L’ibogaïne (12-methoxyibogamine, C20H26N2O) est l’un des 12 alcaloïdes détectés dans les racines du Tabernanthe Iboga, ou eboka, un arbuste hallucinogène d’Afrique équatoriale. Elle est utilisée en particulier au Gabon, à haute dose, pendant la cérémonie d’admission à la société initiatique du Bwiti, ainsi que lors de rites religieux, et au cours de pratiques de médecine traditionnelle.
25Il s’agit donc d’une tryptamine, proche de la psilocine et de la psilocybine (présentes dans les différentes espèces de champignons hallucinogènes connus sous le terme générique de psilocybes), et de la diméthyltryptamine (DMT), que l’on retrouve également dans l’ayahuasca.
26C’est un hallucinogène à forte dose (onirophrénique), et plutôt un psychostimulant à faible dose, dont l’utilisation courante est plus proche de celle de la coca ou du khat. Ce fut, à la veille de la Première Guerre mondiale, un médicament antifatigue, stimulant et antidépresseur en vogue, sous l’appellation de « tablettes de Lambaréné ». Il fut même largement utilisé comme dopant chez les alpinistes, les cyclistes et les coureurs de fond, jusqu’en 1966.
27Les premières études pharmacodynamiques sur cette plante ont été menées en France, au Muséum d’histoire naturelle, entre 1864 et 1905 pour la première période, puis entre 1950 et 1970 lorsque Robert Goutarel l’a « redécouverte » et étudiée au laboratoire de physiologie végétale du CNRS à Gif-sur-Yvette.
28Les recherches sur l’activité « anti-addictive » de l’ibogaïne ont débuté en 1962, avec Howard Lotsof et Timothy Leary, à New York, puis l’ibogaïne a été interdite aux États-Unis en 1968.
29Le psychiatre et anthropologue équatorien Claudio Naranjo avait également, en 1969, obtenu une licence française (l’ibogaïne avait été découverte au Gabon dans les années 1930 par le docteur Albert Schweitzer) pour l’utilisation de l’ibogaïne en psychothérapie. Ce n’est qu’en 1985 que Lotsof obtient une licence américaine dans le traitement de la dépendance aux opiacés.
30Il s’agit là, de façon similaire à l’ayahuasca avec les recherches de Jacques Mabit au Pérou, de Grob, Callaway et MacKenna au Brésil et aux États-Unis, d’un exemple de l’utilisation « moderne » d’une plante « traditionnelle ». On se retrouve également avec l’ibogaïne, dans une situation proche de celle qui prévalait dans les années 1960 aux États-Unis avec la mescaline de synthèse, par ailleurs le principe actif du peyotl.
31Une des différences consiste dans le fait que les propositions d’usage thérapeutique s’appuient moins sur les travaux des ethnologues décrivant les usages traditionnels, que sur des données neurophysiologiques et pharmacologiques les plus récentes, pouvant expliquer, si ce n’est justifier, la dimension biologique des capacités thérapeutiques de la substance.
32Dzoljic et al. (1988), aux Pays-Bas, furent les premiers chercheurs à publier sur les capacités de l’ibogaïne à atténuer le syndrome de sevrage des opiacés. Puis ce fut au tour de l’équipe de Stanley D. Glick (1992), de l’Albany Medical Collège aux États-Unis, de publier une recherche originale et un état des lieux concernant l’atténuation du syndrome de sevrage par l’ibogaïne.
33Les publications se sont multipliées depuis, et deux conférences internationales ont été organisées sur les traitements par l’ibogaïne, la première lors de la conférence de l’International Council on Alcohol and Addiction à Amsterdam en juillet 1996, et la deuxième à New York en novembre 1999.
34Sur le plan neurobiologique, l’ibogaïne bloque la stimulation de la dopamine mésolimbique et striatale, induite par la morphine et par la cocaïne entre autres. Le récepteur cérébral à NMDA (N-methyl- D-aspartate) semble être impliqué dans cette base biologique des phénomènes addictifs, et ce, en ce qui concerne une grande variété de substances, y compris l’alcool, les opiacés et la cocaïne.
35Ces recherches suggèrent que l’ibogaïne est un antagoniste des récepteurs NMDA, ce qui pourrait expliquer ses propriétés « anti-addictives », démontrées chez les rongeurs, qui voient leur capacité d’auto-administration de cocaïne diminuer de 40 à 60 % après une seule prise d’ibogaïne, et de 60 à 80 % après des prises répétées à une semaine d’intervalle. Cette diminution persiste durant plusieurs semaines.
36Au vu de ces recherches, le National Institute of Drug Abuse américain a ajouté l’ibogaïne à la liste des substances dont l’activité, dans le traitement de la dépendance aux stupéfiants, doit être examinée. Il participe au financement de telles recherches par ailleurs soutenues par le MAPS.
37Après les premières expérimentations par Howard S. Lotsof sur lui-même en 1962-1963, et le dépôt de brevets par le même Lotsof dans les indications de sevrage des différentes substances addictives, d’autres recherches ont été menées chez l’humain, afin de vérifier l’efficacité de cette substance dans le cadre de la prise en charge des toxicomanies « lourdes », à la fois en Hollande (Simon G. Sheppard, à partir de 1989) et aux États-Unis (études de phase I, sur des volontaires sains, à l’Université de Médecine de Miami, Mash et coll.).
38Sheppard observe pour sa part des résultats mitigés : il ne pense pas que l’emploi de l’ibogaïne améliore fondamentalement la prise en charge des cocaïnomanes (quant à la permanence d’une interruption des pratiques addictives), mais il pense que ces effets sont intéressants dans le cadre de la prise en charge médicale du sevrage des opiacés, et que son utilisation facilite le travail psychothérapeutique lors du sevrage. L’expérimentation a été interrompue en Hollande, alors que trois des patientes sont mortes en cours de traitement, sans que la cause du décès ne soit imputée à l’ibogaïne.
39Les études de phase II, avec des toxicomanes, ont débuté au début des années 1990, aux États-Unis à l’Université de Miami. Une étude semblable était également en cours à l’Université Ben Gourion du Négev (Dr. Moshe Kotler) à la fin des années 1990.
40À la même époque, à partir de 1988, des psychothérapeutes suisses de pratique privée, autour de Peter Gasser, bénéficièrent d’une autorisation de l’Office fédéral suisse de la Santé publique, pour poursuivre, après l’interdiction de la MDMA en 1986, des thérapies assistées avec de la MDMA et du LSD.
41Mais ce ne fut qu’à partir de 1994, que l’utilisation de substances psychédéliques et entactogènes de synthèses a véritablement repris : l’équipe de Charles Grob (UCLA) a en effet démarré cette année-là l’utilisation, dans le cadre universitaire, des substances psychédéliques, avec la MDMA, dans la prise en charge thérapeutique des troubles psychiques post traumatiques (PTSD), ainsi que dans l’accompagnement « à la fin de vie » ; suivirent ensuite les travaux de l’équipe de Michael Mithofer en Floride, puis les essais cliniques de Jordi Cami en Espagne, et de Moshe Kotler en Israël, sponsorisés par le MAPS.
42En Russie également, les substances hallucinogènes ont été utilisées de nouveau au cours des années 1990 : il s’agissait essentiellement des traitements avec la kétamine, mis en place par Evgueni Krupitsky à Saint-Pétersbourg, dans le cadre de la prise en charge des addictions (alcool et héroïne).
La recherche reprend
43Erika Dyck [11], Ph.D., décrit très bien, dans le dernier numéro de la Revue du MAPS [12], ce « revival » :
« En février 2014, le Scientific American a choqué ses lecteurs avec un éditorial intitulé “Pour en finir avec l’interdiction de la recherche sur les drogues psychédéliques” [13]. L’article critiquait la faillite de l’industrie chimique en psychiatrie biologique, incapable de produire de nouveaux traitements, pratiquement depuis “l’âge d’or” des années 1950, et étrillait les politiciens chargés de la régulation de l’usage des drogues, pour avoir interdit les drogues psychédéliques comme le LSD, l’ecstasy et la psilocybine, drogues qui avaient pourtant très tôt été considérées comme recelant des capacités thérapeutiques indéniables, mais qui avaient été désignées comme “drogues d’abus” et interdites. »
45L’éditorial de cette revue pointait le fait que cette situation avait produit un paradoxe : « Ces drogues sont interdites parce qu’elles n’ont pas de “vertus thérapeutiques” officiellement reconnues, mais les chercheurs ne peuvent justement pas explorer leurs éventuelles potentialités thérapeutiques du fait de cette interdiction… Ce hiatus de plusieurs décennies a “coûté très cher” [The decades-long research hiatus has taken its toll]. »
46Pour qu’il n’y ait aucune confusion, les éditorialistes poursuivaient ainsi : « C’est une honte, le gouvernement américain doit requalifier ces drogues dans une catégorie moins stricte que celle de la Schedule II [14]… il serait alors beaucoup plus facile pour les chercheurs et cliniciens d’étudier leurs effets. »
47Ils en arrivèrent à la conclusion qu’il fallait focaliser l’attention du public et des scientifiques vers une progressive affirmation autant chez les chercheurs que chez les politiques chargés de la régulation des drogues, que le potentiel thérapeutique de ces drogues a été nié et rejeté du fait de la « panique morale » produite sur la question des drogues.
48Comme l’écrit le psychopharmacologue anglais David J. Nutt, « nombre de ces drogues psychédéliques ont des potentialités thérapeutiques inexplorées, du fait que, aussi bien les laboratoires, que les services de recherche clinique ont été de ce fait empêchés de prendre des mesures pour explorer leur potentiel scientifique ».
49Le même professeur David Nutt, psychiatre et neuropsychopharmacologue, expert mondialement reconnu en addictologie (qui avait été « débarqué » en 2009 de la direction de la Commission anglaise de réflexion sur l’Abus des drogues (The Advisory Council on the Misuse of Drugs, équivalent anglais de notre DGLDT, devenue MILDT puis MILDECA), pour avoir déclaré dans une conférence que « prendre un comprimé d’ecstasy lors d’un week-end était moins dangereux que de faire de l’équitation ») s’est ainsi récemment exprimé publiquement dans l’Independent : « Lorsque je serai au stade terminal de la maladie, je prendrai du LSD [15]. »
50En ce qui concerne la France, il convient de citer, les tentatives d’utilisation de l’Ayahuasca, dans des pratiques inspirés des guérisseurs chamaniques sud-américains, par une Association dénommée La Maison qui chante (reprenant les traitements pour les pathologies addictives mises en œuvre au Centre Takiwasi [16] au Pérou, par le Dr Jacques Mabit, depuis les années 1990).
51Mais cette association a dû faire face dès ses « premiers pas », en 2002, à des attaques judiciaires pour infraction à la législation sur les stupéfiants, et pratique sectaire [17]. Cette association, et ses thérapeutes, suite à une mobilisation médicale internationale, ont été relaxés en 2005.
52Ces dernières années, à notre connaissance, les seules publications évoquant en France l’usage thérapeutique des « hallucinogènes », concernaient l’usage chamanique des substances psychédéliques et ont été rédigées par Chambon, auteur de l’ouvrage La médecine psychédélique précédemment cité, ou par d’autres chercheurs, essentiellement en ethno-botanique.
Les dernières avancées de la recherche
53Mais, les recherches et expérimentations sur l’ensemble des substances psychédéliques se poursuivent de façon croissante [18] et resituent l’intérêt de ces produits en psychiatrie, poursuivant en cela les travaux des pionniers des années 1960, et le travail du MAPS depuis les années 1980 :
- Aussi bien, les travaux de neurobiologie menés par l’équipe de Franz Vollenweider et M.E. Liechti en Suisse, à l’Université de Bale.
- Qu’une nouvelle dynamique en Angleterre tant sur le plan de la recherche fondamentale en neurobiologie et neuro-imagerie [19], que sur les applications thérapeutiques, autour de Ben Sessa, David Nutt et Robin L. Carhart-Harris.
- Les travaux de l’équipe de Torsten Passie et John Halpern aux États-Unis.
- Ceux de Richard Yensen à Vancouver au Canada.
- Ceux de l’équipe d’Euphrosyne Gouzoulis-Mayfrank, de l’Université de Cologne en Allemagne.
- Ceux de Jordi Riba en Espagne, à l’Université de Barcelone, sur les effets neurophysiologiques de l’ayahuasca.
- Les travaux de Rick Strassman aux États-Unis sur les tryptamines.
54Albert Garcia-Romeu (John Hopkins University School of Medecine) et Peter Addy (Yale University School of Medecine), avec le financement du Heffter Research Institute, ont récemment réalisé (2016), pour l’American Psychological Association, une nouvelle « Revue de la littérature », un « State of the Art » réactualisé, une recension des applications cliniques sur les Hallucinogènes.
55Les polémiques quant à la dangerosité de ces substances, manifestement plus liées à des considérations politiques organisées autour d’un maintien de la politique prohibitionniste en usage depuis 1961, sont ainsi « bousculées » par toutes les études axant le regard sur les hallucinogènes, non plus sur ces dangers potentiels, mais sur ses capacités thérapeutiques, et la démonstration de leur innocuité, lorsqu’ils sont consommés dans des protocoles de recherche ou des essais thérapeutiques bien encadrés, en opposition avec un usage « sauvage » de masse.
56La démonstration de l’innocuité de ces substances conforte les études de « follow-up » réalisées vis-à-vis des essais thérapeutiques réalisés dans les années 1960, et les analyses historiques et épistémologiques effectuées sur la littérature exhumée du siècle dernier.
57En Norvège, une étude récente (Johansen et Krebs, 2015) met en avant l’absence de lien entre l’usage de substances psychédéliques, et les pathologies mentales et les comportements suicidaires.
58Les substances concernées par ce « revival », sont principalement :
59Le LSD, qui a donc été utilisé dès les années 1950 comme adjuvant dans les psychothérapies ; trois études de follow-up ont été menées il y a quelques années afin d’évaluer les résultats à long terme des thérapies au LSD menées en Hollande (1950-1980) par Jan Bastiaans (à l’époque, président de l’Association des psychanalystes néerlandais), avec des survivants des camps de concentration, et par Timothy Leary et Oscar Janiger, à Los Angeles (1954-1962). Ces études montrent l’intérêt indéniable à long terme de ces traitements, pour une fraction significative des sujets interviewés (qui ont aujourd’hui pour la plupart plus de 70 ans), et l’absence quasi totale d’effets secondaires indésirables, même chez des patients ayant présenté des troubles sévères.
60D’après Robin Carhart-Harris, leader de l’étude de neuro-imagerie fonctionnelle, qui initie clairement le renouveau des études scientifiques sur les substances psychédéliques : « Avec le LSD, les réseaux neuronaux perdent en partie leur intégrité. Les systèmes cérébraux deviennent moins ségrégés, et les différents réseaux commencent à se fondre les uns dans les autres. Globalement, le cerveau devient plus connecté, et il opère de manière plus flexible. »
« Le phénomène est souvent accompagné d’intuitions nouvelles à propos de nous-mêmes, de notre parcours, de nos relations avec les autres et avec le monde en général. En fait, cela va main dans la main avec des sentiments de nature spirituelle et mystique. »
62Ces expériences extrêmement intimes, aboutissent souvent à une appréhension plus sereine de la mort, ce qui rend le LSD utile pour soulager certains patients en fin de vie, et ce sont elles qui justifient l’emploi du terme « entheogène », (qui « rapproche du divin ») pour qualifier l’action des psychédéliques, là où des drogues plus superficielles comme la MDMA sont simplement qualifiées d’empathogènes (qui « rapproche d’autrui »).
63La MDMA ou ecstasy : différentes études cliniques sont menées actuellement : l’équipe de Ben Sessa et David Nutt en Angleterre, l’équipe de Charles Grob à l’UCLA en Californie, l’équipe de John Halpern et Michael Mithoefer à Charleston (Caroline du Sud), depuis la fin des années 1990, et l’essentiel de ces études concernent la prise en charge des troubles psychotraumatiques (PTSD). Elles sont pour plusieurs d’entre elles, subventionnées par la MAPS.
64Pour Michael Mithoefer, l’intérêt de la MDMA est qu’elle « semble augmenter la probabilité que les participants seront en mesure de traiter leurs peurs, sans se retirer émotionnellement ou physiquement de l’alliance thérapeutique ».
65En Espagne, dans le courant des années 2000, les obstacles « politiques » ont été tels que les travaux menés par le Professeur de psychiatrie Jordi Cami, lancés dans le contexte difficile des attentats de Madrid, ont été mis en sommeil. En Israël les travaux de Moshe Kotler de l’Université de Tel-Aviv se sont poursuivis lentement, et ce n’est qu’en 2017 qu’a été inclus le premier patient. Au Canada, à l’Université de Colombie-Britannique, des essais cliniques sont également en cours avec des vétérans de la guerre d’Irak, depuis 2015 [20].
66Le cannabis : il existe beaucoup d’indications possibles du cannabis à des fins thérapeutiques, en particulier en psychiatrie pour ses propriétés myorelaxantes, antispasmodiques, anxiolytiques, et antidépressives. Rares, il est vrai, sont les études contrôlées qui permettent de valider scientifiquement ces indications. Mais, comme le notaient déjà Grinspoon et Bakalar en 1993, « la situation est paradoxale. On en sait plus sur les effets indésirables et sur les vertus thérapeutiques de la marijuana que sur la plupart des médicaments vendus sur ordonnance. Le cannabis a été testé par des millions de gens depuis des milliers d’années, il a été étudié à l’occasion de centaines d’expériences commanditées par notre propre gouvernement au cours des trente dernières années. C’est l’une des substances à usage médical les plus anciennes que l’humanité ait connue, l’une des plus sûres et des plus efficaces. Et pourtant, la FDA (Food and Drug Administration) est tenue par la loi de la considérer comme un “nouveau médicament” et exige les mêmes essais que s’il s’agissait d’une substance absolument inconnue de tous. »
67Le fait marquant de ce siècle a été le développement, dans la plupart des pays développés, des thérapeutiques avec des cannabinoïdes naturels (phytocannabinoides) ou de synthèse ; celles-ci se sont développées de façon de plus en plus importante à partir des années 2010. En France, en 2014, les autorités sanitaires ont accordé une AMM pour le Sativex (spécialité pharmaceutique GW Pharma, composée de THC + CBD extrait du cannabis) « dans le traitement des symptômes liés à une spasticité due à une sclérose en plaques » ; mais des obstacles liés au faible nombre d’autorisations de traitement, et au coût de la prise en charge du remboursement par la caisse d’assurance maladie, n’ont pas permis le développement de ce traitement, à l’inverse de ce qui se passe dans la plupart des pays d’Europe, aux USA, au Canada, en Israël et ailleurs…
68En ce qui concerne l’utilisation du Cannabis thérapeutique (en dehors de ses applications en médecine somatique), les travaux les plus importants ont été entrepris par différentes équipes américaines dans le cadre de la prise en charge thérapeutique des PTSD des vétérans des guerres américaines au Moyen-Orient [21]. Ces études ont débuté officiellement en novembre 2009 : Rick Doblin, président de la MAPS, les Dr Julie Holland et Michael Mithoefer, et les Dr Sue Sisley et Marcel Bonn-Miller du Scottsdale Research Institute de Phoenix, dans l’Arizona, ont travaillé, avec l’accord de la Food and Drugs Administration (FDA), sur un protocole de recherche pour utiliser de la marijuana pour traiter les troubles chroniques du PTSD chez des anciens soldats des Guerres du Golfe ; en 2016 le premier programme de traitement officiel a pu démarrer, avec de la marijuana fournie par le National Institute on Drug Abuse (NIDA). Les premiers participants à cette étude ont été « enrôlés » à partir de février 2017 ; 18 des 76 participants prévus dans cette étude étaient inclus dans le programme de traitement au 1er juin 2017 [22].
69Sur le plan de la recherche, ces dernières années ont également vu une recrudescence des travaux publiés dans des revues scientifiques sur l’usage de la kétamine et la psilocybine dans les dépressions « résistantes », a fait l’objet de nombreux articles de presse, y compris en France [23].
70D’autres programmes d’études cliniques ont pour objectif les migraines, en ciblant essentiellement le cannabis et les dérivés de l’ergot de seigle (LSD et LSA).
71D’autres universités développent des essais cliniques en direction de l’anxiété et plus particulièrement, dans le cadre des protocoles compassionnels (aide à la fin de vie) : Charles Grob et John Halpern, aux États-Unis, ont expérimenté successivement, la MDMA, le LSD, et la psilocybine. Des études sur l’utilisation thérapeutique du LSD, toujours aux États-Unis, avec Richard Yensen et Donna Dryer tentent d’obtenir de la FDA la permission d’administrer du LSD, dans une approche psychodynamique du traitement des cancéreux en fin de vie. L’équipe de Roland Griffiths, de la Johns Hopkins University School of Medicine de Baltimore, États-Unis, conduit également des travaux sur l’utilisation de la psilocybine en fin de vie. Peter Gasser, en Suisse, qui a poursuivi ses traitements avec l’ecstasy et le LSD depuis la fin des années 1980, a également utilisé le LSD comme « adjuvant » au travail psychothérapique avec des patients atteints de maladies graves.
72Une dimension importante du retour des substances psychédéliques en thérapeutique concerne la prise en charge des addictions : d’une part, l’alcoolisme, qui fit l’objet de prises en charge dès les années 1950 avec le LSD, et dans les années 1990, avec la kétamine (cf. les travaux de Krupitski et collègues à Saint-Pétersbourg), et les toxicodépendances (alcool et opiacés) avec l’Ibogaïne depuis les années 1970 (cf. plus haut) ; de nouvelles expérimentations sont relatées dans des publications de 2017, par l’équipe de G. Noller en Nouvelle-Zélande (où l’ibogaïne est légale dans des usages thérapeutiques, comme au Brésil et en Afrique du Sud), et par K. Alper (de l’Université de médecine de New York), et T. K. Brown (de l’Université de San Diego en Californie), dans une clinique de Mexico, ainsi qu’avec la psilocybine, par l’équipe de R. J. Strassman.
73Une récente revue des essais cliniques (151) menés ces 25 dernières années (de 1990 à 2015), avec l’ayahuasca, la psilocybine et le LSD, recensés dans des revues à « Comité de lecture », montre l’efficacité bien réelle de ces thérapeutiques, avec des capacités antidépressives, anxiolytiques et anti-addictives, l’absence d’effets indésirables inquiétants, et une bonne tolérance pour les patients (Dos Santos, Osorio, Grippa, Riba et coll., 2016).
74Enfin, les psychoses sont elles aussi concernées par ces recherches : non seulement, dans la perspective d’une meilleure compréhension neurobiologique des phénomènes psychotiques, délires et hallucinations (« psychose models »), mais aussi dans le cadre du traitement des formes de maladies mentales résistantes aux traitements actuels.
75Dès les années 1960, plusieurs équipes de chercheurs avaient tenté de soigner des enfants présentant des troubles autistiques majeurs, à défaut de tout autre traitement efficace avec le LSD ; plusieurs rapports de recherches cliniques avaient fait état, sous une forme narrative et « d’études de cas », de résultats positifs ; puis la recherche s’est arrêtée dans ce domaine, durant un demi-siècle pour reprendre ponctuellement ces dernières années, avec la MDMA. Dans le champ des schizophrénies, les travaux menés par le Pr Antonio Zuardi au Brésil, utilisant le cannabidiol dans le traitement des « schizophrénies résistantes » sont riches d’avenir, même si, dans cette occurrence, c’est l’action pharmacologique qui est clairement et exclusivement recherchée, et que la substance n’est pas, dans ce cas, un support à la psychothérapie.
Conclusion
76Il semble bien, depuis quelques années, que les « blocages » psychologiques empêchant la crédibilisation des recherches sur les substances psychédéliques soient enfin levés, permettant à des équipes universitaires de bénéficier de fonds, la plupart du temps privés, délivrés par de grandes fondations internationales, et représentant de fortes sommes (1,3 million de Livres pour l’équipe du Dr Ben Sessa en Angleterre, par exemple), à même de pouvoir financer des recherches reprenant les critères scientifiques modernes.
77On assiste également, à l’orée de ce siècle, à la reprise d’une certaine vulgarisation autour des drogues psychédéliques, au-delà du revival psychédélique de la culture techno, qui avait pourtant elle-même participé, durant les années 1990-2000, à freiner les recherches sur l’ecstasy.
78Ce retour de l’intérêt pour les substances hallucinogènes semble avoir plusieurs sources : d’une part, les avancées des neurosciences et le fait que les chercheurs redécouvrent l’intérêt des substances psychédéliques pour « explorer le psychisme », parallèlement au « désintérêt », depuis maintenant deux décennies, de l’industrie pharmaceutique pour les médicaments psychiatriques, rendant encore plus nécessaires les avancées en chimiothérapie psychédélique, et, d’autre part, un large intérêt dans la société pour le chamanisme et les états modifiés de conscience.
79Cette nouvelle médiatisation des effets bénéfiques des substances psychédéliques, après un demi-siècle de propagande négative, réveille un intérêt collectif pour ces substances, qu’elles soient issues des plantes naturelles, ou issues de la synthèse chimique, en dehors même du milieu médical.
80Pour exemple, en République tchèque, un colloque international intitulé Beyond Psychedelics « Global Psychedelic Forum » s’est déroulé en novembre 2016, réunissant de nombreux spécialistes mondiaux des thérapies psychédéliques, concrétisant ainsi la « renaissance psychédélique » dans ce pays qui n’a banni le LSD qu’en 1974, longtemps après tous les autres pays d’Europe, et qui fut longtemps un « haut lieu » de l’expérimentation du LSD [24].
81Les trois grands axes de développement que l’on peut désormais attendre pour les années qui viennent, sont :
- d’une part le développement d’une prise en charge plus efficace et plus large des PTSD et des addictions, dans un cadre médico-psychologique spécifique, avec, pour les PTSD, le cannabis et la MDMA, et pour les addictions, les tryptamines (ayahuasca, ibogaïne et psilocybine), ainsi qu’une amélioration des conditions de l’accompagnement à la fin de vie, avec le LSD, la mescaline, et la psilocybine ;
- dans le champ de la psychiatrie, on devrait assister, pour les dépressions dites « résistantes », à un développement de l’utilisation médicale de la psilocybine, de la kétamine, des cannabinoïdes, et de nouveaux composés issus de la recherche pharmacologique ;
- dans un champ plus « sauvage », ou démocratique, il est clair que le retour vers des pratiques « chamaniques », la consommation de cannabis thérapeutique, et le micro-dosing de LSD, semblent donner raison à Michka, qui sous-titrait son Livre du Cannabis, paru en 1998 : Le vingt et unième siècle sera-t-il psychédélique ?
82Ce dernier domaine est effectivement en train de se développer de façon importante, bien qu’encore « underground » : par exemple, depuis la diffusion des vidéos et de l’ouvrage de James Fadiman sur le « micro-dosing » en 2011-2012, une consommation plus ou moins quotidienne de micro-doses de LSD (environ 15 μg de LSD), ou de kétamine, s’est développée aux États-Unis et en Europe, dans certains milieux « branchés », comme « agent de bien-être » ou anxiolytique. Les effets recherchés sont l’augmentation du niveau de perception sensorielle, une capacité de concentration élevée, la stimulation de la créativité, et une « douce tranquillité » sereine, un sentiment d’« élation », spécifique du LSD à ces petites doses.
83Mais, depuis l’interdiction du 1Propionyl-LSD, précurseur légal du LSD, cette méthode de « mieux-être » confronte invariablement au marché illicite. La littérature « préventive » répète à l’envi que cette méthode du micro-dosing entraîne dépression, fatigue chronique et migraines… en dépit des témoignages toujours plus nombreux, depuis les années 1960, qui constatent, comme le déclarait Steve Jobs : « Prendre du LSD a été une expérience très profonde, et certainement une des choses les plus importantes que j’ai faites dans ma vie. »
84Pour conclure, rappelons les propos d’Albert Hofmann, dans ses Entretiens avec Antonio Gnoli : « Pour Leary, il suffisait de prendre du LSD et l’on aurait aussitôt l’illumination. De cette façon, il finissait par suggérer aux jeunes une consommation sans réserve de LSD. Moi, en Revanche, je ne l’ai jamais conseillé à personne. Quand on me demandait si on pouvait en prendre, je recommandais toujours de s’informer amplement, et si quelqu’un décidait de l’essayer, il devait le faire avec la plus grande pondération, en faisant un choix responsable. J’ai critiqué plusieurs fois la facilité avec laquelle Leary distribuait du LSD à ses disciples. Ainsi consommé, le LSD ne peut apporter de bons résultats. Surtout chez les jeunes qui n’ont pas encore un “moi” stabilisé ni fortement affirmé et qui s’exposent à de graves risques et peuvent même subir des dommages psychiques. Mais il continuait à estimer qu’il fallait permettre la plus grande diffusion de la drogue, et que les aspects négatifs étaient à considérer comme des accidents de parcours. En tous cas, disait-il, ils étaient de très loin inférieurs aux aspects positifs. »
85Et Huxley ?
86« Il était de mon avis. Il estimait que le LSD méritait une diffusion plus ample, mais que, avant d’en faire usage, on devait absolument être soumis à une préparation appropriée, acquérir un certain savoir, à travers ce qu’il appelait une authentique “science de l’expérience mystique”. C’est, selon moi, ce qui peut se produire si les expériences à base de LSD sont intégrées dans une perspective de psychologie transpersonnelle. »
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Mots-clés éditeurs : substance psychédélique, substance hallucinogène, kétamine, LSD, psilocybine, usage thérapeutique, MDMA, mescaline, cannabis, ibogaïne, recherche
Date de mise en ligne : 14/05/2018.
https://doi.org/10.3917/psyt.233.0125Notes
- [1]
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[2]
Le premier travail d’envergure en français sur la phénoménologie des expériences psychodysleptiques, dans la suite du travail de Georges Lanteri Laura sur les « Hallucinations », est l’ouvrage de Jean-Pierre Valla, L’expérience hallucinogène, édité en 1983.
-
[3]
MDMA = méthyl-dioxy-meth-amphétamine, substance entactogène (ou empathogène) de la famille des phényléthylamines.
-
[4]
La kétamine est un anesthésique, qui a la particularité de pouvoir être utilisé chez les sujets « fragiles » (enfants, personnes âgées), ou sur les champs de bataille, lorsque l’on n’a pas à disposition de matériel de réanimation, car il ne provoque pas de dépression respiratoire ou de risque sur le plan cardiaque. Par contre, les « réveils de kétamine » se caractérisent par des sensations de rêves éveillés, avec des éléments de délires et d’hallucinations. À des doses infra-anesthésiques, elle produit des impressions de « sortie hors du corps », et elle a été utilisée à partir des années 1980 comme une alternative aux drogues psychédéliques du type LSD, particulièrement par les membres des premières « tribus » techno (travellers).
-
[5]
La mescaline est le principal alcaloïde psychédélique présent dans deux espèces de cactus, poussant en zone aride d’Amérique du Sud, les Peyotl (Lophophora Willliamsii) et les San Pedro (Trichocereus Pachanoi ou Echinopsis pachanoi) du Pérou.
-
[6]
La psilocybine, avec la psilocine, sont les principaux alcaloïdes psychédéliques présents dans une espèce de champignons, les psilocybes.
-
[7]
La DMT (dimethyltryptamine) est présente dans l’ayahuasca qui est une infusion composée de Psychotria viridis, contenant la DMT, et de la liane Banisteriopsi caapi, qui contient des enzymes (IMAO) ; ces deux substances entrent en interaction synergique permettant l’assimilation orale et digestive de la DMT, normalement détruite dans l’estomac par les sucs digestifs.
- [8]
- [9]
- [10]
-
[11]
Erika Dyck, Ph.D, est Professeur et titulaire de la Chaire d’histoire de la médecine à l’Université du Saskatchewan au Canada. Elle est l’auteure de Psychedelic Psychiatry: LSD from Clinic to Campus (2008).
- [12]
-
[13]
Editorial, « End the Ban on Psychoactive Drug Research ». Scientific American, 2014, 310(2), 1-2, http://www.scientificamerican.com/article/end-the-ban-on-psychoactive-drug-research
-
[14]
Classification produite en 1970 par la FDA (Controlled Substance Act), pour classer toutes les substances psychotropes en 4 catégories : I, II, III, et IV ; la Schedule 2 étant la catégorie des substances narcotiques ayant un « haut potentiel d’abus, et pouvant causer de sévères troubles psychologiques ou une pharmacodépendance physique ».
- [15]
- [16]
- [17]
- [18]
- [19]
- [20]
- [21]
- [22]
-
[23]
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