Notes
- [1]
-
[2]
Extrait du rapport « Pour une politique nationale d’éducation thérapeutique du patient » remis à la ministre de la Santé Roselyne Bachelot (le 2 septembre 2008) par C. Saout, B. Charbonnel et D. Bertrand.
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[3]
https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2016/1/26/AFSX1418355L/jo/texte et en particulier, sur l’accompagnement, l’article L. 3411-8, 4° du Code de la santé publique.
- [4]
1Malgré la politique de réduction des risques développée en France à la fin des années 1980 basée sur la vente libre des seringues, les programmes d’échange de seringues (PES) et les traitements de substitution aux opiacés (TSO), la situation épidémiologique des usagers de drogue (UD) vis-à-vis du virus de l’hépatite C reste préoccupante. C’est dans ce contexte que les intervenants de terrain de Médecins du Monde et de l’association AIDES ont proposé une intervention pédagogique pour les usagers de drogues par voie intraveineuse (UDVI) en difficulté et en demande de soutien sur leurs pratiques d’injection et les plus à risque pour le VHC, afin de permettre une réduction de la transmission du VHC et des complications locales liées à l’injection.
1 – Naissance de l’accompagnement à l’injection dans le contexte français
2Les données récentes en France confirment qu’il existe de nombreux usages problématiques de drogues qui ne trouvent pas forcément de réponses adaptées. L’enquête Ena-CAARUD menée en 2010 sur 2000 usagers de drogues montre que près de trois quarts des usagers déclarent avoir consommé un opiacé au cours du dernier mois (dont 40 % de buprénorphine) avec une polyconsommation très fréquente (Cadet-Taïrou, 2012). L’enquête montre que 78 % des consommateurs de buprénorphine déclarent en avoir pris tous les jours, 75 % pour la méthadone et 41 % pour les sulfates de morphine. Concernant les stimulants, 41 % des usagers déclarent avoir consommé de la cocaïne au cours du mois précédent. Concernant l’injection, 45 % des usagers déclarent avoir injecté un produit au moins une fois au cours du dernier mois. Pour les usagers des CAARUD recevant un traitement par buprénorphine, la moitié déclare avoir injecté un produit au cours du dernier mois et pour la plupart il s’agit de la buprénorphine elle-même. Selon l’enquête OPPIDUM (2012), qui se déroule essentiellement en CSAPA, 10 % des personnes sous protocole de buprénorphine l’ont injectée au cours de la dernière semaine.
3Entre 2008 et 2012, les legal highs, produits de synthèse vendus sur internet, encore appelés les nouveaux produits de synthèse (NPS), se sont étendus et diversifiés avec 60 nouvelles substances identifiées par des laboratoires d’analyses toxicologiques (Cadet-Taïrou et Gandhilon, 2013). Entre 2013 et 2015, plus de 300 NPS ont été répertoriés par le système d’alerte européen (Eurojust, 2016). Les usages d’injection de ces NPS en contexte sexuel s’intensifient dans le milieu des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH), phénomène appelé slam, qui suscite des inquiétudes tant il est associé à des prises de risque importantes. Bien moins chers que les produits plus anciens et classiques et relativement accessibles via Internet, l’accès à ces NPS psychoactifs dont la toxicité n’est pas connue puisque trop récents, en est modifié et facilité. Des personnes et notamment des jeunes sont rassurés par la présentation de ces produits, sans forcément connaître les dispositifs de Réductions des Risques (RdR), ni les risques juridiques associés à ces consommations. Ces produits sont de plus en plus courants en milieu festif, certains servent de produits de coupe ou sont vendus à la place d’autres drogues plus classiques dont les effets sont proches. Le phénomène d’isolement des usagers de drogues problématiques, et plus particulièrement des personnes qui pratiquent l’injection, semble de plus en plus marqué, du fait du tabou qui existe autour de cette pratique, et participe à plus de complications cutanées à cause du fait que les personnes réalisent seules leur première injection (Guichard et al., 2013).
4Enfin, autour de ces usages problématiques de drogues, nous assistons à une aggravation de la précarité chez les plus jeunes UD. De plus, la disparition des « interstices urbains » (squats, friches ou autres espaces délaissés) marginalise un peu plus les UD dans des zones encore moins visibles où les injections se font avec des pratiques plus à risque (Cadet-Taïrou et Gandhilon, 2013).
5Les UDVI qui s’initient à l’injection restent peu accessibles alors qu’ils sont un public prioritaire des actions de RdR. Ils s’initient souvent entre eux ou sont initiés par des pairs à peine plus âgés qu’eux (Griesbach et Taylor, 2009 ; Werb et al., 2013), redoutant souvent le jugement d’un intervenant ou d’un pair. D’autres usagers continuent de se faire faire l’injection par d’autres usagers parce qu’ils ne sont pas sûrs de leur capacité à s’injecter (Wood et al., 2003). Pour d’autres, certaines pratiques à risque, ancrées depuis des années dans leurs gestes, sont de véritables automatismes dont les personnes n’arrivent pas à se défaire.
6Aujourd’hui, la persistance de ces pratiques à risque a un impact négatif sur la santé des UDVI et sur la collectivité par les coûts élevés de prise en charge qu’elle engendre. Elle est responsable de la transmission du VHC (Hahn et al., 2002 ; Pouget, Hagan et Des Jarlais, 2011) avec une prévalence du VHC de près de 64 % en France (Weill-Barillet et al., 2016). Les complications locales sont nombreuses telles qu’abcès, infections des tissus (Dahlman et al., 2015 ; Decocq et al., 1997 ; Del Giudice, 2004 ; Lloyd-Smith et al., 2010) mais aussi plus profondes comme des complications rénales et pulmonaires (Hartman et al., 2016), et conduisent souvent les UDVI aux urgences (Kerr et al., 2005).
7Plusieurs interventions éducatives ont déjà été proposées afin de réduire les risques liés à l’injection de drogues et plus particulièrement pour limiter la transmission du virus de l’hépatite C (VHC) (Griesbach et Taylor, 2009). Il a été montré que la plupart des interventions éducatives théoriques destinées aux UDVI n’ont pas d’effet significatif sur la transmission du VHC (Sacks-Davis et al., 2012). De plus, peu d’interventions se sont intéressées à la réduction des complications cutanées ou autres liées à la pratique d’injection précisément. Un rapport écossais sur les interventions éducationnelles applicables à la prévention du VHC (Griesbach et Taylor, 2009) publié à cette époque montrait qu’il était important de proposer des interventions caractérisées par :
- une disponibilité régulière ;
- un enseignement compréhensible pour l’usager et délivré par des personnes crédibles ;
- la possibilité de discussion et d’échange d’expériences ;
- la possibilité pour l’usager d’apprendre à son rythme et d’expérimenter de nouveaux comportements à moindre risque.
8C’est dans ce contexte que l’intervention AERLI, Accompagnement et Éducation aux Risques LIés à l’injection, est née en France, issue des intervenants en réduction des risques auprès de ces publics. L’objectif principal était alors de travailler avec l’usager, à partir de l’observation de ses pratiques et par une supervision de l’injection, de mieux identifier les pratiques à risque, d’élaborer des conseils plus adaptés car personnalisés et ainsi de permettre une modification plus évidente des pratiques vers une injection à moindre risque. Être témoin des pratiques nous a permis de vérifier qu’il existe très souvent un décalage, involontaire et inconscient, entre la description des pratiques par l’usager et la réalité de ses gestes. Cette intervention éducative venait alors compléter la palette d’outils disponibles pouvant être proposés dans les CAARUD. En 2010, le rapport d’expertise de l’INSERM sur la « Réduction des risques infectieux chez les usagers de drogues » a abouti à plusieurs recommandations dont la plus importante est que la politique de RdR ne doit pas se restreindre aux outils existants pour les UD mais doit faire partie d’une stratégie globale en créant de nouveaux outils.
9L’intervention AERLI se rapproche de l’Éducation Thérapeutique du Patient (ETP), notamment dans le sens où elle vise à aider les personnes « à acquérir ou maintenir les compétences dont elles ont besoin pour gérer au mieux leur vie » (extrait de la définition de l’OMS de 1996 reprise et développée par la Haute Autorité de Santé en 2007 [1]) et à rendre la personne « plus autonome par l’appropriation de savoirs et de compétences afin [qu’elle] devienne [l’actrice] de son changement de comportement » [2].
10Parmi les multiples cadres théoriques qui coexistent dans le champ de la promotion de la santé, l’intervention repose sur la théorie de l’autodétermination proposée par Ryan et Deci (2000), fondée sur le postulat qu’il existe trois besoins psychologiques innés – la compétence, l’autonomie et l’affiliation sociale – qui, quand ils sont satisfaits, génèrent une amélioration de l’automotivation et de la santé mentale. En revanche, l’entrave à la satisfaction de ces trois besoins amène une réduction de la motivation et du bien-être. Selon Laguardia et Ryan (2000), la satisfaction des besoins psychologiques exerce une grande influence sur l’implication personnelle des sujets quand il s’agit de changer des comportements pour améliorer leur bien-être.
11Une fois le cadre théorique de l’intervention bien défini, la mise en place d’AERLI dans les CAARUD a dû faire face à deux écueils importants : la standardisation de l’intervention et le cadre légal de la consommation de drogues. En effet, le caractère illicite, ou la classification comme stupéfiant de la plupart des substances psychoactives injectées par les UDVI rendait difficile la possibilité de réaliser AERLI au sein des CAARUD. C’est pourquoi la rencontre entre intervenants de terrain et chercheurs académiques a permis de répondre à ces deux aspects en offrant un cadre à la fois méthodologique et légal, et a abouti à l’étude ANRS-AERLI.
2 – Le projet recherche communautaire ANRS-AERLI
12Ce projet ANRS-AERLI, financé par l’ANRS, est un projet à la fois de recherche communautaire et de recherche-action. Elle permet, par la collaboration entre usagers et acteurs de terrain, de mieux saisir les besoins et les réalités autour de comportements souvent cachés ou difficilement observables, liés au caractère illégal et stigmatisé de l’usage de drogues par voie intraveineuse. La recherche communautaire s’appuie avant tout sur la participation d’une communauté à toute action la concernant, envisageant ainsi les individus dans leur environnement social et cherchant à promouvoir la justice sociale (Rappaport, 1987). Cette approche incite à la collaboration entre chercheurs et acteurs communautaires à travers un partenariat équilibré, dans une démarche ascendante, et dont l’objectif principal vise à la transformation sociale. Le projet ANRS-AERLI, né d’une idée venue du terrain puis développée à travers un partenariat entre Médecins du Monde, AIDES et l’Inserm U912, s’est concrétisé à travers la rédaction d’un protocole de recherche communautaire.
13Le cadre offert par la recherche a donc permis d’expérimenter une intervention innovante dans un contexte beaucoup plus sécurisant pour les usagers et les intervenants du fait du caractère illégal de la consommation de drogues au sein des CAARUD. Il a également permis de définir précisément les modalités de l’intervention. Afin de pouvoir évaluer l’efficacité de cette intervention, une étape essentielle a été de standardiser cette intervention. C’est dans ce contexte que l’étude ANRS-AERLI a vu le jour, consistant à mesurer les effets d’une intervention éducative pour les injecteurs de drogues réalisée par des intervenants de CAARUD (professionnel de santé, travailleur social ou pair éducateur).
14L’intervention AERLI dure environ de 45 minutes à 1 heure et se compose de deux éléments principaux :
- l’observation directe par un ou deux intervenants formés d’un UDVI s’injectant une substance psychoactive qu’il/elle a l’habitude de consommer en utilisant une liste standardisée (grille d’observation) pour documenter la pratique de la personne et les risques identifiés :
- hygiène (nettoyage du site d’injection/des mains) ;
- préparation (seringue, cuillère, gants, type de substance, acidification, eau, chauffage, mélange, filtration, utilisation de matériel de rechange) ;
- pré-injection (nettoyage du site d’injection, choix du site, léchage de l’aiguille…) ;
- injection (bras, jambes, cous, etc., site alternatif, nombre de tentatives, orientation, rapidité, etc.) ;
- injection faite ou non (raisons/observations) ;
- post-injection (gestion des saignements et du matériel usagé, nettoyage des mains).
- un échange éducatif une fois l’injection réalisée, à travers les commentaires de l’intervenant sur les différentes étapes de l’injection, des messages de prévention liés aux risques de transmission du VIH et du VHC et des informations relatives à l’accès au dépistage du VIH/VHC et aux soins. L’intervenant répond également aux questions que l’usager peut se poser, mais plus généralement facilite la discussion pour amener l’usager à s’exprimer et parler de sa pratique, de ce qu’il en pense, de sa perception des risques, etc.
15L’étude ANRS-AERLI a recruté un total de 271 injecteurs de drogue dans deux types de CAARUD :
- ceux qui proposaient l’intervention AERLI : 8 CAARUD au total ayant permis de recruter 144 UDVI, constituant le « groupe intervention » ;
- ceux qui ont accepté de participer à la recherche sans proposer l’intervention, c’est-à-dire fonctionnant selon leurs pratiques courantes : 9 CAARUD ayant permis de recruter 123 UDVI, constituant le « groupe témoin ». Tous les participants à cette étude ont répondu à un questionnaire téléphonique réalisé par un enquêteur formé et non impliqué dans les sessions AERLI. Ces questionnaires ont permis de recueillir des données nécessaires à l’évaluation de l’intervention à l’inclusion, à 6 mois et à 12 mois (voir figure 1). Le schéma de l’étude permet ainsi de comparer l’évolution de plusieurs critères d’efficacité de l’intervention AERLI entre les deux groupes « intervention » et « témoin », mais aussi avant et après l’intervention dans le groupe « intervention ».
Schéma de l’étude ANRS-AERLI
Schéma de l’étude ANRS-AERLI
Sessions éducatives (SE) avec l’usager sur les pratiques d’injection et les risques associés (risque VHC, accès au dépistage et aux soins VHC) et injection par l’usager en présence d’un ou deux intervenants formés.Entretiens téléphoniques avec un enquêteur indépendant non impliqué dans les sessions éducatives.
16L’efficacité de l’intervention a été mesurée à travers l’évolution des pratiques à risque de transmission du VHC chez les UDVI. Le critère d’efficacité principal était donc le pourcentage de participants ayant déclaré « au moins une pratique à risque de transmission du VHC au cours du dernier mois ». D’autres critères d’efficacité dits « secondaires » ont été également mesurés tels que le nombre de complications cutanées liées à l’injection, l’accès au dépistage VHC ainsi que des données de psychologie sociale, la satisfaction vis-à-vis de l’intervention, la compétence perçue et l’autorégulation autonome. Le caractère de la population d’étude, difficile à suivre sur une aussi longue période, ainsi que le schéma d’étude non randomisé mais adapté aux réalités du terrain a nécessité l’emploi de méthodes statistiques sophistiquées. Les résultats présentés ci-dessous ont fait l’objet de deux articles. L’un publié dans la revue Addiction a mis en évidence les résultats principaux sur l’efficacité de l’intervention (cf 3.2 et 3.3) (Roux et al., 2016a). L’autre article publié dans Plos One présente l’impact de l’intervention sur l’accès au dépistage (cf 3.4) (Roux et al., 2016b).
3 – Des résultats de la recherche aux preuves d’efficacité de l’intervention AERLI pour les usagers de drogues par voie intraveineuse
3.1 – Description de l’échantillon des UDVI ayant participé à l’étude
17Sur l’ensemble des 271 UDVI recrutés pour l’étude ANRS-AERLI, nous avons analysé un total de 240 participants : les 127 UDVI du « groupe témoin » et 113 des 144 UDVI recrutés dans le « groupe intervention ». En effet, 31 UDVI de ce dernier groupe n’avaient reçu aucune session AERLI (voir figure 2). À la fin de l’étude, seuls 44 participants du « groupe intervention » et 71 du « groupe témoin » étaient encore dans l’étude, signifiant un taux de perdus de vue de 52 %.
Diagramme de l’étude ANRS-AERLI, n=271
Diagramme de l’étude ANRS-AERLI, n=271
18Le tableau 1 décrit les caractéristiques de la population d’UDVI ayant participé à l’étude ANRS-AERLI tout en comparant les deux groupes à l’inclusion. Ces résultats descriptifs nous montrent que les deux groupes sont comparables en termes de répartition hommes/femmes avec 22 % de femmes, un âge médian de 30 ans, un âge médian à la première injection de 19 ans, et une consommation d’alcool problématique pour environ 55 % des personnes. Cependant, les deux groupes sont différents à plusieurs niveaux. Le groupe intervention est caractérisé par une plus grande précarité, plus de consommateurs d’héroïne, de sulfate de morphine (Skenan®), moins de consommation de buprénorphine, moins d’accès au dépistage VHC et plus de pratiques à risque de transmission du VHC.
Description de la population de l’étude ANRS-AERLI à l’inclusion, n=240*,1,2
Description de la population de l’étude ANRS-AERLI à l’inclusion, n=240*,1,2
† Test Chi-deux or test de Wilcoxon§ en années
AUDIT score ≥ 3 pour les femmes ; ≥ 4 pour les hommes
* au cours des 4 dernières semaines
1 plus d’une pratique à risque au cours du dernier mois
2 plus d’une complication au site d’injection; score autodéclaré sur le statut veineux < 7 (from 0 to 10)
19Plus généralement, il est important de noter que les deux groupes ne sont pas comparables, lié au fait que la randomisation n’a pas été possible et qu’il a fallu utiliser une méthode adaptée, le modèle de Heckman, afin de limiter le biais lié à cet écueil. Ce modèle a consisté à comparer les deux groupes et, à partir des résultats de cette comparaison, à créer un score appelé l’Inverse Mills Ratio (IMR) qui, ajouté aux différents modèles de régression logistique, prend en compte le fait que les deux groupes présentent des différences.
3.2 – La diminution des pratiques à risque de transmission du VHC
20L’étude de l’évolution des pratiques à risque de transmission du VHC dans les deux groupes a permis de mettre une diminution significativement plus importante dans le groupe intervention. En effet, les résultats montrent que les injecteurs ayant reçu l’intervention déclarent significativement moins de pratiques à risque de transmission du VIH et du VHC passant de 44 % à 25 % après 6 mois.
21Après l’analyse multivariée permettant de prendre en compte les différents facteurs pouvant influencer l’effet de l’intervention ainsi que le fait que les deux groupes ne sont pas issus d’une randomisation, les résultats confirment que les UDVI ayant reçu au moins une session AERLI ont une probabilité plus faible de déclarer au moins une pratique à risque au cours des 6 derniers mois. Les résultats montrent également que les plus jeunes, les femmes, la consommation problématique d’alcool et la polyconsommation sont associés à plus de pratiques à risque pour le VHC.
3.3 – La diminution des complications cutanées liées à l’injection
22Les résultats montrent une diminution significativement plus importante des complications cutanées liées à l’injection chez les participants ayant reçu au moins une session AERLI. En effet, dans le groupe intervention, 66 % des personnes déclarent au moins une complication avant l’intervention contre 39 % 12 mois après, alors que dans le groupe témoin ce pourcentage passe de 59 % à l’inclusion à 62 % après 12 mois.
23Après l’analyse multivariée, les résultats confirment que les personnes ayant reçu l’intervention ont moins de complications cutanées liées à l’injection. De plus, cette analyse met en évidence que les plus jeunes et les consommateurs de sulfate de morphine ont plus de risque d’avoir des complications liées à l’injection.
3.4 – L’amélioration de l’accès au dépistage VHC
24Un des critères d’efficacité secondaires étudiés a été l’accès au dépistage VHC. Ainsi, nous nous sommes intéressés au fait de s’être fait dépister pour le VHC au cours des 6 derniers mois. Pour cela, nous avons sélectionné les 202 participants qui étaient éligibles pour un dépistage VHC, ceux qui étaient à risque d’être séropositifs pour le VHC ou bien qui ne connaissaient pas leur statut sérologique.
25Les résultats montrent, pour le groupe intervention, une augmentation du pourcentage de personnes déclarant avoir reçu un dépistage VHC au cours des six derniers mois.
26L’analyse multivariée montre que les personnes ayant reçu AERLI ont une plus grande probabilité de s’être fait dépister au cours des 6 derniers mois. Les données montrent également que les consommateurs de crack ont moins accès au dépistage VHC alors que les consommateurs de buprénorphine vont davantage se faire dépister pour le VHC.
4 – L’impact de la recherche AERLI sur la santé publique : de l’efficacité d’AERLI aux changements légaux
27Ainsi, la recherche ANRS-AERLI a permis de mettre en évidence l’efficacité de cette intervention en termes de diminution des pratiques à risque de transmission du VHC, de complications cutanées et d’amélioration de l’accès au dépistage VHC. Ces données soulignent aussi la nécessité de poursuivre nos efforts en direction des populations plus vulnérables tels que les jeunes, les usagers à la consommation problématique d’alcool, les polyconsommateurs afin de réduire de manière plus considérable les pratiques à risque de transmission du VHC. En termes de complications liées à l’injection de médicaments non prévus pour la voie intraveineuse, il est important d’informer les usagers et de travailler sur la mise à disposition de TSO injectables. Enfin, en termes d’accès au dépistage du VHC, alors que les consommateurs de traitements de substitution aux opiacés ont plus facilement accès à la prévention et aux soins, les résultats suggèrent que les consommateurs de crack restent encore trop marginalisés et ont moins accès au dépistage VHC. Des efforts sont à fournir pour améliorer la prévention et la prise en charge des personnes dépendantes aux stimulants.
28En dehors des résultats d’efficacité de l’étude ANRS-AERLI, il est important d’ajouter que ce type d’intervention présente deux autres intérêts : son coût est peu élevé et il est relativement facile à mettre en place dans les structures d’accueil et de soins des consommateurs de produits psychoactifs par voie intraveineuse.
29Toutes ces données ont avant tout permis de nourrir le plaidoyer des associations visant à permettre la diffusion d’AERLI à l’échelle nationale ainsi que de mettre l’accent sur des stratégies innovantes de réduction des risques à l’usage de produits psychoactifs. Nombre d’associations ont basé leur stratégie de plaidoyer sur les impacts positifs de la recherche sur la qualité de vie, l’amélioration de la prise en charge médicale et sociale et de la santé des personnes. Elles ont mis en évidence les plus-values d’AERLI tant en termes de santé individuelle que de santé publique. Ce plaidoyer développé autour de l’approche pragmatique de la santé basée sur des évidences scientifiques a contribué à sensibiliser des partenaires institutionnels et politiques et à dépassionner le débat autour de l’usage de drogues illicites. Cela a permis d’apporter des modifications et des innovations dans le cadre du projet de loi de modernisation de notre système de santé qui prévoit, dans ses articles 41 et 43, une amélioration de l’accès aux dispositifs de RdR avec l’expérimentation des salles de consommation à moindre risque, la possibilité de réaliser de l’accompagnement et de la supervision des consommations ainsi qu’une amélioration de l’accès aux outils de RdR en milieu carcéral [3]. De fait, cette loi, adoptée en janvier 2016, permet la généralisation d’AERLI en autorisant tous les intervenants de la réduction des risques et des dommages, en particulier les CAARUD, à proposer cet accompagnement aux UDVI.
30De plus, dans un contexte d’accès universel à des traitements du VHC extrêmement efficaces et bien tolérés, où les questions d’accès au dépistage VHC mais aussi de recontamination possible des UDVI après guérison rapide du VHC se posent, l’intervention AERLI est apparue comme un outil important de RdR et fait partie des recommandations nationales sur l’hépatite C dans le dernier rapport Dhumeaux [4].
31Enfin, les perspectives de diffusion de cette intervention sont encore nombreuses. Aujourd’hui, des phénomènes émergents tels que l’injection de psychostimulants dans le contexte de pratiques sexuelles à risque (dit « slam ») posent le problème de l’inadéquation des outils de RdR proposés dans les CAARUD ou d’autres services de prévention. L’utilisation d’AERLI hors-les-murs pourrait être un moyen adapté de prévention de la transmission du VHC et de complications liées à l’injection. C’est pourquoi cette intervention AERLI est en cours d’évaluation dans un contexte d’intervention en outreach à travers l’étude ANRS-OUTSIDER qui permettra de valider sa faisabilité sur les lieux de vie des UDVI. L’intervention va être proposée dans les salles de consommation de drogues à moindre risque. Des CSAPA sont également intéressés et une expérimentation accompagnée d’une évaluation financée par Sidaction est en cours au sein du CSAPA de Charonne ainsi que du CAARUD de Sida Paroles. Enfin, il a été proposé d’évaluer la transférabilité de ce type de dispositif à l’échelle européenne à travers le projet EUROSIDER.
32Pour finir, l’étude ANRS-AERLI illustre bien les atouts et les écueils de la recherche communautaire. Elle a permis d’évaluer une action pertinente issue du terrain puis améliorée à travers une réflexion commune entre les chercheurs et les acteurs de terrain. La mise en place de cette action en étroite collaboration avec des intervenants et des structures de terrain (intervenants des CAARUD du réseau de Aides, salariés et bénévoles de MdM et investissement des équipes des CAARUD partenaires de MdM : Gaïa Paris et Sida Paroles) a contraint les chercheurs à faire face à certaines réalités qui ont pu être surmontées par des méthodes adaptées et le soutien structurel et financier d’associations reconnues et engagées politiquement. Enfin, la synergie de toute cette recherche participative jusqu’à la promotion des résultats a prouvé que cette approche favorisait la transformation sociale en ayant permis de modifier la loi de santé.
Bibliographie
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Notes
- [1]
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[2]
Extrait du rapport « Pour une politique nationale d’éducation thérapeutique du patient » remis à la ministre de la Santé Roselyne Bachelot (le 2 septembre 2008) par C. Saout, B. Charbonnel et D. Bertrand.
-
[3]
https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2016/1/26/AFSX1418355L/jo/texte et en particulier, sur l’accompagnement, l’article L. 3411-8, 4° du Code de la santé publique.
- [4]