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Article de revue

Cocaïne et méthylphénidate : quelques données épidémiologiques

Pages 41 à 54

1La France a emboîté le pas des États-Unis dans la prise en charge du trouble de l’attention avec hyperactivité (TDAH). Aujourd’hui, de nombreux psychiatres prescrivent des traitements pharmacologiques après un diagnostic de TDAH aussi bien chez les enfants que chez les adultes. Parallèlement à cette augmentation des prescriptions de traitements psychostimulants et notamment à base de méthylphénidate, nous observons un phénomène émergent de détournement de ces traitements pour un usage addictif. En effet, la forme à libération immédiate du méthylphénidate (Ritaline®) figure parmi les produits retrouvés sur le « marché noir » et également consommé par voie intraveineuse par des personnes dépendantes aux stimulants. Étant donné la forte prévalence de TDAH parmi les usagers de drogue et plus particulièrement les consommateurs de cocaïne, la question de l’utilisation du méthylphénidate dans la prise en charge de la dépendance à la cocaïne se pose aujourd’hui aussi bien parmi les cliniciens que dans la communauté des chercheurs. Cet article vise à présenter les données épidémiologiques de la littérature concernant usage de cocaïne, TDAH et évaluation des traitements psychostimulants pour la dépendance à la cocaïne.

Épidémiologie de la consommation de cocaïne

2Aujourd’hui, la cocaïne (sous forme chlorhydrate) est le deuxième produit illicite le plus consommé, bien que se situant loin derrière le cannabis (ESCAPAD, Baromètre Santé). En effet, en 2011, 1,5 million de personnes déclaraient avoir déjà consommé de la cocaïne au cours de leur vie alors que 13,4 millions du cannabis. Les usagers actuels de cocaïne (ayant déclaré en avoir consommé au cours de la dernière année) étaient au nombre de 400 000 usagers pour 3,8 millions d’usagers actuels de cannabis. Cependant, il faut savoir que parmi les 18-44 ans le pourcentage des personnes ayant déclaré l’avoir expérimentée est passé de 1,2 % en 1992 à 3,8 % en 2010 (Beck et al., 2011). De plus, l’âge moyen de rencontre avec la cocaïne si situe autour de 23 ans. La figure 1 nous montre l’évolution du pourcentage des usagers réguliers de cocaïne (ayant déclaré avoir consommé de la cocaïne au cours du dernier mois) entre 2000 et 2010, de 0,3 % à 0,9 %.

Figure 1

Évolution de l’usage au cours des 12 derniers mois chez les 18-64 ans entre 2000 et 2010 (en %)

Figure 1

Évolution de l’usage au cours des 12 derniers mois chez les 18-64 ans entre 2000 et 2010 (en %)

Source : Baromètre santé 2010 (INPeS, exploitation OfDt)

3Lorsqu’on s’intéresse à des usages de cocaïne plus problématiques, on observe en France que 44 % des usagers des centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques chez les usagers de drogues (CAARUD) déclarent avoir consommé de la cocaïne (chlorhydrate ou base) au cours du dernier mois. Parmi ces 44 %, près de la moitié en consomment plus d’une fois par semaine (Cadet-Taïrou et Saïd, 2015). Enfin, les données OFDT de 2008 (Cadet-Taïrou et al., 2010) et de 2012 (Cadet-Taïrou et Saïd, 2015) montrent une augmentation très importante de la consommation de cocaïne base (crack ou free base), de 2 % en 2008 à 26 % en 2012. Il faut souligner que, parmi les 24-35 ans, l’initiation à l’injection concerne souvent la cocaïne (Cadet-Taïrou, 2012). Lorsqu’on s’intéresse aux patients suivis dans les Centres de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA), les dernières données de RECAP en 2013 montrent que 23,4 % des patients déclarent avoir consommé de la cocaïne dans le dernier mois, 6 % des patients des CSAPA déclarent entrer dans les soins à cause de la cocaïne et 1,9 % à cause du crack (OFDT, 2013). Cependant, ces chiffres sont probablement sous-estimés du fait de l’absence de traitement pharmacologique pour la dépendance à ces stimulants. Les conséquences de la consommation de cocaïne sont de mieux en mieux connues grâce à de nombreuses études épidémiologiques menées dans différents contextes (Czoty et al., 2011 ; Fischer et al., 2015). Par leurs propriétés psychostimulantes et leur durée d’action courte dans l’organisme, ces substances conduisent à multiplier les pratiques à risque liées à une fréquence de consommation plus élevée qu’avec les opiacés, notamment en termes de transmission du VHC (Roux et al., 2013). De plus, les stimulants sont caractérisés par leur capacité à provoquer un besoin irrépressible de consommer à nouveau (« craving »). Environ 5 % des consommateurs de cocaïne peuvent devenir dépendants au cours de la première année de consommation (O’Brien & Anthony, 2005) et 20 % des consommateurs développeront une dépendance à long terme (Kasanetz et al., 2010). Enfin, chez les consommateurs problématiques de cocaïne la mortalité est 4 à 8 fois plus élevée que dans la population générale (Degenhardt et al., 2011) et la cocaïne est un des produits les plus souvent retrouvés dans les cas d’overdoses (Martins et al., 2015). Selon une récente revue de la littérature sur la prévention secondaire et les interventions thérapeutiques actuelles pour les consommateurs problématiques de cocaïne (Fischer et al., 2015), il semble important de poursuivre les efforts en termes de recherche sur les traitements de la dépendance à la cocaïne.

TDAH et consommation de cocaïne

4Les troubles de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) sont aujourd’hui de plus en plus en question aussi bien chez les cliniciens que chez les chercheurs. Ils sont reconnus comme une comorbidité psychiatrique à part entière et se retrouvent chez plus de 20 % des personnes ayant un usage problématique de drogues (van Emmerik-van Oortmerssen et al., 2012 ; Wilens, 2004), voire jusqu’à près de la moitié dans certains contextes (Young et al., 2015).

Figure 2

TDAH/usage problématique de drogues (ADHD/Substance Abuse) : parmi les usagers problématiques de drogues, 20 % ont un TDAH

Figure 2

TDAH/usage problématique de drogues (ADHD/Substance Abuse) : parmi les usagers problématiques de drogues, 20 % ont un TDAH

Source : Wilens et al., 2004. Psychiatr Clin North Am

5Dans une étude récente sur un échantillon de 1 205 personnes ayant un usage problématique de drogues où la prévalence du TDAH était de 14 %, la présence d’une comorbidité psychiatrique supplémentaire s’est retrouvée chez 75 % des UD avec TDAH alors qu’elle était de 37 % chez les non-TDAH (van Emmerik-van Oortmerssen et al., 2014). Ainsi, parallèlement aux différents troubles psychiatriques, et notamment la dépression majeure, associés à la présence du TDAH, il semblerait que les UD qui présentent le TDAH ont également des profils de consommation de drogues particuliers. Cette étude montre par exemple que les UD ayant un TDAH déclarent plus fréquemment la cocaïne et le cannabis comme premières drogues les ayant amenés à un usage problématique (van Emmerik-van Oortmerssen et al., 2014). L’étude australienne citée plus haut montre que la présence de TDAH est associée à la consommation d’amphétamine (Young et al., 2015).

6Si l’on s’intéresse au lien entre diagnostic de TDAH pendant l’enfance et usage de drogues ultérieur, une étude a montré que les enfants TDAH+ ont plus de 6 fois plus de risque d’avoir un problème d’usages de drogues ou d’alcool à l’âge adulte (Katusic et al., 2005). Une autre étude prospective suggère que les enfants ayant eu un TDAH ont deux fois plus de risque de présenter des problèmes d’usage de cocaïne à l’âge adulte (Lee et al., 2011). Une dernière étude américaine sur une cohorte d’adultes a consisté à recruter un groupe d’adultes TDAH+ et un groupe contrôle comparable TDAH–, à étudier leur histoire de TDAH depuis leur enfance et à évaluer leur consommation actuelle de drogues et d’alcool. Les résultats montrent, d’une part, que parmi les personnes du groupe TDAH+, 23,7 % présentent à l’adolescence un usage problématique de drogues contre 4,5 % dans le groupe témoin (TDAH–) et, d’autre part, à l’âge adulte, 20,7 % des TDAH+ déclarent un usage problématique de drogues contre 10,7 % dans le groupe contrôle TDAH– (Levy et al., 2014).

Figure 3

Usage problématique de drogues à l’adolescence et à l’âge adulte chez des personnes diagnostiquées comme TDAH+ pendant l’enfance et chez des témoins (Levy et al., 2014)

Figure 3

Usage problématique de drogues à l’adolescence et à l’âge adulte chez des personnes diagnostiquées comme TDAH+ pendant l’enfance et chez des témoins (Levy et al., 2014)

Source : Levy et al., 2014. PLOS One

7Enfin, la prise en charge du TDAH chez les enfants soulève des inquiétudes liées à la surmédicalisation de ce trouble (Evans et al., 2010) et à l’utilisation de traitements psychoactifs et de leurs effets à long terme (Katusic et al., 2005). L’étude de Katusic et al. sur la prise en charge du TDAH chez les enfants suggère que la prise d’un traitement pharmacologique avait un effet protecteur vis-à-vis de la survenue de problèmes d’usages de drogues à l’adolescence (Katusic et al., 2005). Parallèlement, une méta-analyse sur le lien entre prise en charge du TDAH et usage de stimulants montre qu’il n’y a pas d’effet négatif des traitements du TDAH sur la consommation ultérieure de stimulants (Humphreys et al., 2013).

8Malgré ces données, il est observé aujourd’hui un détournement des traitements psychostimulants pour le TDAH. En France, le traitement le plus prescrit est le méthylphénidate et une étude menée par le CEIP de la région PACA-Corse a consisté à confirmer l’existence et l’importance des pratiques de mésusage du méthylphénidate et à mieux décrire les pratiques associées ainsi que leurs conséquences sanitaires (Frauger et al., 2011). Les résultats montrent que l’injection de méthylphénidate, bien qu’à cette date assez localisée, n’est pas pour autant un phénomène marginal, qu’elle concerne en majorité les consommateurs de stimulants par voie intraveineuse, précaires et ayant des antécédents de TDAH. Une étude plus récente s’étant intéressée à l’évolution du détournement de MPH via les données de l’assurance maladie (dose > 60 mg et + de 3 prescripteurs) décrit une nette augmentation de ce détournement en 2010 qui aujourd’hui est observé dans plusieurs régions en France (Micallef et al., 2015).

Figure 4

Évolution semestrielle du nombre de bénéficiaires ayant une posologie moyenne de méthylphénidate (toutes formes galéniques) supérieure à 60 mg/jour et 3 prescripteurs ou plus (d’après les données de l’Assurance maladie en PACA-Corse 2008-2010)

Figure 4

Évolution semestrielle du nombre de bénéficiaires ayant une posologie moyenne de méthylphénidate (toutes formes galéniques) supérieure à 60 mg/jour et 3 prescripteurs ou plus (d’après les données de l’Assurance maladie en PACA-Corse 2008-2010)

Source : Micallef et al., 2015. Thérapie

La théorie de l’automédication : prescrire des psychostimulants à des personnes dépendantes aux stimulants

9Ces données autour du TDAH, de son lien avec l’usage de drogues, et plus particulièrement des stimulants, et enfin de l’apparition d’un détournement des traitements du TDAH laissent penser qu’une voie thérapeutique vers des traitements psychostimulants pour la dépendance aux stimulants est possible. Ceci rejoint l’hypothèse de l’automédication dans la consommation de drogues du Dr Khantzian (Mariani et al., 2014). Ce clinicien américain a utilisé très tôt cette approche dans sa pratique clinique auprès de ses patients, tel que cela est décrit dans un article datant de 1983. Il présente un de ses cas cliniques concernant le suivi d’une patiente dépendante à la cocaïne (Khantzian, 1983) :

10

« Mlle A. a 33 ans, elle est mariée et a un enfant. À 16 ans, elle commence à consommer des amphétamines pour perdre du poids puis découvre que cela lui donne de l’énergie et l’aide sur le plan scolaire. Elle continue jusqu’à 28 ans puis passe à la cocaïne par voie intranasale, atteignant rapidement des doses très élevées. Puis elle commence à injecter la cocaïne, à raison de 30 g/semaine (5 000 dollars). Pendant cette période, elle est hospitalisée à deux reprises, traitée par antipsychotique et antidépresseur mais sans effet sur sa consommation. Une seule exception survient avec un traitement. À 20 ans, elle est traitée par méthylphénidate (MPH) pour sa dépression (le médecin ne sait pas qu’elle consomme). Elle décrit cette année de traitement comme « la meilleure période de sa vie », stabilisée, bien avec elle-même. Lors de sa première visite chez le médecin, Mlle A. est abstinente depuis six jours. Cependant, elle apparaît ce jour-là négligée, obèse, agitée, présentant des traces et cicatrices sur les avant-bras et les mains. Elle se plaint d’insomnies, de désespoir et d’idées suicidaires. Entre la troisième et la quatrième visite médicale, elle rechute avec une semaine de consommation continue. Elle présente des mains gonflées, des marques d’injections récentes, des ulcérations. Elle est agitée, décrivant paranoïa et persécution, hallucinations et idées suicidaires. Les tentatives d’hospitalisation échouent car il n’y a pas de lit adapté. Le médecin décide de démarrer un traitement par MPH à raison de 15 mg trois fois par jour sous supervision du mari et de la mère de la patiente. Après 24 h, elle décrit une amélioration des symptômes, du sommeil et de l’appétit. Après 20 semaines de MPH et une psychothérapie hebdomadaire, les améliorations sont nettes. Elle se sent bien, n’a plus envie de consommer. Ces marques liées aux injections ont disparu. Après 30 ans de suivi, aucune rechute n’est survenue et la patiente va bien. »

11D’autres cliniciens-chercheurs, et notamment de Columbia University continuent de penser que cette approche pourrait bénéficier à un bon nombre de personnes dépendantes aux stimulants. Un cas clinique plus récent d’un des auteurs de cet article (Mariani et al., 2014) y est décrit concernant un patient dépendant au crack pris en charge en 2011 :

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« Bobby, 49 ans, manœuvre, actuellement séparé de sa femme à cause de ses fréquentes rechutes de consommation de crack (associées à une dépendance à l’alcool). Il est également atteint d’une incapacité à l’apprentissage, un quasi-illettrisme, liés à des troubles de l’attention, agitation et hyperactivité pendant l’enfance. Il a été réceptif à plusieurs traitements : stabilisateurs d’humeur, antidépresseurs qui ont eu un effet positif sur ses symptômes anxieux, agitation et rechutes d’alcool. En 2014, il consulte pour une persistance de sa consommation de crack avec une dégradation de son état de santé et des idées suicidaires. Il dit avoir été traité par MPH pour la première fois en 2011 et le décrit comme un “traitement miracle”. Ce traitement est donc reconsidéré à raison de 36 mg de Concerta® par jour, ensuite réajusté à 27 mg/jour. Dans les 24 h, il laisse un message à son médecin décrivant les effets “miracle” du médicament. Puis, Bobby maintient un échange téléphonique quotidien avec le médecin jusqu’à la visite suivante une semaine plus tard. À présent, il décrit se sentir beaucoup mieux et surtout avoir le choix de consommer ou non du crack. Quatre semaines plus tard, il explique avoir consommé de l’oxycodone à cause de douleurs lombaires, qui s’est accompagné d’une prise d’une “petite” quantité de crack, mais rassure son psychiatre qu’il n’a pas envie de continuer. À l’heure de la rédaction de l’article, Bobby n’a pas touché de cocaïne depuis 8 mois. »

13Ce même clinicien Dr Mariani décrit un second cas clinique concernant un homme dépendant à la cocaïne traité par des sels d’amphétamines :

14

« Mr J. est un homme de 32 ans, dépendant à la cocaïne. Il présente une histoire de dépendance aux opiacés traitée avec succès par buprénorphine. Au cours de la dernière année, il décrit une consommation nocturne importante de cocaïne. Le patient reste éveillé tard dans la nuit, consommant et jouant compulsivement à l’ordinateur. À cause de ces pratiques, le patient est de plus en plus absent au travail et a des problèmes financiers liés aux dépenses pour la cocaïne. Il présente des moments de craving de plus en plus intense au travail puis finit par acheter de la cocaïne immédiatement en arrivant chez lui le soir. Les interventions motivationnelles et cognitivo-comportementales se sont avérées inefficaces à modifier sa consommation de cocaïne. Des sels d’amphétamines (à libération prolongée) lui sont prescrits à 20 mg par jour puis progressivement augmentés à 30 mg par jour chaque matin et 20 mg à 13 h. Très rapidement après le début du traitement, sa consommation de cocaïne cesse, ainsi que ses “cravings” et ses pratiques compulsives de jeu à l’ordinateur. Le patient a atteint 6 mois d’abstinence au moment de la rédaction de l’article de Mariani et al. Le médecin envisage de poursuivre le traitement pendant un an puis de diminuer progressivement le médicament. »

15Ces données à la fois cliniques et anecdotiques nous interrogent sur l’efficacité thérapeutique des psychostimulants dans la prise en charge de la dépendance à la cocaïne ou dérivés amphétaminiques et des TDAH. Cette efficacité pourrait être vérifiée à travers des études cliniques, essais cliniques randomisés ou études de cohorte suffisamment larges.

Traitement pharmacologique de la dépendance à la cocaïne : les dérivés amphétaminiques

16Il faut savoir qu’aujourd’hui aucun traitement pharmacologique n’est disponible pour la dépendance aux stimulants et que le traitement de référence est la psychothérapie, dont l’efficacité reste limitée (Dutra et al., 2008). De plus, il semblerait que les personnes ne répondant pas à la psychothérapie présentent d’une part une histoire de consommation plus longue et d’autre part une carence en dopamine, neurotransmetteur impliqué dans le mécanisme des addictions (Martinez et al., 2011). De plus, une étude menée sur des souris a montré que les souris ayant une carence en récepteurs D3 de la dopamine sont plus vulnérables à la dépendance à la cocaïne (Song et al., 2012). En effet, la cocaïne agit sur le système dopaminergique en entraînant une inhibition de la recapture de la dopamine (DA) par liaison avec le transporteur de la dopamine (White et Kalivas, 1998). Elle va donc avoir un effet d’augmentation de la quantité de dopamine dans l’espace synaptique. De même, les amphétamines (méthamphétamine, dextroamphétamine) agissent sur le système dopaminergique par une inhibition de la recapture de la dopamine et une augmentation de la sécrétion de dopamine (White et Kalivas, 1998). Enfin, le méthylphénidate a un profil mixte d’inhibiteur de la recapture DA à faible dose et libérateur de dopamine à forte dose (Ferris et al., 2012). Ces molécules dopaminergiques sont aussi des traitements indiqués dans les troubles du déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH). Aux États-Unis, ces traitements sont prescrits depuis plusieurs années essentiellement sous la forme de sels d’amphétamines, amphétamines ou MPH. En France, c’est seulement depuis ces dernières années que le MPH est prescrit dans la prise en charge du TDAH.

17L’utilisation de ces molécules dans la prise en charge de la dépendance aux stimulants a montré des résultats souvent assez contradictoires. Les premières études réalisées chez le singe ont démontré qu’une administration prolongée de dextroamphétamine (d-amphétamine) permettait de réduire la tolérance à la cocaïne (Czoty et al., 2011). Puis, quelques études conduites auprès d’usagers de drogues montrent que les dérivés amphétaminiques permettent de diminuer la prise de cocaïne chez des usagers de drogues (Greenwald et al., 2010 ; Mooney et al., 2009). Une revue récente d’essais cliniques de phase II pour la dépendance à la cocaïne suggère que les sels d’amphétamines pourraient constituer un traitement prometteur pour cette addiction (Kim et Lawrence, 2014). Une méta-analyse portant sur 16 essais cliniques étudiant différentes molécules, essentiellement des psychostimulants (buproprion, d-amphétamine, MPH, modafinil, mazindol, méthamphétamine et sélégiline) montre qu’il n’y a pas de réduction de la consommation de cocaïne mais que ces traitements prolongent l’abstinence vis-à-vis de la cocaïne (Castells et al., 2010). D’autres résultats négatifs ont été publiés avec le modafinil et la d-amphétamine (Dackis et al., 2012 ; Schmitz et al., 2012).

18Malgré ces contradictions dans les données d’efficacité dans des contextes très différents (études animales, essais cliniques avec différentes molécules, population de consommateurs trop ou pas assez sélectionnée), une publication récente laisse penser qu’il faut continuer sur la voie des psychostimulants pour la dépendance aux stimulants. Cet article fait une revue de la littérature sur le potentiel clinique du MPH dans la dépendance à la cocaïne (Dursteler et al., 2015). La conclusion fait état des résultats peu concluants de ce traitement chez les dépendants à la cocaïne mais attire l‘attention sur les raisons possibles de ces données négatives, qui pourraient être expliquées par les caractéristiques des études (dosages prescrits, durée du traitement, taille de l’échantillon). Ainsi, ces auteurs suggèrent de poursuivre les investigations.

19D’ailleurs, un essai clinique tout récent s’est intéressé à l’efficacité d’un psychostimulant indiqué pour le TDAH, les sels d’amphétamines (SA), pour des personnes avec TDAH et consommation problématique de cocaïne (Levin et al., 2015). Les auteurs ont étudié deux critères de jugement, la diminution des symptômes du TDAH et la diminution de la consommation de cocaïne à travers un essai randomisé, en double-aveugle, avec trois groupes de patients (placebo, 60 mg SA et 80 mg SA) suivis pendant 13 semaines. Les résultats montrent une diminution très significative de la consommation de cocaïne dans le groupe traité avec 80 mg de SA et significative avec 60 mg de SA comparé au groupe placebo. Concernant les symptômes du TDAH, une diminution des symptômes de plus de 30 % est observée dans les deux groupes de patients traités par des SA.

20En conclusion, cet essai clinique nous montre que les patients ayant à la fois un TDAH et une dépendance à la cocaïne peuvent être efficacement pris en charge par un traitement à base de sels d’amphétamine. Ce traitement psychostimulant est disponible aux États-Unis pour le TDAH mais pas encore en France. Seul le méthylphénidate pourrait être prescrit dans ce contexte-là. C’est la raison pour laquelle une étude à base de MPH devrait démarrer très prochainement afin dans un premier temps d’identifier la dose efficace pour des personnes dépendantes à la cocaïne.

21Au vu de la progression de la consommation de cocaïne et plus généralement des stimulants, de leurs effets délétères sur la santé et des pratiques à risque associées, il semble pertinent de poursuivre ce chemin vers un traitement pharmacologique. Parallèlement, un meilleur diagnostic des troubles psychiatriques et du TDAH est primordial tout comme la proposition de nouvelles stratégies de prévention et de réduction des risques liés à la consommation de cocaïne et autres dérivés psychostimulants.

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Mots-clés éditeurs : consommation, addiction, cocaïne, TDAH, épidémiologie, automédication, stimulant, méthylphénidate

Date de mise en ligne : 15/04/2016.

https://doi.org/10.3917/psyt.214.0041

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