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Revue Psychotropes : « Jeu addiction et société » vol 13, numéro 3-4, 2007 : 286 pages.
1Dans les structures spécialisées, les demandes d’aide ayant pour objet d’addiction, le jeu, sont de plus en plus fréquentes. Voilà bientôt huit ans que nous n’avions consacré de dossier au jeu [1] qu’il s’agisse de sa clinique, de sa prise en charge ou de son impact socio-économique.
2Nous avons donc décidé d’aborder ce thème en profitant de la tenue de la journée scientifique, « Fonctions des jeux aux différents âges de la vie : du normal au pathologique », organisée le 6 juin 2015 par Céline Bonnaire, Maître De Conférences, et Isabelle Varescon, Professeure et directrice du Laboratoire de Psychopathologie et Processus de Santé (LPPS, EA 4057) de l’Université Paris Descartes, colloque que nous avons complété par des textes qui nous ont été proposés de façon spontanée.
3Les jeux, qu’ils soient pathologiques ou normaux et sociaux chez « l’homo ludens », pour reprendre la terminologie du philosophe Johann Huisinga, sont l’objet d’études de plus en plus nombreuses depuis une quarantaine d’années. Sylvain MOUTIER nous montre que les adultes dans certains « contextes pièges » répondent de façon irrationnelle signant par là même l’implication des systèmes émotionnels et exécutifs qui sous-tendent la prise de décision.
4En effet, nous ne sommes pas tous égaux devant le jeu. Céline BONNAIRE montre par exemple que la motivation au jeu est fonction du type de jeu auquel le sujet s’adonne, mais également de la typologie du joueur qu’il soit joueur social, tricheur, professionnel ou pathologique. L’étude de cette motivation est riche d’enseignements, car elle permet de préciser la typologie des joueurs et offre des perspectives intéressantes en termes d’application pratique (messages de prévention) ou en termes de recherche.
5S’il est bien un jeu qui associe à la fois la mode et la mythologie, c’est bien le poker. Les pratiquants de ce jeu sont de plus en plus nombreux, notamment depuis le développement d’internet. Parmi les jeux de hasard et d’argent, le poker tient une place particulière, car il semble associer le hasard à ce qui serait de l’ordre du talent ou de la capacité spécifique du joueur. Après une histoire de ce jeu et une présentation de ses spécificités, Servane BARRAULT montre que dans le cas du jeu pathologique, cette conviction est sur le devant de la scène avec l’illusion de contrôle comme distorsion cognitive principale, quel que soit le jeu et élément prédicteur.
6Le jeu d’échecs véhicule également son cortège de mythes et d’histoire. Olivier PHAN et Damien COULOMB dans un article original à deux voix nous propose de mettre en parallèle ce jeu ancestral probablement né il y a plus de 2500 ans en Inde et la pratique moderne d’un jeu vidéo « League of Legend ». Cette étude des jeux permet de cerner la fonction de ceux-ci, à la fois métaphore de combat et de guerre, mais aussi moyen moderne, ainsi que nous le montre la clinique, de sublimer sa colère, d’étancher sa soif de compétition ou de se protéger de sa dépression.
7Émilie COUTANT précise les facteurs de vulnérabilité et de protection sur un lieu spécifique : celui des points de vente dans les bars, dans le cadre d’une enquête de 15 mois. Elle est amenée à isoler des attitudes, des comportements, des motivations et des types de rapport au gain et à la perte. Ces spécificités permettent de définir des pistes en faveur de la réduction des risques sur les sites de vente : accès à l’information, la prise en charge, les moyens de substitution, l’auto-support.
8La résultante sociale incontournable de ces jeux d’argent à terme est celle de l’endettement. Anne PHILIBERT et al., nous montre que l’endettement n’est pas une situation homogène et qu’il est possible d’en établir une typologie et des profils type de joueurs et joueuses sujets aux dettes : les invisibles, les autonomes, les tributaires et les précaires. Cette réalité est souvent difficile à aborder, car à la stigmatisation de l’endettement elle voit s’ajouter celle de l’addiction. Le rôle de l’entourage, qu’il s’agisse de la famille des proches, mais aussi du médecin, est alors central dans la détection d’une pratique qui se met à déraper.
9Dans d’autres circonstances, c’est le corps qui est le lieu et l’objet du jeu. C’est le cas par exemple des jeux dangereux tels ceux pratiqués par les adolescents. Comme le rappelle Grégory MICHEL, citant Anatole France : « le jeu, c’est un corps à corps avec le destin ». Cette définition n’est pas sans nous rappeler les processus ordaliques si présents chez les personnes addicts, notamment les toxicomanes. L’auteur décrit trois types de jeux : les jeux de défi, les jeux d’agression, les jeux de non-oxygénation, dont il nous propose de dégager le sens et les fonctions psychopathologiques. Dans cette période particulière de l’adolescence, et cet attrait du risque qui la caractérise, on peut se demander si le terme de « jeux dangereux » ne constituerait pas un oxymore.
10L’adolescence est passée pour ces patients particuliers qui sont adultes et malgré tout toujours addicts aux jeux vidéo. Ils sont ce qu’Élizabeth ROSSÉ appelle les « Tanguys des jeux vidéo ». Le cas de Damien montre que l’usage de jeux vidéo permet à ces patients d’éviter de se confronter au devenir adulte et à ses notions d’autonomie, de maturité, et d’intimité.
11En complément de ce numéro, nous vous proposons deux varias.
12Le premier est une présentation par Imaine SAHED de l’outil Ageven dans la prévention des consommations de substances psychoactives. Basée sur l’autoreflexion, il cherche à sensibiliser, dans le cadre de groupe de parole, le jeune sur l’influence et le poids que peuvent représenter ses pairs et à la perte d’autonomie qui en résulte. Expérimentée ici auprès de 331 lycéens, la fiche Ageven peut avoir un impact sur les consommations que ce soit en termes d’arrêt ou de diminution.
13Le second varia s’intéresse aux rapports entre sexualité et usage de drogues chez les gais séropositifs. Dans le cadre d’une enquête auprès de 80 personnes, J.Y LE TALEC et Françoise LINARD montrent que consommation de drogues et activité sexuelle sont très étroitement liées et peuvent être qualifiées de situationnels. C’est bien souvent l’activité sexuelle, elle seule désinhibitrice, qui déclenche l’usage de SPA et non l’inverse. Ces hommes bien intégrés socialement, sont coincés entre deux mondes : celui des responsabilités et celui d’une « sexualité d’évasion ».
14Enfin, pour clore ce numéro, nous sommes heureux de publier la note de lecture que Yannick LE HENAFF consacre à l’ouvrage collectif sous la direction de ML. Déroff et T. Fillaud paru en 2015 sous le titre : Boire : une affaire de sexe et d’âge. Cet ouvrage en quatre parties montre « offre une diversité stimulante des approches du boire… »
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Revue Psychotropes : « Jeu addiction et société » vol 13, numéro 3-4, 2007 : 286 pages.