Couverture de PSYT_203

Article de revue

Les campagnes de communication sur les drogues sont-elles efficaces et utiles ?

Pages 55 à 78

Notes

1Pour les professionnels de la prévention, la communication grand public en santé publique est considérée comme une modalité de prévention. Elle est utilisée pour informer ou montrer l’intérêt porté par les pouvoirs publics aux problèmes majeurs de santé. Elle a également une fonction pédagogique en cherchant à éclairer le citoyen sur les comportements favorables à sa santé. Elle peut aussi avoir comme finalité de mettre à l’ordre du jour un problème de santé publique auprès de la population et auprès des relais d’opinion. Enfin, elle peut viser à faire changer la perception de la population sur un sujet, en vue de faire évoluer ses comportements de santé.

2Le propos est ici de traiter le cas particulier des grandes campagnes nationales de prévention sur les drogues, de leur utilité et de leur efficacité : « marchent-elles » ou ne « marchent-elles pas » ? Sont-elles vérifiées, évaluées ? Peut-on objectivement juger de leur impact ?

Drogues : les campagnes média en France

3Depuis la création en 1982 d’une instance interministérielle à la lutte contre la drogue et la toxicomanie, on dénombre onze campagnes de communication grand public. On peut différencier trois grandes périodes en fonction de l’orientation générale selon laquelle le sujet est abordé.

1982-1998 : la Drogue

4Quatre campagnes ont été lancées sur cette période par le ministère de la Santé, le CFES [1] et la DGLDT [2]. Elles se situent dans un contexte de politique publique sur les drogues, orientée vers une approche dite de « guerre à la drogue » (Coppel, Doubre, 2013), guerre jamais déclarée, mais effective depuis la loi de 1970 : criminalisation des usagers de drogues, orientation thérapeutique tournée vers le seul objectif de l’abstinence, diabolisation de la « drogue » et de dealers.

La drogue, c’est de la merde (1986) [3]

5Ce spot TV est dirigé par Jacques Séguéla et réalisé par Jean-Marie Perier. Il a été diffusé en France en janvier 1986. Dans cette vidéo d’une minute, on découvre trois adolescents dans une cour d’école. Une toute jeune fille parle avec un garçon plus âgé (quinze ans peut-être). Un peu plus loin, un garçon d’une douzaine d’années les observe. Le couple s’éloigne, suivi à distance par le « petit ». On les retrouve dans les toilettes du lycée. En échange d’un billet, le grand dépose sur le lavabo des comprimés de drogue. La fille hésite, mais le « petit » intervient alors. S’emparant du sachet, il le jette dans la cuvette des W.C. Le slogan s’affiche sur fond d’eau tourbillonnante : « La drogue, c’est de la merde ». Le dernier plan nous montre le petit garçon enlaçant la petite fille par les épaules, tous les deux souriant largement.

6Simultanément à la diffusion de ce clip sur TF1, Antenne 2 et FR3, des messages radio ont été diffusés sur les radios nationales et une affiche a été placardée sur 1 500 panneaux à Paris et en banlieue.

La drogue, parlons-en avant qu’elle ne lui en parle (1986) [4]

7En décembre 1986, le ministre français de la Santé, Madame Barzach, lance une campagne anti-drogue à la télévision et par affiches, intitulée « La drogue, parlons-en avant qu’elle ne lui en parle ». Elle vise avant tout les adultes. Dans le spot TV, on voit un enfant d’une douzaine d’années, prisonnier d’une seringue. Le piston s’abaisse progressivement et au moment où celui-ci va l’écraser, l’image nous montre un père de famille en train de s’éveiller. Suite à ce cauchemar, le père engage la conversation avec son fils. Le slogan « La drogue, parlons-en avant qu’elle ne lui en parle » s’affiche. Le spot se termine sur un renvoi vers une ligne d’aide téléphonique.

Aidons-les à trouver la force de dire non (1991) [5]

8Réalisé par Patrice Leconte et diffusé en France en 1991, ce spot TV présente un dialogue entre deux jeunes. L’un propose de la cocaïne à son camarade. Ce dernier se remémore des souvenirs familiaux heureux, réfléchit et déclare alors : « Non, j’en veux pas ». Une voix off enchaîne : « Aidons-les à trouver la force de dire non ». Comme pour « Parlons-en avant qu’elle ne lui en parle », cette campagne vise plutôt la famille du jeune.

Contre la drogue, on n’est jamais trop (1994) [6]

9Dans ce spot TV en noir et blanc, diffusé en 1994, la caméra zoome sur un adolescent, assis sur une chaise, qui se tient la tête. Une voix off lit un message qui se termine sur le slogan « Contre la drogue, on n’est jamais trop ». Le spot renvoie à une ligne téléphonique d’aide.

1999-2002 : les produits les comportements, la RDR

10Dans la seconde moitié des années 1990, pour faire face aux conséquences désastreuses d’une épidémie de SIDA non contrôlée chez les usagers de drogues, la politique française sur les drogues va profondément se transformer en se « sanitarisant » (Bergeron, 2009). Les pouvoirs publics adoptent une nouvelle politique fondée sur une approche pragmatique et scientifique. C’est la période de publication des grands rapports (Parquet, 1998 ; Roques, Bernard, 1999) sur lesquels s’appuie une démarche globale pour l’ensemble des produits psychoactifs, qui cible les comportements plutôt que les produits dans une optique de « réduction des risques ». Cette évolution va se traduire par un effort de communication important, dans la perspective de construire une culture commune sur les drogues et donc de faire évoluer dans ce sens les représentations des professionnels et du grand public (MILDT, 1999).

Drogues : savoir plus, risquer moins (2000) [7]

11Par conséquent, en avril 2000, une nouvelle campagne d’information est lancée par le gouvernement. Elle rompt avec le message injonctif des précédentes campagnes. En plus des produits illicites, elle inclut l’alcool et le tabac. Elle se base sur un livre distribué en kiosques Drogues : savoir plus, risquer moins (Paris, Seuil, coédité avec le CFES et la Mildt.) Il est diffusé à 4 millions d’exemplaires et vendu 10 francs. Il détaille pour chaque produit les statistiques de consommation en France, les effets et les dangers, la législation… Cinq brochures (Alcool, Cannabis, Cocaïne, Ecstasy et Tabac) soutiennent l’action, mais également quatre spots de publicité, réalisés par Joachim Bach, qui vont servir de relais promotionnels au livre. Ces spots vont être diffusés pendant trois semaines sur les chaînes de télévision et permettront la mise en place d’un message à double détente : la télé pose une question ; le livre y répond. Chaque film (15 secondes) illustre de façon allusive une situation, interroge le téléspectateur sur les drogues, la dépendance, les risques et l’incite à s’informer et approfondir ses connaissances sur le sujet. Par exemple, dans l’un des spots, le frigo d’un homme est rempli de dizaines de gelées vertes fluo, qu’il mange en pleine nuit. Slogan : « La dépendance, ça commence quand ? »

Pour prévenir les risques de l’usage des drogues (2001)

12Le 19 juin 2001, la Mildt et le CFES lancent une nouvelle campagne de communication qui interpelle les adultes sur leur responsabilité éducative et citoyenne vis-à-vis des jeunes qui les entourent. Il s’agit d’une campagne presse, via quatre annonces pleine page sur les thèmes alcool, cannabis, ecstasy et polyconsommation. Les annonces sont insérées par deux dans une sélection de médias : presse quotidienne nationale, presse d’actualité, presse TV, presse féminine, people et presse spécialisée. Chaque annonce met en scène une consommation de produits licites ou illicites. Elles présentent des comportements et des contextes de consommation différents, vécus par la plupart des jeunes, et donnent des éléments d’information du type : « près d’un jeune sur cinq déclare avoir fumé du cannabis au moins dix fois pendant l’année » ; « à 17 ans, près d’un adolescent sur deux a expérimenté les trois produits : alcool, tabac et cannabis » ; « 7 % des garçons de 19 ans disent avoir déjà essayé de l’ecstasy ».

Alcool, cannabis, tabac et autres drogues, et vous, savez-vous où VOUS en êtes ? (2002)

13Une campagne publicitaire en radio à l’intention des jeunes de 15-25 ans, composée de 4 spots, est lancée le 30 janvier 2002. Pendant 4 semaines, les spots vont être diffusés sur FUN Radio, NRJ, Skyrock et les Indépendantes. Chaque spot présente une situation qui témoigne d’une consommation problématique. Il est ponctué du message : « Alcool, cannabis, tabac et autres drogues, pour savoir où vous en êtes et faire le point sur les risques liés à votre consommation, vous pouvez taper drogues-savoir-plus.com ou appeler le 113, Drogues Alcool Tabac Info Service. »

  • Spot 1 - Les remarques : « Mon frère me le disait, mes amis me le disaient, mon prof me l’avait fait comprendre. Même ma mère me l’a dit. C’est vrai que j’étais super-nerveux, pourtant je suis plutôt cool d’habitude, mais là ça allait plus trop. Quand j’en avais pas, j’avais envie de tout envoyer péter. Les cours, le hand, ma copine. Et là je me suis vraiment rendu compte que ça dérapait grave. »
  • Spot 2 - L’agenda : « Un matin, on oublie de se réveiller. Puis deux, puis trois. Puis, ben voilà, on loupe la journée entière. On se dit que finalement, c’est pas grave. Comme c’est pas grave les rencards ratés avec les copines, quoi. C’est quand je me suis rendu compte que plus rien n’était grave que j’ai compris que ça devenait vraiment grave. »
  • Spot 3 - La solitaire : « Ben, il est arrivé un moment où pour être bien en soirée j’en prenais systématiquement et de plus en plus. On se marrait bien. Mais de la soirée entre copines, c’est passé au matin, juste après le p’tit déj. Toute seule, avant d’aller bosser, sinon je ne me sentais pas bien. Mais en fait, c’est au boulot que j’ai commencé à ne pas me sentir bien. Naze même… »
  • Spot 4 - Le stress : « C’est bien simple, j’étais stressé. Alors, un petit pour être bien, un pour être drôle, un pour draguer, et ça, à chaque soirée, à chaque bouffe entre potes. Il fallait que j’en fasse des tonnes de provisions pour me sentir en sécurité, me dire que ça allait être une bonne soirée. Un jour, on m’a avoué que je commençais à être lourd, et que ça devenait glauque. Et le pire, c’est qu’ils avaient raison. »

14En parallèle, le site est lancé, pour permettre aux jeunes d’accéder à des informations concrètes, simples, fiables et scientifiquement validées sur l’alcool, le cannabis, la cocaïne, l’ecstasy et le tabac. Une série de cinq brochures de huit pages sur l’alcool, le cannabis, la cocaïne, l’ecstasy et le tabac est également éditée et diffusée auprès des publics jeunes depuis début 2001.

2002-2012 : le retour vers les produits

15Cette période est celle d’un certain retour en arrière, suivant une logique à nouveau orientée vers les produits, avec une focalisation obsessionnelle sur le cannabis. Sur la lancée des orientations précédentes, le concept de réduction des risques est toutefois inscrit dans la loi (2004). À partir de 2007, la guerre est à nouveau déclarée à la drogue : la réduction des risques est mise en sourdine, la pénalisation des usages est à nouveau mise en avant, une dérive sécuritaire fragilise la prise en charge socio-sanitaire des usagers de drogues (Costes, 2013).

Le cannabis est une réalité (2005) [8]

16Dans le cadre du plan gouvernemental de lutte contre les drogues illicites, le tabac et l’alcool 2004-2008, le ministère de la Santé, la Mildt et l’Inpes mettent en place un programme de prévention de l’usage du cannabis. Il met en avant l’ouverture d’une ligne spécifique « Écoute cannabis » et d’un réseau de consultations cannabis pour les jeunes sur l’ensemble du territoire. Il s’appuie sur trois brochures : « Cannabis, ce qu’il faut savoir », « Guide d’aide à l’arrêt du cannabis » et « Cannabis : les risques expliqués aux parents ». Quatre annonces presse, six spots TV et huit spots radio complètent le dispositif.

17Plus particulièrement, ces six spots TV font partie de la campagne de sensibilisation sur les effets de la consommation de cannabis, lancée en février 2005, en direction des jeunes, âgés de 15 à 25 ans. Dans chaque spot, un jeune témoigne de son expérience sur plusieurs difficultés rencontrées : la perturbation des relations affectives, la dépendance au produit, l’intoxication aiguë et les difficultés scolaires. Ceci étant mis en miroir avec des déclarations telles que « le cannabis n’est pas vraiment une drogue », « avec le cannabis, on se sent super bien », « avec le cannabis, on se fait plein d’amis ». Tous les films se terminent par le numéro d’appel de la nouvelle ligne « Écoute cannabis ».

Drogues : ne fermons pas les yeux (2009) [9]

18Le spot TV « Drogues : ne fermons pas les yeux », diffusé du 6 au 26 octobre 2009, met en regard des images qui nourrissent l’imagerie populaire des drogues et font le constat de la banalisation (scènes de convivialité, unes des magazines) et des images illustrant les dangers qui rendent les risques concrets (accident, précarité, parents désemparés). Le spot renvoie vers le site www.drogues.gouv.fr et vers le numéro de Drogues info service.

19À cela s’ajoutent trois spots radio sur le cannabis, la cocaïne et l’ecstasy et trois spots TV diffusés sur internet, intitulés « Si les dealers disaient la vérité ». Qualifiés par les services de communication de « film viral », ils ont été beaucoup raillés sur internet, du fait de leur aspect caricatural. Ces films ont été retirés d’Internet à la demande d’un ayant-droit et ne sont plus « visionnables » aujourd’hui. Mais voici, par exemple, ce que mettait en scène le spot sur le cannabis :

20Le dealer :

21

« Salut ! Tu veux du shit ? T’en veux combien ? T’as combien ?
De toute façon, quoi que tu prennes, tu vas payer cher pour le cirage, le henné, l’encens et toutes les merdes qu’il y a dedans.
Ben ouais, faut bien que je me fasse du blé sur ton dos !
T’inquiète, au début, t’auras juste des sueurs froides et tu vas gerber…mais après, t’auras des montées d’angoisse et des gros délires parano.
T’auras peut-être l’impression de savoir voler… mais tu seras juste en train de te jeter par la fenêtre.
Tu vas te couper de tout. T’auras plus envie de rien.
Tu seras une larve, mec.
T’en veux combien ? »

Contre les drogues, chacun peut agir (2011) [10]

22Diffusée du 13 décembre 2010 au 3 janvier 2011, cette campagne a pour objectif d’amener les parents et l’entourage à s’interroger sur le rôle qu’ils peuvent jouer dans la prévention de consommation de drogue chez leurs enfants ainsi que sur les actions à mettre en œuvre. Il s’agit de les conforter dans leur capacité à intervenir et de leur proposer un soutien en leur indiquant où trouver de l’aide. À cet effet, trois spots différents, mais complémentaires, sont diffusés.

  • Le premier met en scène Brigitte, la mère de Marion, une jeune fille qui consomme du cannabis, s’isole de plus en plus et rate ses examens ; mais Brigitte va réagir en demandant de l’aide à Drogues info service.
  • Le second spot présente Michael, un adolescent qui prend de la cocaïne, ses parents s’en doutent et son frère le sait, sa petite amie trouve cela rock and roll… Michael est un adolescent bien entouré, tout le monde sait qu’il consomme de la drogue, mais personne ne lui en parle.
  • Enfin, le troisième montre Nelson, un jeune homme qui a refusé de prendre l’ecstasy que lui a proposée son ami. Nelson a dit non, en se rappelant que son entraîneur lui avait conseillé de ne jamais commencer.

« L’envers du décor » sur YouTube (2012) [11]

23Cette vidéo pensée par la Mildt est diffusée sur internet en 2012. Elle met en scène une soirée entre amis. Derrière une scène de consommation classique, le spot invite le spectateur à entrer dans les « coulisses » et à découvrir les conséquences liées à l’acte de consommation, notamment les réalités du trafic, la violence et l’angoisse pour les citoyens cohabitant au quotidien avec des dealers.

24Lors de son lancement, Étienne Apaire, président de la MILDT, précise : « Nous avons choisi de mettre en avant des éléments de contexte liés à la consommation de drogue. Les comportements individuels ont des conséquences collectives. L’idée est de mettre l’internaute à la place du consommateur pour que, dans son moment de consommation (s’il consomme ou est tenté de consommer), il se rende compte des dommages collatéraux que cela implique. »

Évaluation des campagnes nationales

Les campagnes 2000-2002

25Une seule évaluation (de type « externe ») d’ampleur a été entreprise ; elle portait sur les campagnes menées entre 2000 et 2002 (OFDT, 2003).

26Les ressorts sur lesquels s’appuyaient ces campagnes étaient la responsabilisation et l’éducation. L’objectif était de faire évoluer les représentations et les comportements en mettant à la disposition du public une information fiable et crédible sur les produits psychoactifs.

Tableau 1

Actions et campagnes de communication grand public mises en œuvre en 2000, 2001 et 2002

Tableau 1

Actions et campagnes de communication grand public mises en œuvre en 2000, 2001 et 2002

Source : (OFDT, 2003)

Résultats des campagnes

27Les résultats dont on disposait n’ont pas permis de rendre compte d’une relation causale entre ces campagnes de communication et l’évolution des pratiques.

28Néanmoins, ces campagnes ont pu être évaluées en fonction de leur contribution probable à l’atteinte, même partielle, d’objectifs plus lointains. Deux dimensions en rendent compte : la cohérence de la stratégie retenue avec l’objectif visé et les impacts directement mesurables des actions mises en œuvre.

29Les trois campagnes ont fait l’objet de post-tests, enquêtes spécifiques permettant d’apprécier leur impact.

30Les quatre éléments d’appréciation de l’impact des campagnes sont les suivants :

  • mémorisation assistée (se souvenir d’avoir vu, lu ou entendu parler de la campagne dont le contenu est rappelé) ou reconnaissance (reconnaître des éléments visuels ou auditifs de la campagne) ;
  • agrément (avoir aimé la campagne) ;
  • implication (se sentir concerné par le message) ;
  • et incitation (tendre à modifier son comportement dans le sens des changements préconisés par la campagne).

Méthode

31Les conditions techniques de réalisation des post-tests étaient les suivantes :

  • Campagne 2000 : enquête téléphonique ad hoc auprès d’un échantillon de 1 000 personnes âgées de 15 à 65 ans (IOD, 24-29 mai 2000).
  • Campagne 2001 : enquête en face-à-face à partir d’un échantillon de 1 000 personnes âgées de 35 à 55 ans, lecteurs réguliers de l’un ou l’autre des titres du plan média, sur tout le territoire (BVA, 27-31 août 2001).
  • Campagne 2002 : enquête en face-à-face rue, à partir d’un échantillon de 1 000 jeunes de 15 à 25 ans, auditeurs des radios concernées (Ipsos, 26 février-2 mars 2002).

Bilan

32Selon les auteurs de l’évaluation, les résultats peuvent être considérés comme satisfaisants.

33« D’après les post-tests, la campagne 2000 a bien rempli son rôle de promotion du livre : plus du tiers des personnes interrogées (37 %) l’ont jugée incitative. La proportion des achats était également significative puisque 10 % de l’ensemble de la population touchée par la campagne déclaraient avoir acheté le livre.

34De même, la campagne 2001 destinée à la communauté des adultes, bien que bénéficiant d’un impact plutôt satisfaisant, a suscité plus de réserves tant au niveau de la forme – faible qualité et lisibilité des visuels – que du contenu, jugé parfois trop alarmiste, notamment par les parents d’adolescents, même s’ils reconnaissaient le sérieux des messages. Le public cible, les 35-55 ans, ne s’était pas toujours reconnu comme principal destinataire de la campagne, une majorité des personnes interrogées (74 %) percevant celle-ci comme destinée aux jeunes plutôt qu’à elles-mêmes (68 %). Mais seulement 42 % des foyers abritant des adolescents en ont effectivement parlé.

35Enfin, la campagne radio de janvier-février 2002, malgré un score d’agrément élevé, n’a suscité chez les jeunes qu’une implication assez modérée : 40 % d’entre eux déclaraient s’être sentis concernés – objectif de la campagne – et 17 % disaient avoir été amenés à réfléchir sur leurs consommations » (OFDT, 2003).

La campagne 2011

36Les campagnes depuis 2002 ont fait l’objet de bilans, qui ne peuvent pas être considérés comme des évaluations même si ce type de travail est fréquemment considéré comme tel. Pour montrer les limites d’un tel exercice, le bilan de la campagne 2011 sera ici présenté. (Drogues Info Service, 2010).

Les objectifs

37La campagne avait pour objectif d’amener les parents et l’entourage à s’interroger sur le rôle qu’ils peuvent jouer dans la prévention de consommation de drogue chez leurs enfants ainsi que sur les actions à mettre en œuvre. Il s’agissait de les conforter dans leur capacité à intervenir et de leur proposer un soutien en leur indiquant où trouver de l’aide.

Le dispositif

38Trois spots différents mais complémentaires ont été diffusés du 13 décembre 2010 au 3 janvier 2011 (voir ci-dessus). Ces spots visaient à inciter les parents, et plus généralement les adultes, à échanger et à dialoguer avec les adolescents sur le thème des drogues. Ils renvoyaient tous vers le site Drogues-info-service.fr et la ligne téléphonique correspondante.

Tableau 2

Scores d’impact des post-tests des campagnes grand public de 2000, 2001 et 2002

Tableau 2

Scores d’impact des post-tests des campagnes grand public de 2000, 2001 et 2002

Source : (OFDT, 2003)

Le bilan

39Le bilan de la campagne est jugé positif : « L’impact de la campagne de communication est visible sur l’ensemble des données flux d’appels, et constitue une augmentation de plus de 250 % des appels émis et traités. Visiblement, la campagne a atteint sa cible en touchant de manière conséquente l’entourage et plus particulièrement les parents et les grands-parents de jeunes gens de moins de 20 ans autour de la consommation de cannabis. Cette campagne a également augmenté le nombre d’appels d’usagers entre 20 et 30 ans. »

40« 5 610 demandes d’aide ont été traitées pendant la campagne de communication, soit une moyenne de 295 appels par jour. »

41Évidemment, sans objectifs quantifiés fixés au départ, toute évaluation est hautement subjective. Dans ce cas particulier, on peut relativiser la très forte augmentation du nombre d’appels traités (250 %) en mettant en regard le nombre d’appels correspondant, un peu plus de 5 000. Est-ce un chiffre à la hauteur des enjeux du problème ? Quelle suite a été donnée à ces appels ?

Efficacité des campagnes : ce qu’en dit la littérature scientifique

42La littérature scientifique est riche de références traitant de l’efficacité des campagnes de communication grand public comme outil de prévention. De la multitude d’articles et d’études ayant traité le sujet ressortent des travaux de synthèse (séminaire scientifique, revue de littérature, méta-analyse) qui offrent l’avantage d’avoir passé au crible de critères d’analyse robuste toute cette diversité pour en faire ressortir les enseignements (ou parfois l’absence d’enseignement). Dans un premier temps, il est pertinent d’élargir la problématique aux campagnes de santé publique avant de voir ce qui est plus spécifique aux campagnes sur les drogues.

Ce qui marche vs ne marche pas, les thèmes qui ont fait preuve d’une certaine efficacité

43Selon la méta-analyse de Snyder portant sur environ 500 études, une campagne de santé publique contribuerait à faire évoluer 5 % des comportements. Cependant, certains thèmes seraient plus porteurs que d’autres. Ainsi, les campagnes de la sécurité routière qui visent à développer l’usage de la ceinture de sécurité auraient un taux d’impact de 15 %. En revanche, les campagnes de lutte contre la drogue et la marijuana auprès des jeunes auraient un taux d’impact limité de 1 à 2 % (Snyder, 2007).

tableau im3
Proportion d’individus exposés à une campagne et rapportant un changement de comportement après la campagne - Usage de la ceinture de sécurité 15 % - Soins dentaires 13 % - Réduction de la consommation d’alcool chez les adultes 11 % - Planning familial 6 % - Prévention du tabac chez les jeunes 6 % - Prévention pour les maladies cardiovasculaires 5 % - Prise de risques lors de rapports sexuels 4 % - Incitation à passer des mammographies 4 % - Prévention du tabac chez l’adulte 4 % - Prévention de la consommation d’alcool et de son arrêt chez les jeunes 4 % - Campagne de prévention du tabac 4 % - Campagne de prévention usage de drogues et marijuana chez les jeunes 1-2 %
Source : (Snyder, 2007)

44En conclusion de son travail, l’auteur précise que faire adopter un nouveau comportement est plus facile que de faire cesser un comportement comportant un risque. De même, modifier des habitudes (« tous les jours », « tout le temps ») est plus difficile que faire adopter un comportement « ponctuel ». (Snyder, 2007)

45Au terme de sa revue de littérature, Wakefield conclut que seules quelques campagnes ont réussi à modifier des comportements, notamment dans le domaine du tabac et de la sécurité routière, plus rarement dans celui de la nutrition/activité physique, du HIV et de la vaccination, très peu dans le domaine de l’alcool et aucune dans celui des drogues illicites. Sur ces faits, elle recommande que les campagnes s’inscrivent dans une politique plus globale, s’inscrivent dans la durée et fassent l’objet d’une évaluation externe. Elle souligne également la nécessité de s’assurer lors du lancement d’une campagne que l’offre de service qu’elle est susceptible de mobiliser soit bien disponible (Wakefield, Loken, Hornik, 2010).

46Dans le domaine du tabac, une revue systématique Cochrane s’est intéressée aux campagnes de communication en prévention du tabagisme chez les jeunes. Elle constate tout d’abord, comme les travaux précédemment évoqués, que très peu de ces campagnes ont fait l’objet d’une vraie évaluation. Pour cette revue, seules 7 études sur les 84 recensées ont été retenues, car elles satisfaisaient aux critères de sélection ; 3 de ces études ont conclu que la campagne avait amené une réduction du tabagisme. Ces campagnes efficaces se caractérisent par une solide base théorique, une recherche approfondie pour l’élaboration des messages, une intensité dans l’exposition médiatique des messages ainsi qu’une certaine durée (Brinn, Carson, Esterman, Chang, Smith, 1996).

47Dans le cadre du séminaire scientifique organisé en 2011 par l’Inpes sur le thème de l’évaluation des campagnes de prévention, une méta-analyse sur les campagnes sécurité routière, a été présentée. Elle met en avant le fait que seules les campagnes combinées avec d’autres actions ont engendré une réduction significative du nombre d’accidents (de l’ordre de 8 %) et que cette réduction est d’autant plus importante que les campagnes sont : menées au niveau local, ciblent une population spécifique, ciblent un seul thème, durent environ 200 jours, sont basées sur un modèle théorique, une stratégie planifiée et comportent un message qui peut être perçu au moment où les automobilistes sont au volant (Inpes, 2011).

Focus sur les campagnes « drogues »

48En matière d’évaluation de l’efficacité des différents types d’intervention dans le domaine des drogues (prévention, traitement, réduction des dommages), un rapport collectif publié en 2012, « Drug policy and the public good », fait référence. Celui-ci conclut sur l’absence de preuve d’une quelconque efficacité des campagnes médiatiques sur la prévention ou la baisse des consommations. Il nuance toutefois en évoquant la possibilité d’un impact de celles-ci sur la prise de conscience des dommages potentiels liés à ces consommations (Strang et al., 2012)

49L’observatoire européen des drogues et des toxicomanies s’est également penché sur la question et a publié un rapport en 2013 sur les preuves de l’efficacité des campagnes de communication auprès du grand public. Ces campagnes visent à diffuser largement une information sur un comportement ou un risque pour les individus, en sorte de provoquer un changement de leur comportement. L’agence européenne constate tout d’abord que très peu de ces campagnes (pourtant nombreuses) ont été évaluées et que, lorsqu’elles le sont, l’évaluation est limitée à la perception par le public des messages diffusés : sont-ils compris, retenus, aimés (EMCDDA, 2013) ?

50Quand de robustes évaluations ont été conduites, elles sont rarement conclusives. Ainsi, une méta-analyse – sur les études évaluatives conduites entre 1991 et 2011 au sujet de l’efficacité des campagnes médiatiques de prévention sur l’usage de drogues, ou sur l’impact de ces campagnes sur l’attitude vis-à-vis de ces usages, concernant les jeunes âgés de moins de 26 ans – a trouvé 23 études de qualité suffisante (menées aux États-Unis, au Canada et en Australie) impliquant environ 200 000 jeunes. Ce travail conclut qu’elles n’auraient aucun effet sur la réduction des usages de drogues et qu’elles pourraient avoir un « faible effet », dans certains cas, sur l’intention d’en consommer. Il met en garde également sur de « possibles effets non désirés », en donnant comme exemple le fait que certains jeunes déclarent qu’ils souhaitent expérimenter ces substances après avoir été exposés à ces campagnes (EMCDDA, 2013).

Le programme National Youth Anti-Drug Media Campaign (NYAMC)

Cette campagne nationale, dotée de moyens financiers très importants (plus d’un milliard de dollars), visait à réduire l’initiation à la drogue chez les jeunes Américains. Ces derniers ont été exposés, par la télévision, à deux ou trois messages « anti-drogue » par semaine et ceci pendant plusieurs années.
Une étude a mesuré l’exposition à la campagne, ainsi que les représentations et le comportement des jeunes et de leurs parents vis-à-vis de la drogue avant et après celle-ci. Elle a porté sur un échantillon de 8 000 enfants et leurs parents, interrogés à plusieurs reprises pendant quatre ans.
L’évaluation a montré que la campagne n’avait pas eu d’effet positif. Au contraire, elle a entraîné un regain d’intérêt pour la drogue chez les jeunes. En effet, ceux qui avaient eu un degré moindre d’exposition étaient les plus susceptibles d’exprimer des normes « anti-drogue ». Une des hypothèses explicatives à ce phénomène serait que les enfants, surexposés à cette campagne, recevaient tant de messages de prévention sur la drogue qu’ils en sont venus à penser que les adolescents devaient être nombreux à consommer ces substances. Cette idée aurait suscité un regain d’intérêt pour ces substances, « puisque tout le monde le fait ». La campagne aurait contribué à une normalisation de la drogue (Hornik, Jacobsohn, Orwin, Piesse, Kalton, 2008).
À la suite de ces résultats qui ont paru assez surprenants, le gouvernement américain a décidé de réorienter la campagne suivante, d’y accorder moins de moyens et de supprimer l’évaluation !

Bonnes pratiques sur les campagnes

51L’ambition ici ne vise pas l’exhaustivité du sujet, notamment au sujet des bases théoriques sur lesquelles peuvent se fonder de bonnes pratiques sur les campagnes de prévention grand public, mais à présenter et discuter quelques repères en la matière.

Comment influencer les individus ?

52La première question à laquelle est confronté ce type d’intervention est celle des moyens utilisables pour influencer les individus de façon à faire évoluer leur comportement. Assez schématiquement, on peut distinguer trois grandes approches :

  • Alerter, faire prendre conscience (d’un problème).
  • Informer sur les dispositifs d’aide ou prévention existants.
  • Corriger des croyances erronées ou clarifier les normes sociales.

53Les campagnes qui visent à prévenir l’usage en informant sur les dangers de ceux-ci sont basées sur un modèle théorique, des croyances en santé, qui suppose qu’en faisant prendre conscience de conduites défavorables à la santé et des comportements qui permettent de les éviter, les individus vont adopter ces derniers (Glanz et al., 2002). Dans le champ des drogues, ceci se traduit par la supposition qu’en informant les gens sur les dangers des drogues, ils vont renoncer à en consommer.

54D’autres modèles théoriques existent. Ainsi, selon la théorie de « l’action raisonnée », le positionnement personnel par rapport à un comportement se fait en fonction de trois paramètres : l’attitude individuelle (comportement objectif), la perception de la norme sociale et la représentation que l’individu a de son comportement (Ajzen, 1991). On pourrait ainsi considérer, dans le cas des usages de drogues, que celui-ci est une décision rationnelle basée sur l’attitude de l’individu, sa perception des normes sociales sur les drogues et sa croyance sur le contrôle de son comportement. Les campagnes basées sur ce modèle tentent de rétablir ou clarifier les normes sociales.

55La théorie des « normes sociales » soutient que les comportements sont influencés par les perceptions, souvent incorrectes, des normes et comportements des autres, proches ou groupe social auquel appartient un individu (Perkins, Berkowitz, 1986). Les campagnes dans le domaine des drogues qui s’appuient sur ce modèle essayent de corriger l’erreur de penser qu’une « la plupart des gens consomment des drogues ou en tolèrent l’usage ».

56Un autre modèle, « probabiliste », distingue deux voies empruntables pour influencer un changement de comportement :

  • Une voie centrale, où l’argument peut être pesé et évalué par l’individu au regard de ses propres croyances ; l’argument peut ainsi être jugé crédible et recevable.
  • Une voie périphérique, où il n’y pas ce travail argumentaire, mais où on demande à l’individu de faire confiance à un médiateur (ex. : un artiste ou une personnalité reconnue qui va faire passer le message).

57Cette théorie constate que les changements d’attitude médiatisés par la voie centrale, plus exigeante, sont plus effectifs et plus robustes que ceux médiatisés par la voie périphérique (Agostinelli, Grube, 2002).

Complexité des mécanismes qui sous-tendent les changements de comportement

58Ces différents modèles reposent sur l’hypothèse implicite d’une rationalité des comportements. Dans la réalité, il y a un fossé entre connaissance et comportement : les gens ne passent pas forcément aux actes en adaptant leurs comportements en fonction de leurs connaissances. Aussi est-il nécessaire de toujours avoir des objectifs ciblant l’évolution des pratiques et non pas seulement les connaissances ou les perceptions ou croyances. Le changement des représentations et la prise de conscience des risques liés à un comportement sont une condition nécessaire, mais non suffisante d’une modification du comportement (Snyder, 2007).

59Jouer avec les émotions peut produire des effets importants sur le public que l’on cible, mais pas toujours dans le sens que l’on désire. Dans le cas de la peur par exemple, le processus psychologique sous-jacent à son impact sur les attitudes et les comportements est complexe (Gallopel, Petr, 2000). L’exposition d’un individu à une menace le pousse à adopter deux types de conduite pour résoudre la tension induite par l’émotion négative générée par la peur :

  • L’action : la perception du danger engendre une peur qui motive l’individu à agir et à rejeter son habitude malsaine pour y échapper.
  • La défense : la perception du danger engendre une peur qui pousse l’individu à rejeter l’information diffusée dans le message préventif afin de réduire l’émotion négative ressentie. Cela se traduit par exemple par un évitement de la communication ou un dénigrement de celle-ci (Dantzer, 1989).

Points clefs d’une campagne efficace

60Le séminaire scientifique organisé en 2011 par l’INPES, sur le thème de l’évaluation des campagnes de prévention, précise les conditions de réussite d’une campagne de communication grand public (INPES, 2011) :

  • Définir des objectifs clairs et mesurables tels qu’un changement de comportement (chiffré) ou un impact sur une variable intermédiaire (connaissances ou croyances, mais sans être sûr que ceci se traduise par un impact sur les comportements qui ne sont pas toujours rationnels).
  • Tester les résultats attendus (comment se passe la transition entre le message reçu et compris et les modifications de comportement).
  • Définir le groupe cible.
  • Définir une stratégie de communication et la tester (crédibilité, émotions positives vs négatives).

Points clefs pour l’évaluation des campagnes

61Il y a souvent une confusion sur le terme « évaluation », notamment quand il s’applique au cas des campagnes de prévention grand public où l’évaluation est souvent réduite aux seuls résultats d’études d’audience, « post-test », qui ne sont pas des études évaluatives. Ces post-tests, issus du monde publicitaire, nous donnent des chiffres, nous indiquent si la campagne a été appréciée, si les gens l’ont trouvée sympathique, s’ils se souviennent de l’avoir vue, mais le changement de comportement n’est pas inclus dans l’analyse.

62Les méthodes mobilisables pour une vraie évaluation sont diverses. En dehors des essais cliniques randomisés (outil de référence dans le domaine de l’évaluation d’un traitement, inadapté en ce qui concerne les campagnes de prévention), toutes les méthodes statistiques ou épidémiologiques peuvent être mises à contribution : les études quasi expérimentales (essais contrôlés non randomisés qui permettent de comparer des groupes témoins à des groupes exposés au programme), les études avant/après, les études ici/ailleurs, les études avec cohortes sur le long terme, les séries temporelles.

63Toutefois, les campagnes de communication en matière de santé impliquent une série de conditions qui rendent leur évaluation difficile, surtout si on cherche à juger de leur effet en termes de changement de comportement (INPES, 2011). Ces difficultés sont inhérentes à :

  • l’utilisation de modèles dont les effets sont complexes,
  • la lenteur et la faible intensité des effets des campagnes,
  • le caractère évolutif des interventions,
  • le taux d’exposition, qui n’est pas toujours suffisant,
  • les disparités des effets sur les populations.

64S’il est difficile d’évaluer leur efficacité, juger de leur pertinence (un des critères d’une évaluation) est plus facilement accessible. Les questions qui se posent dans ce registre de l’évaluation sont les suivantes :

  • Y a-t-il eu des études qualitatives et quantitatives pour comprendre ce qui est à l’origine du comportement à risques ciblé par la campagne et quelles en sont les composantes ?
  • Sur quels modèles théoriques décrivant les motivations sous-jacentes aux comportements se fonde-t-on ?
  • Y a-t-il eu des campagnes et autres actions antérieures évaluées ?
  • A-t-on fait des études de marché sur le public cible pour mieux le connaître et mieux l’atteindre ? Quelles sont les motivations et les représentations sous-jacentes aux comportements des individus ciblés ?

Conclusion

65La question de l’efficacité des campagnes de prévention grand public dans le domaine des drogues n’a fait que peu l’objet d’études évaluatives de qualité, en raison notamment de la complexité d’un tel exercice. Toutefois, la littérature scientifique existante, certes rare, est convergente : il n’y a que très peu d’évidence montrant que ce type d’intervention soit efficace.

66Le cas français est une pleine illustration de cette absence d’évidence d’efficacité. Les campagnes grand public sur les drogues en France ont accompagné la progression régulière du phénomène des usages de drogues au cours des 25 dernières années. Outre la faible efficacité attachée généralement à ce type d’intervention, le cas français est aussi exemplaire de ce qu’il ne faut pas faire en ce domaine : faiblesse de préparation et de cadrage conceptuel, absence d’objectifs clairs et mesurables, pas de continuité, peu ou pas d’évaluation.

Graphique 1

Evolution du nombre d’interpellations pour usage de stupéfiants (1968-2010)

Graphique 1

Evolution du nombre d’interpellations pour usage de stupéfiants (1968-2010)

Source : Auteur à partir des statistiques de l’OCRTIS

67Comme nous l’avons vu, pour que de telles campagnes puissent espérer avoir un effet – si ce n’est sur les comportements, au moins sur les perceptions du public ciblé –, il faut au minimum :

  • Un objectif clair. Quel changement vise-t-on ? L’usage ? L’usage problématique ? La précocité ?
  • Une cible précise. Les jeunes, les adultes, les consommateurs ou les non-consommateurs ?
  • De la durée et donc une pérennité des budgets alloués à de telles campagnes (qui sont très coûteuses).
  • Vérifier si les messages touchent leur cible et modifient réellement le comportement des groupes cibles.

68Dans le contexte français actuel, les conditions ne sont pas remplies. On est tout d’abord contraint par un cadre légal qui nous conduit à une incohérence. En effet, dans une perspective de santé publique, l’objectif de la prévention est de réduire les comportements problématiques, ceux qui induisent de dommages avérés à la santé. Dans le cas de drogues, peut-on utiliser le concept pertinent d’usage problématique quand la loi prévoit pour un simple usage une peine pouvant aller jusqu’à un an de prison ? On n’imagine pas non plus dans le contexte actuel des finances publiques qu’on puisse dégager tous les ans les sommes nécessaires à des campagnes qui aient une certaine intensité et une pérennité. Enfin, l’organisation institutionnelle du pilotage gouvernemental sur les drogues, qui est en position de piloter de telles campagnes, ne possède pas la compétence nécessaire à la conception et réalisation de campagnes suivant les critères d’exigence des bonnes pratiques en la matière.

69Pour ces différentes raisons, ces campagnes semblent inutiles en France, du moins si leur objectif est d’informer pour prévenir et changer les attitudes et les comportements. Il ne leur resterait qu’une utilité : mettre a? l’ordre du jour un problème de santé publique auprès de la population et auprès des relais d’opinion, mais ce serait une utilité bien coûteuse.

Bibliographie

Bibliographie

  • Agostinelli, G. & Grube, J. (2002). Alcohol Counter Advertising and the Media: A Review of Recent Research (Research for and preparation of this paper were supported by National Institute on Alcohol Abuse and Alcoholism grant AA–12136 to the Prevention Research Center, Pacific Institute for Research and Evaluation.).
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Mots-clés éditeurs : efficacité, internet, prévention, médias, télévision, évolution, évaluation, information, santé publique, communication

Mise en ligne 04/03/2015

https://doi.org/10.3917/psyt.203.0055

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