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Article de revue

Communauté féminine pour patientes atteintes d'une double pathologie : une “résidence protégée” pour venir en aide aux femmes victimes d'abus sexuels

Réflexions cliniques, difficultés de traitement et hypothèses d'intervention au sein de la communauté thérapeutique “fermata d'autobus” au Piémont, Italie

Pages 109 à 122

Notes

  • [1]
    Les chiffres entre parenthèses renvoient à certaines références dans la bibliographie.

Introduction

1Le présent article s’appuie sur des réflexions cliniques menées par l’équipe professionnelle qui œuvre auprès des Communautés résidentielles à destination des patientes atteintes de double pathologie de l’Association Fermata d’Autobus ; les considérations et les hypothèses de fonctionnement proposées sont donc issues d’une expérience professionnelle exercée au contact direct des résidentes hébergées dans ces structures.

2L’Association Fermata d’Autobus est née en 1998, à l’initiative de Raffaella Bortino, forte d’une longue expérience dans le traitement de la toxicomanie, et a pour domaine d’intervention le traitement en résidence de patients présentant une double pathologie (Bonetti A., Bortino R., 2005 ; http://www.fermatadautobus.net/).(1) [1]

3Le fonctionnement de Fermata d’Autobus s’articule autour d’un parcours de soins, qui comprend trois Communautés Thérapeutiques et plusieurs Résidences communautaires. Le fait de disposer de structures avec différents niveaux de protection et de restriction, étroitement liées les unes aux autres, permet de mettre en place des parcours de soins et de rétablissement, en adéquation avec le degré d’autonomie des patients par rapport au produit et avec le degré de compensation psychopathologique atteint.

4Nous avons opté, jusqu’ici, pour l’organisation de deux Communautés thérapeutiques mixtes et de petite taille, qui permettent de créer un climat convivial et familial. L’existence de deux structures différentes permet d’accueillir de nouveaux arrivants en évaluant la compatibilité des caractères des résidents avec les climats émotionnels et interpersonnels existants. L’insertion des structures dans un contexte urbain de taille modérée offre à nos résidents la possibilité de nouer des contacts et d’évoluer dans une dimension sociale accueillante.

5Suite aux réflexions cliniques, nées de l’observation des parcours thérapeutiques de certaines patientes, toutes, jusqu’ici, traitées dans des structures résidentielles mixtes, s’est imposée la nécessité de créer une communauté thérapeutique exclusivement réservée au traitement des sujets de sexe féminin.

6L’analyse des ouvrages scientifiques nous montre que des réflexions et des études sur les communautés thérapeutiques et les traitements différenciés par genre, ont déjà été menées dans d’autres pays européens et aux États-Unis (Eliason M. J., 2006 ; Cooperman N.A., Falkin G., Cleland C., 2005 ; Mandel L., Schulman J., Monteiro R., 1979 ; Stevens S., Arbiter N. ; 1995) (2)

7Avant de nous intéresser aux problématiques rencontrées au cours de ces parcours, il nous semble important de nous pencher sur les aspects psychopathologiques auxquels nous avons le plus souvent été confrontés chez ces patientes.

Matériaux et méthodes (pour la réflexion clinique)

8Il s’agit de femmes qui présentent de graves troubles de la personnalité, le plus souvent de type borderline, chez lesquelles les abus et/ou les harcèlements sexuels répétés dont elles ont été victimes, sont l’élément traumatique autour duquel s’est “organisé” leur fonctionnement psychopathologique (Gunderson J.G., 2010 ; De Zulueta F., 1998; Bateman A. et Fonagy P., 2010; Kernberg O., 1987, 2000). (3)

9Il existe, à ce sujet, de nombreux ouvrages de référence internationale qui abordent la façon dont la toxicomanie et les troubles psychiatriques sont liés à des situations d’abus (Asberg K., Renk K., 2012; Strine T.W., Dube S.R., Edwards V.J., Prehn A.W., Rasmussen S., Wagenfeld M., Dhingra S., Croft J.B., 2012; Sartor C.E., Waldron M., Duncan A.E., Grant J.D., McCutcheon V.V., Nelson E.C. Madden P.A., Bucholz K.K., Heath A.C., 2013; Thomas O., 2006). (4)

10Nous avons, depuis 1983, eu l’occasion de traiter environ 350 femmes, âgées de 18 à 55 ans, chez lesquelles, à la double pathologie, s’associait un abus sexuel.

11L’abus a été perpétré dans l’enfance, par un membre de la famille (souvent, le père), face à une relation défaillante de la mère.

12Dans de tels contextes, la figure abusive est devenue la principale référence affective du sujet, qui va jusqu’à développer à son égard un rapport de dépendance pour pallier l’angoisse de l’abandon, liée à l’absence de figures supposées satisfaire ses besoins de maternage : l’attention sexuelle semble avoir joué un rôle, altéré, de reconnaissance de soi, parvenant même, dans certains cas, à se substituer à la fonction défaillante du reflet maternel, nécessaire au développement de l’appareil psychique adaptatif. Cette configuration relationnelle est fort bien décrite, entre autres, par A. Pacciolla, dans son livre, paru en 2004, traitant de l’abus sexuel.(5)

13La “survie” psychique et affective de ces patientes s’est “basée” sur une relation de dépendance sexualisée, et s’est soldée par une impossibilité de développer des capacités d’existence propres. Dans leurs histoires personnelles, l’apparition du trouble se décèle bien avant sa déclaration en pathologies franches (psychiques et de dépendance), qui seront, par la suite, la raison de l’accès aux soins ; en règle générale, les patientes font remonter ce trouble à l’évolution de leur relation avec la figure abusive.

14Là, les scénarios peuvent diverger : soit des évènements de l’histoire familiale (ex : décès ou séparations), les ont éloignées de la figure abusive, soit cette dernière a cessé ses pratiques, les gardant sous silence, ou bien encore, elle a métamorphosé ses attentions sexuelles en refus, qui s’expriment à travers des agressions verbales et de lourdes dépréciations.

15Quoi qu’il en soit, l’élément commun à toutes ces patientes est, qu’à un moment donné, elles ont vu leur si redoutée angoisse d’abandon se muer en dramatique abandon réel, et elles se sont donc retrouvées confrontées à une impossibilité d’“exister de manière autonome” : c’est à ce moment-là qu’apparaît la grande souffrance, qui s’exprime, et surtout, se matérialise, sous diverses formes.

16L’événement traumatique ancien et ses conséquences psychiques et affectives semblent condamner ces femmes, au fil de leur vie, à reproduire ce même traumatisme à travers un mécanisme que A. Correale (2006) explique fort bien, lorsqu’il affirme que, face à un traumatisme ancien, le sujet est enclin à favoriser, au long de sa vie, une succession d’évènements traumatiques, par besoin de contrôler la souffrance liée au traumatisme initial (6).

17Les scénarios sont excessivement semblables : ces femmes, au cours de leur vie, se retrouvent constamment impliquées dans des relations de couples avec des sujets violents, qui abusent d’elles et les maltraitent, et vis-à-vis desquels elles développent des liens de dépendance étroits, dont elles semblent tirer un indispensable bénéfice pour combler leur vide intérieur, fruit de l’abandon subi, et se sentir vivante. L’abus de substance s’avère également efficace à ces fins, et, souvent, les deux choix coïncident avec une prédilection pour les relations avec des toxicomanes et des dealers. Et, lorsque l’élu ne correspond pas tout à fait à leurs attentes, elles peuvent encourager l’apparition des aspects qui leur font défaut, par une incitation à la violence, à la délinquance, à la sexualité abusive, chez leurs compagnons. Enfin, lorsqu’elles se retrouvent démunies de leurs objets de soutien, des actes d’automutilation et suicidaires peuvent se manifester.

18Tout cela les entraîne dans un tourbillon d’autodestruction de plus en plus grand, qui les conduit à l’attention des établissements de soins ; et c’est au cours de ce parcours qu’elles se retrouvent soumises à notre observation, suite à la demande d’un placement communautaire par les Services locaux qui les prennent en charge.

Résultats et discussion (hypothèses d’actions par le traitement communautaire)

19À l’arrivée dans la communauté, qui survient souvent sans motivation intrinsèque de la part des patientes, alors que l’équipe s’emploie, avec la collaboration du service mandant, à mettre en place une réponse de soins, les patientes sont confrontées à la perte de leurs objets d’automédication, car la communauté impose ses interdictions et ses restrictions (produits, comportements à risques, relations nuisibles, etc..). L’objectif du traitement est de mettre un terme au cercle vicieux de la destructivité et d’introduire des objets de substitution qui puissent atténuer la souffrance des patientes, rendre possible leur séjour en communauté, pour orienter ensuite le travail thérapeutique vers l’introduction d’objets plus curatifs et plus “nourrissants”.

20Les relations d’aide, visant à identifier leurs besoins profonds, ont tendance à être perçues avec méfiance, soit parce qu’elles sont considérées comme frustrantes et décevantes, soit parce qu’elles offrent en réponse “un produit affectif” dont elles ont du mal à tirer bénéfice, du fait qu’elles ont derrière elles, ainsi que nous l’avons vu, une expérience de maternage qui ne les y a pas préparées. (J. Bolwby, 1999, 2000 ; A. Ferruta, G. Foresti, E. Pedriali, M. Vigorelli, 1998) (7)

21La relation avec le groupe de résidents semble plus fluide car elle est perçue comme moins menaçante du fait d’une certaine reconnaissance, mais cette familiarité constitue précisément un danger. En effet, bon nombre de sujets de sexe masculin que nous accueillons, présentent des caractéristiques qui en font de parfaits candidats à l’accouplement avec ces femmes, qui, toute leur vie, ont cherché avec acharnement à répéter le traumatisme initial (O. Kernberg, 1995) (8). Nous observons alors que, de manière imperceptible et discrète, donc “transgressive” (même si l’une des règles fondamentales de la communauté interdit toute relation sexuelle entre résidents), commence à s’amorcer un rapprochement qui, avant même les irrécusables actes sexuels, s’exprime à travers de petits gestes de la vie quotidienne et, surtout, par un bien-être soudain autant qu’éphémère des patientes. Au moment où l’équipe intervient auprès du couple, dans l’optique de limiter les risques du rapprochement, la réponse des deux sujets impliqués, va de la négation à la réaction agressive, avec pour résultat un renforcement de l’alliance transgressive.

22Le travail considérable mené jusqu’alors risque d’être réduit à néant et le programme communautaire mis en péril, à travers, par exemple, la consommation de produits en couple, et/ou de réels abandons de la structure, avec les conséquences risquées que cela implique.

23Dans la plupart des cas, ce n’est qu’en quittant la dimension du secret, par l’aveu de l’acte sexuel, suivi de l’application du règlement de la communauté (qui, en réponse à l’acte transgressif s’emploiera à séparer le couple dans les deux structures différentes du parcours de soins), que s’offriront des possibilités de reprise du travail thérapeutique.

24C’est une reprise difficile, surtout en présence d’actes autodestructeurs, à travers lesquels les patientes tentent de contrôler la souffrance qui les submerge. Survient, souvent, une phase dépressive, liée à la perte du soutien qu’apportait la relation sexuelle et, si pour une raison ou pour une autre, ce sont elles qui sont transférées dans l’autre structure, elles perdent également la possibilité de bénéficier de la relation d’aide établie avec le personnel soignant qui s’était occupé d’elles jusque-là. Si elles demeurent dans la structure où elles avaient été placées au départ, et que c’est leur compagnon qui est transféré, on parvient laborieusement à rétablir l’alliance thérapeutique avec l’équipe de soins.

25Lorsque cet objectif est atteint et que se consolide une relation d’aide à travers laquelle on peut accueillir et comprendre leur souffrance, d’une part, et donner du sens à ce qui s’est passé, d’autre part, le parcours thérapeutique reprend son cours.

26Si, sur le plan toxicomaniaque, le renforcement de la relation thérapeutique avec certains intervenants et avec la structure, en tant que lieu d’investissement affectif, offre davantage d’outils à ces femmes pour contrôler leurs impulsions et demander de l’aide, c’est plus difficilement le cas lorsqu’une possibilité de relations sexuelles au sein de la structure existe et sert d’“échappatoire” à la souffrance. Au fil du temps, une attitude plus critique vis-à-vis de ces modalités relationnelles peut se forger, mais elle ne sera ni synonyme de capacité à demander de l’aide, ni de non-concrétisation, car elles sont fonctionnelles de leur existence, basée sur la sexualisation transgressive et secrète au sein de leur groupe d’appartenance (familial, par le passé, communautaire, au présent).

27Même dans les moments où prédomine l’investissement personnel, et au cours de leur parcours thérapeutique, nous parvenons à aider les patientes à se retrouver elles-mêmes, à travers de petits choix, de petits gestes autonomes, et l’on observe l’émergence de désirs d’autodétermination, mais si elles sont approchées par des propositions sexuelles de la part d’un résident, elles demeurent des victimes, paralysées par l’impossibilité de choisir. C’est comme si l’expérience de l’abus, dans son violent débordement, avait miné à la base la possibilité de dresser et de maintenir une frontière entre elles et l’autre, dès lors qu’elles se retrouvent dans un contexte sexualisé. C’est au cours de ces périodes que nous sommes confrontés à des régressions massives, avec la perte des capacités si laborieusement récupérées, mais aussi de ce sentiment de confiance essentiel à tout changement.

28En résumé, le parcours de soins, dont nous connaissons déjà la complexité, devient ensuite compliqué, voire souvent impossible, car la communauté, par sa mixité, ne peut protéger ces femmes de certaines modalités relationnelles qui ont, sur un plan psychique, un effet dévastateur égal, si ce n’est supérieur, à l’usage de substances psychoactives.

29Bien que nous soyons conscients qu’une communauté féminine ne soit pas la solution à tous les problèmes, nous estimons cependant qu’elle peut permettre à ces patientes de bénéficier temporairement d’un “contenu thérapeutique” qui trace plus pertinemment une frontière entre un intérieur peuplé d’objets curatifs et un extérieur susceptible de leur procurer les objets destructeurs qui leur sont familiers. Définir clairement les frontières est fondamental pour ces femmes, qui, comme nous l’avons vu, se sont structurées sur le plan psycho-pathologique à partir d’un empiètement important et confus, ayant pour objet leur corps, mais qui, par la suite, a envahi leur psyché, ainsi que leur fonctionnement émotionnel et comportemental. Une frontière aussi clairement définie pourrait, par ailleurs, entraîner une augmentation des abandons et des retours en structure (aujourd’hui relativement peu élevés, même en vertu du fait que la destructivité s’exerce à l’intérieur, par les moyens évoqués), mais l’obligation de devoir franchir cette frontière pour s’adonner à des actes autodestructeurs présente, à notre avis, au moins deux avantages : premièrement, les patientes sont placées dans des situations où elles doivent faire le choix de l’extérieur, en quête d’objets dont elles dépendent pathologiquement, et donc, paradoxalement, de devoir se définir dans leur autodétermination destructrice ; deuxièmement, la structure se voit libérée de son assimilation à un lieu d’omniprésence destructrice et de transgression secrète, et se dissocie du contexte familier initial, pour se révéler une véritable expérience alternative.

30Nous ne songeons absolument pas à une quelconque forme d’isolement pour ces femmes, qui se sentiraient ensuite “marquées” par l’expérience traumatique initiale, mais à une communauté féminine, étroitement liée à notre parcours de soins, par un partage d’espaces et de temps, consacrés au développement des activités pédagogiques, socialisantes, créatives et de rétablissement.

31Nous estimons, au contraire, que doivent obligatoirement trouver leur place, au sein de la structure qui leur est réservée, des activités thérapeutiques individuelles et de groupe, ayant pour objet la personne, sa matrice affective, ses modalités relationnelles, ses solutions désadaptatives et leurs éventuelles alternatives, ainsi que tout ce qui concerne leur projet au quotidien, l’encouragement des capacités et l’accompagnement vers une possible autonomie.

32Nous pensons que traiter ces aspects dans l’intimité d’un logement “épuré” d’un masculin, qui, dans le vécu de ces patientes, a joué un rôle intrusif, violeur, et, par là même, attirant, peut les aider à investir sur elles-mêmes.

33Nous pensons qu’une première phase de parcours thérapeutique ainsi conçue peut aider ces femmes à se retrouver via la découverte de leurs capacités et de leurs limites, passage obligé pour qu’elles puissent tenter de renoncer au rôle que jouent les objets de dépendance liés au passé, et trouver des formes d’autonomie, et donc, la possibilité d’une vie meilleure.

34C’est dans ce but donc que fut créée, en septembre 2013, la Communauté Thérapeutique Fragole Celesti.

35La structure communautaire se compose d’un logement, qui se trouve dans le village d’Oglianico Canavese, sur le même site que la Communauté mixte.

36Ainsi que nous l’avons évoqué dans les réflexions précédentes, l’idée à la base de la création de cette structure communautaire est de protéger les femmes victimes de violences du contact avec le masculin abusif, en ne les isolant pas dans un logement complètement à part, mais au contraire en permettant la communication et l’échange avec les autres structures qui font partie du Parcours de Soins de Fermata d’Autobus. C’est la raison pour laquelle les deux Communautés se trouvent face à face, mais aussi la raison pour laquelle de nombreuses activités proposées, comme par exemple les ateliers d’expression, se déroulent dans des espaces communs et regroupent les résidents des différentes structures.

37Les activités plus strictement thérapeutiques, qui concernent le vécu et la dimension intime des patientes, se déroulent, quant à elles, au sein de la résidence protégée.

38L’équipe qui œuvre dans cette structure est multidisciplinaire. Nous considérons la multidisciplinarité comme un élément fondamental pour déchiffrer – à travers l’intégration des différentes compétences professionnelles qui interviennent dans la communauté – la complexité psychopathologique dont sont atteintes nos patientes, tout en tentant d’en comprendre et d’en soigner les différentes identités (identité toxicomaniaque, identité psychopathologique et psychiatrique, et identité des femmes victimes de violence).

39Le groupe de travail se compose d’éducateurs, de psychologues et d’aides soignants qui assurent une permanence 24 heures sur 24. Nous avons, d’autre part, recours à la collaboration de psychothérapeutes individuels, de psychothérapeutes familiaux, d’art-thérapeutes, de dansothérapeutes et de responsables d’ateliers (peinture, informatique, céramique, jardinage et horticulture, théâtre, ateliers créatifs et café philosophique).

40Le programme thérapeutique en résidence, qui se déroule au sein de la Communauté, est établi individuellement pour chaque patiente, sur la base d’une analyse attentive de ses besoins et de ses ressources psycho-physiques, à ce moment précis.

41Le personnel de référence, choisi par le nouveau résident, l’accompagnera le long de ce parcours, et assumera les fonctions de guide, de suivi et de contrôle, en liaison avec le reste de l’équipe soignante.

42Les niveaux d’intervention, sur lesquels se fonde le programme thérapeutique individualisé, tiennent compte des principales dimensions existentielles dont la personne est constituée, et sont les suivants :

43En premier lieu, un niveau médico-sanitaire dans lequel nous intervenons sur les aspects liés à la dépendance aux substances et sur ceux relevant du cadre psychopathologique et, par conséquent, de l’administration psychopharmacologique. Une attention particulière est portée, d’autre part, à la protection de la santé des consommatrices et à l’éducation au bien-être psychophysique. Les interventions spécifiques mises en œuvre à ce niveau se composent de soins infirmiers, de soins psychiatriques, d’une assistance médico-interne, et d’une éducation et d’une information en matière de santé.

44Vient ensuite un niveau pédagogico-réhabilitatif au cours duquel les patientes sont aidées au quotidien à réacquérir une énergie physique, psychique et relationnelle qu’elles pourront réinvestir dans le soin de leur propre personne, de leurs espaces et de leurs relations avec les autres filles et le réseau étendu. À travers une implication dans la gestion quotidienne du logement (qu’il s’agisse d’une communauté ou d’un appartement), nous visons à permettre à chacun de faire l’expérience de ses propres capacités, dans l’optique d’un avancement vers une maximale autonomie possible. Cette opération se déroule à travers les activités de gestion quotidienne du logement, en coordination avec le personnel (présent 24h/24), l’aide aux soins personnels, les activités en atelier d’expression et les groupes psychopédagogiques.

45Un autre niveau d’intervention est pour nous fondamental. C’est le niveau psychologique, dans lequel les patientes sont incitées à acquérir une meilleure connaissance de leurs modalités relationnelles, de leurs fragilités et de leurs habitudes d’auto ou d’hétéro-destruction. Son objectif consiste à assimiler des stratégies non destructrices afin de gérer les problèmes personnels et d’améliorer la qualité de vie.

46Lorsque cela est indiqué, une intervention strictement psychothérapeutique vise à la compréhension et au traitement des problèmes sous-jacents aux formes de dépendance et de malaise psychique, ainsi qu’au traitement des violences et des traumatismes subis. À côté du travail individuel est prévue une intervention de type familial, qui a pour objectif de valoriser les ressources de la famille et de souligner les dynamiques dysfonctionnelles, toujours présentes dans les contextes d’abus.

47Enfin, les activités d’art-thérapie et de dansothérapie sont une composante importante qui permettent d’entrer en contact et de stimuler des parties du corps de nos résidentes difficilement accessibles à travers la parole : dans ces contextes, nous voyons, en effet, émerger des potentiels et des ressources qui, dans d’autres cadres, s’expriment avec difficulté.

48N’oublions pas, d’autre part, combien, pour les patientes victimes d’abus, le corps est important et investi, tout comme les limites et les frontières du corps lui-même, qui ont souvent été violées. L’adjonction d’activités d’expression corporelle, non verbale, aux activités de psychothérapie plus classiques, s’avère donc d’une grande utilité dans cette expérience.

49Les activités de psychothérapie, d’art-thérapie et de dansothérapie se raccordent ensuite les unes aux autres, se renforçant et s’affermissant mutuellement.

50Ce type de travail se déroule à travers des accompagnements individuels, des séances de psychothérapie individuelle, des groupes psychodynamiques, des groupes thématiques, des groupes d’art-thérapie, des groupes de dansothérapie, des séances de thérapie familiale, des séances de thérapie de couple et des groupes de soutien pour les proches.

51Le dernier niveau d’intervention est, enfin, celui que nous définissons comme récréatif-socialisant et dans lequel les résidentes sont incitées à activer des parcours récréatifs et de socialisation qui les aident à valoriser toutes ces expériences qui, par leur consolidation au fil du temps, apportent un plus grand degré de satisfaction et une amélioration de la qualité de vie. L’objectif principal consiste à aider le sujet à rechercher le plaisir et à gérer son temps libre, sans mettre en œuvre les modalités destructrices auxquelles il avait précédemment recours. Un travail important est réalisé en aidant les patientes à supporter l’ennui et les vides du quotidien, qui apparaissent souvent dans la vie de ces personnes, soit en raison d’un manque de ressources préexistantes, soit en raison d’une difficulté à instaurer des relations significatives et intimes.

52Un autre champ d’intervention concerne la réinsertion professionnelle, passage délicat vers une vie encore plus autonome. Très souvent, la première ressource à laquelle nous avons recours est l’activation d’une bourse de travail, qui permet une approche ou un retour vers le monde professionnel, dans un cadre dénué de rythmes de production optimaux. Dans la phase suivante, la résidente est épaulée dans toutes les étapes de la recherche d’un emploi (inscription au Pôle Emploi, rédaction et envoi de CV, accompagnement dans les agences intérim). Un espace important est enfin alloué à nos patientes pour leur permettre de participer à des manifestations ou activités (réunions, rencontres, débats, etc.) que nous sélectionnons soigneusement, et au cours desquelles sont débattus les thèmes de la violence et de l’abus sur les femmes. Ce travail s’effectue à travers des rencontres avec le réseau social élargi, des sorties individuelles et de groupes à l’occasion d’excursions culturelles ou récréatives, des conventions avec des centres sportifs (gymnase, piscine, manège équestre), et l’activation de bourses de travail et de recherche pour accéder à une activité professionnelle.

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : femmes, relations sexualisées, violence, abus sexuel, communauté féminine, communauté mixte, double pathologie, dépendance

Date de mise en ligne : 01/07/2014

https://doi.org/10.3917/psyt.193.0109

Notes

  • [1]
    Les chiffres entre parenthèses renvoient à certaines références dans la bibliographie.

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