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Article de revue

Un modèle français de Communauté Thérapeutique ? Les communautés thérapeutiques expérimentales : Consensus des professionnels

Pages 85 à 101

Introduction

1 Les communautés thérapeutiques (CT) ont été introduites comme modalité de prise en charge des personnes dépendantes (au sens addiction) des substances il y a un peu plus de quarante ans et sont encore, dans le monde, une des modalités de traitement des sujets dépendants aux substances (Delile et Bourgeois, 1994 ; Broekaert et al., 2006 ; Denis et al., 2009). Apparue avant la médicalisation des addictions et tout en se distinguant des programmes de soins plus médicalisés et plus intriqués dans le dispositif sanitaire, la CT s’adapte à la diversification des offres d’aide et cherche à constituer aujourd’hui une ressource supplémentaire et pertinente de l’approche bio-psycho-sociale (Carreau-Rizzetto et Sztulman, 2003). Les CT sont des lieux de vie communautaire. Dans la lignée du mouvement des Alcooliques Anonymes (AA), la dépendance n’est pas considérée comme une maladie mais comme un comportement lié à la globalité de l’individu. Le problème n’est pas la substance mais la personne (Bourgeois et al., 1987). Ces lieux de vie ont pour objectif de conduire le sujet dépendant vers la réinsertion sociale, professionnelle et affective. De cette approche découle une organisation des soins autour aussi bien des éducateurs que du groupe de pairs. Les compétences de l’équipe pluridisciplinaire sont équivalentes à celles d’une équipe de centres de soins spécialisés en addictologie (type CSAPA) mais les professionnels sont moins nombreux car l’accent est porté sur la dynamique de tout le groupe : résidents, groupe de pairs et professionnels (Carreau-Rizzetto et Sztulman, 2003). Les professionnels d’encadrement développent un programme d’activités éducatives et thérapeutiques afin de permettre au résident d’évoluer suivant des stades successifs prédéterminés, dont l’aboutissement est de devenir lui-même un intervenant auprès du groupe de pairs.

2 En France, les CT ont mauvaise presse du fait de dérives sectaires (Castagné, 2006). Depuis les années 1990, les prises en charge ambulatoires de l’addiction se sont considérablement développées aux dépens des prises en charge résidentielles (Jacques et Figiel, 2006). Afin de diversifier l’offre thérapeutique dans le domaine des addictions aux substances, le Plan Gouvernemental de lutte contre les drogues illicites, le tabac et l’alcool (2004-2008) a prévu la création de CT dont la circulaire officialisant la création a été publiée en octobre 2006 (2004). Ce type de prise en charge s’adresse aux personnes qui ne souhaitent pas ou plus s’engager dans des traitements pharmacologiques ou pour ceux pour lesquels aucun traitement pharmacologique n’est disponible et qui, par ailleurs, nécessitent une prise en charge dans un cadre contenant et resocialisant (Denis et al., 2009). L’efficacité des CT fait l’objet de discussion dans la littérature scientifique (Yates et al., 2010). Si les études montrent sans ambiguïté une réduction significative des consommations pendant le séjour en CT, le maintien de cette réduction à la sortie n’est pas établi et il manque des études comparatives (Malivert et al., 2011). Les CT créées dans le cadre de ce plan disposaient d’un statut de dispositif expérimental et une évaluation avait été confiée par appel à projet à un organisme de recherche indépendant. Une des finalités de l’évaluation, définie par la DGS et la MILDT, était de décrire la mise en œuvre des CT dans un contexte français permettant ainsi de définir un modèle de CT française pour aider à la mise en place de futures CT. L’évaluation s’est déroulée du 12 mars 2008 au 30 mars 2011.

3 L’objectif de cet article est de décrire, sur la base de la méthode d’analyse Delphi, les consensus établis par les professionnels des CT relatifs au fonctionnement des CT et à la mise en place de mesures de prévention pour éviter les dérives sectaires.

Méthodes

1.1 – CT évaluées dans le cadre du mandat d’évaluation

4 Le cahier des charges de l’évaluation défini par l’OFDT prévoyait l’évaluation de quatre CT. Cependant, l’ouverture de deux CT a été fortement retardée ne permettant pas leur inclusion dans cette étude. L’étude a donc porté sur deux CT.

1.2 – Analyse Delphi

5 L’analyse Delphi est une méthode mise au point pour mettre en évidence des consensus pour consolider les orientations à donner à un projet précis. Elle s’appuie sur la consultation d’experts et la synthèse de leur avis sur un sujet précisément défini (McBride et al., 2003 ; Stitt-Gohdes et Crews, 2004). L’analyse Delphi a porté spécifiquement sur deux thématiques : (1) Le fonctionnement de la CT et notamment la nature et le type d’interaction entre le groupe de pairs et le sujet pris en charge en CT ainsi que l’interaction entre le groupe de pairs et les professionnels de la CT ; (2) Les mesures de préventions développées pour éviter les dérives autoritaires, du prosélytisme religieux ou sectaire et d’exploitation économique.

1.3 – Procédure

6 Suivant la méthode classique de l’analyse Delphi, un questionnaire constitué de questions ouvertes a été développé et envoyé par voie postale aux deux communautés thérapeutiques. Les questions étaient regroupées en sept axes thématiques interrogeant sur : l’admission ; l’encadrement ; l’organisation de la journée ; le projet thérapeutique ; la sortie de la CT ; les aspects logistiques, techniques et financiers ; les mesures prises pour éviter les dérives.

7 Dans un deuxième temps, une réunion a été organisée pour permettre de dégager des consensus sur les éléments essentiels au fonctionnement d’une CT. Cette réunion s’est tenue après 30 mois de fonctionnement des CT.

1.4 – Groupe d’experts

8 Le groupe défini comme experts pour l’analyse Delphi était constitué de professionnels des CT évalués. Au nombre de trois par CT, il était constitué des deux directeurs, d’un psychologue, d’un chef de service et de deux travailleurs sociaux (éducateur et animateur).

Résultats

9 Les consensus dégagés par les experts pour le bon fonctionnement d’une CT sont présentés en suivant. Pour chaque point de consensus, un rationnel était donné.

1.5 – Consensus concernant l’admission

1.5.1 – Consensus concernant les critères de sélection

10 ? Toute demande d’admission doit être accompagnée d’une évaluation clinique (somatique et psychiatrique) et sociale étayée. Cette évaluation doit être faite par des professionnels extérieurs à la CT

  • Ces éléments sont essentiels pour que les professionnels de la communauté thérapeutique puissent évaluer la compatibilité de la situation de la personne avec la prise en charge en CT.
? Pas de restriction concernant les caractéristiques socio-démographiques

11 ? La pathologie addictive doit être au premier plan de la problématique

  • La CT est une structure de prise en charge de l’addiction. Les pathologies psychiatriques comorbides sont prises en charge par la CT, mais elles ne doivent pas être au premier plan de la problématique. La CT doit être une structure de soins et non pas une structure d’hébergement.
? La personne doit présenter une addiction à au moins une substance
  • Toute addiction à une substance peut être prise en charge en CT. Les addictions comportementales (jeu, troubles du comportement alimentaire) sont prises en charge si elles sont comorbides avec une addiction à une substance. Pas de prise en charge pour les addictions comportementales seules sans addiction à une substance.
? La pathologie psychiatrique ne doit pas être au premier plan de la problématique. Toutes les pathologies psychiatriques peuvent être prises en charge dans la mesure où ces pathologies sont compatibles avec une vie en communauté et les activités proposées
  • Pas de prise en charge en CT pour la personne souffrant de trouble psychotique ou schizophrénique actif avec une dimension délirante et interprétative active et qui prédomine sur la pathologie addictive.
? Pas de prise en charge en CT pour la personne souffrant de troubles neurologiques graves (type Korsakoff ou Huntington)
  • Les personnes souffrant de troubles somatiques peuvent bénéficier d’une prise en charge en communauté thérapeutique à condition que ces troubles soient compatibles avec la vie communautaire et les activités proposées. Attention cependant à bien veiller à la disponibilité d’un plateau technique médical accessible et disponible (hôpitaux, cliniques, autres professionnels de santé).

1.5.2 – Consensus concernant le processus d’admission

12 ? Définir une phase d’évaluation et d’observation d’environ un mois après l’admission

  • Cette phase sert à faire une nouvelle évaluation par les professionnels de la structure sur le plan clinique (somatique et psychiatrique) et social. C’est également une phase d’observation du comportement de la personne au sein du groupe des autres résidents. L’admission définitive dans la CT se fait à l’issue de cette phase.
? L’accueil d’un nouveau résident se prépare. Tout nouveau résident a un résident référent et référent professionnel désignés une semaine avant son arrivée
  • La phase d’accueil est très importante. Elle doit se préparer. Le travail des pairs est important d’où la nécessité de l’implication d’un résident référent.
? Ne pas accueillir plus de deux nouveaux résidents par semaine
  • Au-delà de deux nouveaux résidents par semaine, la dynamique de groupe risque d’être altérée.
? Pour un bon fonctionnement, le groupe doit être constitué au minimum de 20-25 résidents
  • En dessous de ce seuil, le travail de groupe est difficile à mettre en œuvre. Dans l’idéal, il faut avoir un équilibre entre les différentes phases (étapes dans la prise en charge en CT) et une diversité en termes d’addiction aux substances.
? L’admission définitive du nouveau résident se fait après avis des autres résidents après la phase d’évaluation/observation d’un mois
  • Les autres résidents ont un rôle important à jouer dans la prise en charge en CT. Leur avis est donc incontournable.

1.6 – Consensus concernant l’encadrement

1.6.1 – Consensus concernant la nature des postes

13 ? 1 directeur

  • Cette fonction n’est pas spécifique à la CT. Comme tout établissement de soins, il est nécessaire d’avoir une personne responsable de la structure, assurant les fonctions de directeur.
? 1 secrétaire
  • Assurer les différentes tâches administratives.
? 1 médecin propre à la structure ayant des compétences en addictologie et en psychiatrie
  • La prise en charge en CT s’adresse à des personnes ayant une pathologie addictive.
  • La comorbidité psychiatrique est très fréquente.
? 1 médecin généraliste
  • Ce poste peut être assuré par un médecin extérieur à la communauté si le dispositif de proximité le permet.
? 1 assistant(e) de service social
  • Les résidents ont besoin d’une aide pour améliorer leur situation sociale et économique. Un des objectifs de la CT est de travailler la réinsertion sociale et professionnelle.
? Infirmier(ère)
  • Pour assurer les soins infirmiers, la gestion et la délivrance des traitements, les missions sur l’éducation pour la santé, les missions d’accompagnement pour les rendez-vous médicaux.
? Psychologue
  • Pour assurer le suivi psychologique des résidents en prise en charge individuelle et en groupe.
? Éducateur(trice) spécialisé(e) ou moniteur(trice) éducateur(trice)
  • Pour assurer toutes les missions d’éducation, encadrer les différents groupes.
? Moniteur(trice) d’atelier ou animateur(trice)
  • Pour animer les différents ateliers en fonction du projet d’établissement.
? Professionnel(le) intervenant dans le champ de l’expression physique et du corps pouvant être psychomotricien(ne), professeur de sport, professeur de théâtre, d’art plastique
  • Le travail sur le corps et le rapport au corps fait partie de la prise en charge.
? Personnel de nuit
  • Ce personnel doit assurer la sécurité des résidents durant la nuit, mais a aussi un rôle d’écoute et de soutien important durant la nuit qui peut être un moment anxiogène pour les résidents.

1.6.2 – Consensus concernant l’organigramme

14 ? La répartition des fonctions doit être explicite

15 ? La répartition des fonctions doit être hiérarchisée

  • La prise en charge doit être démocratisée mais ne doit pas être déprofessionnalisée.
  • Une telle répartition doit garantir des dérives sectaires et autoritaires.

1.7 – Consensus concernant l’organisation de la prise en charge

16 ? L’emploi du temps doit être structuré

  • Il doit être établi pour chaque phase de la prise en charge dans la CT. Le résident doit avoir connaissance de cet emploi du temps avant son entrée dans la CT.
? L’emploi du temps doit se structurer autour de temps d’activités obligatoires et de temps libre
  • Ne pas surcharger la journée. Ne pas proposer d’activités en soirée. Garder un temps libre en soirée.
? Les activités débutent pour un nouveau résident dès l’entrée en CT

17 ? La journée doit s’organiser autour de soins en sessions individuelles et en groupe et d’activités

18 ? Prévoir un temps pour le retour d’informations hors soins et groupes de parole

  • Permet aux résidents de s’exprimer sur le fonctionnement, l’organisation de la CT et ses activités.
? Les résidents planifient et organisent le week-end au cours de la semaine. Le week-end doit être un temps réservé aux loisirs. Les professionnels ne prévoient pas les activités du week-end, mais s’assurent de leur préparation, planification et nature des activités proposées par les résidents. Aucune activité de week-end ne se fait sans l’aval des professionnels.

1.8 –  Consensus concernant le projet thérapeutique

1.8.1 – Consensus concernant la constitution du projet thérapeutique

19 ? Le projet thérapeutique doit définir le parcours de soins dans la CT

20 ? Il est produit par les professionnels de la structure et tient compte de l’avis actif des résidents

  • Les professionnels assurent le pilotage du projet, mais consultent les résidents.
? Il doit être révisé régulièrement
  • Il doit être en évolution constante car il doit s’ajuster au public accueilli et tenir compte des remarques des résidents.
? Il précise l’organisation des soins
  • Définit les phases, le passage d’une phase à l’autre, l’emploi du temps, les activités, les soins.

1.8.2 – Consensus concernant les soins

21 ? Le projet d’accompagnement est personnalisé

  • Il est défini avec l’aide des professionnels en début de prise en charge et est révisé au cours de la prise en charge en fonction de l’évolution du résident.
? Les traitements pharmacologiques de l’addiction sont, de façon générale, individualisés

22 ? Pour les traitements de la dépendance aux opiacés : méthadone et buprénorphine, l’objectif est de pouvoir les arrêter ou les diminuer

  • C’est une des spécificités de la prise en charge en CT.
? Les traitements pharmacologiques de l’addiction sont acceptés à l’entrée en communauté thérapeutique
  • Pas d’obligation d’arrêt des traitements avant l’entrée en CT, y compris pour la méthadone et la buprénorphine.
? Les traitements pharmacologiques de l’addiction peuvent être maintenus au cours de la prise en charge en CT, y compris pour la méthadone et la buprénorphine

23 ? Les traitements pharmacologiques de l’addiction peuvent être initiés au cours de la prise en charge en CT, y compris pour la méthadone et la buprénorphine

  • Le médecin évalue l’indication de la mise en place d’un traitement.
? L’arrêt des traitements par méthadone ou buprénorphine n’est pas une obligation à la fin de la prise en charge en CT
  • L’arrêt dépend de la situation clinique du résident. Le médecin juge de la possibilité d’arrêt du traitement. Le maintien du traitement méthadone ou buprénorphine à la fin du séjour n’est pas considéré comme un échec de la prise en charge en CT.
? Les autres traitements pharmacologiques sont maintenus au cours de la prise en charge en CT si besoin
  • Le médecin évalue l’indication de ces traitements et de leur maintien.

1.9 –  Consensus concernant la sortie de la CT

24 ? Toute sortie au cours de la prise en charge en CT est prévue

25 ? Toute sortie au cours de la prise en charge en CT doit être discutée et validée par les professionnels et les autres résidents

26 ? Les refus d’autorisation de sortie sont toujours argumentés par les professionnels et les autres résidents

27 ? L’exclusion d’un résident est décidée par les professionnels et les autres résidents

28 ? Les raisons de l’exclusion sont toujours argumentées par les professionnels et les autres résidents

29 ? Les professionnels doivent s’assurer d’un relais dans une structure extérieure pour tout résident exclus

  • Ne pas laisser un résident sans ressources sanitaires et sociales.
? La fin de soins en CT se prépare et se programme
  • Elle fait partie du projet de soins individualisé et se travaille tout au long de la prise en charge en CT.
? Ne pas rompre le lien en fin de soins en CT
  • S’assurer d’un relais vers une autre structure à l’extérieur si nécessaire (sanitaire et/ou sociale) ou maintenir un suivi par la CT (maintenir l’encadrement).

1.10 –  Consensus concernant les aspects logistiques, techniques et financiers

30 ? Définir des espaces séparés dédiés aux professionnels et aux résidents

31 ? Définir des espaces dédiés aux activités

32 ? Prévoir des chambres collectives et des chambres individuelles

  • Le type de chambre est défini par le parcours de soins.
? Demander une participation financière des résidents pour l’hébergement
  • Cela participe à l’engagement dans le soin. Cette participation dépend des ressources du résident et doit être de l’ordre de 10 % des revenus.
? Prévoir un budget global de fonctionnement de 1,3 million d’euros par an.

1.11 –  Consensus concernant les dérives sectaires

1.11.1 – Consensus concernant la prévention des dérives autoritaires

33 ? Partage du pouvoir quelle que soit la décision à prendre

  • La prise de décision doit être partagée par les professionnels et les résidents. La décision est collégiale (professionnels et résidents).
? Assurer une supervision mixte professionnels et résidents
  • Assurer la liberté d’expression, prévoir des temps dédiés de partage d’expérience sur les activités, le fonctionnement, le groupe. Un résident doit avoir plusieurs interlocuteurs possibles dans la CT (autres résidents, résident référent, professionnel référent, autres professionnels).
? La communauté thérapeutique doit être un lieu ouvert
  • Un regard extérieur sur la structure peut être assuré par le conseil de la vie sociale, par exemple, ou par la venue de partenaires extérieurs. La CT peut être un lieu d’accueil de stagiaires.

1.11.2 – Consensus concernant la prévention des dérives religieuses ou sectaires

34 ? Pas d’activité cultuelle organisée par la CT

35 ? Activité cultuelle possible hors de la CT ou dans les chambres qui sont des espaces privés

36 ? Pour éviter les dérives sectaires, tout résident doit avoir plusieurs interlocuteurs possibles dans la CT (autres résidents, résident référent, professionnel référent, autres professionnels).

37 ? La CT doit être un lieu ouvert

  • Un regard extérieur sur la structure peut être assuré par le conseil de la vie sociale, par exemple, ou par la venue de partenaires extérieurs. La CT peut être un lieu d’accueil de stagiaires.

1.11.3 – Consensus concernant la prévention des dérives économiques

38 ? Tout échange d’objet est interdit au sein de la CT

39 ? Le temps de travail des résidents doit être limité à 10 heures par semaine

  • Le projet thérapeutique doit être une remise au travail.
? Lors de la dernière phase de prise en charge, un emploi aménagé est possible. Dans ce cadre le résident a un statut de salarié et signe un contrat de travail
  • Il peut s’agir de contrat d’insertion, par exemple.

Discussion

40 L’objectif de ce travail était de définir les points importants à mettre en place pour le fonctionnement d’une CT dans le contexte français, sur la base de l’expérience de professionnels, 30 mois après l’ouverture des CT au statut expérimental. Nous avons fait le choix de l’utilisation de la méthode d’analyse Delphi qui favorise la mise en évidence de consensus entre experts. Dans le contexte de cette étude, les experts qui devaient dégager un consensus étaient les professionnels des CT. Le choix de ces experts peut être critiqué, cependant tous ces professionnels ont participé à la création et à la mise en place de ces nouveaux dispositifs expérimentaux de soins que sont les CT. C’est l’expertise de ces acteurs qui était recherchée.

41 L’évaluation des CT ayant le statut expérimental a débuté dès l’ouverture de ces structures. Il s’agissait donc d’évaluer un processus en création. Cela se traduisait par des tâtonnements prédominant sur l’application littérale de modèles nord-américains ou européens (notamment anglais, belge, espagnol) de CT qui ne s’adaptaient pas nécessairement au contexte français. Cependant, des consensus ont pu être établis.

42 L’admission en CT est peu restrictive et tout usager dépendant de substances (au sens addiction) peut faire une demande de prise en charge. La problématique addictive doit être la problématique principale, les comorbidités physiques et psychiatriques doivent être prises en charge en CT à condition que celles-ci ne soient pas incompatibles avec le programme de soins. Il conviendra toutefois de veiller à ce que le résident ait bien compris le principe de prise en charge en CT et ne conçoive pas la CT comme principalement un lieu d’hébergement. La phase d’admission en CT se poursuit au cours du premier mois en CT qui reste une phase d’évaluation et d’observation. L’admission définitive en CT ne se fait qu’après cette phase d’observation, ce qui permet d’identifier les personnes pour lesquelles la prise en charge en CT n’est pas indiquée.

43 Le consensus concernant l’encadrement met l’accent sur la nécessité d’une équipe pluridisciplinaire avec des compétences équivalentes à celles d’une équipe de centres de soins spécialisés en addictologie (type CSAPA ambulatoire ou résidentiel). Comme souligné par les modèles internationaux de CT, la CT peut constituer une ressource supplémentaire et pertinente de l’approche bio-psycho-sociale (Carreau-Rizzetto et Sztulman, 2003). Les CT internationales décrivent une organisation des soins autour aussi bien des éducateurs que du groupe de pairs mais où les professionnels sont moins nombreux car l’accent est porté sur la dynamique de tout le groupe (résidents, groupe de pairs et professionnels) (Carreau-Rizzetto et Sztulman, 2003 ; Broekaert et al., 2006). Le travail du groupe est souligné par les experts français dans l’organisation du projet thérapeutique. Cependant, le rôle des pairs est clairement établi dans le modèle français et est clairement distinct de la place des professionnels.

44 Concernant le projet thérapeutique, les experts mettent l’accent sur le fait que l’environnement structure la CT en créant des contraintes, des impératifs. Il détermine en partie les offres que les CT peuvent construire en matière de soins, d’activités occupationnelles et de loisirs. Il faut tenir compte du cadre de vie, de l’environnement institutionnel, des modalités de transport, des ressources locales en matière de santé, d’insertions professionnelles et de logement, du rapport avec les habitants. Le consensus établi pour un modèle de CT français est la nécessité d’un emploi du temps structuré autour de temps de soins en sessions individuelles et de groupes et d’activités autres. Concernant le soin en CT, les modèles internationaux de CT définissent les sujets dépendants comme des personnes présentant des troubles de la socialisation et donc nécessitant un traitement social. Dans cette perspective, la dépendance n’est alors qu’un symptôme de la maladie et l’abstinence est une condition d’admission et non l’objectif premier de la prise en charge. Dans cette perspective, les traitements de l’addiction sont arrêtés soit avant l’entrée en CT, soit au cours de la prise en charge en CT (Bourgeois, 1988 ; Broekaert et al., 2006). La circulaire officialisant la création des CT en France indiquait que ce type de prise en charge s’adresse aux personnes qui ne souhaitent pas ou plus s’engager dans des traitements pharmacologiques ou pour ceux pour lesquels aucun traitement pharmacologique n’est disponible et qui, par ailleurs, nécessitent une prise en charge dans un cadre contenant et resocialisant (2004). Après 30 mois de fonctionnement, le consensus se dégageant est que l’arrêt des traitements de l’addiction ne doit pas être vu comme un impératif et que le maintien de ces traitements au cours de la prise en charge en CT ne doit pas être vu comme un échec de la prise en charge. Ce consensus des professionnels des CT françaises serait, peut-être, une spécificité de la prise en charge en CT en France en comparaison avec l’approche traditionnelle des CT au niveau international dont la circulaire officialisant la création des CT en France se faisait le reflet. Cependant, il est à noter un mouvement international de réflexion examinant l’opportunité d’intégrer les traitements par méthadone et buprénorphine au programme communautaire des CT (Casadonte et al., 2004 ; Sorensen et al., 2009).

45 Finalement, pour éviter les risques de dérives, le consensus est que la CT doit faire le choix de l’ouverture, de la transparence et de l’intégration dans le tissu local. Cette conception des rapports de la CT et de son environnement est un puissant facteur de neutralisation des risques de dérives. Pour prévenir des dérives autoritaires, le consensus est d’offrir une place somme toute limitée aux résidents. Une autre spécificité de la prise en charge en CT en France est cette prise en charge démocratisée mais qui ne doit pas être déprofessionnalisée.

46 Cette analyse Delphi portant sur le fonctionnement des CT en France a permis de définir des consensus professionnels pour s’assurer du bon fonctionnement d’une CT. Il est prévisible que les consensus dégagés lors de cette analyse Delphi évolueront au cours des années de fonctionnement des CT mais ils constituent une première base de mise en place des CT en France.

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Mots-clés éditeurs : dérives sectaires, consensus, évaluation, méthode Delphi, communauté thérapeutique, fonctionnement

Date de mise en ligne : 12/03/2012

https://doi.org/10.3917/psyt.173.0085

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