Couverture de PSYS_062

Article de revue

Adolescence et psychothérapie

Pages 87 à 90

1Ces vingt dernières années ont vu le développement des expériences cliniques, des pratiques et des réflexions sur la question des psychothérapies à l’adolescence. En aborder tous les aspects serait une gageure. Nous nous limiterons ici à montrer que si la psychothérapie de l’adolescence s’est largement développée, du moins en Europe, ce développement a été essentiellement en faveur de l’approche psychanalytique. Mais aujourd’hui, cette approche manque de validation comparée aux travaux sur les psychothérapies de l’adulte et même de l’enfant. Elle manque aussi de validation comparée aux travaux sur les psychothérapies d’autres orientations que l’orientation psychanalytique. De même, la question de la formation spécifique à la mise en place et au déroulement des traitements psychothérapiques à l’adolescence est un sujet qui reste totalement ouvert.

2Evidemment, lorsqu’on pense psychothérapie, on pense adolescent en souffrance. Mais qu’appelle-t-on un adolescent en souffrance ? Nous proposerions volontiers quatre repères cliniques permettant de préciser ce que nous avons à appréhender lorsque nous sentons un adolescent en souffrance :

  • Il s’agit d’abord d’un adolescent dont la réalité externe est perturbée. La demande d’une aide, et plus spécifiquement celle que nous pouvons entendre comme étant à l’origine d’un projet psychothérapique, ne peut négliger la perturbation de cette réalité externe, en particulier les difficultés scolaires, les problèmes familiaux, les questions d’orientation, les relations perturbées aux autres ou les comportements à risque si souvent rencontrés dans ces demandes. Lorsque nous parlons de réalité externe, nous parlons évidemment de l’adolescent lui-même dans ce qu’il manifeste, mais aussi de son environnement en particulier familial mais aussi scolaire et social.
  • Un adolescent en souffrance est aussi un adolescent dont nous avons à repérer et à évaluer le poids des manifestations symptomatiques corporelles, comportementales, affectives, cognitives et relationnelles, que nous appréhendions ces dernières sous une forme systémique ou sous une forme plus globale.
  • Un adolescent en souffrance est aussi un adolescent dont le processus intrapsychique est soit stoppé dans son développement, soit fortement entravé. Ici, nous pouvons nous interroger sur nos présupposés théoriques. Selon que nos conceptions soient plus développementales ou plus structurales, en d’autres termes plus centrées sur les racines infantiles de la souffrance présente de l’adolescent ou plus centrées sur l’actuel de cette souffrance liée au processus pubertaire ou à d’autres caractéristiques plus spécifiques de cette période de la vie, notre approche psychothérapique pourra être différente.
  • Enfin, un adolescent en souffrance est un adolescent chez lequel nous avons à prendre en compte la menace de structuration psychopathologique sous forme d’une organisation mentale telle que celle que nous pouvons rencontrer chez l’adulte. Certes, beaucoup d’adolescents seront beaucoup plus dans une problématique évoquant le point précédent de processus intrapsychiques stoppés ou entravés sans qu’une organisation déjà structurée puisse être facilement repérée. Mais nous pouvons à cet âge rencontrer déjà des adolescents pour lesquels une organisation pathologique clairement névrotique, clairement psychotique, de type Etat Limite, est bien repérable.
De ces quatre repères cliniques, nous pouvons déjà être amenés à nous orienter vers un projet psychothérapique isolé ou non à d’autres modes d’approche (social, familial, pharmacologique, institutionnel) et vers une modalité d’approche psychothérapique structurée répondant à un courant spécifique de psychothérapie (analytique, cognitive, systémique, etc.) ou encore vers une approche psychothérapique du moins dans un premier temps beaucoup plus éclectique ou intégrative, se présentant souvent sous la forme d’une succession de consultations thérapeutiques plutôt qu’une psychothérapie structurée.

3Nous proposerions volontiers qu’il peut être intéressant d’établir une analogie entre le « fonctionnement adolescent » et ce que nous savons du « fonctionnement borderline » avec les conséquences que les sujets présentant ce dernier type de fonctionnement ont entraînées dans les modalités psychothérapiques qui ont été proposées pour y répondre. En effet, les différents points caractérisant un fonctionnement borderline ne sont-ils pas souvent rencontrés chez les adolescents en souffrance pour lesquels nous pensons processus psychothérapique : un sens de la réalité altéré, une fonction réflexive apparemment absente ou du moins sur laquelle il est difficile de s’appuyer de façon constante, une pathologie basée sur l’instabilité affective, une faiblesse du Moi incluant des comportements et des jugements impulsifs et totalitaires, des relations d’objet externalisées, partielles, peu différenciées, des mécanismes de défense primitive, un Surmoi sadique et un Moi idéal plus qu’un Idéal du Moi, et enfin un sentiment d’identité flou et insaisissable ? Ces caractéristiques du fonctionnement borderline ont amené à proposer des modalités psychothérapiques structurées analytiques (en particulier grâce aux travaux d’Otto Kernberg et de son équipe (1975) ou cognitivo-comportementales (M. Linehan, 1987) dont nous pouvons pour une part nous inspirer pour les psychothérapies d’un nombre important d’adolescents que nous rencontrons.

4Ceci nous amène à proposer des stratégies thérapeutiques qui prennent en compte à la fois des cibles conscientes et préconscientes et des cibles inconscientes si une approche de type analytique est privilégiée. Nous proposerions volontiers des cibles conscientes et préconscientes de l’action thérapeutique suivante :

  • Permettre à l’adolescent de repérer ses styles conscients de coping (par exemple l’évitement), préconscients de défense intrapsychique (par exemple dénégation, clivage, etc.).
  • Faire prendre conscience à l’adolescent des mouvements venant du sujet qu’il attribue plus ou moins systématiquement aux autres. Il s’agit là bien évidemment de faire repérer l’intensité des mouvements projectifs, mais aussi l’identification projective normale et pathologique, ainsi que les mouvements qui, venant du sujet, nous sont attribués à nous en tant que thérapeute sans pour autant les interpréter immédiatement en termes de transfert et de régression.
  • Permettre à ces adolescents de repérer leurs états émotionnels négatifs et de les exprimer sans culpabilité et sans honte afin qu’ils ne se sentent pas menacés dans la cohérence de leur Moi ou dans leur représentation narcissique d’eux-mêmes.
  • Promouvoir et valoriser la mentalisation et la réflexion sur Soi à partir de notre propre fonctionnement servant à ce niveau d’appui et de modèle en ce qu’on peut appeler ici l’alliance de travail.
A ces cibles conscientes et préconscientes l’approche psychanalytique permet d’associer des cibles inconscientes de l’action thérapeutique :
  • Repérer, clarifier, confronter et interpréter le ou les réseaux de représentations ou de fantasmes déclenchant des stratégies défensives problématiques du sujet.
  • Repérer, clarifier, confronter et interpréter le ou les réseaux de représentations ou de fantasmes déclenchant des relations d’objet problématiques du sujet.
  • Faire repérer ou interpréter au sujet des associations sous-tendues par des affects problématiques.
La question qui se pose alors est de savoir quelles sont les caractéristiques psychologiques favorables pour envisager une approche psychothérapique structurée. Nous proposerions volontiers les points suivants :
  • Les capacités pour l’adolescent de ressentir une souffrance.
  • Les capacités d’établir une communication dans le cadre d’une relation interpersonnelle.
  • La capacité de s’intéresser à lui et, pour une approche analytique, à son monde interne.
  • La capacité d’entrer en contact avec la source de ses conflits.
Ceci nous amène à considérer que les types d’interventions psychothérapiques vont des attitudes les plus soutenantes aux attitudes les plus classiquement psychanalytiques, c’est-à-dire du conseil et du réconfort à l’interprétation au sens psychanalytique du terme, en passant par l’empathie, l’encouragement élaboré, la clarification et la confrontation.

5Reste à savoir si nous avons des repères nous permettant de nous orienter plutôt vers un traitement analytique ou plutôt vers un traitement cognitif ou systémique. L’évaluation de l’indication des différents traitements psychothérapiques repose pour nous sur la consultation thérapeutique qui permet non seulement de comprendre le fonctionnement de l’adolescent, mais aussi d’évaluer ses attentes et la possibilité d’établir une alliance thérapeutique sous une forme plus concrète ou plus internalisée.

6Nous terminerons cette introduction en nous interrogeant sur les spécificités des traitements à orientation psychanalytique à l’adolescence qui sont à ce jour les plus fréquemment pratiqués même si, comme nous allons le voir, ils ne sont pas les mieux validés. Les spécificités de ces traitements sont liées évidemment aux caractéristiques propres du processus d’adolescence et en particulier aux différentes questions clefs suivantes : l’articulation réalité externe/réalité interne, sur laquelle en particulier certains ont porté des éclaircissements importants (P. Jeammet, 1980) ; l’articulation identification/identité mise en valeur en particulier par l’école psychanalytique de Paris (E. Kestemberg. 1999) ; l’articulation pulsion/défense et l’articulation agir/pensée sur lesquelles plusieurs analystes ont porté toute leur attention (F. Ladame, 1991) ; l’articulation puberté psychique/psycho-sexualité infantile où là aussi nous retrouvons des travaux importants (M. et E. Laufer, 1989 ; Ph. Gutton, 1991) ; enfin, l’articulation autonomie/dépendance soulevant en particulier la question de la menace dépressive ou de la dépressivité (A. Braconnier, 1987 ; M. Corcos, 2002).

7Mais les spécificités des traitements psychanalytiques à l’adolescence ne se résument pas aux différents modes de compréhension du processus et de la mise en valeur d’un point par rapport à un autre. Ces spécificités reposent aussi sur l’importance accordée à l’environnement familial, scolaire et/ou social, à la relation transférentielle d’emblée chaude, mouvante, devant permettre de repérer les contre-attitudes parentales, amicales ou trop neutres, et enfin à deux spécificités qui nous paraissent importantes. La première concerne la problématique des ruptures de traitement et la problématique des fins de traitement nous interrogeant souvent sur la nécessité de maintenir un cadre reposant plus sur le thérapeute que sur l’adolescent lui-même. La seconde concerne la problématique de la préparation à la séparation et au transfert négatif de fin de traitement avant que ces questions surgissent brusquement dans celui-ci et soient la source de passages à l’acte ou d’acting.

8Une question est apparue au cours des deux dernières décennies et reste très controversée, celle de la nécessité de la validation empirique de traitements psychothérapeutiques et de leur dissémination (D.L. Chambless et T.H. Ollendick, 2001). Concernant la question de l’évaluation de la psychothérapie analytique chez l’adolescent, seulement six études naturalistes ont été retrouvées (E. Kennedy, 2004) et montrent une évolution favorable, mais ne remplissent pas les critères permettant de conclure sur l’efficacité des traitements selon les critères de validation empirique actuellement en vigueur.

9Dans une revue de la littérature concernant les psychothérapies de l’adolescent, J.R. Weisz et K.M. Hawley (2002) soulignent la sous-représentation des recherches pour les adolescents par rapport aux adultes mais aussi par rapport aux enfants (1 étude adolescents pour 3 études enfants). Selon cette revue de la littérature, la plupart des psychothérapies ayant démontré leur efficacité dans des études empiriques pour des troubles mentaux sont soit des adaptations directes de traitements adultes, soit des adaptations de traitements enfants. Bien que ces traitements montrent un effet satisfaisant chez les adolescents, une étude de la recherche révèle, selon les auteurs, des lacunes significatives pour la couverture des pathologies fréquentes à l’adolescence (par exemple, les troubles alimentaires, les conduites suicidaires) et dans l’attention aux dimensions biologiques, psychologiques et sociales du développement adolescent. Dans leur revue J.R. Weisz et K.M. Hawley soulignent, pour l’avenir, la nécessité de voir l’essor de traitements adaptés au développement de l’adolescent.

10Nous voyons ainsi qu’au cours de ces vingt-cinq dernières années, de nombreux travaux ont été consacrés à la psychothérapie de l’adolescent nous montrant une pluralité des questions soulevées (l’aspect développemental, la place des parents et de l’environnement, les difficultés d’engagement dans le traitement, la place des traitements par pathologie, la place de la validation empirique) et des intérêts privilégiés par les uns ou par les autres.

11Ces questions permettent de nous rendre compte du chemin parcouru, mais nous amènent à trois questions aujourd’hui essentielles :

  • Quel axe de recherche clinique devons-nous développer ?
  • Quel axe de recherche évaluative devons-nous favoriser ?
  • Quelle formation spécifique devons-nous proposer pour les thérapeutes qui souhaitent prendre en charge des adolescents ?

Bibliographie

Bibliographie

  • Braconnier A. (1987) : La menace dépressive. Une transformation à l’adolescence de l’angoisse de séparation. Confrontations Psychiatriques, 29 : 141-159.
  • Chambless D.L., Ollendick T.H. (2001) : Empirically supported psychological interventions : Controversies and evidence. Annual Rev. Psychol., 52 : 685-716
  • Corcos M., Atger F., Loas G., Jeammet Ph. (2002) : Dépression, dépressivité et conduite de dépendance, in. : Résultats du Réseau Dépendance. Paris, Masson.
  • Gutton Ph. (1991) : Le pubertaire. Paris, PUF.
  • Jeammet Ph. (1980) : Réalité externe et réalité interne. Importance et spécificité de leur articulation à l’adolescence. Rev. Franç. Psychanal., 44/3-4 : 481-521.
  • Kennedy E. (2004) : Child and Adolescent Psychotherapy : A Systematic Review of Psychoanalytic Approaches. London, NHS Workforce publications. Lien Internet (accédé le 01/04/06) : http:// www. nclsha. nhs. uk/ publications/ workforce/ child_and_adolescent_systematic_review. pdf
  • Kernberg O. (1975) : Les troubles limites de la personnalité. Paris, Privat, 1979.
  • Kestemberg E (1999) : L’adolescence à vif. Paris, PUF.
  • Ladame F. (1991) : L’adolescence, entre rêve et action. Rev. Franç. Psychanal., 55 : 1491-1542.
  • Laufer M., Laufer E. (1989) : Adolescence et rupture de développement, une perspective psychanalytique. Paris, PUF.
  • Linehan M.M. (1987) : Dialectical behavior therapy for borderline personality disorder. Theory and method. Bull. Menninger Clin., 51/3 : 261-276.
  • Weisz J.R., Hawley K.M. (2002) : Developmental factors in the treatment of adolescents. J. Consult. Clin. Psychol., 70 : 21-43.

Mots-clés éditeurs : psychothérapie, adolescence, évaluation, psychanalyse, développement

https://doi.org/10.3917/psys.062.0087

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