Notes
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[1]
Source : http://www.spp.asso.fr, article mis en ligne sur le site de la spp sur La psychanalyse en France 1893-1965, dans la partie « Marie Bonaparte et la création de la spp »
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[2]
E. Roudinesco, Histoire de la psychanalyse en France.1 (1885-1939), Paris, Fayard, 1994.
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[3]
Ibid., p. 387.
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[4]
Cf. E. Roudinesco, op.cit. et André Bourguignon « Mémorial », Nouvelle revue de psychanalyse, 15, 1977, p. 235-249. Le concept de scotomisation a participé à la construction par Freud du concept de déni (Verleugnung) pour la perversion à côté du refoulement (Verdrängung) pour les névroses. Puis ce débat a participé à la refonte d’une clinique des psychoses et des névroses à partir des deux champs de la psychiatrie et de la psychanalyse, amenant Lacan à construire le concept de forclusion (Verwerfung) pour les psychoses en remplacement du terme de scotomisation demeuré en usage en psychiatrie.
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[5]
R. Laforgue (1894-1962) est considéré comme le fondateur du mouvement psychanalytique en France. Né en Alsace allemande, bilingue, il poursuit des études de médecine entre Berlin, Paris et Strasbourg, soutient en 1922 sa thèse sur L’Affectivité des schizophrènes du point de vue psychanalytique, puis vient s’installer en France en 1923. Cette même année, il entreprend une analyse didactique avec Eugénie Sokolnicka, il obtient un poste d’assistant et la charge d’une consultation psychanalytique à Sainte Anne dans le service du professeur Henri Claude. Il participe activement à la création en 1925 du groupe de L’évolution psychiatrique dont l’objectif est de confronter, dans une optique libérale, la psychanalyse et la psychiatrie. Il est le chef du groupe d’où naît en 1926 la Société Psychanalytique de Paris dont il sera président jusqu’en 1929. Il est le secrétaire général de la Revue française de psychanalyse dont le premier numéro sort en 1927. Il participe dès les années 1924 à un grand débat sur les psychoses qui se tiendra à la fois à L’évolution psychiatrique et dans la spp et durera jusqu’à la guerre. C’est là que sera élaborée la notion de schizonoïa.
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[6]
Henri Codet et René Laforgue, « Les arriérations affectives », publié initialement dans l’Évolution psychiatrique, t. I, Paris, Payot, 1925, p. 102-126, repris dans René Laforgue, Essais sur la schizonoïa, 1965, Les éditions du Mont-Blanc, sa, p. 71-93.
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[7]
E. Pichon et R. Laforgue, « La névrose et le rêve : la notion de schizonoïa », chapitre VII, Le Rêve et la psychanalyse, Maloine, 1926, p. 173-210.
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[8]
S. Freud, R. Laforgue, « Correspondance 1923-1937 », dans Nouvelle Revue de psychanalyse, 15, 1977, p. 262-263..
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[9]
Ibid., p. 263.
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[10]
« La névrose et le rêve : la notion de schizonoïa », op. cit., p. 178, souligné par nous.
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[11]
Correspondance, op. cit., p. 263. Les italiques signalent les expressions en français dans le texte.
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[12]
Article qui par la suite sera republié sous le titre «Les Complexes familiaux dans la formation de l’individu», notamment dans Autres écrits, éditions Le Seuil, 2001, p 23-84. Dans le texte je le citerai toujours sous son titre de l’Encyclopédie française « La Famille ».
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[13]
E. Pichon (1890-1940) est né dans une famille bourguignonne déracinée en région parisienne. Il fait des études de médecine et est nommé en 1924 docteur en médecine et chef-adjoint de clinique infantile. Il a peu auparavant fait la connaissance de René Laforgue et par ce dernier a rencontre Eugénie Sokolnicka avec laquelle il sera en cure de 1923 à 1926. En 1927, il épouse la fille de Pierre Janet. Infirme et atteint d’une grave maladie de cœur, il meurt en 1940. Edouard Pichon fait partie des onze
membres qui créent le groupe de L’évolution psychiatrique en 1925, et des douze membres fondateurs de la Société de psychanalyse de Paris en 1926, dont il sera président de 1935 à 1937. Aussi fondamentalement qu’il est médecin et psychanalyste, Pichon est aussi Grammairien ; initié à la Grammaire par son oncle Jacques Damourette il rédigera avec celui-ci pendant trente ans un volumineux ouvrage Des mots à la pensée qui sera achevé et publié dix ans après sa mort. Vigoureux défenseur des valeurs morales et familiales traditionnelles, adepte de la pensée maurrassienne, notamment de son nationalisme, de sa germanophobie, Pichon sera un membre actif de l’Action française. -
[14]
Lettre d’Edouard Pichon à Henri Ey du 21 juillet 1938, citée par Elisabeth Roudinesco : Jacques Lacan. Esquisse d’une vie, histoire d’un système de pensée, Paris, Fayard, 1993, pp202-203.
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[15]
E. Pichon, « Le rôle du complexe d’Oedipe dans le développement psychique de l’être humain », conférence du mardi 24 novembre 1936, dans « A l’aise dans la civilisation, Trois conférences pour l’Institut de psychanalyse de Paris », Revue Française de Psychanalyse, 1938, vol. 10, n°1, p. 5-21.
-
[16]
Ibid., p. 6.
-
[17]
Ibid., p. 12.
-
[18]
E. Pichon, dans sa réponse, corrigera : « Le texte de M. Lacan porte analogique, que j’interprète comme une faute de frappe » ; il corrigera donc par « anagogique », correction que je reprends à mon compte.
-
[19]
J. Lacan, « Les complexes familiaux », op. cit., p. 51.
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[20]
Revue Française de psychanalyse, vol 10, n° 3, 1938, p. 461-470.
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[21]
E. Pichon : « La Famille devant M. Lacan », Revue française de Psychanalyse, 1939, vol.11, n° 1, p. 107-135. Elisabeth Roudinesco, dans « Monsieur Pichon devant la famille », Cahiers Confrontation, 3, Les machines analytiques, printemps 1980, Aubier, p. 209-225, a fait un très intéressant commentaire de cet article dans le but de rappeler à travers une analyse historique et théorique, à un moment où Lacan était l’objet d’un dénigrement médiatique, combien il avait participé au renouvellement de la psychanalyse, en pratique comme en théorie.
-
[22]
Cf. Propos sur la causalité psychique,1946 et L’agressivité en psychanalyse, 1948.
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[23]
E. Pichon : « La Famille devant M. Lacan », op. cit., p. 125.
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[24]
Ibid.
1Généralement, quand on mentionne les critiques de Lacan sur l’oblativité, on fait référence aux débats de Lacan et de la génération de l’après-guerre des psychanalystes de la Société Psychanalytique de Paris, autour de la question de la relation d’objet. Les coordonnées en sont posées en 1958 dans La direction de la cure quand Lacan établit de façon définitive le statut de cette notion dans la psychanalyse : l’oblativité est une des modalités de la relation d’objet, celle mise en jeu dans le fantasme de l’obsessionnel pour escamoter son désir. Les dernières références importantes à l’oblativité chez Lacan datent de 1964.
2Mais ces débats-là prennent place dans un second temps chez Lacan et succèdent à un premier temps de débats que Lacan a ouverts en 1938 dans son article « La Famille » de l’Encyclopédie Française (Les Complexes familiaux), pour critiquer ce concept issu de la psychanalyse française, forgé par René Laforgue et Edouard Pichon en 1926. Pichon répond en 1939 à cet article.
3Une occurrence fondamentale donne une dimension singulière au débat Pichon-Lacan autour de la critique faite par Lacan de l’oblativité. Il a été précédé, en 1925, d’un échange de lettres Freud-Laforgue dans lequel Freud, en réponse à l’envoi par Laforgue de textes sur la schizonoïa, critique fermement cette notion d’oblativité.
4Ce sont ces deux premières controverses Freud-Laforgue et Lacan-Pichon que je reprendrai dans cet article. D’abord parce qu’il est intéressant de remettre au jour des débats à ce point engloutis par l’oubli que leur participation à la création conceptuelle de la psychanalyse est ignorée des dictionnaires. Ensuite, parce qu’en en reprenant le fil, on éprouve le relief de ce qui a fait résistance à la pénétration de la découverte freudienne en France et du bouleversement qu’a constitué le renouvellement théorique apporté par Lacan.
Le flou et « l’oubli des origines »
5Le substantif oblativité, et l’adjectif oblatif-ve, sont des mots qui ont été créés récemment, au xxe siècle, et dans le champ de la psychanalyse. Ils sont dérivés du terme latin oblativus («qui s’offre») venant du supin oblatum du verbe offere.
6Les deux autres principaux substantifs dérivés d’oblatum ont été créés anciennement et sont profondément ancrés dans le champ religieux. Le mot oblation (1120), terme ecclésiastique (Bloch et Von Wartburg), signifie « action d’offrir quelque chose à Dieu » (Petit Robert). Le substantif Oblat-e (1549), terme également ecclésiastique, nomme à l’origine l’enfant donné par ses parents à un monastère ou la personne qui s’y donnait avec ses biens. Il désigne maintenant des laïques rattachés à certaines communautés religieuses et les membres de certains ordres religieux.
7Dans les dictionnaires généralistes, il existe un véritable flou autour du substantif oblativité et de ses références historiques.
8Le substantif oblativité est absent de plusieurs dictionnaires : ainsi on ne le trouve ni dans le Petit Robert, le Nouveau Littré ou le Dictionnaire de l’Académie française. Il est présent dans le Grand Robert et le Dictionnaire du cnrs ; il est alors attribué à Georges Parcheminey, en 1946 pour le Grand Robert, sans précision du titre de l’ouvrage, et en septembre 1947 dans l’article «Angoisse humaine et civilisation» de la revue Psyché, pour le Dictionnaire du cnrs.
9Si on se reporte alors à l’adjectif oblatif-ve, on remarque que celui-ci est présent dans les différents dictionnaires. Sa création, datée de 1946, est soit attribuée au philosophe du personnalisme Emmanuel Mounier, créateur de la revue Esprit dans son Traité du caractère, soit au psychanalyste Georges Parcheminey, cofondateur de la spp.
10Ces deux termes, oblativité et oblatif-ve sont définis comme l’aptitude au don de soi à autrui, au sacrifice, manifestant ainsi leur enracinement religieux et ils sont présentés dans leur acception psychanalytique, en opposition à captatif-(vité).
11Certes la notion d’oblativité a été développée et utilisée dans la sphère des théorisations postfreudiennes autour de l’Objet, notamment dans les courants autour de la relation d’objet et elle donne lieu à des mentions et des contributions par les psychanalystes français, dans les années d’après-guerre (Georges Parcheminey, Maryse Choisy et surtout Maurice Bouvet). Cependant il est troublant de constater que seul le Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’Alain Rey, mentionne que ces termes ont été créés en 1926 et par Laforgue. Pichon n’est pas mentionné.
12Il est également troublant de constater qu’à la bibliothèque de la Société Psychanalytique de Paris, au sein de laquelle ce concept a été créé et a fait référence pendant de nombreuses années, les termes « oblatif » et « oblativité » ne figurent pas dans l’index des mots-clés.
13Sur le site internet de la spp, dans la présentation historique de la psychanalyse en France faite par Alain de Mijolla, celui-ci cite l’oblativité comme un des concepts créés par les psychanalystes français entre 1925 et 1940 et « englouti » par l’oubli :
« Alors que Freud élabore les contributions essentielles qui caractérisent la dernière période de sa vie, René Laforgue, Angelo Hesnard, Edouard Pichon et René Allendy, pourtant d’une productivité scripturale considérable, ne vont guère laisser de traces. Peut-être ne s’agit-il là que d’un “purgatoire” lié aux effets de mode. Peut-être aussi y a-t-il trop de moralisme et de concessions au goût de l’époque, trop d’“application” et pas assez d’inventivité dans ces concepts français que l’oubli engloutira : la scotomisation, l’oblativité, la schizonoïa, etc. [1] »
15Il faut se reporter à l’Histoire de la psychanalyse d’Elisabeth Roudinesco [2], pour trouver, exposés et référencés de façon détaillée, l’élaboration et le destin de ces concepts créés par les pionniers de la psychanalyse française. Elle analyse cette période d’avant-guerre en se centrant sur les formes sous lesquelles la psychanalyse a été introduite en France par les fondateurs du mouvement psychanalytique français, qui mèneront à une alliance particulière des champs de la psychiatrie et de la psychanalyse. Elle postule une thèse forte, celle de « l’oubli des origines » dans la psychanalyse française, comme symptôme de cette influence par la psychanalyse du savoir psychiatrique à travers lequel seront repensés les concepts freudiens :
« L’histoire a fait peut-être un choix étrange mais parfaitement logique. L’oubli des origines est un symptôme qui renvoie aux conditions d’introduction de la psychanalyse en France. Il serait trop simpliste d’affirmer que la psychiatrie s’est approprié la psychanalyse et que le mouvement psychanalytique a renvoyé aux galères des concepts dont il ne voulait pas. Il faut poser au contraire que dans les années vingt, le savoir psychiatrique français, malgré sa résistance au freudisme, subit une refonte dont le symptôme se manifeste par sa résistance même à rencontrer le terrain de la psychanalyse [3]. »
17Le « moralisme » et les « concessions au goût de l’époque » relevés par Alain de Mijolla ont été également des modalités de cette résistance à l’encontre de la psychanalyse freudienne et ont fait partie de cette spécificité de la diffusion de la psychanalyse en France à laquelle on peut rattacher l’oubli des origines. C’est dans cette époque et dans ce milieu que Jacques Lacan a reçu une partie de ses premières influences dont il se démarquera pour élaborer sa propre doctrine.
18Le seul véritable débat théorique de cette époque est celui qui a eu lieu entre Freud et Laforgue autour du concept de scotomisation [4] et dont on peut considérer comme prolongement l’élaboration ultérieure par Lacan du concept de forclusion.
19Le concept d’oblativité n’a pas fait l’objet d’un débat théorique de la même importance, mais sa position dans ce débat est particulièrement intéressante puisqu’elle touche à la conceptualisation du complexe d’Oedipe et de son déroulement. A travers ces controverses on peut saisir les ambiguïtés qui ont accompagné la théorisation de ce complexe par la psychanalyse française, savourer les rectifications freudiennes et considérer l’apport du geste théorique lacanien.
1925, Freud et Laforgue : l’impasse sur le phallus
20Le 25 octobre 1923, Laforgue [5] envoie à Freud une première lettre qui sera le début d’une correspondance (en allemand) qui durera jusqu’en 1937 et comprendra une centaine de lettres. Cette correspondance fournit un certain nombre d’informations et de débats sur la naissance du mouvement psychanalytique et les modalités de la diffusion de la psychanalyse en France, et également un certain nombre de discussions sur des questions théoriques et techniques entre Freud et Laforgue.
21Dans les débuts de sa correspondance avec Freud, les 9 avril et 1er mai 1925, Laforgue fait parvenir à Freud deux textes dont il est un des auteurs, traitant de la schizonoïa.
22Le premier texte « Les arriérations affectives : la schizonoïa » est écrit avec Henri Codet en 1925 pour L’Evolution psychiatrique [6]. Ce texte donne d’abord une définition de la schizonoïa comme « […] tendance générale à la discordance dans l’activité de l’individu : discordance entre l’attitude qu’il voudrait avoir consciemment et son activité psychique inconsciente », puis une délimitation de son champ nosographique qui inclut la presque totalité des névroses et psychoses et ensuite un exposé de sa cause comme « déviation de l’instinct humain », entravé dans son évolution notamment par des circonstances psychiques. Est alors développée à travers une présentation simplificatrice et assez rudimentaire une conception générale du développement de l’instinct chez l’homme comme soubassement constituant de l’évolution de son affectivité. Pour décrire le mécanisme de ce développement de l’instinct, le terme « oblatif » ou « oblativité » n’apparaît pas encore et c’est l’expression « capacité au sacrifice » qui est employée.
23Le second est un article signé par Pichon et Laforgue « La névrose et le rêve : la notion de schizonoïa » dont la version définitive sera publiée en 1926 dans l’ouvrage collectif Le Rêve et la psychanalyse [7]. La version publiée est la seule dont nous disposons, donc une version postérieure à celle envoyée à Freud.
24Cet article commence par un « bref exposé théorique », selon les termes mêmes des auteurs, et présente sur un mode cette fois-ci plus structuré, leur conceptualisation du « développement de l’affectivité de l’homme en général », soit de l’aimance, comme ces auteurs renomment la libido. Ils distinguent trois stades, les périodes infantile, puérile et juvénile. L’individu se manifeste au départ par des « appétences possessives », puis développe dans la période intermédiaire de plus en plus d’éléments oblatifs pour déployer prioritairement à la fin de ce développement des « appétences oblatives » et se trouve alors « en pleine possession de son clavier tant oblatif que possessif ». Cette métaphore du clavier recouvre la notion de « résultante vitale » déjà développée par Laforgue qui représente la part de l’énergie vitale que l’individu sera capable de transformer en oblativité (« l’oblativité utile »), c’est-à-dire son adaptabilité à la vie sociale. Le terme d’oblativité est mentionné en tant que tel - vraisemblablement pour la première fois dans un écrit - et fréquemment dans ce texte, l’oblativité étant présentée comme la tendance opposée à la possessivité, amenant l’individu à se tourner vers l’extérieur et à donner à autrui quelque chose de soi.
25Il ne faut pas oublier que ce texte est pour Laforgue le fruit d’une collaboration avec Pichon (dont le nom, malgré l’ordre alphabétique est placé en premier dans l’article) et que la dimension plus théorique de la présentation ainsi que l’apparition de notions spécifiques telle celle de l’oblativité lui sont vraisemblablement imputables.
26Au moment où Laforgue envoie ces textes à Freud, celui-ci a déjà publié deux des textes fondamentaux sur le stade phallique : L’organisation génitale infantile en 1923 et Le déclin du complexe d’Oedipe en 1924.
27Dans sa réponse du 14 avril 1925, Freud ne fait aucun commentaire sur le premier article sur la schizonoïa envoyé par Laforgue. Puis le 28 mai, après l’envoi du second article et sur la demande réitérée de Laforgue d’avoir son opinion sur ses travaux, Freud écrit une grande lettre de commentaires dont les premières lignes ne laissent aucun doute sur leur caractère critique :
« Cette lettre fait seulement suite à votre demande directe.
J’ai lu avec grand intérêt les articles que vous m’avez envoyés, mais je ne me serais pas prononcé à leur sujet si vous n’exigiez que je le fasse. En effet, d’une part je suis sûr que, dans cette transplantation que vous faites de la psychanalyse sur le sol français, le noyau et l’être de la chose resteront intacts, d’autre part je conçois sans peine que dans une telle transmission dans la mentalité française plus d’une modification devienne inévitable. En vous donnant, maintenant, en toute franchise mon avis sur ces changements, je ne m’attends pas à vous impressionner beaucoup et je sais ne pas vous étonner en vous apprenant qu’en général, je préfère la version originale à la version modifiée [8]. »
29Puis Freud décline ses commentaires en douze critiques successives, dont deux consacrées à la question de l’oblativité. La première est ainsi énoncée :
« Oblativité désigne pour vous l’aptitude à l’investissement d’objet. Mais il me semble injuste que vous n’en attribuiez que quelques traces aux animaux. Les fonctions de s’occuper des petits et d’élever les enfants, la vie amoureuse et la vie en couple des animaux méritent, tout autant que chez les hommes, d’être considérées [9]. »
31Freud effectue ce premier commentaire en lui donnant quasiment la dimension d’une interprétation lorsqu’il précise « pour vous » (« Oblativité désigne pour vous »). Puis Freud nomme précisément la fonction que Laforgue recouvre par le terme d’oblativité, c’est-à-dire « l’aptitude à l’investissement d’objet ». La suite du commentaire va dans la même direction, Freud précisant qu’il n’y a pas de réserve à effectuer quant à l’existence de l’oblativité chez les animaux, ce qui insiste sur le fait que pour lui cette expression d’oblativité ne doit inclure aucun caractère de transcendance morale. Le raccourci introduit par la juxtaposition des deux commentaires et la formulation quasiment humaine (élever les enfants, vie amoureuse, vie en couple) que donne Freud à son argumentation qui prend ainsi à revers la position de Laforgue tout en allant apparemment dans son sens sur l’importance de l’oblativité, produit un certain saisissement auquel on peut aussi attribuer une qualité d’interprétation.
32Sur ces deux points, Laforgue n’accepte pas la rectification effectuée par Freud pour démythifier cette notion d’oblativité et sa réponse est dans le registre de la dénégation. Dans sa lettre du 10 juin, il réitère « L’oblativité, ce n’est pas l’aptitude à l’investissement d’objet, mais l’aptitude à l’investissement oblatif d’objet à l’opposé du possessif (…) » et il esquive sur la question de l’oblativité des animaux. Et dans le texte publié par Pichon et Laforgue - qui, probablement, est un texte remanié en tenant compte des critiques de Freud - on trouve à nouveau une dénégation face à la critique freudienne « dire, par exemple, que l’homme se distingue des bêtes par l’oblativité, ce n’est pas dire que celles-ci n’aient pas des rudiments de cette fonction affective (…) » [10]. Là est le point central pour Laforgue, dans l’acquisition de la valeur morale de l’oblativité et non pas dans la capacité d’investissement d’objet et c’est cette dimension qui, selon lui, caractérise l’humain. Dans ce désaccord Freud-Laforgue (et Pichon) on peut voir une préfiguration de celui qui opposera Lacan et Pichon.
33La seconde critique faite par Freud se situe sur un plan théorique.
« Ce qui est chez nous opposition entre narcissisme et amour d’objet vous le rendez en termes de conflit des motions possessives et oblatives. Certes, pour l’essentiel, c’est la même chose, et pourtant je regrette qu’ainsi vous ayez réduit le développement de la libido, allant de l’oral au génital par le sadique-anal, au profit d’un seul caractère. Si l’on construit la théorie à partir de vos différents morceaux, il nous manque alors un élément de cohésion. J’ai bel et bien l’impression que vous avez fait au génie français cette grande concession de simplifier la complication réelle des faits au profit de la clarté. L’esprit latin a ici les défauts de ses vertus [11]. »
35Ainsi Freud reproche à Laforgue, en remplaçant les concepts de narcissisme et d’amour d’objet par l’opposition entre la possessivité et l’oblativité, de court-circuiter les différents stades de la libido au profit du seul caractère de l’oralité. Ce faisant, Laforgue ampute la théorie de la notion centrale pour la psychanalyse qu’est le primat du phallus, transformant la succession des différents stades de la libido en une sorte de continuum. Il supprime ainsi toute possibilité de rendre compte de l’organisation des pulsions partielles, de différencier d’un point de vue structural les relations oedipiennes et pré-oedipiennes, d’expliciter dans leur complexité les différentes phases du complexe d’Oedipe, de poser la dissymétrie des deux sexes dans le complexe ou de penser le complexe de castration.
36Dans la réponse de Laforgue, la critique de Freud semble porter. Perplexe, il reconnaît qu’il n’était pas dans son intention de réduire l’évolution de la libido à l’unique caractère de l’oralité, d’autant plus qu’une telle réduction ne correspond pas à ses observations cliniques. Cependant il esquive à nouveau la rectification théorique freudienne « Toutefois je ne sais si cela tient à la théorie ou à moi-même ». Et dans la version publiée de l’article, on trouve toujours cette conception de « stades de l’évolution de l’instinct humain » qui recouvre une évolution purement linéaire et en sens contraire des deux dispositions opposées que sont chez l’individu la tendance à la possessivité et la tendance à l’oblativité.
37Il reste à se demander si ces discussions Freud-Laforgue ne doivent pas être considérées comme des discussions Freud-Pichon par le truchement de Laforgue. La référence au « génie français » et l’aphorisme utilisant des expressions en français « L’esprit latin a ici les défauts de ses vertus » bien qu’elles soient adressées à Laforgue pourraient bien viser principalement Pichon.
1939, Lacan et Pichon : « le confort secret d’un thème moralisant »
38Treize ans plus tard, en 1938, Lacan dans l’article qui paraît sur « La Famille [12] » dans L’Encyclopédie française, fait référence sans l’attribuer, et pour la critiquer, à la thèse de l’oblativité comme étape terminale de la maturation de la sexualité corrélée au concept d’Œdipe. Edouard Pichon [13], dans une lettre qu’il adresse à Henri Ey, alors qu’il vient de lire le texte de l’Encyclopédie, revendique être l’auteur non nommé de cette théorie radicalement critiquée par Lacan :
39«Et, en un endroit, il attaque vivement ma théorie de l’oblativité, sans d’ailleurs me nommer : soit peur de mon nom, soit au contraire dédain absolu de moi; inélégance dans les deux cas ! [14]. »
40Depuis 1925, les coordonnées théoriques de la question de l’oblativité ont été remaniées, autour d’une description des différents stades de la libido et du déroulement du complexe d’Oedipe apparemment plus proche de la description freudienne, mais qui conserve sa fonction idéologique. C’est maintenant à l’intérieur du complexe d’Oedipe qu’est déplacée cette modalité, en prenant la forme de ce qu’il faut bien appeler un « processus » d’oblation qui prendrait place aux côtés du processus de sublimation, comme corrélative de la liquidation de l’Oedipe.
41Fin 1936, Pichon commence un cycle de trois conférences à l’Institut de psychanalyse de Paris, sous le thème de A l’aise dans la civilisation par une première intervention intitulée Le rôle du complexe d’Oedipe dans le développement psychique de l’être humain [15].
42Dès l’introduction, le rôle du complexe d’Oedipe dans le développement psychique de l’enfant est posé sous le fait qu’il permet de voir « comment s’accomplissent, d’une part, l’évolution vers l’amour et la moralité, d’autre part, l’évolution vers l’intellectualisation humaine [16]. »
43Si, cette fois-ci les stades d’évolution de la libido (« buccal », à prédominance « anale » et « sadique », « génito-sexuel infantile ») sont effectivement caractérisés par la succession des objets oral, anal et génital et si le terme de « phallique » est indiqué pour caractériser l’organe, aucune conséquence doctrinale n’en est tirée, aucun frayage n’y est fait vers la valeur symbolique et signifiante du phallus qui permettrait de déboucher sur une véritable explication de la dissymétrie de l’évolution des deux sexes par rapport au complexe d’Oedipe et sur un aperçu du rôle de l’identification dans la sortie de l’Œdipe au-delà des « qualités bonnes ou mauvaises, qui auront été remarquées chez les parents et qui auront été intégrées à la notion du sexe correspondant [17] » ; donc aucune possibilité de penser l’édification des instances du surmoi et de l’idéal du moi.
44Au lieu de cela, Pichon introduit dans la liquidation du complexe d’Œdipe qui s’opère au cours du stade de décharnalisation – comme il renomme la période de latence –, un processus de « double libération de la libido » ; celle-ci se libère quant à son but, suivant le processus de sublimation mais aussi quant à son mode de consommation, suivant un processus à travers lequel le mode captatif du rapport à l’objet laisse de plus en plus de place au mode oblatif « dans lequel le sujet aimant fait des sacrifices pour l’objet, et laisse à celui-ci la faculté d’exister, indépendamment, à titre de personne. » Ainsi l’évolution intellectuelle est-elle assurée par les rôles conjoints de la sublimation et de l’oblation et l’évolution morale est assurée par l’oblation qui y joue « le rôle capital ».
45C’est dans ce contexte que dans la partie de l’article sur « La Famille » que Lacan consacre au « Complexe d’Oedipe », on trouve sa première référence à la doctrine de l’oblativité et son premier jugement critique.
46Nous ne commenterons pas de façon détaillée ce premier écrit théorique de Lacan sur le complexe d’Oedipe. Ce qui retiendra ici notre attention, ce sont les grands axes critiques à partir desquels il rejette cette conception de l’oblativité et la radicalité de son rejet.
47Lacan fait une critique générale sur la façon dont les théories psychanalytiques définissent les fonctions que remplit le complexe d’Oedipe dans le psychisme. Il pose que les définitions données sont ambiguës car ces théories postulent que le complexe d’Oedipe permet une maturation parallèle sur deux plans, l’évolution de la sexualité et la constitution de la réalité. Or, pour Lacan, ces processus particuliers que constituent la répression de la sexualité et la sublimation de la réalité introduisent des effets de structure dans chacun de ces plans qu’il faut intégrer en élaborant des liaisons complexes entre ces évolutions.
48Ainsi ces théories psychanalytiques qui, à partir de leur expérience clinique, font le lien entre la qualité de perception de la réalité et la quantité d’énergie vitale que le désir investit dans l’objet, considèrent la formation de l’Oedipe comme l’indice d’un investissement d’objet suffisant en fonction du processus suivant :
« Ce rôle de l’Œdipe serait corrélatif de la maturation de la sexualité. L’attitude instaurée par la tendance génitale cristalliserait selon son type normal le rapport vital à la réalité. On caractérise cette attitude par les termes de don et de sacrifice, termes grandioses, mais dont le sens reste ambigu et hésite entre la défense et le renoncement. Par eux une conception audacieuse retrouve le confort secret d’un thème moralisant : dans le passage de la captativité à l’oblativité, on confond à plaisir l’épreuve vitale et l’épreuve morale.
Cette conception peut se définir une perspective analogique [18] ; elle est conforme au défaut le plus marquant de la doctrine analytique : négliger la structure au profit du dynamisme [19]. »
50En quelques lignes Lacan expose et fait une critique radicale du rôle de l’oblativité dans l’évolution du complexe d’Oedipe, telle qu’elle est conceptualisée par les théories psychanalytiques. Il détermine trois lignes essentielles qu’il reprendra et déploiera progressivement jusqu’à la fin des années cinquante, au cours de différents articles et conférences repris dans les Écrits et dans ses premiers séminaires.
51Lacan dégage la fonction du complexe d’Oedipe de la confusion dans laquelle la conception oblative l’incarcère en l’assimilant à une épreuve morale. Il énonce sans nuances que c’est par usurpation, par abus, qu’une tendance moralisante qualifie d’oblative l’attitude liée à la tendance génitale et transforme ainsi une épreuve vitale, la traversée du complexe d’Oedipe, en une épreuve morale, le passage de la captativité à l’oblativité. On y retrouve sous un mode explicite et un ton offensif, les critiques exprimées sous forme de réserves par Freud à Laforgue. Lacan se désolidarise de l’« esprit latin » que défend l’école française de psychanalyse, sur le mode de la rupture. Il est intéressant de confronter cette position théorique et éthique qui nous paraît aujourd’hui si évidente au bain de moralisme de l’époque et à son effet de dégradation de la pensée théorique, à travers la lecture par exemple de la communication faite par Pichon au XVe congrès international de Psychanalyse, « Évolution divergente de la génitalité et de la sexualité dans la civilisation occidentale [20] », l’année de la parution du texte de Lacan sur « La Famille ».
52Lacan va plus loin, il interprète. La conception oblative ramène l’audacieuse conception freudienne au rang du « confort secret d’un thème moralisant ». Il postule que le caractère apparemment grandiose du don, du sacrifice affiché dans cette attitude oblative, recouvre en fait une position de défense ou/et un renoncement face à la radicalité de l’invention freudienne. Lacan met ainsi ce recours au moralisme sur le compte de la résistance ou du désaveu de la doctrine freudienne, plus précisément d’une résistance à l’inconscient freudien. Cet argument restera central pour Lacan dans les années qui suivront.
53Enfin, il inclut cette conception dans une critique plus générale des théories psychanalytiques de l’époque qui s’appuient sur une approche dynamique et non structurale de la doctrine analytique. Ce faisant il élargit le champ théorique de sa critique précédente : d’une critique visant la notion d’oblativité dans sa connotation, il l’élargit à l’utilisation faite de l’oblativité comme opérateur (« l’attitude instaurée par la tendance génitale ») dans l’Oedipe permettant que la « tendance génitale cristallise selon son type normal le rapport vital à la réalité ». A cette approche simple et linéaire, Lacan substitue dans la suite de son article une approche articulée entre la fonction du complexe d’Oedipe et « la structure du drame qui lui est essentielle ». Il y expose ainsi un déploiement complexe ayant pour opérateur central le concept d’identification et mettant en jeu les instances du surmoi et de l’idéal du moi, donnant ainsi sa place au système inconscient. Une telle approche se situe dans le prolongement de la conférence qu’il avait présentée l’année précédente au XIVe congrès international de Psychanalyse à Marienbad, sur le Stade du miroir : « Le stade du miroir. Théorie d’un moment structurant et génétique de la constitution de la réalité, conçu en relation avec l’expérience et la doctrine psychanalytique ». Plus généralement, cette réflexion prend figure d’annonce programmatique de la façon dont il opèrera son retour à Freud. Elle est le trait d’un déplacement théorique fondamental.
54Ces quelques lignes de Lacan sur la question de l’oblativité font mouche auprès de Pichon. En fait foi la lettre envoyée à Henri Ey, dont nous avons parlé précédemment, et la brutalité des termes qu’y utilise Pichon quand il parle de « l’amoralisme un peu niaisot dudit Lacan » et de « l’absurdité flagrante » de « cette attitude «au-delà du bien et du mal» ».
55En 1939, Edouard Pichon publie dans La Revue française de Psychanalyse un article intitulé « La Famille devant M. Lacan [21] » longue adresse à Lacan, qui vient d’être élu membre titulaire de la spp, à propos de son article sur « La Famille ». Il consacre une partie complète à la critique de l’exposé par Lacan du complexe d’Oedipe et en vient à ses propos sur l’oblativité, qu’il introduit d’une façon assez acerbe avant de les reproduire in extenso. Il y a de sa part riposte mais sans argumentation.
56Il ne répond pas à Lacan sur la question de l’ambiguïté du don et du sacrifice. Il qualifie comme étant une ironie facile cette réflexion qui pose pourtant une vraie question non seulement psychanalytique mais philosophique comme Lacan le rappellera dans les années suivantes, en faisant référence à « l’amour-propre » du moraliste La Rochefoucauld, autour de la question du narcissisme [22]. Puis, en bon rhétoricien, il met Lacan à ses côtés pour esquiver la question, en affirmant que tous deux donneraient cher pour avoir l’explication de « l’insondable mystère de ce qu’est l’Amour pur, intégral, avec abnégation complète de soi. »
57Ensuite, son unique argument, qui sera posé comme fait psychologique donné par la pratique, se ramène en fait à un présupposé moral : « Mais cette interrogation non résolue n’efface nullement le fait qu’il n’y ait pas, pratiquement, d’équivalence psychologique entre la rage de possession directement jouisseuse et le dévouement facteur du bien d’autrui [23]. » D’où, estime-t-il, la validité de sa « psychogenèse anagogique », conception qui pose que la pensée humaine utilise de l’énergie libidinale pour aller dans la voie du Bien et justifie ainsi l’évolution vers l’oblativité.
58Il conteste enfin le fait qu’il pourrait considérer le recours à la morale comme une commodité non avouée, tout en affirmant haut et fort que ce recours est un choix non pas argumenté mais décidé, un choix intentionnel : « Je ne demande à la morale aucun confort secret ; je moralise ouvertement ; c’est avec intention, et après mûre réflexion, que je me refuse à distinguer l’épreuve vitale et l’épreuve morale [24] »
59Ainsi, sur cette question de l’oblativité, aux élaborations théoriques de Lacan, Pichon répond par une sorte de profession de foi dogmatique.
60*
61Pichon mourra l’année suivante en 1940. Mais on peut considérer que jusqu’en 1957 dans La Psychanalyse et son enseignement et L’Instance de la lettre dans l’inconscient, les références critiques de Lacan à l’oblativité prolongeront son débat avec Pichon. En effet, au cours de ce premier temps, au fur et à mesure où s’élabore sa propre théorie de l’inconscient structuré comme un langage, il déploie l’idée que l’oblativité fonctionne comme résistance à la découverte de l’inconscient comme discours de l’Autre, découverte beaucoup plus scandaleuse, estime Lacan, que la promotion de la sexualité dans l’homme.
Notes
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[1]
Source : http://www.spp.asso.fr, article mis en ligne sur le site de la spp sur La psychanalyse en France 1893-1965, dans la partie « Marie Bonaparte et la création de la spp »
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[2]
E. Roudinesco, Histoire de la psychanalyse en France.1 (1885-1939), Paris, Fayard, 1994.
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[3]
Ibid., p. 387.
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[4]
Cf. E. Roudinesco, op.cit. et André Bourguignon « Mémorial », Nouvelle revue de psychanalyse, 15, 1977, p. 235-249. Le concept de scotomisation a participé à la construction par Freud du concept de déni (Verleugnung) pour la perversion à côté du refoulement (Verdrängung) pour les névroses. Puis ce débat a participé à la refonte d’une clinique des psychoses et des névroses à partir des deux champs de la psychiatrie et de la psychanalyse, amenant Lacan à construire le concept de forclusion (Verwerfung) pour les psychoses en remplacement du terme de scotomisation demeuré en usage en psychiatrie.
-
[5]
R. Laforgue (1894-1962) est considéré comme le fondateur du mouvement psychanalytique en France. Né en Alsace allemande, bilingue, il poursuit des études de médecine entre Berlin, Paris et Strasbourg, soutient en 1922 sa thèse sur L’Affectivité des schizophrènes du point de vue psychanalytique, puis vient s’installer en France en 1923. Cette même année, il entreprend une analyse didactique avec Eugénie Sokolnicka, il obtient un poste d’assistant et la charge d’une consultation psychanalytique à Sainte Anne dans le service du professeur Henri Claude. Il participe activement à la création en 1925 du groupe de L’évolution psychiatrique dont l’objectif est de confronter, dans une optique libérale, la psychanalyse et la psychiatrie. Il est le chef du groupe d’où naît en 1926 la Société Psychanalytique de Paris dont il sera président jusqu’en 1929. Il est le secrétaire général de la Revue française de psychanalyse dont le premier numéro sort en 1927. Il participe dès les années 1924 à un grand débat sur les psychoses qui se tiendra à la fois à L’évolution psychiatrique et dans la spp et durera jusqu’à la guerre. C’est là que sera élaborée la notion de schizonoïa.
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[6]
Henri Codet et René Laforgue, « Les arriérations affectives », publié initialement dans l’Évolution psychiatrique, t. I, Paris, Payot, 1925, p. 102-126, repris dans René Laforgue, Essais sur la schizonoïa, 1965, Les éditions du Mont-Blanc, sa, p. 71-93.
-
[7]
E. Pichon et R. Laforgue, « La névrose et le rêve : la notion de schizonoïa », chapitre VII, Le Rêve et la psychanalyse, Maloine, 1926, p. 173-210.
-
[8]
S. Freud, R. Laforgue, « Correspondance 1923-1937 », dans Nouvelle Revue de psychanalyse, 15, 1977, p. 262-263..
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[9]
Ibid., p. 263.
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[10]
« La névrose et le rêve : la notion de schizonoïa », op. cit., p. 178, souligné par nous.
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[11]
Correspondance, op. cit., p. 263. Les italiques signalent les expressions en français dans le texte.
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[12]
Article qui par la suite sera republié sous le titre «Les Complexes familiaux dans la formation de l’individu», notamment dans Autres écrits, éditions Le Seuil, 2001, p 23-84. Dans le texte je le citerai toujours sous son titre de l’Encyclopédie française « La Famille ».
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[13]
E. Pichon (1890-1940) est né dans une famille bourguignonne déracinée en région parisienne. Il fait des études de médecine et est nommé en 1924 docteur en médecine et chef-adjoint de clinique infantile. Il a peu auparavant fait la connaissance de René Laforgue et par ce dernier a rencontre Eugénie Sokolnicka avec laquelle il sera en cure de 1923 à 1926. En 1927, il épouse la fille de Pierre Janet. Infirme et atteint d’une grave maladie de cœur, il meurt en 1940. Edouard Pichon fait partie des onze
membres qui créent le groupe de L’évolution psychiatrique en 1925, et des douze membres fondateurs de la Société de psychanalyse de Paris en 1926, dont il sera président de 1935 à 1937. Aussi fondamentalement qu’il est médecin et psychanalyste, Pichon est aussi Grammairien ; initié à la Grammaire par son oncle Jacques Damourette il rédigera avec celui-ci pendant trente ans un volumineux ouvrage Des mots à la pensée qui sera achevé et publié dix ans après sa mort. Vigoureux défenseur des valeurs morales et familiales traditionnelles, adepte de la pensée maurrassienne, notamment de son nationalisme, de sa germanophobie, Pichon sera un membre actif de l’Action française. -
[14]
Lettre d’Edouard Pichon à Henri Ey du 21 juillet 1938, citée par Elisabeth Roudinesco : Jacques Lacan. Esquisse d’une vie, histoire d’un système de pensée, Paris, Fayard, 1993, pp202-203.
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[15]
E. Pichon, « Le rôle du complexe d’Oedipe dans le développement psychique de l’être humain », conférence du mardi 24 novembre 1936, dans « A l’aise dans la civilisation, Trois conférences pour l’Institut de psychanalyse de Paris », Revue Française de Psychanalyse, 1938, vol. 10, n°1, p. 5-21.
-
[16]
Ibid., p. 6.
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[17]
Ibid., p. 12.
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[18]
E. Pichon, dans sa réponse, corrigera : « Le texte de M. Lacan porte analogique, que j’interprète comme une faute de frappe » ; il corrigera donc par « anagogique », correction que je reprends à mon compte.
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[19]
J. Lacan, « Les complexes familiaux », op. cit., p. 51.
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[20]
Revue Française de psychanalyse, vol 10, n° 3, 1938, p. 461-470.
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[21]
E. Pichon : « La Famille devant M. Lacan », Revue française de Psychanalyse, 1939, vol.11, n° 1, p. 107-135. Elisabeth Roudinesco, dans « Monsieur Pichon devant la famille », Cahiers Confrontation, 3, Les machines analytiques, printemps 1980, Aubier, p. 209-225, a fait un très intéressant commentaire de cet article dans le but de rappeler à travers une analyse historique et théorique, à un moment où Lacan était l’objet d’un dénigrement médiatique, combien il avait participé au renouvellement de la psychanalyse, en pratique comme en théorie.
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[22]
Cf. Propos sur la causalité psychique,1946 et L’agressivité en psychanalyse, 1948.
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[23]
E. Pichon : « La Famille devant M. Lacan », op. cit., p. 125.
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[24]
Ibid.