1Les chiffres de prévalence de la consommation de substances psychoactives durant la grossesse sont mal connus en France et sont souvent évalués par extrapolation des données des études épidémiologiques réalisées sur l’ensemble de la population française et sur la base des études internationales réalisées chez la femme enceinte ou parturiente (en gardant à l’esprit que les consommations de substances psychoactives diffèrent parfois beaucoup d’un pays à l’autre et que l’extrapolation de ces données à la France doit donc être prudente). Ainsi, on estime que 20 % à 30 % des femmes enceintes consomment du tabac, que 15 % consomment de l’alcool, que 3 % à 10 % consomment du cannabis et que 0,5 % à 3 % consomment de la cocaïne [13]. La grossesse chez une femme consommant une ou plusieurs substances psychoactives (quelle que soit la substance en cause) constitue une grossesse à risque et entraîne des conséquences sur le nouveau-né et l’enfant à court et long terme [12]. Les données issues de la littérature montrent que lors de la réalisation de simples audits sur la consommation de substances psychoactives chez la femme enceinte, la fréquence de la consommation déclarée est largement inférieure à celle que l’on retrouve si l’on effectue un dosage des différentes drogues chez le nouveau-né ou chez la mère [13]. Il apparaît ainsi nécessaire d’utiliser des méthodes objectives d’évaluation de la consommation de substances psychoactives si l’on veut évaluer la prévalence de l’usage de ces substances au cours de la grossesse. Nous exposerons ici les questionnaires utilisés en pratique courante dans la recherche de consommation en population générale et chez la femme enceinte ainsi que les dosages toxicologiques employés en routine et en recherche pour évaluer une consommation par la mère durant la grossesse ou une exposition intra-utérine de l’enfant à l’alcool, au tabac et au cannabis. Les autres substances comme l’héroïne, la cocaïne, l’ecstasy, la consommation de psychotropes ou d’autres substances peuvent aussi être dosées dans différentes matrices mais les techniques ne seront pas exposées ici.
1 – Questionnaires utilisés en pratique courante et chez la femme enceinte
2Il n’existe pas, à l’heure actuelle, de questionnaires spécifiques utilisés pendant la grossesse pour dépister les consommations de substances chez la femme enceinte. Les questionnaires validés en pratique courante dans la population générale sont donc utilisés chez la femme enceinte en plus des questions suivantes qui sont systématiquement abordées : consommation avant la grossesse, pendant les grossesses antérieures s’il y a lieu, consommation du conjoint et exposition passive au tabac notamment et consommation durant la grossesse actuelle.
3L’Addiction Severity Index (ASI) est l’instrument le plus utilisé dans le monde pour l’évaluation des sujets usagers de substances psychoactives dont l’usage peut donner lieu à une dépendance. L’ASI a été développé dans les années 1980 à Philadelphie (USA) par l’équipe de McLellan [17]. L’ASI a été validé en langue française par Krenz et son équipe en 2004 [11]. Il permet de quantifier la fréquence et la gravité de l’usage de substances et sa répercussion sur la vie du sujet. Il ne permet pas de faire un diagnostic ni d’abus ni de dépendance. L’ASI est un hétéroquestionnaire standardisé semi-structuré recueillant des informations dans sept domaines de la vie du patient (médical, consommation de substances et d’alcool, relations familiales et sociales, situation légale, emploi et ressources, état psychologique) [16,17]. La passation est réalisée par un évaluateur spécifiquement formé. La passation peut être répétée dans le temps : ASI de base – correspondant au premier entretien – et ASI de suivi. Deux périodes sont explorées : les 30 derniers jours et la vie entière pour une première évaluation (évaluation de base) ; les 30 derniers jours et la période écoulée depuis le dernier entretien, pour un ASI de suivi. La durée de passation est de 45 minutes environ pour un ASI de base et de 15 à 20 minutes pour un ASI de suivi. L’ASI permet de générer deux types de scores pour chacun des 7 domaines explorés : les scores de sévérité établis par l’évaluateur et les scores composites calculés de façon mathématique. Les scores de sévérité sont établis sur une échelle en 10 points (de 0 à 9). Les scores sont établis sur la quantité, la durée et l’intensité des symptômes dans chaque domaine. Les scores composites sont issus d’une combinaison d’items fortement intercorrélés et les plus sensibles au changement. Ils sont générés par une formule mathématique et sont compris entre 0 et 1. Plus le score composite est proche de 1, plus la situation est détériorée dans ce domaine. Ils sont utiles en tant que mesure du changement de l’état du patient et permettent de mesurer l’évolution réalisée dans chaque domaine. Les qualités psychométriques de l’ASI sont bien documentées. La mesure de la sévérité par l’ASI est fiable (coefficient de Spearman-Brown moyen = 0,89). La fidélité test-retest à trois jours et la fidélité intercotateur sont très bonnes. Enfin, les scores de sévérité et les scores composites constituent une mesure valide de l’état du patient pour chaque dimension considérée. C’est un questionnaire qui détermine le profil médical (problèmes médicaux somatiques et psychiatriques) et social (niveau économique, scolaire, problèmes juridiques potentiels…) des sujets consommant des substances psychoactives. Il permet aussi de dépister un certain nombre de troubles relationnels (antécédents d’abus physiques ou moraux, réseau relationnel du sujet…). Les antécédents familiaux de consommation de substances psychoactives et les antécédents psychiatriques sont consignés. Une étude menée par l’équipe du Pr. Auriacombe en 2004 montre que la concordance (mesurée par le kappa) entre les réponses à l’ASI de personnes consommatrices de substances et en demande de prise en charge et les dosages urinaires toxicologiques est bonne. Mais cette étude a été réalisée chez des personnes en demande de soins et non chez des femmes venant d’accoucher. D’autres études ont montré, à l’inverse, une mauvaise corrélation entre les interviews, quels qu’ils soient, et les dosages biologiques [2]. L’ASI est peu utilisé en routine chez la femme enceinte pour dépister les consommations de substances pendant la grossesse car il ne permet pas de faire un diagnostic d’abus ou de dépendance et la durée de passation est trop longue pour l’utiliser en dépistage de masse.
4L’évaluation de la consommation d’alcool : questionnaire DETA. Cette évaluation rapide et fréquemment utilisée en clinique permet d’aborder et de quantifier la consommation d’alcool et le degré de dépendance. La traduction française du questionnaire CAGE (acronyme de « Cut down your drinking, have people Annoyed you, Guilty about your drinking, Eye opener »), le DETA (acronyme de « Diminuer, Entourage, Trop et Alcool ») comprend quatre questions orientées vers la recherche d’un mésusage d’alcool et explore la vie entière du sujet.
5Les questions « Avez-vous déjà ressenti le besoin de diminuer votre consommation de boissons alcoolisées ? », « Votre entourage vous a-t-il fait des remarques au sujet de votre consommation ? », « Avez-vous déjà eu l’impression que vous buviez trop ? », « Avez-vous déjà éprouvé le besoin de boire de l’alcool dès le matin pour vous sentir en forme ? » obtiennent les réponses « oui » ou « non » et donnent une valeur prédictive de dépendance à l’alcool. Par exemple, si une de ces quatre questions obtient une réponse positive, la valeur prédictive de dépendance à l’alcool est de 50 % alors qu’elle est de 99 % si les quatre questions obtiennent une réponse positive. La spécificité est élevée, comprise entre 91 et 93 % avec une sensibilité comprise entre 53 et 72 % [21].
6L’Alcohol Use Disorders Identification Test (AUDIT) est un autoquestionnaire développé par l’Organisation mondiale de la santé et validé aussi bien en population générale que spécifique [6]. Il permet d’estimer les populations présentant une alcoolisation à risque car il s’intéresse aux 12 derniers mois écoulés et donc concerne les problèmes d’alcool actuels (abus ou dépendance), contrairement au questionnaire DETA qui évalue les difficultés avec l’alcool qu’elles soient présentes ou passées. Dix items déterminent la fréquence de consommation, la quantité d’alcool consommée et les conséquences relationnelles et sociales de l’alcool sur le comportement de l’individu. Les valeurs attribuées à chaque réponse figurent sur la première ligne et elles ne sont pas inscrites sur les autoquestionnaires distribués. Le score à l’AUDIT est la somme des réponses à chaque ligne. Sa spécificité est comprise entre 74 et 97 % et sa sensibilité est comprise entre 33 et 97 %. Si le score est > 12 pour les hommes et 11 pour les femmes, l’alcoolo-dépendance est probable ; si le score est compris entre 8 et 12 pour les hommes et entre 7 et 11 pour les femmes, il s’agit probablement d’un usage nocif. Il peut être proposé au patient sous forme d’autoévaluation.
7L’autoquestionnaire de Fagerström [8] est un test permettant d’évaluer l’usage de tabac et il mesure la probabilité d’être dépendant pharmacologiquement mais ce n’est pas un test diagnostique car il ne reprend pas les critères diagnostiques d’abus ou de dépendance. Il est composé de 6 questions dans sa version longue, le score total varie entre 0 et 10. Le score obtenu est une variable continue et le score pathologique, c’est-à-dire le score au-delà duquel le sujet est considéré comme dépendant pharmacologiquement varie d’une étude à l’autre. Un faible score témoigne d’une faible dépendance pharmacologique mais ne renseigne pas sur la dépendance comportementale. Si le score est compris entre 0 et 2, il y a peu ou pas de dépendance, s’il est compris entre 3 et 4, il y a une faible dépendance, s’il est compris entre 5 et 6, la dépendance est moyenne et si le score est entre 7 et 10, il y a une très forte dépendance pharmacologique.
8L’autoquestionnaire Cannabis Abuse Screening Test (CAST) permet d’effectuer un premier repérage des usages nocifs du cannabis. Comme le test de Fagerström, cet autoquestionnaire ne permet pas de faire un diagnostic d’abus ou de dépendance. Il a été développé par l’Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies (OFDT) et utilisé notamment dans les enquêtes ESCAPAD (Enquête sur la Santé et les Consommations lors de la Journée d’appel et de Préparation à la Défense menée auprès des adolescents passant leur Journée d’Appel de Préparation à la Défense). Il est composé de 6 questions (réponse par oui/non), un score supérieur à 3 évoque un abus voire une dépendance [21].
2 – Dosages toxicologiques
9Les dosages toxicologiques permettent d’avoir une évaluation objective de la consommation d’alcool, de tabac ou de cannabis même s’il existe des faux positifs et des faux négatifs. Les dosages peuvent se faire, selon les marqueurs biologiques utilisés, dans plusieurs matrices : chez la mère : sang, urine ou cheveux ; chez la mère et l’enfant : placenta et liquide amniotique ; chez le nouveau-né : sang de cordon, sérum, urine, méconium, cheveux.
10Le méconium est le reflet d’une consommation au cours des cinq derniers mois de la grossesse. Les cheveux de la mère ou éventuellement du nouveau-né permettent des études rétrospectives de la consommation de substances (croissance de 1 cm par mois) dans les mois précédents. Ces deux matrices sont donc très intéressantes pour rechercher une exposition intra-utérine de l’enfant à une ou plusieurs substances [1, 20]. Cependant, les nouveau-nés n’ont pas toujours de cheveux à la naissance et les mères n’acceptent pas nécessairement un prélèvement capillaire chez leur enfant. Quant au méconium, sa récupération est parfois difficile car expulsé au moment de l’accouchement et donc non récupérable. Il faut néanmoins garder à l’esprit non seulement que ces matrices ne permettent pas toujours de savoir si le fœtus a été exposé à l’alcool ou à une substance pendant la grossesse (pas de données objectives sur le premier trimestre voir le début du second, métabolisme du nouveau-né et de la mère variable d’un individu à l’autre, matrice non récupérable…) mais aussi qu’elles ne peuvent être recueillies qu’en rétrospectif. La prise en charge précoce des femmes enceintes présentant un problème de consommation reste le meilleur moyen de prévention des conséquences à l’exposition à l’alcool et aux substances psychoactives in utero des enfants.
Marqueurs biologiques de la consommation d’alcool
11Il n’existe aucun marqueur biologique de la consommation d’alcool possédant une sensibilité et une spécificité excellentes. C’est la combinaison de plusieurs d’entre eux qui permet d’avoir une idée objective de la consommation d’alcool par un sujet. Ces biomarqueurs ne permettent pas de faire le diagnostic d’alcoolo-dépendance, ils sont utilisés uniquement pour appréhender le mode de consommation d’un individu : intoxication aiguë ou chronique ou consommation répétée. Les questionnaires et l’interrogatoire clinique doivent donc être utilisés en complément afin de pouvoir poser le diagnostic d’usage nocif, d’abus ou de dépendance.
12L’éthanol. Il est dosé dans le sang, les urines ou la respiration. Il permet de rechercher une consommation aiguë d’alcool. Il n’est pas possible de le doser dans les cheveux ou le méconium. Par contre, on pourra doser ses métabolites dans ces matrices comme l’éthyl glucuronide (EtG), l’éthyl sulfate (EtS) ou les Fatty Acid Ethyl Esters (FAEEs) [14].
13Gamma- Glutamyl Transférase (GGT). L’élévation des GGT se produit après 8 à 10 jours d’une consommation régulière excessive [14]. En cas de réduction ou d’arrêt de l’alcoolisation le taux diminue de moitié tous les 15 jours environ. C’est un marqueur peu sensible (50 à 70 %) et peu spécifique (60 à 70 %) car de nombreuses autres causes peuvent concourir à son augmentation : l’obésité, le diabète, les médicaments inducteurs enzymatiques, toutes les maladies hépatiques à l’origine d’une cholestase, etc.. Il s’agit d’un examen simple à réaliser et peu coûteux.
14Le volume globulaire moyen (VGM). L’élévation du VGM apparaît environ après 2 mois au moins d’une consommation régulière excessive. Il est élevé chez 4 % des adultes et dans 65 % des cas, son augmentation est liée à une consommation excessive d’alcool. Le VGM est donc peu sensible (30 à 40 %) mais très spécifique (90 %). L’association du dosage des GGT et de la mesure du VGM a une sensibilité de 90 % environ. Il s’agit d’un examen simple et peu coûteux et donc utilisé en pratique courante [14].
15Les transaminases : aspartate aminotransférase (ASAT) et alanine aminotransférase (ALAT). Des taux élevés d’ASAT ont été rapportés chez 39 à 47 % des individus alcoolodépendants. Un rapport ASAT/ALAT > 2 est suggestif d’une étiologie alcoolique. Les transaminases sont des marqueurs du foie assez précis mais ils ne peuvent pas être utilisés chez la femme enceinte car les mesures des enzymes hépatiques sont susceptibles d’être perturbées pendant la grossesse [14].
16La transferrine déficiente en xarbohydrate (CDT). La CDT est un marqueur fiable pour l’abus d’alcool de façon chronique ou répétée. Chez un sujet qui boit, le pourcentage de CDT augmente très rapidement dès que la consommation alcoolique est supérieure à une dose de 50 à 80 g d’alcool par jour pendant au moins 8 jours (une bouteille de vin à 10°). La spécificité de ce dosage est de 97 % et sa sensibilité évaluée à 82 %. La demi-vie de la CDT est comprise entre 14 et 17 jours environ, ce qui en fait un index intéressant dans les cas d’alcoolisme intermittent. Le taux de CDT n’est pas influencé par d’autres pathologies (d’où sa spécificité) ni par la prise de médicaments. À noter que la grossesse influence le dosage qui augmente d’une unité par litre toutes les 5 semaines après le premier trimestre de grossesse. Après 3 semaines d’arrêt d’imprégnation éthylique, ce dosage est normalisé. Les femmes produisent plus de CDT naturellement et donc peuvent produire moins de CDT en réponse à une forte consommation d’alcool. Whitty et al. [25] ont cherché à comparer les taux sanguins de CDT chez la mère et dans le sang de cordon. La mesure de la CDT du sang de cordon était plus élevée que celle du sang de la mère, on ignore pour quelle raison. Le CDT est le marqueur le plus spécifique de l’abus d’alcool et, lorsqu’il est combiné avec les GGT, la sensibilité croît sans perdre en spécificité [19].
17Rink et al. ont analysé des échantillons de sang chez les sujets alcoolo-dépendants (n = 177) en les comparant avec un groupe contrôle (n = 181) [22]. Aucun des marqueurs biologiques étudiés n’a une sensibilité supérieure à 90 % tandis que tous ont une bonne spécificité : CDT, VGM, GGT, homocystéine plasmatique totale et acide folique. La combinaison de ces marqueurs chez les sujets de sexe masculin permet d’atteindre une sensibilité de 98,6 % et une spécificité de 86,4 %. Chez les femmes, la combinaison des mesures du VGM et de la CDT permet d’obtenir une sensibilité à 94 % et une spécificité à 96 %. Pour les femmes, le fait d’ajouter les dosages d’homocystéine et des folates ne permet pas d’augmenter la sensibilité ni la spécificité [22].
18Les tests suivants sont beaucoup moins utilisés en routine mais ils sont particulièrement intéressants pour connaître l’exposition du nouveau-né à l’alcool au cours de la vie intra-utérine, car ils sont dosables dans les cheveux et dans le méconium. On utilise les techniques d’immunologie pour obtenir un dosage qualitatif et la chromatographie gazeuse couplée à la spectrométrie de masse (LC-MS/MS) pour avoir un dosage quantitatif :
19L’éthyl-glucuronide (EtG) et l’éthyl-sulfate (EtS). L’éthylg-lucuronide (EtG) et l’éthyl sulfate (EtS) sont des métabolites de l’alcool [4]. Ils se différencient par leurs voies de formation et de dégradation. Ils sont des marqueurs d’une consommation excessive d’alcool mais ce ne sont pas de bons marqueurs pour suivre une consommation récente ou aiguë. L’EtG et l’EtS sont influencés par l’âge, le sexe et une grande variété d’autres maladies. Ils sont solubles dans l’eau, stables et peuvent être détectés dans plusieurs fluides corporels, les tissus ou les cheveux. Peu de temps après une consommation d’alcool, même en faible quantité, l’EtG peut être positif [24]. Il peut détecter l’absorption d’éthanol 80 heures après l’élimination complète de l’alcool dans le corps [26]. Son taux peut être mesuré dans le sang, les cheveux et le méconium. L’EtG et l’EtS ont une sensibilité et une spécificité proche de 100 %. En associant ces dosages avec d’autres mesures comme celles de la CDT, du VGM et des gammas GT ainsi que des FAEEs, la sensibilité est accrue. Morini et al. ont comparé les dosages de l’EtG, de l’EtS et des FAEEs dans le méconium et les cheveux de la mère et du nouveau-né (99 dyades mère/enfant). Ils concluent que le méconium semble être la meilleure matrice pour évaluer l’exposition intra-utérine à l’éthanol et que l’EtG et l’EtS sont de bonnes alternatives pour évaluer l’exposition in utero du nouveau-né à l’alcool, ils ont ainsi réalisé plusieurs études sur ces métabolites dans différentes matrices [18].
20Les Fatty Acid Ethyl Esters (FAEEs) ou acides gras. Les FAEEs sont des métabolites de l’alcool. Ils sont composés de 7 molécules d’acides gras : palmitate d’éthyl, palmitoléate d’éthyl, stéarate d’éthyl, oléate d’éthyl, linoléate d’éthyl, linolénate d’éthyl et arachidonate d’éthyl. Le linoléate d’éthyl est le plus spécifique d’une intoxication éthylique. Il a une spécificité et une sensibilité autour de 95 %. Gareri et al. ont réalisé une étude en analysant 682 méconiums couplés avec les données déclaratives de la mère sur la consommation d’alcool pendant la grossesse. 17 des 682 méconiums se sont révélés positifs pour les FAEEs soit 5 fois plus que les données déclaratives sur une consommation excessive d’alcool pendant la grossesse (2,5 % versus 0,5 %) [7].
Marqueurs biologiques de la consommation de tabac
21L’intoxication tabagique peut être évaluée par la mesure de différents marqueurs dans les milieux biologiques. Ces marqueurs différent par leur spécificité et leur sensibilité dans la distinction fumeur/non-fumeur. Il est important de distinguer les marqueurs spécifiques du tabac (nicotine, cotinine) des marqueurs non spécifiques pouvant avoir d’autres origines que la fumée de cigarette (CO, cadmium, HbCO, thiocyanates, etc.). En pratique médicale, nous nous intéressons aux marqueurs spécifiques du tabac.
22Nicotine et cotinine (métabolite de la nicotine). La cotinine est un métabolite de la nicotine [5], on peut la doser dans le sang, les urines ou d’autres matrices comme le méconium ou les cheveux, ces dernières sont celles qui sont le plus utilisées pour évaluer l’exposition du fœtus au tabac.
23Le méconium s’avère un milieu particulièrement intéressant pour rechercher des biomarqueurs d’exposition au tabac [3]. Des techniques analytiques ont été décrites depuis quelques années. Le dosage de la nicotine ou de ses métabolites dans le méconium constitue un témoin fidèle du tabagisme durant la seconde partie de la grossesse [10]. Grâce à cette analyse, il est possible de différencier l’exposition des mères fumeuses, des mères soumises à un tabagisme passif et des mères non fumeuses [23]. Le dosage de la cotinine et de la nicotine peut aussi se faire dans les cheveux [9] et permettre ainsi des études rétrospectives mais il y a un biais lié à la pollution atmosphérique qui comporte de la nicotine. La quantité de nicotine inhalée (mg/24 heures) est égale à la concentration en cotinine sanguine (?g/l) x 0.08, en cotinine urinaire (?g/l) x 0.013, la cotininurie permettant l’adaptation optimale de la posologie de substitution nicotinique, augmentant ainsi les chances de succès du sevrage pour certains groupes spécifiques.
24La cotinine. Elle est le produit de l’oxydation hépatique de la nicotine par le cytochrome P450 (enzyme CYP2A6). Sa demi-vie d’élimination est relativement longue (18 à 24 heures). Elle explore l’exposition tabagique des deux derniers jours. Le dosage de la cotinine urinaire peut être utile pour adapter la substitution lors d’un sevrage difficile (femme enceinte, coronarien, résultats inattendus). Sa sensibilité est de 96-97 % et sa spécificité de 99-100 % dans les urines. Le taux de cotinine urinaire est plus élevé chez les enfants noirs que chez les enfants blancs (à exposition alléguée égale), il dépend du nombre de cigarettes fumées autour de l’enfant et de l’identité des fumeurs, la mère reste la personne la plus contributive par rapport à la présence de cotinine dans les urines de l’enfant. Dans les cheveux, le taux de cotinine est deux fois plus élevé (à exposition alléguée égale) dans les cheveux que dans les urines, quel que soit le type de cheveux. Dans le lait maternel, on retrouve 2 à 10 fois plus de cotinine urinaire chez les enfants nourris au sein par une mère fumeuse, comparativement au biberon.
Marqueur biologique de la consommation du cannabis : le THC-COOH (Acide 11-nor-delta-9-tétrahydrocannabinol carboxylique)
25Le THC-COOH est un métabolite du cannabis et peut être dosé dans le sang, les urines et différentes matrices comme les cheveux ou le méconium. Dosé dans le méconium [2], il permet de connaître la consommation de la mère durant les 5 derniers mois de grossesse. Le dosage qualitatif est obtenu par immuno-analyse. La technique de chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse permet d’avoir un résultat quantitatif. La sensibilité du test de dépistage est comparable à celle du test urinaire au seuil de 50 µg/l pour le cannabis (exprimé en THC-COOH) [15]. La spécificité est bonne pour le cannabis mais de fausses réactions positives peuvent se rencontrer. C’est la raison pour laquelle il est impératif de confirmer tout test positif au dépistage (par immuno-analyse) par un dosage quantitatif par spectrométrie de masse (technique de référence).
3 – Discussion
26Les chiffres de prévalence de la consommation de substances psychoactives par la femme enceinte sont largement sous-évalués. En effet, les méthodes le plus souvent utilisées sont des questionnaires et non des dosages biologiques permettant d’objectiver la consommation de substances psychoactives. La détermination d’un « profil » de femmes enceintes susceptibles de consommer pourrait permettre d’améliorer la prévention et la prise en charge de la mère et de l’enfant exposé aux substances durant la grossesse.
27De manière générale, les enfants ayant été exposés à une ou plusieurs substances psychoactives au cours de la grossesse (comparativement aux enfants non exposés) présenteraient davantage de troubles de croissance, de difficultés d’apprentissage (langage, marche, lecture…), de troubles cognitifs (attention, mémoire, fonctions exécutives), de troubles du comportement (impulsivité, agressivité), de pathologies psychiatriques (anxiété, dépression…) et, enfin, de risque de développer des comportements addictifs à l’adolescence. Le National Institute of Drug Abuse, en 2004, évaluait à 75 % le pourcentage de nourrissons présentant des problèmes médicaux lorsqu’ils avaient été exposés à une ou plusieurs substances durant la grossesse, comparativement à seulement 27 % pour les nourrissons non exposés. Cependant, les études publiées divergent dans leurs conclusions en raison des différentes échelles de mesure utilisées, des facteurs environnementaux qui peuvent interagir (consommation d’une ou plusieurs substances par la mère durant la grossesse et poursuite de cette consommation ou non, climat de violence familiale, consommation de substances par l’entourage, comorbidité psychiatrique), de l’hétérogénéité des populations étudiées (ethnies et/ou niveaux socio-économiques différents) et enfin des caractéristiques de la consommation maternelle de produits qui peuvent différer (comme la dose, le mode de consommation ou la période de la gestation au moment de la consommation). Certaines des conséquences régressent lorsque l’enfant se trouve placé dans un environnement protecteur dès la naissance (arrêt de la consommation de substances par la mère, alimentation correcte, rééducation psychomotrice de l’enfant ou changement d’environnement lié à un placement de l’enfant), c’est pourquoi réaliser des dosages toxicologiques chez le nouveau-né à la recherche d’une exposition fœtale à l’alcool ou à d’autres substances reste intéressant même rétrospectivement. Les questionnaires cités ci-dessus sont utilisés en pratique courante dans le suivi de grossesse et permettent d’aider au dépistage des grossesses à risques en plus de questions spécifiquement liés à la consommation durant la grossesse actuelle. Les dosages toxicologiques chez la mère (dosage urinaire principalement car facile à réaliser et peu coûteux) sont intéressants dans la prise en charge addictologique de la femme enceinte (comme chez tous patients ayant une problématique addictive aux substances). La plupart des dosages sanguins ont peu d’intérêts chez la femme enceinte car la demi-vie du toxique est trop courte et les dosages de CDT et transaminases sont modifiés pendant la grossesse.
28Le moment de la grossesse est une période tout à fait privilégiée pour instaurer ou réinstaurer un dialogue entre la femme consommant une ou plusieurs substances psychoactives et le monde médical. C’est un bon moment pour faire le point, établir une démarche de prise en charge médico-sociale pour la mère, voire le père (qui, le plus souvent, consomme également). Mais établir le contact avec la mère est souvent difficile car, en plus du sentiment de culpabilité qu’elle peut éprouver à consommer une substance psychoactive durant la grossesse, elle refuse les soins par crainte qu’on ne lui enlève la garde de son enfant à la naissance.
Bibliographie
Références
- 1Bar-Oz B, Klein J, Karaskov T, Koren G. 2003. Comparison of meconium and neonatal hair analysis for detection of gestational exposure to drugs of abuse. Arch Dis Child Fetal Neonatal Ed 88 : 98-100 http://fn.bmj.com/content/88/2/F98.long.
- 2Britton GR, Brinthaupt J, Stehle JM, James GD. 2004. Comparison of self-reported smoking and urinary cotinine levels in a rural pregnant population. J Obstet Gynecol Neonatal Nurs 33 : 306-11 http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1177/0884217504264866/abstract.
- 3Chan D, Caprara D, Blanchette P, Klein J, Koren G. 2004. Recent developments in meconium and hair testing methods for the confirmation of gestional exposures to alcohol and tobacco smoke. Clin. Biochem 37 : 429-38 http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0009912004000323.
- 4Dahl H, Stephanson N, Beck O, Helander A. 2002. Comparison of urinary excretion of ethanol and ethylglucuronide. J Anal. Toxicol 26 : 201-204 http://jat.oxfordjournals.org/content/26/4/201.long.
- 5Florescu A et al. 2007. Reference values for hair cotinine as a biomarker of active and passive smoking in women of reproductive age, pregnant women, children, and neonates : systematic review and meta-analysis. Ther Drug Monit 29 : 437-46 http://journals.lww.com/drug-monitoring/pages/articleviewer.aspx?year=2007&issue=08000&article=00009&type=abstract.
- 6Gache P et al. 2005. The Alcohol Use Disorders Identification Test (AUDIT) as a screening tool for excessive drinking in primary care : reliability and validity of a French version. Alcohol Clin Exp Res 29 : 2001-7 http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1097/01.alc.0000187034.58955.64/abstract.
- 7Gareri J, Lynn H, Handley M, Rao C, Koren G. 2008. Prevalence of fetal ethanol exposure in a regional population-based sample by meconium analysis of fatty acid ethyl esters. Ther. Drug Monit 30 : 239-45 http://journals.lww.com/drug-monitoring/pages/articleviewer.aspx?year=2008&issue=04000&article=00018&type=abstract.
- 8Heartherton TF, Kozlowski LT, Frecker RC, Fagerström KO. 1991. The Fagerstrom Test for Nicotine Dependance : a revision of the Fagerstrom Tolerance Questionnaire. Br J Addict 86 : 1119-1127 http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1360-0443.1991.tb01879.x/abstract.
- 9Jacqz-Aigrain E, Zhang D, Maillard G, Luton D, André J, Oury JF. 2002. Maternal smoking during pregnancy and nicotine and cotinine concentrations in maternal and neonatal hair. BIOG 109 : 909-11 http://onlinelibrary.wiley.com/store/10.1111/j.1471-0528.2002.01322.x/asset/j.1471-0528.2002.01322.x.pdf?v=1&t=hvl27rss&s=11676eb1547659da0e9ba804dc5367dc081dac9a.
- 10Kohler E, Avenarius S, Rabsilber A, Gerloff C, Jorch G. 2007. Assessment of prenatal tobacco smoke exposure by determining nicotine and its metabolites in meconium. Hum Exp Toxicol 26 : 535-44 http://het.sagepub.com/content/26/6/535.abstract.
- 11Krenz S et al. 2004. French version of the Addiction Severity Index (5th edition) : validity and reliability among swiss opiate-dependent patients. Eur Addict Res 10 : 173-179.
- 12Lamy S, Laqueille X, Thibaut F. 2014. Conséquences potentielles de la consommation de tabac, de cannabis et de cocaïne par la femme enceinte sur la grossesse, le nouveau-né et l’enfant : revue de littérature. Encéphale [in press].
- 13Lamy S, Thibaut F. 2010. Consommation de substances psychoactives au cours de la grossesse : revue de littérature. Encéphale 36 : 33-8.
- 14Lamy S, Thibaut F. 2011. Biological markers of exposure of foetus to alcohol during pregnancy. In Pregnancy and Alcohol Consumption. Public Health in the 21st century Ed J.D. Hoffman, Nova Science Publishers, Inc New York, USA, Ch 15 : 347-358.
- 15Marchei E et al. 2007. Quantification of Delta9-tetrahydrocannabinol and its major metabolites in meconium by gas chromatographic-mass spectrometric assay : assay validation and preliminary results of the “meconium project”. Ther Drug Monit. 228 : 700-6 http://journals.lww.com/drug-monitoring/pages/articleviewer.aspx?year=2006&issue=10000&article=00023&type=abstract.
- 16Martin C, Grabot D, Auriacombe M, Brisseau S, Daulouède JP, Tignol J. 1996. Etudes descriptives sur le rôle de l’Addiction Severity Index in France. Encéphale 22 : 359-63.
- 17McLellan AT et al. 1992. The Fifth Edition of the Addiction Severity Index. J Subst Abuse Treat 9 : 199-213 http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/074054729290062S.
- 18Morini L et al. 2010. Population baseline of meconium ethyl glucuronide and ethyl sulfate concentrations in newborns of nondrinking women in 2 mediterranean cohorts. Ther. Drug Monit Mar 23 http://journals.lww.com/drug-monitoring/pages/articleviewer.aspx?year=2010&issue=06000&article=00024&type=abstract.
- 19Niemelä. 2007. Biomarkers in alcoholism. Clin. Chim. Acta 377 : 39-49 http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0009898106006036.
- 20Ostrea EM et al. 2001. Estimates of illicit drug use during pregnancy by maternal interview, hair analysis, and meconium analysis. J Pediatr 138 : 344-8 http://www.jpeds.com/article/S0022-3476(01)41583-6/abstract.
- 21Reynaud M, Schwan R. 2003. Diagnostics des addictions aux substances. Rev Prat 53 : 1304-14.
- 22Rinck D et al. 2007. Combinations of carbohydrate-deficient transferrin, mean corpuscular erythrocyte volume, gamma-glutamyltransferase, homocysteine and folate increase the significance of biological markers in alcohol dependent patients. Drug Alcohol. Depend 89 : 60-5 http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0376871606004650.
- 23Sherif NA et al. 2004. Detection of cotinine in neonate meconium as a marker for nicotine exposure in utero. East Mediterr Health Jounal 10 : 96-105.
- 24Weinmann W, Schaefer P, Thierauf A, Schreiber A, Wurst FM. 2004. Confirmatory analysis of ethylglucuronide in urine by liquid-chromatography/electrospray ioniztion/tandem mass spectrometry according to forensic guidelines. J. Am. Soc. MAss. Spectrom. 15 : 188-93 http://link.springer.com/article/10.1016%2Fj.jasms.2003.10.010.
- 25Whitty JE, Dombrowski MP, Martier SS, Subramanian MG, Sokol RJ. 1997. Cord blood carbohydrate-deficient transferrin levels are markedly higher than marternal. J Matern Fetal Med 6 : 45-8.
- 26Wurst FM, Dresen S, Allen JP, Wiesbeck G, Graf M, Weinmann W. 2006. Ethylsulphate : a direct ethanol metabolite reflecting recent alcohol consumption. Addiction. 101 : 204-11 http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1360-0443.2005.01245.x/abstract.
Mots-clés éditeurs : marqueurs biologiques, questionnaires, cannabis, grossesse, tabac, alcool
Mise en ligne 18/06/2014
https://doi.org/10.3917/psn.122.0037