Notes
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[1]
Schreber [35], p.19. Les italiques sont ceux de l’auteur.
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[2]
La suppression du caractère suffisant de ce critère dans le DSM V [2] témoigne du reste de la difficulté à pouvoir définir de manière consensuelle ce qui relève de la bizarrerie et d’un échec de la saisie compréhensive.
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[3]
Concernant la critique de la notion de « syndrome de psychose atténuée » proposée dans cette hypothèse continuiste, on peut se reporter à Evrard, R., 2012 [11], ainsi qu’à Evrard, R., 2011 [10], pour un étayage de cette critique sur la perspective structurale proposée par Lacan.
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[4]
Jaspers [20], p. 92.
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[5]
Strindberg [36], p.41.
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[6]
Jaspers critique ainsi la perspective de Kretschmer, qui, en situant les symptômes dans la continuité de types de personnalité et de caractère, ou en les assimilant à des réactions psychiques, ne peut saisir l’écart entre les anomalies réactionnelles et les processus morbides altérant la personnalité.
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[7]
Jaspers [20], p. 462.
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[8]
Jaspers [20], p.431-432.
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[9]
On pourra se reporter sur ce point à l’ouvrage exhaustif de Bormuth [8].
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[10]
« L’anormal est donc surtout l’incompréhensible ». Jaspers [20], p. 259.
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[11]
Freud [14], p. 239.
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[12]
Pour situer précisément, dans la constellation théorique de la psychiatrie du début du XXe siècle, cette singularité épistémologique de la position freudienne, longuement commentée par Binswanger, on pourra se reporter au travail remarquable d’Elisabetta Basso, consacré au « Rêve comme argument » [4].
-
[13]
Freud [15], p. 258-259.
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[14]
Ibid., p. 259.
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[15]
Ibid.
-
[16]
Cette « expérience chargée d’affect » correspond à la relation de compréhension que Jaspers limite aux délires secondaires, c’est-à-dire aux idées pseudo-délirantes surgissant hors de la psychose véritable.
-
[17]
Ibid., p. 261.
-
[18]
On sait en effet que c’est le rêve qui fournit à Freud, sur ce point, le modèle de l’acte interprétatif, invitant à le lire comme un texte à déchiffrer : « Comme une lettre en écriture chiffrée, l’inscription du rêve, quand on l’examine de près, perd son apparence première de gribouillis et prend l’aspect d’un message intelligible sérieux. Ou, pour changer légèrement d’image, nous pouvons dire que, comme un palimpseste, le rêve révèle, en dessous de ses caractères superficiels sans valeur, les traces d’une ancienne et précieuse communication. » Freud [12], p. 171.
-
[19]
Assoun [3], p. 42.
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[20]
Ibid., p. 43.
-
[21]
On sait que la lecture de la psychanalyse freudienne proposée par Ricœur reprendra précisément ces questions, en soulignant, quant à elle, une tension irréductible entre les concepts renvoyant au registre d’une efficacité causale des contenus psychiques, à la base notamment de la visée thérapeutique, et les concepts renvoyant au registre de l’herméneutique et du déchiffrement du sens symbolique. Cette tension se situerait notamment, selon Ricœur, entre les notions relevant de la dimension énergétique, telles que la résistance ou la force des investissements psychiques, et les notions relevant des constructions intersubjectives élaborées au sein de la rencontre avec l’analyste, et de la narrativité élaborée au sein de la cure. Voir Ricœur [32].
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[22]
Jaspers [20], p. 249.
-
[23]
Freud [16], p. 178.
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[24]
« Partout […] nous pouvons rechercher des causes et des effets, au contraire la compréhension rencontre partout des limites. » Jaspers [20], p. 253, les italiques sont de l’auteur.
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[25]
« Tout symptôme névrotique — et le rêve lui-même — est susceptible de surinterprétation, voire en exige une pour être pleinement compris ». Il n’est bien entendu pas anodin que cette caractéristique des formations inconscientes trouve son meilleur point de comparaison dans la surdétermination du texte littéraire — façon de signifier les difficultés inhérentes à la lecture du texte du symptôme : « de même toute création poétique authentique procédera de plus d’un motif et de plus d’une incitation dans l’âme du poète et autorisera plus d’une interprétation. » Freud [12], p. 307.
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[26]
« On a aussi nommé les rapports compréhensibles de la vie psychique “causalité intérieure” et on a marqué ainsi l’abîme infranchissable existant entre ces relations, qui ne peuvent être appelées causales que par analogie, et les véritables rapports de causalité, ou causalité externe. ». Jaspers [20], p. 248. On pourra également se reporter au chapitre consacré à la critique frontale de la théorie freudienne pour s’avertir des difficultés que Jaspers soulève au sujet de cette « causalité psychique ».
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[27]
Lacan [24], p. 39.
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[28]
Ibid., p. 14.
-
[29]
Lacan [28], p. 651.
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[30]
Lacan [27], p. 471.
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[31]
Lacan [29], p. 867.
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[32]
Lacan [26], p. 15.
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[33]
Ibid., p. 15.
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[34]
Néo-kantisme toujours discuté, selon les éléments dont on dispose actuellement : sur ce point, on pourra se reporter aux nombreux débats d’érudition ayant cherché à situer précisément Jaspers dans le paysage philosophique de l’Allemagne du début du XXe siècle. Voir en particulier Walker, C. [39] ; Wiggins, O. P. et Schwartz, M. A. [40] ; Kumazaki, T. [23].
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[35]
On sait la fonction que Kant, dans sa Critique de la raison pure [22], donnait à la notion d’« idéal régulateur » — un idéal chargé de la seule fonction de diriger les investigations des chercheurs expérimentaux.
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[36]
Ibid., p. 14.
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[37]
Ibid.
-
[38]
Ibid.
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[39]
Ibid., p. 29.
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[40]
Ibid., p. 14.
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[41]
De Clérambault [9], p. 493.
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[42]
Ibid. Les italiques sont de Clérambault.
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[43]
Ibid.
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[44]
Ibid.
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[45]
Lacan [26], p. 28.
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[46]
Ibid., p. 31.
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[47]
Nous référons ici à l’usage lacanien du terme de « compréhension » (explicité plus haut) – et non à l’usage qu’en fait Jaspers.
« Il nous apparaît encore incompréhensible et fou ; nous ne soupçonnons pas par quel chemin sa folie particulière va se rattacher à l’humaine condition pour nous contraindre à la sympathie ».
1Lorsque le Président Schreber, en 1903, expose les motifs qui l’ont conduit à écrire ses Mémoires d’un névropathe [29], il souligne d’emblée que les idées religieuses et phénomènes surnaturels dont il veut fournir une « notion approximative » relèvent d’un mode d’appréhension « extrêmement particulier » pour l’esprit humain : « Je ne puis compter d’avance sur une compréhension complète, puisqu’il s’agit en partie de choses qui ne se laissent exprimer absolument dans aucune langue humaine, en tant qu’elles dépassent l’entendement humain. Je ne peux pas même affirmer que pour moi tout soit là d’une inébranlable certitude ; bien des choses demeurent encore conjecture et présomption [1]. »
2Cette déclaration donne un aperçu des dimensions qui s’enchevêtrent lorsqu’est en jeu la question de la compréhension en psychopathologie. Pour une part, elle constitue une illustration clinique typique de la thèse qu’exposera Blondel en 1911, dans La conscience morbide [7] : l’incompréhensibilité du délire psychotique, avant même d’être posée par le clinicien, prend sa source dans le désarroi du patient lui-même, dès lors qu’il est confronté à des expériences pathologiques fondamentalement hermétiques et indicibles dans le langage commun. Mais du point de vue de Schreber, ce défaut d’intelligibilité, loin d’être une marque du caractère délirant de ses idées, tient à leur appartenance à un ordre de vérité supérieur, religieux, plaçant nécessairement l’entendement humain face aux limites de sa capacité de connaissance.
3Au sein de la psychiatrie, c’est à propos du délire psychotique que la question de la compréhension a suscité les positions les plus radicales. L’affirmation, formulée par Jaspers [20], d’une incompréhensibilité inhérente au délire schizophrénique a fait de cette incompréhensibilité un critère clinique majeur dans la reconnaissance d’un délire véritable ou d’une psychose. Ces analyses proposées par Jaspers ne sont pas sans écho dans la psychiatrie contemporaine. Les critères de la schizophrénie proposés par le DSM au fil de ses différentes éditions reposent en effet en grande partie sur les symptômes de premier rang, établis par Schneider [30] dans une filiation directe avec les travaux de Jaspers. Le DSM IV [1] accorde en outre un rôle spécifique au critère de la bizarrerie du délire, faisant de l’échec de la compréhension à la fois un signe et une conséquence de la perte de réalité et de la dissociation psychotiques [2].
4Bizarrerie, incompréhensibilité et délire semblent donc susceptibles de s’entre-définir dans un mouvement circulaire. À l’usage implicite de l’échec de la compréhension dans la pratique diagnostique s’oppose néanmoins une critique explicite de l’incompréhensibilité lorsqu’elle est perçue comme un postulat, qui limiterait par principe tout accès aux expériences subjectives de la psychose et à un espace thérapeutique de vécus partagés. Depuis quelques décennies, ces critiques se trouvent renforcées par le développement d’une approche dimensionnelle des troubles mentaux : tandis que la perspective de Jaspers faisait fond sur une différence qualitative nette entre les expériences psychotiques et les altérations communes du psychisme, une telle approche place le délire à l’extrémité d’une ligne continuiste s’étendant jusqu’aux idées étranges répandues dans la population générale [38]. Que le délire ne soit pas, dans cette perspective, radicalement hors de portée de la psychologie ordinaire soulève la question, peu abordée en tant que telle dans la littérature, des glissements qu’une telle perspective implique dans la conception de la compréhension en psychopathologie.
5Au sein même des approches psychopathologiques qui se situent dans le prolongement de la tradition phénoménologique initiée par Jaspers, l’héritage de ce dernier est marqué par une tension, qui se noue précisément sur le point de la compréhension. Il s’agit en effet souvent de souligner la pertinence d’une distinction qualitative entre phénomènes psychotiques et non psychotiques, tout en refusant de reléguer la psychose dans une altérité inaccessible et sans analogie avec l’expérience commune [18]. Or, chez Jaspers, l’élaboration de démarcations phénoménologiques au sein du champ de la psychopathologie est indissociable d’un partage entre les sphères du compréhensible et de l’incompréhensible. Il est alors intéressant de constater que certaines approches relevant de la tradition psychanalytique se situent, face aux perspectives continuistes contemporaines, dans une position qui présente des points de similarité non négligeables avec la psychopathologie phénoménologique. L’héritage des analyses proposées par Lacan [26] à propos des psychoses semble souvent traversé par la même tension que celle qui caractérise la postérité des analyses de Jaspers. Elle tient dans ceci que la perspective lacanienne propose une conception structurale qui trace des lignes de démarcations irréductibles dans le champ de la psychopathologie entre névroses et psychoses, en l’articulant à une certaine incompréhensibilité des phénomènes psychotiques : or, ce n’est pas sans susciter, chez certains de ces successeurs, des critiques proches de celles qui visent la radicalité des affirmations de Jaspers. Situer les usages contemporains des conceptions respectives de ces deux auteurs dans le champ des critiques qui peuvent être adressées aux hypothèses continuistes en psychopathologie [3] requiert de ce fait de revenir à leurs positions d’origine sur la notion de compréhension, et invite spontanément à les placer en regard l’une de l’autre.
6Clarifier ces tensions suppose d’interroger préalablement les différentes dimensions et significations de la compréhension. Comme modalité d’appréhension des phénomènes psychopathologiques, cette dernière est en effet susceptible de renvoyer à des niveaux très différents de mécanismes mentaux et de relations à l’autre. L’herméneutique, dont le processus interprétatif vise, au-delà du chaos des phénomènes, la construction d’une cohérence et d’un sens sous jacents, est totalement hétérogène au registre de la saisie immédiate d’une fonction ou d’une intention qui éclaire le comportement d’autrui. Cette dernière relève d’une donnée préréflexive de la rencontre et du contact, fondée sur l’empathie et l’horizon d’un sens commun, qui constitue un attendu de toute relation intersubjective : c’est l’échec de cette perception d’une résonance émotionnelle ou d’une ambiance partagée que désignent le sentiment du précoce décrit par Rümke [33], le diagnostic par pénétration de Minkowski [31], le diagnostic par sentiment de Binswanger [6], ou encore le diagnostic atmosphérique de Tellenbach [37]. Ce ressenti spontané, qui posséderait selon certaines études un degré de fiabilité non négligeable dans le diagnostic de la schizophrénie [17], est à distinguer clairement du jugement de bizarrerie, dont l’évaluation varie couramment d’un clinicien à l’autre [5].
7Que recouvre alors l’idée d’une incompréhensibilité intrinsèque de certains phénomènes psychopathologiques ? Pour cerner les significations cliniques et les implications épistémologiques de cette position, il convient d’abord de se pencher sur sa formulation initiale, chez Jaspers : celle-ci ne prend sens qu’au sein d’une conception déterminée de l’empathie, et d’une opposition majeure entre les régimes de la compréhension [die Verstehung] et de l’explication [die Erklärung], qu’il convient d’expliciter.
8Ce retour aux analyses de Jaspers s’avère en outre nécessaire pour éclairer la conception lacanienne de la compréhension : celle-ci se positionne en effet vis-à-vis de celle de Jaspers, dans un mouvement d’adhésion, puis de refus, qui laisse cependant subsister un point d’accord indéniable au niveau clinique, quant à l’incompréhensibilité des phénomènes psychotiques. Or, s’il nous a paru judicieux de placer en regard les perspectives de Jaspers et de Lacan qui articulent toutes deux l’abord du délire psychotique à la question de la compréhension, une telle comparaison peut difficilement écarter la construction, dans l’œuvre freudienne, de la spécificité de l’approche psychanalytique sur cette question. Si cette dernière semble à première vue extérieure aux critiques épistémologiques que Lacan adresse à Jaspers, le fait que ces critiques constituent pour Lacan un jalon nécessaire de son retour à Freud rend indispensable de ne pas se cantonner aux rapports entre Jaspers et Lacan, mais d’interroger le surgissement, dans la perspective freudienne, d’une nouvelle figure de la compréhension, irréductible tant à l’épistémologie de la psychiatrie qu’à celle de la phénoménologie.
Explication et compréhension dans la Psychopathologie générale de Jaspers : le délire psychotique comme limite de la saisie compréhensive
9La littérature contemporaine en psychopathologie mentionne fréquemment la Psychopathologie générale de Jaspers [20], en rappelant l’originalité de ses positions : l’introduction de la méthode phénoménologique en psychopathologie, la distinction entre délires primaires et délires secondaires, et l’affirmation d’une incompréhensibilité essentielle du délire psychotique. Or, c’est précisément la question de la compréhension qui articule ces différents points – en particulier la description du délire comme expérience plutôt que comme croyance, et la recherche de ses traits spécifiques.
10Le critère de la compréhension, avant d’être développé dans la Psychopathologie générale, est déjà évoqué par Jaspers à propos des diverses espèces de délires de jalousie [19]. L’incompréhensibilité du délire de jalousie psychotique ne tient pas à son contenu, qui relève d’un thème commun et accessible, mais à une transformation formelle et totale de l’expérience vécue. Que la croyance jalouse du sujet puisse s’avérer véridique sans toutefois cesser d’être délirante met en évidence l’absence de pertinence clinique des critères renvoyant à la conviction, à l’incorrigibilité ou à l’invraisemblance. Ce qui se montre fondamentalement inaccessible à la compréhension, en constituant par là-même le propre de la schizophrénie, ce n’est pas l’impossibilité ou l’incohérence du délire, mais l’expérience délirante primaire qui est à sa source. La psychopathologie générale prolonge et étend cette caractérisation du délire comme expérience subjective transformée : Jaspers y consacre de longs passages à la description d’une « atmosphère » ou d’une « humeur » délirante, qui constituerait à la fois le propre du délire de la schizophrénie et son point radical d’incompréhensibilité : « Les malades ont des sentiments désagréables. Il se passe quelque chose qu’ils pressentent. Toute chose a pour eux une signification nouvelle. L’entourage est changé, non pas au point de vue sensible, grossier, en déformant les détails, – les perceptions sont inaltérées du côté des sens, – il existe plutôt une altération fine, pénétrante qui enveloppe tout d’une lumière mystérieuse et effrayante. (…) Il y a quelque chose dans l’air, mais le malade ne peut se rendre compte de ce que c’est ; un état de tension méfiante, désagréable, inconnue le saisit. » [4]
11Le caractère impénétrable de cette expérience tient à une modification globale de l’appréhension du monde qui ne possède au début aucun contenu précis : c’est en cela qu’il s’agit d’une atmosphère ou d’une humeur, dont les thèmes et objets se fixent secondairement, dans une tentative du sujet de circonscrire l’angoisse occasionnée par cette « tension méfiante, désagréable, inconnue ». Ce bouleversement de la forme de l’expérience, sans commune mesure avec les préoccupations ou inquiétudes ordinaires, apparaît particulièrement sensible au moment du basculement du sujet dans le délire – les écrits autobiographiques de Strindberg [36], minutieusement commentés par Jaspers dans la pathographie qu’il consacre à l’écrivain suédois [21], pourraient illustrer avec une remarquable acuité ces moments d’interrogations et d’attentes agitées : « Je m’arrête au coin de la rue Alibert. Pourquoi Alibert ? Qui est-ce ? (…) Que conclure de là ? Bizarre, mais l’impression d’une chose inexplicable me reste à l’esprit. Puis rue Dieu. Pourquoi Dieu, alors qu’il est aboli par la République qui a désaffecté le panthéon ? – rue Beaurepaire. Le beau repaire de malfaiteurs… » [5] Tout lui paraît changé et porteur de mystère, les impressions de référence et de signification le placent au cœur d’un système d’augures et de messages à déchiffrer, amenant le pressentiment d’une catastrophe à venir, préparée par des persécuteurs inconnus.
12Jaspers décrit cette « expérience délirante primaire » comme une altération totale de la personnalité et de l’existence du sujet, transformant le monde et son sens familier en perplexité oppressante. Si est ainsi posée l’altérité radicale et irréductible du vécu psychotique, en quel sens implique-t-elle l’inaccessibilité à toute saisie compréhensive et à toute inférence d’une signification psychologique ?
13C’est dans la lignée de l’épistémologie développée par Weber et Dilthey que prend sens chez Jaspers la notion de compréhension : elle constitue un principe méthodologique majeur basé sur l’« interpénétration affective », institué en opposition au régime de l’explication causale. Il y a donc toujours, chez Jaspers, exclusion réciproque du registre de la compréhension et de celui de la causalité, la compréhension se situant toujours hors d’une recherche causale, et la démarche explicative débutant là où la compréhension n’a pas lieu d’être. Appliquant cette épistémologie à la psychopathologie, Jaspers distingue la « compréhension statique », ou phénoménologique, qu’il définit comme une description des vécus tels qu’ils se présentent dans la conscience des sujets, et la « compréhension génétique », ou « psychopathologie compréhensive », qui repose sur une intuition de l’enchaînement des états psychologiques menant à l’émergence d’un symptôme.
14C’est à la fois d’après la compréhension statique et d’après la compréhension génétique que Jaspers oppose l’expérience délirante primaire de la schizophrénie, seul délire véritable et par essence incompréhensible, aux idées pseudo-délirantes non psychotiques, dites « secondaires ». Au sens de la compréhension statique, ces délires non psychotiques se situent dans la continuité des idées surévaluées ou passionnelles présentes chez tout un chacun, tandis qu’il semble impossible de se représenter ce que peuvent désigner des expériences schizophréniques comme la fabrication ou soustraction de pensées, ou la sensation d’agir sans être l’auteur de ses actes. Mais c’est dans la compréhension génétique que réside la base de la thèse de Jaspers : les idées pseudo-délirantes constituent en général des réactions du sujet, à visée souvent compensatrice ou explicative, à des événements perturbants, à des affects intenses ou à des anomalies de la perception qui éclairent leur fonction psychique. Bien qu’anormales et irrationnelles, ces réactions, telles que la jalousie pathologique ou le sentiment de persécution, peuvent être resituées dans l’ensemble de la vie du sujet et retracées dans leur genèse au vu de sa personnalité ou de ses complexes affectifs. À l’inverse, toute tentative pour dégager l’origine et l’enchainement psychologiques menant aux délires psychotiques rencontre irrémédiablement comme point de butée l’atmosphère délirante primaire : l’irruption de cette dernière manifeste une rupture totale dans l’histoire du sujet et dans la continuité de ses états psychologiques, même lorsque la psychose apparaît selon un mode insidieux et progressif [6]. Altération totale de l’expérience, incompréhensibilité et spécificité du délire schizophrénique découlent ainsi les unes des autres de manière indissociable : « La vieille définition de la paranoïa : “un jugement faux, impossible à corriger” n’est plus de mise depuis qu’on a mis en relief des expériences subjectives des malades qui sont la source du délire (idées délirantes véritables), tandis que dans d’autres cas les états d’âme, les désirs les instincts font naître les idées erronées (idées de surestimation, etc.) d’une manière plus ou moins compréhensible. » [7]
15« C’est ainsi que, dans certaines circonstances favorables, la jalousie engendre un délire de jalousie, qu’un chicaneur devient un revendicateur, ou que dans les maisons de correction les méfiants peuvent présenter le délire de la persécution. » [8]
16C’est donc à l’égard du délire psychotique que se manifeste le plus clairement, chez Jaspers, l’opposition épistémologique entre démarche compréhensive et démarche explicative. L’expérience délirante primaire, parce qu’elle témoigne d’une altération complète de la personnalité, n’est pas compréhensible mais peut être causalement expliquée par l’apparition d’un processus morbide dont elle serait une manifestation directe. Il est ici essentiel de préciser, comme le souligne Georges Lantéri-Laura [30], que l’échec de la compréhension ne découle pas du caractère supposément organique de ce processus, mais de l’hétérogénéité radicale de sa nature, quelle qu’elle soit, au registre de la conscience et de la psychologie. Il ne s’agit donc pas d’une incompréhension de fait, liée à une limite du savoir, mais d’une incompréhensibilité pour ainsi dire de droit, due à un élément qui vient briser la chaine des motivations psychiques. La radicalité de cette thèse, tant sur le plan clinique qu’épistémologique, repose ainsi sur une conception complexe de la compréhension, associée à une théorie du processus qui marque le passage à une explication causale. C’est sur ce point que se dessine nettement la répartition opérée par Jaspers dans le champ de la psychopathologie, qui vise à circonscrire précisément l’espace du compréhensible et le domaine d’une pratique du sens d’une part, en l’opposant à ce qui n’est motivé par aucune signification et relève d’une science des causes d’autre part.
17Contrairement à Blondel, Jaspers ne fait pas découler l’incompréhensibilité du délire pour le clinicien de la perplexité du patient confronté à la transformation de son expérience. La compréhension renvoie à une donnée d’emblée relationnelle de la rencontre intersubjective, fondée sur l’empathie ou l’interpénétration affective. Cependant, comme pour Dilthey et Weber, cette empathie est loin de se limiter à une résonance émotionnelle avec l’autre ou au ressenti d’un contact. Moins immédiate et élémentaire que le « sentiment du précoce » décrit par Rümke, elle consiste à saisir des rapports entre les états psychologiques : elle se base ce faisant sur des schémas issus du sens commun, lui-même indissociable de son ancrage dans une société et une culture. L’échec de la compréhension face à la psychose résulte donc moins du caractère hermétique, impénétrable ou bizarre du délire que de l’impossibilité de reconstruire, autour de l’expérience délirante, l’horizon d’un vécu avec lequel elle entrerait dans des rapports de signification psychologique.
18Chez Jaspers sont donc très étroitement articulées, aux niveaux clinique et épistémologique, les trois dimensions de l’incompréhensibilité, du partage à opérer au sein du vaste champ des psychopathologies, et de la recherche de caractéristiques propres à la schizophrénie. La délimitation par Schneider [34], dans la symptomatologie de la schizophrénie, des « symptômes de premier rang » consolide d’ailleurs cette articulation : comprenant les hallucinations, les perceptions délirantes, les expériences d’influence et de contrôle ou encore les interférences, le vol ou la publication de la pensée, ces symptômes constituent précisément le développement ou la fixation de l’« atmosphère délirante » décrite par Jaspers. Dans la continuité de ce dernier, c’est à la rupture engendrée par les phénomènes psychotiques dans les enchaînements psychologiques du sujet que Schneider relie le plus étroitement leur incompréhensibilité : là où les obsessions névrotiques, tout en étant vécues comme absurdes et combattues par le moi, sont reconnues comme appartenant à sa pensée propre, les obsessions schizophréniques revêtent l’étrangeté totale d’une pensée provenant d’une extériorité radicale au sujet.
19Aussi bien la discontinuité introduite dans l’existence du sujet que l’impuissance de la compréhension à pénétrer l’opacité de l’atmosphère délirante semblent ainsi constituer les deux faces d’une même dimension clinique qui, pour Jaspers comme pour ses successeurs de l’École de Heidelberg, place la psychose hors du champ de connaissance de la psychologie. Là où n’est pas possible une compréhension fondée sur la saisie empathique d’une continuité psychique et d’une cohérence dans les enchaînements des pensées, des actes et des affects du sujet, le psychiatre doit poser l’existence d’un déterminisme causal relevant d’une autre nature que celle des états mentaux.
Comprendre et expliquer avec Freud : la question de l’interprétation
20On sait la critique qu’une telle conceptualisation adressera à la psychanalyse, s’agissant de l’effort de « compréhension » analytique [9] – ce qui conduira Lacan à répondre explicitement à Jaspers, au début de son enseignement. Que la critique déclarée de Jaspers par Lacan constitue l’un des jalons nécessaires de son « retour à Freud » illustre sans nul doute la tension qui se dessine entre l’empathie (Einfühlung) décrite dans la Psychopathologie générale et la compréhension promue par l’hypothèse de l’inconscient : aussi convient-il de restituer un maillon manquant du débat qui se tend entre le Jaspers de 1913 et le Lacan de 1956, en passant par Freud. Réintroduire explicitement Freud dans un débat où il n’était présent qu’en filigrane nous permettra de découvrir une figure inédite de la compréhension : tandis que Jaspers accentuait le critère d’incompréhensibilité comme caractéristique de la psychose – circonscrivant de facto le périmètre du plus pathologique [10] –, il n’est pas anodin que l’annonce de la position freudienne se marque plutôt par un refus de l’incompréhensible : « L’intérêt du psychiatre praticien pour de telles formations délirantes est en règle générale épuisé quand il a constaté l’activité du délire et jugé de son influence sur la conduite de vie du malade ; son étonnement n’est pas le début de sa compréhension. Le psychanalyste, partant de sa connaissance des psychonévroses, suppose que même des formations de pensée si singulières, s’écartant tellement du penser habituel des humains, procèdent des motions les plus générales et les plus compréhensibles de la vie d’âme, et il voudrait apprendre à connaître les motifs tout comme les voies de ce remodelage. » [11]
21Déclaration remarquable en ce qu’elle aligne d’emblée, en apparence au moins, la position du psychanalyste sur une « volonté de comprendre » telle que, loin de s’arrêter au constat (clinique) pour se détourner ensuite du fait (psychopathologique), il « se plongera volontiers dans l’histoire du développement tout comme dans les détails du délire ». Tandis que l’incompréhensibilité du délire assignait au psychiatre les limites de son « intérêt », renvoyant le phénomène à une autre sorte de détermination (quitte à le laisser comme figé dans son « étonnement »), l’incompréhension devant le fait délirant, pour le psychanalyste, n’a pour effet ni de faire tomber le phénomène en dehors de sa juridiction ni de le renvoyer devant une autre compétence. Elle invite au contraire à comprendre, signalant le fait comme justiciable d’une interprétation pour y retrouver « les motions les plus générales et les plus compréhensibles de la vie d’âme ».
22On se doute de l’effet polémique immédiat qu’exerce une telle profession de foi méthodologique sur la position de Jaspers en particulier, et sur celle du psychiatre en général : c’est qu’elle ouvre sur la nécessité d’un « travail d’interprétation » qui récuse ou repousse l’incompréhensible – travail qui constitue, sinon le cœur de l’expérience freudienne, du moins son exigence distinctive sur les plans clinique et théorique [12].
23On sait en effet la place centrale de l’interprétation dans le projet freudien, qui formule clairement cette exigence de compréhension comme une tâche à accomplir : il convient de la ressaisir en sa logique propre pour la confronter à la « compréhension » intuitive caractérisée par Jaspers, et la situer précisément dans le jeu épistémologique de l’explication (Erklären) et de la compréhension (Verstehen). La tension centrale de cette confrontation peut se formuler ainsi : Jaspers n’invitait pas simplement à constater l’incompréhension momentanée du délire, il statuait de surcroît sur son incompréhensibilité en droit. Dans son approche du fait délirant, il invitait à prendre un autre chemin que celui tracé par la « psychologie compréhensive », ayant constaté dans sa progression qu’une telle route s’avérait parfaitement impraticable. Freud, à l’inverse, s’il commence par constater l’énigme, aspire à la dénouer : aussi est-ce le ressort de son grand reproche adressé à « la psychiatrie » (avec les guillemets qu’impose une telle généralisation) que de s’arrêter au seuil de la compréhension. C’est précisément la logique de ce reproche que Freud déploie lorsqu’il envisage de front les rapports entre « psychanalyse et psychiatrie », selon le titre d’une de ses Leçons d’introduction à la psychanalyse [15].
24Après nous avoir mis en présence, pour les besoins de sa conférence, d’une patiente souffrant d’un délire de jalousie (ce qui n’est pas anodin, si l’on se souvient que Jaspers avait lui aussi convoqué de façon privilégiée cette forme pour instituer la distinction du compréhensible et de l’incompréhensible), il convoque l’avis d’un psychiatre imaginaire qu’il introduit ainsi, sur la scène clinique, auprès de la patiente : « Le psychiatre essaie tout d’abord de caractériser le symptôme par une propriété essentielle. L’idée par laquelle cette femme se tourmente ne peut être en soi qualifiée d’insensée ; il arrive en effet que des maris d’un certain âge entretiennent des relations amoureuses avec des jeunes filles. Mais il y a là quelque chose d’autre qui est insensé et incompréhensible. La patiente n’a aucune autre raison de croire que son tendre et fidèle époux appartient à cette catégorie de maris […]. [En l’occurrence] elle devrait pouvoir se dire qu’elle n’a aucune raison d’être jalouse, c’est aussi ce qu’elle se dit, mais cependant elle souffre tout autant que si elle reconnaissait cette jalousie comme pleinement justifiée. Des idées de cette sorte, qui sont inaccessibles à des arguments logiques et tirés de la réalité, on est convenu de les appeler idées délirantes. Cette bonne dame souffre donc d’un délire de jalousie. C’est sans doute la caractéristique essentielle de ce cas de maladie. » [13]
25Par son insistance à souligner, dans l’éclosion du délire, « cette chose incroyable, incompréhensible à elle-même », on voit ainsi Freud s’appuyer sur le critère d’incompréhension défendu par Jaspers pour nettement reconnaître, avec le psychiatre, le caractère délirant des préoccupations jalouses. Mais voici la série d’interrogations sur laquelle débouche, selon lui, l’expertise clinique : « Après cette première constatation, notre intérêt psychiatrique voudra se faire plus vif encore. Si une idée délirante ne peut être abolie par la référence à la réalité, c’est qu’elle ne sera sans doute pas issue non plus de la réalité. À défaut, d’où est-elle issue ? Il y a des idées délirantes au contenu le plus divers ; pourquoi le contenu du délire est-il dans notre cas précisément la jalousie ? Chez quelles personnes des idées délirantes ou en particulier des idées délirantes de jalousie se forment-elles ? Ici nous aimerions bien prêter l’oreille au psychiatre, mais c’est ici qu’il nous laisse en plan. » [14]
26Tel est donc le discours que Freud fait dire aux psychiatres, comme pour renvoyer en une prosopopée polémique la psychiatrie à un aveu d’ignorance, sinon la mettre face à une récusation de compétence. On comprend que, aux yeux de Freud, la requête aux fins de renvoi du cas devant la psychanalyse vise à promouvoir, face au silence de la « psychiatrie scientifique », l’éloquence de l’interprétation psychanalytique – en répondant à la question : « Mais la psychanalyse peut-elle faire davantage ici ? Oui, certainement ; j’espère vous montrer que même dans un cas aussi difficile d’accès, elle est capable de mettre à découvert quelque chose qui rend possible la compréhension immédiate. » [15]
27Et de fait, si nous « rassemblons ce qu’un effort psychanalytique, bref et rendu difficile, a apporté à la compréhension de ce cas de maladie », sans rappeler le détail de l’interprétation particulière jetant pourtant, selon Freud, « une vive lumière sur la genèse de son délire de jalousie », on le voit souligner qu’« […] en premier : l’idée délirante n’est plus rien d’insensé ou d’incompréhensible, elle est riche de sens, bien motivée, s’inscrit dans le contexte d’une expérience chargée d’affect vécue par la malade [16]. Deuxièmement : elle est nécessaire en tant que réaction à un processus animique inconscient que nous avons deviné à partir d’autres indices, et elle doit précisément à cette relation son caractère délirant, sa résistance à des attaques logiques et réelles. Elle est elle-même quelque chose de souhaité, une sorte de consolation. Troisièmement : l’expérience vécue qui est derrière l’entrée en maladie détermine sans équivoque le fait que cela soit devenu justement une idée délirante de jalousie et pas une autre. » [17]
28Que conclure de cette analyse, sinon que la réintroduction du cas dans l’ordre du sens rejoint, aux yeux de Freud, l’explication même du délire ? Dans cette dialectique de l’incompréhensible et de l’intelligible – où « l’incompréhensible » est rapporté à un sens latent qui le rend pour ainsi dire « lisible » [18] – le « sens retrouvé » ne désavoue pas le privilège d’être mis en rapport de cause à effet, s’agissant de la formation du délire. Ces considérations nous amènent à pointer cette articulation centrale, dans le champ freudien, qui noue la causalité des troubles psychiques aux rapports de signification. C’est que la réintroduction du délire dans l’espace du compréhensible, dès lors qu’on y révèle les effets de sens, réalise en même temps, dans cette perspective, l’ambition explicative. Car l’interprétation psychanalytique ne vise pas simplement à pointer l’effet de sens, pour restituer une signification cachée sur un plan herméneutique, mais aussi à reconstituer l’ensemble du processus formateur de symptôme pour défaire son travail de formation – sur le plan de la causalité.
29Cette démonstration heurte frontalement l’antinomie fondatrice de la Psychopathologie générale entre la compréhension et l’explication, qui ne permettait pas que le sens se mêle de causalité. Cette thèse de Jaspers, qui reproche à Freud d’avoir voulu « tout comprendre », rend manifeste la possible confusion entre registre du sens et celui des causes – sauf à saisir qu’une telle antinomie conduit précisément Jaspers à méconnaître le rôle de cause que joue le sens dans la formation du symptôme, le faisant passer à côté de l’originalité épistémologique de la psychanalyse. Tandis que Jaspers proposait d’expliquer là où on ne peut comprendre, Freud doit comprendre pour pouvoir expliquer : entendons que la pratique d’interprétation du sens est toujours à verser entièrement au compte, in fine, d’une contribution à une science des causes. C’est du reste ce qu’une enquête sur les fondements épistémologiques du freudisme se doit nécessairement de souligner : le fait qu’« à aucun moment l’interprétation, si grande que soit son importance clinique, n’implique, dans la conception que Freud forge de sa propre épistémè, une rectification en un sens herméneutiste » [19] qui ruinerait l’ambition explicative. Entendons qu’« à aucun moment l’herméneutique freudienne ne prend l’acception antagonique de l’explication, comme dans l’acception du courant qui, de Droysen à Dilthey en passant par Rickert [et l’on ajoutera Jaspers], intègre dans l’idée d’interprétation la connotation antonymique de l’explication » [20]. Façon de dire que jamais, chez Freud, la causalité n’est sacrifiée à la signification. Il faut donc s’aviser que ce couple notionnel antinomique — comprendre le sens versus expliquer la cause — n’a aucune inscription théorique dans l’œuvre freudienne : le geste freudien récuse même de fait la distinction, signalant que c’est rigoureusement la même chose dès lors que le sens est mis en fonction de cause du symptôme. La compréhension n’y désigne pas autre chose que l’explication, mais simplement sa réalisation concrète [21].
30La compréhension promue par Freud s’illustre certes dans cette série d’images qui l’assimile volontiers au déchiffrement d’un texte, à la (re)traduction d’un sens devenu illisible du fait d’un travail de censure, à une pratique de lecture du sens ayant subi une opération de déformation. Mais ce faisant, elle ne met pas de côté, comme l’exigeait Jaspers, l’objectivité du processus et son enchaînement causal : elle s’attache au contraire à en reconstituer la logique, à en démontrer les opérations de transformation – ce pourquoi elle exige un travail, d’ailleurs pensé comme homologue à celui que l’inconscient a lui-même accompli pour former le symptôme. On saisit alors l’écart entre la compréhension proprement freudienne et « l’évidence » d’une compréhension génétique qui aurait « quelque chose d’ultime » [22] et d’immédiat, s’apparentant au registre de l’identification affective. Du reste, cette sorte de compréhension, cette « saisie intuitive » des phénomènes et des motivations, on sait que Freud l’a toujours assimilée à un « numéro de virtuose, non scientifique et d’une valeur très douteuse » [23] – mettant ainsi directement en cause, par un curieux renversement, la scientificité de la voie « phénoménologique » qu’avait promue Jaspers. D’où ces positions si opposées devant la tâche de comprendre, Jaspers assignant « partout » [24] des limites à la compréhension, pour poser le problème de la causalité là où surgit l’obstacle du fait incompréhensible, quand Freud, lui, œuvre à le déchiffrer, s’employant à l’interpréter, voire même à le « surinterpréter » pour révéler les effets de surdétermination où se réalise toujours, selon lui, la causalité psychique [25].
L’abord des psychoses dans le Séminaire III de Lacan : critique des relations de compréhension et définition du phénomène élémentaire
31C’est précisément à ce niveau, où l’on rencontre la question de la « causalité psychique », qu’il convient d’introduire la relecture de Freud par Lacan, passant par Jaspers. C’est en effet en prononçant, au colloque de Bonneval de 1946, ses « Propos sur la causalité psychique » [25] – promouvant avec ce titre une locution nécessairement polémique pour la rationalité jaspersienne [26] – que Lacan commence à marquer ses distances avec les conceptions héritées de Jaspers, auxquelles il adhère entièrement durant ses années de formation : en sorte que le texte de 1946 marque un pivot entre le premier enthousiasme du jeune Lacan pour « la valeur objective certaine » [27] des « relations de compréhension » où s’exprime rien de moins que « la commune mesure des conduites humaines » [28], et les critiques décidées et franchement acerbes du Lacan de la maturité, contre « l’influence néfaste de l’antinomie de Jaspers » [29], contre « la catégorie nauséeuse » [30] de la compréhension — Lacan accusant finalement « la compréhension jaspersienne et le personnalisme à la manque » [31] du « naufrage » de la psychopathologie.
32Entre ces deux bornes extrêmes du trajet lacanien, l’acmé de cette critique, sa signification la plus explicite sinon la plus provocatrice, se trouve dans Le Séminaire, livre III [26], consacré à la question des psychoses. Il convient d’en rappeler les termes, qui laissent peu de place au doute quant à l’estime où Lacan tient dorénavant l’approche de Jaspers : « Vous pouvez d’ici la prochaine fois vous reporter au chapitre [de la Psychopathologie Générale de Jaspers] intitulé la Notion de relation de compréhension. Les incohérences apparaissent vite, et vous y verrez très rapidement à quel point la notion est insoutenable. » [32]
33Alors que dans sa thèse de médecine [24], Lacan défendait largement le recours aux relations de compréhension en psychopathologie, on le voit ainsi s’engager dans une critique systématique de Jaspers qui, loin de se réduire à une polémique de circonstance, adhère au contraire à des enjeux de fond inhérents à son « retour à Freud ». L’objectif théorique fixé pour l’année 1955-1956, croisant nécessairement la question de la compréhension des phénomènes psychotiques, agit en ce sens comme un révélateur : renouant avec une question déjà abordée, Lacan expose plusieurs lignes de tensions avec ses premières sources d’inspiration. Parmi ces tensions, la première est liée au caractère supposément abstrait d’une compréhension dont il souligne qu’elle se refuse à toute prise : « La compréhension n’est évoquée que comme une relation toujours à la limite. Dès qu’on s’en approche, elle est à proprement parler insaisissable. Les exemples que Jaspers tient pour les plus manifestes – ses points de repère, avec lesquels il confond très vite, et de manière obligée, la notion elle-même – sont des références idéales. » [33]
34Cette condamnation peut s’interpréter comme une fin de non-recevoir adressée par Lacan au supposé néo-kantisme jaspersien [34] : selon la critique lacanienne, la compréhension, chez Jaspers, s’avèrerait en effet occuper la place « insaisissable » et sans cesse reculée d’un « idéal » [35] irréalisable par principe, ce que Lacan refuse de reprendre à son compte, indiquant par là même que la compréhension ne saurait être une tâche infinie.
35Mais dans le même temps – introduisant un second élément de tension avec la théorie de Jaspers – il refusait également de souscrire à une définition de la compréhensibilité comme « ce qui va de soi » : « La notion de compréhension a une signification très nette. C’est un ressort dont Jaspers a fait, sous le nom de relation de compréhension, le pivot de toute sa psychopathologie dite générale. Cela consiste à penser qu’il y a des choses qui vont de soi, que, par exemple, quand quelqu’un est triste, c’est qu’il n’a pas ce que son cœur désire. Rien n’est plus faux. » [36]
36Pour Lacan, la notion jaspersienne de relation de compréhension était donc entachée de deux défauts d’apparences contradictoires : il accusait Jaspers à la fois de changer la compréhensibilité en un idéal infiniment éloigné, toujours fuyant, et de la prendre pour un phénomène qui n’aurait pas besoin de médiations – comme si le sens pouvait sans contradiction s’avérer simultanément infiniment différé quant à sa totalisation et immanent à l’expérience quant à sa donation.
37C’est devant cette contradiction que l’on touche du doigt l’opposition majeure entre Jaspers et Lacan – la démarche de Lacan, s’agissant de la compréhension, revenant précisément à refuser de s’engager dans cette aporie, en déplaçant les données du problème. C’est ce que Lacan accomplit en évoquant « le progrès majeur de la psychiatrie depuis qu’a été introduit ce mouvement d’investigation qui s’appelle l’analyse, [qui] consisterait en la restitution du sens à l’intérieur de la chaîne des phénomènes » [37] : « Ceci n’est pas faux en soi, mais ce qui est faux, c’est de s’imaginer que le sens dont il s’agit, c’est ce qui se comprend. Ce que nous aurions appris de nouveau […], c’est à comprendre les malades. C’est là un pur mirage. » [38]
38Entendons qu’il s’en faut de beaucoup que la compréhension permette la restitution du sens — le sens s’avérant au contraire être ce qui ne se comprend pas. Que « le sens dont il s’agit » ne soit pas « ce qui se comprend », nous pouvons le traduire en avançant que, pour le Lacan structuraliste des premiers séminaires, le sens n’est qu’un effet de l’incidence du signifiant. Autrement dit, la compréhension phénoménologique se situe au niveau de la psychologie des relations intersubjectives, tandis que le sens visé, selon Lacan, par la psychanalyse, s’adresse à la dimension symbolique qui détermine ces relations sans néanmoins y apparaître en tant que tel sous la forme d’un contenu de signification. Cette dimension symbolique, qui structure l’inconscient du sujet et son intégration dans le système ordonné des sociétés humaines, invite à appréhender les symptômes non pas sous l’angle de leur signification psychologique, mais comme des complexes de signifiants régis par une forme grammaticale spécifique. Toute tentative de compréhension se maintenant sur le plan des seuls signifiés manquerait cette dimension structurale, et se résumerait à une pure et simple rationalisation élaborée dans l’après-coup. D’où les mises en garde répétées, égrenées par Lacan à l’endroit de la compréhension : « Commencez par ne pas croire que vous comprenez ! Partez de l’idée du malentendu fondamental. C’est là une disposition première, faute de quoi il n’y a véritablement aucune raison pour que vous ne compreniez pas tout et n’importe quoi. » [39]
39Lacan se situe ainsi en rupture complète avec la démarche de saisie compréhensive décrite par Jaspers. Comment cette rupture s’articule-t-elle à son abord des psychoses, qui constituent précisément le phénomène clinique faisant échouer, pour Jaspers, la démarche de compréhension ? La réponse à cette question passe par l’étude de ce que Lacan doit aux théories de G. G. de Clérambault – particulièrement celles consacrées à l’automatisme mental [9]. C’est en effet comme avatars de l’automatisme mental que Lacan décrit ce qu’il nomme les phénomènes élémentaires du délire, c’est-à-dire « ce qui justement fait rupture et se présente comme incompréhensible » [40]. Au nombre des phénomènes relevant de cette catégorie, De Clérambault comptait lui-même « la pensée devancée, l’énonciation des actes, les impulsions verbales et les tendances aux phénomènes psychomoteurs » [41]. Le terme de « phénomène élémentaire » demeurant néanmoins parmi les plus opaques de l’histoire de la psychiatrie, il nous faut revenir, pour en expliciter la portée, aux analyses proposées par De Clérambault.
40Chez Clérambault, l’automatisme mental est défini comme « un processus autonome [42] : il se rencontre assez fréquemment isolé, il ne comporte par lui-même aucun délire, et un délire peut ne s’y adjoindre que des années après le début » [43]. Bien que l’automatisme ait souvent un « rôle initial dans le décours de la psychose », il n’en conserve pas moins une « teneur essentiellement neutre. » [44] Notons que, pour Clérambault, l’émergence de l’automatisme correspond très précisément à ce moment qui, selon Jaspers, échappe à toute relation de compréhension. Lacan, dans le passage qui suit, dit avoir toujours respecté l’opinion de celui qu’il nomme son « Maître Clérambault », voulant que ce phénomène ait un caractère fondamentalement anidéique, athématique et pour ainsi dire acéphale : « Si vous lisez par exemple le travail que j’ai fait sur la psychose paranoïaque [Lacan réfère ici à sa thèse de médecine, publiée en 1932], vous verrez que j’y mets l’accent sur ce que j’appelle, empruntant le terme à mon Maître Clérambault, les phénomènes élémentaires, et que j’essaie de démontrer le caractère radicalement différent de ces phénomènes par rapport à quoi que ce soit qui puisse être tiré de ce qu’il appelle déduction éidétique, c’est-à-dire ce qui est compréhensible pour tout le monde. » [45]
41Cela étant, on ne peut manquer de souligner la distance existant entre Clérambault et Lacan. Pour le premier, l’automatisme mental n’échappait à toute compréhension que dans la mesure où il constituait la manifestation a minima de supposés troubles neurologiques. Phénomène liminaire de l’entrée dans la psychose, il devait en toute logique être considéré comme incompréhensible en droit. Chez Lacan, au contraire, le phénomène élémentaire n’est qualifié d’irréductible que dans la mesure où il demeure « fermé à toute composition dialectique » [46] – le sujet délirant ne témoignant d’« aucune tentative de l’intégrer dans un dialogue ». Le phénomène élémentaire, pour Lacan, est incompréhensible en fait mais non en droit [47]. Il signe l’irruption du non-symbolisable dans la psychè d’un sujet : le psychosé en devenir, confronté à l’émergence d’un signifiant irréductible car non-sémantisable, s’efforcerait dans l’après-coup de donner sens à cette lacune de signifiance grâce à l’élaboration d’un délire. Les analyses du délire du Président Schreber proposées par Lacan accordent ainsi un rôle révélateur aux phénomènes irréductibles à une signification articulée, et qui semblent constituer le noyau de la formation du délire : notamment le miracle du hurlement, par lequel Schreber ressent l’obligation de pousser un cri prolongé, les appels au secours prononcés par les nerfs qui le relient à Dieu, ou les ritournelles – phrases incomplètes qu’il s’entend sans cesse répéter, telles que « tout non sens s’annule ».
42Tandis que Clérambault faisait fi du comprendre, Lacan, fidèle à Freud, redéfinissait de cette manière la notion de compréhension pour montrer qu’expliquer et comprendre ne sont que deux facettes d’une seule et même médaille. En dépit de cette opposition massive, Lacan et Clérambault, héritiers des observations cliniques de leurs prédécesseurs français, restèrent unis sur un point : tandis que Jaspers avait souligné l’émergence d’une rupture dans les relations de compréhension établies du point de vue de l’observateur, tous deux placèrent l’accent sur le fait que les phénomènes liminaires de la psychose s’avèrent incompréhensibles pour le sujet concerné au premier chef. De même que les énigmes des Égyptiens étaient, selon Hegel, d’abord des énigmes pour les Égyptiens, l’incompréhensibilité du délire psychotique était donc, selon Clérambault et Lacan, d’abord une énigme pour le psychosé.
Conclusion
43Au fil de ce parcours, nous avons cherché à faire apparaitre les divergences épistémologiques irréductibles liées aux conceptions de la compréhension proposées par Jaspers, Freud et Lacan. Un point de rapprochement non négligeable nous a pourtant semblé consister en ce que, en deçà des contextes respectifs dans lesquels s’ancre leurs conceptualisations, la question de la compréhension y est abordée comme un problème dont la solution ne va pas de soi, et qui forme un pivot majeur de leur abord des phénomènes psychopathologiques. S’il est courant de considérer que ces phénomènes, en particulier ceux des psychoses, mettent en échec la visée compréhensive, les raisons et la nature exacte de cet échec, qu’il soit supposé ou ressenti, demeurent souvent du registre de l’implicite. Une tension peut alors surgir entre l’horizon explicite d’une démarche compréhensive qui cherchait à se réaliser aussi complètement que possible, et les difficultés implicites rencontrées par cette démarche.
44Cette tension, qui sous-tend l’abord clinique de la psychopathologie, quelque soit son soubassement théorique, invitait à distinguer les différents sens que revêt la compréhension dans ce domaine, et à les resituer dans leurs ancrages et hypothèses épistémologiques. Si les définitions de la compréhension proposées par la perspective phénoménologique de Jaspers et par l’approche psychanalytique de Freud et de Lacan appartiennent à des champs radicalement distincts, les placer en regard peut néanmoins permettre d’éclairer certaines critiques aujourd’hui adressées à l’hypothèse d’un continuum psychotique, et à l’étude du délire sous l’angle des biais de raisonnement cognitifs. L’accent placé sur l’altérité radicale de la pathologie mentale, dans la psychiatrie phénoménologique, et les distinctions structurales proposées par la psychanalyse lacanienne se situent en effet dans une perspective opposée, sur de nombreux points, à une approche continuiste.
45Il s’agissait donc non pas de gommer les distinctions essentielles entre les perspectives phénoménologiques et psychanalytiques, mais plutôt de mettre en lumière deux modalités épistémologiques propres amenant chacune, par des voies différentes, à articuler une réflexion sur les différences qualitatives entre psychologie ordinaire et phénomènes psychotiques, au refus d’une compréhension empathique des phénomènes. Un tel refus débouche, pour Jaspers, sur un monopole du niveau de l’explication causale en ce qui concerne les phénomènes psychotiques, tandis qu’il invite, pour Freud et Lacan, à dissocier le sens de la compréhension d’une saisie empathique et du registre de la psychologie ordinaire. En soulignant la dimension toujours problématique de la question de la compréhension, ces deux perspectives peuvent contribuer à interroger la manière dont cette question peut être formulée dans les hypothèses continuistes contemporaines. Peuvent notamment être interrogés les rapports qu’entretient la compréhension avec la psychologie ordinaire dans l’épistémologie sous-tendant ces hypothèses, ainsi que les transformations que les notions de « psychose atténuée » ou encore d’« expériences quasi-psychotiques » impliquent quant à l’idée d’une bizarrerie ou d’une altérité radicale du délire psychotique. Nous nous proposons d’aborder ces questionnements dans une recherche ultérieure, amenée à constituer le second volet de ce travail sur la question de la compréhension en psychopathologie.
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- 35Schreber D. P. 1975. Mémoires d’un névropathe, trad. P. Duquenne et N. Sels. Paris : Éditions du Seuil.
- 36Strindberg A. 2001. Inferno. Paris : Gallimard.
- 37Tellenbach H. 1985. Goût et atmosphère, trad. Y. Pélicier. Paris : Puf.
- 38Varghese D., Scott J., McGrath J. 2008. Correlates of delusion-like experiences in a non-psychotic community sample. Australian and New Zealand Journal of Psychiatry 42, 6 : 505-508 http://anp.sagepub.com/content/42/6/505.abstract.
- 39Walker C. 1995. Karl Jaspers and Edmund Husserl – III : Jaspers as a Kantian phenomenologist. Philosophy, Psychiatry and Psychology 2, 1 : 65-82 http://muse.jhu.edu/journals/ppp/summary/v002/2.1.walker.html.
- 40Wiggins O. P., Schwartz M. A. 1995. Chris Walker’s interpretation of Karl Jaspers’phenomenology : a critique. Philosophy, Psychiatry and Psychology 2, 4 : 319-343 http://muse.jhu.edu/journals/ppp/summary/v002/2.4.wiggins.html.
Mots-clés éditeurs : compréhension, psychopathologie, délire, phénoménologie, psychanalyse
Date de mise en ligne : 07/11/2013.
https://doi.org/10.3917/psn.113.0007Notes
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[1]
Schreber [35], p.19. Les italiques sont ceux de l’auteur.
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[2]
La suppression du caractère suffisant de ce critère dans le DSM V [2] témoigne du reste de la difficulté à pouvoir définir de manière consensuelle ce qui relève de la bizarrerie et d’un échec de la saisie compréhensive.
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[3]
Concernant la critique de la notion de « syndrome de psychose atténuée » proposée dans cette hypothèse continuiste, on peut se reporter à Evrard, R., 2012 [11], ainsi qu’à Evrard, R., 2011 [10], pour un étayage de cette critique sur la perspective structurale proposée par Lacan.
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[4]
Jaspers [20], p. 92.
-
[5]
Strindberg [36], p.41.
-
[6]
Jaspers critique ainsi la perspective de Kretschmer, qui, en situant les symptômes dans la continuité de types de personnalité et de caractère, ou en les assimilant à des réactions psychiques, ne peut saisir l’écart entre les anomalies réactionnelles et les processus morbides altérant la personnalité.
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[7]
Jaspers [20], p. 462.
-
[8]
Jaspers [20], p.431-432.
-
[9]
On pourra se reporter sur ce point à l’ouvrage exhaustif de Bormuth [8].
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[10]
« L’anormal est donc surtout l’incompréhensible ». Jaspers [20], p. 259.
-
[11]
Freud [14], p. 239.
-
[12]
Pour situer précisément, dans la constellation théorique de la psychiatrie du début du XXe siècle, cette singularité épistémologique de la position freudienne, longuement commentée par Binswanger, on pourra se reporter au travail remarquable d’Elisabetta Basso, consacré au « Rêve comme argument » [4].
-
[13]
Freud [15], p. 258-259.
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[14]
Ibid., p. 259.
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[15]
Ibid.
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[16]
Cette « expérience chargée d’affect » correspond à la relation de compréhension que Jaspers limite aux délires secondaires, c’est-à-dire aux idées pseudo-délirantes surgissant hors de la psychose véritable.
-
[17]
Ibid., p. 261.
-
[18]
On sait en effet que c’est le rêve qui fournit à Freud, sur ce point, le modèle de l’acte interprétatif, invitant à le lire comme un texte à déchiffrer : « Comme une lettre en écriture chiffrée, l’inscription du rêve, quand on l’examine de près, perd son apparence première de gribouillis et prend l’aspect d’un message intelligible sérieux. Ou, pour changer légèrement d’image, nous pouvons dire que, comme un palimpseste, le rêve révèle, en dessous de ses caractères superficiels sans valeur, les traces d’une ancienne et précieuse communication. » Freud [12], p. 171.
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[19]
Assoun [3], p. 42.
-
[20]
Ibid., p. 43.
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[21]
On sait que la lecture de la psychanalyse freudienne proposée par Ricœur reprendra précisément ces questions, en soulignant, quant à elle, une tension irréductible entre les concepts renvoyant au registre d’une efficacité causale des contenus psychiques, à la base notamment de la visée thérapeutique, et les concepts renvoyant au registre de l’herméneutique et du déchiffrement du sens symbolique. Cette tension se situerait notamment, selon Ricœur, entre les notions relevant de la dimension énergétique, telles que la résistance ou la force des investissements psychiques, et les notions relevant des constructions intersubjectives élaborées au sein de la rencontre avec l’analyste, et de la narrativité élaborée au sein de la cure. Voir Ricœur [32].
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[22]
Jaspers [20], p. 249.
-
[23]
Freud [16], p. 178.
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[24]
« Partout […] nous pouvons rechercher des causes et des effets, au contraire la compréhension rencontre partout des limites. » Jaspers [20], p. 253, les italiques sont de l’auteur.
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[25]
« Tout symptôme névrotique — et le rêve lui-même — est susceptible de surinterprétation, voire en exige une pour être pleinement compris ». Il n’est bien entendu pas anodin que cette caractéristique des formations inconscientes trouve son meilleur point de comparaison dans la surdétermination du texte littéraire — façon de signifier les difficultés inhérentes à la lecture du texte du symptôme : « de même toute création poétique authentique procédera de plus d’un motif et de plus d’une incitation dans l’âme du poète et autorisera plus d’une interprétation. » Freud [12], p. 307.
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[26]
« On a aussi nommé les rapports compréhensibles de la vie psychique “causalité intérieure” et on a marqué ainsi l’abîme infranchissable existant entre ces relations, qui ne peuvent être appelées causales que par analogie, et les véritables rapports de causalité, ou causalité externe. ». Jaspers [20], p. 248. On pourra également se reporter au chapitre consacré à la critique frontale de la théorie freudienne pour s’avertir des difficultés que Jaspers soulève au sujet de cette « causalité psychique ».
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[27]
Lacan [24], p. 39.
-
[28]
Ibid., p. 14.
-
[29]
Lacan [28], p. 651.
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[30]
Lacan [27], p. 471.
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[31]
Lacan [29], p. 867.
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[32]
Lacan [26], p. 15.
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[33]
Ibid., p. 15.
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[34]
Néo-kantisme toujours discuté, selon les éléments dont on dispose actuellement : sur ce point, on pourra se reporter aux nombreux débats d’érudition ayant cherché à situer précisément Jaspers dans le paysage philosophique de l’Allemagne du début du XXe siècle. Voir en particulier Walker, C. [39] ; Wiggins, O. P. et Schwartz, M. A. [40] ; Kumazaki, T. [23].
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[35]
On sait la fonction que Kant, dans sa Critique de la raison pure [22], donnait à la notion d’« idéal régulateur » — un idéal chargé de la seule fonction de diriger les investigations des chercheurs expérimentaux.
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[36]
Ibid., p. 14.
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[37]
Ibid.
-
[38]
Ibid.
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[39]
Ibid., p. 29.
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[40]
Ibid., p. 14.
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[41]
De Clérambault [9], p. 493.
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[42]
Ibid. Les italiques sont de Clérambault.
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[43]
Ibid.
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[44]
Ibid.
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[45]
Lacan [26], p. 28.
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[46]
Ibid., p. 31.
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[47]
Nous référons ici à l’usage lacanien du terme de « compréhension » (explicité plus haut) – et non à l’usage qu’en fait Jaspers.