1Chercheuse en neurosciences aux États-Unis, Maryanne Wolf nous offre ici une brillante synthèse sur le « cerveau lecteur » et son histoire : l’histoire collective de l’invention de la lecture – ou comment l’homme a su « recycler » ses capacités cognitives pour les orienter en ce sens ; l’histoire individuelle de l’apprentissage de la lecture par l’enfant ; une enquête approfondie sur la dyslexie, ses causes et l’éclairage qu’elle porte sur les fondements neuronaux de la lecture. L’ouvrage est une mine de renseignements sur la complexité des mécanismes qui sous-tendent la lecture : une capacité qui constitue un tour de force pour un organe, le cerveau, qui n’y était pas « destiné ». Mais l’intérêt de l’approche de M. Wolf est bien plus large montrant l’importance de la dimension affective de ces apprentissages, de leur étayage au sein d’une culture du récit et de l’imagination et, au-delà, comment l’apprentissage de l’écrit ne s’achève pas avec la détention d’une information, mais dans la « lecture profonde », celle qui suscite nos souvenirs, nos réflexions critiques, nos rêveries, notre désir. On est ici au plus loin de l’hypervigilance que développe la culture numérique actuelle, opérant par mots-clés et traitement rapide d’informations nombreuses. M. Wolf reprend les questions posées par Socrate dans Phèdre à propos de l’ambivalence de l’écrit : ne risque-t-il pas d’emprisonner la parole dans un codage sans vie ? De rendre inutile la mémorisation du savoir et son intériorisation ? De dissocier la production du discours des conditions de sa réception ? En refusant tout catastrophisme cognitif, mais aussi toute naïveté, il nous faut penser à quelles conditions le « digital brain » pourra encore être un cerveau capable d’une vraie réflexion critique. Le dialogue final entre l’auteur et Bernard Stiegler offre déjà quelques pistes fécondes. Enfin traduit en français, cet ouvrage est précieux pour tous ceux qui cherchent à penser l’éducation à l’heure du numérique.