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Article de revue

La transformation de l’offre médico-sociale : effets et impacts sur les managers et équipes professionnelles du secteur de l’hébergement pour personnes adultes en situation de handicap

Pages 175 à 200

Introduction

1 Les enjeux liés à l’évolution de l’offre médico-sociale en France ont connu un écho international après la parution en 2021 du rapport de l’ONU sur la politique menée en faveur des personnes handicapées, pointant notamment le retard pris par le pays dans ce domaine, et ce, malgré l’importance des moyens alloués. L’instance rappelle ainsi que « chaque personne en situation de handicap est une citoyenne à part entière et personne à part elle-même ne doit préjuger de ses choix. Il revient donc aux politiques publiques de rendre ce choix effectif. Il faut un changement de paradigme dans la manière de penser le handicap. »

2 Aujourd’hui, ce changement désigné par le vocable transformation de l’offre médico-sociale et impulsé par les décisions règlementaires, concerne l’ensemble du secteur médico-social. Dès à présent, cette évolution détermine les orientations prises par tous les opérateurs de terrain, établissements et associations, publics ou privés, même si dans cette logique, les établissements ne peuvent se transformer seuls, en raison de nombreux freins administratifs, financiers, et sociétaux qui restent à lever. A l’heure actuelle, peu d’études approfondies portant sur cette mutation en cours du champ médico-social ont été menées en raison de sa nouveauté d’une part, et du recul insuffisant pour envisager une mesure des effets d’autre part. Néanmoins, il apparait pertinent de se saisir de ce contexte de changement global pour en mesurer les impacts concomitants sur les pratiques managériales et d’accompagnement des équipes professionnelles, en s’appuyant sur le double regard des intervenants de terrain et des managers chargés de la mise en œuvre, du suivi et de l’évaluation des projets institutionnels de structure.

3 Aussi, cette recherche s’inscrit pleinement dans notre contexte professionnel, le secteur de l’hébergement et des services d’accompagnement à domicile pour personnes adultes en situation de handicap, où la transformation de l’offre devient cruciale pour l’évolution des établissements et services. Afin de guider notre recherche, nous contextualiserons notre étude dans les structures d’hébergement pour travailleurs d’ESAT (Etablissements et Services d’Aide par le Travail), engagés dans une indispensable démarche de refonte de leur fonctionnement et de leur organisation. Ces foyers représentent le sas d’entrée des personnes handicapés disposant d’une certaine d’autonomie vers la potentielle mise en œuvre d’un projet d’inclusion dans le milieu ordinaire.

4 Du point de vue managérial, les enjeux sont déterminants en termes de conduite du changement et d’adaptation des modalités d’accompagnement à un environnement sociétal et institutionnel en plein bouleversement, les nouvelles logiques d’inclusion ayant déjà atteint les structures. Ainsi, au-delà des réorganisations de service et de redéploiement des moyens, se dessine une profonde refonte de l’accompagnement des personnes aspirant désormais à vivre et évoluer comme tout un chacun, en même temps qu’une redéfinition de la mission du cadre de proximité, « cheville ouvrière » de la conduite du changement et de la mise en œuvre de ces nouvelles orientations.

5 En prenant appui sur une revue de littérature centrée sur les concepts de changement organisationnel, induit par cette évolution, et d’accompagnement, requestionné dans ses fondements classiques, nous tenterons de mesurer les effets et impacts de la transformation de l’offre médico-sociale sur les pratiques des managers et intervenants médico-sociaux, et de déterminer comment chaque acteur s’approprie cette évolution en cours. A partir du cadre théorique, nous explorerons ces concepts par le biais d’entretiens semi-directifs. Ces éléments de terrain recueillis auprès de cadres hiérarchiques et professionnels de l’accompagnement seront confrontés à la littérature retenue pour répondre à la question suivante :

6 Comment l’évolution de l’offre de services dans le champ du médico-social transforme-t-elle les pratiques managériales et les modalités d’accompagnement dans les établissements d’hébergement pour personnes adultes en situation de handicap ?

7 Dans l’objectif de baliser notre démarche, nous poserons deux hypothèses de recherche :

  • Le mouvement de transformation de l’offre médico-sociale amène une profonde modification de l’organisation et du fonctionnement des différents acteurs de l’établissement (institution, cadres-managers, équipes éducatives).
  • L’évolution de l’offre accélère les processus d’inclusion et d’autodétermination des usagers, le passage d’une logique de places à une logique de parcours, requestionnant de fait les modes d’accompagnement classiques des publics en situation de handicap.

9 Notre article s’organisera en trois parties. Nous présenterons, dans un premier temps, le cadre théorique et conceptuel sur le changement organisationnel et l’accompagnement, tout en définissant le contexte. Nous préciserons ensuite notre démarche méthodologique, notre objet et périmètre de recherche. Enfin, à la suite de notre analyse et de nos résultats, nous proposerons notre discussion et nos préconisations, avant de conclure notre analyse.

Cadre théorique et contextuel

10 Afin d’initier notre travail de recherche, nous structurerons le cadre théorique en deux parties, en prenant soin d’en poser au préalable les jalons et limites. Dans un premier temps, il nous paraît important de délivrer certains éléments du contexte règlementaire et législatif dans lequel s’inscrit notre recherche. Dans un second temps nous mettrons en évidence les concepts théoriques mobilisés.

Délimitation du champ théorique de la recherche

11 Penser la transformation de l’offre et interroger ses impacts sur les organisations médico-sociales dédiées aux personnes en situation de handicap nous a conduit à définir au préalable le cadre conceptuel mobilisable, dans le but d’apporter des clés de lecture à notre questionnement mais également de délimiter le champ de notre recherche. Nous avons ainsi identifié deux concepts-clés qui émergent logiquement de notre problématique et permettront, par une revue de littérature ciblée, d’apporter l’éclairage théorique indispensable à l’avancée de nos travaux :

  • Le changement organisationnel : induit par ces évolutions en cours dans les institutions médico-sociales du champ du handicap, en prenant le parti d’y adjoindre de manière étroite la notion clé de transformation. Il renvoie notamment au(x) rôle(s) spécifiques des cadres hiérarchiques (directeurs, directeurs-adjoints, chefs de service), en tant qu’initiateurs, acteurs, et porteurs du changement.
  • L’accompagnement : il est indissociable de l’intervention des équipes d’encadrement engagées dans le mouvement global d’évolution de l’offre, désormais amenées à revoir les schémas habituels d’intervention et à les requestionner. De plus, il apparait que ce concept « multi-facettes » nécessite une relecture et un éclairage au regard des effets de la transformation de l’offre sur les pratiques d’accompagnement classiques des Etablissement Sociaux et Médico-Sociaux (ESMS).

La transformation de l’offre médico-sociale : genèse et contexte

13 Le processus de transformation de l’offre médico-sociale est jalonné de plusieurs étapes clés, qui permettent de visualiser son évolution dans le contexte règlementaire et législatif et de comprendre comment le législateur s’est progressivement saisi des questions d’inclusion des personnes en situation de handicap dans le milieu ordinaire. Plusieurs textes et documents essentiels (Annexe I) représentent des points de repères dans cette évolution de l’offre :

  • Les lois de 2002-2 du 2 janvier 2002 et 2005-102 du 11 février 2005
  • Le Rapport Vachet-Jeannet - Octobre 2012
  • Le Rapport « Zéro sans solutions » de Denis Piveteau - Juin 2014
  • La circulaire du 2 mai 2017 relative à la transformation de l’offre
  • La stratégie quinquennale d’évolution de l’offre médico-sociale (2017-2021)
  • Le rapport « Experts, acteurs, ensemble… pour une société qui change » de Denis Piveteau - 15 février 2022

Enjeux principaux de l’évolution/transformation de l’offre

15 Les repères chronologiques précédents précisent les grandes étapes du processus d’évolution de l’offre aujourd’hui engagé dans le secteur médico-social. L’adaptation des établissements et services au contexte présent et à venir ne peut se réfléchir sans prise en compte des enjeux actuels, à la fois multiples et déterminants pour le secteur.

16 Le premier enjeu majeur lié à l’évolution-transformation de l’offre est celui du virage inclusif désignant à la fois la période actuelle vécue par les établissements et l’objectif à atteindre pour les établissements et services appelés à faciliter l’inclusion des personnes handicapées dans la vie sociale ordinaire. Dans ce changement globalisé, l’accompagnement dans les murs, classiquement séparé entre le domicile et l’institution, se complète progressivement de projets hors les murs où l’innovation est mise en avant (externalisation des prestations, habitats inclusifs ou partagés, appartements relais…).

17 En lien avec ces nouvelles modalités, la mobilisation active du partenariat institutionnel représente un objectif opérationnel d’importance pour le secteur et son évolution. Il s’inscrit davantage dans une logique de territoire et une coopération accrue entre tous les acteurs du champ médico-social afin d’offrir une palette de prestations internes et externes, diversifiées et adaptables à toutes les personnes. Le recours au réseau partenarial détermine directement tout un pan de la transformation en cours ou à venir des ESMS en dispositifs et plateformes recourant au droit commun plus systématique et s’engageant par ce biais dans une démarche de désinstitutionnalisation, qu’il faut appréhender comme la « fin des établissements traditionnels et non pas comme la fin des institutions » (Loubat, 2019). À ce stade, nous mesurons davantage la portée de la transformation de l’offre médico-sociale, qui implique de repenser les organisations et de réfléchir à la mise en place de nouveaux fonctionnements. Dans ce changement de paradigme où s’entremêlent notamment le passage d’une logique de place vers celle de parcours, le développement de nouvelles compétences et emplois ou la mise en place d’accompagnement plus personnalisés, s’inscrit la notion d’autodétermination, autre enjeu majeur lié aux logiques d’inclusion du handicap. Elle est définie comme « la capacité à agir et à gouverner sa vie, à choisir et à prendre des décisions libres d’influences et d’interférences externes exagérées » par Wehmeyer et Sands (1996).

18 Enfin, dans ce contexte en mouvement, les Contrat Pluriannuel d’Objectifs et de Moyens (CPOM) qui se généralisent aujourd’hui dans les ESMS, obligent les établissements à élaborer une gestion prévisionnelle des moyens sur cinq ans, participant ainsi à un changement de culture pour le secteur. À notre niveau, la redéfinition des objectifs du prochain CPOM de notre établissement est d’ores et déjà engagée dans la transformation de l’offre médico-sociale d’hébergement et d’accompagnement des personnes en situation de handicap.

Transformer l’offre et changer les organisations

19 Nous partons de l’hypothèse que l’évolution de l’offre médico-sociale impacte à différents niveaux le fonctionnement et l’organisation des établissements et services médico-sociaux, et engage ces structures dans un changement organisationnel dont il s’agit de dresser les principales caractéristiques.

20 Dans notre recherche, nous retiendrons que les changements-transformations du secteur médico-social amènent un passage d’un état à un autre, d’une forme à une autre. Dans le secteur médico-social, cette première approche renvoie au passage d’organisations, fonctionnements, et pratiques classiques vers de nouveaux modèles organisationnels, managériaux et d’accompagnement. De manière pragmatique, la transformation se déclinera comme un ensemble de démarches, procédures et outils visant à changer les postures professionnelles, métiers, organisations et stratégie d’un opérateur. Pour March (1981) cité par M. Soparnot (2013), « ce que nous appelons changements organisationnels est un ensemble de réponses concordantes, par diverses parties de l’organisation, à diverses parties interconnectées de l’environnement »

21 La difficulté de délivrer une définition précise du changement est soulevée par Michel Foudriat qui souligne le caractère équivoque d’un concept qui « désigne à la fois un projet, un résultat et un processus ». Selon lui, dans la première acception, relative au projet, « le changement peut être référé à un contenu précis et, dans ce cas, il renvoie à une attente explicite, voire à un objectif (par exemple, un changement de pratiques d’accompagnent éducatif d’usagers, un changement d’organisation de réunions institutionnelles » (Foudriat, 2013).

22 Dans la deuxième acception, relative au résultat, le changement « désigne le résultat concret et observable d’une démarche volontaire ou d’un processus spontané ; il est alors synonyme du constat de la transformation de pratiques professionnelles, de modes d’organisation ou de régulations. Dans ce cas, le changement désigne les nouvelles règles de travail, les nouveaux comportements, les nouvelles communications et régulations, etc. ». (Foudriat, 2013)

23 Enfin, dans sa troisième acception, relative au processus, le concept de changement « renvoie à la démarche qui génère une transformation ». Nous retiendrons donc cette définition tridimensionnelle projet-résultat-processus comme base théorique du concept de changement, car, dans notre champ d’études, elle permet d’englober et de circonscrire les questions liées à notre problématique de départ.

24 Pour compléter notre approche conceptuelle, nous proposons d’approfondir les éléments théoriques sous l’angle des attitudes et postures générées par le changement par les biais d’approches des principaux auteurs ayant étudié le concept de changement. Au-delà d’une chronologie, des pratiques ou modèles théoriques successifs en termes de gestion du changement, ces différentes approches au demeurant complémentaires, montrent une évolution de la notion de changement vers celle de transformation. Nous retenons l’analyse stratégique et systémique qui permet de dessiner les enjeux majeurs du contexte de changement global initié par la volonté politique de transformer l’offre médico-sociale. En ce sens, les acteurs des établissements médico-sociaux, qu’ils soient en situation d’encadrement du public concerné ou de management d’équipes professionnelles, évoluent et adaptent leur comportement et leur stratégie propre aux évolutions et changements de l’organisation dans laquelle ils travaillent (Foudriat & Herreros, 2013).

25 Dans une littérature très abondante lorsqu’on aborde la notion de changement organisationnel, Kurt Lewin demeure l’auteur de référence qui a défini théoriquement trois étapes ou niveaux de résistance au changement (Lewin, 1947). Ces bases permettent d’envisager d’emblée les stratégies potentiellement applicables pour un manager de proximité impulsant un changement.

  1. Le niveau du dégel (Unfreezing : initiation, décristallisation) : l’individu ou le groupe est amené à délaisser progressivement ses comportements établis et habitudes. Les résistances demeurent présentes, mais les certitudes sont bousculées.
  2. Le mouvement (Moving : adoption, adaptation) : on observe un changement de point de vue de la part de l’individu ou du groupe. D’autres aspects apparaissent : modification de la réalité, évolution des comportements et accommodements avec la situation de changement.
  3. Le niveau du regel (Freezing : consolidation, stabilisation, recristallisation) : Un triple mouvement s’opère : installation d’une nouvelle organisation, réduction des tensions, et nécessité d’accompagner les attitudes d’inexpérience, voire d’incompétence issue de la nouvelle situation.

27 De plus, pour K. Lewin, le raisonnement sur le changement s’appuie principalement sur la notion de « force » et sa théorie des champs de force, selon laquelle « face au changement, le statu quo sera maintenu par des forces antagonistes alors que le mouvement de transformation bénéficiera de forces motrices favorables » (Lewin, 1951). Dans les dynamiques de changement et contrairement à une idée préconçue laissant penser que l’individu serait plus « malléable » qu’un groupe, les travaux de Lewin tendent à démontrer qu’il est plus simple de conduire le changement auprès de groupes constitués et bien définis qu’envers des personnes ou individus pris séparément. Dans cette approche, « le groupe limitera l’incertitude pesant sur chaque individu » (Lewin, 1951).

28 D’autres chercheurs vont compléter ses apports et développer la théorie énoncée initialement. Dans ses travaux centrés sur les comportements face au changement, G-D Carton propose une typologie des formes de résistance au changement à partir de quatre catégories : l’inertie, l’argumentation, la révolte, le sabotage (Carton, 1997). D’autres comportements sont décrits par Autissier et Moutot qui proposent également une typologie du même type. Selon eux, les lieux de résistance ne se trouvent ni chez les cadres hiérarchiques ni au sein des équipes projets, car ces acteurs sont favorables au changement. Trois types de comportements sont ainsi distingués chez les destinataires du changement et se répartissent de la manière suivante : les proactifs (10 % de l’ensemble, favorable au changement), les passifs (80 % de l’ensemble, restent en position d’attente de résultat concrets et aspirent à être rassurés des conséquences du changement), les opposants (10 % de l’ensemble resteront fermement opposés aux changements et innovations, en présentant systématiquement des contre-arguments.

29 De manière synthétique, la règle dite des 10/80/10 reste applicable dans beaucoup de contextes, mais « nécessite une observation de la résistance à partir des discours, routines, des actions et des symboles. » (Autissier et Moutot, 2003). Dans les dynamiques de changement selon son approche systémique, D. Bériot distingue sept types d’acteurs : « les porteurs de changement, les transmetteurs d’ordres, les décideurs de moyens, les cibles du changement, les supporters, les opposants, les parasites permanents ». (Bériot, 2006). Concernant cette thématique du changement et des résistances qu’il génère, d’autres auteurs mentionnent également la distinction entre résistance spontanée et résistance organisée : « la première caractérise des comportements d’opposition, actifs ou passifs, volontaires ou involontaires. La seconde se traduit par des stratégies collectives d’opposition se structurant dans les temps. » (Foudriat, 2013)

Les stratégies face à la résistance au changement

30 Dans ses travaux, R. Soparnot décrit l’enjeu déterminant que revêt le changement pour les managers dans les organisations : « Le changement est un domaine d’action crucial et un véritable défi managérial pour les dirigeants et les managers intermédiaires en charge de maintenir la vitalité compétitive de leur organisation ». (Soparnot, 2013). Partant du principe que la résistance au changement traduit « la capacité des individus d’entraver les projets de réforme dans lesquels s’engage l’entreprise », il élabore une typologie des principales stratégies mobilisables dans la conduite du changement organisationnel : hiérarchique, de développement organisationnel, politique, historique, symbolique. En les appliquant selon les contextes et les choix opérés par les décideurs, ces stratégies visent à atténuer, voire à éliminer les sources de résistance des individus au changement.

La démarche l’accompagnement

31 Pour saisir les enjeux liés aux mutations des démarches d’accompagnement dans les ESMS, il faut préciser au préalable que « Le destin de la notion d’accompagnement est peut-être ce qui va nous permettre d’interpréter les transformations actuelles du travail social plutôt comme une stimulation à trouver de nouveaux positionnements dynamiques que comme une perte sèche. » (Grimaud, 2009).

32 « Démarrer un accompagnement », « l’accompagnement d’untel se terminera bientôt » : ce vocable est utilisé quotidiennement par les équipes d’encadrement pour désigner la modalité essentielle de leur travail mené au quotidien. Toutefois, l’interrogation quant au sens donné à l’action d’accompagner se révèle rare, tant il semble exister un consensus, un accord tacite qui dicte les grands principes à mettre en œuvre lorsque les professionnels mènent un accompagnement. Dès lors que l’on souhaite partir d’une définition qui poserait d’emblée les termes minimaux auxquels chacun devrait s’accorder, on se heurte à une première difficulté, celle de circonscrire une notion utilisée dans des domaines aussi divers que le sport, la musique, la cuisine, le domaine militaire, ou encore la médecine, mais également et pour ce qui nous questionne dans cette recherche, le travail social, la pédagogie, ainsi que la formation professionnelle.

33 Pour ce concept, les travaux de Maëla, PAUL docteur en sciences de l’éducation et spécialiste de cette question, ont servi de source principale pour clarifier les différentes dimensions théoriques liées à l’accompagnement et envisager de quelle manière l’évolution de l’offre médico-sociale viendrait en modifier les principes et bases.

34 Une première difficulté apparait d’emblée lorsqu’on cherche à définir simplement et de manière non équivoque la notion d’accompagnement dans le champ social et médico-social. En effet, comme l’indique Maëla PAUL :

35

« Aborder le concept d’accompagnement n’est pas chose facile pour plusieurs raisons. Tout d’abord, parce que la thématique de l’accompagnement renvoie à d’autres thèmes eux aussi mobilisés dans le cadre de l’accompagnement. Ensuite, parce que l’accompagnement est un concept non stabilisé, dont les pratiques s’inventent avec chaque personne. Cependant, ce n’est pas pour cela que tout et n’importe quoi doit pouvoir se faire sous couvert du terme accompagnement. Même si l’accompagnement n’est pas normé, émerge un besoin de repères, de balises »
(Paul, 2004).

36 En effet, la notion d’accompagnement se rapproche d’autres concepts, qui eux-mêmes ne décrivent pas un ensemble de pratiques homogènes : counseling, parrainage, mentoring ou préceptorat, compagnonnage, sponsoring, tutorat ou monitorat, coaching.

37 Nous retiendrons donc cette approche de définition indiquant qu’accompagner signifie tout à la fois « guider (c’est-à-dire orienter, conseiller), escorter (c’est-à-dire aider, protéger, surveiller) et conduire (c’est-à-dire diriger, enseigner, instruire, éduquer, former, initier) ». Des points communs se retrouvent : entre guider et escorter (veiller sur), entre escorter et conduire (surveiller), entre guider et conduire (éveiller).

38 Trois modèles d’accompagnement sont à retenir dans le cadre de notre recherche :

  • Thérapeutique : mobilisation des ressources de la personne face à une difficulté ponctuelle, sans l’assister en lui fournissant le remède.
  • Maïeutique : mobilisation des ressources de la personne en la mettant en contact avec son intériorité. Rôle de facilitateur en s’appuyant sur sa propre expérience. Recherche commune de solutions au travers d’un dialogue
  • Initiatique : visée du changement de statut par le biais de rites de passage. Passage du statut de passif à celui d’actif (c’est-à-dire comme membre actif de sa communauté), pour la personne accompagnée.

40 Les concepts clés liés à ces trois formes d’accompagnement, l’individualisation l’autonomisation et la socialisation, se retrouvent également dans les différentes politiques mises en place au cours des dernières décennies

41 Pour saisir les enjeux de l’accompagnement dans le secteur médico-social, nous proposons ce questionnement énoncé par Maëla Paul :

42

« Bien des professionnels se posent la question de « ce qu’accompagner veut dire » au regard de leurs anciennes pratiques de prise en charge et ce que peut bien produire le fait de laisser « toute sa place » à la personne accompagnée. Ce brouillage entraîne avec lui l’inévitable question « jusqu’où ? » (…) Toutes ces questions tendent à constituer l’accompagnement en un espace d’oppositions et de contradictions, d’ambiguïtés et d’ambivalences qui placent les professionnels qui l’exercent « sous tension ».
(Paul, 2012)

43 L’accompagnement intègre ainsi une dimension réflexive et ne se limite plus seulement à la recherche de solutions. La personne accompagnée doit être prise en compte dans sa globalité, avec tous ses besoins, avec sa dynamique personnelle (ses attentes, ses refus, son histoire), et inscrite dans un réseau de relations diverses. L’accompagnement devient donc une intervention dans les phases de transition, l’objectif n’étant pas de faire acquérir de nouveaux comportements (intervention comportementale), mais de développer ce qu’est la personne (intervention développementale) tout en se demandant constamment où et à quelle étape ou but la personne accompagnée souhaite aboutir.

44 Les fonctions — guider, escorter, conduire — que doivent remplir les accompagnateurs sont plurielles et doivent être conjuguées en fonction de l’évolution d’une situation. Le point commun de ces fonctions se trouve dans la veille : être en posture d’accompagnement, signifie être en veille par rapport à une personne. Il faut donc sans cesse s’ajuster à la personne, à sa problématique, ses besoins et aspirations. De ce fait, la position de l’accompagnateur peut être identifiée au centre de ces trois exigences : répondre à une attente institutionnelle, entendre la personne accompagnée dans sa singularité, être efficace en tant que professionnel. Le professionnel encadrant devient donc une plaque tournante, l’interface entre la commande de l’institution et les attentes et demandes de la personne.

45 À ce stade de notre travail, l’approche conceptuelle en lien avec notre revue de la littérature doit se confronter aux hypothèses énoncées dans notre introduction, avant l’étude de terrain :

  • Le mouvement de transformation de l’offre médico-sociale amène une profonde modification de l’organisation et du fonctionnement des différents acteurs de l’établissement.
  • L’évolution de l’offre accélère les processus d’inclusion et d’autodétermination des usagers, le passage d’une logique de places à une logique de parcours, requestionnant de fait les modes d’accompagnement classiques des publics en situation de handicap.

Méthodologie de la recherche

47 Dans cette seconde partie, nous détaillerons la méthodologie mobilisée pour collecter les données qui serviront de matière active à notre analyse.

Présentation des terrains d’étude et objet de recherche

48 La question de la transformation de l’offre médico-sociale balaye l’ensemble du secteur du handicap, dans toutes ses complexités et particularités corrélées à la multiplicité des dispositifs et modalités de prise en charge. En lien avec notre terrain d’exercice professionnel (le secteur de l’hébergement pour les personnes adultes en situation de handicap) et les mutations actuelles qui nécessitent de repenser en profondeur les modalités d’organisation et de prise en charge du public, nous centrerons plus particulièrement notre recherche sur deux types d’établissement précis, le Foyer d’Hébergement pour travailleurs d’ESAT (FHESAT) et le Foyer d’Accueil Polyvalent (FAP). Ces structures rassemblent aujourd’hui tous les questionnements liés à notre problématique initiale : modification de la sociologie du public accueilli (arrivée de nouveaux profils « jeunes », vieillissement des anciens résidents), refondation des logiques d’accompagnement, réorganisation institutionnelle des services, adaptation au contexte législatif et éthique, virage de l’inclusion et de l’autodétermination à intégrer dans les projets d’établissement….Autant de points qui justifient d’étudier de manière plus approfondie ces établissements, véritables « laboratoires » de la transformation de l’offre médico-sociale.

49 Dans l’objectif de bien spécifier le sens de notre étude, nous prendrons appui sur cette citation du sociologue Pierre Bourdieu : « Construire un objet scientifique, c’est, d’abord et avant tout, rompre avec le sens commun, c’est-à-dire avec des représentations partagées par tous, qu’il s’agisse des simples lieux communs de l’existence ordinaire ou des représentations officielles, souvent inscrites dans des institutions, donc à la fois dans l’objectivité des représentations sociales et dans les cerveaux. Le préconstruit est partout. ». Le sociologue nous invite ainsi à rompre avec nos représentations, nos préjugés et idées préconçues, émanant d’une réalité quotidienne qu’il s’agit d’objectiver et dont il est impératif de s’extraire pour aboutir à des résultats probants, transposables à d’autres contextes similaires. En ce sens, cette nécessaire déconstruction des prénotions représente une étape indispensable et fondamentale pour débuter la démarche d’enquête.

50 En outre, la construction de notre objet de recherche, centré sur les effets et impacts de la transformation de l’offre médico-sociale d’hébergement, a nécessité l’élaboration du cadre théorique présenté dans notre première partie. Nous avons mobilisé les concepts de changement organisationnel dans ses phases, étapes, et jeux d’acteurs face aux évolutions et celui d’accompagnement dont la complexité « polymorphe et réflexive » ne se limite plus seulement à la recherche de solutions pour un individu. Cet objet de recherche, ainsi délimité théoriquement, est à relier à un questionnement empirique afin de mener une analyse et proposer des moyens d’action potentiels sur le phénomène étudié.

51 Dans cette étude des effets de l’évolution du secteur médico-social sur les pratiques des professionnels, la confrontation de notre cadre théorique avec notre terrain d’étude constituera notre objet de recherche, afin de répondre à la question initiale : comment l’évolution de l’offre de services dans le champ du médico-social transforme-t-elle les pratiques managériales et les modalités d’accompagnement dans les établissements d’hébergement pour personnes adultes en situation de handicap ?

Méthode mobilisée

52 Pour mener ce travail de recherche, nous avons opté pour une démarche qualitative basée sur des entretiens semi-directifs. Ce choix nous est apparu évident en raison de l’objet de recherche et de la pertinence de recueillir les informations émanant des deux catégories de professionnels choisis (cadres hiérarchiques et encadrants ou accompagnants), l’objectif premier étant de « saisir le sens d’un phénomène complexe tel qu’il est perçu par les participants et le chercheur dans une dynamique de co-construction du sens ». (Imbert, G. 2010).

53 Notre démarche d’entretien respecte les étapes successives (partie préalable au terrain, prétest et validation du guide d’entretien, contexte de réalisation des entretiens, déroulement des entretiens, traitement et l’analyse des données) et prérequis pour la mener de manière efficiente, en incluant « la prise en compte d’un certain nombre d’éléments parmi lesquels figurent les buts de l’étude, le cadre conceptuel, la question de recherche, la sélection du matériel « empirique, les procédures méthodologiques, les ressources temporelles personnelles et matérielles disponibles » (Flick, 2007 cité par Imbert, 2006).

54 La grille d’entretien a été établie pour apporter la matière empirique nécessaire à notre analyse. Notre questionnement de départ en représente la ligne directrice, suivant une progression thématique délimitée par notre cadre théorique. Cette grille a été construite pour répondre à plusieurs objectifs : intégrer les perceptions des interviewés sur la transformation de leur environnement institutionnel et professionnel, identifier les évolutions en cours au niveau des organisations, des pratiques managériales et d’accompagnement des usagers, et enfin, appréhender les points de satisfaction et zones de risques inhérents à tout changement d’importance. Ces objectifs nous ont permis d’établir le guide d’entretien, support pour les interviews menées.

55 Avant de débuter nos entretiens, une phase préalable de mise en confiance des professionnels nous a semblé nécessaire dans le but prioritaire de « libérer » la parole, en particulier pour les situations où existait un lien hiérarchique questionnant/répondant. Dans cette même configuration, nous avons été vigilant à maintenir une juste distance avec des salariés « managés » au quotidien, afin d’éviter l’écueil de réponses contrôlées ou de demandes hors contexte. Il s’agit ainsi d’adopter la juste posture en évitant certains écueils dans la conduite d’entretiens : « L’empathie dans l’entretien représente un vrai dilemme dans lequel la combinaison de l’empathie et de la «juste distance» et celle du respect et du sens critique sont particulièrement difficiles à obtenir » (De Sardan, 2008, cité par Imbert G., 2010). Cette relation de confiance s’est établie grâce à la mise en place d’un temps préalable à l’entretien durant lequel nous avons précisé l’objectif du travail de recherche et demandé si l’entretien pouvait être enregistré en garantissant clairement l’anonymat dans le traitement et la conservation des données. Toutes les personnes ont validé ces règles et les entretiens ont pu être menés, d’une durée variable de 40 min à 1 h 20.

56 Les impacts de la transformation de l’offre médico-sociale et les changements induits sur les pratiques managériales et d’accompagnement étant au centre de notre recherche, nous avons constitué un échantillon représentatif de la diversité des profils d’intervenants concernés par ces évolutions. Nous avons ainsi interrogé deux groupes de professionnels : 4 cadres hiérarchiques et 5 encadrants/accompagnants de terrain. Concernant les cadres appartenant au même Groupement Médico-Social, la directrice de Pôle et la directrice adjointe chargée de l’hébergement sur un autre territoire ont été interviewées. Nous avons complété ce regard interne par les apports de deux autres cadres intermédiaires externes (cadre socio-éducatif et chef de service éducatif) opérant dans un foyer d’hébergement rattaché au secteur public pour l’un, au secteur associatif privé pour l’autre.

57 Pour les professionnels de terrain, nous avons pris l’option de constituer un groupe de 5 personnes, appartenant au même Groupement médico-social, mais aux caractéristiques distinctes. Cet échantillon, que nous avons voulu représentatif des réalités de notre contexte, présente des limites évidentes liées avant tout au nombre réduit de personnes interrogées. Le rapport hiérarchique direct avec plusieurs personnes du sous-groupe encadrants/accompagnants pouvait également amener des réponses orientées ou « toutes faites », obstacle que nous avons essayé de contourner notamment en garantissant la confidentialité des propos lors de la phase de mise en confiance.

Collecte des données

58 Dans un premier temps, nous avons enregistré les 9 entretiens et utilisé simultanément la fonction « dicter » de notre logiciel de traitement de texte. Néanmoins, cette retranscription n’étant pas optimale, nous avons repris l’intégralité des enregistrements pour transcrire fidèlement les propos de chaque personne. Pour faciliter le repérage et le codage, les professionnels sont identifiés par la lettre « M » pour « Managers » et « A » pour les « Accompagnants/Accompagnateurs ». Le chiffre accolé aux lettres M et A correspond à l’ordre déterminé dans l’archivage des retranscriptions écrites sur notre ordinateur, afin de faciliter la reconnaissance des professionnels lors de la phase de traitement des données préalable à l’analyse.

59 L’importante collecte de données réalisée à l’issue des entretiens a nécessité un codage, dans le but premier d’opérer une sélection ciblée des informations recueillies. Pour poursuivre notre travail de recherche, nous avons opté pour une analyse thématique, en relevant dans les propos recueillis auprès des interviewés, des mots, phrases ou paragraphes, codés par une couleur spécifique se rapportant aux thèmes, sous-thèmes, reliés directement à notre cadre théorique. Les verbatims en lien avec notre sujet et nos thématiques ont été classés par un code couleur, facilitant leur lecture et leur utilisation dans l’étape d’analyse. L’ensemble de ce travail de catégorisation et de hiérarchisation des données a abouti à l’élaboration d’un dictionnaire thématique certes conséquent, mais que nous avons voulu exhaustif pour mener l’analyse des données qualitatives présentée dans la partie suivante. Elle permettra entre autres de déterminer comment chaque acteur intègre les évolutions en cours.

Analyse et résultats

Descriptif des étapes

60 Dans cette partie, nous analyserons les données obtenues par suite des 9 entretiens semi-directifs menés. Les réponses ont été traitées en fonction des thèmes préétablis dans notre guide d’entretien et sur la base du choix méthodologique de l’analyse thématique, où le repérage et l’étude de mots clés ou groupes de phrases dans leur ensemble apparaissaient plus adaptés à notre démarche de recherche. En cohérence avec notre question de départ et notre cadre théorique, notre analyse scrutera de manière plus précise les effets du changement induit par la transformation dans les pratiques de management et d’accompagnement, les mécanismes liés (résistance-adhésion) et les stratégies d’adaptation mobilisées par les acteurs face aux bouleversements de leur environnement institutionnel et professionnel.

Interprétation des résultats

61 Il nous semblait pertinent de mesurer les facteurs de continuité liés aux individus dans un contexte de changement global. Pour cela, nous avons pris en considération les éléments exprimés par chaque professionnel, et relatifs à leur expérience, profil ou diplôme pour tenter de mesurer la relation entre cette identité professionnelle et la conception de leur métier, de leurs missions et de leur engagement. Au niveau des cadres hiérarchiques, l’expérience dans le poste actuel est assez variable (de 3 à 10 ans). Pour les accompagnants de terrain, les carrières dans la même institution sont relativement longues, hormis une jeune professionnelle embauchée en 2017. On retrouve les formations classiques du secteur social et médico-social, pour les cadres ou pour les accompagnants de terrain. D’emblée, certains cadres soulignent leur rôle d’accompagnement auprès des équipes (M2 : « Dans le cadre de mon travail, ma mission principale est effectivement d’accompagner, de soutenir les professionnels sur les différents établissements et services. »). Parallèlement, les accompagnants présentent spontanément leurs missions par ce même vocable (A1 : « Je suis chargée de l’accompagnement socio-éducatif »).

62 Les questions suivantes avaient pour objectif d’affiner les aspects règlementaires liant le professionnel à l’institution. Ainsi, au niveau des missions, le rôle spécifique de la directrice de pôle transparait dans ses réponses où elle mentionne les priorités actuelles (M1 : « la démarche de restructuration ») et pointe la nécessité de prendre en compte les évolutions actuelles pour faire évoluer l’organisation (M1 : « l’organisation qui existe ne répond plus forcément aux besoins comme elle pouvait y répondre »). Le rapport du professionnel au projet d’établissement (PE) a également constitué un indicateur utile pour mesurer la perception de cet outil de la loi 2002-2 par les personnes interviewées, mais aussi déterminer si la notion de transformation y est mentionnée. Ainsi, un seul PE mentionne explicitement cette évolution de l’offre, en raison de l’ouverture prévue d’un nouveau foyer d’hébergement (M2 : « Le projet d’établissement prend en compte ce contexte d’évolution et toute cette dynamique de changement. »). Pour les autres cadres, la transformation est bien présente dans leur esprit (M1 : « la nécessité de transformer l’offre de service concerne tous les établissements et services »). Mais ne figure pas encore formellement dans le PE (M3 : « Ce n’est pas un objectif énoncé dans le projet d’établissement. », M4 : « Dans le projet actuel, cette dimension de transformation ne figure pas »).

63 Dans le discours des cadres, on relève également la nécessité de prendre en compte le contexte actuel de changement dans les établissements (M1 : « le public a changé, il faut transformer l’offre pour répondre à ces changements », M2 : « L’un des grands axes, c’est la transformation de l’offre de services »). Pour l’un des chefs de service, la transformation de l’offre s’est matérialisée par la restructuration opérée dans l’un des foyers (M3 : « à savoir transformer des places (…), et donc de transformer ce FHESAT en Foyer d’Accueil Polyvalent »).

64 Chez les accompagnants éducatifs, la notion d’accompagnement est explicitée en détail lors de cette approche par le biais du PE. Les professionnels se rejoignent autour de la mission d’accompagnement, précisée par une éducatrice spécialisée (A2 : « accompagner les personnes en situation de handicap dans leur quotidien. »). Concernant les axes et objectifs du PE, une seule professionnelle y fait référence de manière précise, expliquant que les évolutions en cours dans le secteur étaient mentionnées sous l’angle d’une modification des pratiques (A2 : « il (le PE) a au moins le mérite de justement prendre en compte ces publics différents, la prise en charge et l’accompagnement différencié »).

65 Par ailleurs, deux catégories principales de publics accompagnés, impliquant des approches différenciées d’accompagnement entre le groupe des « jeunes », et celui des « personnes vieillissantes », sont identifiées par les professionnels de terrain (A5 : « (…) le fait qu’il y ait des jeunes maintenant qui vivent avec des anciens »). Cette évolution du public, bien inscrite chez les professionnels, clarifie déjà leur conception de la transformation, en tant que processus d’adaptation des organisations de travail et de l’accompagnement, aux différents profils des personnes.

66 Le second thème de l’analyse relatif aux évolutions de l’accompagnement a pour objet d’identifier les conceptions des professionnels sur la démarche d’accompagnement, ainsi que les nouveaux besoins issus du changement de typologie du public. En effet, tous notent la différence de handicap des nouveaux usagers des structures (M3 : « ce n’est pas le type de public qu’on avait l’habitude d’accueillir jusqu’à maintenant. », A5 : « On ne connaissait pas ce genre de profil, qui a un peu bouleversé nos pratiques, nos habitudes »).

67 Ces nouveaux profils constituent un point remarquable, partagé par l’ensemble des professionnels, qui font de cet accompagnement spécifique, un enjeu majeur de la transformation de l’offre d’hébergement. En effet, les aspirations nouvelles de ces jeunes résidents appellent à revoir le projet même des structures d’accueil permanent (M2 : « pour ces nouveaux publics, le foyer d’hébergement classique représente désormais une transition »).

68 La nécessité d’innover et de mettre en place d’autres approches plus individualisées est également soulignée par les cadres hiérarchiques (M2 : « Pour l’accompagnement, on essaie de faire en sorte qu’il soit le plus personnalisé possible »), mais aussi par les accompagnants (A1 : « On ne répond plus vraiment à la demande, enfin, aux besoins en tout cas. », A2 : « il y a un changement dans la typologie et dans l’accompagnement »).

69 Ainsi, les professionnels désignent par « nouveaux publics » les « jeunes » arrivant aujourd’hui dans les foyers d’hébergement. Ils établissent un lien direct avec la notion d’autodétermination, qui fait référence aux capacités et compétences sociales de ces usagers désormais capables d’opérer leurs propres choix de vie. (M1 : « l’autodétermination est un enjeu crucial, à la fois pour les usagers, mais aussi pour les encadrants qui pour certains, vont devoir revoir complètement leur approche du public et du projet personnalisé. »). Ces constats pointent la profonde mutation en cours au niveau des besoins et nouvelles attentes de ce jeune public, d’où doivent découler de nouvelles manières d’appréhender le projet des personnes, car « le foyer n’est plus une fin en soi, mais vraiment une transition vers le logement ordinaire, (…) on met l’accent sur l’inclusion. » (M2). Ce basculement dans l’approche de l’accompagnement paraît acté par les managers, tout comme les accompagnants qui constatent comment le processus d’autodétermination bouleverse leur pratique (A1 : « ces nouveaux jeunes, ils attendent de vivre leur vie de manière autonome », A5 : « Ils sont beaucoup plus revendicatifs dans le bon sens du terme, plus ambitieux. »).

70 À l’opposé de ces « nouveaux publics », le vieillissement des personnes hébergées devient une autre préoccupation majeure et repose la question des moyens (M3 : « il faut prendre en considération le vieillissement de ces personnes et adapter le service ».). Effectivement, les professionnels pointent le fait que l’accompagnement des Personnes Handicapées Vieillissantes (PHV) demande des moyens et des alternatives aux réorientations classiques en EHPAD ou Foyer d’Accueil Spécialisé. (M1 : « il y a le besoin de soins pour un public vieillissant », M3 : « Les personnes vieillissantes ont une peur réelle concernant leur devenir (…) est-ce qu’elles auront encore le droit de rester au foyer ? »). Ce clivage dans la typologie du public est résumé ainsi par un éducateur spécialisé : « d’une part les personnes déficientes intellectuelles, qui sont en moyenne plus âgées, et d’autre part les jeunes admis ces dernières années, qui souffrent plutôt d’un handicap social. » (A5).

71 Ensuite, pour mesurer les impacts du mouvement de transformation sur leur contexte d’intervention et leur organisation, nous avons questionné les professionnels avec l’objectif de déceler les approches individuelles et collectives, ainsi que les divergences et convergences de perception. Ainsi, les cadres ou accompagnants des structures et services, interrogés sur la notion de transformation de l’offre médico-sociale, en délivrent des visions générales qui se rejoignent sur l’objectif à atteindre, à savoir favoriser l’inclusion dans le milieu ordinaire.

72 Pour les encadrants de terrain, la transformation de l’offre est globalement perçue comme un mouvement positif et nécessaire, synonyme de progrès pour les droits des personnes handicapées. Elle désigne l’indispensable changement à opérer dans leurs pratiques, au regard du changement de typologie du public et enjeux liés. Elle correspond aussi à une refonte de l’accompagnement global des personnes en situation de handicap, hébergées dans les structures. Les termes d’inclusion, d’autodétermination et d’empowerment (pouvoir d’agir) qui complètent le vocabulaire des professionnels de terrain, matérialisent la mutation en cours des pratiques et logiques de projet pour les personnes. Par ailleurs, la réalité d’optimisation des coûts par les financeurs est également évoquée par un professionnel. En outre, les cadres et encadrants de terrain expriment un constat d’obsolescence des pratiques et modalités actuelles d’organisation des structures d’hébergement, encore trop figées sur le modèle du foyer « unique », et son accompagnement uniforme basé essentiellement sur les besoins de vie quotidienne. Les limites de ce modèle sont clairement pointées (M1 : « la cohabitation actuelle entre ces deux groupes montre ses limites et va poser de plus en plus de problèmes. (…) le fossé générationnel commence à se creuser. »), engageant l’institution à « revoir totalement la logique d’accompagnement » (M2), et à rattraper le retard pris : « Il y a un retard et une forme de pression règlementaire faite auprès des associations pour accélérer le mouvement » (A1).

73 En premier lieu, les caractéristiques du changement à mener sont d’ordre organisationnel et fonctionnel. Les managers interrogés mettent ainsi en avant les innovations et réponses diversifiées de modalités d’hébergement actuellement en œuvre ou prévues. Ces nouveaux dispositifs répondent au souhait d’autonomie des usagers en leur offrant un cadre sécurisé et sécurisant par le biais d’espaces de transition. (M3 : « On dispose de 2 places en « hébergement éclaté », « projet d’appartements relais », « transformer des chambres au niveau du foyer en studio », M2 : « Les projets d’appartements relais ou d’habitat inclusif répondent à cette demande et à cette évolution », M4 : « Le dispositif A. est une petite structure qui a pour objet de vraiment travailler le passage en appartement autonome »). Dans cette logique, le dispositif innovant d’« appartement-relais » est systématiquement mis en avant par les personnes interrogées, cadres et accompagnants, en tant que plateforme d’apprentissage de la vie en autonomie, « passerelle pédagogique », « premier levier de préparation à l’autonomie » (M1), et réponse « à cette demande et à cette évolution » (M2). Cette plateforme démontre ainsi toute son utilité pour répondre au souhait d’autonomie des usagers. (A2 : « le meilleur exemple récent de ce qui a été mis en place pour répondre au désir d’autonomie des usagers. », A5 : « il répond complètement à ce besoin d’expérimenter l’autonomie »). Le développement des services à domicile représente une autre tendance forte dans le discours des professionnels sur les nécessaires changements d’organisation des structures, imposant de plus en plus la logique d’accompagnement « hors les murs ». Enfin, le changement d’organisation induit par la transformation de l’offre s’inscrit dans un contexte règlementaire et légal évoqué par les professionnels, sous l’angle de la réforme en cours des modalités de financement des établissements sociaux et médico-sociaux, désignée par l’acronyme SERAFIN-PH (Services et Établissements : Réforme pour une Adéquation des FINancements aux parcours des Personnes Handicapées) : « La transformation du médico-social, c’est aussi la mise en place de SERAFIN-PH. Cette réforme va amener une transformation des modes de financement qui est vraiment orientée sur un panel de prestations pour une personne. (M1) »

74 Enfin, la partie thématique relative à la transformation des acteurs renvoie au cœur de notre questionnement initial visant à mesurer les effets de la transformation de l’offre sur les rôles et postures professionnelles des cadres hiérarchiques et accompagnants médico-sociaux. Effectivement, ces mutations à multiples échelles dans ce secteur engendrent des remises en question, approches critiques, recherches d’un nouveau sens au travail mené, et par réaction, la mise en place de stratégies individuelles permettant l’anticipation et l’adaptation à ce contexte professionnel et institutionnel mouvant.

75 Parmi les aspects positifs perçus par les cadres, on note le consensus autour de l’avancée des droits des personnes (M2, M3, M1 : « les personnes y gagneront forcément ») et la redynamisation provoquée dans les structures (M4). Concernant les points négatifs, sont relevés les délais contraints par les financeurs pour mettre en place les projets nouveaux (M1), la crainte de ne pas disposer de marge de manœuvre, de se voir imposer un changement vertical (M3 : « J’espère que ce ne sera jamais dicté »), et les incertitudes entourant la réforme de financement SERAFIN-PH.

76 Pour les accompagnants éducatifs, le processus d’inclusion est bien lancé et il est désormais nécessaire de s’adapter (A3 : « Si ça prend la direction qu’on entrevoit actuellement, il me paraît normal de s’inscrire dans ce changement »). Il est également mentionné que l’inclusion n’est pas sans risques pour les personnes accompagnées (A1 : « on inclut à tout prix au risque de venir abîmer d’autres choses chez la personne »). D’autres points de blocage sont relevés : lenteur du changement, montée en charge du travail administratif, limites des projets d’autonomie pour certains profils.

77 En réponse à cette évolution, ces professionnels mettent en avant le changement de posture induit par la transformation qui les oblige à « changer absolument (leur) façon de faire et de voir » (A2), car pour eux, « c’est une adaptation permanente, perpétuelle à chaque personne » (A3). Néanmoins, un éducateur s’inscrit à contre-courant de cette logique et énonce les risques de valider systématiquement toutes les demandes de vie en autonomie (A5).

78 Au niveau des changements de pratiques, les encadrants prennent en compte les évolutions du public (A2 : « Pour les nouveaux publics, il va aussi falloir s’adapter et prendre en compte leurs besoins », A5 : « c’est à nous de nous adapter pour répondre aux nouveaux profils ») et anticipent déjà les aménagements à apporter pour faciliter cette adaptation (développement du partenariat, mise ne place de dispositifs innovants, de passerelles.). Ainsi, l’accompagnement est présenté comme une pratique mouvante, malléable et pouvant suivre les évolutions des personnes et/ou du contexte (A4 : « Après par rapport à l’inclusion, l’autodétermination, il faut que les choses changent (…) se remettre en question (…) se mettre en phase ou en tout cas, suivre ce mouvement. »).

79 À propos des effets et impacts vécus, perçus et envisagés, les managers perçoivent bien leur rôle de premier plan dans cette transformation (M1 : « les postes de direction sont au cœur de la transformation de service »), en tant que porteurs stratégiques du changement, ainsi que la polyvalence accrue qui sera demandée aux cadres « multisites, multifacettes, multitâches ». Ainsi pour la directrice de pôle, l’impact de la transformation sur l’organisation est global : « transformer l’organisation dans ce sens, en créant de nouveaux postes et des nouveaux métiers, on réorganise des fonctions, on structure une organisation ». Du point de vue des stratégies managériales, les cadres hiérarchiques adoptent des postures d’adhésion, de réalisme stratégique (M4 : « on ne peut aller contre ce mouvement »), ou d’attente pour connaitre l’impact réel de la transformation sur leurs marges de manœuvre.

80 Formation, communication et information auprès des équipes constituent des outils essentiels dans ce contexte de changement (A2 : « Il va falloir que le personnel soit formé et informé, qu’il accepte ce changement parce que cela signifie de revoir ses pratiques professionnelles »). De même, il paraît important d’apporter une visibilité sur les étapes des projets de changement (M4 : « On a notre GANTT qui est déjà en place et vient un peu cadrer les choses. »). Dans ce cadre, la méthode participative est privilégiée, en favorisant l’appropriation de ces mutations par les équipes professionnelles (M1 : « La méthode participative : faire participer au maximum les équipes dans tout ce qui est mis en œuvre pour qu’elles puissent se l’approprier »). Le développement de partenariats nouveaux représente également un axe prioritaire d’évolution pour l’ensemble des managers, dans un souci de mutualisation des moyens et de partage de compétences spécifiques.

81 Les cadres hiérarchiques sont bien conscients du rôle primordial qu’ils doivent jouer auprès des équipes (M2 : « en tant que manager, il va falloir accompagner ce changement. »), de l’adaptation de leur positionnement imposée par ces évolutions (M3 : « Mon positionnement de cadre nécessite d’être adapté au fur et à mesure ».), et de l’engagement nécessaire (M3 : « s’en saisir pour impulser un mouvement, une dynamique positive dans les équipes et faire comprendre que c’est dans l’intérêt des personnes accompagnées. »). Cette approche du management d’équipe est au centre des préoccupations des cadres intermédiaires, soucieux de faire bouger les lignes, tout en veillant à ne pas déstabiliser les individus et à les rassurer (M3 : « on ne peut pas rester statique, on est obligé de bousculer ce confort, de se requestionner, d’essayer, de se tromper, de recommencer (…) en faisant ainsi, on est dans la réponse », M4 : « (…) enlever les craintes, les peurs de certains ».). En lien avec les éventuelles appréhensions du personnel, la mobilité interne est présentée comme une solution envisageable selon les situations (M4 : « possibilité aux professionnels de bouger d’un établissement à un autre »).

82 Les phénomènes prévisibles de résistance au changement sont bien pris en compte par les managers, mais ne constituent pas des obstacles majeurs (M1 : « je ne pense pas qu’il n’y aura pas de résistances qui vont bloquer les changements », M2 : « les difficultés, ce n’est pas la résistance au changement »). La priorité est donnée à une approche pédagogique, participative et dépassionnée de la question (M4 : « Il faudra amener le changement de la manière la plus apaisée possible »).

83 Dans le contexte actuel, il devient nécessaire d’adapter les organisations et les individus aux évolutions sociétales, en lien avec les logiques inclusives et d’autodétermination. Avant tout, il est important d’anticiper les réactions (M2 : « Il y aura des freins liés effectivement au changement de pratiques professionnelles. (…) des tensions, notamment si on nous demande plus de contrôle, de traçabilité (…) Il va falloir user de subtilités et de stratégies »). « La communication, la formation et l’entretien professionnel » représentent également les leviers principaux du manager pour atténuer les freins au changement.

84 Des craintes sont également exprimées vis-à-vis de la mise en place de la réforme SERAFIN (M4 : « Il faudra prendre en compte les notions de contraintes, celles qui font peur et ne plaisent pas »), pouvant potentiellement déboucher jusqu’à l’éventualité d’un changement de contexte professionnel pour un manager (M3 : « je changerai, je ne resterai pas emprisonné dans quelque chose qui ne peut pas me correspondre »). Dans tous les cas, chez ce même manager, la modification des pratiques et du positionnement est aujourd’hui devenue indispensable : « Il faut réfléchir à d’autres façons d’accueillir les personnes, de les accompagner (…). En clair, il faut réinventer des fonctionnements. »

85 Pour les professionnels accompagnant le public, la résistance au changement peut survenir de « l’ignorance, comme tout est nouveau, les publics, les dispositifs, SERAFIN, nouvelle manière d’accompagner : cela peut déstabiliser certaines personnes » (A2). On constate que la réforme SERAFIN génère des inquiétudes certaines auprès des professionnels qui craignent « de devoir quantifier la relation humaine » (A3) et de perdre le sens de leur mission (A4 : « Je crains toujours qu’on oublie le sens (…) c’est un risque »). Inversement, un professionnel souligne le fait que la nouvelle génération de travailleurs sociaux s’adaptera sans peine aux changements, mais pointe le fait qu’une certaine vision « idéologique » de l’inclusion est en décalage avec les réalités du public. (A5 : Il y a des aspects négatifs parce qu’on veut considérer la personne handicapée ou la personne souffrant de handicap social comme une personne normale »). Enfin, la configuration des lieux (anciens foyers) peut contribuer à maintenir des fonctionnements classiques en place dans les structures (A2), et freiner ainsi l’innovation dans les équipes.

Discussion

86 À la suite de nos entretiens menés auprès de professionnels cadres hiérarchiques et encadrants éducatifs, et à l’analyse thématique opérée dans la continuité méthodologique de notre recherche, nous pouvons d’ores et déjà mesurer la pluralité des changements organisationnels et individuels engendrés par la transformation de l’offre médico-sociale en cours. En effet, l’étude menée avait pour ambition de répondre à notre question initiale : comment l’évolution de l’offre de services dans le champ du médico-social transforme-t-elle les pratiques managériales et les modalités d’accompagnement dans les établissements d’hébergement pour personnes adultes en situation de handicap ?

87 Notre première hypothèse posée en préambule se vérifie ainsi pleinement à l’issue de cette recherche : le processus de transformation de l’offre bouleverse effectivement les organisations médico-sociales qui doivent impérativement et de manière réactive, prendre en compte les attentes et besoins nouveaux du public. Cette mutation impacte directement les acteurs institutionnels, et réinterroge leur rôle, et leurs missions auprès du public concerné. Pour les cadres hiérarchiques, la mise en œuvre des futurs projets d’établissement intégrant cette nouvelle donne, revêt un enjeu crucial pour l’avenir. Leur repositionnement fonctionnel dans ces nouvelles organisations doit être réfléchi et préparé par le biais de la formation notamment. L’accompagnement doit désormais intégrer le clivage entre les « nouveaux publics » en quête d’autonomie et d’inclusion dans le monde ordinaire et les Personnes Handicapées Vieillissantes, qui ne veulent plus être dans l’obligation de quitter leur lieu d’hébergement devenu leur domicile, en raison d’une barrière d’âge.

88 La seconde hypothèse indiquant que l’évolution de l’offre accélère les processus d’inclusion et d’autodétermination des usagers, le passage d’une logique de places à une logique de parcours, et requestionne les modes d’accompagnement classiques, se vérifie également au terme de cette recherche. Effectivement, inclusion, autodétermination, autonomie, désinstitutionnalisation sont des termes qui ont pris place dans le champ lexical des professionnels du champ médico-social, et autant de marqueurs d’une refonte du système de prise en charge de l’hébergement des personnes en situation de handicap. Les professionnels sont bien conscients des enjeux liés à ces évolutions et se projettent dès à présent dans ces nouveaux modèles d’accompagnement, en affirmant leur engagement à œuvrer pour l’intégration des personnes handicapées dans le milieu ordinaire, mais, pas à n’importe quel prix. En effet, le tout inclusif ne peut se concevoir comme un objectif absolu à atteindre et certains risques ont bien été identifiés par les personnes interrogées.

Préconisations

89 Au terme de notre analyse et discussion, nous pouvons établir que le mouvement de transformation génère une émulation globalement positive au sein des établissements, mais nécessite la mise en place d’outils spécifiques, au regard des bouleversements en cours, tant dans la pratique des managers, que de celle des professionnels de l’accompagnement. Dans ce contexte en mutation, nous proposons les actions suivantes pour faciliter la transition entre l’ancien modèle d’accompagnement voué à disparaitre et la configuration future dont les contours ne sont peuvent être encore clairement définis.

Communiquer et donner du sens

90 Il est évident que la communication et l’information auprès du personnel constituent des gages de réussite pour guider le changement dans de bonnes conditions, le but poursuivi étant d’associer chaque acteur au projet d’évolution de l’organisation. L’instauration d’un dialogue permanent entre les directions et les équipes de terrain permettra de travailler en confiance et en transparence, et de favoriser l’adhésion des professionnels aux divers projets. La question du sens donné à cette démarche est également déterminante et doit prendre notamment appui sur l’apparition indéniable de besoins nouveaux. Pour ce faire, l’organisation de réunions générales spécifiques (trimestrielles) représente une première action concrète à mettre en place.

Former les professionnels de l’établissement

91 Au cours de notre étude, la plupart des professionnels ont affirmé le fait que cette phase de transition nécessitait la mise en place de formations spécifiques. Dans le cadre du plan de formation, il est tout à fait envisageable d’organiser des formations à destination des cadres hiérarchiques (conduite du changement, codéveloppement, mise en place de coaching individuel) et des équipes chargées de l’accompagnement (autodétermination, connaitre les nouveaux publics, appréhender le vieillissement des usagers, repenser le projet personnalisé, développer des dispositifs innovants).

Programmer les étapes du changement

92 Dans un tel processus de transformation, il nous semble fondamental de déterminer en amont les principales phases du changement à opérer dans les organisations de travail, le recrutement (sur la base de besoins bien identifiés en nouvelles compétences nécessaires), la mise en place de dispositifs spécifiques, etc… Cette programmation pourra tenir compte des données démographiques relatives au profil des usagers (ex. : avancée en âge), des moyens matériels et financiers mobilisables ou à envisager (appels à projets), et des échéances posées par les financeurs et tutelles. L’ensemble peut se formaliser sur un support type Diagramme de Gantt.

Créer une instance dédiée à la transformation de l’offre

93 La mise en place d’un groupe projet/comité de pilotage réunissant cadres hiérarchiques, personnels médico-sociaux, et même des représentants des usagers, nous paraît incontournable pour guider la démarche de changement. En plus d’assurer une nécessaire veille juridique sur le sujet, cette instance dédiée à la transformation de l’offre, jouera un rôle stratégique dans la réflexion, mise en place et suivie des différents projets en cours ou à venir. Il est important que les salariés et usagers de l’organisation identifient un espace de réflexion collective dédié aux changements en cours. Dans son fonctionnement, cette instance interne pourra également s’ouvrir vers l’extérieur en se rapprochant d’autres établissements similaires (partage d’expérience, mutualisation de compétences, réseautage).

Conclusion

94 Au terme de ce travail où nous avons cheminé entre un parcours à la fois académique et pratique, nous avons pu mesurer la complexité du mouvement de transformation de l’offre médico-sociale dans le secteur de l’hébergement pour les personnes adultes en situation de handicap. Les changements induits, en cours et à venir sont globalement perçus positivement par les professionnels rencontrés pour notre étude, et correspondent à une évolution logique du droit des personnes handicapées à formuler et construire leur propre choix de vie, sur la base de leur autodétermination et pouvoir d’agir. Dans cette mutation globale et multidirectionnelle du champ médico-social, les impacts sur les pratiques managériales et d’accompagnement sont indéniables et évidents. Selon nous, l’ajustement à cette nouvelle donne représente donc la seule stratégie valable pour l’avenir même si managers et accompagnants restent prudents quant aux éventuels risques. De même, le passage à l’ère inclusive semble bien acté par les professionnels du secteur qui défendent malgré tout le modèle du foyer d’hébergement, avançant le fait que l’inclusion ne peut correspondre à tous les profils et qu’elle présente un certain risque de désillusion pour les profils les plus fragiles. Au demeurant, il apparait que la transformation du secteur doit désormais se concevoir sous forme pyramidale, où les enjeux majeurs se dessineront à chaque strate :

  • Pour les organisations et institutions : réfléchir, financer et mettre en œuvre les projets innovants répondant à ce nouveau contexte
  • Pour les directions et cadres hiérarchiques : conduire le changement auprès des équipes professionnelles, en y donnant sens et en créant les conditions favorables pour appréhender ces mutations
  • Pour les professionnels de l’accompagnement en hébergement : intégrer le changement de modèle et de paradigme dans la pratique professionnelle afin de construire de nouvelles façons de faire.

96 Nous clôturerons cet article, en affirmant que la transformation de l’offre médico-sociale, au-delà de ses aspects règlementaires, financiers et opérationnels, introduit un questionnement éthique et philosophique fondamental, où se discute la juste place de la personne en situation de handicap dans notre société et son aspiration à vivre comme tout un chacun, malgré ses incapacités. L’acceptation de ces revendications légitimes par les professionnels, les institutions, mais surtout par l’opinion publique alimentera indéniablement ce débat crucial.

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : changement, accompagnement, transformation, handicap, offre médico-sociale, inclusion

Mise en ligne 29/06/2023

https://doi.org/10.3917/proj.hs04.0175

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