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Article de revue

Les territoires de santé : des approches régionales variées de ce nouvel espace de planification

Pages 73 à 80

Introduction

1L’élaboration des Schémas régionaux d’organisation des soins (SROS) de troisième génération s’inscrit, en France, dans un cadre rénové de la planification sanitaire. L’ordonnance du 4 septembre 2003 a fortement modifié le dispositif de planification sanitaire en supprimant la carte sanitaire et en faisant des SROS l’outil unique de planification. Dans ce contexte, le territoire de santé se substitue au secteur sanitaire et devient le cadre réglementaire de l’organisation des soins. Les projets médicaux sont désormais territorialisés et font l’objet d’une concertation entre les acteurs du champ de la santé au sens large en impliquant le secteur médico-social, les élus et les usagers. Afin d’adapter au mieux le contour des nouveaux territoires de santé, les régions, à travers les Agences régionales d’hospitalisation (ARH), disposaient d’une totale liberté dans les méthodes employées pour dessiner cette nouvelle carte de l’organisation des soins. Comment les régions ont-elles utilisé cette opportunité ? Avec quels concepts (distance, temps, flux, découpages administratifs) et quelles méthodes ? Quels sont les découpages réalisés au final ? Observe-t-on une « conscience géographique » des territoires de santé [1] ? Telles sont les questions auxquelles nous tentons de répondre en recensant les différentes méthodes utilisées et argumentées par les régions pour conceptualiser et dessiner cette nouvelle aire de planification.

Méthodes

1 – Cadre d’analyse

2Le cadre d’analyse est celui des consignes données dans l’ordonnance du 4 septembre 2003 et dans les circulaires relatives à la mise en place du SROS, notamment la circulaire du 5 mars 2004. Le Ministre de la santé demande aux régions d’emprunter une voie innovante dans la définition des territoires, tenant compte des réalités locales et s’affranchissant des traditionnelles limites administratives. La circulaire invite également les régions à prendre en compte les géographies, physique et humaine, des territoires et les comportements de la population face à l’offre de soins. Une revue de méthodes et d’expériences régionales en matière de découpage de zonages sanitaires [2] est jointe en annexe de la circulaire pour guider les régions.

3La circulaire précise que les régions peuvent dessiner des territoires différents selon les activités : médecine, chirurgie, psychiatrie, soins de suite et de réadaptation. Mais dans le même temps, la recherche d’une cohérence territoriale est fortement souhaitée, notamment pour les activités liées au plateau technique, mais aussi pour la psychiatrie. De plus et en toute logique, l’organisation des soins doit être graduée et permettre d’identifier les différents niveaux de prise en charge. Cinq niveaux de soins sont proposés (tableau I) : niveau de proximité, intermédiaire, de recours, régional et interrégional - parmi lesquels le niveau de proximité est imposé. À ces différents niveaux de soins vont pouvoir correspondre des territoires gradués, depuis les territoires de proximité jusqu’aux grandes interrégions.

Tableau I

Définition des niveaux de soins

Tableau I
Niveau de soins Définition Niveau de proximité Niveau des soins de premier recours, celui de la permanence des soins, impliquant le généraliste, l’infirmier et le pharmacien. Niveau intermédiaire Structuré autour de la médecine polyvalente, premier niveau d’hospitalisation et de plateau technique. Niveau de recours Dispense des soins spécialisés, correspond au niveau de desserte de l’hôpital pivot du territoire de recours. Niveau régional Comprend des prestations spécialisées qui ne sont pas assurées par les autres niveaux. Niveau interrégional Réservé à certaines activités telles que la prise en charge des grands brûlés, la neurochirurgie.

Définition des niveaux de soins

4Le territoire de santé, en tant qu’espace d’organisation des soins, est le seul à faire l’objet d’une définition géographique précise, sur lequel sont fixés les objectifs quantifiés d’offre de soins (OQOS) et négociés les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) afin de répondre à un projet médical de territoire. Ce territoire de santé correspond généralement au niveau de recours défini précédemment. C’est ce territoire que nous observons.

2 – Données

5Les résultats présentés sont issus de la lecture des différents SROS [3] et des documents préparatoires aux SROS pour certains. Les documents régionaux varient beaucoup en terme de contenu et de présentation. Ils correspondent à ce que les régions, à travers ce document, ont voulu mettre en avant dans la conception de ces nouveaux territoires. Certains schémas sont très argumentés au sujet de la réflexion territoriale, d’autres moins et les méthodes employées sont plus ou moins détaillées. Notre travail synthétise les aspects mis en avant dans les schémas, à savoir ce que les régions ont voulu « donner à lire » de leur réflexion territoriale. Des entretiens avec les acteurs seraient nécessaires pour avoir une vision plus précise du traitement de la question territoriale dans les SROS. Il se peut également que certains éléments n’aient pas été décrits dans les SROS de certaines régions alors qu’ils ont participé à la réflexion et aux choix de découpages, notamment certaines contraintes politiques.

3 – Grille d’analyse

6En l’absence d’un modèle standard de schéma, nous avons élaboré une grille d’analyses pour en extraire les informations essentielles. La grille reprend les consignes données dans l’ordonnance et les circulaires relatives à sa mise en place. Pour chaque région, nous avons relevé les informations sur :

  • les caractéristiques des territoires de santé : nombre et taille, population et superficie ;
  • la méthode utilisée pour les construire ;
  • les caractéristiques du nouveau découpage par rapport à celui du SROS de deuxième génération : reprise partielle ou totale du découpage, motifs de l’absence de redécoupage, respect des limites administratives ;
  • la graduation de l’organisation des soins (nombre de niveaux et contenu) ;
  • le découpage territorial sur le champ psychiatrie et santé mentale : existence d’une réflexion sur la recherche de cohérence territoriale avec le champ médecine chirurgie et obstétrique (MCO) ;
  • les champs ou thématiques du SROS : nombre de volets thématiques inscrits, nombre de thématiques supplémentaires aux volets obligatoires ;
  • les autres instruments de planification : les OQOS et leur déclinaison en termes de temps d’accès ou de couverture horaire, leur méthode de calcul, l’évaluation des SROS ;
  • les éléments de lecture critique : stratégie argumentée, expliquée, existence d’une véritable réflexion territoriale, prise en compte de la médecine de ville.

Résultats

1 – Territoires de taille variable selon les régions

7En 2007, la taille moyenne des territoires est de 374 000 habitants contre 418 000 dans les schémas précédents. Les territoires sont très hétérogènes en matière de population. Le plus petit territoire se situe en Auvergne avec 28 000 habitants et le plus grand en Aquitaine avec 1,3 million d’habitants. Si la moyenne est de 374 000 habitants, elle varie selon les régions, de moins de 150 000 en moyenne pour la Corse et l’Auvergne à près d’un million pour le Nord-Pas-de-Calais et la Lorraine.

8Des variations similaires sont observées en terme de superficie et donc de distance et de temps d’accès. La surface des territoires varie ainsi de 25 km2 (en Île-de-France) à plus de 11 000 km² en Lorraine. Les petits territoires sont souvent très densément peuplés, les logiques de découpage obéissant à un compromis entre densité et superficie [4].

9Alors même que certaines régions ont cherché à regrouper des secteurs sanitaires pour constituer des territoires de santé (Picardie, Lorraine, Île-de-France), la tendance générale est plutôt à l’augmentation des territoires de petite taille : 43 territoires de santé comptent moins de 200 000 habitants dans les SROS3 contre 25 dans les SROS2 (figure 1). Parallèlement, il y a une diminution du nombre de territoires dans la tranche de population qui correspondait dans les SROS2 à la taille minimale du secteur sanitaire (25 territoires comptent entre 200 000 et 300 000 habitants contre 36 dans les SROS2). La suppression de seuil minimal semble donc justifiée par le besoin de définir des territoires plus petits dans quelques dizaines de cas. On constate aussi une modification significative du nombre de secteurs dans les tranches supérieures avec une diminution du nombre des plus gros secteurs (21 secteurs comptaient plus de 700 000 habitants dans les SROS2, ils ne sont plus que 14 dans les SROS3) et une augmentation du nombre de secteurs de 400 000 à 700 000 habitants.

2 – Méthodes de découpage différentes selon les régions

a – Choix du maintien des précédents découpages

10Malgré la consigne d’« emprunter une voie innovante » pour ces découpages, un tiers des régions a fait le choix de maintenir, de manière totale ou partielle, le découpage précédent des secteurs sanitaires en place dans le SROS2 (figure 2). Cette consigne nationale laissait supposer que, dans bien des cas, le découpage précédent était inadapté aux besoins. Or, certaines régions avaient déjà travaillé sur cette problématique territoriale dans le cadre des précédents SROS notamment dans le cadre d’importantes restructurations hospitalières.

Figure 1

Répartition des secteurs sanitaires des schémas régionaux d’organisation sanitaire de deuxième génération (SROS2) et des territoires de santé de ceux de troisième génération (SROS3) selon la population couverte

Figure 1

Répartition des secteurs sanitaires des schémas régionaux d’organisation sanitaire de deuxième génération (SROS2) et des territoires de santé de ceux de troisième génération (SROS3) selon la population couverte

Figure 2

Synthèse des choix régionaux de définition des territoires de santé des schémas régionaux d’organisation sanitaire de troisième génération

Figure 2

Synthèse des choix régionaux de définition des territoires de santé des schémas régionaux d’organisation sanitaire de troisième génération

11D’ailleurs même en l’absence de redécoupage, la quasitotalité des régions a revisité les découpages en cours. Des études actualisées sur les flux hospitaliers sont toujours citées par les régions, venant valider la pertinence des précédents découpages et le choix de les maintenir.

12Trois régions ont maintenu à l’identique leurs précédents découpages en secteurs sanitaires : c’est le cas des régions Centre, Limousin et Bretagne.

13La Bretagne avait déjà mené une réflexion importante sur les découpages des secteurs sanitaires dans le cadre des SROS2 et a maintenu son découpage précédent. Celui-ci était basé sur le résultat d’une analyse croisée de l’activité hospitalière et des réalités économiques et sociales prises en compte à travers les zones d’emploi définies par l’Institut national de la statistique et des études économiques. Un travail de rapprochement des secteurs sanitaires avec les « Pays », territoires de projet caractérisés par une cohésion géographique, économique, culturelle ou sociale (pour plus d’information sur les « Pays », voir la référence [5]), réalisé en 2004, concluait au maintien des secteurs sanitaires mais en y « animant » le nouvel espace de concertation.

14Pour le Centre et le Limousin, régions rurales, les limites départementales, correspondant aux précédents secteurs sanitaires, ont été maintenues en tant que territoires de santé. Dans ces deux régions, le département a fortement structuré l’offre de soins et l’analyse des comportements spatiaux des populations, en matière de recours au système de soins, vient conforter cette assise départementale.

15Certaines régions ont simplement cherché à regrouper les secteurs précédents. C’est le cas de la Picardie et de la Lorraine. Pour ces régions, les arguments avancés sont liés à l’idée de consolider une structuration de l’offre mise en place dans les SROS précédents, tout en créant des territoires avec une masse critique suffisante pour satisfaire les exigences de qualité et de sécurité des soins, mais aussi d’attractivité pour les professionnels. En Picardie, c’est aussi le choix de constituer des zones bipolaires avec deux établissements sur un même territoire.

16Enfin, l’Île-de-France et Midi-Pyrénées ont maintenu partiellement leur précédent découpage en secteurs sanitaires. Pour l’Île-de-France, il n’y a pas eu de nouvelle étude des flux hospitaliers, « l’ARH a pris le parti, dans un souci de continuité, de maintenir pour l’essentiel le découpage antérieur et de procéder au regroupement de certains bassins ». À part Paris qui a finalement retenu le découpage des groupements hospitaliers de l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), les autres modifications sont marginales et se sont plutôt faites sur le mode de la concertation : certaines communes ont été réaffectées pour se caler sur les territoires de la permanence des soins, un territoire à cheval sur deux départements a été supprimé car les établissements n’arrivaient pas à fonctionner ensemble.

17La région Midi-Pyrénées a, quant à elle, maintenu dix des 11 secteurs sanitaires précédents et redécoupé le 11e en cinq, argumentant que ces frontières tiennent « compte des pratiques des habitants, des lieux d’implantation des établissements sanitaires, sauf pour le secteur X ». Ce secteur redécoupé en cinq correspond à l’agglomération toulousaine. Le travail mené est intéressant car plusieurs régions mettent en avant le problème du découpage des grandes agglomérations pour lesquelles le poids des établissements et l’importance des mouvements de population rendent difficile la constitution de bassins hospitaliers. Le découpage s’est fondé ici sur une représentation de l’espace toulousain élaborée par l’Agence d’urbanisme et d’aménagement du territoire. Elle distingue un centre difficilement divisible et des périphéries convergentes structurées autour des grands axes de communication. Cette représentation de l’espace a ensuite été comparée à l’implantation des établissements hospitaliers, aux comportements visà-vis des soins hospitaliers de la population, et enfin au découpage des circonscriptions d’actions sanitaires et sociales. Un équilibre démographique a également été recherché entre les zones.

b – Choix du redécoupage des territoires précédents

18Les deux autres tiers des régions ont cherché à redécouper leur territoire en utilisant des méthodes basées sur l’étude des déplacements de la population vers des structures de soins ou vers d’autres types de services. Nous nous intéressons maintenant plus spécifiquement aux méthodes développées.

- Méthodes basées sur les flux réels hospitaliers

19Six régions ont utilisé des méthodes basées sur les flux réels hospitaliers : Basse-Normandie, Pays-de-la-Loire, Champagne-Ardenne, Bourgogne, Franche-Comté et Rhône-Alpes. La base de ces méthodes est l’analyse des flux majoritaires de recours aux établissements de santé déterminés à partir des données du Programme médicalisé des systèmes d’information (PMSI) qui fournit, pour chaque séjour hospitalier, le code postal de domicile du patient.

20Cependant, il existe de nombreuses variations autour de cette méthode. Certaines régions définissent des règles explicites d’affectation en définissant des seuils [6]. D’autres régions n’appliquent pas de regroupement a priori et effectuent une analyse de données de type classification ascendante hiérarchique à partir des données PMSI, permettant de hiérarchiser les niveaux de territoire auxquels s’adresse la population en première, deuxième ou troisième intention.

21Certaines régions ont également pris en compte dans leur construction territoriale, la viabilité des plateaux techniques par le biais de l’instauration de seuils minima de population par territoire (par exemple 80 000 habitants en Pays-de-Loire) et d’activité (par exemple 1 500 séjours chirurgicaux, préconisés par les textes officiels).

22Enfin, certaines régions comme la Bourgogne et la Franche-Comté mettent en avant, dans leur schéma, l’importance de la concertation dans la délimitation des territoires. Ainsi, souvent l’étude des flux majoritaires est présentée et discutée avec les différents acteurs du champ (élus, professionnels, usagers) qui valident et modifient le découpage proposé en fonction de leur connaissance du territoire, des coopérations engagées, mêlant ainsi approche scientifique et pragmatique.

23Par ailleurs, certaines régions ont défini un territoire de santé unique pour l’ensemble des activités de soins pour garantir une cohérence territoriale tandis que d’autres, tiennent compte de l’hétérogénéité du recours aux soins en segmentant les flux selon les disciplines, les pathologies ou les niveaux de soins (Rhône-Alpes, Pays-de-Loire, Basse-Normandie). Certaines régions ont utilisé des classifications a priori, permettant de regrouper des séjours hospitaliers dans certaines disciplines. Par exemple, la Basse-Normandie a utilisé la classification « Outil d’analyse du PMSI » (OAP) qui permet de classer les groupes homogènes de malades (GHM) en 23 pôles d’activités (correspondant pour la plupart à des spécialités d’organe) selon le type médical, chirurgical ou obstétrical de GHM et la lourdeur des prises en charge. En Rhône-Alpes, une méthode québécoise a été utilisée, permettant de regrouper les GHM en trois catégories : soins de base ou de proximité, soins spécialisés et soins très spécialisés.

- Méthodes basées sur les flux réels hospitaliers articulés avec les zonages en bassins de vie ou zones d’emploi

24Cinq régions (Haute-Normandie, Auvergne, Languedoc-Roussillon, Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) et Corse) ont utilisé des méthodes articulant les flux hospitaliers observés avec les bassins de vie ou zones d’emploi. Leur réflexion s’est basée sur les habitudes de déplacement de la population concernant les services publics ou privés les plus courants [7]. Ainsi ont été utilisés les bassins de vie pour la Haute-Normandie et le Languedoc-Roussillon, les bassins de services intermédiaires pour l’Auvergne, les bassins de vie unifiés en Corse, et des territoires d’actions et de projets que constituent les Pays et communautés d’agglomération en PACA. Ce premier zonage a souvent été associé par ces régions aux territoires de proximité pour des soins ambulatoires ou hospitaliers. Une analyse des flux hospitaliers majoritaires (avec ses différentes variations méthodologiques) a ensuite été menée généralement pour définir les territoires de recours, mais cherchant à se caler sur ces territoires de proximité identifiés à partir des comportements non sanitaires des populations.

- Méthodes basées sur les flux réels hospitaliers et ambulatoires

25Trois régions (Alsace, Poitou-Charentes et Aquitaine) ont cherché à prendre en compte la médecine ambulatoire dans le découpage des territoires. Elles ont ainsi mesuré les flux, à la fois, vers les établissements de santé à partir du PMSI-MCO, mais aussi les flux vers la médecine de ville à travers les données de l’Assurance maladie. Là aussi, les détails de la méthode peuvent varier selon les régions, de même que la recherche d’articulation avec les bassins de vie de la population. Ainsi, l’Alsace, au lieu d’analyser des flux majoritaires vers des pôles hospitaliers, s’est attachée à analyser des flux réels vers des pôles de soins, intégrant les établissements de santé et les cabinets médicaux. En Aquitaine, le recours ambulatoire semble davantage utilisé pour définir les territoires de proximité, territoires ensuite agrégés en fonction de leur recours à un pôle hospitalier. L’accessibilité en temps est également prise en compte dans l’analyse des différents niveaux de soins.

26Le Poitou-Charentes cite l’étude des flux ambulatoires (essentiellement auprès des médecins généralistes) comme possibilité d’analyse mais semble ne pas l’utiliser au bout du compte, pour lui préférer l’approche par bassin de vie correspondant au territoire de premier recours.

- Méthodes basées uniquement sur les bassins de vie

27Enfin, le Nord-Pas-de-Calais (NPDC) a choisi d’utiliser uniquement des bassins de vie (regroupant des zones d’emploi) et n’a pas analysé les flux d’utilisation des services de santé, reprenant ainsi le découpage utilisé dans le champ du médico-social. Le SROS du NPDC apparaît ensuite à géométrie variable. Selon les disciplines médicales hospitalières, les objectifs quantifiés (OQOS) le sont au niveau du département, du bassin de vie ou de la zone de proximité (regroupement de plusieurs communes).

Discussion

28Dans cette analyse des SROS de troisième génération, nous avons pu montrer que la question territoriale a été traitée de manière différenciée selon les régions. Un tiers des régions a préféré stabiliser le découpage du SROS2 en maintenant le zonage précédent, en effectuant des regroupements de secteurs ou des modifications à la marge. Mais la grande majorité a cherché à inventer complètement les territoires de santé en développant une nouvelle méthode. Les régions se trouvent ainsi placées entre conservatisme et réelle recherche d’une « voie innovante ».

29Les résultats sont très différents, notamment en matière de taille et de spécialisation des territoires. Les très grandes différences de taille populationnelle mises en avant par notre étude (variation dans un rapport de un à quatorze entre les dix plus petits territoires et les dix plus grands) interrogent la conception du projet médical de territoire. Dans le cas des territoires de petite taille, le risque qu’ils ignorent les réalités de recours à un plateau technique de référence qui se situerait en dehors du territoire n’est pas négligeable, tout comme la difficulté d’organiser l’offre. Selon la Fédération hospitalière de France par exemple, un seuil minimal de 150 000 habitants est aujourd’hui nécessaire pour permettre à un hôpital et une clinique de fonctionner sur le même territoire, à la fois pour des raisons techniques et médico-économiques. Se pose donc la question de la « viabilité » de ces petits territoires quand il s’agit de préserver une zone fragile, de maintenir une économie locale et de pouvoir garder un établissement de santé. Par ailleurs, l’évolution démographique des professions médicales, les exigences de qualité et de sécurité des soins, poussent davantage à créer des territoires plus vastes avec le risque de couvrir une population très hétérogène, et donc de compliquer l’adaptation de l’offre. Car avec les territoires de très grande taille, le risque est d’agglomérer dans un ensemble très vaste des établissements et services dont les populations desservies sont très différentes. Le principe de graduation des soins, avec la possibilité de déterminer des niveaux de soins de proximité et des niveaux intermédiaires en deçà du territoire de santé utilisé pour la planification, constitue une réponse à cette forte hétérogénéité des territoires. L’organisation en « filières de soins » permettant la circulation du patient pour un même épisode de soins entre les différents acteurs de sa prise en charge, devrait permettre de couvrir les territoires et les besoins de la population quelle que soit la taille du territoire et la méthodologie de découpage employée.

30D’un point de vue méthodologique, une limite importante de la méthode de zonage, basée uniquement sur les flux hospitaliers, est qu’elle reste très « hospitalocentrée », voire « MCO-centrée ». Elle part de l’offre existante et présuppose donc que son implantation est « correcte ». Cette méthode a tendance à légitimer l’offre actuelle sans la remettre en question. Ces inconvénients sont, en partie, corrigés par le calcul des distances d’accès dans les travaux des SROS et la phase de consultation qui apparaît plus ou moins importante, du moins rendue visible, dans les schémas consultés. L’acceptabilité des découpages proposés est testée auprès des élus, des usagers et des professionnels de santé. La prise en compte par certaines régions, des territoires de vie des populations ou territoires d’action à la base du découpage, a l’avantage de permettre la remise en question de l’adéquation de l’implantation de l’offre par rapport à la localisation de la population et à ses habitudes de vie autres que sanitaires en prenant l’option d’élargir le champ d’analyses.

31Par ailleurs, les méthodes prennent rarement en compte dans le découpage le recours différencié en moyen et long séjour, en psychiatrie, ni la médecine de ville et le secteur social et médico-social qui concourent pourtant à la prise en charge globale du patient. La prise en compte des flux ambulatoires dans la construction des territoires, qui va dans le sens de la recherche d’articulation et de coopération préconisées par le SROS3 est peu utilisée par les régions. Les raisons en sont, à la fois, un accès moins facile et moins « spontané » aux données de l’Assurance maladie mais surtout peut-être une moindre articulation avec la médecine de ville, nouvellement intégrée dans la planification. En 2006, les ARH ne sont pas encore devenues des Agences régionales de santé (ARS) et la planification de la santé reste encore très tournée vers l’hôpital sur lequel l’ARH peut agir et contracter.

Conclusion

32Le conservatisme apparent de certaines régions peut parfois cacher un décalage temporel dans la réflexion territoriale, certaines régions ayant déjà engagé une profonde réflexion sur le découpage des secteurs sanitaires dans le cadre des SROS2. En outre, pour des régions très urbanisées comme l’Île-de-France, la dimension territoriale peut s’avérer moins pertinente du fait de l’importance des flux et des migrations quotidiennes. Il est vrai aussi que les secteurs sanitaires ont durablement façonné le paysage sanitaire. Comme le fait la Bretagne, c’est peut-être l’animation des territoires qui est maintenant à organiser. Les différents acteurs doivent y faire « l’apprentissage d’une démarche de véritable santé publique assez éloignée de la pratique historique française » [1].

33Concernant les attentes et ambitions exprimées dans les textes mettant en place les SROS3, on peut dire qu’à la lecture des différents SROS, les régions se sont relativement bien emparées de certaines idées telles que la flexibilité permise pour ces nouveaux territoires entre types d’activité et niveaux de soins [6]. Les différentes natures de territoire ont correctement été assimilées par les régions qui différencient les territoires d’organisation, de concertation et d’étude. Beaucoup de régions ont insisté sur l’importance de la consultation au sein de leur réflexion. L’association des usagers, des élus et des professionnels, dans la détermination des limites de territoires, participe à l’ambition des territoires de concertation.

34Malgré cela, certains aspects nous semblent moins bien traduits dans les réalisations régionales. C’est le cas de la médecine de ville qui a été plus rarement intégrée dans les réflexions territoriales des régions, tout comme le secteur social et médico-social. Les cloisonnements sont encore importants et la planification reste plus hospitalière que sanitaire. La recherche de cohérence territoriale se fait plutôt par une imposition des limites du territoire du plateau technique et du MCO, c’est à la psychiatrie et aux autres disciplines de s’en accommoder plutôt que de construire en commun un nouveau territoire de santé. Enfin, malgré les ambitions du territoire, il ne reste souvent qu’un outil, la preuve étant que dans beaucoup de régions les contrats pluri-annuels d’objectifs et demoyens(CPOM)entre les établissements et l’ARH ont souvent précédé les projets médicaux de territoire au lieu d’y répondre.

35Les schémas régionaux d’organisation des soins ont été arrêtés en 2006 pour la période 2006-2011. La synthèse que nous vous avons proposée s’est intéressée à la construction géographique des territoires de santé, étape essentielle du schéma d’organisation des soins. La suite consisterait à étudier plus précisément le contenu des territoires de santé et leur animation, de suivre la vie des territoires à travers les projets médicaux de territoires, les objectifs quantifiés d’offre de soins, les contrats d’objectifs et de moyens signés entre les établissements de santé et l’ARH. Leur construction incite-t-elle davantage à la coopération entre établissements et autres acteurs de la santé que les précédents secteurs ? Comment sont pensés les projets médicaux et les objectifs quantifiés sur des territoires si hétérogènes ?

Bibliographie

Références

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  • Polton D, Mauss H. Territoires et accès aux soins. Rapport du groupe de travail. Paris : La Documentation Française ; 2003.
  • Site des agences régionales d’hospitalisation, http://www.parhtage.sante.fr.
  • François N, Frankhauser P, Pumain D. Villes, densité et fractalité. Les Annales de la recherche urbaine. 1995;(7): 55-64.
  • Site de la Direction interministérielle à l’aménagement et la compétitivité des territoires, Observatoire des territoires [http://www.territoires.gouv.fr].
  • Coldefy M, Lucas-Gabrielli V. Les territoires de santé : des approches régionales variées de ce nouvel espace de planification, Document de travail. Paris : Institut de recherche et de documentation en économie de la santé ; 2008.
  • Julien P, Pougnard J. Les bassins de vie, au cœur de la vie des bourgs et petites villes. Paris : Institut national de la statistique et des études économiques, Insee première ; 2004.

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