Notes
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[1]
revue ESPRIT, Dec.1972
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[2]
Instantanés criminologique, N°23-1974
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[3]
Actes disponibles sur le site de l’ORSPERE.
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[4]
ORSPERE, Observatoire régional sur la souffrance psychique en rapport avec l’exclusion ; ONSMP, Observatoire National des pratiques en Santé mentale et précarité, actuellement dirigé par le DR.Halima Zeroug-Vial depuis ma retraite statutaire, structure devenue ORSPERE-SAMDARRA.
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[5]
Cf. Rhizome, numéros spéciaux 43 et 45, 2012
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[6]
J.Furtos, les cliniques de la précarité, Masson, 2008 ; et : de la précarité à l’autoexclusion, éd. De la rue d’Ulm, 2009.
-
[7]
Essai publié en 1896 sous le titre « solidarité », republié de nos jours par Amazone.
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[8]
Le capital au xxième siècle, Seuil, 2013
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[9]
Dernière intervention écrite : J. Furtos : « rompre l’isolement pré-suicidaire par une préoccupation inconditionnelle pour autrui, mais sans toute-puissance », bulletin du CPPCS, Centre Jean Bergeret, N° 7, Août 2016, 5-25
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[10]
J. Furtos : « Conduite à tenir pour la prévention des états pré-suicidaires », in Jean Guyotat, Psychologie médicale, Masson, Tome 2, 91-102.
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[11]
Cf. note 13
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[12]
J.Furtos , la transgression validée, Rhizome, numéro 25, déc. 2006, p.55.
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[13]
Déclaration de Lyon du 22 octobre 2011, congrès des 5 continents : les effets psychosociaux de la mondialisation, version française in : Rhizome, N° 45, article 1, p.66.
1Bonjour à tous,
2Monsieur le président, mesdames et messieurs les élus, Cher(e)s collègues, cher(e)s ami(e)s,
3Je suis heureux d’être à Rennes avec vous. J’y suis venu plusieurs fois pour le travail, et j’ai toujours apprécié. C’est un grand plaisir d’avoir été invité par mon ami Bernard Durand pour l’Association Santé Mentale France.
1 - Intégrer le social dans la théorie de la santé mentale
4Vous m’interrogez sur la question de la cohésion sociale et de la santé mentale. Ce sujet m’a permis de continuer de réfléchir plus avant, car cela fait déjà longtemps que cette question me travaille et que je la travaille. Pour mémoire, mes deux premiers articles, écrits pendant mon internat, en 1972 et 1974, ont porté, le premier sur l’analyse du livre « capitalisme et schizophrénie », de Gilles Deleuze et Felix Guattari [1], et le second sur l’analyse sociétale et médico-psychologique du suicide d’un couple de retraités dans un village Rhone-Alpin [2]. Mais quelque choses a basculé à partir de 1993 et a changé l’orientation professionnelle de ma vie. J’étais un psychiatre des hôpitaux satisfait de sa clinique, avec des responsabilités médico-administratives intéressantes, et voilà qu’une infirmière à rôle hiérarchique important au Centre Hospitalier le Vinatier, Jacqueline Picard, m’interpelle : « monsieur Furtos, il faut nous aider, les gens ne souffrent plus comme avant ». Honnêtement, je n’étais pas au courant. Cette collègue avait remarqué avec intelligence que les travailleurs sociaux et les éducateurs nous envoyaient des patients devant lesquels ils étaient en situation d’impuissance professionnelle, et qui nous mettaient nous-mêmes en situation d’impuissance : il s’agissait de RMIstes, de chômeurs de longue durée, de jeunes des banlieues en difficulté ; à l’époque, je ne connaissais que par les journaux ce type de problème. J’ai été contraint, sur l’insistance de cette infirmière, à organiser le premier colloque de langue française, et sans doute au monde, sur les devoirs et limites de la psychiatrie en rapport avec ce qu’on appelait alors la déqualification sociale [3]. A la suite de ce colloque, nous avons créé, avec Christian Laval, sociologue, un observatoire régional puis national de recherche sur l’exclusion et la précarité [4]. Nous publions la revue Rhizome, bulletin national santé mentale et précarité. Nous avons organisé moult recherches-actions avec les divers professionnels du social et du sanitaire, avec les politiques aussi, en grande difficulté devant ces changements sociaux qui nous donnent de nouveaux défis techniques et partenariaux. Nous avons organisé de nombreux colloques régionaux, nationaux, internationaux, dont, en 2011 le congrès des 5 continents, avec 45 pays, sur les effets psychosociaux de la mondialisation [5], et nous avons plaidé pour une écologie du lien social. Pendant longtemps, certains de mes collègues psychiatres me considéraient comme un déviant en train de devenir une quasi assistante sociale, ce qui n’était pas nécessairement un compliment dans leur bouche… C’est pourtant ainsi que nous avons été amenés à décrire une clinique psychosociale [6], 100% psychique et 100% sociale, à la fois différente et possiblement connectée à la psychopathologie classique, avec de nouveaux dispositifs et des partenariats élargis ; cela nous a permis de continuer d’affirmer, avec d’autres, que la santé mentale est une préoccupation collective qui n’appartient pas qu’aux psychistes ; la psychiatrie et les psys sont au service de cette santé mentale élargie au-delà des catégories médicales classiques, sans que personne ne perde son cœur de métier dont les contours s’élargissent cependant aux dimensions d’une société précarisée dont il est question aujourd’hui avec cette notion de cohésion, laquelle ne serait pas la même chose que la solidarité ; c’est en tout cas l’intuition et le cœur de l’argumentaire de votre colloque.
2 - Solidarité et cohésion sociale : les mots
5Le terme cohésion sociale est un terme noble, qui peut être banalisé, devenir un mot valise dans lequel on met ce que l’on veut, et surtout on peut oublier sa place et son usage politique. Il serait intéressant, et cela a peut-être déjà été fait, que des politologues et des sociologues étudient le moment du passage des politiques de solidarité à celle de la cohésion sociale, en gros entre la présidence de François Mitterrand et celle de Giscard d’Estaing. En 1993, le Commissariat general au Plan publiait un rapport intitulé « Cohésion sociale et prévention de l’exclusion », et un autre en 1997, intitulé « Cohésion sociale et territoires ». De fait, la notion de cohésion s’est substituée à celle de solidarité vers la fin des trente glorieuses ; la mondialisation sous sa forme actuelle a rompu le cercle vertueux entre solidarité sociale et progrès économique.
6Pour ma part, j’en parlerai d’un point de vue de psychiatre engagé dans la clinique psychosociale. Pourquoi utilise-t-on le terme de cohésion aujourd’hui ? Ce mot viendrait-il en effet remplacer la notion d’Etat-providence et de solidarité ? J’ai dû réfléchir là-dessus pour vous amener « des biscuits » qui nous permettront de penser ensemble. Le mot cohésion serait d’abord le signe de la déchirure du lien social, de son atomisation, et c’est pour cela qu’on l’emploierait comme on le fait avec celui d’écologie : parce que justement, c’est lorsque l’on se rend compte qu’il y a des problèmes d’eau, d’oxygène, d’épuisement de la terre, que l’on utilise le mot écologie. Pour ne pas dire épuisement de la terre on parle d’écologie ; on ne parlerait jamais d’oxygène et de couche d’ozone s’il n’y avait pas un problème, on ne parlerait pas de problème d’eau si on ne pensait pas qu’un jour il pourrait ne plus y en avoir dans certains pays et avoir des guerres pour l’eau, etc…L’écologie vient quand il y a perte d’équilibre et danger, souvent comme un discours impossible.
7De même, on parle de cohésion quand le lien social se délite à tel point que les gens ont une super pétoche, si vous me permettez cette trivialité, et on utilise le mot pour conjurer le risque et tenter de rassembler. Le mot cohésion vient d’un mot latin qui veut dire attacher des parties, des parties fragmentées qui, sans politique de cohésion, pourraient être détachées.
8Le terme de solidarité est bien différent. Je fais un détour par Jean-Jacques Rousseau qui a publié le contrat social en 1762 à Amsterdam. Cet ouvrage aurait pu passer inaperçu, mais pas après ce qui avait déjà été considéré comme des provocations dans ses écrits antérieurs. Il y parle d’une religion civile, ce qui était scandaleux : c’était la première fois qu’on parlait de laïcité sous cette forme. Il y parle d’une volonté générale et non pas de celle d’un seul, et il parle surtout de contrat social. C’était la première fois depuis Aristote qu’on parlait aussi directement du lien social qu’il n’a pas défini, il l’a présenté comme une évidence, comme un présupposé qui suppose un pacte fondamental, un contrat éthique : « sans quoi il n’y aurait ni solidarité dans le lien social (c’est aussi la première fois qu’on emploie le mot solidarité d’un point de vue politique), ni force réelle dans l’exercice de la souveraineté ».
9Je rappelle que le mot solidarité vient du latin solidum qui veut dire solide, quelque chose qui n’est pas fragmenté, qui peut être cassé mais qui a priori est un corps stable. Cette tension civile de solidarité est centripète, la solidarité est une force centripète qui vise à diminuer l’effet centrifuge des intérêts particuliers. Un siècle après, Durkheim, le fondateur de la sociologie française et au-delà, parle de ce lien social « qui est dans les cœurs » comme une représentation implicite qui fonde la société comme un être englobant l’ensemble des individus. Au fond, la solidarité sociale serait une bonne magie qui empêcherait l’éclatement du groupe ou le despotisme. Il y aurait donc un état centripète construit grâce à la solidarité, et un état centrifuge qui serait la société des individus atomisés. Dans son gros ouvrage sur le suicide, Durkheim parle de l’anomie, de la rupture des liens vivants et régulés entre les gens comme : « une maladie de la solidarité ». Ce qui insiste davantage sur la réciprocité des liens comme loi permettant la vie commune que sur le recours à la loi comme norme.
10Historiquement, la révolution française a modifié de fond en comble les solidarités de l’ancien régime, tandis qu’au xixème siècle, l’industrialisation et l’exode rural ont exigé la mise en forme de nouvelles solidarités proximales et sociétales comme les syndicats, les mutuelles, une politique du travail, une politique sociale. La Sécurité Sociale après la guerre de 39-45 et la médecine du travail en sont des paradigmes forts. Il a fallu attendre Léon Bourgeois, homme politique français de la fin du 19eme siècle, premier président de la Société des Nations en 1919, et prix Nobel de la Paix, pour qu’une véritable théorie de la solidarité voie le jour. Pour lui, la solidarité [7] est le résultat d’une dette transgénérationnelle entre ceux qui nous ont légué une société vivable et nous-mêmes qui en bénéficions, et qui devons la transmettre en l’améliorant à ceux qui viennent après nous. Du point de vue de cette dette, il y a un quasi contrat pour que la solidarité rétablisse les excès d’inégalité. Il s’agit en somme d’une forme concrète de la fraternité et de la justice. On sait que les inégalités augmentent dans le monde entier (Thomas Pikety) [8], et que la vision de la solidarité est devenue désuète. Friedrich Hahek, prix Nobel d’économie en 1974, a pu écrire : « une grande société n’a que faire de la solidarité ». On sait que l’Union Européenne valorise le côté assurantiel de la solidarité, la rendant liée aux lois du marché, la…désolidarisant du principe de solidarité, et qu’il reste l’assistanat pour les plus démunis, dévalorisé, replacé du côté de l’ancienne charité.
11Naturellement, être dans l’hyper-solidité, dans un effet uniquement centripète, peut être limitant. Lévi-Strauss a souligné qu’un excès de solidarité peut donner des sociétés froides qui n’échangent plus, qui n’ont plus la possibilité de co-errer (selon le terme de Loïc Villerbu à notre colloque), de fonder de nouvelles modalités de solidarité. On peut imaginer qu’une société qui fonctionne bien devrait avoir un mouvement synchrone de forces centripètes et centrifuges.
12Mais être dans l’effet centrifuge qui prédomine actuellement est la grande peur de notre époque. Je vais vous dire : j’ai trois enfants et l’un deux, l’une de mes filles, qui a fait des études très convenables, a eu peur de devenir SDF jusqu’à la fin de ses longues études. Pourquoi ? Parce que c’est une Française qui vit, comme beaucoup d’autres, dans un pays où la peur de la mauvaise précarité est à l’œuvre, elle avait peur de devenir SDF avec un père médecin et une mère infirmière : c’est une Française !
13Emmaüs a fait un sondage, il y a une quinzaine d’années, qui montrait que la majorité des Français avaient peur de devenir SDF. C’est remarquable que, dans la cinquième puissance économique du monde, une grande partie des Français sondés aient peur de devenir SDF, c’est-à-dire ne plus avoir de lieu où habiter dignement avec d’autres.
3 - Un exemple de différence entre les points de vue de la solidarité et de la cohésion sociale dans la prise en compte des états pré-suicidaires.
14Pour vous montrer la différence entre solidarité et cohésion, je vais parler de prévention du suicide. Comme je l’ai dit, pour Durkheim, le suicide c’est l’anomie, c’est-à-dire le délitement du lien social et de ses devoirs, « une maladie de la solidarité ». Personnellement, j’ai beaucoup travaillé sur le suicide [9], et j’en suis venu à une hypothèse de base : les personnes qui se suicident, qu’elles soient schizophrènes, dépressives, désespérées, banquiers en faillite, chômeurs, divorcées, malheureuses, enfants, délinquants, jeunes ados, en souffrance au travail, sont des gens qui pensent au-dedans d’eux-mêmes : « Plus personne, jamais, ne m’aidera à vivre ». C’est ça la violence de l’anomie : il n’y a plus la loi de la réciprocité entre l’autre et moi pour m’aider à vivre.
15Et justement, il y a une manière solidaire de prévenir le suicide, bien différente qu’en termes de cohésion pour prévenir la fragmentation.
16La prévention par solidarité repose sur la préoccupation inconditionnelle pour la vie de l’autre, et consiste à donner explicitement le message suivant : « Toi qui as envie de te suicider, et je comprends ton désir de suicide, tu as des raisons de te suicider ; eh bien moi, j’ai pour toi une préoccupation inconditionnelle pour ta vie, je veux t’aider à vivre. Comment pouvons-nous faire ensemble ? ». Dans ce sens, la prévention du suicide repose sur le désir de vie pour autrui, inconditionnel mais sans toute puissance, avec des stratégies qui vont avec, dont le contrat anti-suicide que j’ai élaboré dès 1983 [10]. C’est ça la solidarité.
17A l’inverse, ce que j’observe dans les modalités actuelles de prévention du suicide est bien différent. Le message implicite est qu’il ne faut pas que les gens se suicident parce que c’est trop embêtant : d’abord ils meurent, il faut faire venir la police, prévenir la famille, c’est une impuissance professionnelle considérable ; pour le groupe des hospitalisés, ce n’est vraiment pas l’idéal, et en plus on va avoir des problèmes avec la justice. Donc on fait des protocoles qui visent à surveiller l’apparition d’une crise suicidaire et à la traiter comme un symptôme. Je me suis battu contre les protocoles sur le suicide qui visent seulement à surveiller et à éviter à tout prix une issue fatale, pas nécessairement par préoccupation pour la vie de l’autre, mais parce que ça fait tache, si je peux me permettre. Je peux affirmer que les patients s’en rendent compte. Je connais un collègue, excellent et motivé dans son travail, qui travaille en clinique et qui dit à ses patients qu’ils n’ont pas le droit de se suicide « ici », c’est-à-dire en clinique ; il ne s’en rend pas compte, mais cela implique que dehors, ils ont toute latitude pour le faire. L’argument de type cohésion sociale, c’est ne pas avoir d’embêtement à cause d’un suicide.
18S’il est vrai qu’un procès après un suicide, dans une société qui se judiciarise de plus en plus, n’a rien de réjouissant, la motivation devrait être celle d’une solidarité interhumaine dans le contexte d’une situation soignante. Et en plus, elle est d’avantage efficace, cela va de soi, car les patients perçoivent bien la différence d’implication.
19En somme, avec cet exemple, on comprend que la solidarité est un devoir essentiel qui va de soi, alors que la cohésion est contra-phobique, elle vise à faire bien pour éviter la catastrophe qui fait peur.
4 - Rapport entre solidarité et précarité, définir les mots
20Je vais maintenant vous parler de précarité, et faire le lien avec la solidarité et la cohésion sociale. J’ai dit en commençant comment j’ai été amené à considérer ce problème. J’ai étudié cliniquement les effets de la mauvaise précarité, celle dont on se passerait bien, mais on oublie facilement que la précarité et l’exclusion contre lesquelles on tente de lutter ne sont que le dévoiement d’une précarité essentielle de tous les humains, que, par contraste, j’appelle « bonne précarité ».
21Il faut définir cette « bonne précarité ». On peut aussi l’appeler bonne vulnérabilité. Il suffit qu’on sache ce que l’on veut dire. Le mot précaire vient du mot latin precari qui veut dire supplier, demander pour avoir, prier. Ce qu’il y a d’intéressant dans cette notion, c’est que l’autre est d’emblée convoqué, choses précieuse en période d’hyperindividualisme : j’ai besoin de l’autre, des autres. A l’inverse, le mot vulnérabilité n’implique pas l’autre dans sa définition, il vient du latin vulnus qui veut dire « blessure » : être vulnérable veut dire être « blessable », il y a des « blessabilités » individuelles et « des blessabilités collectives » ; mais la notion de précarité ajoute, par rapport à cette fragilité au trauma, le besoin intrinsèque de l’autre. En anglais contemporain, malgré la même étymologie latine, on peut difficilement traduire convenablement le mot précarité car precarious veut dire être au bord du gouffre, si je fais un pas de plus je tombe au fond du gouffre. Quant au mot precarity, il n’est guère employé, c’est un mot devenu désuet, sauf au Royaume-Uni sur le plan technique des politiques européennes de lutte contre la précarité et l’exclusion, donc du point de vue de la précarité négative et.. maintenant du Brexit. C’est pourquoi j’ai dû trouver des manières d’expliques la bonne précarité à mes collègues anglo-saxons.
22Le bon exemple que j’ai trouvé lors d’un congrès en Australie est celui des kangourous. La maman kangourou fait une fausse couche naturelle à un mois de grossesse : après 33 jours de vie intra utérine, le petit kangourou, l’embryon, sort, c’est un avortement naturel, et l’avorton ne peut absolument pas vivre à ce stade : il n’a pas de poils, il n’a pas d’yeux, mais une bouche, et des griffes aux membres supérieurs, qui s’atrophieront à l’âge adulte. En une minute il va ramper à travers la fourrure de maman, rentrer dans a poche qui n’est pas du tout une poussette, mais un continuum utérin où il va se brancher sur l’un des quatre mamelons ; c’est ainsi qu’il va terminer un développement viable qui lui permettra de sortir et de revenir dans la poche avant d’être viable à l’extérieur de sa mère. Et bien, disais-je à mes collègues, ce qui pousse ce petit kangourou à aller vers la poche de sa mère, c’est la perception instinctuelle de sa précarité, la bonne, sans laquelle il est mort. Et c’est cela, la bonne précarité : sans l’autre, je ne peux pas vivre. Remarquons le paradoxe dans cette précarité qui aide à vivre : le petit kangourou est autonome pour accepter la dépendance nécessaire vis à vis de l’autre, le besoin de l’autre, c’est-à-dire qu’il commence à ramper par lui-même. Si l’environnement est bon, s’il n’y a pas de famine qui modifie le comportement de la mère, si un prédateur ne passe pas là à ce moment, tout va bien. Ainsi, nous devons savoir que nous avons besoin d’une poche tout au long de notre vie, pas forcément à un niveau instinctuel, pas forcément celle de maman, mais une poche psychologique, amicale, amoureuse, sociale, politique…
23Ainsi nous avons besoin des autres, tout particulièrement quand nous sommes tout petits, quand nous sommes très vieux, quand nous sommes malades, quand nous avons des accidents de la vie, quand nous sommes en pays étranger, autant de situations où nous sommes encore plus précaires. En fait, nous en avons besoin peu ou prou tout au long de notre vie. Les hommes naissent libres, égaux… et précaires [11], c’est à dire qu’ils ont besoin du rapport à l’autre tout au long de leur vie, ne serait-ce que d’amitié, d’amour, ou de pouvoir résoudre des problèmes techniques. C’est important de l’avoir bien en tête parce qu’actuellement l’idéologie est absolument contraire, elle consiste à dire que nous devons tous être autonomes, c’est à dire ne plus être dépendant, devenir autarcique, un autiste social. Or, on ne peut être autonome que si on est suffisamment dépendant dans un milieu non excessivement traumatique. La pathologie, c’est de perdre l’autonomie d’être correctement dépendant en cas de besoin, c’est de perdre la capacité de demander de l’aide. La mauvaise précarité commence à ce moment précis où, en cas de besoin, je ne peux demander à quiconque de m’aider, voire je récuse l’aide proposée. L’autonomie au sens philosophique du terme viendra après, comme une conquête : penser par soi-même, décider, être capable de solitude.
24Dans un environnement suffisamment bon, cette bonne précarité donne une triple confiance :
- confiance dans les autres : les autres ne sont pas mes ennemis, on n’est pas dans un monde paranoïaque ;
- confiance en soi : si on s’occupe de moi quand je suis en difficulté, c’est que je suis bon, c’est que je vaux le coup, constitution du narcissisme ;
- et confiance dans l’avenir : si demain j’ai des problèmes il y aura toujours quelqu’un pour m’aider, et puis, s’il n’y a personne, je me débrouillerai par moi-même, mais je sais qu’il y aura toujours un copain, une assistante sociale, un médecin, quelqu’un. Il y a ainsi la possibilité du grand temps, qui est celui de la communauté des vivants, des morts et des pas encore nés, temps où peut s’exercer la dette et le don évoqués dans la conception de Léon Bourgeois sur la solidarité. Temps où s’origine la confiance et la paix intérieure.
26Nous assistons actuellement, à ce moment de notre histoire, à une tendance fâcheuse pour la narcissisme, pour le lien social et pour l’expérience du grand temps: la transformation sur une grande échelle de cette bonne précarité (la bonne dépendance, l’interdépendance, la solidarité et la mutualité réciproque) en mauvaise précarité, qui elle, se caractérise précisément par une triple perte de confiance :-les autres sont dangereux pour moi, soit la paranoïa sociale -je n’ai plus confiance en moi -l’avenir est une catastrophe annoncée, le passé est mélancolique ou traumatique.
27La triple confiance devient une triple méfiance qui donne, par rapport à ce que nous connaissons :
- l’hyper individualiste contemporain que je pourrais qualifier, si vous me permettez d’être un peu vulgaire, à la Coluche, « chacun sa merde ». Forme de mélancolie sociale sur laquelle cherchent à s’exercer les politiques de cohésion sociale ;
- la paranoïa contemporaine et les politiques sécuritaires. Si le lieu où vous travaillez est fermé et qu’il faut sonner pour ouvrir, c’est que l’usager est considéré comme dangereux a priori, paranoïa sociale validée par l’institution : on ne peut pas faire confiance aux gens, on ne peut pas faire confiance aux malades mentaux, ce sont des assassins en puissance. On ne peut pas faire confiance aux étrangers ce sont des voleurs, on ne peut pas faire face aux adolescents, ils ne travaillent pas, ils n’ont aucune vision de l’avenir. Le terrorisme actuel n’a pas constitué la paranoïa sociale contemporaine, il vient comme une validation, et comme un vrai souci ;
- perte d’un avenir qui appelle, précarisation+++ de la transmission des générations, perte de la dette intergénérationnelle. On sait qu’on paie sa dette en rentrant dans le don ; donc la perte de la dette est du même coup celle du don de soi.
29Ce qui reste, c’est de prendre « mon » plaisir avant d’arriver à la retraite ou avant de mourir (ce que j’appelle l’hédonisme de désenchantement) ; ou alors je vais accélérer le temps, tout devient urgence, c’est le temps maniaque ; ou enfin je vais ralentir le temps, tout s’arrête, plus rien n’a d’importance, c’est le temps dépressif ; ou alors j’attends la catastrophe en permanence, temps traumatique.
30Cette question de la confiance est cruciale, imaginez : vous conduisez, nous conduisons, et si on ne conduit pas, ce sont les chauffeurs des bus et de TGV qui conduisent ; imaginez qu’on n’aie pas confiance quand on prend un virage, celui qui vient en face ne va pas rouler à droite ou sur les bons rails : si on avait peur que ce soit complétement aléatoire, que celui qui vient en face roule à droite à gauche, on ne pourrait plus conduire, ou alors avec une peur et une agressivité majeures. On ne peut rouler sur les routes que parce que, a priori, on fait confiance, bien conscient que tout le monde n’est pas un chauffard. Disons-nous bien que, dans la société précaire qu’on observe aujourd’hui, tout ce passe comme si on perdait confiance et comme si notre rôle à nous, qui sommes dans le social, le sanitaire, le politique, était prioritairement de travailler sur la question de la confiance, sur les conditions de la confiance et de son rétablissement.
5 - L’un des paroxysmes de la mauvaise précarité est la constitution du syndrome d’auto-exclusion, soit le rapport clinique de la rencontre d’un sujet et d’un environnement excluant, anomique, comme aurait dit Durkheim. J’ai décrit ce syndrome d’abord chez les plus démunis, mais personne n’en est immunisé.
31C’est ce qui se passe quand on perd confiance, quand on ne peut plus compter sur les autres en situation où on aurait besoin de liens, de solidarité. On passe d’abord par une période de découragement. Jean Maisondieu, le premier psychiatre en France à avoir étudié les effets de l’exclusion, m’a appris qu’il ne fallait pas confondre découragement et dépression. Quelques fois, des gens découragés on dira à tort qu’ils sont dépressifs, on leur donnera un antidépresseur ; mais il y a une différence fondamentale entre ces deux notions : vous dites à quelqu’un de dépressif : « ne t’en fais pas mon vieux ça va aller mieux demain », il ne vous croit pas ; mais si vous dites à quelqu’un de découragé : « ne t’en fais pas mon vieux ça va aller mieux demain », il vous croit, surtout si vous faites ce qu’il faut pour l’encourager. C’est-à-dire que le découragement attend d’être encouragé, la dépression c’est quelque chose d’un peu plus compliqué ; quand on est déprimé les arguments nous touchent beaucoup moins, sauf s’il s’agit d’un mouvement dépressif non pathologique, qu’on peut avoir de temps en temps, une forme de spleen. Donc vous voyez, le découragement fait qu’on lâche le fait de se battre pour vivre, et ça peut conduire jusqu’au désespoir. C’est l’environnement qui favorise ce mouvement : les gens ne m’aiment plus, je ne m’aime plus, je n’ai plus de place dans la société, je suis sur une autre planète, personne ne pourra jamais m’aider, je vais tout perdre, c’est la mauvaise précarité. L’auto-exclusion est l’une des réactions possibles du sujet humain dans un tel environnement : prendre sur soi l’exclusion pour ne plus souffrir du manque de l’autre.
Les signes d’auto-exclusion :
32La première action de l’auto-exclusion est la déshabitation de soi-même. Et ceci par un ternaire de trois signes plus ou moins intriqués.
- Premier signe : déshabiter son corps par l’anesthésie ou l’hypoesthésie du corps. L’anesthésie de la peau, que certains patients psychotiques ont à certains moments, n’est pas un signe psychotique mais d’auto-exclusion. C’est à dire se couper de soi pour ne plus sentir la souffrance. Bien sûr, anesthésie ou hypoesthésie des organes internes : on peut avoir une colique néphrétique ou un ulcère d’estomac sans souffrir, une gangrène également ; on peut aussi accoucher sans le sentir.
- Deuxième signe : l’anesthésie des émotions, qui va d’ailleurs de pair avec l’anesthésie corporelle, car toute émotion passe par le corps. Y compris la disparition du sentiment de honte. Quand les gens ont honte d’avoir fait quelque chose de mal, il ne faut pas leur dire de ne pas avoir honte, c’est parfois important d’avoir honte, de sentir un écart par rapport aux valeurs communément admises, ce qui signifie que l’on garde la notion de valeurs communes à l’intérieur du lien social. Bien sûr, je ne parle pas de la honte par humiliation, mais de la vergogne.
- Troisièmement signe du ternaire : l’inhibition de la pensée, c’est à dire qu’on pense moins la situation dans laquelle on est ; on peut croire que ces gens sont bêtes, alors que non, il y a des gens certes plus intelligents que d’autres, mais en tous cas, tout ce passe comme si la personne était congelée pour ne pas souffrir de la situation; quand on est congelé (corps, émotion, pensée) ça va mieux, quand on se décongèle, ça va moins bien.
- L’auto-exclusion se déploie par un quatrième signe : la rupture active des liens. En réalité, ce n’est pas que l’on n’aime plus les gens, ce qui s’opère ici est une rupture active des liens pour se protéger. Ce n’est pas que les gens n’aiment plus leur parent, leur sœur, leur frère, leur enfant, leur femme, leur mari, c’est qu’ils ne peuvent plus tenir la relation parce qu’elle est devenue excessivement ambivalente. C’est ce qui donne aussi dans les sociétés précarisées le nomadisme médical, le fait qu’on n’a plus confiance en un médecin (ou en une assistante sociale) : on utilise beaucoup l’urgence parce qu’on ne peut plus aller voir quelqu’un sur rendez-vous. Les pratiques de cohésion sociale sont stimulées par cette rupture active de liens.
- Le cinquième signe : permet de retrouver la différence entre bonne et mauvaise précarité : celle-ci ne peut plus demander en cas de besoin de l’autre : la non demande fait partie des signes paradoxaux.
- le premier signe paradoxal, c’est : « plus je vais mal, moins je demande de l’aide ». Normalement, quand on va bien psychiquement, c’est : « plus je souffre, plus je demande de l’aide ». Soit quelqu’un qui souffre le martyre, quel qu’en soit la raison, et qui dit « écoutez docteur aidez-moi, faite quelque chose pour moi, sinon je vais me tuer » : pour moi il va bien, il souffre le martyre mais il va bien psychiquement : il est dans la bonne précarité. En fonction des possibilités, il pourra recevoir une aide substantielle.
- Le second signe paradoxal, c’est : plus on vous aide moins vous allez bien ; c’est un signe très décourageant pour nous, les aidants professionnels. Cela s’appelle la réaction thérapeutique négative. Normalement, quand les gens vont encore bien psychiquement, plus on les aide, plus ils vont bien ; mais quand on passe dans un certain niveau de fonctionnement, ou plutôt de logique de survie, et non de vie, on sort du principe de plaisir-réalité, on passe du côté de la répétition du mauvais destin. Il y a là une logique à comprendre et à intégrer : supposons qu’il faille recoudre une partie de votre main parce que vous êtes blessé, on va vous mettre un garrot pour que ça ne saigne pas ; quand on enlève le garrot après un certain temps, 20 minutes par exemple, vous allez avoir très mal parce que le sang circule à nouveau, dans une portion du corps qui en avait perdu l’habitude. Et bien c’est la même chose : quelqu’un a été en auto-exclusion pendant des jours, des semaines, des mois ou plus, les émotions et les sensations n’ont plus circulé, et quand on veut lui enlever le garrot (l’anesthésie c’est un garrot, l’inhibition intellectuelle c’est un garrot, l’émoussement affectif c’est un garrot), ça fait mal, toute la souffrance revient. Ce qui signifie qu’il ne faut pas soigner les gens trop vite, sauf s’il y a des signes de mort imminente ou une menace de violence. Il faut élaborer des stratégies qui réservent le fait de ne pas lever le garrot trop vite ; mais quelque fois il y a une levée rapide du garrot, alors il faut faire attention et accompagner, et ne pas être surpris des effets paradoxaux.
- Troisième signe paradoxal : l’inversion séméiologique, qui permet de comprendre des comportements inverses de ceux auxquels on s’attend, à savoir : un sujet en auto-exclusion racontera à un travailleur social sa vie, son enfance, son intimité, les sévices subis, et l’assistante sociale en sera encombrée, alors elle dira : « allez voir un psy ». Et au psy, le sujet dira : je n’ai pas de logement, je n’ai pas de travail, et il le réorientera sur le travail social. On décrit ainsi le supposé syndrome de la patate chaude, qu’on ne peut arrêter que si l’on comprend que la parole est adressée, même paradoxalement, à la bonne personne qui doit apprendre à travailler aux marges de son cœur de métier, et aussi en réseau.
- Sixième et septième signe : c’est dans ce cadre général de découragement qui entraîne l’auto-exclusion que je mets l’errance et le syndrome de Diogène, je n’en dirais pas plus maintenant. Il s’agit d’une manière de fuir le lien et de vivre la perte.
- Et puis, dernier signe, la mort prématurée par le fait de ne pas sentir son corps, de ne pas sentir les pathologies qu’on a, de refuser de demander de l’aide quand on va mal, le fait d’être dans une errance ou en Diogène, tout ça ne facilite pas l’accès aux soins…D’où la nécessité d’un accompagnement compréhensif qui vise à tenir la solidarité avec des stratégies appropriées
Comment s’exprime la souffrance dans le syndrome d’exclusion qui immobilise cette souffrance du sujet ?
34La première manière dont elle s’exprime, c’est chez celui qui aide, qui accepte d’être là, et c’est pour cela que je dis : le premier signe de la clinique psychosociale, c’est le malaise de l’intervenant, qui est une souffrance portée. Il faudra en être conscient et en parler avec soi-même et avec d’autres, la mettre en narrativité et en sens. Un individu seul, ça n’existe pas, nous sommes connectés ; alors, si l’on n’est pas soi-même blindé ou en auto-exclusion, on souffrira la souffrance anesthésiée de celui qui est en auto-exclusion, c’est en somme une forme de solidarité qui fait partie intégrante du travail d’aide et d’accompagnement. Elle n’est pas sans risque et nécessite cette mise en narrativité que j’ai dite juste avant.
35Autre manière pour la souffrance de s’exprimer : Les drogues, comme l’alcool ou les substances interdites, sont une manière de se dés-anesthésier : quand on sent qu’on est complétement bloqué, on boit, on fume ceci ou cela, on va sentir son corps vivant, son esprit fluide, mais le médicament ne tient pas dans le temps. La souffrance anesthésiée pourra aussi s’exprimer sous forme de violence ou de rupture, ou sous formes d’urgences sociales, somatiques, psychologiques.
Conclusions
36Les pathologies du découragement et du désespoir n’appartiennent à personne, elles sont trans-nosographiques et indépendantes du statut social, bien que la précarité sociale puisse les favoriser. Il faut garder comme point de vigilance le contexte morbide particulier, ne certainement pas être dans le déni, mais garder l’horizon de l’humanité souffrante dans une position de bonne précarité, de solidarité interhumaine. Cela suppose d’être capable de rencontre dans une relation suffisamment distanciée et proche à la fois.
37Dans le mot rencontre, il y a « contre », rencontre de boxe, de catch, de football ; dans la rencontre il y a de l’altérité qui donne lieu à des échanges parfois vigoureux, avec ou sans fair-play, avec ou sans respect. Si l’on sort des métaphores sportives, il faut savoir qu’il n’y a pas de rencontre sans être affecté, dérangé par autrui, ce qui signifie qu’autrui existe puisqu’il nous modifie, souvent dans un dérangement réciproque. Dans la clinique psycho-sociale, donner la permission aux gens de nous déranger, y compris dans notre équilibre psychosomatique, au point d’en avoir un malaise et d’en souffrir, mais en faire quelque chose pour le bien, c’est notre première exigence éthique ; tout en ajoutant immédiatement que notre second devoir est de rester vivant, parce que si nous devenons nous-mêmes des survivants en auto-exclusion, comment pouvons-nous aider ? Le dérangement est habituel dans les cliniques de la précarité qui font partie des cliniques de l’extrême, lesquelles ont la particularité de mettre à mal les normes. Il faut donc pouvoir se permettre des transgressions du cadre normatif pour s’adapter au réel de l’extrême, avoir des marges de manœuvre [12]. Certes, il faut connaître son cadre, ne pas faire n’importe quoi, pouvoir rendre compte et faire valider ce qu’on fait devant l’équipe et la hiérarchie ; mais il y a des transgressions nécessaires à l’intelligence de l’action, et celui qui ne transgresse jamais, qui fait tout par habitude, rentre dans un monde protocolisé sans rencontre, sans relation, sans innovation.
38L’éthique de l’action suppose une reconnaissance de l’appartenance de tous les protagonistes à une commune humanité, en acceptant les différences. A notre époque, on a tendance à considérer la précarité comme un degré vers la pauvreté, et il est légitime d’intervenir à ce niveau : la perte des sécurités en terme d’emploi, d’habitat et de finances est un vrai souci. Il y a donc les personnes ainsi qualifiées de précaires, et les autres. Mais l’on risque d’oublier, nous l’avons déjà dit, que le mot précarité vient du latin precari, qui signifie prier l’autre, que ce soit Dieu, un voisin, un parent, un professionnel : la précarité a à voir avec la nécessaire demande d’un sujet qui sait que, seul, il ne peut pas vivre. C’est cela notre commune précarité, nous avons absolument besoin de l’autre, des autres, pour vivre ; accepter pour de vrai que nous sommes tous précaires est le postulat de base d’un travail éthique. « Les êtres humains, libres et égaux en droit, naissent et demeurent précaires tout au long de leur vie dans la mesure où ils ont absolument besoins des autres pour vivre » [13].
39La solidarité est aujourd’hui coupée de la notion vécue de fraternité. Je crois que nous pouvons la redécouvrir en prenant intimement conscience de notre mutuel besoin de l’autre pour vivre : la bonne précarité est à la racine de la solidarité, elle permet de rester vivant dans un monde de flux mondialisés où les personnes n’existent que comme des individus indifférents ou instrumentalisés les uns par rapport aux autres. Vivre dans les politiques actuelles de cohésion sociale contraphobique, avec l’ambition de redevenir précaires, dans le bon sens, et solidaires, voici notre premier devoir micro et macrosocial.
Mots-clés éditeurs : solidarité, Cohésion, autoexclusion, précarité, question de société
Date de mise en ligne : 15/05/2017.
https://doi.org/10.3917/psm.171.0022Notes
-
[1]
revue ESPRIT, Dec.1972
-
[2]
Instantanés criminologique, N°23-1974
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[3]
Actes disponibles sur le site de l’ORSPERE.
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[4]
ORSPERE, Observatoire régional sur la souffrance psychique en rapport avec l’exclusion ; ONSMP, Observatoire National des pratiques en Santé mentale et précarité, actuellement dirigé par le DR.Halima Zeroug-Vial depuis ma retraite statutaire, structure devenue ORSPERE-SAMDARRA.
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[5]
Cf. Rhizome, numéros spéciaux 43 et 45, 2012
-
[6]
J.Furtos, les cliniques de la précarité, Masson, 2008 ; et : de la précarité à l’autoexclusion, éd. De la rue d’Ulm, 2009.
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[7]
Essai publié en 1896 sous le titre « solidarité », republié de nos jours par Amazone.
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[8]
Le capital au xxième siècle, Seuil, 2013
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[9]
Dernière intervention écrite : J. Furtos : « rompre l’isolement pré-suicidaire par une préoccupation inconditionnelle pour autrui, mais sans toute-puissance », bulletin du CPPCS, Centre Jean Bergeret, N° 7, Août 2016, 5-25
-
[10]
J. Furtos : « Conduite à tenir pour la prévention des états pré-suicidaires », in Jean Guyotat, Psychologie médicale, Masson, Tome 2, 91-102.
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[11]
Cf. note 13
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[12]
J.Furtos , la transgression validée, Rhizome, numéro 25, déc. 2006, p.55.
-
[13]
Déclaration de Lyon du 22 octobre 2011, congrès des 5 continents : les effets psychosociaux de la mondialisation, version française in : Rhizome, N° 45, article 1, p.66.