1 Il y a 10 ans, je commençais mon métier mon travail de thèse de doctorat a la place des clubs en psychiatrie (numéro 3 et 4 de Pratique en Santé Mentale 2007).
2 Je cherchais à interroger les liens entre les clubs thérapeutiques (dans leur aspect d’agent institutionnel désaliénant pendant la seconde guerre mondiale à Saint-Alban puis comme point d’ancrage, pivot pour les patients et les soignants dans les secteurs psychiatriques), et les nouveaux clubs « d’accueil et d’entraide » finalement officialisés sous l’appellation « Groupes d’Entraide Mutuelle », GEM.
3 Il semble qu’initialement, les GEM se soient construits plutôt contre le caractère officiellement thérapeutique des clubs, refusant toute présence soignante, tout lien direct avec les soins, les structures hospitalières... autrement que sous forme de conventions légales de recours en cas de problèmes sanitaires, ou parfois de recours à des conseillers professionnels de soins, n’intervenant pas sur le terrain.
4 Plusieurs questions continuent de m’habiter aujourd’hui quand je suis amenée à rencontrer les patients, ou usagers de la psychiatrie, dans différents cadres : à l’hôpital, au CMP, à l’HDJ, lieux où j’exerce comme psychiatre traitant ; au GEM où je suis adhérente en tant que « psychiatre amie des
5 GEM » !, et même dans certains colloques ou revues où soignants et adhérents de GEM travaillent et réfléchissent ensemble...
6 D’abord comment repérer, comment être sûr qu’une activité, un groupe, un établissement sont thérapeutiques ? Comment définir le soin, entre ce qui guérit et ce qui fait du bien ? Entre ce qui est défini dans le statut du professionnel et ce qu’il fait réellement. Est-on soignant parce que dans son statut est indiqué le qualificatif thérapeute ? Ou bien peut-on attribuer des aspects thérapeutiques à toute personne entrant dans la constellation présente autour de chacun ?
7 Lors des dernières journées Croix-Marine, Maïté Arthur présidente du GEM Les Canoubiers à Marseille, nous faisait part des résultats d’une enquête réalisée par les adhérents des GEM auprès de leurs psychiatres traitants sur les effets de la fréquentation du GEM, et il apparaissait que la majorité des praticiens interrogés ne notaient que des effets bénéfiques sur la santé et l’équilibre psychique des adhérents, à différents niveaux. Alors, les GEM, thérapeutiques ?
8 Ensuite, une question récurrente et loin d’être élucidée dans ma pratique quotidienne: qu’induit le « regard soignant » ? Celui là même que les usagers/ acteurs et consommateurs de soins dénoncent comme « aliénant, paternaliste, inhibant... », un regard qui considère les personnes malades comme « objets passifs de prises en charge » sans initiative ni part active dans les soins...
9 Un regard qui pourtant part d’une volonté et d’une tentative de compréhension des troubles, souffrances et de leurs retentissements de la part des soignants... Soignants dont le regard ne parviendrait souvent qu’à réduire les personnes à leurs troubles ?
10 À cette question, je répondrai que ma participation régulière à des réunions et groupes en tant que membre adhérente de GEM m’apprend beaucoup, m’apprend ce décalage, ce pas de côté si précieux. Rencontrer des personnes suivies en psychiatrie, en dehors des lieux de soins et des périodes de crise, dans des espaces où elles exercent initiatives et responsabilités et où nos statuts officiels ne nous assignent pas à un mode relationnel pré-établi, me permet régulièrement d›analyser et ajuster mon « regard » tant dans ces espaces, que dans ma pratique de soignante. Dans ces associations, les relations s’établissent entre adhérents en termes d’échanges et partages de savoirs, d’entraide et de solidarité, oubliant les éventuels rapports hiérarchiques et asymétriques type « soignants-soignés » ; et de ce point de vue, les rapports ne peuvent plus se réduire à un repérage nosographique, ni à une vision étroite en terme de fonctionnements pathologiques.
11 Il apparaît, après 10 ans de fonctionnement des GEM, que ces associations originales dans leur forme (associations de personnes plus ou moins directement suivies en psychiatrie ou souffrant de fragilités psychiques, mais sans nécessité d’une reconnaissance officielle type « handicap psychique »), sont effectivement des institutions dans lesquelles les membres peuvent exercer leur citoyenneté et s’ouvrir sur l’extérieur, la société et la cité. Nous avons axé ce numéro sur le recueil de diverses expériences allant dans ce sens.
12 Mais, alors que cette dimension d’ouverture sur la cité était inscrite dans les idées princeps de la politique de secteur, pourquoi aura-t-il fallu attendre si longtemps et réinventer ces principes en dehors voire contre la psychiatrie de secteur ? Qu’est- ce-qui a raté dans la mise en place des structures intra et extra hospitalières de secteur, post-asilaires, pour aboutir à nouveau à des effets aliénants et cloisonnants tels que nous les connaissons dans les services de psychiatrie aujourd’hui ? Cloisonnements délétères entre intra et extra hospitalier, entre secteur sanitaire et social, qui ont conduit à cette mobilisation des « usagers », vers la ré-invention de l’outil associatif (déjà connu et utilisé depuis la circulaire de 1958) comme outil d’émancipation et d’autonomie, mais cette fois non ou peu articulé avec les lieux de soins, qui demeurent ainsi aussi isolés et potentiellement toxiques ?
13 Comment ces « vacuoles de subversion et d’autonomie » que constituent les GEM pourraient- elles venir réinjecter du collectif et de la créativité dans les lieux de soins aujourd’hui ?
14 Sur le plan du montage administratif et financier, les GEM sont financés par l’ARS via la CNSA, qui délivre chaque année une subvention de 75 000 euros pour le fonctionnement du GEM, s’il remplit les critères d’activités et de fonctionnement requis par le cahier des charges (dont une nouvelle version est attendue en 2016). Le dispositif est constitué d’une association loi 1901 d’adhérents « usagers », ainsi que d’une association de parrainage et d’une association gestionnaire. Les rôles et fonctions de ces 2 dernières varient d’un GEM à l’autre, comme le montrent les témoignages recueillis. Pour certains, l’embauche et la gestion des animateurs salariés, ainsi que la gestion de la subvention ARS, de l’immobilier et des gros dossiers administratifs, sont confiés à une association gestionnaire ; pour d’autres, tous ces aspects sont traités par l’association d’usagers et le bureau (avec l’aide d’un cabinet comptable), accompagnés par les animateurs salariés et par l’association de parrainage.
15 On voit poindre l’ambigüité et la complexité des relations qui peuvent s’établir entre les « animateurs embauchés et salariés » par les « usagers employeurs », eux-mêmes pris dans des enjeux de fragilité psychique fluctuants. On voit aussi les nuances et positionnements délicats que peuvent représenter le passage du statut d’adhérent à celui d’animateur bénévole voire d’animateur salarié, ou encore les responsabilités au sein du bureau de l’association qui parfois ne pourront être assumées que par certains adhérents et ce, pendant plusieurs années. L’engagement associatif, lorsqu’il représente un investissement très important, peut devenir l’équivalent d’une activité professionnelle, posant alors la question de la rémunération au sein du GEM ou de l’insertion vers l’emploi.
16 De nombreuses questions sont posées aujourd’hui autour de la formation et de la qualification des animateurs salariés des GEM, une profession nouvelle dans le champ du médico-social et de la santé mentale. Un Diplôme Universitaire « animateur de GEM » a été créé à Paris 8, plusieurs témoignages sur les blogs rapportent la complexité de cette fonction, toute en finesse pour se situer au service des adhérents tout en assurant une certaine stabilité et continuité au delà des aléas de la fragilité psychique de leurs employeurs, sans « décider à la place de » mais restant disponible à toute initiative proposée. Il est souvent demandé aux animateurs de n’avoir aucune formation soignante ni psychologique, bien sûr dans leur statut légal (ni art-thérapeute, ni psychologue, ni infirmier…), mais leur sensibilité et leur bienveillance éclairée restent indispensables. Nous repérons ici la différence chère à Jean Oury entre statut, rôle et fonction ; il ne s’agirait pas non plus au bout du compte « de trop se prendre pour un animateur de GEM » !
17 Le panorama des GEM aujourd’hui reste assez hétérogène, c’est sûrement ce qui fait leur richesse. Plusieurs points presqu’anecdotiques semblent refléter la dimension vraiment subversive de ces espaces par rapport à tous les autres établissements accueillant des personnes suivies en psychiatrie : les usagers ont ils la clé du local ? Occupent-ils réellement les postes à responsabilité du bureau de l’association ? Ont-ils accès à la gestion des finances de l’association ? Sont-ils régulièrement consultés pour toutes les décisions concernant la vie de l’association ?
18 Nous espérons que la lecture des témoignages recueillis pour ce numéro pourront aider à répondre à ces questions et ouvriront vers d’autres chemins de réflexions et témoignages pour des rencontres interGEM à venir.
Mots-clés éditeurs : Psychiatrie, Citoyenneté, Regard, Club thérapeutique, Groupe d’entraide mutuelle
Date de mise en ligne : 30/11/2015.
https://doi.org/10.3917/psm.154.0025