Couverture de PSM_144

Article de revue

Entretien avec Denys Robiliard

Député de Loir-et-Cher, Rapporteur de la mission parlementaire sur la santé mentale et l'avenir de la psychiatrie.

Pages 5 à 10

1La mission parlementaire sur la santé mentale et l’avenir de la psychiatrie a été installée dans le contexte particulier de la mise en œuvre de la loi du 5 juillet 2011. Celle-ci a été perçue comme l’expression légale d’une politique sécuritaire impulsée par les plus hautes autorités de l’Etat pendant plusieurs années dont le symbole a été le discours d’Antony de décembre 2008. Cette mission a procédé à de nombreuses auditions durant toute l’année 2013 et a publié son rapport en décembre 2013.

2 Un premier rapport d’étape avait permis d’apporter une première modification à la loi de 2011, suite à la décision du Conseil constitutionnel n° 2012-235 du 20 avril 2012 prise à la suite d’une QPC remettant en cause le régime dérogatoire applicable à la sortie des personnes ayant séjourné en UMD ou déclarées pénalement irresponsables.

3 Pratiques en Santé Mentale : Vous avez été rapporteur de la mission sur la santé mentale et l’avenir de la psychiatrie et n’avez manqué aucune des auditions des nombreux acteurs que celle-ci a rencontrés. Vous vous êtes également déplacé sur le terrain à la rencontre de certaines équipes de psychiatrie et votre rapport d’étape a été à l’origine d’un aménagement de la loi de juillet 2011.

4 Pensez-vous que le législateur a vraiment transformé cette loi d’inspiration sécuritaire en une loi de progrès pour les personnes soignées en psychiatrie ?

5 Denys Robiliard : Ma réponse est dans le rapport ; cette loi a été vue par une partie de l’opinion et par les psychiatres comme étant une loi purement sécuritaire. Il est vrai que le discours d’Antony a bien été à la source de la loi, mais cette inspiration n’a pas été la seule ; dès le départ, il y avait une autre dimension qui était celle de la recherche de la continuité des soins : certes ce changement de paradigme pose de vraies questions, mais la continuité des soins n’est pas d’ordre sécuritaire. De plus, la décision du Conseil constitutionnel, suite à une QPC, a introduit la nécessité de la judiciarisation qui a changé la nature de cette loi.

6 PSM : Mais on n’est pas allé jusqu’au bout de la logique de la judiciarisation

7 DR : C’est vrai qu’on n’a pas décidé que le juge serait celui qui déciderait d’une hospitalisation sous contrainte, mais il faut rappeler les choses : 25% des décisions d’hospitalisation sous contrainte sont prises par le préfet, toutes les autres sont prises, principalement à la demande d’un tiers, par des directeurs d’établissements et sont des décisions administratives. Envisager le transfert aux juges des 80 000 décisions qui sont prises chaque année poserait un problème d’organisation pour la Justice. Par ailleurs, je ne suis pas certain que ce serait favorable aux patients, car dans ce cas-là, que deviendrait le contrôle a posteriori ? L’intérêt de la Justice, ce n’est pas simplement que le juge soit indépendant et impartial, c’est évident, mais aussi qu’elle garantisse le contradictoire, c’est-à-dire la capacité à avoir une audience où ce n’est pas simplement un patient qui est auditionné, mais un justiciable qui est en mesure de donner et faire valoir son point de vue.

8 PSM : … et qui peut d’ailleurs être représenté par un avocat

9 DR : Oui, mais cela pose d’ailleurs d’autres problèmes comme la compétence de l’avocat en matière psychiatrique. Car l’hospitalisation survient dans un moment de crise qui rend très difficile le travail de l’avocat ; celui-ci n’a pas de compétence particulière en psychiatrie et dans sa position, il a en face de lui non pas un patient, mais un client, c’est différent comme rapport. Il faut penser à tout cela et je ne suis pas certain qu’une judiciarisation totale du processus qui risquerait de transformer le juge en administrateur se traduise nécessairement par un progrès pour les patients. Certes, sur le plan des principes, ça pourrait l’être, mais dans la réalité, on risque que cela ne se traduise par une régression par rapport au système mis en place par la loi du 5 juillet 2011. Qui plus est, il y a des problèmes de moyens, il faut dire les choses telles qu’elles sont : il a déjà été difficile, dans le cadre de la loi rectificative, de négocier avec le ministère de la Justice la réduction du délai d’intervention du juge, alors on peut imaginer ce qui se serait passé si on lui avait demandé de prendre en charge toutes les mesures.

10 Qu’on renforce les pouvoirs de la Justice, pourquoi pas, mais si c’est pour avoir à la place du préfet un juge qui statue sur dossier sur la base d’un certificat, sans voir la personne concernée, ou bien dans un état de crise tel que la communication soit empêchée, je ne suis pas certain qu’on améliorerait les choses. Vous savez, quand le législateur n’est pas certain d’améliorer les choses, il vaut mieux qu’il s’abstienne. Cela dit, la question reste ouverte comme je l’ai précisé dans le rapport de la commission.

11 PSM : Vous affirmez avec force que le malade mental ne doit pas être envisagé comme devant être potentiellement à l’origine de troubles à l’ordre public et comme un danger pour la société. Mais que faire pour que les médias cessent d’alimenter ces peurs en utilisant des faits divers inévitables, bien que rares - on l’a encore vu récemment à propos d’un patient fugueur de l’hôpital de Novillars. De leur côté, également, des élus, par démagogie ou par ignorance, ne font que renforcer cette stigmatisation en laissant entendre que les malades mentaux constituent un réel danger.

12 DR : Les élus sont comme tout le monde, il leur arrive de tenir des propos du café du commerce et comme beaucoup, ils peuvent avoir peur parce qu’ils ne comprennent pas. Comment y remédier ? Je pense que l’on ne peut y arriver que par l’information qui doit rester constante avec une diffusion des données dont on dispose sur les facteurs de dangerosité criminologique ; il faut rappeler que l’on ne peut pas établir de lien de causalité entre maladie et criminalité et que la maladie ne produit pas en soi une « surdangerosité » : le malade mental n’est ni plus ni moins dangereux que n’importe quel individu. Mais la maladie est associée à d’autres facteurs que sont les stupéfiants ou la précarité qui peuvent contribuer à susciter des passages à l’acte.

13 Comment faire en sorte que ces informations passent ? C’est là que la notion de démocratie sociale a un sens : si les élus sont davantage associés, notamment à travers les conseils locaux de santé mentale ou d’autres institutions, à tout ce qui fait l’environnement de la psychiatrie, on peut espérer qu’un dialogue s’instaure avec les psychiatres, mais aussi avec les usagers. On voit aujourd’hui des élus qui ont une bien plus grande ouverture qu’il y a quelques années, mais il y aura toujours des gens pour exploiter les choses, y compris avec un cynisme total et l’on ne sera jamais à l’abri des amalgames.

14 Je pense qu’il y aussi un travail à faire avec la presse, car c’est quand même bien elle qui relaie la parole des élus ; il n’y a pas que la télévision ; la presse locale joue un rôle important. Je crois que tout ce qui permet de traiter les malades pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des citoyens, et leur permette d’avoir accès à tous les dispositifs de droit commun, donc aussi aux élus, est à encourager. Je prends un exemple : n’est-il pas préférable que les patients puissent aller chercher leurs livres à la bibliothèque municipale plutôt que d’être contraints à n’utiliser que celle d’un hôpital ? Cela me parait bien meilleur que ça se passe ainsi, sous réserve que cela soit possible évidemment. Ce sont des processus de ce type-là que l’on peut améliorer. Je pense que lorsque les maires sont associés à une politique de secteur à travers un conseil local de santé mentale ou à travers une autre institution, peu importe car c’est le principe qui est important, les idées en profondeur sont mieux diffusées ça permet aux élus et aux psychiatres de se connaître, ce qui permet au maire qui a un doute en face d’une situation de téléphoner au psychiatre.

15 PSM : Vous notez dans votre rapport que le nombre de mesures de soins sans consentement s’est accru de près de 50 % entre 2006 et 2011, donc avant la loi de juillet 2011. Vous notez également que le recours à de telles mesures varie considérablement d’un hôpital à l’autre, voire même au sein d’un même établissement, selon les unités. Plusieurs explications vous en ont été données. Quelle est votre opinion après tout ce que vous avez entendu et même vu ?

16 DR : Nous nous sommes basés au départ sur la statistique annuelle des établissements de santé (SAE), mais on est revenu là-dessus, car on s’est rendu compte que dans les premières années de ces statistiques, tous les établissements n’avaient pas répondu. Aussi, il faut moduler ces chiffres, même si la progression reste néanmoins importante, de l’ordre du tiers.

Photographie : Pierre Esteffe « Mettre en image la contrainte : impossible! Nous avons donc choisi d’illustrer son contraire, la liberté, l’articulation des deux étant, finalement, le thème du numéro. »

17Quant aux explications de cette progression, qui reste spectaculaire, je pense qu’elle est plurifactorielle : il y a ce qui tient au fonctionnement même de l’hôpital qui doit répondre aux décisions du maire ou du préfet qui s’imposent à lui. L’hospitalisation sous contrainte est aussi parfois une manière d’obtenir une place lorsqu’il n’y en a plus. Alors, on met quelqu’un dehors qui n’aurait pas dû sortir pour mettre à sa place quelqu’un dont on aurait peut-être pu éviter qu’il rentre.

18 Cela dit, la mission n’a pu aller au fond des choses par manque de temps. Il aurait fallu sûrement analyser de plus près les différences d’un département à l’autre, car les trois quarts des hospitalisations sous contrainte sont des décisions administratives de l’hôpital à la demande d’un tiers. J’aurais bien aimé qu’on aille plus loin, qu’on cartographie ces écarts et qu’on essaye de mieux les comprendre.

19 Cela dit, j’ai quand même l’idée qu’il s’agit d’une manifestation de la montée de l’intolérance dans notre société. Je fais le lien avec d’autres facteurs qui permettent de suivre l’évolution de la tolérance dans la société ; il y en a un qui est très parlant : tous les étés, le Monde publie un sondage sur des questions de société et une des questions qui est régulièrement posée est : « êtes-vous favorable à ce qu’on rétablisse la peine de mort ? », on ne dit pas êtes-vous favorable à la peine de mort, mais à son rétablissement. En 1981, lorsque grâce à Robert Badinter et François Mitterrand, la peine de mort a été abolie, une majorité de Français était favorable au maintien de la peine de mort. Après, on a pu mesurer qu’une majorité de français se positionnait contre le rétablissement de la peine de mort, mais si je ne me trompe pas, il y a de nouveau depuis l’an dernier une majorité favorable au rétablissement de la peine de mort. Pour moi, c’est un indicateur très triste, mais également très fort d’un besoin de sanction, de punition, comme une pulsion pour utiliser un terme qui relève de votre vocabulaire. La montée des hospitalisations sous contrainte est aussi l’expression que la société accepte de moins en moins ce qui n’est pas purement conforme. Des comportements qui auraient été tolérés il y a quelques années, ne le sont plus aujourd’hui. Il y a un besoin d’ordre qui s’exprime et quand un besoin d’ordre s’exprime, il s’exprime souvent contre les malades mentaux. Il y a là un facteur explicatif essentiel qu’il serait intéressant de croiser avec des facteurs d’expression politique.

20 PSM : Vous avez cité abondamment dans votre rapport Jean-Marie Delarue, ancien contrôleur des lieux de privation de liberté. Celui-ci n’est pas tendre face aux nombreux manquements des soignants qu’il a observés et il évoque des différences injustifiées selon les services. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

21 DR : Cette restriction de la tolérance s’exprime aussi chez les soignants ; cela se traduit en particulier par l’ouverture du parapluie : « j’utilise l’hospitalisation sous contrainte parce que je ne veux pas prendre de risque ». C’est aussi en arrière-plan la question de la recherche du risque zéro. On voit bien comment la gestion du risque dans notre société avec la politique du risque zéro peut aller jusqu’à devenir liberticide.

22 L’intérêt de Monsieur Delarue, c’est le regard extérieur qu’il porte sur les pratiques : lorsqu’il vous dit qu’entre établissements et même d’un pavillon à l’autre dans un même établissement, il existe des pratiques extrêmement contrastées en termes de liberté : liberté de fumer, liberté d’utiliser le téléphone, liberté de déplacement, cela pose question. Il montre très bien que ce n’est pas parce que vous êtes en hospitalisation libre que le service n’est pas fermé et que vous pouvez être en hospitalisation contrainte dans un service ouvert. Il demande ce qui peut justifier, pour des maladies identiques, qu’il y ait plus de liberté dans un pavillon et beaucoup moins, voire pas du tout dans l’autre. C’est la même chose pour la contention, il y a des endroits où elle est quasi systématique et d’autres où elle n’existe pas, je dis bien elle n’existe pas. Et ce n’est pas une question de moyens : à dotations identiques en termes de moyens humains et financiers, il y a des pratiques qui divergent du tout au tout.

23 PSM : À propos de la contention ou de la mise en chambre d’isolement, vous parlez de solution de dernier recours qui devrait relever d’une prescription médicale individuelle prise pour une durée limitée, mais cette affirmation n’est pas nouvelle et n’a pas empêché de voir se banaliser des mesures qui étaient devenues des exceptions. Certains disent que ce sont les protocoles censés garantir « les bonnes pratiques » qui ont ainsi contribué à la généralisation de ces pratiques. Qu’en pensez-vous ?

24 DR : Il est possible que des normes administratives imposant aux établissements de disposer d’une chambre d’isolement aient favorisé le recours à l’isolement. Sur la contention, il faut se méfier des impressions et de ses préjugés, car pour l’instant le phénomène n’est pas mesurable. Cela dit, c’est une vraie question qui mériterait une étude menée par un sociologue, car beaucoup des personnes que j’ai interrogées ont manifesté une gêne : quand vous interrogez cinq présidents de syndicats de psychiatres et que vous leur posez directement la question : « est-ce que vous pensez que les mesures de contention sont en augmentation » ? Personne ne répond et je dois reposer la question, c’est quand même significatif. Les infirmiers m’ont répondu clairement que oui. J’ai clairement le sentiment que c’est en progression.

25 Pourquoi ? Il y a une pluralité de facteurs : je pense qu’il y a une perte de culture au sein de l’institution psychiatrique, par rapport à celle qui existait dans les années 80/90, perte de culture qu’on peut lier à la disparition des infirmiers psychiatriques et donc à l’arrivée de personnes sûrement bien formées sur le plan infirmier, avec une culture du protocole, mais sans formation spécifique sur le plan psychiatrique. Dans la future loi de santé, le gouvernement s’oriente semble-t-il vers la possibilité d’une spécialisation d’infirmier en psychiatrie.

26 PSM : Votre rapport s’intitule « quand la démocratie soigne ». Vous insistez beaucoup sur la nécessité de promouvoir les droits individuels, en vous appuyant sur l’analyse de Jean-Marie Delarue. Mais ne pensez-vous pas que cette affirmation soit quelque peu idéaliste ?

27 DR : Affirmer un principe, c’est important. Quand vous rappelez que dans un secteur de psychiatrie, les patients sont des citoyens, ce n’est pas rien et cela questionne un certain nombre de pratiques dont celle de la contention : on ne traite pas quelqu’un comme un citoyen lorsqu’on l’attache. Cette affirmation fait bien ressortir la nature du problème.

28 Les constats qu’a faits Monsieur Delarue m’interrogent. Moi, je suis un citoyen, un député, c’est-à-dire un citoyen qui est payé par ses concitoyens pour faire un travail de citoyen à temps plein. Aussi, je me pose une question de citoyen : si la contention n’est pas utile à certains endroits, pourquoi ne pourrait-elle pas être inutile partout ? Cela dit, je ne suis pas psychiatre et je ne suis pas en train de vous dire qu’il faut interdire la contention. En tout cas, je pense que ce n’est pas du tout idéaliste de dire qu’elle devrait représenter une solution de dernier recours. Et à partir du moment où ça doit être l’exception, il doit y avoir un régime exceptionnel dont la mise en œuvre doit pouvoir être contrôlée par des personnes extérieures à l’institution.

29 Le contrôleur général des lieux de privation de liberté, c’est ce regard extérieur, mais c’est aussi celui des commissions départementales des soins psychiatriques (CDSP), même si celles-ci fonctionnent plus ou moins bien selon les départements. Je pense qu’il faudrait regarder de manière très précise, là aussi, ce que l’on peut faire pour que les CDSP marchent mieux, malgré les difficultés liées à la pénurie de psychiatres, au moins dans certains lieux, car le problème est celui de l’extrême disparité dans la répartition nationale des psychiatres. On peut aussi s’interroger sur la composition-même de ces commissions et envisager, pourquoi pas, que d’autres professionnels de la santé mentale siègent dans ces commission, là où il n’y a pas de psychiatres, même si l’on imagine les contestations que cela risque d‘engendrer. Il faut réfléchir là-dessus, mais pour moi le fait qu’un magistrat se déplace au moins une fois par an, dans les hôpitaux et soit formé pour le faire, qu’il y ait un compte rendu, que lui-même puisse comparer et regarder ce que font les professionnels et s’interroger sur les différentes pratiques, c’est un regard extérieur essentiel.

30 J’ai constaté qu’en psychiatrie, il y a une réticence sur la notion de personne de confiance qui a été mise en place par la loi de mars 2002. La personne de confiance, c’est quelque chose d’intéressant, même s’il faut faire attention qu’il n’y ait pas des gens qui profitent de la vulnérabilité, mais c’est fondamentalement un regard extérieur. Pourquoi le regard extérieur est-il intéressant ? Parce que quand vous travaillez sous le regard de tout le monde et non en circuit totalement fermé, il devient plus difficile d’avoir des pratiques discutables pour les patients.

31 Un juge qui se déplace dans un service, n’a pas la formation pour apprécier la pertinence d’une prescription. En revanche, il peut vérifier qu’il y a bien eu une prescription, que celle-ci était limitée dans le temps, et suffisamment limitée, car Jean-Marie Delarue a pu constater qu’il y a eu des cas où des contentions en chambre d’isolement ont pu durer plusieurs semaines ; il y a un moment où il faut être clair, on ne peut plus être dans le registre de ce qui serait d’ordre thérapeutique, mais clairement dans celui des mauvais traitements.

32 Ce n’est donc pas idéaliste, je vous l’affirme, car cette possibilité d’un regard extérieur systématisé permet de modifier et d’améliorer les pratiques.

33 PSM : Vous vous êtes fait l’avocat d’un secteur rénové. Qu’entendez-vous par là, parce que la loi qui se prépare reste pour l’instant extrêmement ambiguë ?

34 DR : La loi qui se prépare est faite pour qu’elle puisse être appliquée et il faut donc prendre en compte les forces d’inertie qui existent dans la psychiatrie, comme dans toutes les organisations humaines. En effet, s’il n’y a pas une adhésion à la mise en œuvre des nouvelles institutions, celle-ci peuvent rester lettre morte. Quand je parle d’un secteur rénové, ça veut dire un secteur qui serait le moins possible hospitalo-centré.

35 PSM : C’est-à-dire simplement le secteur tel qu’on aurait dû le faire ?

36 DR : C’était effectivement l’esprit du secteur, mais simplement si aujourd’hui vous mettez en place un Groupement d’intérêt public (GIP) qui reçoit les fonds et les redistribue en disant à l’hôpital : « vous, vous n’êtes qu’une partie du tout », je bloque le système. Je ne dis pas que ce n’est pas cela qu’il faudrait faire, en tout cas il y a un certain nombre de théoriciens qui le préconisent, mais si l’on fait ça, je vous assure qu’on bloque le système. Alors comment faire ? Le problème du secteur, il n’est pas dans sa théorie, mais dans le fait qu’il est resté « hospitalo-centré », je devrais d’ailleurs mieux dire « chef de service-centré ». Comment sortir de cette logique-là ? C’est ça la rénovation du secteur.

37 La rénovation du secteur c’est faire en sorte qu’il y ait une obligation, pas forcément légale d’ailleurs, de faire des choses intéressantes sur son secteur. Si pour avoir des sous en plus de la dotation, on est obligé d’aller discuter avec les élus locaux, on pourra peut-être un peu changer les choses, car les discussions amènent à repenser les choses, conduisent au changement.

38 La rénovation du secteur, c’est aussi qu’on arrive à avoir des liens normaux, même si ce terme de normal n’est peut-être pas le meilleur en psychiatrie, entre les généralistes et les psychiatres, des relations apaisées entre le sanitaire et le médico-social et puis un lien fort avec le droit commun, donc avec les acteurs du droit commun, généralement représenté par les élus, mais pas seulement. Je pense que de cette façon-là, si on arrive à le mettre en place, on aura avancé. Ce ne sera pas si mal et après on fera encore des progrès.

39 PSM : Pourriez-vous nous indiquer, au terme de cette mission, quelle est votre impression globale sur l’état de la psychiatrie qu’a priori vous ne connaissiez pas au départ ?

40 DR : La psychiatrie, c’est comme la langue d’Esope. Certains ont mis l’accent à propos de notre rapport sur la contention, je pense au journal Libération, mais ce n’est pas l’essentiel du rapport. Il reste que je suis sensible à cette dimension, car il est indéniable que le risque de maltraitance n’est malheureusement pas en résorption. Il faut sûrement y remédier, tout en sachant qu’il n’est pas certain que légiférer soit la solution, comme vous en faisiez vous-même la remarque à propos des protocoles et des normes de la HAS qui ont pu banaliser certaines pratiques. Cependant, face au nombre des contentions constaté, je préfère faire quelque chose que de ne rien faire : je pense que l’on peut espérer que la loi, en organisant la nécessité de tracer, de mesurer, en facilitant le suivi des évolutions et le regard extérieur des institutionnels avec les CDSP et le contrôleur des lieux de privation de liberté et peut-être à travers les personnes de confiance et les associations d’usagers, permettra de réduire les excès constatés dans la contention.

41 Mais je dois aussi préciser que j’ai rencontré de nombreux soignants qui croyaient à ce qu’ils faisaient et manifestaient une grande sérénité. J’ai notamment été impressionné par la sérénité et l’humanité de professionnels qui travaillaient dans une UMD et qui dégageaient un rayonnement produisant une autorité naturelle. Quand vous rencontrez ces personnes qui y croient et vous parlent simplement, vous comprenez comment la relation humaine peut soigner.

42 PSM : C’est bien que vous terminiez sur cette note optimiste sur le potentiel soignant qui existe encore. Je vous remercie de cet entretien et de votre absence de langue de bois qui n’a pas éludé les scories sécuritaires qui ont infiltré les soins psychiatriques, ni cette dimension d’espoir de votre conclusion.

43 DR : Si je pensais que tout était perdu, je ne ferais plus de politique.

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