Notes
-
[1]
Andreas Follesdal, Simon Hix, « Why There Is a Democratic Deficit in the eu : A Response to Majone and Moravcsik », Journal of Common Market Studies, vol. 44, n° 3, 2006, p. 533-562.
-
[2]
Justin Greenwood, Interest Representation in the European Union, Basingstoke, Palgrave, Macmillan, 2007, p. 12.
-
[3]
Beate Kohler-Koch, Barbara Finke, « The Institutional Shaping of eu-Society Relations : A Contribution to Democracy via Participation ? », Journal of Civil Society, vol. 3, n° 3, 2007, p. 205-221.
-
[4]
Idem ; Sabine Saurugger, « Interest Groups and Democracy in the European Union », West European Politics, vol. 31, n° 6, 2008, p. 1274-1291.
-
[5]
Beate Kohler-Koch, Barbara Finke, « The Institutional Shaping of eu-Society Relations… », art. cité.
-
[6]
Ibid., p. 214, 217.
-
[7]
Commission européenne, An Open Structured Dialogue between the Commission and Special Interest Groups, 93/C 63/02, 1992, p. 1 ; Wolfgang Wessels, « The Growth and Differentiation of Multi-Level Networks : A Corporatist Mega-Bureaucracy or an Open City ? », in Helen Wallace, Alasdair Young (dir.), Participation and Policy Making in the European Union, Oxford, Clarendon Press, p. 17.
-
[8]
Arndt Wonka et al., « Measuring the Size of the eu Interest Group Population », European Union Politics, vol. 11, n° 3, 2010, p. 463-476.
-
[9]
Pour plus de détail, cf. Heike Klüver, Lobbying in the European Union : Interest Groups, Lobbying Coalitions and Policy Change, Oxford, Oxford University Press, 2013.
-
[10]
Pour une étude générale, cf. Andreas Dür, Dirk De Bièvre, « The Question of Interest Group Influence », Journal of Public Policy, vol. 27, n° 1, 2007, p. 1-12 ; Andreas Dür, « Interest Groups in the European Union : How Powerful are They ? », West European Politics, vol. 31, n° 6, 2008, p. 1212-1230.
-
[11]
Heike Klüver, Lobbying in the European Union…, op. cit.
-
[12]
Heike Klüver, Sabine Saurugger, « Opening the Black Box : the Professionalization of Interest Groups in the European Union », Interest Groups and Advocacy, vol. 2, n° 2, 2013, p. 187.
-
[13]
Pour plus de détails, cf. Heike Klüver, Lobbying in the European Union…, op. cit. ; Heike Klüver, Sabine Saurugger, « Opening the Black Box… », art. cité.
-
[14]
Christine Mahoney, Michael J. Beckstrand, « Following the Money : eu Funding of Civil Society Organizations », Journal of Common Market Studies, vol. 49, n° 6, 2011, p. 1339-1361.
-
[15]
Pour plus d’informations sur la méthode employée pour mesurer le succès des actions de lobbying, cf. Heike Klüver, Lobbying in the European Union…, op. cit.
-
[16]
Beate Kohler-Koch, Barbara Finke, « The Institutional Shaping of eu-Society Relations… », art. cité ; Sabine Saurugger, « The Social Construction of the Participatory Turn : The Emergence of a Norm in the European Union », European Journal of Political Research, vol. 49, n° 4, 2010, p. 471-495.
-
[17]
Barbara Finke, « Civil Society Participation in eu Governance », Living Reviews in European Governance, vol. 2, n° 2, p. 1-31 ; Beate Kohler-Koch, Barbara Finke, « The Institutional Shaping of eu-Society Relations… », art. cité ; Sabine Saurugger, « Interest Groups and Democracy in the European Union », art. cité.
-
[18]
Paul Hirst, Associative Democracy…, op. cit. ; Joshua Cohen, Joel Rogers, « Secondary Association and Democratic Governance », chap. cité ; Rainer Schmalz-Bruns, Reflexive Demokratie…, op. cit.
-
[19]
Beate Kohler-Koch, Barbara Finke, « The Institutional Shaping of eu-Society Relations… », art. cité, p. 216.
-
[20]
Thomas Persson, « Democratizing European Chemicals Policy : Do Consultations Favour Civil Society Participation ? », Journal of Civil Society, vol. 3, n° 3, 2007, p. 223-238.
1L’intégration européenne a entraîné une internationalisation de l’élaboration des politiques. L’autorité qui permet de produire des décisions légalement contraignantes s’est déplacée des parlements nationaux à des institutions supranationales dont la légitimité démocratique, à l’exception du Parlement européen, est tout à fait indirecte. En conséquence, l’élaboration des politiques au sein de l’Union européenne a été sévèrement critiquée pour son manque de légitimité et de responsabilité démocratiques [1]. Parallèlement à l’expansion des compétences de l’Union européenne, le nombre de groupes d’intérêt actifs au niveau européen a augmenté de façon significative [2]. En outre, face aux critiques portant sur le déficit démocratique, la Commission européenne s’est lancée dans des manœuvres participatives afin d’utiliser l’inclusion des groupes d’intérêt pour améliorer la légitimité démocratique de l’Union [3]. Elle a pris plusieurs initiatives visant à accroître la participation de groupes d’intérêt dans l’élaboration des politiques européennes comme le Livre blanc sur la gouvernance européenne ou l’Initiative de transparence. Certains ont avancé que les groupes d’intérêt pouvaient contribuer à combler le fossé entre les citoyens et l’Union en améliorant simultanément la capacité de la politique européenne à résoudre les problèmes et à encourager la participation citoyenne [4].
2La participation accrue des groupes d’intérêt doit cependant être considérée avec prudence. Celle-ci ne peut améliorer la qualité démocratique de l’Union que si l’élaboration des politiques ne se fait pas toujours en faveur de quelques intérêts puissants. En conséquence, Beate Kohler-Koch et Barbara Finke opèrent une distinction entre une « conception principielle » (principled conception) et une « conception fonctionnelle » (functional conception) qui lient la participation à la démocratie [5]. Alors que la conception principielle est fondée sur une égalité quant à l’accès aux décideurs politiques et une représentation égalitaire, la conception fonctionnelle de la démocratie va plus loin en exigeant que les citoyens puissent participer effectivement au processus d’élaboration des politiques et que les décisions politiques répondent à leurs revendications [6]. Selon la conception fonctionnelle, il est donc important d’évaluer de façon empirique dans quelle mesure les institutions européennes sont sensibles aux revendications avancées par les groupes d’intérêt et si certains intérêts organisés sont favorisés par rapport à d’autres.
3Nous cherchons ici à déterminer si le processus d’élaboration des politiques européennes est biaisé en faveur de groupes d’intérêt spécifiques. Certains groupes d’intérêt sont-ils mieux représentés que d’autres à Bruxelles ? Les intérêts économiques sont-ils organisés de façon plus efficace que d’autres intérêts organisés ? En outre, on se demandera si l’influence sur les politiques adoptées est exercée seulement par certains groupes d’intérêt particuliers ou si tous les intérêts sociétaux ont une voix égale dans le processus législatif. Cet article tente de répondre à ces questions en se donnant trois objectifs principaux. Premièrement, il examine quels groupes d’intérêt sont représentés à Bruxelles. Deuxièmement, il s’intéresse aux caractéristiques organisationnelles des groupes d’intérêt qui font du lobbying auprès des institutions européennes. Troisièmement, il cherche à évaluer dans quelle mesure différents types de groupes d’intérêt réussissent à façonner les politiques adoptées par l’Union européenne.
Leur représentation au niveau européen
4Au cours des dernières décennies, les États membres ont délégué de plus en plus de compétences à l’Union. La route a été longue de la fameuse déclaration de Robert Schuman en 1950 au traité de Lisbonne entré en vigueur en 2009 ; des périodes d’intégration accélérée ont été suivies de périodes de stagnation, et vice versa. Cependant, lentement mais sûrement, l’Union est devenue un véritable système politique qui réglemente un grand nombre de secteurs. Plus ou moins parallèlement au transfert croissant de compétences du niveau national au niveau européen à travers les changements introduits par les différents traités, le nombre de groupes d’intérêt qui font du lobbying auprès des institutions européennes à Bruxelles s’est accru considérablement. Alors qu’ils étaient seulement deux cents environ au niveau européen en 1960, la Commission en a décompté environ trois mille employant dix mille personnes en 1990 [7]. Un article récent présentant un tableau du personnel actuel des groupes d’intérêt à Bruxelles a décompté un total de trois mille sept cents groupes faisant du lobbying auprès des institutions européennes en 2007 et 2008 [8].
5Qui sont ces lobbyistes ? Quel type de groupes d’intérêt mène des actions de lobby auprès des décideurs politiques européens ? Afin d’identifier le type d’organisations qui approche les institutions européennes, le présent article reprend d’un ouvrage récent des données concernant un échantillon de groupes d’intérêt qui ont mené des actions de lobby auprès de la Commission vis-à-vis de cinquante-six mesures politiques adoptées entre 2000 et 2008 [9]. Pour un total de 1 893 groupes d’intérêt actifs auprès des institutions européennes, environ 38 % représentent des associations d’entreprises, 29 % représentent des entreprises individuelles et 9 % sont des associations professionnelles représentant les intérêts spécifiques de certaines activités (les intérêts des agriculteurs, par exemple). En revanche, les groupes défendant une cause, luttant pour une croyance ou un principe particulier tels que la protection de l’environnement ou des droits de l’homme ne constituent que 20 % de l’ensemble des groupes d’intérêt mobilisés. En outre, les syndicats sont relativement marginalisés à Bruxelles. Les débats politiques au sein de l’Union sont donc clairement dominés par les intérêts économiques, et la représentation des groupes d’intérêt à Bruxelles est fortement biaisée.
Représentation des groupes d’intérêt
Représentation des groupes d’intérêt
6L’Union européenne est un système politique multi-niveaux dans lequel différents niveaux de pouvoir sont intimement liés. Les groupes d’intérêt s’organisent en conséquence au niveau national, européen et international à la fois. Ces groupes organisés au niveau national domine-t-il la politique de l’Union ou sont-ils devenus de véritables organisations européennes ? Parmi les 1 893 groupes d’intérêt étudiés qui ont engagé des actions de lobby auprès de la Commission, 27 % sont des organisations européennes et 48 % sont des organisations nationales des États membres de l’Union. En outre, 5 % sont des groupes de pays tiers et 20 % des organisations internationales. On peut donc conclure, à propos du niveau géographique d’organisation, que les actions de lobbying au sein de l’Union ne sont pas dominées exclusivement par des groupes nationaux et ne participent pas exclusivement d’un jeu européen. Alors que les groupes d’intérêt se sont considérablement européanisés au cours des années en créant ou rejoignant des organisations paneuropéennes, les groupes d’intérêt nationaux constituent encore la majorité des organisations menant des actions de lobby auprès des décideurs politiques au niveau européen.
Leurs caractéristiques organisationnelles à Bruxelles
7Afin de jeter un éclairage sur les groupes d’intérêt au sein de l’Union européenne, il est en outre important d’étudier leurs caractéristiques organisationnelles. Selon les chercheurs qui étudient ces groupes, le nombre d’employés, les ressources financières et la professionnalisation des groupes d’intérêt ont d’importantes implications quant à leur capacité d’influence sur les décisions politiques prises en leur faveur [10]. Quelle est la taille des groupes d’intérêt qui mènent des actions de lobby auprès des institutions européennes ? Combien de lobbyistes emploient-ils et combien d’argent dépensent-ils pour influencer les décideurs européens ? Le tableau 2 présente la taille du personnel des groupes de lobby et les dépenses de lobbying des groupes d’intérêt qui se sont mobilisés autour des cinquante-six mesures politiques que nous avons étudiées [11]. La taille du personnel et le montant des dépenses de lobbying ont été calculés à partir d’une enquête auprès des groupes d’intérêt. Le tableau indique que la grande majorité des groupes d’intérêt emploie une à cinq personnes, dont la tâche est de mener des actions de lobby auprès des décideurs. Ainsi, l’archétype du groupe d’intérêt actif à Bruxelles est une très petite organisation avec une poignée de collaborateurs et constitue parfois même une activité individuelle. En outre, ce tableau montre que la taille du personnel est grosso modo la même pour les différents types de groupes d’intérêt. Par exemple, le nombre de personnes employées pour mener des actions de lobbying auprès des décideurs est presque le même pour les associations d’entreprises que pour les groupes défendant une cause. Ainsi, contrairement à ce que l’on pense souvent, les groupes défendant une cause ne se trouvent pas dans une situation d’infériorité par rapport aux groupes dont l’intérêt est économique en ce qui concerne le personnel employé.
8Le tableau 3 présente les sommes d’argent dépensées pour des actions de lobbying par les groupes d’intérêt chaque année. La plus grande partie des groupes d’intérêt alloue jusqu’à 50 000 euros par an à des actions de lobbying auprès des institutions européennes. Un groupe plus petit d’organisations dépense entre 100 000 et 500 000 euros par an et 10 % dépensent même plus d’un million d’euros par an. De plus, il n’y a pas de différences marquantes selon les types de groupes d’intérêt concernant le montant dépensé pour influencer les décideurs à Bruxelles, malgré le sens commun qui veut que les entreprises soient mieux équipées en ressources que d’autres groupes d’intérêt sociétaux. Alors que les groupes d’intérêt économiques sont mieux représentés, ils n’investissent pas plus d’argent pour influencer la politique publique.
Personnel engagé dans le lobbying par type de groupes (en %)
Personnel engagé dans le lobbying par type de groupes (en %)
9Une autre facette importante de la politique des groupes d’intérêt est leur degré de professionnalisation. La professionnalisation est définie comme « une tendance croissante à embaucher des professionnels (ou spécialistes) dont les compétences ont été certifiées par une profession particulière (comme des avocats ou des économistes) [12] ». Étant donné la complexité des processus de prise de décision au niveau européen et le niveau élevé d’expertise politique exigée par les institutions européennes, les groupes d’intérêt s’appuient sur un personnel bien formé plutôt que sur des volontaires non qualifiés. L’action de lobbying est un emploi à plein temps très exigeant qui implique une observation permanente des évolutions politiques au niveau européen et la construction de larges réseaux regroupant les responsables politiques et d’autres groupes d’intérêt. De plus, afin d’être en mesure de fournir des informations utiles aux institutions européennes, les représentants des groupes d’intérêt doivent posséder des compétences légales et politiques ainsi qu’une bonne compréhension de l’environnement institutionnel complexe au niveau européen. Par ailleurs, des collaborateurs très qualifiés sont plus flexibles et capables de s’adapter, ce qui leur permet de répondre rapidement aux nouvelles initiatives politiques. La professionnalisation des employés est une source importante d’avantage concurrentiel pour les groupes d’intérêt face aux lobbyistes concurrents.
Montant annuel des dépenses pour le lobbying (en %)
Montant annuel des dépenses pour le lobbying (en %)
10Le tableau 4 présente des informations qui permettent d’illustrer le degré de professionnalisation des groupes d’intérêt présents à Bruxelles. La mesure a été effectuée via un index incluant le niveau d’éducation, l’expérience professionnelle passée et la fréquence des sessions de formation offertes par les groupes d’intérêt à leurs employés [13]. La grande majorité des groupes d’intérêt qui mènent une action de lobbying auprès des décideurs de l’Union ont un degré de professionnalisation moyen. Cela se vérifie aussi si l’on examine le niveau de professionnalisation séparément pour chaque type d’acteurs. Malgré quelques différences mineures, le niveau général de professionnalisation est similaire pour les différents types de groupes d’intérêt. Les groupes représentant les entreprises n’ont donc pas, en moyenne, un degré plus élevé de professionnalisation que les groupes défendant une cause ou les syndicats.
Professionnalisation des groupes d’intérêt (en %)
Professionnalisation des groupes d’intérêt (en %)
11Ainsi, l’idée que les groupes défendant une cause sont essentiellement des organisations de base dirigées par des militants aux fortes convictions idéologiques est fondamentalement erronée. Les groupes qui défendent l’environnement ou les droits de l’homme sont organisés sur le même modèle que les groupes représentant les entreprises, les organisations professionnelles ou les syndicats. Ils ont un nombre similaire d’employés, dépensent des sommes similaires pour influencer les décideurs et présentent un degré similaire de professionnalisation. Si la nature des intérêts qu’ils représentent est différente de ceux des groupes d’entreprises, de professionnels et des syndicats dans la mesure où ils défendent un bien commun tel que la protection de la nature ou des consommateurs, leur structure organisationnelle est très proche de celle des autres groupes qui défendent les intérêts privés de leurs membres.
Leur influence sur les décisions politiques
12Après avoir vu quels groupes étaient représentés à Bruxelles et comment ces groupes étaient organisés, nous allons maintenant nous intéresser à l’influence qu’ils exercent sur les décisions politiques. Les intérêts sociétaux sont peut-être très bien représentés à Bruxelles, leurs organisations sont peut-être dotées de ressources importantes et de personnel qualifié, mais cela ne signifie pas qu’ils soient nécessairement capables de peser sur les prises de décision. Les revendications des groupes d’entreprises sont peut-être plus nombreuses que les revendications sociétales, mais cela ne signifie pas que les décideurs politiques y soient nécessairement plus attentifs. En fait, on pourrait même dire le contraire, dans la mesure où les décideurs pourraient prêter plus d’attention aux intérêts sous-représentés afin de contrebalancer la domination d’une petite section de la société et d’avoir une vision plus équilibrée des revendications sociétales. Ainsi, certains chercheurs comme Christine Mahoney et Michael Beckstrand ont montré que les institutions européennes ont même soutenu financièrement certains groupes défavorisés de la société civile [14].
13Afin de voir si l’influence sur les décisions politiques varie systématiquement selon les types de groupes d’intérêt, nous avons mesuré combien de groupes ont vu leurs actions de lobbying auprès des institutions européennes couronnées de succès au niveau de l’élaboration politique et de la phase de prise de décision. La phase d’élaboration des politiques débute par un projet préliminaire sur la base duquel la Commission lance une consultation publique. Cette phase se conclut par l’adoption de la proposition législative officielle qui, en même temps, signale le début de la phase de prise de décision. Durant cette phase, le Conseil, le Parlement et la Commission négocient la formulation du texte de loi final. On considère que les actions de lobbying des groupes d’intérêt ont réussi à influencer les institutions européennes si la différence entre leur projet idéal et le résultat des différentes phases du processus de prise de décision s’est graduellement réduite [15].
14Le tableau 5 fournit des informations sur le pourcentage d’organisations selon le type de groupes d’intérêt qui ont vu leur action de lobbying couronnée de succès dans la phase d’élaboration et dans la phase de décision. On constate une distribution plutôt équilibrée de succès entre les différentes catégories de groupes d’intérêt. En moyenne, 53 % de l’ensemble des groupes d’intérêt ont vu leur action réussir durant la première phase et environ 49 % durant la seconde. Les entreprises remportent plus de succès pendant la phase d’élaboration tandis que les syndicats sont à la traîne quand il s’agit d’influencer les propositions politiques de la Commission. Cependant, pendant la phase de prise de décision ces différences disparaissent en grande partie, dans la mesure où elles ne sont pas systématiques.
Influence des groupes d’intérêt (en %)
Influence des groupes d’intérêt (en %)
15Les résultats présentés dans cet article ne montrent pas que certains groupes d’intérêt ont systématiquement plus de succès que d’autres. À l’encontre de l’argument répandu selon lequel les intérêts fortement concentrés dominent le processus de décision politique européen, l’analyse empirique présentée ici n’a pas trouvé de preuves d’un tel biais. Ainsi, même si tous les types de groupes d’intérêt ne sont pas représentés de la même manière et avec la même intensité dans le processus de décision politique, car les associations d’entreprises et les entreprises représentent de loin les acteurs les plus actifs dans les consultations de la Commission, ce déséquilibre au niveau de la représentation ne se traduit pas par une différence équivalente au niveau du succès des actions de lobbying. Le travail des institutions européennes ne reflète pas seulement certains intérêts organisés. Les résultats de cette enquête empirique amènent plutôt à dessiner un tableau équilibré de l’inclusion des groupes d’intérêt dans l’Union européenne : différents contextes permettent à divers groupes d’intérêt organisés d’intervenir avec succès dans l’élaboration des politiques européennes, alors que d’autres contextes conduisent l’intervention de ces mêmes groupes à un échec.
16* * *
17L’intégration européenne a radicalement transformé le rôle de l’État. Le renforcement du marché unique européen, l’établissement de l’Union économique et monétaire et le transfert croissant de compétences à l’Union européenne a entraîné une internationalisation de l’élaboration des politiques. De plus en plus de décisions politiques ne sont plus prises au niveau national mais au niveau européen. Étant donné la critique permanente qui leur est adressée vis-à-vis de leur déficit démocratique, les institutions européennes ont encore plus qu’auparavant inclus les groupes d’intérêt dans le processus public d’élaboration politique en vue de compenser ce déficit [16]. Par ailleurs, la théorie démocratique a discuté la capacité des groupes d’intérêt à combler le fossé entre les citoyens et les décideurs [17]. Sous le concept de « démocratie associative », ces approches se sont prononcées pour une plus grande inclusion des groupes d’intérêt dans la mesure où ces derniers peuvent simultanément améliorer l’efficacité de l’élaboration politique et garantir une participation citoyenne [18].
18Les initiatives de la Commission ont offert un accès ouvert à toutes sortes de groupes d’intérêt, mais un accès égal en principe ne signifie pas toujours une représentation ou une influence égale [19]. En ce qui concerne la représentation, Thomas Persson a montré, par exemple sur la proposition de la Commission en faveur d’une nouvelle politique européenne en matière de produits chimiques, que les groupes d’intérêt économiques sont considérablement mieux représentés que les groupes qui défendent une cause dans le processus de consultation [20]. Ce résultat a été confirmé par l’analyse empirique présentée dans cet article. Sur les 1 893 groupes d’intérêt qui se sont mobilisés autour des cinquante-six débats politiques sélectionnés, environ 67 % étaient des associations d’entreprises ou des entreprises individuelles. En revanche, environ 20 % seulement étaient des groupes défendant une cause et 1 % des syndicats. En termes de représentation, on peut donc conclure qu’il existe un biais très fort en faveur des intérêts économiques.
19Cependant, lorsque l’on mesure le rôle des groupes d’intérêt en vue d’apporter une légitimité démocratique à l’Union européenne, on ne peut pas se contenter de ne prendre en compte que la représentation des groupes et leur accès aux décideurs. Il faut également prêter attention à l’influence effective que les intérêts représentés peuvent exercer. Comme mentionné plus haut, une distinction peut être opérée entre une « conception principielle » et une « conception fonctionnelle » qui lient participation et démocratie. Et selon la « conception fonctionnelle », discuter le degré de représentation du groupe d’intérêt en question n’est pas suffisant pour évaluer le potentiel démocratique de la participation des groupes d’intérêt en général. Il se pourrait, en théorie, qu’un acteur soit très bien représenté, mais qu’il ne soit guère capable d’exercer la moindre influence. Par exemple, même si les entreprises sont très bien représentées dans le processus politique européen, cela ne signifie pas qu’elles sont nécessairement plus influentes que les syndicats qui sont faiblement représentés. La question est donc de savoir comment représentation et accès aux décideurs se traduisent en termes d’influence. Plus précisément, le biais en termes de représentation se traduit-il en un biais en termes d’influence ? Les intérêts représentés par des groupes économiques sont-ils davantage pris en considération que ceux des groupes défendant une cause ? Autrement dit : les intérêts citoyens sont-ils marginalisés ?
20L’analyse empirique présentée ici indique que la réussite des actions de lobbying ne diffère pas systématiquement en fonction du type d’acteurs et que la législation européenne ne favorise donc pas systématiquement un sous-ensemble particulier d’intérêts sociétaux. Les groupes économiques ne dominent pas le processus politique européen et rien n’atteste que les lobbyistes au service des entreprises aient une influence significativement plus importante que ceux qui représentent d’autres types d’intérêts. Le monde des affaires ne dirige pas l’Union. Certes, les associations d’entreprises ont de bonnes chances d’influencer les politiques, mais il en va de même pour d’autres intérêts organisés. On peut donc conclure que l’influence est répartie de façon assez équitable. La représentation des intérêts économiques est certes largement majoritaire, leurs lobbyistes forment le groupe le plus important à Bruxelles mais, en termes d’influence, les données empiriques ne permettent pas de conclure à un biais systématique en leur faveur. De la même façon, aucune différence systématique ne prévaut selon les caractéristiques organisationnelles des groupes. Dans l’ensemble, les groupes d’intérêt dépensent des sommes similaires pour influencer les décideurs, ils emploient un nombre similaire de collaborateurs et présente un niveau égal de professionnalisation.
21Cependant, afin d’évaluer le potentiel démocratique de l’inclusion des groupes d’intérêt, il faut prendre en compte deux dimensions concernant leur participation. La dimension externe fait référence à la participation effective des groupes d’intérêt au processus de décision politique. La dimension interne, en revanche, concerne la participation des citoyens au sein des groupes d’intérêt. La présente étude a fait la lumière sur l’évaluation de la dimension externe de l’inclusion des groupes d’intérêt en analysant le succès des actions de lobbying et sa distribution parmi les types de groupes d’intérêt. Bien que la politique européenne ne se fasse pas systématiquement en faveur d’un groupe d’intérêt particulier, on ne sait pas clairement dans quelle mesure les membres des groupes sont capables de participer aux processus internes de prise de décision. Si les décisions sont en grande partie prises par les dirigeants des groupes d’intérêt, alors ces groupes ne sont guère à même de combler le déficit démocratique que présente la relation entre les citoyens et l’Union. Ainsi, de futures recherches devraient analyser de façon empirique la configuration interne des groupes d’intérêt.
Notes
-
[1]
Andreas Follesdal, Simon Hix, « Why There Is a Democratic Deficit in the eu : A Response to Majone and Moravcsik », Journal of Common Market Studies, vol. 44, n° 3, 2006, p. 533-562.
-
[2]
Justin Greenwood, Interest Representation in the European Union, Basingstoke, Palgrave, Macmillan, 2007, p. 12.
-
[3]
Beate Kohler-Koch, Barbara Finke, « The Institutional Shaping of eu-Society Relations : A Contribution to Democracy via Participation ? », Journal of Civil Society, vol. 3, n° 3, 2007, p. 205-221.
-
[4]
Idem ; Sabine Saurugger, « Interest Groups and Democracy in the European Union », West European Politics, vol. 31, n° 6, 2008, p. 1274-1291.
-
[5]
Beate Kohler-Koch, Barbara Finke, « The Institutional Shaping of eu-Society Relations… », art. cité.
-
[6]
Ibid., p. 214, 217.
-
[7]
Commission européenne, An Open Structured Dialogue between the Commission and Special Interest Groups, 93/C 63/02, 1992, p. 1 ; Wolfgang Wessels, « The Growth and Differentiation of Multi-Level Networks : A Corporatist Mega-Bureaucracy or an Open City ? », in Helen Wallace, Alasdair Young (dir.), Participation and Policy Making in the European Union, Oxford, Clarendon Press, p. 17.
-
[8]
Arndt Wonka et al., « Measuring the Size of the eu Interest Group Population », European Union Politics, vol. 11, n° 3, 2010, p. 463-476.
-
[9]
Pour plus de détail, cf. Heike Klüver, Lobbying in the European Union : Interest Groups, Lobbying Coalitions and Policy Change, Oxford, Oxford University Press, 2013.
-
[10]
Pour une étude générale, cf. Andreas Dür, Dirk De Bièvre, « The Question of Interest Group Influence », Journal of Public Policy, vol. 27, n° 1, 2007, p. 1-12 ; Andreas Dür, « Interest Groups in the European Union : How Powerful are They ? », West European Politics, vol. 31, n° 6, 2008, p. 1212-1230.
-
[11]
Heike Klüver, Lobbying in the European Union…, op. cit.
-
[12]
Heike Klüver, Sabine Saurugger, « Opening the Black Box : the Professionalization of Interest Groups in the European Union », Interest Groups and Advocacy, vol. 2, n° 2, 2013, p. 187.
-
[13]
Pour plus de détails, cf. Heike Klüver, Lobbying in the European Union…, op. cit. ; Heike Klüver, Sabine Saurugger, « Opening the Black Box… », art. cité.
-
[14]
Christine Mahoney, Michael J. Beckstrand, « Following the Money : eu Funding of Civil Society Organizations », Journal of Common Market Studies, vol. 49, n° 6, 2011, p. 1339-1361.
-
[15]
Pour plus d’informations sur la méthode employée pour mesurer le succès des actions de lobbying, cf. Heike Klüver, Lobbying in the European Union…, op. cit.
-
[16]
Beate Kohler-Koch, Barbara Finke, « The Institutional Shaping of eu-Society Relations… », art. cité ; Sabine Saurugger, « The Social Construction of the Participatory Turn : The Emergence of a Norm in the European Union », European Journal of Political Research, vol. 49, n° 4, 2010, p. 471-495.
-
[17]
Barbara Finke, « Civil Society Participation in eu Governance », Living Reviews in European Governance, vol. 2, n° 2, p. 1-31 ; Beate Kohler-Koch, Barbara Finke, « The Institutional Shaping of eu-Society Relations… », art. cité ; Sabine Saurugger, « Interest Groups and Democracy in the European Union », art. cité.
-
[18]
Paul Hirst, Associative Democracy…, op. cit. ; Joshua Cohen, Joel Rogers, « Secondary Association and Democratic Governance », chap. cité ; Rainer Schmalz-Bruns, Reflexive Demokratie…, op. cit.
-
[19]
Beate Kohler-Koch, Barbara Finke, « The Institutional Shaping of eu-Society Relations… », art. cité, p. 216.
-
[20]
Thomas Persson, « Democratizing European Chemicals Policy : Do Consultations Favour Civil Society Participation ? », Journal of Civil Society, vol. 3, n° 3, 2007, p. 223-238.