Notes
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André Loth, responsable de la mission Sésame-Vitale à la CNAHTS.
1Y a-t-il une éthique particulière du secret ? La notion de secret en elle-même est-elle éthique ou serait-elle, par essence même, contraire à l’éthique ? Cette seconde acception pourrait paraître l’emporter dans une société où la tendance est plutôt à sacraliser la transparence, transparence, presque érigée en dogme, en tout cas considérée comme un des fondements d’une société démocratique, dans laquelle la communication des informations constitue une priorité majeure.
2Pourtant dans le domaine particulier de la médecine, la notion de secret médical a derrière elle une longue tradition, à connotation positive, liée à un souci de protection du patient.
3Les lois de 1994 dites « lois de bioéthique », qui ont affirmé très largement le principe de l’anonymat dans un certain nombre de domaines, ont ainsi ménagé un assez vaste champ couvert par le secret.
4Dans le cadre de ce que l’on a pu appeler le colloque singulier médecin-patient, la notion de secret médical, autrefois si forte, si absolue, ancrée dans les esprits depuis des siècles, se trouve aujourd’hui remise en cause par des dérogations d’origine législative ou réglementaire, mais aussi, quelquefois, par la volonté pressante des patients eux-mêmes.
5Enfin, l’intrusion de l’informatique dans le monde de la médecine amène à réfléchir de manière assez neuve sur la notion de secret, désormais exposée à des violations d’une nouvelle nature.
La notion de secret dans les lois de juillet 1994 dites « lois de bioéthique »
6Le législateur de 1994 a choisi d’entériner et surtout de réaffirmer solennellement le principe de l’anonymat déjà fondé dans un certain nombre de textes précédents.
7Ce principe tend aujourd’hui à être remis en cause, dans son caractère absolu, pour des raisons multiples, d’ordre aussi bien médical et scientifique, que social ou juridique.
8Mais, avant d’envisager ces étapes successives de l’affirmation rigoureuse puis de la modulation d’un principe, il convient d’aborder la question de la distinction entre anonymat et secret, anonymat et transparence.
9Associer anonymat et transparence, c’est faire cohabiter deux vocables apparemment contradictoires. Peut-on dans le même temps exiger l’un et l’autre ? Ne procèdent-ils pas d’options exactement inverses ? Transparence : l’homme et plus spécialement le patient est en droit de tout savoir sur son corps et sa santé. Si on lui demande son consentement en vue d’un acte thérapeutique, ce ne peut être qu’après l’avoir pleinement informé des modalités, des conséquences du traitement. La dissimulation, la réticence à la vérité au nom de la science ne sont plus admissibles. La dignité de l’homme est en jeu.
10MAIS l’anonymat : l’affirmation du principe de l’anonymat dans les lois de bioéthique, notamment dans le domaine d’assistance médicale à la procréation, n’est pas contradictoire avec l’exigence de la transparence. En effet, l’enjeu n’est pas ici d’entourer d’une opacité une série d’événements liés à l’assistance médicale à la procréation, ou dans un autre domaine à la greffe d’organes, mais d’organiser un secret autour d’un élément tout à fait spécifique qui est l’identité du donneur. Plutôt qu’une négation de la transparence, il faut voir ici une possibilité de modulation du secret.
11La nécessité de transparence n’est pas ou pratiquement pas contestée, sous le poids d’exigences accrues et justifiées.
12Il n’en va pas de même pour l’anonymat et le secret qui sont à distinguer dans le domaine de l’assistance médicale à la procréation.
13Le parti, pris par le législateur, de l’anonymat du donneur de gamètes est générateur de secret, plus précisément d’un secret de famille avec tout ce que cette expression comporte de non-dits, transmis de générations en générations, quant à l’établissement d’une filiation. Le premier des secrets source de tous les autres est celui de la stérilité du père. Un autre secret entoure la sexualité du couple. Enfin le troisième secret, peut-être le plus lourd, et pour le couple et pour l’enfant, est celui de l’identité du donneur. Les parents qui ont un enfant par insémination artificielle avec donneur (IAD) deviennent des porteurs de secret vis-à-vis de leur enfant.
Le dispositif législatif
14Tant dans les travaux préparatoires que dans le rapport du Conseil d’État « De l’éthique au droit », que dans les avis formulés par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), on trouve déjà des propositions à l’adresse du Parlement dans le sens du maintien et, même, d’une consécration du principe de l’anonymat, que ce soit dans le cadre de la transplantation d’organes, que de l’assistance médicale à la procréation (AMP). La lecture des débats parlementaires, surtout ceux concernant l’AMP, fait ressortir que le principe reste fort et que bien peu de voix s’élèvent pour réfléchir à sa possible modulation.
15L’article 16-8 du Code civil, disposition à caractère permanent, inscrit un principe général du droit qui concerne tous les dons faits à partir du corps humain : « Aucune information permettant d’identifier à la fois celui qui fait le don d’un élément ou produit de son corps et celui qui l’a reçu ne peut être divulguée. Le donneur ne peut connaître l’identité du receveur, ni le receveur, celui du donneur. »
16– S’agissant des greffes, les articles L. 671.7 à 11 organisent les prélèvements à des fins thérapeutiques ou scientifiques d’organes de personnes décédées, avec une référence implicite à l’anonymat, par l’intervention nécessaire de l’Établissement français des greffes. Mais force est de constater que, déjà, ces mêmes lois ouvrent une brèche de taille avec l’organisation du prélèvement d’organes sur personnes vivantes qui sont de toute évidence en flagrante contradiction avec le respect de l’anonymat « article L. 671.3 le receveur doit avoir la qualité de père, de mère, de fils ou de fille, de frère ou de sœur du donneur… ». En cas d’urgence le donneur peut être le conjoint. Par dérogation le prélèvement de moelle osseuse peut être effectué sur un mineur au bénéfice de son frère ou de sa sœur, après avis d’un comité d’experts.
17– Ce sont en fait les dispositions des lois de bioéthique relatives à l’assistance médicale à la procréation qui sont les plus fermes pour instaurer l’anonymat du donneur de gamètes.
18Ces dispositions se situent dans la continuité d’une longue tradition. Déjà la Charte des Centres d’études et de conservation des œufs et du sperme (CECOS) en 1973 affirme très vigoureusement la nécessité que le don de gamètes s’effectue dans le cadre de l’anonymat. Les avis du CCNE, notamment en 1990, avis n° 18 « Études conduites par le Comité concernant les dons de gamètes et d’embryons » : « Tout don doit respecter l’anonymat des donneurs, ce qui n’exclut pas nécessairement la communication de certaines données non identifiantes », reprennent à leur compte cette position. Le rapport du Conseil d’État de 1998, « Sciences de la vie : de l’éthique au droit », s’engage dans la même voie.
19En effet en l’absence d’une loi spécifique en la matière, les praticiens s’étaient forgé une règle de conduite très stricte en faveur du caractère absolu du secret de l’identité du donneur. Cette pratique faisait alors l’objet d’un large consensus tant parmi les spécialistes de ces questions que de l’opinion publique. C’est en fait un principe déontologique qui a été entériné par les lois de 1994.
20Donc, en toute logique, on trouve dans le dispositif des lois de 1994 l’affirmation du principe général de l’anonymat qui reçoit une application particulièrement forte dans le domaine de l’AMP. Ainsi diverses dispositions, parfois redondantes, trouvent place dans trois codes différents. L’article 16-8 du Code civil pose le principe général précédemment cité ; puis les prescriptions du Code civil sont reprises à l’identique mais dans un ordre différent par l’article L. 665-14 du Code de la santé publique s’agissant du don et de l’utilisation des produits du corps humain, parmi lesquels on compte les gamètes ; enfin ce dispositif mis en place est garanti par le recours au Code pénal à l’article 511-10 « le fait de divulguer une information permettant à la fois d’identifier une personne ou un couple qui a fait don de gamètes, et le couple qui les a reçus est puni de deux ans d’emprisonnement et de 200 000 F d’amende ».
21L’article L. 673-6 précise que « les organismes et établissements fournissent aux autorités sanitaires les informations utiles relatives aux donneurs. Un médecin peut accéder aux informations médicales non identifiantes en cas de nécessité thérapeutique concernant un enfant conçu par une AMP avec tiers donneur ».
22Tels sont les principes clairement évoqués dans les textes de 1994. Ces lois ont elles-mêmes prévu, dans leur dispositif, de faire l’objet d’un réexamen tous les cinq ans, disposition d’ailleurs particulièrement originale et novatrice en elle-même.
23Le réexamen qui devait avoir lieu prochainement sera-t-il une occasion pour moduler ou remettre en cause plus radicalement le principe de l’anonymat ? La question se pose car un certain nombre d’éléments ont relancé le débat et pèsent en faveur, pour certains d’un assouplissement, pour d’autres d’une levée totale du principe de l’anonymat.
Le principe de l’anonymat doit-il être remis en cause, et sous quelles influences ?
24– S’agissant des greffes, on a constaté que les textes de 94 permettaient déjà dans certaines conditions le don entre personnes apparentées.
25La pénurie d’organes est un argument essentiel qui permet à certains de prôner un élargissement de la catégorie des donneurs apparentés. Le CCNE, dans un rapport du 27 mars 1998 repris dans son avis n° 60 sur le réexamen des lois, suggère un élargissement contrôlé des catégories de donneurs à l’intérieur du cadre familial et entre personnes non apparentées. « C’est ainsi qu’aux frères et sœurs majeurs du receveur devraient être assimilés ceux qu’on appelle communément demi-frère ou demi-sœur, qui par l’ascendance de l’un des parents pourraient offrir un organe éventuellement compatible. » Pourraient également être admis au don un enfant adoptif pour qui il pourrait être psychologiquement préjudiciable d’être écarté du projet de don.
26Plus largement, s’agissant des personnes non apparentées, le texte qui limite au conjoint et en cas d’urgence la possibilité de donner pourrait être revu. Le Comité propose d’étendre, sans limitation de catégories, la possibilité de don à d’autres personnes dès lors que la condition de lien affectif serait évoquée et établie, sous réserve de vérifier l’authenticité et la sincérité du désir de don, l’absence de commercialisation, ainsi que l’absence de pressions abusives sur le donneur. Cette vérification relèverait d’un comité ad hoc.
27Autre élément, la technique récente des greffes en domino, qui tend à se développer, constitue déjà en elle-même une contradiction totale avec le principe de l’anonymat. On a pu récemment lire dans la presse des titres comme « Deux foies pour trois malades », le chirurgien auteur de la greffe reconnaissant lui-même que « les malades étant dans le même centre de réanimation font obligatoirement connaissance ».
28Toutefois la force du principe de l’anonymat ne saurait être méconnue et son maintien reste grandement protecteur contre un certain nombre de dérives possibles. Selon Jean-François Collange, « l’anonymat a pour fonction essentielle de protéger tant le donneur que le receveur des prétentions (plus ou moins claires, avouées ou trop bien intentionnées) qui pourraient s’instaurer entre eux. L’enjeu considérable et l’impossibilité de se tenir quitte pour un paiement risqueraient en effet d’entraîner des pressions telles que la liberté et la dignité des uns comme des autres pourraient s’en trouver gravement altérées ».
29– Dans le domaine de l’assistance médicale à la procréation, les débats sont actuellement très vifs.
30Plusieurs éléments interviennent pour militer à l’encontre du principe de l’anonymat.
31• La convention internationale relative aux droits de l’enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 et ratifiée par la France en juillet 1990, paraît en effet en contradiction avec le principe français de l’anonymat du donneur de gamètes puisqu’elle consacre dans l’un de ses articles « le droit pour l’enfant, dans la mesure du possible, de connaître ses parents et d’être élevé par eux ».
32À noter toutefois la très importante réserve introduite par l’expression « dans la mesure du possible » qui pourrait rendre cette disposition compatible en fait avec l’état actuel du droit français. Il convient en outre de resituer ce texte dans son contexte intellectuel. La philosophie de ce texte international était essentiellement de conférer une protection à des enfants arrachés à leur famille selon des pratiques tout à fait condamnables dans certains pays du tiers monde. Il s’agissait de donner à l’enfant un droit à avoir des parents.
33• Un autre argument pourrait être tiré de l’examen des législations étrangères en matière d’insémination artificielle avec donneur.
34Les lois anglaise, espagnole et suisse permettent aux enfants conçus par IAD d’obtenir des renseignements sur les donneurs.
35Tout en affirmant le principe de l’anonymat du don, les lois anglaise et espagnole sur la PMA permettent aux enfants conçus par PMA d’obtenir, à partir de l’âge de la majorité, des renseignements généraux sur les donneurs (taille, poids, apparence ethnique, profession…). De plus, les deux lois prévoient également la révélation de l’identité du donneur lorsque la santé de l’enfant l’exige.
36Quant à la loi fédérale suisse, elle précise que l’enfant peut, après sa majorité, obtenir communication de certaines des informations relatives aux donneurs, qui sont enregistrées conformément à la loi. Elles concernent l’identité et l’aspect physique du donneur. En outre, dans la mesure où il fait valoir un intérêt légitime, l’enfant mineur peut lui aussi obtenir ces renseignements, ainsi que d’autres, d’ordre médical.
37En Suède, il est prévu depuis 1985 que l’identité du donneur doit être mentionnée sur des documents administratifs conservés au moins soixante-dix ans et que l’enfant peut consulter à partir de l’âge de dix-huit ans. On reconnaît en outre à l’enfant « ayant atteint une maturité suffisante » le droit d’avoir communication des données relatives à l’identité du donneur.
38• Pour les tenants d’une approche psychanalytique du problème, l’anonymat érigé en France comme un dogme se révèle particulièrement néfaste. En effet, pour un psychanalyste (Geneviève Delaisi de Parseval), tout être humain a le droit de savoir de qui il est issu et qui sont les divers « relais génétiques » à qui il doit la vie. « Une loi qui rend obligatoire l’anonymat fait donc alliance à la fois avec le mensonge et le déni. » « Les secrets de la filiation détenus par quelqu’un d’autre que par le sujet lui-même semblent être un des plus mortifères des secrets. »
39• Le CCNE dans son avis n° 60 estimait qu’aucun élément nouveau ne semblait justifier que soit levé l’anonymat du donneur de gamètes, mais que toutefois et compte tenu des positions divergentes dans d’autres pays, un débat de société devrait pouvoir être engagé sur ce point. Un groupe de travail continue actuellement de réfléchir.
40• Le Conseil d’État, dans son rapport du 25 novembre 1999, opère une distinction entre le don de sperme et le don d’ovocytes et ne méconnaît pas les difficultés critiques liées au principe de l’anonymat dans l’AMP. Il ne va pas jusqu’à proposer sa remise en cause, mais appelle de ses vœux un débat public.
41Enfin, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques dans son rapport du 18 février 1999 fait, lui aussi, état des divers arguments, mais ne prend pas clairement position, estimant que le débat aura lieu au moment du réexamen des lois.
42Sans méconnaître la force des arguments qui sont avancés en faveur d’une levée de l’anonymat, il semble qu’on ne peut faire l’économie d’une réflexion globale sur la filiation biologique et la filiation sociale et/ou affective.
43Aujourd’hui le recul est assez faible et on ne dispose que de très peu d’éléments pour apprécier la réalité et l’étendue d’un éventuel malaise chez les enfants nés d’une IAD et devenus adolescents.
44On peut également penser que le développement de la pratique de l’injection intracytoplasmique d’un spermatozoïde (ICSI) va réduire considérablement le nombre d’IAD à venir.
45Le principe de l’anonymat affirmé dans le champ de la bioéthique pourrait se concevoir comme destiné à protéger les membres du corps social, confrontés à des rapports interpersonnels d’un type complètement nouveau, induits par les progrès de la science. De ces rapports, éminemment nouveaux, pourraient découler des relations perturbantes, déstructurantes, voire annihilantes de la personne, que la société n’est pas prête pour l’instant à aider à assumer. Le principe de l’anonymat serait destiné à éviter ces périls, le secret en étant le prix à payer.
46Toutefois il est impossible de méconnaître les bénéfices possibles attendus des progrès de la science et de la médecine et, de ce fait, difficilement admissible que l’intangibilité du principe de l’anonymat s’érige comme un obstacle face à eux.
47La société s’exprimant par la voix du législateur souverain a fait un certain type de choix à un moment donné, compte tenu de l’état de la science et des mentalités. Il appartiendra au Parlement, dûment éclairé, de trancher à nouveau lors du prochain réexamen des lois.
48L’anonymat et le secret tels qu’entendus dans les lois de bioéthique sont en quelque sorte induits par les progrès de la science et trouvent peut-être par là même un des fondements de leur précarité et donc de leur possible remise en cause.
49Mais qu’en est-il d’un secret bien plus ancestral celui-là, le secret médical qui scelle depuis des siècles le colloque singulier entre un médecin et son patient ?
Le secret médical est-il toujours une composante essentielle de la relation médecin-patient ?
50Marceau Long écrivait en 1991 que « le secret médical doit rester une garantie fondamentale pour le patient et le médecin. Mais l’intérêt général de la santé publique ne doit pas permettre qu’il soit un refuge derrière lequel on s’abrite alors que l’intérêt de la personne n’est pas véritablement en cause ».
51Ainsi clairement deux impératifs contradictoires s’opposent, mettant en balance intérêt individuel et intérêt collectif. Dès lors, le caractère absolu du secret s’effrite sous les coups de boutoir répétés des impératifs de la société, mais aussi quelquefois des exigences des patients eux-mêmes.
Fondements historiques et juridiques de la notion de secret médical
52La notion de secret médical est une donnée particulièrement forte qui a derrière elle une longue tradition ancrée dans l’histoire ancienne puisque déjà présente au IVe siècle avant J.-C. dans le serment d’Hippocrate, reprise au XVIe, au XVIIIe siècle avec la formule agréée par le Parlement « que personne ne divulgue les secrets des malades, ni ce qu’il a vu entendu et compris », puis par l’Association médicale mondiale en 1948 et finalement par le Conseil national de l’Ordre des médecins qui adopte le 18 octobre 1995 le nouveau texte du serment médical. Le Code de déontologie prévoit dans son article 4 que « le secret est institué dans l’intérêt des malades et s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi ». Cette notion très forte semble bien avoir traversé les ans sans la moindre égratignure. Fondée en premier lieu déontologiquement, elle reçoit aussi une garantie juridique, essentiellement au plan pénal mais aussi indirectement par le droit civil.
53S’agissant de la déontologie, le secret constitue « la pierre angulaire de la morale médicale ». Selon Bernard Hoerni, « il n’y a pas de soins de qualité sans confidences, de confidences sans confiance, de confiance sans secret ». Il s’impose au médecin et garantit vis-à-vis de son patient la confidentialité des informations dont il peut avoir connaissance. C’est cette garantie constituée par le secret qui fonde la relation de confiance tout à fait essentielle pour permettre au praticien d’exercer son art. Initialement, simple obligation morale du médecin, cette obligation du secret n’a été sanctionnée déontologiquement en particulier par les juridictions disciplinaires de l’Ordre des médecins qu’à partir du XIXe siècle. Elle couvre un certain nombre d’éléments ainsi protégés, que ce soient les confidences, révélations faites par le patient, ou bien toute autre information dont le médecin a pu avoir connaissance dans l’exercice de sa profession.
54Juridiquement les manquements à l’obligation de respecter le secret médical sont sanctionnés à la fois sur le plan pénal et sur le plan civil.
55L’article 226-13 du Code pénal prévoit que « la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 100 000 F d’amende ». L’article 226-14 énonce un certain nombre de dérogations à l’article précédent notamment dans les domaines touchant à l’ordre public.
56Au plan civil la violation du secret médical est considérée comme une atteinte à l’intimité de la vie privée et de ce fait ouvre droit à réparation notamment sous forme de dommages et intérêts.
Les atténuations au caractère absolu du secret médical
57De plus en plus des brèches s’ouvrent, constituant autant d’atteintes susceptibles d’être portées à la règle du secret médical intransgressable. Elles sont le fait des textes juridiques prévoyant des dérogations notamment s’agissant de l’ordre public ; elles résultent de la jurisprudence, ou même de la demande des patients eux-mêmes. Enfin, un certain nombre de situations particulières se sont présentées semblant justifier un traitement particulier comme, par exemple, dans le domaine de l’assurance des personnes.
58a. Les textes juridiques prévoient que le souci du maintien de l’ordre public peut conduire à la rupture du secret médical
59Ainsi l’article 226-14 prévoit que l’obligation de secret est levée par « celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations, de sévices y compris lorsqu’il s’agit d’atteintes sexuelles dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique ». Est aussi dégagé du secret « le médecin qui, avec l’accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République les sévices qu’il a constatés dans l’exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences sexuelles de toute nature ont été commises ».
60Seul un texte de nature législative est susceptible de prévoir des dérogations à l’obligation de secret et, en cette matière, on peut estimer que le législateur français a adopté une position assez minimaliste, tentant avec difficulté de concilier l’indispensable respect de la personne dans sa dignité, son droit au secret de son intimité, de sa vie privée, et l’intérêt public d’une société qui est en droit d’estimer que dans certains cas l’intransgressable peut être transgressé. Ce sont les cas où la société s’estime l’objet d’une menace potentielle et réagit dans un but compréhensible de protection. Ces cas relèvent bien entendu du maintien de l’ordre public, mais aussi de la protection sanitaire. Ainsi la liste des maladies à déclaration obligatoire et les modalités de leur déclaration (anonyme ou nominative) sont fixées par voie réglementaire (art. 11 et 12 du Code de la santé publique). Il est à noter que ce type de dispositions n’est pas sans soulever de lourdes questions éthiques. Ainsi, le CCNE, saisi en octobre 1999 de deux textes réglementaires fixant les modalités detransmission à l’autorité sanitaire de données individuelles concernant les cas de maladies à déclaration obligatoire, et la liste de ces maladies, estimait que : « l’enregistrement de données à caractère nominatif a très certainement pour seul but l’élimination de doublons. Mais, il rappelle avec force qu’une telle exigence technique ne doit en aucune façon l’emporter sur le respect absolu de l’anonymat, en raison du préjudice éventuel constitué par la possible divulgation d’une sérologie VIH, dont la nécessité du secret a été particulièrement démontrée ». « Parmi les arguments s’opposant à la déclaration obligatoire de l’infection par le VIH, le plus important au plan de l’éthique a trait au risque d’une détérioration de la relation médecin-malade. » « Plus importante est la crainte que pourraient ressentir les malades que le secret médical ne soit pas respecté et qu’une information secrète qui les concerne puisse être divulguée. »
61b. Deux domaines particuliers ont pu sembler justifier quelques aménagements à la notion de secret médical, il s’agit des compagnies d’assurance, de la médecine du travail, mais la tradition du secret médical y reste toutefois très forte.
62– Dans le cadre d’un contrat d’assurance, on conçoit aisément les tensions qui peuvent surgir entre les intérêts de l’assureur qui, pour apprécier au mieux les risques qu’il s’apprête à couvrir, souhaite disposer d’un maximum de données médicales concernant l’assuré, et ceux tout à fait opposés de l’assuré qui entend préserver son intimité et la confidentialité des informations relatives à sa santé. La position du médecin-conseil de l’assurance est délicate, et peut se révéler ambiguë. Une jurisprudence très abondante sur ces questions montre que le médecin-conseil est tenu à la plus stricte obligation de secret médical, comme vient de le rappeler la Cour de cassation dans un arrêt du 12 janvier 1999.
63– Le médecin du travail reste lui aussi absolument lié par le secret professionnel vis-à-vis à la fois de la hiérarchie, et des représentants du personnel, même dans le but louable de permettre la défense du salarié.
64c. La plus délicate des situations est celle où la demande de transgression de la règle du secret émane du patient lui-même, qui peut d’ailleurs obéir à des motivations d’ordres assez variés.
65Nos sociétés contemporaines, probablement guidées par une réaction contre des méfaits d’une tradition médicale de secret absolu qui a certainement entraîné des effets très néfastes et préjudiciables, érigent en vertu suprême la vérité, la transparence. Les médias s’emploient d’ailleurs à susciter cette demande de vérité à tout prix en en faisant un élément premier permettant à chacun d’assumer sa qualité de personne. Or il est peut-être temps de songer que, si une des dimensions de la liberté de chacun est le droit de savoir, il existe aussi un ultime espace de liberté qui est le droit de ne pas savoir. Il convient à cet égard de mentionner l’article 35 du Code de déontologie médicale aux termes duquel « toutefois, dans l’intérêt du malade et pour des raisons que le praticien apprécie en conscience, un malade peut être tenu dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic grave… ».
66Si la transparence et la quête de la vérité ou d’une vérité sont un des éléments essentiels de notre modernité, un autre est l’intrusion de l’informatique dans un nombre croissant d’activités sociales et ici plus particulièrement dans le monde médical.
Le secret médical et l’informatique
67Le simple énoncé du titre de ce chapitre laisse entendre immédiatement les données de la question : le développement des systèmes informatiques dans le secteur de la santé n’est-il pas susceptible, malgré le progrès considérable qu’il réalise, non seulement de porter atteinte à la qualité des informations transmises, mais surtout à leur confidentialité. La réponse à cette question ne va pas de soi, car certains et même beaucoup pensent a contrario que l’informatique est à même d’apporter un surcroît de sécurité dans des domaines aussi sensibles.
68La règle du secret ayant été réaffirmée, un certain nombre d’éléments ont été mis en place, érigeant ainsi autant de barrières protectrices, mais un minimum de réalisme impose de rester prudent car il existe, quoi qu’il en soit, des risques potentiels de violation du secret médical, intrinsèquement liés à la structure même des systèmes informatiques.
Les éléments protecteurs du secret
69a. La loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés apporte un certain nombre de garanties. Par son objet même, puisqu’elle vise « à encadrer les applications de l’informatique de manière qu’il ne soit pas porté atteinte à l’identité, à la vie privée et aux libertés individuelles ou publiques ». Pour ce faire, elle enjoint aux responsables des fichiers dans son article 19 d’« assurer la garantie des secrets protégés par la loi » et le secret médical est l’un de ceux-là.
70Deux moyens essentiels sont prévus par le dispositif législatif pour préserver la notion de secret : il s’agit en premier lieu de l’obligation de sécurité qu’elle fait peser sur les responsables de fichiers dans son article 29, et en second lieu des précisions qu’elle apporte dans la définition des destinataires des informations contenues dans les fichiers. Il va de soi que plus nombreux seront les destinataires plus grands seront les risques de rupture de la confidentialité.
71b. L’autre élément protecteur du secret est la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) qui par ses interventions contribue de manière particulièrement vigilante à la préservation du secret médical. « La CNIL pour sa part prend l’exigence de sécurité en bloc, en ayant souvent le sentiment qu’elle renforce le secret médical en lui donnant un contenu concret. »
72Il est intéressant de noter que même si la loi donnait à la CNIL la faculté d’édicter des règlements de sécurité, elle a préféré œuvrer par voie de recommandations comme par exemple à propos du système Sésame-Vitale.
73Les préoccupations de la CNIL ne sont d’ailleurs nullement en contradiction avec celles des milieux médicaux qui élaborent une réflexion pour que des paramètres éthiques entrent en compte pour déterminer quel doit être le bon fonctionnement des réseaux de santé.
Les risques
74Deux domaines semblent particulièrement sensibles. Il s’agit dans une moindre mesure de l’informatique hospitalière, et, d’une manière plus préoccupante peut-être, de dispositif de maîtrise des dépenses de santé.
75– S’agissant de l’informatique hospitalière, les risques et les dérives qui ont pu avoir lieu étaient principalement liés au nombre excessif de responsables de tous ordres et à leur manque de compétence dans le domaine de l’informatique. La CNIL semble estimer que la prise de conscience des uns et des autres apporte désormais plus de sérieux dans la gestion des fichiers, minimisant ainsi les dangers.
76– Le dispositif de maîtrise des dépenses de santé pose quant à lui un certain nombre de questions non encore résolues.
77Aujourd’hui, environ quarante millions de cartes Vitale ont été diffusées aux assurés sociaux. Plus de 100 000 cartes de professionnels de santé ont été distribuées, soit un professionnel de santé sur trois.
78Conçu initialement comme un outil dans l’effort de maîtrise des dépenses de santé, Sésame-Vitale semble bien aujourd’hui être amené à largement dépasser sa vocation initiale. « Sésame-Vitale et la CPS sont des leviers qui sont en train de faire démarrer tout un édifice de nouveaux services. À terme, ils ont vocation à n’être qu’un sous-ensemble des outils d’information des professionnels de santé [1]. »
79De toute évidence, de telles perspectives amènent à se poser la question de la protection des données de santé et du secret médical, notamment avec la transmission des données via Internet…
80Parmi les risques majeurs on relèvera celui de la divulgation de données nominatives, ceux liés à l’utilisation du même identifiant à savoir le numéro de sécurité sociale, qui pourraient donner lieu à des pratiques discriminatoires éminemment condamnables… D’autres facteurs de risques non encore envisagés actuellement pourraient apparaître au fur et à mesure que le système prendra son ampleur.
81Le concept de secret médical serait-il désuet, démodé, venu d’un autre âge et anachronique dans une société démocratique moderne qui met au premier rang de ses priorités la circulation de l’information à tout prix et la circulation de n’importe quelle information ?
82Plus grave : sous couvert de l’argument de la protection de l’intimité du patient, le secret ne serait-il en fait que le bras armé d’un redoutable paternalisme médical, à bannir ?
83Dans une tout autre perspective, cette course folle à la transparence, rejetant la moindre confidentialité, ne pourrait-elle pas à terme, à son insu, se retourner contre les intérêts propres des patients, générant une société froide, déshumanisée, dans laquelle la chaleur et la subtilité des relations humaines n’auraient plus de place ?
84Il est toujours très délicat pour une société qui, dans son histoire, chemine d’un extrême à un autre, de se situer dans une position médiane. Peut-être la réflexion éthique portera-t-elle là sa contribution, aidant à conserver une place à la confidentialité et surtout à la confidence, et à la confiance qui restent fondatrices de toute relation humaine.
Notes
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André Loth, responsable de la mission Sésame-Vitale à la CNAHTS.