Pour 2013/2 N° 218

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Article de revue

Éoliennes, mise en valeur ou dégradation des campagnes ?

Pages 91 à 98

Notes

  • [1]
    Le parc éolien de la communauté de communes de Fruges (Pas-de-Calais) est pour l’heure le plus important de France ; il compte 70 éoliennes dont la puissance installée totale est de 140 MW (un mégawatt MW = 1 000 watts ; un gigawatt GW = 1 000 mégawatts).
  • [2]
    3,1 % au 1er trimestre 2013 ; pour l’ensemble de l’année 2012, 2,8 % contre 74,8 % pour les centrales nucléaires, 11,8 % pour les centrales hydro-électriques, etc. (source : « Bilan électrique 2012 », Réseau de transport d’électricité, janvier 2013). En Allemagne, 8 % de l’énergie consommée en 2012 a été fournie par des éoliennes.
  • [3]
    Source : Global Wind Energy Council (GWEC), Annual market update 2012, mars 2013.
  • [4]
    En 2011, elle n’en est qu’à 11,5 %.
  • [5]
    Selon une étude de l’Institut Fraunhofer (Le Journal des Energies Renouvelables n° 214, mars-avril 2013) ; or, du simple effet de conditions naturelles plus favorables aux parcs éoliens installés en France, le prix de revient y est sans doute inférieur en moyenne à ce qu’il est en Allemagne.
  • [6]
    Sondage IPSOS, décembre 2012.
  • [7]
    Baromètre d’opinion sur l’énergie et le climat en 2012, Commissariat général au développement durable, Chiffres et Statistiques n° 412, avril 2013.
  • [8]
    L’austérité réglementaire éolienne a été coagulée dans la loi Grenelle 2 promulguée le 12 juillet 2010 ; la loi Brottes (16 avril 2013) se propose d’adoucir quelque peu cette rigueur.
  • [9]
    Au 31 décembre 2012, 3 888 MW d’origine éolienne étaient en attente de raccordement au réseau électrique, soit la moitié de la totalité des installations en fonctionnement à cette date.
  • [10]
    Le 23 avril 2013, le Medef prône « le maintien du nucléaire, filière d’excellence » et concède « un développement raisonné des énergies renouvelables ».

1Par leurs caractéristiques et du fait des contraintes très strictes qu’une législation prolifique et spécifique impose à leur développement, les éoliennes terrestres semblent aujourd’hui devoir obligatoirement s’inscrire dans une partie de l’espace rural. Cette constatation paraît d’autant plus s’imposer comme une évidence que dans les quatre-vingt-cinq pays où des éoliennes ont été installées, c’est un phénomène rural, ou du moins extra-urbain. Or, en France, à partir du début de l’année 2007, c’est au plus haut niveau de l’État qu’a été affirmée et validée la revendication des opposants les plus radicaux quant à leur localisation, à savoir que ce type d’équipement qualifié « d’éolien industriel » soit « logiquement » et strictement confiné dans les zones industrielles. Lorsqu’est apparu l’aspect insolite de ce choix, c’est tout au contraire loin des villes et des villages que, supposées nocives de multiples points de vue, les éoliennes ont été rejetées, en quelque sorte à la périphérie de l’oekoumène : une éolienne ne peut être installée à moins de cinq cents mètres de tout bâtiment à usage d’habitation et c’est l’ensemble de la législation afférente qui est sustentée par cette dépréciation du phénomène éolien et en conséquence, des espaces ruraux. On voit par là que le choix d’en faire une réalité rurale relève en première analyse plus de considérations d’ordre spatial et politique que de contraintes techniques. À la différence des autres « grandes » énergies et à l’instar de l’énergie solaire, la production d’énergie éolienne en France ne recourt pas à des installations concentrées ni à des investissements massifs puisque, ruraux, les parcs éoliens français ne regroupent au maximum que quelques dizaines de machines pour les plus importants [1].

2À n’entendre que la véhémence des débats au Parlement, à ne lire que les titres de la presse nationale et régionale, on pourrait croire que l’installation de parcs éoliens dans les zones rurales mérite de constituer un thème de débat essentiel pour l’avenir de ces zones, voire pour celui de l’ensemble de l’économie et de la société du pays. Quelle que soit la passion qui les anime, ces débats ne sauraient faire oublier que les éoliennes ne fournissent guère plus de 3 % de l’électricité consommée en France [2]

L’éolien en France : retard ou insurmontable blocage ?

3On ne peut être que stupéfait devant la rapidité qui caractérise l’accroissement des potentiels de production d’électricité d’origine éolienne dans le monde depuis le début des années 2000. Cette année-là, seuls cinq pays, dont trois européens, disposaient de plus de 1 000 MW de puissance éolienne installée ; fin 2012, 22 pays dont 14 européens ont atteint ce niveau soit, à l’exception de la Russie, la quasi-totalité des grandes puissances économiques. Insensible à toutes les difficultés économiques des vieux pays industriels comme aux aléas de la croissance dans les « pays émergents », l’ajout de nouvelles puissances a été chaque année supérieur à celui de l’année précédente et, pour l’ensemble du monde, la puissance totale devrait presque doubler en cinq années (282,6 GW en 2012, 536 GW en 2017) [3].

figure im1

4Cinquième puissance économique du monde, la France ne pouvait dédaigner cette voie vers une production d’énergie renouvelable pouvant contribuer à satisfaire son engagement européen obligatoire de produire en 2020, à partir de sources renouvelables, 23 % de son énergie consommée [4]. La France s’engageait ainsi à installer des éoliennes terrestres pour une puissance 19 000 MW et des éoliennes maritimes pour 6 000 MW. Double retard : aucune de celles-ci ne sortira des ondes avant 2020 et, au 31 décembre 2012, les 4 500 éoliennes terrestres ne comptent que pour 7 562 MW installés. Jadis pionnière, la France ne se classe plus aujourd’hui qu’au huitième rang des « puissances éoliennes » dans le monde, loin de l’Allemagne, pays qui constitue le référent habituel de la France dans les divers domaines de l’économie (tableau 1).

Tableau 1

Densité éolienne en France et dans quelques pays (situation au 31 décembre 2012)

Tableau 1
Pays 1 2 3 Danemark 4 162 96,8 746 Allemagne 31 332 87, 8 383 Espagne 22 796 45,0 489 Royaume-Uni 8 445 36,7 132 France 7 562 13,7 115 États-Unis 60 007 6,2 190 Chine 75 544 7,8 60

Densité éolienne en France et dans quelques pays (situation au 31 décembre 2012)

? Puissance éolienne installée totale (en MW) ; source : GWEC
? Puissance éolienne installée en watts par km2
? Puissance éolienne installée en watts par millier d’habitants

Quelles sont les raisons de cet indéniable retard ?

5Dès lors qu’il a été décidé ici d’éloigner les éoliennes de tout espace habité, ce sont les territoires indéniablement ruraux qui se sont vus « contraints » de servir d’exutoires à ces équipements jugés indésirables ailleurs. À première vue, c’était là un atout : il y a « de la place » pour ériger des éoliennes puisque la France a conservé des espaces ruraux bien plus étendus que des pays plus urbanisés comme l’Allemagne. Surtout, largement ouverts aux vents océaniques de l’ouest, aux vents méditerranéens, ces espaces ruraux sont considérés, hors les Îles britanniques, comme les meilleurs gisements en Europe pour de potentiels équipements éoliens. Bénéficiant de progrès technologiques ininterrompus depuis la fin du siècle dernier et avançant du même pas dans tous les pays (augmentation spectaculaire de la puissance des machines, diminution de leur impact sonore, adaptation de plus en plus fine aux variations chronologiques de la ressource-vent, etc.), la production d’électricité par les éoliennes a vu son coût unitaire diminuer sans cesse et il s’inscrit désormais dans l’éventail du coût des kilowatts-heures issus d’autres sources classiques d’énergie. En France, elle est aujourd’hui revendue à Électricité de France 8,2 centimes d’euro le kWh ; en Allemagne, le prix de revient en serait compris entre 6,5 et 8,1 centimes [5].

6Il n’empêche : l’installation de parcs éoliens dans les campagnes françaises continue de susciter des débats animés, voire violents, et la contestation est systématique pour la quasi-totalité des projets, depuis leur émergence jusqu’à leur réalisation ou, plus souvent, leur refus par les autorités administratives ou, plus simplement, leur abandon par les promoteurs et les collectivités territoriales rurales intéressées, en passant par des épisodes judiciaires renouvelés et interminables. D’un côté, les nombreuses enquêtes et études d’opinion démontrent sans cesse et sans conteste que l’énergie éolienne bénéficie d’une image très positive pour 83 % des Français, qualifiée qu’elle est de « renouvelable », « propre », « économique », « écologique » [6]. L’acceptabilité n’en semble pas devoir susciter de difficultés majeures : 80 % des personnes se déclarent prêtes à accueillir des éoliennes dans leur département et 68 % dans leur commune ; elle est aussi nette chez les habitants des campagnes que chez les citadins et, dans un lieu donné, elle est plus forte chez « les voisins des éoliennes » après leur mise en service que lorsqu’elles n’étaient encore que projetées. Une autre enquête [7] confirme que 75 % des Français trouvent « surtout des avantages » aux éoliennes contre 14 % qui leur trouvent « surtout des inconvénients » ; elle précise qu’elles rencontrent une faveur supérieure à la moyenne chez les moins de 40 ans, dans les foyers ayant plus de 3 100 euros de revenu mensuel et surtout dans les communes de moins de 2 000 habitants où elle atteint 85 % des personnes. Si la très grande majorité des ruraux comme des Français font part de leur appréciation positive des éoliennes, sur des aspects particuliers, une minorité appréciable exprime sa défaveur : 43 % des Français leur imputent « la dégradation du paysage », 34 % se plaignent du « bruit qu’elles génèrent » et 39 % regrettent leur fonctionnement intermittent. Remarquons pourtant qu’en Europe, c’est dans les pays les plus urbanisés et les plus densément peuplés que le développement éolien est le plus conséquent et que, mesurée à travers deux indicateurs, « la pression éolienne » en France leur est très inférieure (tableau 1).

7C’est donc bien autour de la question centrale « mise en valeur ou dégradation des campagnes ? » que s’est organisé le débat sur la pertinence des éoliennes. Il ne s’est pas cantonné aux habitants permanents des campagnes les plus directement concernés puisqu’il a gagné toutes les catégories de population. Ce débat a été amplifié et le rapport des forces a été largement modifié par l’implication hostile de la plus grande partie de la presse et des élus. La France n’est pas le seul pays où une minorité a ainsi pris position dans un débat qui, à la différence d’autres questions touchant à la production et à l’utilisation des diverses formes d’énergie, est resté ouvert à toutes les opinions, mais c’est le seul pays où cette situation a abouti à la diminution des installations d’éoliennes : en 2012, il a été raccordé au réseau électrique une puissance inférieure à celle qui a été ajoutée en 2006. C’est l’effet de l’empilement de mesures dissuasives – un véritable « millefeuille administratif » élaboré surtout depuis 2007 [8] – dont le but affiché a moins été de protéger les campagnes d’intrusions non souhaitées que de décourager les initiatives des promoteurs privés et des collectivités ou des groupements de citoyens en ajournant sans limites a priori leur concrétisation. En France, s’il a la chance de voir le jour, un parc éolien doit surmonter en moyenne huit années de procédures et de coûts, soit la durée requise pour la construction d’une centrale nucléaire de puissance moyenne. [9] Alors qu’elles sont légion dans nombre de pays, les initiatives éoliennes locales ou émanant de sociétés petites et moyennes sont l’exception : pour les campagnes françaises, le choix politique a ainsi été fait de réserver ce secteur de la production énergétique à des très grandes sociétés étrangères, ce qui est la plus efficace façon d’annihiler le caractère local et décentralisé de la production éolienne.

8Localement, refusant tout compromis et toute nuance dans leur discours unifié, les opposants parlent du « bruit lancinant », « des paysages et de la faune massacrés », « des patrimoines dévalorisés », expressions récurrentes d’un conservatisme plus largement appliqué à l’environnement quotidien… À un autre niveau, ce corpus a été vulgarisé par la presse, repris par des élus et par l’administration préfectorale, mais la cohérence explicative de l’ensemble n’apparaît que si on y lit une sorte d’« hypertexte » omniprésent quoique le plus souvent fort discret : l’équipement éolien ne doit pas remettre en cause le choix du nucléaire comme source principale d’énergie en France. Le débat sur « la transition énergétique » organisé en 2013 a eu le mérite de conduire à l’explicitation de cet antagonisme exagérément simplifié [10]. En effet, à la différence des autres sources d’énergie électrique, les énergies éolienne et nucléaire ont pour point commun d’être inadaptées à l’extrême variabilité de la consommation. L’intermittence des ressources éoliennes est connue et mise en exergue par les opposants ; la rigidité de la production nucléaire l’est moins, quoiqu’elle oblige la France à s’insérer dans un système d’échanges internationaux d’énergie financièrement coûteux. La substitution de l’une à l’autre ne peut donc se concevoir dans l’instant mais seulement dans la durée.

France du vent, France des éoliennes

9La carte révèle les très grandes disparités interrégionales qui affectent la mobilisation de la ressource-vent sur le territoire français. A ce jour, de vastes régions couvrant plus de la moitié du pays ne bénéficient/pâtissent pas de l’installation de parcs éoliens : en particulier, les régions de montagnes, le Sud-Ouest. Elle permet aussi d’identifier les trois principales variables qui en déterminent les contours.

  • Logiquement, les régions proches de l’Atlantique et de la Manche ont attiré en priorité les promoteurs de parcs éoliens car elles disposent d’un fort potentiel ; il en va de même, près de la Méditerranée, pour les régions littorales proches du Golfe du Lion.
  • Toutefois, hormis en Picardie et en Beauce, les régions les plus ventées ne sont pas les plus équipées : encore faut-il que l’habitat rural y soit groupé pour que des éoliennes puissent être installées à plus de 500 mètres de la plus proche maison ; a contrario, la Bretagne et son habitat dispersé ne sont pas autant dotés que leur potentiel aurait pu le laisser prévoir.
  • Enfin, l’importance des opposants s’appuyant énergiquement sur une législation fort dissuasive a limité ou carrément empêché l’installation de parcs dans bien des régions, en particulier dans le Sud-Ouest.
En définitive, c’est la Lorraine et la Champagne qui, quoique loin d’être les plus ventées, ont offert les meilleures conditions sociales (faible densité de population, habitat groupé, bonne acceptation de l’innovation en milieu rural) au développement éolien en France.

Puissance éolienne raccordée au 31-12-2012 (en MW par département)

figure im3

Puissance éolienne raccordée au 31-12-2012 (en MW par département)

Commissariat général au développement durable, Service de l’observation et des statistiques, Chiffres et statistiques n° 396, février 2013.

10Apparemment anecdotique, le retard de la France dans l’équipement éolien de ses campagnes se révèle être, par ses implications, au cœur de la politique énergétique comme des hésitations de la société envers un élément clé de la modernité. Envisagé de ce point de vue, il est à redouter que, structurel, il ne puisse être comblé avant longtemps.

Bibliographie

Références

  • Alain Nadaï et Olivier Labussière, Paysage et éolien, au-delà des clichés, propos recueillis par Emannuel Thévenon, Systèmes solaires, Hors Série Le journal de l’éolien n° 5, 2009, p. 17-20.

Date de mise en ligne : 23/04/2014.

https://doi.org/10.3917/pour.218.0091

Notes

  • [1]
    Le parc éolien de la communauté de communes de Fruges (Pas-de-Calais) est pour l’heure le plus important de France ; il compte 70 éoliennes dont la puissance installée totale est de 140 MW (un mégawatt MW = 1 000 watts ; un gigawatt GW = 1 000 mégawatts).
  • [2]
    3,1 % au 1er trimestre 2013 ; pour l’ensemble de l’année 2012, 2,8 % contre 74,8 % pour les centrales nucléaires, 11,8 % pour les centrales hydro-électriques, etc. (source : « Bilan électrique 2012 », Réseau de transport d’électricité, janvier 2013). En Allemagne, 8 % de l’énergie consommée en 2012 a été fournie par des éoliennes.
  • [3]
    Source : Global Wind Energy Council (GWEC), Annual market update 2012, mars 2013.
  • [4]
    En 2011, elle n’en est qu’à 11,5 %.
  • [5]
    Selon une étude de l’Institut Fraunhofer (Le Journal des Energies Renouvelables n° 214, mars-avril 2013) ; or, du simple effet de conditions naturelles plus favorables aux parcs éoliens installés en France, le prix de revient y est sans doute inférieur en moyenne à ce qu’il est en Allemagne.
  • [6]
    Sondage IPSOS, décembre 2012.
  • [7]
    Baromètre d’opinion sur l’énergie et le climat en 2012, Commissariat général au développement durable, Chiffres et Statistiques n° 412, avril 2013.
  • [8]
    L’austérité réglementaire éolienne a été coagulée dans la loi Grenelle 2 promulguée le 12 juillet 2010 ; la loi Brottes (16 avril 2013) se propose d’adoucir quelque peu cette rigueur.
  • [9]
    Au 31 décembre 2012, 3 888 MW d’origine éolienne étaient en attente de raccordement au réseau électrique, soit la moitié de la totalité des installations en fonctionnement à cette date.
  • [10]
    Le 23 avril 2013, le Medef prône « le maintien du nucléaire, filière d’excellence » et concède « un développement raisonné des énergies renouvelables ».
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