Notes
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[1]
Société d’études géographiques et sociologiques appliquées.
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[2]
Institut des hautes études de droit rural et d’économie agricole.
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[3]
Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale.
-
[4]
Rapport de l’Inspection générale de l’Éducation nationale, La Documentation Française, 1995.
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[5]
Marçot Jacques, « Le maintien et l’adaptation des services publics et des activités de soutien à l’économie en milieu rural », Rapport du CES, 1990.
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[6]
Ces maisons, créées par la loi du 12 avril 2000 relative aux « droits des citoyens dans leurs relations aux services publics » cherchent à la fois une plus grande la proximité géographique des services publics pour le citoyen et à faciliter les démarches administratives des usagers. Sous la forme de structures publiques ou privées, on en comptera 350 en 2004.
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[7]
Le Point Multi-Services est un « espace de services » installé dans une entreprise commerciale ou artisanale à dominante alimentaire (épicerie, bar, restaurant, boulangerie…) situé dans une commune de moins de 2 000 habitants. Il met à la disposition de la population grâce à un partenariat, établi au niveau régional avec des organismes privés et publics, une gamme de services en complément de son activité : relais petites annonces, relais SNCF, informations touristiques, point retrait d’argent, produits de téléphonie mobile… Ils sont surtout présents en Aquitaine, Auvergne, Centre, Limousin, Poitou-Charentes.
1Au début des années 1960, les conditions de vie dans les campagnes françaises sont en fort décalage avec celles de la ville. En effet, de nombreux villages ne disposent pas encore des services élémentaires de la vie quotidienne comme l’eau courante, l’électrification et les routes. L’habitat traditionnel est demeuré peu confortable, les commerces et services hérités de l’organisation ancienne sont encore là, mais vieillissants. On peut parler, avec les sociologues, d’un mode de vie rural caractérisé par une persistance de l’autoconsommation, l’attachement à la propriété et aux valeurs du passé mais, en réalité, largement conditionné par la faiblesse des revenus et le sous-équipement des communes. Les premiers efforts d’équipement des campagnes ont naturellement porté sur les infrastructures de base : les routes, l’eau, l’électricité... tâche qui dans certaines régions n’a été achevée que tardivement. Mais l’affaiblissement démographique des communes rurales se traduit progressivement par la disparition des commerces de proximité (la boulangerie, l’épicerie, le café...) et des services privés (transport collectif par exemple), d’abord dans les hameaux, puis dans les villages, et même dans nombre de chefs-lieux de canton. Les services publics, longtemps préservés par tradition républicaine, sont à leur tour menacés devant la nécessité de redéployer les moyens de l’État vers les régions urbanisées où les besoins sont pressants en raison de l’afflux des populations. Sous couvert de rationalisation, des écoles, des gendarmeries, des perceptions, des gares... vont progressivement être supprimées dans les zones rurales. Chaque disparition est vécue localement comme le signe d’un abandon de l’État et provoque souvent cortèges et manifestations. La diffusion de l’automobile et l’accroissement de la mobilité des personnes compensent une partie de cette perte, mais ne permet pas de répondre à toutes les situations, notamment à celles des populations dites captives, qui ne disposent pas de moyens individuels de locomotion (les personnes âgées et les jeunes principalement). Aujourd’hui les attentes ont changé. Avec l’accueil des nouvelles populations, elles se portent sur les services à l’enfance, les activités sportives et culturelles, l’accès aux technologies de la communication. Mais au total, l’accès aux services est bien une revendication permanente des ruraux durant ces 50 dernières années, avec pour motivation non seulement l’amélioration de leurs conditions de vie, mais aussi la requête d’une parité avec les urbains.
2Dans cette période, l’État et les pouvoirs publics en général n’ont cessé de chercher des réponses spécifiques à la question des services en milieu rural pour permettre aux habitants de vivre décemment et contenir les revendications. Dans cet effort collectif, la Datar [3] a joué un rôle privilégié en raison du caractère interministériel des solutions mises en œuvre (analyse des problèmes, négociation, expérimentation). Cette action a conduit à une succession de rapports, de réorganisations, d’innovations, de transferts de compétences, que l’on peut relater en plusieurs phases.
La recherche d’adaptations sectorielles
3Devant l’ampleur du mouvement de repli des services, un moratoire (gel de la situation) est décidé en 1974 par le Premier ministre, qui désigne un haut fonctionnaire pour analyser le problème et faire des propositions (Rapport Duchêne-Marullaz sur le maintien et l’amélioration des services dans les zones de faible densité). Le constat est évidemment celui d’une impossibilité de maintenir tel quel un dispositif de services hérité du XIXe siècle et assis sur un contexte de peuplement et de mobilité qui a totalement changé. Mais le rapport préconise des solutions pour assurer la permanence du service : un assouplissement et une meilleure adaptation des normes administratives, la recherche systématique d’innovations locales et la polyvalence administrative. Plusieurs rapports verront ainsi le jour dans les années qui suivent, comme le rapport du sénateur Delfau sur la présence postale en milieu rural (1990), du ministère de l’Éducation nationale sur le réseau scolaire en milieu rural [4], du Conseil économique et social sur les services publics [5]…
4Chaque ministère, habitué à travailler de manière verticale en appliquant des normes uniformes à tout le territoire, est invité à réfléchir aux disparités qu’elles entraînent et à se doter d’un service en charge d’examiner les adaptations à concevoir dans le contexte des zones rurales. Il va en découler tout un arsenal de mesures sectorielles dans lesquelles vont s’impliquer la Datar, le ministère de l’Agriculture et la plupart des ministères. Les seuils de fermetures des écoles à classe unique sont assouplis, le nombre minimum d’élèves pour ouvrir un collège est abaissé, un dispositif dérogatoire est prévu pour l’ouverture d’une pharmacie dans les petites communes, un service de car remplace le train supprimé… De très nombreuses opérations expérimentales sont financées dans le domaine des transports publics (transports à la demande, taxis collectifs…). Les communes elles-mêmes s’engagent parfois dans cette voie en reprenant à leur compte le dernier café, en rachetant des fonds de commerce pour les mettre en gérance (boulangerie, épicerie), en finançant la venue d’un médecin…
5Mais l’innovation majeure sera celle de la mise en œuvre de la polyvalence administrative sous l’égide de la Poste à partir de 1979. Plutôt que de vouloir maintenir chacun des services publics, l’idée s’impose de les regrouper dans un même lieu, avec un même agent. En réalité, cette initiative de bon sens va connaître de nombreuses difficultés en raison du cloisonnement des administrations et des conflits de compétences qui en découlent. Elle va demeurer assez largement expérimentale, bien qu’environ 2 500 bureaux y aient participé, et n’apportera pas véritablement les résultats attendus. Son handicap est sans doute d’avoir été conçue dans la seule sphère publique, car elle resurgira plus tard en y associant le secteur privé.
6Pour beaucoup des solutions imaginées, les impératifs économiques reprendront le dessus : la demande n’est pas toujours au rendez-vous des nouveaux services proposés, le consommateur et l’usager deviennent plus exigeants et choisissent la qualité et la diversité de l’offre plus que la proximité (même le Crédit Agricole abandonnera son argument de la proximité et concentrera ses bureaux). Les corporatismes freinent parfois la réforme comme dans le cas de l’implantation de nouvelles pharmacies (le décret d’application de la loi Pasqua assouplissant le dispositif pour les pharmacies rurales ne verra jamais le jour). La logique financière (nécessité d’économiser les fonds publics) va jouer dans le même sens, en dépit de la reconduction des moratoires. Intéressantes sur le plan de l’innovation et de l’expérimentation, la plupart de ces initiatives ne fonctionneront que sur la base d’un apport financier public renouvelé chaque année. Elles disparaîtront parfois en raison du manque d’usagers, de la moindre qualité du service offert ou du manque de moyens.
La coordination des initiatives dans une approche territoriale plus globale
7La question de la permanence du service public continue toutefois à se poser dans les zones de plus faible densité (c’est-à-dire la plus large partie de la France), cela d’autant plus que l’attractivité de ces territoires tend à se confirmer à chaque recensement. Il est acté que la permanence du service ne signifie pas nécessairement son maintien physique sur place, mais qu’il faut considérer l’accessibilité au service en tenant compte de la mobilité croissante des personnes et surtout de la diffusion des nouvelles technologies de l’information et de la communication qui offrent des perspectives nouvelles pour l’accès aux services, y compris dans les zones les plus enclavées. La nécessité de déconcentrer la réflexion, et celle de mieux harmoniser les décisions publiques sur le terrain s’affirment. Le CIAT du 28 novembre 1991, en large partie consacré à ce sujet, va instaurer le principe d’un « Schéma départemental des services publics » dans lequel l’organisation souhaitable des services doit être conçue en associant les villes et les zones rurales. On crée une Commission départementale en charge d’examiner toute décision de création, comme de suppression, d’un service. Ces Schémas départementaux, après une phase expérimentale, seront étendus à tous les départements, mais ils vont se trouver en porte-à-faux avec le dispositif des Pays de la LOADDT dont le rôle est précisément de promouvoir une approche des services à un niveau plus local. Mais dans tous les cas, la logique territoriale l’emporte sur celle de la rationalisation verticale des dispositifs de services.
Vers la recherche de solutions locales associant public et privé
8En juin 1994, le CIAT de Bar-le-Duc avait conforté la notion de points publics dans lesquels il y a non seulement une coopération interservices plus poussée et la mise en commun de moyens, mais l’association d’autres partenaires au-delà des administrations, surtout les collectivités locales. Ce mouvement aboutira en 2000 à la mise en place des maisons de services publics [6] qui se proposent de réunir en un même lieu des services de l’État, des établissements publics, des collectivités locales, les services de la sécurité sociale et des organismes chargés d’une mission de service public. Dans la même veine, d’autres initiatives régionales de regroupement, associant aussi le secteur privé, vont aussi voir le jour comme les points multiservices [7].
9En concentrant les moyens sur un même lieu, en partageant les responsabilités et les financements, les MSP apparaissent comme un compromis entre l’impératif de proximité et la nécessaire rentabilité du service. Mais ces initiatives ne vont cependant pas régler tous les problèmes car, dans le même temps, les besoins des usagers, la mobilité, les technologies évoluent. Près de dix ans plus tard, un des chapitres du CIAT de septembre 2003, consacré aux espaces ruraux, s’intitule encore « Une meilleure accessibilité pour les services au public ». En octobre 2004, la démission de 263 élus creusois protestant contre la disparition des services met en évidence les difficultés rencontrées par les élus locaux des zones les plus faiblement peuplées pour maintenir les services publics, mais aussi pour dialoguer avec l’État. Le même thème se retrouve dans la Loi relative au développement des territoires ruraux de 2005 au titre de « l’amélioration de l’attractivité territoriale », avec la volonté d’adapter le régime juridique des maisons de services publics pour accueillir notamment des services privés (professions libérales, commerces de détail par exemple) et d’appliquer le principe de concertation avec les élus locaux avant la fermeture des services publics. Les mesures prises couvrent également différents points intéressant les services de proximité :
- faciliter l’accès aux services pour les catégories de ruraux les plus démunies (chèque transport) ;
- inciter et faciliter l’installation de praticiens de santé ;
- simplifier le fonctionnement des maisons de services publics et la gestion des partenariats public/privé.
Où l’on remet l’ouvrage sur le métier !
10Le Gouvernement installe en février 2005 la Conférence nationale des services publics en milieu rural ; elle remet son rapport en novembre de la même année et présente, après une large concertation menée par les préfets de départements, un projet de charte sur l’organisation de l’offre des services publics et au public en milieu rural. La concertation a montré que la population rurale est d’abord attachée à la qualité des services rendus plus qu’à la manière dont ils sont satisfaits. Elle montre aussi que la demande des habitants va bien au-delà des services publics traditionnels de proximité, elle concerne aussi les biens alimentaires, les services bancaires et postaux et surtout la médecine générale.
11Cette Charte, signée le 23 juin 2006 par l’État, l’Association des maires de France et 14 grands opérateurs de services, notamment EDF, La Poste, la SNCF, GDF, tous les organismes de protection sociale et les réseaux consulaires, fixe un cadre librement consenti pour la réorganisation et l’amélioration de l’offre des services au public. Elle s’applique aux 32 000 communes françaises de moins de 2 000 habitants, et prévoit des engagements :
- de méthode : toute évolution de l’offre de services au public est fondée sur un diagnostic partagé, une information précoce et une concertation approfondie ;
- en termes d’objectif : toute réorganisation de l’offre de services au public doit améliorer sa qualité ou son accessibilité pour les habitants ;
- de moyens : la mutualisation des moyens entre services et la polyvalence des personnels seront recherchées.
12Mais ces bonnes intentions et ces grands principes débouchent sur une certaine torpeur des cosignataires, et le Gouvernement demande un premier bilan partagé de l’application de cette charte. Une des conclusions est que « le service public ne peut plus être uniforme », qu’il « faut mieux adapter les services aux nouvelles spécificités du terrain… qu’il faut faire du sur-mesure », un constat déjà établi 20 ans plus tôt.
13On en conclut que le groupe des signataires de la charte doit se réunir régulièrement pour suivre l’application effective des engagements, et publier un rapport annuel « en toute transparence, après un bilan effectué dans chaque département ». Paradoxalement, il est énoncé que, sur le terrain, il faut remobiliser les préfets et leur conférer un rôle d’arbitre.
14Les participants acceptent d’engager une refonte de la charte autour de trois priorités :
- la définition d’objectifs d’accessibilité et de qualité de service à l’image de ce qui existe pour La Poste qui doit garantir, dans chaque département, que 90 % de la population est à moins de 5 kilomètres et 20 minutes d’un point postal ;
- l’engagement de l’État, des collectivités et des opérateurs dans des chartes ou des contrats locaux de service par territoire de vie ;
- la recherche de toutes les opportunités de mutualiser des moyens et de compléter un bouquet de services par des offres dématérialisées.
15Les Assises des territoires ruraux lancées en 2009 font resurgir de manière très claire la préoccupation pour les services, notamment celle des services de proximité : accès aux soins, garde d’enfants, offre locale de transports individuels ou collectifs, commerces de proximité…
16Il apparaît important de mettre en place de nouveaux modes de présence des services dans les territoires ruraux, qu’ils soient rendus par l’État, les collectivités territoriales ou les entreprises publiques et privées. La notion de service au public l’emporte définitivement sur celle de service public. C’est la raison pour laquelle cette thématique a été retenue dans le cadre du dernier appel à projet pour les pôles d’excellence rurale. On y suggère notamment la recherche de nouvelles formes d’organisation dans l’accès aux services, de nouveaux types de partenariats, l’utilisation des nouvelles technologies, qu’il s’agisse d’équipements ou de méthodes de travail… La réponse du terrain ne se fait pas attendre, plus de 150 dossiers de candidature ont été déposés sur cette thématique : pôles de santé pluridisciplinaires, micro-crèches, maisons de services publics à dimension sociale ou culturelle…
17Les réflexions ont constamment oscillé entre des items souvent contradictoires : proximité du service/qualité de l’offre, polyvalence/spécialisation, frontière sphère publique/sphère privée, organisation centralisée/décentralisée, gestion publique/compétitivité… En dépit des avancées obtenues, c’est un chantier qui reste ouvert pour plusieurs séries de raisons : la gamme des services attendus par les populations ne cesse de s’élargir, les nouvelles technologies de la communication qui ont déjà changé la donne n’ont pas encore produit tous leurs effets, la population rurale progresse et se diversifie, la nécessité de réduire les déficits publics va s’imposer. C’est en tout cas un formidable champ pour le débat citoyen et l’innovation sociale.
Bibliographie
À lire
- Élodie Castex, « Le transport à la demande (TAD) en France : état des lieux, typologie et modélisation de la flexibilité », Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse, sept 2007.
- Yvan Blot et Jean-Michel Fromion, « Rapport sur les Relais services publics en milieu rural », Ministère de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire, février 2006.
- A. Le Roy, Les activités de service : une chance pour les économies rurales ? Vers de nouvelles logiques de développement rural, éd. L’Harmattan, coll. « Alternatives rurales », 1997.
- Association nationale des élus de la montagne (Anem), « Contribution à la Conférence nationale des services publics en milieu rural », novembre 2005.
- V. Roussel, « La politique des services publics dans l’espace rural : du discours aux pratiques », Économie rurale n° 238, 1997.
- G. Pannetier, « La polyvalence administrative postale en milieu rural », Mappemonde/3, 1991.
Notes
-
[1]
Société d’études géographiques et sociologiques appliquées.
-
[2]
Institut des hautes études de droit rural et d’économie agricole.
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[3]
Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale.
-
[4]
Rapport de l’Inspection générale de l’Éducation nationale, La Documentation Française, 1995.
-
[5]
Marçot Jacques, « Le maintien et l’adaptation des services publics et des activités de soutien à l’économie en milieu rural », Rapport du CES, 1990.
-
[6]
Ces maisons, créées par la loi du 12 avril 2000 relative aux « droits des citoyens dans leurs relations aux services publics » cherchent à la fois une plus grande la proximité géographique des services publics pour le citoyen et à faciliter les démarches administratives des usagers. Sous la forme de structures publiques ou privées, on en comptera 350 en 2004.
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[7]
Le Point Multi-Services est un « espace de services » installé dans une entreprise commerciale ou artisanale à dominante alimentaire (épicerie, bar, restaurant, boulangerie…) situé dans une commune de moins de 2 000 habitants. Il met à la disposition de la population grâce à un partenariat, établi au niveau régional avec des organismes privés et publics, une gamme de services en complément de son activité : relais petites annonces, relais SNCF, informations touristiques, point retrait d’argent, produits de téléphonie mobile… Ils sont surtout présents en Aquitaine, Auvergne, Centre, Limousin, Poitou-Charentes.