Notes
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[1]
L’entrepreneuriat de nécessité concerne des individus poussés à créer leur propre emploi pour retrouver des revenus.
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[2]
L’entrepreneuriat d’opportunité correspond à des projets dotés d’un potentiel de développement, initiés par des individus très motivés pour les concrétiser.
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[3]
Extrait d’un entretien avec cette personne réalisé durant le mois de mai 2009.
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[4]
Réflexion qui nous a été donnée, dans un entretien en juillet 2009, par une autre femme entrepreneure qui a créé une activité de décoration et de tapisserie / restauration de sièges.
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[5]
A-t-on seulement une petite idée du nombre d’entrepreneurs qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, dans une grande précarité et/ou avec le revenu de solidarité active (RSA) ? Et ceci ne concerne pas que l’entrepreneuriat par nécessité. Dans la période de démarrage, qui peut durer plusieurs années, les créateurs d’entreprise acceptent souvent de n’être pas rémunérés ou de l’être très chichement (au niveau du RSA), comme me le faisait encore observer, dans un entretien récent (décembre 2009), une jeune créatrice d’entreprise, diplômée d’une grande école de management.
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[6]
Extrait du site Internet : www.hautlesfilles.org.
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[7]
M. Langlois-Berthelot, P.-A. de Malleray, E. Macron, H. Guillaume, J.-R. Cytermann, P. Balme, J.-L. Dupont, C. Szymankievicz, Rapport sur la valorisation de la recherche, Inspection générale des finances et Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, 2007.
-
[8]
Ph. Albert, « Le high-tech, grande illusion du décideur », Revue L’Expansion Entrepreneuriat n°1, 2009, p.14-19 ; D. Chabaud, « Pour sortir de la naïveté sur la création d’entreprise », Revue L’Expansion Entrepreneuriat n° 1, 2009, p.62-65 ; S. Shane, The illusions of Entrepreneurship : The costly myths that entrepreneurs, investors and policy makers live by, Yale University Press, 2008.
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[9]
Ceci n’est qu’une façon de voir les choses. Combien en restera-t-il dans trois ans ou dans cinq ans ? Combien d’emplois seront-ils pérennisés ?
1L’entrepreneuriat change de nature en passant d’une vision réductrice et simpliste (la création d’entreprise) à une conception beaucoup plus sophistiquée et complexe. Nous assistons à la fois à une montée en puissance du phénomène et à un éclatement de ses définitions et de ses formes. Certains auteurs évoquent, par exemple, l’émergence d’une économie entrepreneuriale dans laquelle, notamment, les connaissances joueraient un rôle clé. Pour d’autres, l’entrepreneuriat est une méthode, un état d’esprit, une façon de penser, de poser et de résoudre les problèmes. Quels que soient les niveaux d’analyse (individuel, organisationnel, sociétal), l’entrepreneuriat est dans l’air du temps. Mais l’entrepreneuriat est un phénomène économique et social très hétérogène. Cette fragmentation de l’objet est la conséquence de la variété de ses formes d’expression, mais également de la diversité des contextes dans lesquels le phénomène apparaît et se développe. L’étude du Global Entrepreneurship Monitor, qui concerne environ une quarantaine de pays, montre bien, année après année, que les taux d’activité entrepreneuriale varient considérablement d’un pays à un autre, en fonction des contextes économique, politique, démographique et géographique. La position de la France, dans cette compétition (entrepreneuriale) des nations, n’est pas très flatteuse, son taux d’activité entrepreneuriale, est en effet, et ce d’une manière récurrente, un des plus bas. Et pourtant, nos gouvernants, conscients de l’importance de la création d’entreprise, ont multiplié, ces dernières années, les initiatives et les mesures politiques pour stimuler, au niveau national, les comportements individuels et organisationnels : Loi sur l’innovation et la création d’entreprise innovante, entreprise à un euro, statut d’auto-entrepreneur, etc. Sans que cela soit toujours rendu explicite, ces intentions et actions politiques sont dirigées vers deux types d’entrepreneuriat : nécessité [1] et opportunité [2], qui concentrent l’essentiel des préoccupations économiques et sociales, dans la plupart des pays.
Entrepreneuriat par nécessité et création d’emploi : une réponse au problème du chômage ?
2Dès le premier choc pétrolier, dans les années 1970, Raymond Barre, alors Premier ministre, avance l’idée que pour ceux qui viennent de perdre leur emploi, la création d’entreprise peut être une manière de retrouver un emploi salarié. La fin des années 1960 marque l’achèvement des Trente Glorieuses, période bénie pendant laquelle le chômage n’était une préoccupation ni pour les individus, ni pour la collectivité. Le début des encouragements et les premières mesures incitatives à la création d’entreprise par des demandeurs d’emploi peuvent être situés au milieu des années 1970. Si l’idée, de celui qui fut présenté naguère comme « le premier économiste de France », est intéressante, son institutionnalisation dans les discours politiques et les dispositifs publics est sujette à paradoxe. Il y a dans ce premier attracteur étrange de l’entrepreneuriat une face cachée que nous allons essayer de dévoiler.
3Depuis plus de trente ans, la récurrence des injonctions et la permanence des mesures ont, d’une certaine façon, légitimé la création d’entreprise par nécessité, qui est apparue, de plus en plus, comme une option envisageable et possible, car encouragée par l’État. Mais tous les demandeurs d’emploi, tous les exclus de notre société n’ont pas toujours l’envie d’entreprendre, ni les ressources, au sens large, pour réussir dans cette voie. Créer une nouvelle activité s’avère très facile aujourd’hui, la pérenniser est une affaire beaucoup plus compliquée. Les entrepreneurs par nécessité créent leur propre emploi pour survivre et se réinsérer dans la société. Généralement, ils le font après des périodes de chômage longues et de nombreuses tentatives infructueuses pour retrouver un emploi salarié. Ces entrepreneurs bénéficient des mesures et des systèmes d’aide de droit commun et d’autres dispositifs plus adaptés à leur situation de demandeur d’emploi. Ces aides leur permettent de créer leur entreprise et sitôt l’enregistrement effectué, alors qu’ils entrent dans la phase post-création, ils découvrent l’autre face de l’accompagnement et l’envers des discours politiques. Rien ou pas grand-chose n’est fait pour les aider au moment où ils en ont généralement le plus besoin, dans la période où il leur faut gagner des clients et générer des revenus. La plupart des entrepreneurs par nécessité créent des emplois à partir de leurs expériences, de leurs compétences ou de ce qu’il leur est possible de faire pour vivre (ouvrir un commerce, une officine de conseils, un restaurant…). Autant dire que leurs premiers clients pourraient être celles et ceux qui les connaissent le mieux, c’est-à-dire les individus et les structures qui les ont aidés et accompagnés en phase de pré-création. Le problème est qu’ils ne le font pas ou peu. C’est ainsi qu’une femme entrepreneure nous disait récemment : « J’ai créé, il y a six mois, mon salon de thé et je propose chaque jour pour le déjeuner une formule différente, originale et bien positionnée en termes de rapport qualité / prix. Je vois passer devant mon salon de thé, depuis l’ouverture, le conseiller de la Chambre de commerce et d’industrie qui a instruit mon dossier, il ne s’est pas arrêté une seule fois ! [3] » Certes les conseillers pourraient rétorquer que si l’affaire connaît des difficultés, c’est parce que le produit n’est pas bien positionné, le business model a été élaboré trop vite, ou même il n’y a pas de place pour cette activité et il vaudrait mieux tout stopper. Mais quand ces entrepreneurs, qui galèrent, évoquent eux-mêmes cette éventualité, ils se reprennent très vite pour dire : « Et alors, si j’arrête, c’est pour faire quoi ! j’ai 55 ans, j’élève seule un enfant… [4] » Ce niveau de solidarité ne fonctionnant pas vraiment, dans les milieux de la création d’entreprise, entre ceux qui font et ceux qui accompagnent, les entrepreneurs par nécessité vont faire jouer la solidarité entre eux. Dans la difficulté, voire dans la misère [5], on n’est bien aidé que par soi-même et les membres de son groupe ou de sa communauté. Certains entrepreneurs par nécessité rejoignent donc, ou créent si elles n’existent pas localement, des associations dont le but est de défendre leurs intérêts propres, s’inscrivant de fait dans une logique (d’entrepreneuriat) communautaire. L’association Haut les filles, qui conjugue solidarité entre femmes et solidarité entre entrepreneurs naissants, en donne une bonne illustration : « Parce que les femmes le valent bien et qu’elles sont encore trop peu nombreuses à créer leur structure (seulement un tiers en région Provence-Alpes-Côte-d’Azur), Haut les filles vient soutenir celles qui ont franchi l’étape de la création et qui, après avoir été en général accompagnées, se retrouvent seules face à une multitude de défis à relever [6]. » Qu’on ne s’y trompe pas, de telles associations ont pour finalité, pas toujours explicite, de susciter des courants d’affaires entre des personnes aux profils et activités variés, qui vivent les mêmes affres de la création d’entreprise.
Entrepreneuriat par opportunité et création d’entreprise techno-innovante : où sont les gazelles de demain ?
4Le second attracteur étrange de l’entrepreneuriat, en France, est la création d’entreprise innovante, de préférence technologique et issue de la science. Ce type d’entrepreneuriat concentre une grande partie des ressources publiques dédiées à la création d’entreprises et nos gouvernants sont convaincus que ces start-up innovantes vont se transformer rapidement en gazelles (entreprises à très forte croissance) et en entreprises de taille intermédiaire (ETI – dont la taille est comprise entre 250 et plusieurs milliers de personnes). Ce niveau de focalisation a largement contribué à généraliser l’idée qu’une création d’entreprise doit forcément être basée sur une innovation, la plus radicale possible. De plus, la Loi de 1999 sur l’Innovation et la création d’entreprise innovante a attiré une nouvelle catégorie d’entrepreneurs : les chercheurs. Les deux constats précédents en entraînent un troisième : la forme la plus recherchée socialement d’entrepreneuriat est réservée à une élite composée de scientifiques et d’ingénieurs, seuls capables d’élaborer des projets innovants et prometteurs de création d’entreprise. Ce type d’entrepreneuriat recèle également une face cachée que nous allons évoquer maintenant.
5En premier lieu, les résultats des politiques publiques encourageant et supportant les créations d’entreprises innovantes s’avèrent décevants. Au total, d’après les éléments d’un rapport établi en 2007, les 29 incubateurs publics français ont permis, entre 2000 et 2006, la création de 1050 entreprises. Fin 2006, 901 étaient toujours en activité, totalisant 4325 emplois en équivalent temps plein, soit en moyenne 4,8 emplois par entreprise. Toujours d’après ce rapport, l’ensemble des mesures et dispositifs représentent un effort de l’État d’environ 260 millions d’euros sur la période 1999-2005 [7]. Peut-on parler de gazelles ? Quelle est la contribution réelle de ces entreprises à l’économie et à la société ? Y-a-t-il un niveau d’efficience satisfaisant dans l’allocation de ces ressources publiques ?
6En second lieu, alors que les politiques publiques et les stratégies suivies continuent de privilégier massivement l’aide et le financement des entreprises issues de la science et/ou appartenant aux secteurs high-tech, de nombreuses recherches montrent, de plus en plus, que :
- les start-up high-tech issues de la recherche (quasi exclusivement publique) ne sont pas les nouveaux moteurs de l’économie ;
- les secteurs high-tech ne sont pas les principaux moteurs de la croissance et de l’emploi ; ce sont les secteurs dits traditionnels qui jouent ce rôle [8].
7Dans ces conditions, où se trouve l’entrepreneuriat d’opportunité ? Ne faudrait-il pas réorienter les politiques publiques vers des entreprises existantes ou en gestation, dotées d’un potentiel de développement, plutôt que continuer à cibler des entreprises innovantes, technologiques, issues de la science ? S’intéresse-t-on au label ou au résultat ? D’autant que de nombreuses études européennes démontrent que les start-up high-tech ont été créées par des personnes hautement qualifiées ayant déjà une expérience en entreprise, voire ayant déjà créé une entreprise. Alors, que les politiques publiques en France, notamment avec la Loi de 1999, mettent davantage l’accent sur l’essaimage académique et sur un profil de porteur de projet (chercheur) très peu compatible avec l’action et la réussite entrepreneuriales.
En guise de conclusion
8En France, développer l’entrepreneuriat c’est, avant tout, abaisser les barrières réglementaires et assister les entrepreneurs dans des systèmes et des dispositifs d’accompagnement au sens large. Qu’on en juge par les mesures récentes de création d’entreprise à un euro, d’auto-entrepreneur et de création d’entreprise innovante. Qu’on en juge également par les discours qui annoncent, grâce au statut d’auto-entrepreneur, plus de 500 000 créations d’entreprise à la fin 2009 [9]. Et l’on entend des ministres claironner que cette augmentation du nombre de créations d’entreprises, qui plus est au plus fort de la crise financière, est le signe du renouveau de l’esprit d’entreprendre des Français ! Ce que l’on ne dit pas, c’est que cette croissance dissimule une réalité aux multiples visages : d’un côté l’entrepreneuriat d’opportunité diminue, de l’autre l’entrepreneuriat par nécessité augmente dans des proportions considérables. L’auto-entrepreneuriat va bénéficier à celles et à ceux qui ont déjà une activité. Pour les autres, les demandeurs d’emploi, leur faire croire qu’en abaissant la hauteur de la première haie, ils vont pouvoir devenir des coureurs de 110 mètres haies relève d’une certaine forme d’inconscience ou de manipulation politique.
9Alors que faire ? Plutôt qu’abaisser les barrières réglementaires, il conviendrait d’élever l’envie d’entreprendre, le sens des initiatives et des responsabilités, les aptitudes à accepter l’incertitude et le risque, et enfin les capacités individuelles à percevoir des opportunités de création et de développement d’entreprises. Pour cela, il faut redonner toute leur place et leur importance aux entrepreneurs, d’hier et d’aujourd’hui, innovants et ordinaires. Il faut également, utiliser les médias pour diffuser les valeurs, les motivations, les compétences particulières des entrepreneurs et leurs apports à la société. Il faut, enfin, valoriser ce qu’ils sont et ce qu’ils font ; les entrepreneurs sont loin de correspondre aux images véhiculées par les médias qui les décrivent tantôt comme des héros, tantôt comme des bandits en les confondant très souvent avec des dirigeants de grandes entreprises.
Notes
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[1]
L’entrepreneuriat de nécessité concerne des individus poussés à créer leur propre emploi pour retrouver des revenus.
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L’entrepreneuriat d’opportunité correspond à des projets dotés d’un potentiel de développement, initiés par des individus très motivés pour les concrétiser.
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[3]
Extrait d’un entretien avec cette personne réalisé durant le mois de mai 2009.
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Réflexion qui nous a été donnée, dans un entretien en juillet 2009, par une autre femme entrepreneure qui a créé une activité de décoration et de tapisserie / restauration de sièges.
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A-t-on seulement une petite idée du nombre d’entrepreneurs qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, dans une grande précarité et/ou avec le revenu de solidarité active (RSA) ? Et ceci ne concerne pas que l’entrepreneuriat par nécessité. Dans la période de démarrage, qui peut durer plusieurs années, les créateurs d’entreprise acceptent souvent de n’être pas rémunérés ou de l’être très chichement (au niveau du RSA), comme me le faisait encore observer, dans un entretien récent (décembre 2009), une jeune créatrice d’entreprise, diplômée d’une grande école de management.
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Extrait du site Internet : www.hautlesfilles.org.
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M. Langlois-Berthelot, P.-A. de Malleray, E. Macron, H. Guillaume, J.-R. Cytermann, P. Balme, J.-L. Dupont, C. Szymankievicz, Rapport sur la valorisation de la recherche, Inspection générale des finances et Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, 2007.
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[8]
Ph. Albert, « Le high-tech, grande illusion du décideur », Revue L’Expansion Entrepreneuriat n°1, 2009, p.14-19 ; D. Chabaud, « Pour sortir de la naïveté sur la création d’entreprise », Revue L’Expansion Entrepreneuriat n° 1, 2009, p.62-65 ; S. Shane, The illusions of Entrepreneurship : The costly myths that entrepreneurs, investors and policy makers live by, Yale University Press, 2008.
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Ceci n’est qu’une façon de voir les choses. Combien en restera-t-il dans trois ans ou dans cinq ans ? Combien d’emplois seront-ils pérennisés ?