Notes
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[*]
Université d’Orléans.
-
[1]
Publiées en 2009 et relatives aux résultats des enquêtes du recensement du cycle 2004-2008 (Cf. Dumont, Gérard-François, « Le nouveau recensement : une méthode duale et quinquennale », Population & Avenir, n° 667, mars-avril 2004).
-
[2]
Cf. la carte page 20 de ce numéro.
-
[3]
Françoise Ardillier-Carras, « L’immigration britannique en France. Le cas du Limousin », Population & Avenir, n° 690, novembre-décembre 2008.
-
[4]
Cf. Dumont, Gérard-François, « France : les régions face à l’économie de la connaissance », Population & Avenir, n° 696, janvier-février 2010.
-
[5]
En théorie, les migrations peuvent se mesurer en stock ou en flux. Le stock d’immigrants est le dénombrement à une date donnée des populations qui se sont établies en France en provenance de pays étrangers. C’est une question à laquelle il est possible de répondre avec une relative précision. Par contre, l’appréhension des flux de migrations internationales est pratiquement impossible en France, notamment faute de registres de population comme il en existe dans de nombreux pays européens.
1La question de l’immigration revient fréquemment dans les médias. Au-delà des passions qu’elle soulève, elle mérite une analyse géographique objective afin de répondre à deux questions : où vivent les immigrants selon les territoires français ? Quelles sont leurs origines géographiques ?
Deux notions distinctes : les « immigrants » et les « étrangers »
2Rappelons d’abord la définition de l’immigrant adoptée par le Haut Conseil à l’Intégration (HCI). Elle combine deux critères, géographique et juridique : est immigrante une personne résidant sur le sol français et née à l’étranger d’une nationalité autre que française. Les dernières données de l’Insee [1] donnent l’estimation de 5,156 millions d’immigrés résidant en France (métrople + Dom) autour de la date conventionnelle du 1er janvier 2006. Cette population « immigrée » ne doit en aucun cas être confondue avec les « étrangers », c’est-à-dire avec les personnes résidantes en France et ayant une nationalité étrangère.
3Les enfants des immigrants nés en France ne sont pas des immigrants, même s’ils ne sont pas tous de nationalité française. Par ailleurs, immigrants et étrangers ne se confondent pas. Une partie des étrangers est née en France et n’est donc pas immigrante, tandis qu’une partie substantielle des immigrants a été naturalisée. Les immigrants sont d’origines géographiques très diverses. De surcroît, la France a une politique de naturalisation ouverte et assez constante : aussi compte-t-on 2,67 millions de Français par acquisition aux alentours de 2006, dont 0,6 million sont d’ailleurs nés en France.
Des immigrants très inégalement répartis entre les régions
4Selon la répartition géographique des immigrants par région française (26 régions, dont 22 régions métropolitaines et 4 régions d’outre-mer), l’immigration concerne, à des degrés divers, toutes les régions françaises.
- Près de 2 millions d’immigrants sont concentrés dans la seule région Île-de-France, où ils représentent près de 17 % de la population.
- Les immigrants ne représentent en moyenne que 6 % de la population des 21 autres régions métropolitaines, avec néanmoins des différences marquées entre l’Alsace (10 %) et la Bretagne (2,4 %). En dehors de l’Alsace, la présence des immigrants est plus sensible dans le Grand Sud-Est et moins marquée dans un Grand Nord-Ouest, ainsi que dans le Massif Central.
- Outre-mer, les immigrants sont surtout nombreux en Guyane.
Les étrangers et les « immigrés » en France
Les étrangers et les « immigrés » en France
Les immigrants fortement concentrés dans les villes principales
5La carte de la densité géographique de la population immigrée, réalisée à partir des données relatives aux 36 569 communes métropolitaines, dessine l’image d’une France urbaine, dont Paris est le pôle principal. L’indice de concentration de Gini, calculé sur une base communale pour la France métropolitaine, est de 0,38 pour la population totale, et de 0,45 pour la population immigrée. Rappelons que cet indice varie entre une valeur minimale de 0, si la densité était uniforme sur l’ensemble d’un territoire, et un maximum absolu de 0,5, si la population était concentrée en un point unique. Une valeur de l’indice de Gini de 0,45 en 2006, pour la mesure de la géographie des immigrés est donc très élevée.
6Effectivement, la moitié des immigrants de métropole réside dans les 282 communes où ils sont établis le plus densément, alors que les 1 441 communes les plus densément peuplées rassemblent la moitié de la population de la France. Pour la population totale, la « loi de Pareto » 80/20 s’applique. 80 % des habitants résident sur 20 % du territoire métropolitain, et inversement 80 % du territoire ne regroupe que 20 % de la population. En ce qui concerne les immigrants, le rapport remarquable est 89/11. 89 % des immigrants résident sur 11 % du territoire métropolitain, et inversement 89 % du territoire ne regroupe que 11 % de la population immigrée.
Quelques territoires avec de fortes minorités de population immigrée
7Proportionnellement à la population totale, l’immigration représente donc en moyenne 8,2 % de la population de la France métropolitaine en 2006. Mais cette proportion varie entre 16,9 % pour l’Île-de-France et 2,4 % pour la Bretagne, et plus encore selon les communes. La proportion significative la plus élevée est observée à Aubervilliers, dans une commune périurbaine d’un département limitrophe de Paris, la Seine-Saint-Denis, avec un peu plus de 40 % en 2006.
8Concernant les communes rurales, cette proportion n’excède 40 % que dans cinq petites communes rurales atypiques, comme Taizé en Saône-et-Loire qui abrite une communauté religieuse internationale. À un niveau inférieur, la proportion d’immigrés dépasse 20 % de la population dans 330 communes, dont 7 arrondissements de Paris. Ceci conduit à proposer une typologie des territoires dont le peuplement est caractérisé par l’apport de l’immigration.
La typologie des territoires de l’immigration
9Parmi les différents territoires ayant une proportion d’immigrés supérieure à la moyenne nationale, plusieurs types se distinguent [2].
10Un premier ensemble comprend les villes mondialisées, certains territoires périurbains transfrontaliers et des communes rurales attirantes. La proportion d’immigrés est élevée à Paris intra muros et dans certaines des communes résidentielles les plus prestigieuses de sa banlieue (par exemple Saint-Germain-en-Laye ou Fontainebleau) où résident nombre de personnes entrant dans une logique de migrations entrepreneuriales. Des concentrations similaires s’observent sur la Côte d’Azur. La population immigrée y est constituée en grande partie de catégories socioprofessionnelles supérieures en provenance des pays en développement et de ressortissants de pays de la zone OCDE.
11Le peuplement des territoires périurbains ou paraurbains transfrontaliers est largement influencé par l’installation de ressortissants des pays voisins, aux confins de la Suisse (Genève, Bâle), de l’Allemagne (Karlsruhe, Saarbrück) et du Luxembourg. L’immigration est un facteur d’appréciation significative des valeurs foncières et immobilières sur ces territoires.
Les immigrants en France selon les régions
Les immigrants en France selon les régions
12Loin des frontières, et à l’exception notable des hautes terres du Massif Central, des communes rurales d’une grande moitié Sud de la France, épargnées par l’industrialisation des siècles passés et qui avaient été en conséquence fortement dévitalisées par l’émigration rurale aux xixe et xxe siècles, ont été sensiblement revitalisées récemment par l’installation de ressortissants de l’Union européenne. Ces territoires ont souvent bénéficié de l’effet Ryanair [3]. Toutes proportions gardées, l’effet de ces installations sur les marchés fonciers et immobiliers a été aussi important localement que celui des migrations entrepreneuriales dans des quartiers de l’agglomération parisienne et sur la Côte d’Azur. Les départements de l’Aude et du Lot-et-Garonne sont des exemples particulièrement significatifs de cette tendance.
L’origine géographique des immigrés en France
L’origine géographique des immigrés en France
13Un autre type de territoires de l’immigration concerne des communes urbaines de tradition ouvrière qui ont vu se constituer progressivement des concentrations pluriethniques d’immigrés originaires des pays en développement. Ceux-ci ont remplacé peu à peu les ressortissants des pays Méditerranéens de l’Union européenne qui nourrissaient les vagues précédentes d’immigration de main-d’œuvre. Les immigrés plus récents, originaires principalement du Maghreb, de Turquie et d’Afrique Noire, proviennent en majorité de pays de tradition musulmane. Ils disposent en général d’un niveau éducatif limité et se retrouvent en position difficile pour soutenir la scolarité de leurs enfants.
La répartition géographique de l’origine des immigrés en France
La répartition géographique de l’origine des immigrés en France
L’origine géographique des étrangers résidants en France
L’origine géographique des étrangers résidants en France
14La concentration géographique de ces populations dans certaines communes et dans certains quartiers est très forte, conséquence imprévue des choix des années 1950-1975. Dans cette période d’urbanisation accélérée, la construction de grands ensembles de logements sociaux dans des « Zones d’Urbanisation Prioritaires » (ZUP), pour répondre à l’urbanisation et à la pénurie aiguë de logement de l’Après-Guerre, a été massive. Souvent à fins électorales, des élus ont souhaité une forte concentration d’HLM sur leur territoire communal, alors que d’autres ont tout fait pour empêcher l’implantation de ce type de logements sur leur territoire communal. Ces choix géographiques contrastés sont encore à l’origine des principales disparités territoriales dans la répartition des différentes catégories socioprofessionnelles en France [4]. Ensuite, à la fin des années 1970, le tournant majeur dans la politique du logement, constitué en particulier par la loi Barre-d’Ornano de 1977 réformant le système d’aide au logement en passant d’une aide à la pierre à une aide à la personne, inaugure une politique de soutien à l’accession à la propriété qui n’a jamais cessé depuis. Cette politique a stimulé le départ des classes moyennes, y compris de nombreuses familles ouvrières, des grands ensembles de logements sociaux. Ce départ a favorisé un étalement urbain sans précédent, tandis que se concentraient des immigrants dans les grands ensembles dont de nombreux logements devenaient disponibles.
Les pays d’origine de l’immigration en France
15En France, l’immigration est d’abord une affaire de proximité géographique. Les trois quarts des immigrants proviennent d’Europe ou des pays riverains de la Méditerranée. Mais il faut noter des évolutions très diversifiées, comme le montre la liste des pays dont au moins 50 000 personnes sont venues s’établir en France.
- Les grandes vagues historiques d’immigration en provenance de quatre pays, aujourd’hui tous membres de l’Union européenne, soit l’Italie, l’Espagne, la Pologne et le Portugal, sont aujourd’hui révolues, puisque le nombre d’immigrants de ces pays diminue entre 1999 et 2006, en raison des décès ou des migrations de retour.
- Au contraire, les effectifs d’un autre pays membre de l’Union européenne, le Royaume-Uni, progressent spectaculairement entre 1999 et 2006. C’est également le cas, mais dans de moindres proportions, des immigrants originaires d’Allemagne, de Belgique et de Suisse, dont un certain nombre vient habiter des territoires périurbains ou paraurbains transfrontaliers.
- Les immigrés d’origine lointaine, Amérique latine, Afrique subsaharienne, Asie du Sud-Est, sont en forte progression, avec un net tropisme africain, ce qui atteste une diversification des origines des immigrants récents. Ces évolutions illustrent à la fois la force persistante des anciens liens coloniaux, notamment linguistiques, la mondialisation contemporaine des flux migratoires, ainsi que l’importance des disparités de développement économique et de la transition démographique dans la détermination des flux migratoires internationaux.
La circulation internationale des populations
16Il est bon de rappeler que la circulation internationale des populations est un phénomène réversible et qu’elle n’est pas à sens unique. Si l’on parle volontiers de l’immigration, il convient de ne pas oublier l’émigration à partir de la France. D’une part, l’immigration en France n’est pas exclusivement suivie d’une installation définitive sur le territoire français et, d’autre part, des Français émigrent. Il y a en réalité une circulation importante entre les différents pays du monde, circulation que les statistiques françaises ne savent guère appréhender [5]. Toutefois, l’expatriation des Français est une manière d’illustrer ce point.
17En recoupant la dernière édition de la base de données de l’OCDE avec les statistiques publiées par le Sénat sur les Français inscrits dans les consulats de la France à l’étranger, il y aurait plus de 1,3 million de personnes de nationalité française résidant dans les autres pays membres de l’organisation, dont au moins 880 000 dans d’autres pays membres de l’Union Européenne. Par exemple, 164 700 Français résident en Belgique en 2007, et 134 000 en Grande-Bretagne. De même que l’immigration, l’expatriation est en progression sensible avec une forte circulation dans les deux sens. Encore une fois, il ne s’agit pas seulement de Français exilés fiscaux ou doctorants sans emplois attirés par l’Amérique. L’expatriation est aussi réversible que l’immigration. Selon le recensement, les Français présents en métropole aux alentours du 1er janvier 2006 et qui résidaient à l’étranger 5 ans auparavant sont au nombre de 302 000. Ce chiffre est à rapprocher de celui des 593 000 personnes de nationalité étrangère recensées en France métropolitaine aux alentours du 1er janvier 2006 qui résidaient à l’étranger 5 ans auparavant. Ces chiffres rappellent toute la complexité d’un fait migratoire qui appelle une analyse nuancée.
Lexique
Étranger : personne résidant sur le sol français d’une nationalité étrangère.
Immigrant : personne résidant sur le sol français et née à l’étranger d’une nationalité autre que française (définition HCI).
Migrations entrepreneuriales : « Migrations liées aux décisions d’entreprises faisant migrer leurs collaborateurs face aux évolutions des marchés ou d’actifs souhaitant bénéficier de territoires leur donnant davantage de satisfaction professionnelle » : Cf. Dumont, Gérard-François, Les migrations internationales, Les nouvelles logiques migratoires, Paris, Éditions Sedes, 1995, et Moriniaux, Vincent (direction), Les mobilités, Paris, Éditions Sedes, 2010.
Territoire paraurbain : territoire de morphologie rurale, avec un pourcentage significatif de ses actifs allant travailler dans une importante agglomération : Cf. Wacker-mann, Gabriel (direction), Dictionnaire de Géographie, Paris, Ellipses, 2005.
Territoire périurbain : territoire s’inscrivant dans la continuité urbaine des villes, donc dans une morphologie urbaine.
Géographie de l’immigration en France
Notes
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[*]
Université d’Orléans.
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[1]
Publiées en 2009 et relatives aux résultats des enquêtes du recensement du cycle 2004-2008 (Cf. Dumont, Gérard-François, « Le nouveau recensement : une méthode duale et quinquennale », Population & Avenir, n° 667, mars-avril 2004).
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[2]
Cf. la carte page 20 de ce numéro.
-
[3]
Françoise Ardillier-Carras, « L’immigration britannique en France. Le cas du Limousin », Population & Avenir, n° 690, novembre-décembre 2008.
-
[4]
Cf. Dumont, Gérard-François, « France : les régions face à l’économie de la connaissance », Population & Avenir, n° 696, janvier-février 2010.
-
[5]
En théorie, les migrations peuvent se mesurer en stock ou en flux. Le stock d’immigrants est le dénombrement à une date donnée des populations qui se sont établies en France en provenance de pays étrangers. C’est une question à laquelle il est possible de répondre avec une relative précision. Par contre, l’appréhension des flux de migrations internationales est pratiquement impossible en France, notamment faute de registres de population comme il en existe dans de nombreux pays européens.