Couverture de POPU_2102

Article de revue

Vivre en établissement pour personnes âgées dépendantes ou rester à domicile : le rôle du contexte territorial

Pages 327 à 357

Notes

  • [1]
    On parlera indifféremment d’établissement ou d’institution d’hébergement.
  • [2]
    Si l’offre n’est pas suffisante dans le département de résidence, le choix d’un établissement dans un autre département est peu répandu. Seuls 15 % des résidents d’établissements sont hébergés hors de leur département d’origine et, dans la moitié des cas, il s’agit d’un département limitrophe (Ramos-Gorand, 2013).
  • [3]
    Il existe une subvention de l’aide informelle mais celle-ci reste rare, on considère donc que seule l’aide formelle reçoit un financement public.
  • [4]
    Le ticket modérateur de l’APA ou de l’action sociale dépend du revenu de la personne âgée. Par ailleurs, la personne peut demander une réduction d’impôt si elle emploie directement une aide-ménagère à son domicile (la réduction d’impôt n’est applicable qu’aux personnes ayant un revenu supérieur à la première tranche d’imposition).
  • [5]
    L’APA n’est attribuée qu’aux personnes dépendantes au sens du GIR.
  • [6]
    Le ticket modérateur de l’APA en établissement dépend du revenu de la personne âgée. Par ailleurs, la personne peut demander l’aide sociale à l’hébergement (ASH) si ses revenus sont très faibles ou une aide au logement du type APL ou ASL qui dépend de ses revenus.
  • [7]
    Le tarif dépendance en établissement est lié au degré d’incapacité de la personne âgée.
  • [8]
    Le reste à charge est la différence entre le coût et les subventions liées à la perte d’autonomie.
  • [9]
    L’enquête interroge toutes les personnes du ménage, mais ne sont gardées que les personnes âgées de 60 ans et plus.
  • [10]
    Le département ayant le moins d’établissements répondants (et aussi de résidents) est la Guyane. On y compte 211 résidents (dont 182 ayant des difficultés pour se laver) de 5 établissements sur les 7 du champ total.
  • [11]
    Le rapport des poids initiaux sur les poids finaux a été borné à 7 pour éviter des biais d’estimation.
  • [12]
    La variable « couple » était manquante pour 25 364 individus (6,3 %), elle est imputée grâce au sexe, à l’âge et au département.
  • [13]
    La variable « difficultés pour se laver » était manquante pour 89 543 individus (22,3 %), elle est imputée grâce au sexe, à l’âge, au département et au GIR (groupe iso-ressources).
  • [14]
    La variable « limitations physiques à la mobilité » était manquante pour 89 380 individus (22,2 %), elle est imputée grâce au sexe, à l’âge, au département, au GIR et aux difficultés pour se laver.
  • [15]
    La variable « limitations cognitives » était manquante pour 90 189 individus (22,5 %), elle est imputée grâce au sexe, à l’âge, au département, au GIR, aux difficultés pour se laver et aux limitations physiques.
  • [16]
    Les individus ont un degré d’incapacité un peu plus élevé qu’avant imputation, mais seulement de 2 à 3 points de pourcentage. Par ailleurs, les modélisations avant et après imputation donnent des résultats proches.
  • [17]
    Pour justifier ce choix, on a réalisé, à partir des données Capacités, aides et ressources (Care) des seniors 2015, une régression multinomiale du GIR estimé grâce aux variables de limitations communes avec VQS pour identifier les variables très discriminantes. On a ensuite choisi une méthode de classement systématique pour avoir une méthode proche avec les données EHPA et VQS et parce que les prévalences obtenues au niveau national étaient cohérentes avec les vrais chiffrages.
  • [18]
    Les couples non cohabitant ne sont pas identifiables dans VQS.
  • [19]
    Il s’agit de la proportion pondérée d’individus dans la base EHPA 2015.
  • [20]
    Le premier quartile est de -0,218, la médiane 0,060 et le dernier quartile 0,268.
  • [21]
    Il s’agit de la valeur seuil à partir de laquelle les écarts entre les rangs en institution et à domicile sont plus élevés.
  • [22]
    NBAF12 = 65 heures par mois si l’individu est en GIR 1 ou 2 ; NBAF3 = 42,5 heures par mois si l’individu est en GIR 3 ; NBAF4 = 25 heures pour mois si l’individu est en GIR 4 ; NBAF56 = 12,5 heures par mois si l’individu est en GIR 5 ou 6.
  • [23]
    Il s’agit des taux horaires des prestataires autorisés et tarifés dans le département.
  • [24]
    Les données concernent les particuliers qui emploient des salariés à domicile qu'ils rémunèrent directement. Le taux horaire est calculé en rapportant la masse salariale nette totale et le volume horaire total déclaré. Cette information est disponible au niveau régional en distinguant deux exonérations possibles : pour les bénéficiaires de l’APA ou pour les personnes de plus de 70 ans (on fait la moyenne des deux).
  • [25]
    Les valeurs estimées négatives sont tronquées à 0.

En France, un quart de la population a dorénavant plus de 60 ans, et cette proportion va continuer d’augmenter. Le vieillissement démographique s’accompagne d’une demande croissante de prise en charge des personnes âgées dépendantes à laquelle les pouvoirs publics doivent apporter des réponses adaptées, pour aider leur maintien à domicile ou pour les accueillir en institution. Ces réponses sont-elles les mêmes sur l’ensemble du territoire ? La responsabilité des départements dans la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées est susceptible de conduire à des différences, voire des inégalités, selon le lieu de résidence. L’auteure propose une analyse inédite des disparités territoriales du taux d’institutionnalisation des personnes âgées dépendantes par département et en identifie les principaux déterminants.

1En France, depuis la loi relative aux libertés et responsabilités locales de 2004, le département définit et met en œuvre la politique d’action sociale, dont la politique gérontologique fait partie. Cette décentralisation se justifie par la meilleure connaissance qu’ont les acteurs locaux concernant les besoins de prise en charge de leurs administrés. Néanmoins, les moyens financiers, humains et matériels des départements pour répondre à ces besoins, de même que les priorités en termes de politique sociale, ne sont pas identiques d’un département à l’autre. Il en résulte des réponses institutionnelles diversifiées qui ne sont pas toujours entièrement liées aux besoins des personnes âgées. Cette latitude donnée aux départements peut influencer la quantité de l’offre de prise en charge : nombre de services d’aide à domicile (Hégé et al., 2014), nombre de places en établissement d’hébergement [1] (Ramos-Gorand, 2020) [2]. Par ailleurs, elle fait varier les coûts restant à payer par les personnes âgées : leur reste à charge (RAC) après prise en charge de l’assurance maladie ou de l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA). Ce sont les départements qui décident du nombre d’allocations et des montants des allocations accordées aux personnes âgées (Billaud et al., 2013). Ils influencent aussi la tarification des services d’aide à domicile (Hégé et al., 2014) et de l’hébergement en établissement (Nirello, 2015). Ces différences d’offre de prise en charge relatives au pouvoir donné aux départements peuvent contribuer à faire perdurer des pratiques quant aux configurations d’aide choisies par les personnes âgées (Trabut et Gaymu, 2016), sans forcément être en adéquation avec leurs besoins d’assistance et leurs préférences. Constate-t-on un recours aux établissements différent selon les départements ? Ces différences sont-elles expliquées par une offre inégalement accessible géographiquement et financièrement ou bien par des différences de besoins et de ressources ? Si les individus sont sensibles aux prix et contraints par la disponibilité de l’offre, l’hétérogénéité des politiques locales peut aboutir à des variations dans le recours à certains modes de prise en charge entre individus présentant les mêmes caractéristiques, mis à part leur lieu de résidence.

2Dans le contexte français (encadré), il est opportun d’éclairer les contraintes et les déterminants qui contribuent au recours des personnes âgées en situation de dépendance à une prise en charge dans un établissement. Les différences territoriales de ce recours peuvent trouver leur origine dans des besoins variables selon l’intensité de l’incapacité ou de son type (Brunel et Carrère, 2019), une offre de prise en charge professionnelle ou informelle inégalement répartie (Ramos-Gorand, 2020), des ressources financières différentes ou des préférences plus marquées pour certains modes de prise en charge.

3Cet article propose une analyse globale des déterminants des modes de prise en charge de la perte d’autonomie : à domicile ou en établissement. Cette offre ayant pu se développer en lien avec la demande (population vieillissante et dépendante, établissements saturés, etc.), il est important de considérer à la fois l’offre et des déterminants de la demande, en tenant compte de la dimension territoriale qui caractérise le contexte français pour identifier les décisions de prise en charge des personnes âgées. Cet article estime dans quelle mesure le choix de prise en charge de la perte d’autonomie est lié aux coûts de l’offre et à sa disponibilité. Par ailleurs, il mesure l’ampleur des disparités territoriales de recours aux établissements pour les individus dépendants. Une analyse multiniveaux est mise en œuvre pour quantifier la contribution de différents facteurs, individuels et territoriaux, aux disparités territoriales observées en matière de prise en charge en établissement pour personnes âgées. Les deux enquêtes utilisées couvrent l’ensemble du territoire national et permettent d’obtenir des résultats représentatifs au niveau départemental.

Encadré. Prise en charge de la perte d’autonomie en France : une politique gérontologique au niveau départemental

En 2017, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), la prise en charge publique des personnes âgées dépendantes représente 21,8 milliards d’euros. La prise en charge formelle est au croisement de trois secteurs : médical, social et médico-social. À domicile, on distingue plusieurs modalités de prise en charge faisant intervenir ces trois secteurs (Le Bihan et Martin, 2018) : les infirmiers exerçant en libéral ou dans des services de soins infirmiers à domicile (SSIAD), les aides à domicile, auxiliaires de vie, aides ménagères et femmes de ménage exerçant dans des services d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD), dans des entreprises privées ou de manière indépendante. Les infirmiers libéraux et les SSIAD ainsi que le forfait soins des établissements sont financés presque intégralement par l’assurance maladie(a). Les autres modalités de prise en charge (dont le forfait dépendance pour les établissements) sont financées à 90 % par un budget public via l’allocation personnalisée d’autonomie (APA)(b). Les départements gèrent le nombre de bénéficiaires et les montants accordés d’APA. Les enquêtes de terrain de Billaud et al. (2013) révèlent d’importantes différences de pratiques entre les départements dans le traitement des demandes d’APA. En outre, les départements définissent les tarifs des services d’aide à domicile qu’ils vont financer dans le cadre de l’APA, ce qui induit une forte variabilité de la quantité et du prix de l’offre à domicile entre départements (Hégé et al., 2014)(c). Le coût des établissements est fixé conjointement par trois acteurs : la région, le département et l’établissement. Il est financé par l’Assurance maladie, le conseil départemental, via l’APA et/ou l’aide sociale à l’hébergement (ASH), l’État via des réductions d’impôts et allocations logement, et la personne dépendante.

(a) Les soins à domicile sont soumis à une franchise de 0,50 € à 2 € par acte médical. Les honoraires des infirmiers à domicile sont pris en charge par l’Assurance maladie sur une base de 60 %. Les interventions des SSIAD sont prises en charge à 100 % par l’Assurance maladie.
(b) Sources : Drees, enquêtes Aide sociale 2011 à 2015, Cnaf, CCMSA, Dares.
(c) Cette tarification peut aussi contraindre certains services à cesser leur activité, si le tarif arrêté ne couvre plus leurs coûts moyens.

I. Cadre théorique et revue de la littérature

1. Cadre théorique

4Cet article se base sur un modèle théorique dans lequel les personnes âgées comparent la prise en charge à domicile et celle en établissement. Elles expriment une demande pour celle leur apportant le plus de satisfaction. Le senior est noté s. Son niveau de satisfaction est défini par une fonction d’utilité Us qui dépend de sa consommation de biens C, du bien-être qu’il retire du fait de son mode de prise en charge CA (care arrangement), et de son état de santé H :

5\(\begin{equation} U_{s}(C ; C A ; H)=U_{s}\left(C_{s} ; C A\left(I_{s} ; A I_{s} ; A F_{s} ; H_{s} ; X_{s}\right) ; H_{s}\right) \end{equation}\) [1]

6La fonction de bien-être lié au mode de prise en charge du senior CA est déterminée par son lieu d’habitation : Is = 1 s’il réside en établissement, Is = 0 s’il réside à domicile. Dans ce dernier cas, le bien-être dépend des quantités d’aide informelle AIs et d’aide formelle AFs mobilisées. Le bien-être lié au mode de prise en charge peut aussi être lié à l’état de santé de la personne Hs (sentiment de sécurité en établissement en cas de troubles cognitifs par exemple) et à ses préférences (Xs).

7Sa demande dépend aussi de la contrainte budgétaire à laquelle fait face la personne âgée. Elle est constituée principalement du coût de l’offre, des revenus de la personne (Rs) et des subventions S qu’elle reçoit si elle a recours à une aide formelle [3]. Elle est de la forme suivante pour une prise en charge à domicile :

8\(\begin{equation} R_{\mathrm{s}}+S\left(H_{\mathrm{s}} ; t^{\text {dom }}\left(R_{\mathrm{s}}\right) ; \operatorname{Min}\left(A F_{\mathrm{s}} ; A F_{\mathrm{s}}^{\text {theo }}\left(H_{\mathrm{s}}\right)\right) ; p^{\text {theo }}\right)=p^{A F} A F_{\mathrm{s}}+C_{\mathrm{s}} \end{equation}\) [2]

9Le montant des subventions dépend directement de la santé fonctionnelle de la personne Hs. Les personnes dépendantes peuvent prétendre à l’APA à domicile mais pas à l’action sociale des caisses de retraite, alors que les personnes non dépendantes peuvent prétendre à l’action sociale mais pas à l’APA à domicile. Elle dépend aussi de son revenu indirectement via un ticket modérateur (taux de participation) tdom(Rs) [4]. Pour respecter le cadre légal français, le montant de la subvention dépend du minimum entre le nombre d’heures d’aide formelle consommé (AFs) et le nombre d’heures d’aide formelle théorique (AFstheo(Hs)). En effet, une équipe médico-sociale évalue les besoins de la personne âgée et lui attribue un GIR (groupe iso-ressources), c’est-à-dire un niveau de perte d’autonomie (document annexe A.1). Ce GIR donne droit à un certain nombre d’heures d’aide formelle théorique {AFstheo(Hs)}, mais la personne peut en consommer plus ou moins (AFs). Le produit du nombre d’heures d’aide théorique (AFstheo(Hs)) et du taux horaire théorique (ptheo) définit le montant total en euros dont a besoin la personne âgée (son plan d’aide). Le prix utilisé par le département pour valoriser le besoin d’aide en euros est ptheo. Ce prix théorique n’est pas forcément celui pratiqué par le professionnel (pAF). Le montant \(\begin{equation} \left\{A F_{s}^{\text {theo }}\left(H_{s}\right) p^{\text {theo }}\left\{1-t^{\text {dom }}\left(R_{s}\right)\right\}\right\} \end{equation}\) est le montant de subvention auquel a droit la personne âgée pour financer sa perte d’autonomie. Toutes les dépenses supérieures à ce montant sont à sa charge. L’ensemble des ressources (Rs et S) servent à payer la consommation de biens Cs et la consommation d’aide formelle (pAFAFs).

10Si la personne choisit une prise en charge en institution, sa contrainte budgétaire est la suivante :

11\(\begin{equation} R_{s}+S\left\{H_{s} ; t^{i n s t}\left(R_{s}\right)\right\}=C T^{i n s t}\left(H_{s}\right)+C_{s} \end{equation}\) [3]

12La subvention qu’elle peut recevoir si elle est prise en charge dans un établissement dépend de son état de santé (Hs) [5] et de son revenu indirectement via un taux de participation tinst(Rs) [6]. Ses ressources (revenu et subventions) servent à payer le coût d’hébergement en institution CTinst qui dépend de son état de santé [7] ainsi que sa consommation de biens.

13En résumé, l’individu exprime une demande pour un lieu de prise en charge lui procurant la plus grande utilité tout en respectant sa contrainte budgétaire, dans un environnement non coopératif. La demande de la personne âgée n’est pas forcément pourvue, si l’offre formelle ou informelle n’est pas suffisante. Ce cadre non coopératif apparaît plus conforme à la réalité qu’un cadre coopératif, puisque les aidants de l’entourage peuvent avoir des préoccupations déconnectées de celles des personnes qu’ils aident : travail, famille, mais aussi des intérêts divergents (dons, garde de leurs enfants etc.). Il a été validé empiriquement par Checkovich et Stern (2002) et par Knoef et Kooreman (2011) en Europe. Par ailleurs, l’offre issue de la sphère publique est très régulée, l’ajustement par les prix et la création de lits ou de services d’aides supplémentaires sont limités et prennent du temps.

14Ce cadre d’analyse met en évidence différents facteurs explicatifs du recours à l’institution : le coût des deux modes de prise en charge, la disponibilité de l’offre formelle et informelle, les revenus, l’état de santé et les préférences des personnes âgées. Si les individus sont sensibles aux prix, un coût élevé en établissement devrait freiner le recours aux établissements ; un coût élevé à domicile devrait freiner le maintien à domicile et augmenter le recours aux établissements. La disponibilité de l’offre en institutions, de l’offre formelle et de l’offre informelle à domicile devrait favoriser le mode de prise en charge concerné. L’effet du revenu est indéterminé car un revenu plus élevé assouplit la contrainte budgétaire mais conduit aussi à des subventions plus faibles. De ce fait, le recours aux établissements d’hébergement pour personnes âgées devrait augmenter avec l’incapacité fonctionnelle via un effet direct du risque d’entrer en institutions et via un effet indirect à travers les subventions et les préférences.

2. Revue de la littérature

15Les facteurs, mis en évidence par le modèle théorique présenté précédemment, se retrouvent dans les analyses empiriques existantes. Concernant la contrainte financière, Roquebert et Tenand (2017) estiment à – 0,4 l’élasticité par rapport aux prix de la demande d’aide formelle sur la population à domicile. Une augmentation de 10 % du reste à charge par heure d’aide formelle consommée diminuerait de 4 % le nombre d’heures d’aide consommées. Cette estimation se situe entre celle de Bourreau-Dubois et al. (2014) à – 0,55; et celle de Hégé (2016) à – 0,15. Ces travaux français se focalisent sur l’offre à domicile et ne tiennent pas compte de la prise en charge alternative que sont les établissements d’hébergement pour personnes âgées dont les restes à charge sont beaucoup plus élevés. Hoerger et al. (1996) mettent en évidence que le recours à un établissement d’hébergement aux États-Unis, contrairement au recours à l’aide formelle à domicile, n’est pas influencé par la générosité des subventions publiques qui réduisent pourtant le RAC des individus. Il serait par contre sensible aux prix uniquement pour les personnes mariées selon Reschovsky (1998). Cela prouve la nécessité d’inclure la disponibilité de l’offre informelle dans l’analyse. Aux États-Unis, Muramatsu et al. (2007) ont identifié des disparités de prise en charge entre les États : parmi les individus qui n’ont pas d’enfant, le recours aux établissements est moindre dans les États favorisant l’aide professionnelle à domicile. Van Houtven et Norton (2004) ainsi que Charles et Sevak (2005) trouvaient un effet négatif de l’aide de l’entourage sur l’entrée en établissement, tandis qu’Ettner (1994) ne notait pas d’effet. Dans le même ordre d’idées, l’absence de conjoint augmente le risque de vivre en établissement (Metzger et al., 1997 ; Billaud et Gramain, 2006). Ces travaux ne font pas état de la possible saturation de l’offre formelle qui, bien qu’abordable financièrement, peut ne pas être utilisée du fait de son indisponibilité. Theisen (2017) a mis en évidence sur des données norvégiennes que les communes où l’offre d’aide formelle à domicile est élevée, la résidence à domicile est plus fréquente que dans les communes où il y en a peu. Par contre, dans les communes comptant de nombreux établissements d’hébergement, le recours aux établissements est plus fréquent et le maintien à domicile plus faible. Jette et al. (1995) montraient un effet négatif du recours à l’aide professionnelle à domicile sur l’entrée en établissement pour les personnes atteintes de limitations cognitives.

16Peu d’études ont établi un lien entre revenu et recours à un établissement pour les raisons énoncées précédemment. Börsch-Supan et al. (1990) aux États-Unis trouvent que les individus les plus riches ont un plus faible risque de vivre en établissement. Ils peuvent payer une prise en charge plus complète à domicile, avec des aménagements plus importants (Diepstraten et al., 2020, aux Pays-Bas). Lockwood (2018) identifie aux États-Unis que les personnes ayant un objectif de transmission de leur patrimoine important augmentent leur épargne et diminuent leurs dépenses de soins de long terme (y compris d’assurance). L’effet revenu tend à disparaître si on considère d’autres variables, notamment la propriété (Garber et MaCurdy, 1990, aux États-Unis) ou les subventions (Hoerger et al., 1996, aux États-Unis). Reschovsky (1996), aux États-Unis, ne trouve aucun effet des revenus sur la demande de prise en charge.

17La littérature traitant des rôles de l’état de santé et de la perte d’autonomie sur la probabilité de vivre en établissement est abondante (Luppa et al., 2010). Certaines études montrent que les limitations fonctionnelles, particulièrement cognitives (Hoerger et al., 1996, aux États-Unis ; Nihtilä et al., 2008, en Finlande), leur cumul avec des restrictions d’activité (Gaugler et al., 2007, aux États-Unis) ou leur arrivée soudaine (Laferrère et al., 2013, en Europe) augmentent la probabilité de vivre en établissement.

18Il existe des modèles de prise en charge de la perte d’autonomie très différents d’un territoire à l’autre. À l’échelle européenne, alors que les pays du Nord sont majoritairement caractérisés par une prise en charge professionnelle, ceux du Sud ont plus souvent recours à l’aide familiale et à la recohabitation (Tomassini et al., 2004 ; Fontaine et al., 2007 ; Peyrache et Ogg, 2017). La France se situerait dans une position intermédiaire mais serait sujette à des différences infranationales : par exemple le recours à une institution est plus important dans la région Bretagne-Pays de la Loire (Trabut et Gaymu, 2016). Ces différences infranationales sont identifiées plus largement en Europe (Mönkediek et Bras, 2014). Davey et al. (2006) ont montré que les variations territoriales d’offre en Suède sont principalement expliquées par des besoins différenciés sur les territoires, et qu’en tenant compte des variations de besoins au niveau des communes, les disparités d’offre ont tendance à disparaître. Sundstrom et al. (2006) identifient aussi un besoin d’aide très variable d’une commune à l’autre en Suède, expliquant les différences en termes de prise en charge par l’entourage et par les services d’aide.

II. Méthode et données

1. La méthode

19L’objectif de cet article est de modéliser le recours à un établissement d’hébergement par les personnes en perte d’autonomie. Comme la prise en charge publique est gérée au niveau départemental, il existe des facteurs de prise en charge différents selon le département. Pour les identifier, des modèles multiniveaux sont utilisés : ceux-ci prennent en compte deux niveaux d’analyse, individuel et départemental. Ils identifient les variables individuelles et départementales qui contribuent à la variation départementale de la prise en charge en établissement de la perte d’autonomie fonctionnelle, et estiment des effets aléatoires départementaux. On fait l’hypothèse que les fonctions d’utilité sont linéaires :

20\(\begin{equation} \begin{aligned} &U_{s d}^{i n s t}=\beta_{0}^{1}+\beta_{1}^{1} R A C e_{s d}+\beta_{2}^{1} R A C d_{s d}+\beta_{3}^{1} D I S P A F_{s d}+\beta_{4}^{1} D I S P A I_{s d}+\beta_{5}^{1} R_{s d} \\ &+\beta_{6}^{1} H_{s d}+\beta_{7}^{1} X_{s d}+\alpha_{d}^{1}+\varepsilon_{s d}^{1} \end{aligned} \end{equation}\) [4]

21\(\begin{equation} \begin{aligned} &U_{s d}^{d o m}=\beta_{0}^{2}+\beta_{1}^{2} R A C e_{s d}+\beta_{2}^{2} R A C d_{s d}+\beta_{3}^{2} D I S P A F_{s d}+\beta_{4}^{2} D I S P A I_{s d}+\beta_{5}^{2} R_{s d}+\beta_{6}^{2} H_{s d} \\ &+\beta_{7}^{2} X_{s d}+\alpha_{d}^{2}+\varepsilon_{s d}^{2} \end{aligned} \end{equation}\) [5]

22Les paramètres ayant l’exposant « 1 » (respectivement « 2 ») représentent les préférences pour l’institution (respectivement pour le domicile). RACesd est le RAC estimé que l’individu aurait en institution [8], RACdsd celui à domicile. DISPAFsd est la disponibilité de l’offre formelle à domicile et en institution, DISPAIsd celle de l’offre informelle. Rsd est le revenu de la personne âgée, Hsd son état de santé fonctionnel et Xsd les caractéristiques sociodémographiques pouvant modifier ses préférences. Ces variables sont présentées dans la partie « indicateurs ». αsd est l’effet aléatoire du département d. La probabilité de vivre en institution est donc définie par :

23\(\begin{equation} \begin{aligned} P\left(I_{s d}\right.&=1)=P\left(U_{s d}^{\operatorname{inst}}>U_{s d}^{d o m}\right) \\ &=P\left(\left(\beta_{0}^{1}-\beta_{0}^{2}\right)+\left(\beta_{1}^{1}-\beta_{1}^{2}\right) R A C e_{\mathrm{sd}}+\left(\beta_{2}^{1}-\beta_{2}^{2}\right) R A C d_{\mathrm{sd}}+\left(\beta_{3}^{1}-\beta_{3}^{2}\right) D I S P A F_{\mathrm{sd}}\right.\\ &+\left(\beta_{4}^{1}-\beta_{4}^{2}\right) D I S P A I_{s d}+\left(\beta_{5}^{1}-\beta_{5}^{2}\right) R_{\mathrm{sd}}+\left(\beta_{6}^{1}-\beta_{6}^{2}\right) H_{\mathrm{sd}}+\left(\beta_{7}^{1}-\beta_{7}^{2}\right) X_{\mathrm{sd}} \\ &\left.+\left(\alpha_{d}^{1}-\alpha_{d}^{2}\right)>\left(\varepsilon_{\mathrm{sd}}^{2}-\varepsilon_{\mathrm{sd}}^{1}\right)\right) \end{aligned} \end{equation}\) [6]

24Le modèle estime les paramètres \(\begin{equation} \beta_{i}\left(=\beta_{i}^{1}-\beta_{i}^{2}\right) \text { et } \alpha_{d}\left(=\alpha_{d}^{1}-\alpha_{d}^{2}\right) \end{equation}\), en supposant que \(\begin{equation} \left(\varepsilon_{s d}^{2}-\varepsilon_{s d}^{1}\right) \end{equation}\) suit une loi logistique. Nous supposons que les effets aléatoires départementaux αd, suivent une loi normale, et qu’ils sont indépendants des autres variables explicatives. Ils représentent un sur-risque ou sous-risque de résider en établissement du fait du département de résidence, toutes choses égales par ailleurs. Ils s’interprètent comme des préférences départementales pour l’institutionnalisation hors variables de contrôle. Plusieurs spécifications sont testées afin d’identifier quelles variables sont pertinentes et si leur ajout modifie les paramètres estimés, y compris l’effet aléatoire départemental. Cette analyse n’a pas pour objectif de mesurer un effet causal de l’offre sur la probabilité de vivre en établissement, mais de confronter les pratiques et l’offre territoriale de prise en charge de la perte d’autonomie.

2. Les données

25Cet article utilise deux bases de données complémentaires : l'enquête Vie quotidienne et santé (VQS) 2014 représentative de la population résidant en logement ordinaire (c’est-à-dire pas en établissement) et l'enquête Établissements d'hébergement pour personnes âgées (EHPA) 2015 représentative des personnes résidant en établissement.

  1. L’enquête VQS a interrogé un échantillon représentatif de l’ensemble des personnes âgées de 60 ans et plus vivant en France (hors Mayotte) à leur domicile. Au total, 166 800 individus de 60 ans et plus ont répondu à l’enquête par courrier, internet ou téléphone. Le taux de réponse au niveau du ménage est de 57 % [9]. Les pondérations diffusées par la Drees, service statistique de ministère des Affaires sociales et producteur des données, permettent de fournir des indicateurs représentatifs au niveau départemental.
  2. L’enquête EHPA est exhaustive : elle interroge tous les établissements en France (hors Mayotte) qui renseignent des informations concernant leur établissement et tous leurs résidents, ce qui permet de disposer de données au niveau des individus. Pour l’étude sont sélectionnées les personnes âgées de 60 ans et plus, résidant de façon permanente dans un établissement privé à but lucratif ou non lucratif, public hospitalier ou non hospitalier, ou dans une Unité de soins longue durée (USLD), soit 402 304 résidents. Il s’agit de logements non couverts par l’enquête VQS. Au total, 73 % des établissements ont répondu à toute ou partie de l’enquête par internet. Les pondérations diffusées par la Drees fournissent des estimations représentatives au niveau régional (Muller, 2018). Des difficultés ont été constatées pour le calcul des pondérations au niveau régional du fait de la faible réponse des établissements d’accueil de jour. Cette catégorie ne faisant pas partie des hébergements permanents, elle est exclue de ce champ. Le nombre d’établissements des catégories de cet échantillon est toutefois suffisant pour chaque département [10]. Les pondérations ont été recalculées grâce à un calage sur marge en utilisant les capacités totales d’accueil par type d’établissement et département pour se rapprocher d’une pondération au niveau départemental [11]. La non-réponse partielle a été imputée pour les variables : être en couple [12], avoir des difficultés pour se laver [13], avoir des limitations de mobilité [14], avoir des limitations cognitives [15]. Des comparaisons de résultats avec et sans imputations ont été réalisées afin de vérifier que ces imputations ne biaisaient pas les résultats [16].

27L’assemblage de ces deux enquêtes avec les pondérations recalculées donne une estimation nationale de la proportion de personnes résidant en établissement (aussi appelée taux d’institutionnalisation) de 3,9 %. Cette estimation est très cohérente avec celle issue du recensement de la population (4,0 %). Les taux d’institutionnalisation ont aussi été comparés au niveau départemental, calculés à partir des enquêtes VQS et EHPA assemblées et du recensement de la population de 2015. L’écart atteint jusqu’à 2,8 points de pourcentage. La proportion calculée avec le recensement peut être plus élevée que celle des deux bases utilisées ici, car le recensement ne distingue pas les EHPA des autres communautés (foyers de travailleurs, communautés religieuses, etc.). La plupart des départements pour lesquels les écarts sont élevés sont des départements jeunes qui concentrent de nombreux foyers de travailleurs (départements d’Île-de-France notamment). Pour les autres départements ayant des écarts importants (Lozère et Corse-du-Sud), l’ordre de classement par taux d’institutionnalisation est proche selon les deux estimations.

28La population sélectionnée est uniquement composée d’individus de 60 ans et plus ayant des difficultés à se laver (document annexe A.1). La toilette fait partie des activités dites ADL : Activities of daily living qui sont couramment utilisées dans la littérature internationale pour mesurer un fort besoin d’assistance. Cette restriction de l’échantillon fait que les individus à domicile ont des caractéristiques qui s’approchent de celles en institution. Dés lors, tous les individus peuvent être potentiellement concernés par une demande de prise en charge dans un établissement. Par ailleurs, bien qu’il soit possible de trouver des personnes avec peu d’incapacités en établissement, elles constituent des cas isolés notamment du fait de la saturation de l’offre de places qui incite les établissements à sélectionner des personnes ayant des besoins importants. L’échantillon final est composé de 383 953 individus âgés de 60 ans et plus ayant des difficultés à se laver, 20 991 personnes résidant à domicile et 362 962 en établissement.

3. Les indicateurs

29Pour respecter le cadre théorique présenté précédemment, un ensemble de variables sont sélectionnées décrivant le coût des deux modes de prise en charge, la disponibilité de l’offre formelle et informelle, les revenus, l’état de santé et les préférences des personnes âgées, tout en tenant compte du contexte départemental. On estime le RAC (reste à charge) théorique mensuel à domicile (RACdsd) et en institution (RACesd) de chaque individu s habitant dans le département d. Pour cela, on attribue un GIR à chaque individu selon ses difficultés cognitives et pour se laver (document annexe A.1) [17]. Le RAC est estimé par la différence entre le coût total mensuel de la prise en charge et les subventions publiques qui en découlent. On utilise un ensemble de données administratives au niveau départemental ou régional concernant la tarification et le financement de la perte d’autonomie. Le détail des données utilisées et la méthode de calcul sont disponibles dans le document annexe A.2. La disponibilité de l’offre informelle potentielle (DISPAIsd) est approximée par le fait d’être en couple. Le fait de vivre avec un conjoint constitue une ressource humaine pouvant prendre en charge sa perte d’autonomie [18]. On utilise aussi le taux d’inactivité et de chômage des femmes au niveau départemental qui reflète la disponibilité de l’offre informelle, considérant que les femmes sont plus souvent mobilisées dans les activités de care. Des taux élevés devraient donc favoriser le maintien à domicile des personnes dépendantes. Pour l’offre formelle en quantité, on construit une variable catégorielle au niveau départemental (DISPAFd) (document annexe A.2) qui prend les valeurs suivantes :

  1. L’offre est faible à domicile et en institution mais il y a plus d'offre à domicile
  2. L’offre est faible à domicile et en institution mais il y a plus d'offre en institution
  3. L’offre est forte uniquement à domicile
  4. L’offre est forte à domicile et en institution mais il y a plus d'offre à domicile
  5. L’offre est forte à domicile et en institution mais il y a plus d'offre en institution
  6. L’offre est forte uniquement en institution
  7. L’offre est faible à domicile et en institution, et il n’y a pas de spécialisation
  8. L’offre est forte à domicile et en institution, et il n’y a pas de spécialisation

31Elle est construite à partir de données concernant la densité de places en établissement et de professionnels exerçant à domicile (document annexe A.2). On s’attend à ce qu’une offre en établissement limitée réduise le recours aux établissements.

32Comme on ne dispose pas d’information au niveau individuel concernant les ressources des personnes, on utilise la proportion de bénéficiaires de l’allocation « minimum vieillesse » dans le département (Rd). Le pourcentage d’allocataires dans le département reflète la situation socioéconomique des habitants âgés. Le sens de cette variable n’est pas certain. Si on constate que la proportion de bénéficiaires du minimum vieillesse dans le département augmente le recours à une prise en charge dans un établissement, cela signifie que les départements mettent en œuvre des politiques favorisant l’accès des plus démunis aux établissements (qui sont plus coûteux), ou que les plus riches peuvent rester plus facilement à domicile en aménageant leur logement ou préfèrent préserver leurs ressources dans l’idée de fournir un héritage plus important à leurs descendants (Lockwood, 2018). Si l’effet est négatif, cela signifie qu’il s’agit d’un effet du revenu : les plus riches ont une plus grande capacité à payer leur prise en charge en établissement que les plus pauvres.

33Notre échantillon comprend uniquement des personnes ayant besoin d’assistance. La littérature montre l’importance des limitations fonctionnelles et du besoin d’aide associé à l’entrée en établissement. Pour mesurer le type de besoin d’assistance (Hsd), deux formes de limitations fonctionnelles sont distinguées : les limitations de mobilité et les limitations cognitives (document annexe A.1). Le cumul de plusieurs limitations fonctionnelles augmentant le risque de dépendance (Cambois et al., 2005), une variable à quatre modalités est utilisée : pas de limitation, limitations de mobilité uniquement, limitations cognitives uniquement, limitations de mobilité et cognitives. Les variables utilisées pour construire cet indicateur ne sont pas issues d’une même définition puisqu’elles sont basées sur deux enquêtes différentes dans lesquelles les questions posées peuvent diverger.

34Les préférences (Xsd) sont influencées par l’âge et le sexe des personnes. Avec l’avancée en âge, la perception de la capacité à rester à domicile évolue (sentiment d’insécurité). On teste un effet non linéaire de ce changement de perception en incluant l’âge, l’âge au carré et l’âge au cube dans le modèle. La littérature met en évidence un attachement des femmes plus important à leur domicile que les hommes. On peut donc s’attendre à ce qu’elles aient moins recours à l’institution. Enfin, l’effet départemental capte des différences de préférences des départements et des individus.

III. Résultats

1. Une offre départementale en quantité et en reste à charge hétérogène

35L’inégale répartition de l’offre sur le territoire est confirmée avec les données contextuelles d’offre de services à domicile et en établissement regroupées dans la typologie présentée sur la carte (figure 1.A). La plupart des départements sont spécialisés soit vers le maintien à domicile (catégories 1, 3 et 4), soit vers la prise en charge en institution (catégories 2, 5 et 6). L’offre à domicile est la plus élevée dans les départements situés dans le Nord et le Pas-de-Calais, la Seine-Maritime et l’Eure, les départements du pourtour méditerranéen et la plupart des départements du Sud-Ouest, ainsi que La Réunion et la Guadeloupe (catégorie 3). Dans les départements du Centre-Val de Loire ou des Pays de la Loire, l’offre en établissements est dense (catégorie 6). Au contraire, ceux de l’Est, d’Île-de-France, de la Haute-Corse, la Martinique et la Guyane présentent une offre relativement réduite, particulièrement à domicile (catégorie 1), en établissement (catégorie 2), ou les deux (catégorie 7).

Figure 1. Offre formelle de prise en charge en coût et quantité au niveau départemental

figure im1

Figure 1. Offre formelle de prise en charge en coût et quantité au niveau départemental

36En parallèle, on constate que la prise en charge à domicile est plus coûteuse dans les régions alpines et en Île-de-France (zones en gris, figure 1.B). À l’inverse, dans le Nord et le Pas-de-Calais ainsi que dans le Centre, le RAC à domicile serait en moyenne plus faible (rose clair). Le Maine-et-Loire est le département ayant l’estimation de RAC moyen la plus élevée à domicile avec 358€ par mois. La Guyane est celui ayant l’estimation la plus faible avec 145€ par mois en moyenne. En établissement, le RAC moyen est plus élevé dans les départements d’outremer, sur le pourtour méditerranéen et en Île-de-France (départements en gris) et plus faible en Bretagne, Centre-Val de Loire ou des Pays de la Loire (départements en rose). L’estimation la plus élevée du RAC est à Paris avec en moyenne 3 160€ par mois ; la plus faible est dans la Meuse avec 1 580€ par mois en moyenne.

2. Analyse descriptive de la population dépendante selon le lieu d’habitation

37Un peu moins d’un quart de la population étudiée (personnes de 60 ans et plus ayant des difficultés pour se laver) réside dans un établissement [19]. Cette proportion est très hétérogène d’un département à l’autre : elle varie de 7 % à La Réunion à 35 % dans le Maine-et-Loire. Les niveaux très bas sont relativement isolés : départements ultramarins, certains départements franciliens, une partie du Sud de la France, notamment la Corse et les Alpes. Les départements de Bretagne et Pays de la Loire ont tous une proportion supérieure à 30 %. Ces différences concordent avec celles mises en évidence par Trabut et al. (2021).

38La population étudiée compte 67 % de femmes : 65 % à domicile et 74 % en établissement (tableau 1). Elle est moins souvent en couple quand elle réside dans un établissement (15 %) que quand elle vit à domicile (41 %). Les personnes en établissement ont en moyenne six ans de plus que celles résidant à domicile et cumulent plus fréquemment à la fois des limitations physiques et cognitives (74 % en établissement contre 38 % à domicile). Par rapport au domicile, les établissements se caractérisent donc par une population plus féminine, plus âgée et en moins bonne santé.

39Les personnes résidant en établissement sont dans des départements ayant des taux de bénéficiaires du minimum vieillesse plus faibles que celles à domicile (– 0,5 point de pourcentage) et où le taux d’inactivité ou de chômage des femmes est plus bas (38,8 %) que celles à domicile (39,2 %). Les individus résidant en établissement sont en plus grande proportion dans des départements pour lesquels l’offre en institution est élevée. Le RAC théorique à domicile des individus en institution est plus élevé en moyenne que celui des individus à domicile (271€/mois pour les individus en établissement et 267€/mois pour ceux à domicile). Par symétrie, le RAC théorique en établissement des individus à domicile est plus élevé en moyenne que celui des résidents en établissement (2 049€/mois pour les individus à domicile, et 1 989€/mois pour ceux en établissement). Comparativement au domicile, les résidents d’établissement se situent dans des départements ayant peu de bénéficiaires du minimum vieillesse, une faible inactivité des femmes (donc moins de disponibilité d’aide informelle), une offre en institution dense, un RAC à domicile élevé et un RAC en établissement faible.

Tableau 1. Statistiques descriptives de l’échantillon selon le lieu de résidence des personnes

tableau im2

Tableau 1. Statistiques descriptives de l’échantillon selon le lieu de résidence des personnes

3. Les déterminants de la prise en charge par les établissements

40Les résultats de la modélisation multiniveaux de la probabilité de vivre en établissement pour les personnes ayant des difficultés à se laver sont présentés dans le tableau 2.

Tableau 2. Probabilité de vivre en établissement parmi les personnes en perte d’autonomie (difficultés pour se laver). Régression multiniveaux

tableau im3

Tableau 2. Probabilité de vivre en établissement parmi les personnes en perte d’autonomie (difficultés pour se laver). Régression multiniveaux

Le mode de prise en charge choisi est celui où les restes à charge sont les plus bas

41Comme attendu, un RAC élevé à domicile augmente la probabilité de résider en institution alors qu’un RAC élevé en institution la diminue. L’effet du prix de la prise en charge en établissement est beaucoup plus fort que celui à domicile. Même lorsque la prise en charge à domicile est abondante, c’est l’effet prix qui domine.

Le rôle de la disponibilité de l’aide formelle devient négligeable à restes à charge équivalents

42Lorsque nous ne tenons pas compte des différences de restes à charge théoriquement supportés par les personnes âgées (tableau 2, modèle 5), toutes les situations où l’offre est forte en établissement, ou a minima plus forte que celle à domicile, augmentent la probabilité de vivre en établissement. Tous ces effets disparaissent à restes à charge équivalents, excepté pour les départements peu dotés en offre formelle avec une offre légèrement plus disponible en établissement. L’effet va même jusqu’à s’inverser pour les départements où l’offre est forte à domicile et en établissement, mais surtout à domicile. Les personnes résidant dans ces zones mieux pourvues à domicile résident plus à domicile. Cette disparition de l’effet de la disponibilité de l’aide formelle (surtout en établissement) peut s’expliquer par la relation entre densité de l’offre et prix : les territoires abondants en offre fournissent aussi des services avec un RAC à domicile et en institution plus faible que les autres territoires (concurrence sur les prix ou économie d’échelle). Par contre, une offre très chère bien qu’abondante n’incite pas les personnes à la choisir.

Avoir un conjoint protège du recours à l’institution

43Le fait d’être en couple diminue la probabilité de vivre en établissement, ce qui va dans le sens des travaux de Freedman (1996). Au-delà du fait que le conjoint constitue un aidant potentiel, il peut exister un arbitrage financier à aller en établissement lorsque le conjoint est encore en vie. Cela implique de garder son logement tout en payant un hébergement en établissement. Par contre, la proportion d’inactives ou de femmes au chômage n’a pas d’effet. Lorsqu’on ne tient pas compte de la disponibilité de l’offre formelle, plus il y a d’inactives ou de chômeuses, moins les personnes résident en établissement. Cela indique que les territoires pour lesquels l’offre à domicile est importante ou l’offre en institution est faible sont aussi des territoires où le taux d’inactivité ou de chômage des femmes au niveau départemental est élevé, celles-ci pouvant éventuellement aider les personnes dépendantes. La main d’œuvre mobilisée pour la prise en charge à domicile est souvent féminine, peu qualifiée et sujette à un turnover très important.

Le recours à l’institution est freiné par les différences de revenus

44Sans contrôler le RAC de l’aide formelle, la proportion d’allocataires du minimum vieillesse réduit la probabilité de vivre en établissement. Ainsi, les personnes vivant dans des départements plus pauvres iraient moins en établissement (effet revenu simple). Par contre, l’effet devient non significatif lorsqu’on contrôle le coût de la prise en charge. Cela signifie que les départements proposant un RAC faible (coûts faibles ou allocations élevées), pour les établissements notamment, ont aussi beaucoup d’allocataires du minimum vieillesse. La disparition de l’effet revenu lorsqu’on inclut le RAC indique que les départements ayant beaucoup d’allocataires du minimum vieillesse proposent des solutions de financement plus généreuses à leur population plus nécessiteuse pour qu’elle puisse payer un accueil en établissement. Cela suggère qu’une meilleure prise en charge réduit les inégalités d’accès aux établissements.

Un recours à l’institution plus important pour les limitations fonctionnelles sévères mais aussi les situations de prises en charge les plus simples

45Comme celle d’Arnault (2015), cette analyse montre que le fait de cumuler des limitations fonctionnelles ou de n’avoir que des limitations cognitives (au-delà des difficultés à se laver commune à tous) augmente la probabilité de vivre dans un établissement. À l’inverse, parmi les personnes dépendantes, celles qui n’ont que des limitations de mobilité ont une probabilité moindre de vivre en établissement que celles qui n’ont aucune limitation fonctionnelle, toutes choses égales par ailleurs. Les individus n’ayant ni limitation de mobilité, ni limitation cognitive mais ayant des difficultés pour se laver peuvent avoir d’autres troubles non captés par ces deux limitations. De plus, les taux d’occupation des établissements sont saturés. Or, les financements reçus par les établissements dépendent du degré de perte d’autonomie moyen de leurs résidents. Les situations de difficultés à se laver sans limitation fonctionnelle sont des cas plus rentables pour les établissements car plus simples à gérer.

Le sexe et l’âge semblent expliquer des préférences différentes pour le recours à l’institution

46L'âge augmente la probabilité de vivre en établissement, mais de manière non linéaire. L’effet est, pour la population d’étude, croissant à un taux de plus en plus élevé, toutes choses égales par ailleurs, ce qui est concordant avec la méta-analyse de Gaugler et al. (2007). Cette variable capture à la fois les besoins de prise en charge qui ne seraient pas inclus dans les variables d’incapacité utilisées, et les préférences des personnes. L’avancée en âge modifie la capacité réelle des personnes ou leur perception (ou celle de leur entourage) à rester au domicile. Le fait d’être une femme augmente la probabilité de vivre en établissement uniquement lorsqu’on ne contrôle pas le statut matrimonial (tableau 2, modèles 1 et 3). Dans le cas inverse, le sexe n’a pas d’effet, ce qui contraste avec les travaux de Gaymu et al. (2006) mais qui concorde ceux de Bouvier et al. (2011) chez les individus de 80 ans et plus. Il est à noter que lorsqu’on ne tient pas compte de l’effet départemental, cet effet négatif est vérifié, indiquant que les femmes seraient plus à même de rester à domicile dans certaines zones géographiques.

Un recours à l’institution territorialement très marqué

47Les cartes de la figure 2 présentent les estimations des effets aléatoires départementaux issus des modèles. Les départements en gris présentent un taux d’institutionnalisation beaucoup plus élevé que celui qu’ils devraient présenter compte tenu des variables utilisées. Ils reflètent les écarts de probabilité de vivre en établissement par département à caractéristiques équivalentes. Nous prenons comme référence la distribution du modèle 2 et séparons en quartile l’effet aléatoire départemental obtenu [20]. Dans le modèle 2, les départements situés en Bretagne, dans les Pays de la Loire et en Picardie présentent une plus forte institutionnalisation à besoins, ressources et offre informelle équivalents. À l’inverse, les personnes résidant à la frontière espagnole, dans le pourtour méditerranéen et l’Est vivent moins en établissement à besoins équivalents, ressources et offre informelle.

Figure 2. Disparités départementales de l’effet aléatoire départemental sur la probabilité de vivre en institution

figure im4

Figure 2. Disparités départementales de l’effet aléatoire départemental sur la probabilité de vivre en institution

48Lorsque sont ajoutées les variables d’offre (en quantité et RAC) (modèle 4), la diagonale Nord-Ouest / Sud-Est change fortement. La Bretagne maintient un recours aux établissements élevé, mais les départements méditerranéens (exceptée la Corse) et l’Île-de-France deviennent les départements ayant les effets aléatoires les plus élevés. L’inverse est constaté pour les Pays de la Loire et le Centre-Val de Loire. Ce basculement est lié aux deux dimensions d’offre insérées dans le modèle. Avec l’ajout uniquement de l’offre en quantité (modèle 5), le recours serait moindre pour les départements des Pays de la Loire, le Centre de la France et la Picardie. Par contre, seul le Doubs aurait une augmentation notable du recours aux établissements en cas d’offre plus abondante. C’est l’ajout de l’offre en RAC (modèle 6) qui modifie le plus la carte. Si les restes à charge étaient identiques sur tous les territoires, l’Île-de-France, les Hauts-de-France et la côte méditerranéenne auraient des recours significativement plus élevés alors que le Centre et les Pays de la Loire auraient des taux beaucoup plus faibles.

IV. Limites et conclusion

49Les résultats obtenus reposent en grande partie sur les données et mesures mobilisées. Le reste à charge est estimé à partir de données de tarif. Celles-ci ne sont pas exhaustives et on ne dispose pas d’assez de données concernant les personnes âgées (GIR et revenus notamment) pour les estimer de façon précise. L’APA (à domicile ou en établissement) est estimée par le montant moyen d’APA par GIR (à domicile ou en établissement) dans le département. Pour le RAC en établissement, cela est acceptable puisque le cumul de l’APA et du crédit d’impôt donne un montant assez stable selon le revenu. Par contre, à domicile, cela conduit à une sous-estimation pour les plus pauvres et à une surestimation pour les plus riches. Nous avons testé plusieurs mesures pour estimer le GIR et différents tarifs à domicile. Les résultats restent similaires (principalement parce que le nombre de variables mobilisables pour l’estimer est limité). Au total, la mesure s’interpréterait davantage comme un coût direct plutôt qu’un véritable RAC.

50Prendre des enquêtes différentes implique des définitions et un mode de collecte différents. Ces différences peuvent générer des biais qui ne s’appliquent pas de la même façon à domicile et en établissement. Le travail d’harmonisation des données (repondération, imputation des valeurs manquantes, etc.) a permis d’obtenir des taux d’institutionnalisation et de distributions des caractéristiques individuelles cohérents avec ceux du recensement. Dans l’enquête EHPA, ne sont disponibles que des informations sur les résidents présents au moment de l’enquête. Or elles ont pu changer depuis l’admission en établissement. Pour faire face à ce problème, une analyse restreinte aux seuls individus résidant depuis moins d’un an dans l’établissement a été effectuée. Les résultats sont semblables à ceux présentés. Afin de contrôler une mobilité potentielle entre départements et un effet culturel lié à une meilleure acceptation de l’institutionnalisation, l’analyse a été réalisée sur les individus qui résident dans un établissement situé dans le département de leur dernière résidence individuelle. Les effets aléatoires départementaux sont plus faibles. En effet, les personnes qui vont dans un établissement situé hors de leur département d’origine pourraient être intrinsèquement plus favorables à vivre en établissement. En les supprimant, seuls des individus ayant des préférences et habitudes similaires du fait de l’appartenance à un même territoire sont prises en compte.

51En dépit de ces limites, cette étude estime et explique les variations interdépartementales de prise en charge de la perte d’autonomie en France. Elle met en évidence des disparités territoriales significatives de la probabilité de vivre en établissement en cas de dépendance. Ces différences territoriales peuvent s’expliquer à la fois par les facteurs de demande de prise en charge (besoins, préférences et contrainte budgétaire), par l’offre de prise en charge et par des facteurs départementaux inexpliqués. La création de services et d’établissements de soins de longue durée, le financement de la prise en charge ou la tarification des services et établissements sont régulés par les conseils départementaux. Leur effet sur les modalités de prise en charge suggère que les quantités et RAC de l’offre constituent deux leviers de politique publique non négligeables. Cet article révèle que la quantité de l’offre explique la plupart de ces différences, car elles s’atténuent à densité d’offre de prise en charge équivalente. Par contre, le prix de l’offre augmente les différences de recours indiquant que les territoires où l’offre est la plus chère sont aussi les territoires au sein desquels la population est plus disposée à payer. Par ailleurs, il est identifié que l’effet protecteur des femmes à l’égard d’un hébergement en institution disparaît lorsqu’on tient compte des différences départementales. Le maintien à domicile plus facile des femmes serait lié à des marqueurs départementaux. Sans un maillage d’offre professionnelle de prise en charge à domicile suffisant, les femmes ne peuvent pas rester à domicile malgré leur préférence pour ce type de prise en charge ou leur plus grande aptitude à rester à domicile. La gestion de la quantité de l’offre est essentielle en matière d’action publique. Une offre plus dense élargit les possibilités données aux individus. On peut aussi penser qu’une augmentation de l’offre améliorerait les conditions de travail du personnel médico-social actuellement surchargé.

Remerciements : Cet article réalisé dans le cadre d’une thèse de doctorat a bénéficié du soutien financier de la Mission recherche de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (MiRe-DREES) et de la Caisse Nationale de Solidarité et d’Autonomie (CNSA), dans le cadre de l’appel à projets : « Handicap et perte d’autonomie – session 6 ».

Annexes

Annexe A.1. Méthode de construction du GIR et des mesures de limitations fonctionnelles

tableau im5

Annexe A.1. Méthode de construction du GIR et des mesures de limitations fonctionnelles

Annexe A.2. Variables issues des données départementales

tableau im6

Annexe A.2. Variables issues des données départementales

Méthode de calcul de la typologie de l’offre formelle

52L'un des problèmes des variables d’offre formelle dont on dispose (en quantité) est qu’elles ont des unités différentes. Pour les comparer, on utilise l’ordre croissant (ou rang) de chacune d’elles (le département ayant par exemple le moins d’infirmiers libéraux aura la valeur 1 pour la variable de densité d’infirmiers libéraux). Une variable synthétique d’offre à domicile au niveau départemental est calculée, elle correspond à la moyenne des rangs de chaque variable d’offre à domicile. La comparaison de cette variable synthétique à domicile à la répartition de l’offre en établissement permet d’identifier, d’une part, la spécialisation des départements pour un mode de prise en charge (domicile ou institution) et, d’autre part, la plus ou moins grande dotation du département pour chaque mode de prise en charge. Une typologie qui combine ces deux dimensions est construite. Un département est considéré comme ayant une offre élevée à domicile et/ou en institution si l’offre à domicile et/ou en institution dans le département est plus élevée que la valeur médiane nationale. Un département n'est spécialisé ni en institution ni à domicile, si la différence entre son rang pour l’offre à domicile et son rang pour l'offre en institution est en valeur absolue inférieure à neuf [21]. Si son rang en institution est supérieur à son rang à domicile (modulo 9), le département a une spécialisation à domicile. La dernière catégorie correspond à une spécialisation en institution. Nous croisons ces deux dimensions pour obtenir une variable catégorielle prenant les valeurs suivantes :

  1. L’offre est faible à domicile et en institution mais il y a plus d'offre à domicile
  2. L’offre est faible à domicile et en institution mais il y a plus d'offre en institution
  3. L’offre est forte uniquement à domicile
  4. L’offre est forte à domicile et en institution mais il y a plus d'offre à domicile
  5. L’offre est forte à domicile et en institution mais il y a plus d'offre en institution
  6. L’offre est forte uniquement en institution
  7. L’offre est faible à domicile et en institution, et il n’y a pas de spécialisation
  8. L’offre est forte à domicile et en institution, et il n’y a pas de spécialisation

Méthode de calcul du reste à charge à domicile et en institution

54Le coût total en établissement est évalué en considérant le prix médian par mois d’une chambre seule en hébergement permanent (y compris tarif dépendance d’une personne classée en GIR 5-6) du département (TAR_HEBd) auquel on ajoute le surplus de tarif dépendance médian dans le département : ΔGIR12d si l’individu est en GIR 1 ou 2 ; ΔGIR34d si l’individu est en GIR 3-4. On ne tient pas compte du coût du forfait soins qui est pris en charge entièrement par la sécurité sociale.

55Le coût total à domicile est évalué grâce au nombre d’heures d’aide professionnelle médian par mois selon le GIR estimé par Soullier (2012) [22] valorisé par la moyenne de deux tarifs : le taux horaire théorique (ptheo) fixé par le département [23] et le taux horaire des particuliers employeurs (P_PEMd) [24]. On ne considère pas le coût des infirmiers libéraux et SSIAD (services de soins infirmiers à domicile) car ils sont financés en grande majorité par la sécurité sociale.

56Le financement en établissement vaut le montant moyen d’APA en établissement dans le département (APA_Ed) si la personne est en GIR 1 à 4, 0 sinon. Le recours à l’ASH étant très faible et comme on ne dispose pas d’information sur les ressources des personnes, on n’ajoute pas cette subvention. Le financement à domicile est évalué grâce au montant moyen d’APA à domicile dans le département si la personne est en GIR 1-4 (APA_Dd), il est nul sinon.

57Pour obtenir le RAC, on fait la différence entre le coût total et le financement pour chaque mode de prise en charge. Ainsi, le RAC en établissement d’un individu s habitant dans un département d (RACesd) est de la forme suivante :

58\(\begin{equation} \begin{aligned} &R A C e_{s d}=T A R_{-} H E B_{d}+\Delta G I R 12_{d} * 1_{G I R_{s} \in\{1,2\}}+\Delta G I R 34_{d} * 1_{G I R_{s} \in\{3,4\}} \\ &-A P A_{-} E_{d} * 1_{G I R_{s} \in\{1,2,3,4\}} \end{aligned} \end{equation}\)

59Le RAC à domicile d’un individu s habitant dans un département d (RACdsd) est de la forme suivante [25] :

figure im7

Références

  • Arnault L., 2015, La prise en charge des personnes âgées dépendantes : analyse microéconométrique de l’aide familiale, Thèse en sciences économiques, Université Paris-Dauphine.
  • Billaud S., GRAMAIN A., 2006, Les déterminants de l’entrée en institution des personnes âgées, Actualités et dossiers en santé publique, 56, 43-44.
  • Billaud S., Bourreau-Dubois C., Gramain A., Lim H., Weber F., Xing J., 2013, La prise en charge de la dépendance des personnes âgées : les dimensions territoriales de l’action publique, Rapport final réalisé pour la MiRe/Drees.
  • Borsch-Supan A., Hajivassiliou V, Kotlikoff L, Morris J., 1990, Health, children, and elderly living arrangements: A multiperiod-multinomial probit model with unobserved heterogeneity and autocorrelated errors, Cambridge, MA, National Bureau of Economic Research, w3343.
  • Bourreau-Dubois C., Gramain A., Lim H. and Xing J., 2014, Impact du reste à charge sur le volume d’heures d’aide à domicile utilisé par les bénéficiaires de l’APA, Centre d’économie de la Sorbonne, Document de travail, halshs-00973938.
  • Bouvier G., Lincot L., Rebiscoul C., 2011, Vivre à domicile ou en institution : effets d’âge, de santé mais aussi d’entourage, France Portrait Social, Insee Références, édition 2011, 125-134.
  • Brunel M., Carrère A., 2019, La perte d’autonomie des personnes âgées à domicile. Quelles disparités entre départements ?, Les Dossiers de la Drees 34, 1-43.
  • Cambois E., Robine J.-M., Romieu I., 2005, The influence of functional limitations and various demographic factors on self-reported activity restriction at older ages, Disability and Rehabilitation, 27(15), 871-883.
  • Charles K., Sevak P., 2005, Can family caregiving substitute for nursing home care?, Journal of Health Economics, 24(6), 1174-1190.
  • Checkovich T. J., Stern S., 2002, Shared caregiving responsibilities of adult siblings with elderly parents, Journal of Human Resources, 37(3), 441-478.
  • Davey A., JOHANSSON L., Malmberg B., Sundström G., 2006, Unequal but equitable: An analysis of variations in old-age care in Sweden, European Journal of Ageing, 3(1), 34-40.
  • Diepstraten M., Douven R., Wouterse B., 2020, Can your house keep you out of a nursing home?, Health Economics, 29(186), 1-14.
  • Ettner S., 1994, The effect of the Medicaid home care benefit on long-term care choices of the elderly. Economic Inquiry, 32(1), 103-127.
  • Fontaine R., Gramain A., Wittwer, J., 2007, Les configurations d'aide familiales mobilisées autour des personnes âgées dépendantes en Europe, Économie et statistique, 403-404, 97-115.
  • Freedman V., 1996, Family structure and the risk of nursing home admission, The Journal of Gerontology Series B: Psychological Sciences and Social Sciences, 51(2), S61-S69.
  • Garber A.M., MaCurdy T., 1990, Predicting nursing home utilization among the high-risk elderly. In Issues in the economics of aging, in Wise D. (ed.), Issues in the Economics of Aging, Chicago, University of Chicago Press, 173-204.
  • Gaugler J., Duval S., Anderson K., 2007, Predicting nursing home admission in the US: A meta analysis, BMC Geriatrics, 7(13), 7-13.
  • Gaymu J., Delbes C., Springer S., Binet A., Desesquelles A., Kaligirou S., Ziegler U., 2006, Determinants of the living arrangements of older people in Europe, European Journal of population 22(3), 241-262.
  • Hégé R.. 2016, La demande d’aide à domicile est-elle sensible au reste-à-charge : une analyse multi-niveaux sur données française, Centre d’économie de la Sorbonne, CES Working Paper.
  • Hégé R., Roquebert Q., Tenand M., Gramain A., 2014, La tarification des services à domicile : un outil au service des politiques départementales ?, Collection Notes MODAPA 2.
  • Hoerger T.J., Picone G.A., Sloan F.A.., 1996, public subsidies, private provision of care and living arrangements of the elderly, The Review of Economics and Statistics, 78(3), 428-440.
  • Jette A., Tennstedt S., Crawford S., 1995, How does formal and informal community care affect nursing home use?, The Journal of Gerontology Series B: Psychological Sciences and Social Sciences, 50(1), S4-S12.
  • Knoef M., Kooreman P., 2011, The effects of cooperation: A structural model of siblings’ caregiving interactions, Iza Discussion Paper Series.
  • Laferrère A., Van den Heede A., Van den Bosch K., Geerts J., 2013, Entry into institutional care: Predictors and alternatives, in Börsch-Supan A. et al. (eds.), Active Ageing and Solidarity between Generations in Europe – First Results from SHARE after the Economic Crisis, 253-264.
  • Le Bihan B., Martin C., 2018, French social and long-term care system, Global Social Security Review, 7, Korean Institute for health and social affairs KIHASA, 5-15.
  • Luppa M., Luck T., Weyerer S., König H.-H., Brähler E., Riedel-Heller S., 2010, Prediction of institutionalization in the elderly. A systematic review, Age and Ageing, 39(1), 31-38.
  • Lockwood L. M., 2018, Incidental bequests and the choice to self-insure late-life risks, American Economic Review, 108(9), 2513-2550.
  • Metzger M.H., BarbeRger-Gateau P., Dartigues J.F., Letenneur L., Commenges D., 1997, Facteurs prédictifs d’entrée en institution dans le cadre du plan gérontologique du département de Gironde. Revue d’épidémiologie et de santé publique, 45, 203-213.
  • Mönkediek B., Bras H., 2014, Strong and weak family ties revisited: Reconsidering European family structures from a network perspective, The History of the Family, 19(2), 235-259.
  • Muller M., 2018, L’enquête EHPA 2015 - Les différentes phases de l’enquête, Drees, Document de travail, Série sources et méthodes, n°67.
  • Muramatsu N., Yin H., Campbell R., Hoyem R., Jacob M., Ross C., 2007, Risk of nursing home admission among older Americans: Does states’ spending on home and community-based services matter?, The Journals of Gerontology Series B: Psychological Sciences and Social Sciences, 62(3), S169-S178.
  • Nihtilä E.K., Martikainen P.T., Koskinen S.V., Reunanen A.R., Noro A.M., Häkkinen U.T., 2008, Chronic conditions and the risk of long-term institutionalization among older people, European Journal of Public Health, 18(1), 77-84.
  • Nirello L., 2015, La construction problématique de la relation d’emploi dans l’ESS. Les EHPAD : entre régulations publiques et régulations d’entreprise, Thèse en sciences économiques. Université Nantes Angers Le Mans.
  • Peyrache M., Ogg J., 2017, Concilier vie professionnelle et aide informelle à un parent âgé, Revue européenne des sciences sociales, 55(1), 97-125.‬‬‬‬‬
  • Ramos-Gorand M., 2013, Accessibilité de l’offre en établissements d’hébergement pour personnes âgées : enjeux territoriaux, Dossier Solidarité Santé, 36.
  • Ramos-Gorand M., 2020, Accompagnement professionnel de la dépendance des personnes âgées, Drees, Dossier de la Drees, Série Méthodologie, n°51.
  • Reschovsky J.D., 1996, Demand for and access to institutional long-term care: The role of Medicaid in nursing home markets, Inquiry, 33(1), 15-29.
  • Reschovsky J.D., 1998, The roles of Medicaid and economic factors in the demand for nursing home care, Health Services Research, 33(4), 787-813.
  • Roquebert Q., Tenand M., 2017, Pay less, consume more? The price elasticity of home care for the disabled elderly in France, Health Economics, 26(9), 1162-1174.
  • Soullier N., 2012, L’aide humaine auprès des adultes à domicile : l’implication des proches et des professionnels, Études et résultats, n° 827.
  • Sundström G., Malmberg B., Johansson L., 2006, Balancing family and state care: Neither, either or both? The case of Sweden, Ageing & Society, 26(5), 767-782.
  • Theisen T., 2017, What makes people nursing home residents: Individual need or municipalities’ supply?, in Norman Schofield & Gonzalo Caballero (eds.), State, Institutions and Democracy, Springer, 251-270.
  • Tomassini C., Glaser K., Wolf D., Broese van Groenou M., Grundy E., 2004, Living arrangements among older people: An overview of trends in Europe and the U.S.A., Population Trends, 115, 24-34.
  • Trabut L., Gaymu J., 2016, Habiter seul ou avec des proches après 85 ans en France : de fortes disparités selon les départements, Population et sociétés, n° 539.
  • Trabut L., Garabige A., Gaymu J., 2021, Family care for the dependent elderly: How does it fit in with professional care at the French sub-national level?, Revue européenne des sciences sociales/ European Journal of Social Sciences, 59(2).
  • Van Houtven C., Norton E., 2004, Informal care and health care use of older adults, Journal of Health Economics, 23(6), 1159-1180.

Mots-clés éditeurs : personnes âgées, institution, France, dépendance, multiniveaux, établissement pour personnes âgées, inégalités territoriales

Date de mise en ligne : 12/11/2021

https://doi.org/10.3917/popu.2102.0327

Notes

  • [1]
    On parlera indifféremment d’établissement ou d’institution d’hébergement.
  • [2]
    Si l’offre n’est pas suffisante dans le département de résidence, le choix d’un établissement dans un autre département est peu répandu. Seuls 15 % des résidents d’établissements sont hébergés hors de leur département d’origine et, dans la moitié des cas, il s’agit d’un département limitrophe (Ramos-Gorand, 2013).
  • [3]
    Il existe une subvention de l’aide informelle mais celle-ci reste rare, on considère donc que seule l’aide formelle reçoit un financement public.
  • [4]
    Le ticket modérateur de l’APA ou de l’action sociale dépend du revenu de la personne âgée. Par ailleurs, la personne peut demander une réduction d’impôt si elle emploie directement une aide-ménagère à son domicile (la réduction d’impôt n’est applicable qu’aux personnes ayant un revenu supérieur à la première tranche d’imposition).
  • [5]
    L’APA n’est attribuée qu’aux personnes dépendantes au sens du GIR.
  • [6]
    Le ticket modérateur de l’APA en établissement dépend du revenu de la personne âgée. Par ailleurs, la personne peut demander l’aide sociale à l’hébergement (ASH) si ses revenus sont très faibles ou une aide au logement du type APL ou ASL qui dépend de ses revenus.
  • [7]
    Le tarif dépendance en établissement est lié au degré d’incapacité de la personne âgée.
  • [8]
    Le reste à charge est la différence entre le coût et les subventions liées à la perte d’autonomie.
  • [9]
    L’enquête interroge toutes les personnes du ménage, mais ne sont gardées que les personnes âgées de 60 ans et plus.
  • [10]
    Le département ayant le moins d’établissements répondants (et aussi de résidents) est la Guyane. On y compte 211 résidents (dont 182 ayant des difficultés pour se laver) de 5 établissements sur les 7 du champ total.
  • [11]
    Le rapport des poids initiaux sur les poids finaux a été borné à 7 pour éviter des biais d’estimation.
  • [12]
    La variable « couple » était manquante pour 25 364 individus (6,3 %), elle est imputée grâce au sexe, à l’âge et au département.
  • [13]
    La variable « difficultés pour se laver » était manquante pour 89 543 individus (22,3 %), elle est imputée grâce au sexe, à l’âge, au département et au GIR (groupe iso-ressources).
  • [14]
    La variable « limitations physiques à la mobilité » était manquante pour 89 380 individus (22,2 %), elle est imputée grâce au sexe, à l’âge, au département, au GIR et aux difficultés pour se laver.
  • [15]
    La variable « limitations cognitives » était manquante pour 90 189 individus (22,5 %), elle est imputée grâce au sexe, à l’âge, au département, au GIR, aux difficultés pour se laver et aux limitations physiques.
  • [16]
    Les individus ont un degré d’incapacité un peu plus élevé qu’avant imputation, mais seulement de 2 à 3 points de pourcentage. Par ailleurs, les modélisations avant et après imputation donnent des résultats proches.
  • [17]
    Pour justifier ce choix, on a réalisé, à partir des données Capacités, aides et ressources (Care) des seniors 2015, une régression multinomiale du GIR estimé grâce aux variables de limitations communes avec VQS pour identifier les variables très discriminantes. On a ensuite choisi une méthode de classement systématique pour avoir une méthode proche avec les données EHPA et VQS et parce que les prévalences obtenues au niveau national étaient cohérentes avec les vrais chiffrages.
  • [18]
    Les couples non cohabitant ne sont pas identifiables dans VQS.
  • [19]
    Il s’agit de la proportion pondérée d’individus dans la base EHPA 2015.
  • [20]
    Le premier quartile est de -0,218, la médiane 0,060 et le dernier quartile 0,268.
  • [21]
    Il s’agit de la valeur seuil à partir de laquelle les écarts entre les rangs en institution et à domicile sont plus élevés.
  • [22]
    NBAF12 = 65 heures par mois si l’individu est en GIR 1 ou 2 ; NBAF3 = 42,5 heures par mois si l’individu est en GIR 3 ; NBAF4 = 25 heures pour mois si l’individu est en GIR 4 ; NBAF56 = 12,5 heures par mois si l’individu est en GIR 5 ou 6.
  • [23]
    Il s’agit des taux horaires des prestataires autorisés et tarifés dans le département.
  • [24]
    Les données concernent les particuliers qui emploient des salariés à domicile qu'ils rémunèrent directement. Le taux horaire est calculé en rapportant la masse salariale nette totale et le volume horaire total déclaré. Cette information est disponible au niveau régional en distinguant deux exonérations possibles : pour les bénéficiaires de l’APA ou pour les personnes de plus de 70 ans (on fait la moyenne des deux).
  • [25]
    Les valeurs estimées négatives sont tronquées à 0.

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.9.171

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions