Couverture de POPU_2004

Article de revue

Prise en compte de la durée et de l’intensité du tabagisme dans l’estimation de la mortalité attribuable au tabac : une nouvelle méthode appliquée au cancer du poumon en France

Pages 561 à 589

Notes

  • [1]
    Une présentation formelle de cette méthode canonique est fournie dans le Matériel supplémentaire A (en anglais). https://www.cairn.info/docs/population-grignon-renaud-supplementary-material.pdf
  • [2]
    La microsimulation est une version plus sophistiquée de notre méthode et a été proposée dans Brønnum-Hansen et Juel (2000), Holowaty et al. (2002), Schultz et al. (2012) et Hazelton et al. (2012). Notre méthode est en revanche plus directe et offre plus de souplesse aux analystes souhaitant contribuer au débat sur la politique de santé.
  • [3]
    Le tableau B1 (Matériel supplémentaire B) est une synthèse des études abordées dans cette section.
  • [4]
    Elle peut différer largement de la prévalence observée. Au Japon, par exemple, la mortalité masculine par cancer du poumon est bien inférieure à ce que laisserait penser la prévalence observée (Funatogawa et al., 2013).
  • [5]
    L’étude CPS-II fournit cependant toutes les données nécessaires à l’estimation des risques en fonction de la durée et de l’intensité pour chaque cause de décès liée au tabagisme, ou toutes causes de décès confondues.
  • [6]
    Cette description n’est pas définitive et d’autres estimations du parcours tabagique des différentes générations de la population française sont bien sûr possibles. L’application numérique à la France n’est proposée qu’à titre d’illustration et les chercheurs qui disposent de données de meilleure qualité ou d’estimations de durée plus performantes sont invités à faire des simulations avec leurs propres scénarios pour différentes populations, en appliquant notre méthode à ces valeurs empiriques.
  • [7]
    Ces incohérences et les solutions qui y sont apportées afin de reconstituer des séries temporelles de prévalence du tabagisme sont présentées en détail dans le Matériel supplémentaire C. À partir des sources de données annexes et en regroupant plusieurs enquêtes, des analyses de sensibilité rudimentaires ont été menées, confirmant la précision de ces résultats : les estimations de mortalité attribuable au tabac ne varient que de 1 % à 3 % selon les variantes testées (Matériel supplémentaire H).
  • [8]
    Entre 7 % et 14 % des hommes qui fument commencent après l’âge de 20 ans, avec des variations en fonction de la cohorte et du niveau d’études. Chez les fumeuses, 50 % ont commencé après 20 ans pour les cohortes les plus âgées (1930-1944), 25 % pour les cohortes 1945-1964 et 15 % pour les cohortes 1965-1987.
  • [9]
    Le Matériel supplémentaire B fournit d’autres détails sur les différentes valeurs des paramètres par groupe d’âges et de sexe pour Flanders et al. (2003) (encadré B2) et sur l’application numérique par Knoke et al. (2008) de leur principale équation (encadré B3).
  • [10]
    Cette FRA provient de données sur les États-Unis figurant dans l’étude CPS-II. On suppose implicitement que la fraction de risque du cancer du poumon attribuable est la même en France. Ce n’est sans doute pas rigoureusement vrai, justement parce que cette fraction dépend des parcours tabagiques (durée et intensité) respectifs des cohortes de fumeurs américaines et françaises. Néanmoins, les données présentées dans Peto et al. (1992) pour tous les pays développés indiquent qu’en moyenne la fraction de risque du cancer du poumon attribuable est proche de 0,82. La valeur varie en fonction du sexe (de l’ordre de 0,60 pour les femmes à environ 0,90 pour les hommes) et, dans une moindre mesure, de l’âge, ce qui indiquerait que des simulations plus fines par âge et sexe doivent s’appuyer sur des séries de FRA différentes.
  • [11]
    Par exemple, si a représente le groupe 45-49 ans, alors a-1 correspond au groupe 40-44 ans. Il en va de même pour les cohortes : si c désigne les personnes nées au cours de la période 1951-1955, alors c-1 correspond à la cohorte 1946-1950.
  • [12]
    Les chiffres proviennent d’un scénario de référence proposé par les auteurs fondés sur des projections de population pour 2007-2060, selon lesquelles le taux de fécondité restera très élevé (1,95) jusqu’en 2060 (Blanpain et Chardon, 2010).
  • [13]
    Pour plus de détails, se reporter au Matériel supplémentaire H, en particulier la figure H2.
  • [14]
    Cette extrapolation s’appuierait sur les données disponibles pour les distributions des intensités tabagiques, qui ont légèrement changé au fil du temps mais restent centrées autour de 15 cigarettes par jour pour la plupart des cohortes. De manière générale, des distributions approchées seraient reconstituées par catégorie d’intensité (par exemple < 10 cigarettes, 10–14, 15–20, 20–24, 25+), puis appliquées de manière non paramétrique aux différentes générations.
  • [15]
    Dans cette étude, la figure 1 confirme que la prévalence culmine à l’âge de 20 ans puis décline chez les hommes et les femmes dans toutes les générations, sauf pour la cohorte féminine la plus âgée, exactement comme dans nos pseudo-cohortes.

Première cause de mortalité évitable en France, le tabagisme est à ce titre l’une des principales cibles des politiques de santé publique. La prévalence de la consommation de tabac dépend des nouvelles « entrées » (initiation) et des « sorties » (arrêt). Quels bénéfices en termes de survie peut-on attendre à moyen terme d’une inflexion à la baisse du flux de nouveaux consommateurs et à la hausse du flux d’anciens consommateurs ? Cet article propose une modélisation de leurs effets respectifs sur la mortalité imputable au tabagisme, qui pourra utilement guider les stratégies sanitaires.

1 La mortalité attribuable au tabac désigne le nombre de décès provoqués par le tabagisme et constitue une composante essentielle du débat public sur la consommation de tabac. En plus de souligner la nécessité urgente d’une action des pouvoirs publics, la mortalité attribuable au tabac permet d’évaluer l’efficacité des politiques de lutte contre le tabagisme (US Department of Health and Human Services [USDHHS], 2014). Prévenir l’initiation au tabagisme ou encourager l’arrêt du tabac nécessitent des interventions différentes, au sujet desquelles les autorités de santé publique doivent prendre des décisions cruciales pour concilier des ressources limitées et des besoins multiples. L’objectif est ici d’aider les responsables politiques à évaluer le rapport coût-efficacité de différentes interventions, en simulant les effets respectifs sur la mortalité attribuable au tabac d’une modification des taux d’initiation et des taux de sevrage, afin de déterminer de quelle manière les deniers publics sont le mieux investis du point de vue de la santé publique.

2 La méthode canonique utilisée pour estimer la mortalité attribuable au tabac (Pérez-Rios et Montes, 2008 ; Tachfouti et al., 2014) ne se prête malheureusement pas à la simulation de scénarios alternatifs. Elle se sert plutôt de deux séries de données facilement observables – nombre total de décès de maladies liées au tabagisme et prévalence tabagique –, puis combine ces observations avec la part des décès dus à chaque cause qui peut être attribuée au tabac. La contribution d’un facteur de risque spécifique (tabagisme, par exemple) à une maladie (cancer du poumon, par exemple) est quantifiée à l’aide de « fractions de risque attribuables » (FRA) [1]. L’estimation de ces fractions exige de nombreuses données, car il faut estimer les risques relatifs, en l’espèce les risques de mortalité respectifs des fumeurs et des non-fumeurs. Toutes les estimations de la mortalité attribuée au tabagisme réalisées dans différents pays se servent donc des mêmes FRA, estimées à partir d’une grande étude épidémiologique américaine (Cancer Prevention Study II [CPS-II]). Le principal inconvénient de la méthode canonique est qu’elle s’appuie sur des FRA calculées pour une population particulière de fumeurs ayant des parcours tabagiques qui leur sont propres (âge à l’entrée dans le tabagisme et âge au sevrage, intensité tabagique par âge, etc.). Or, le parcours tabagique au cours de la vie synthétise mieux l’exposition effective au risque que le statut tabagique au moment de l’enquête (« fumeur » ou « non-fumeur »), et rien ne garantit qu’une même FRA puisse être appliquée à des populations avec des parcours tabagiques moyens différents.

3 La prévalence du tabagisme observée concerne un ensemble de fumeurs à un moment donné, mais la même prévalence peut résulter de durées moyennes très différentes (par exemple, 100 % de prévalence entre 15 et 29 ans et 0 % ensuite, contre une prévalence de 33 % entre 15 et 59 ans). Cela pose deux problèmes. Premièrement, l’exactitude n’est pas garantie quand la prévalence dans une population donnée (à partir de laquelle la mortalité attribuable au tabac est calculée) se fonde sur des comportements tabagiques individuels qui diffèrent de ceux de la cohorte dont les risques relatifs sont estimés. C’est pourquoi la méthode canonique utilise une prévalence simulée plutôt qu’observée, compatible avec le nombre de décès par cancer du poumon tel qu’il est observé dans la population pour laquelle la mortalité attribuable au tabac est estimée. On parle donc de « méthode indirecte » (Peto et al., 1992). C’est le cancer du poumon qui est choisi pour établir une prévalence du tabagisme ajustée, car la FRA pour cette maladie varie peu selon les populations (voir le Matériel supplémentaire A). Ce travail permet de traiter le second problème, à savoir que la méthode standard tient compte uniquement de la prévalence et pas des modifications de durée ou d’intensité du tabagisme, afin de mettre en œuvre des scénarios et prévoir les conséquences des différentes politiques. 

4 Pour simuler la relation entre les politiques et la mortalité attribuable au tabac, la méthode proposée établit un lien entre la mortalité attribuable au tabac et la durée et l’intensité du tabagisme plutôt que la prévalence. Cette méthode utilise les mêmes risques relatifs que ceux dont se sert la méthode canonique pour produire les FRA mais d’une façon très différente. La principale innovation réside dans le fait que l’analyste peut utiliser divers scénarios [2] pour comparer les effets qu’auraient respectivement une modification des comportements d’initiation et de sevrage tabagique. Même si l’application aux fumeurs français des risques relatifs estimés pour une population de fumeurs américains conduirait sans doute au même défaut que celui reproché à la méthode canonique, les risques relatifs que nous utilisons dépendent des comportements, et sont à ce titre plus proches de paramètres biologiques et bien moins sensibles aux variations culturelles des parcours tabagiques individuels aux États-Unis et en France. Par conséquent, utiliser des données américaines sur une population non américaine présente moins de risques avec notre méthode qu’avec la méthode canonique. La section I présente cette méthode alternative et les arguments plaidant en sa faveur, avec une revue de littérature des estimations de risques de mortalité fondées sur la durée (du tabagisme et de l’abstinence) et l’intensité. S’appuyant sur ces estimations de risques, la section II présente la méthode et les données utilisées. La section III applique la méthode pour simuler divers scénarios grâce auxquels on constate les effets que produiraient des modifications des taux d’initiation et de sevrage sur la mortalité par cancer du poumon attribuable au tabac en France. La discussion des résultats et la conclusion sont enfin présentées dans la section IV, résumant les hypothèses et soulignant les limites de ces estimations.

I. Une méthode alternative fondée sur les risques en fonction de la durée et de l’intensité du tabagisme

1. Variation du risque de mortalité selon la durée et l’intensité

5 L’étude pionnière de Doll et Peto (1978) sur les conséquences sanitaires du tabagisme suivait une cohorte de médecins britanniques pendant 20 ans et modélisait l’effet de la durée (représentée par l’âge) et de l’intensité (nombre de cigarettes par jour) sur l’incidence du cancer du poumon. Il en ressortait que la durée du tabagisme avait un effet massif et que celui de l’intensité était légèrement moindre. D’après les auteurs, les données épidémiologiques confirmaient que les cancers se développaient selon un processus cumulatif et par étapes successives. Ils constataient en outre que la durée du tabagisme était un facteur essentiel dans l’incidence du cancer du poumon, ce qui s’est vérifié avec d’autres populations (Flanders et al., 2003 ; Rachet et al., 2004 ; Zhang et al., 2005) après contrôle des facteurs de confusion potentiels (indice de masse corporelle, exercice physique, niveau d’instruction) et en utilisant la mortalité plutôt que l’incidence comme variable de résultat. Flanders et al. (2003) ont utilisé les données de l’étude CPS-II pour montrer que le risque de décéder d’un cancer du poumon augmentait d’un facteur de 9 à 14 chez les hommes et de 4 à 8 chez les femmes lorsque la durée du tabagisme passait de 20 à 30 ans.

6 Les études épidémiologiques démontrent aussi que renoncer tôt au tabac fait rapidement diminuer le risque de décéder d’un cancer du poumon. Zhang et al. (2005) ont utilisé une vaste cohorte de Canadiennes d’âge moyen pour montrer que le risque de développer un cancer du poumon décroît quand l’arrêt intervient tôt, après neutralisation des effets de la durée et de l’intensité du tabagisme. Par exemple, l’arrêt du tabac avant l’âge de 30 ans ramène le risque des fumeurs au même niveau que celui des personnes n’ayant jamais fumé. Knoke et al. (2008) ont utilisé l’étude CPS-I pour montrer que le sevrage influait considérablement sur la mortalité par cancer du poumon, en réduisant le risque de moitié après 5 ans si le fumeur s’arrêtait à 40 ans (après 10 ans si le sevrage était plus tardif) et de 90 % au bout de 15 à 20 ans. Leur étude tient compte de l’effet « sevrage lié à la maladie », qui traduit le fait que certains fumeurs arrêtent le tabac après l’annonce d’une maladie respiratoire. Ne pas prendre en compte cet effet conduirait à surestimer le risque relatif des personnes ayant arrêté de fumer.

7 Il apparaît donc clairement que la mortalité par cancer du poumon dépend aussi de la durée du tabagisme et de l’abstinence et, dans une moindre mesure, de l’intensité de la consommation de tabac. L’état des connaissances est plus limité en ce qui concerne d’autres maladies liées au tabagisme (autres cancers, bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), maladies cardiovasculaires, etc.). Dans une méta-analyse des effets du tabagisme sur le cancer colorectal, Liang et al. (2009) notent que la durée du tabagisme influe fortement tant sur l’incidence que sur la mortalité, mais ne rapportent aucun effet concernant le sevrage. À partir d’une méta-analyse, Forey et al. (2011) constatent une incidence plus élevée des BPCO, des bronchites chroniques et des emphysèmes chez le fumeur, avec un effet important de l’intensité du tabagisme mais sans effet évident de la durée. Streppel et al. (2007) font état des résultats obtenus avec une étude longitudinale sur le lien entre tabagisme et mortalité (toutes causes confondues et par cause), qui avait porté sur des hommes vivant aux Pays-Bas, nés entre 1900 et 1920 et suivis entre 1960 et 2000 (Zutphen Cohort Study ; Keys, 1970). En tenant compte des risques concurrents, ils constatent qu’une année de tabagisme supplémentaire augmente le risque de mortalité générale de 1,2 % et qu’une cigarette de plus par jour l’accroît de 1,1 %. La durée est l’unique facteur de mortalité associée au tabagisme pour les maladies cardiovasculaires, la BPCO et le cancer du poumon : un fumeur qui renonce à fumer à 40 ans perd 1,9 année de vie par rapport à quelqu’un n’ayant jamais fumé ; en revanche, il gagne 1,3 année de vie par rapport à un fumeur qui arrête à 50 ans et 1,8 année par rapport à un fumeur sevré à 60 ans. Les éléments démontrant les effets de l’arrêt du tabac dans la population des États-Unis sont récapitulés dans un rapport de 1990 publié par le chef des services de santé américains et indiquant qu’après 15 ans d’abstinence tabagique le rapport entre la mortalité « toutes causes » des anciens fumeurs et celle des personnes n’ayant jamais fumé était de 1,0 pour les anciens petits fumeurs (moins de 20 cigarettes par jour) et comprise entre 1,1 et 1,4 pour les anciens gros fumeurs (plus de 20 cigarettes par jour) (USDHHS, 1990) [3]. Cette revue des travaux empiriques publiés établit le rôle de la durée et de l’intensité du tabagisme dans la mortalité liée au cancer du poumon et à la BPCO. Au total, ces deux maladies représentent environ 60 % des décès dus au tabagisme et sont la meilleure preuve du lien de causalité entre tabagisme et mortalité (FRA de 0,82 et 0,79, respectivement) (Godtfredsen et al., 2008 ; USDHHS, 2014 ; Ribassin-Majed et Hill, 2015 ; Bonaldi et al., 2019). Il est en outre avéré qu’elles sont extrêmement sensibles à la durée. C’est donc la confirmation que la prévalence du tabagisme ne constitue pas une statistique suffisante pour l’exposition au risque et qu’il est légitime d’opter pour une méthode fondée sur la durée d’exposition.

8 Il convient donc d’explorer la piste du risque en fonction des durées et des intensités, combinée avec des données sur la durée et l’intensité afin d’estimer la prévalence et de simuler les effets de ses modifications sur la mortalité attribuable au tabac. Cette nouvelle méthode est conçue de manière à reproduire le nombre effectif de décès observé dans les sources épidémiologiques faisant autorité, ce qui permet ensuite de lancer des simulations fondées sur la modification des comportements d’initiation au tabagisme et d’arrêt du tabac.

2. L’exposition comme fonction de la durée (flux) plutôt que de la prévalence (stock)

9 La méthode canonique présente un avantage pratique non négligeable, dans la mesure où elle se sert de données extrêmement fiables (nombre de décès par cause et prévalence du tabagisme au cours d’une année donnée). Sa principale faiblesse, en revanche, réside dans le fait qu’elle repose sur une hypothèse forte, à savoir que la prévalence traduit avec exactitude l’exposition au risque (et peut se substituer à la durée et à l’intensité).

10 Notre méthode alternative s’inspire donc de deux idées largement répandues dans la littérature spécialisée, selon lesquelles le risque de décéder d’une maladie liée au tabac dépend de l’intensité du tabagisme et de sa durée mais aussi de la durée d’abstinence, et que la prévalence ne décrit pas suffisamment la durée et l’intensité. Pour ces raisons, les variations de la prévalence peuvent modifier les risques relatifs et il est impossible d’utiliser la méthode canonique pour mettre en œuvre des scénarios afin d’identifier les effets de ces variations sur la mortalité attribuable au tabac. À titre d’illustration, supposons que la prévalence du tabagisme diminue dans la tranche d’âges 35-54 ans en raison d’une augmentation, dans cette cohorte, de la proportion de fumeurs qui arrêtent à 45 ans. Si le risque relatif de décéder se fonde essentiellement sur les fumeurs de plus de 45 ans, le risque relatif de cette tranche d’âges baisse. Pourtant, avec la méthode canonique, le risque relatif de cette classe d’âges apparaît inchangé, et seule une diminution de la prévalence est prise en compte.

11 Ce point faible de la méthode canonique a déjà été identifié et admis par ses adeptes. D’après le rapport du chef des services de santé américains pour 2004, la « charge de morbidité attribuable au tabagisme dépend essentiellement de ceux dont l’exposition passée a été longue ; par conséquent, à moins que l’arrêt du tabac chez les fumeurs actuels n’augmente assez rapidement, la mortalité attribuable au tabac ne devrait pas connaître de baisse notable avant de nombreuses années » (USDHHS, 2004). En outre, l’édition 2014 de ce rapport indique : « À moins que le comportement tabagique (y compris l’arrêt du tabac) ne soit stable dans le temps, les estimations transversales de la mortalité attribuable au tabac ne reflètent pas fidèlement les risques des cohortes passées de fumeurs. » (USDHHS, 2014). Cette lacune est aussi la principale raison pour laquelle les estimations de la mortalité attribuable au tabac en dehors des États-Unis ne combinent pas les risques relatifs avec les observations de prévalence dans le pays mais se servent plutôt d’une prévalence simulée, calculée à partir des habitudes tabagiques par âge dans un pays donné. En d’autres termes, la prévalence simulée est choisie de façon à être compatible avec la mortalité par cancer du poumon observée (Ribassin-Majed et Hill, 2015), ce qui est conforme à la méthode indirecte, également appelée méthode « smoking impact ratio » ou méthode de Peto-Lopez (Peto et al., 1992 ; Peto et al., 1994 ; Ezzati et Lopez, 2003). Cette prévalence estimée [4] est ensuite utilisée pour calculer la mortalité attribuable au tabac relative à toutes les autres causes de décès. Une autre manière plus sophistiquée mais comparable sur le plan conceptuel d’utiliser la mortalité par cancer du poumon comme mesure approximative du parcours tabagique est la suivante : tout d’abord, régresser les taux de mortalité « toutes causes » en fonction de la mortalité par cancer du poumon (et d’autres facteurs), en particulier en utilisant l’écart de mortalité par cancer du poumon entre fumeurs et non-fumeurs comme un indicateur du préjudice induit par le tabagisme ; obtenir ainsi une estimation de la mortalité attribuable au tabac (Preston et al., 2010 ; Rostron, 2010 ; Rostron et Wilmoth, 2011 ; Janssen et al., 2013).

12 Utiliser la mortalité par cancer du poumon pour refléter l’ampleur de l’épidémie de tabagisme produit effectivement une estimation de la mortalité attribuable au tabac pour un pays sous l’hypothèse que la plupart des décès par cancer du poumon sont dus au tabagisme, ce qui est corroboré par une FRA de 82 % (USDHHS, 2014). Toutefois, cette approche ne peut produire de prédictions ou de scénarios utiles aux pouvoirs publics. Une méthode plus efficace, quoique plus exigeante, consiste à combiner les risques de mortalité exprimés comme fonction de la durée de consommation, de la durée d’abstinence et de l’intensité (estimées à partir des données de l’étude CPS-I) avec les durées et intensités observées dans la population étudiée. Une telle approche combinée permettrait aux chercheurs et aux autorités de débattre et d’évaluer l’efficacité et le coût de diverses interventions visant à réduire la mortalité attribuable au tabac.

13 Cette méthode originale fonctionne de la manière suivante : pour une année donnée, on connaît les proportions de fumeurs, de personnes n’ayant jamais fumé et d’anciens fumeurs dans une catégorie d’âges et de sexe donnée. On dispose aussi de plusieurs informations sur les fumeurs et les anciens fumeurs : la durée et l’intensité moyennes de tabagisme et la durée moyenne d’abstinence. Toutes ces données sont estimées à partir de parcours tabagiques reconstitués avec des pseudo-cohortes en France (voir section II.1). Les risques relatifs sont ensuite estimés dans la littérature par âge, sexe, durée de consommation, durée d’abstinence et intensité tabagique (Flanders et al., 2003 ; Knoke et al., 2008) pour calculer la probabilité de décéder des suites du tabagisme pour chaque catégorie d’âges et de sexe.

II. Données et méthode

14 Notre méthode est appliquée uniquement à la mortalité par cancer du poumon, car les risques rapportés et estimés en fonction de la durée et de l’intensité sont extrêmement fiables pour cette cause spécifique [5]. Si cette méthode est valide dans son principe général, elle nécessite des paramètres spécifiques indispensables à son exécution (risques relatifs par durée et intensité, voir section II.2). On procède en deux étapes : il faut tout d’abord reconstituer les données sur les parcours tabagiques pour déduire les durées de tabagisme et d’abstinence, ainsi que l’intensité moyenne pour la population française pour une année de référence (2010). En appliquant ces valeurs (durée et intensité) à une série de risques de décès par cancer du poumon tirés d’études épidémiologiques, on obtient une estimation de la mortalité attribuable au tabac pour le cancer du poumon en France en 2010, ce qui permet de calibrer les paramètres. Ensuite, on utilise ces paramètres et données de durée calibrés tout d’abord pour prévoir la mortalité attribuable au tabac en France jusqu’en 2060, puis pour produire un ensemble de simulations fondées sur différents scénarios. L’objectif est de quantifier les effets respectifs sur la mortalité attribuable au tabac qu’auraient, dans les 50 prochaines années, une baisse des taux d’initiation et une augmentation des taux de sevrage en France.

1. Reconstitution des parcours tabagiques en France

Construction des taux de prévalence au cours de la vie pour diverses pseudo-cohortes

15 Contrairement à la prévalence, les données de distribution des durées ne font pas l’objet de publications régulières et doivent être extraites des enquêtes en population générale. Sont donc utilisées les réponses sur le statut tabagique fournies dans une série d’enquêtes transversales répétées pour produire des distributions de durée pour plusieurs générations successives [6]. Dans la discussion, nous expliquons pourquoi est privilégiée une méthode de pseudo-cohortes à l’utilisation de données individuelles rétrospectives sur l’entrée dans le tabagisme et son arrêt. Pour construire ces pseudo-cohortes, nous avons regroupé huit enquêtes transversales sur les comportements en matière de santé (1977 à 2010) conduites par l’INPES (Institut national de prévention et d'éducation pour la santé) et représentatives de la population française (tableau 1). Il s’agit des enquêtes CFES, menées entre 1977 et 1990 et rebaptisées « Baromètre santé » depuis 1992. Ces sources ont été préférées à d’autres enquêtes de santé s’appuyant sur des échantillons plus vastes (notamment l’enquête Santé de l’Insee), essentiellement parce que leur questionnaire et leur définition du statut tabagique n’ont pas varié au cours des années.

Tableau 1. Enquêtes utilisées pour reconstituer la prévalence dans diverses cohortes françaises

Tableau 1. Enquêtes utilisées pour reconstituer la prévalence dans diverses cohortes françaises

Tableau 1. Enquêtes utilisées pour reconstituer la prévalence dans diverses cohortes françaises

16 Faute d’accès aux données brutes pour les vagues les plus anciennes de l’enquête (1977, 1981 et, dans une moindre mesure, 1986), nous avons dû utiliser les tableaux de résultats publiés pour ces vagues, d’où certaines incohérences d’une vague à l’autre dans les définitions du statut tabagique, les mesures de prévalence du tabagisme et les classes d’âges [7]. Les questions sur la consommation de tabac sont identiques dans toutes les vagues du Baromètre Santé, à l’exception des modalités de réponse : toutes les vagues ne font pas la distinction entre fumeurs réguliers et fumeurs occasionnels. Nous n’avons pas pu utiliser ces informations avec précision et donc regroupé tous les fumeurs dans une seule catégorie pour toutes les vagues. Le principal problème de cohérence concerne le groupe d’âges des personnes enquêtées (de 12 à 18 ans pour la borne d’âges inférieure et de 75 à 85 ans pour la borne supérieure) et la subdivision en classes d’âges. Des classes d’âges cohérentes ont été reconstituées, essentiellement par interpolation. Comme les résultats publiés pour les premières vagues de l’enquête ne sont pas pondérés, on utilise des données non pondérées pour l’ensemble des enquêtes dans l’estimation des taux de prévalence du tabagisme. Pour les enquêtes qui fournissent les données brutes, on a comparé les taux de prévalence calculés sur données pondérées et non pondérées et établi que les différences étaient négligeables (le taux de réponse à l’enquête étant très similaire chez les fumeurs et les non-fumeurs d’une même classe d’âges et de sexe). Ces données nous permettent de construire un ensemble cohérent de taux de prévalence du tabagisme par sexe et par classe d’âges sur une période de 35 ans (1975-2010) et de recréer des profils de prévalence par âge pour des générations successives de 5 ans, la première étant celle des personnes nées entre 1936 et 1940. Comme les enquêtes regroupées ne sont pas conduites à 1 an d’intervalle mais tous les 5 ans environ, c’est l’âge médian de la classe d’âges (22,5 ans pour la classe d’âges 20-24 ans) qui est utilisé pour interpoler la série de mesures discrètes (années d’enquête et classes d’âges) en valeurs de durée continue.

Reconstitution des durées de consommation et d’abstinence pour diverses pseudo-cohortes

17 À partir de ces taux de prévalence par âge pour diverses pseudo-cohortes, nous reconstituons les distributions des durées de tabagisme et d’abstinence pour 7 générations, pour lesquelles on dispose d’au moins un point de mesure avant et après l’âge pivot de 30 ans (de la génération née entre 1946 et 1950, à la génération née entre 1976 et 1980).

18 À ce stade, il est essentiel de fixer un âge moyen constant d’entrée dans le tabagisme pour toutes les cohortes. C’est l’âge de 17,5 ans qui est retenu dans le scénario de référence, car c’est celui observé chez les fumeurs français (INPES, 2014). Les données probantes déjà publiées montrent que l’âge de l’initiation est fortement concentré entre 15 et 20 ans : moins de 5 % des fumeurs ont commencé avant 15 ans, et moins de 15 % après leurs 20 ans (Forster et Jones, 2001, pour l’Angleterre ; López-Nicolás, 2002, pour l’Espagne ; Legleye et al., 2011, pour la France [8]). S’agissant des fumeurs actuels, c’est-à-dire ceux qui déclarent fumer en 2010, année de référence, la durée du tabagisme est simplement leur âge (âge médian de leur classe d’âges) moins 17,5 ans (âge moyen d’initiation du tabac). Par exemple, les fumeurs actuels qui avaient entre 45 et 49 ans en 2010 se verront attribuer une durée de tabagisme de 30 ans.

19 Pour les personnes qui ne fumaient plus en 2010, on calcule la distribution par âge à l’arrêt du tabac pour une pseudo-cohorte donnée et par sexe, sur la base de la différence des taux de prévalence entre deux versions consécutives de l’enquête au sein de cette même pseudo-cohorte. La durée d’abstinence est la différence entre l’âge du fumeur en 2010 et l’âge estimé au moment du sevrage. Nous illustrons le calcul avec la génération 1951-1955, dont l’âge se situe entre 55 et 59 ans en 2010. Si P 1 désigne la prévalence du tabagisme chez les personnes âgées de 40 à 44 ans en 1995 et P 2 (< P 1) la prévalence chez les 45-49 ans en 2000, la proportion de fumeurs sevrés entre 40-44 ans et 45-49 ans dans la génération 1951-1955 est calculée comme étant la différence (P 1 – P 2). Puisqu’ils fumaient entre 40 et 44 ans et avaient cessé entre 45 et 49 ans, il leur est attribué un âge moyen au sevrage de 45 ans. La durée moyenne d’abstinence pour cette fraction (P 1 – P 2) de la génération 1951-1955 est donc de 12,5 ans en 2010, soit 57,5 (âge en 2010) moins 45 (âge au sevrage).

20 Dans la mesure où, pour la plupart des cohortes, les taux de prévalence ne sont pas très différents dans les classes d’âges 20-24 ans et 25-29 ans, les taux d’arrêt du tabac avant l’âge de 30 ans sont alors de 0 pour toutes les cohortes. L’hypothèse est corroborée par Legleye et al. (2011), qui montrent que moins de 10 % des fumeurs s’arrêtent avant 30 ans.

21 En reproduisant ce calcul et en agrégeant les durées par âge et par cohorte de toutes les cohortes vivantes en 2010, on peut produire les distributions de durées transversales chez les fumeurs et les anciens fumeurs.

Hypothèse relative à l’intensité du tabagisme

22 Ces mêmes données permettent de reconstituer la distribution du nombre moyen de cigarettes quotidiennes pour diverses cohortes (intensité). Pasquereau et al. (2018) ont publié des éléments démontrant que la distribution du nombre de cigarettes fumées quotidiennement ne se concentre pas autour d’un chiffre unique mais se répartit de façon assez homogène sur le spectre des différentes valeurs possibles. La valeur de « 15 cigarettes » paraît assez proche à la fois de la moyenne et de la médiane de la distribution (avec toutefois des variations selon les générations). Pour simplifier, cet exemple est utilisé afin d’appliquer une intensité uniforme à toutes les cohortes et tous les groupes d’âges, à savoir une consommation de 15 cigarettes par jour, ce qui correspond à la moyenne empirique pour la plupart des cohortes de fumeurs français, et qui constitue la valeur du scénario de référence. Nous testons la sensibilité des estimations et projections à ce paramètre d’intensité moyenne, puis examinons les différentes options alternatives en conclusion. Comme cela y est discuté, s’il existe une corrélation entre l’intensité et l’âge à l’initiation ou au sevrage, cette hypothèse d’une intensité universelle de 15 cigarettes quotidiennes peut influencer les résultats des simulations.

2. Estimation du risque de mortalité en fonction de la durée et de l’intensité

23 Les risques estimés de mortalité par cancer du poumon des fumeurs actuels en fonction de la durée et de l’intensité du tabagisme sont établis à partir de l’étude de Flanders et al. (2003), qui exprime le risque absolu de cancer du poumon ( equation im2 ) sous la forme d’une fonction exponentielle de la durée (D) et de l’intensité (I) avec des paramètres (α, β et γ) variant selon le sexe (s) et la classe d’âges (x) :

equation im3 [1]

24 Ils sont complétés par des estimations des risques de mortalité par cancer du poumon en fonction de la durée d’abstinence fournies par Knoke et al. (2008), qui évaluent une diminution (notée f) du sur-risque de cancer du poumon des anciens fumeurs par rapport aux personnes ayant continué à fumer comme une fonction de l’âge à l’arrêt (A c) et du temps écoulé depuis l’arrêt (T c) : [9]

f = exp[– (0,274 – 0,00279 × Ac) × (Tc – 2)][2]

25 Comme la probabilité dans l’équation [2] est relative à celle d’une personne présentant les mêmes caractéristiques (âge et sexe) qui aurait fumé mais jamais arrêté, nous utilisons les probabilités données par l’équation [1] comme base de référence et appliquons le paramètre de diminution estimé (f) à ce chiffre.

26 Les deux estimations s’appliquent uniquement aux personnes âgées de 40 à 79 ans. Le résultat obtenu est une mortalité par cancer du poumon attribuable au tabac restreinte à la population âgée de 40 à 79 ans. Cela constitue une approximation satisfaisante, dans la mesure où on ne recense presque aucun décès par cancer du poumon avant 40 ans, et quelques milliers seulement chez les plus de 80 ans.

27 Après avoir calculé la probabilité de décéder des fumeurs actifs à l’aide de l’équation [1] puis appliqué l’équation [2] à leur risque de mortalité pour obtenir la probabilité de décéder des anciens fumeurs du même âge et du même sexe, chaque probabilité est combinée avec la proportion de fumeurs actifs et d’anciens fumeurs dans cette catégorie d’âges et de sexe. On obtient ainsi une probabilité moyenne de décéder pour cette catégorie. Ensuite, on multiplie cette probabilité par la population dans cette catégorie d’âges et de sexe pour produire un nombre de décès attribuables au tabagisme. Cette méthode permet de simuler des scénarios alternatifs en modifiant les parcours tabagiques des cohortes (en modifiant par exemple les durées de tabagisme ou d’abstinence) afin de mesurer l’effet de ces modifications sur la mortalité.

28 L’étape suivante consiste à calibrer la mortalité attribuable au tabac observée en France. En effet, bien que Flanders et al. (2003) estiment a priori une série de risques absolus de mortalité pour les fumeurs actifs, ils se concentrent en réalité sur les effets relatifs de la durée et de l’intensité du tabagisme (paramètres β et γ) plutôt que sur le niveau de risque de base (paramètre α). En effet, le risque de base ne peut pas être extrapolé de manière crédible à partir de leur échantillon, tandis que la durée et l’intensité peuvent l’être puisque l’étude CPS-II s’appuie sur un échantillon « auto-sélectionné » de fumeurs moins susceptibles de décéder ; il est néanmoins extrêmement fiable pour l’estimation des effets de la durée et de l’intensité sur le risque relatif de décès (Thun et al., 2000). Par conséquent, nous utilisons les estimations pour βs, x et γs, x pour chaque s, x dans Flanders et al. (2003) et les combinons avec une valeur calibrée de αs, x, notée α c s, x, qui calibre le nombre de décès produit par la formule afin de reproduire la mortalité par cancer du poumon attribuable au tabac observée en France pour cette catégorie d’âges et de sexe en 2010. On a pris en compte les chiffres de mortalité publiés par l’Institut national de veille sanitaire à l’époque (aujourd’hui Santé publique France), qui utilise un modèle démographique pour prévoir la mortalité liée au cancer du poumon par âge et sexe au cours des dernières années à partir de données sur la population française pour l’année 2000 (INVS, 2005). Nous utilisons le nombre de décès par cancer du poumon prévus dans la tranche 40-79 ans pour les années 2005-2009, divisons cette valeur par 5 pour obtenir un nombre de décès annuel puis appliquons une FRA de 0,82 [10] pour obtenir uniquement la mortalité attribuable au tabac par cancer du poumon (USDHHS, 2014). À partir de cette mortalité par cancer du poumon attribuable au tabac à l’âge x et pour le sexe s (notée MATs, x), nous calculons α c s, x comme suit :

equation im4 [3]

3. Projection et simulations

29 Ayant établi grâce à cette méthode la mortalité par cancer du poumon attribuable au tabac sur une période de 50 ans (2010-2060), nous appliquons des hypothèses de conservation ou de modification future de la prévalence tabagique par âge pour diverses cohortes, résultant en particulier de changements soudains (« chocs ») dans les habitudes tabagiques d’initiation ou de sevrage.

30 Ce calcul s’effectue en trois étapes. Premièrement, nous prolongeons les tendances en projetant les taux de prévalence du tabagisme par âge à l’horizon 2060, avec une distinction par sexe et par génération. Cette projection se fonde sur un lissage récursif : pour une cohorte c donnée, la prévalence pour la classe d’âges a (observé en année N=c+a) résulte de la prévalence du tabagisme dans la classe d’âges a-1 [11] pour la même cohorte c, à laquelle est appliquée un taux d’évolution calculé comme la moyenne de l’évolution du comportement tabagique entre les groupes d’âges a-1 et a dans les trois cohortes précédentes c-1, c-2 et c-3. Le lissage est récursif dans la mesure où chaque groupe d’âges et chaque cohorte s’ajoute aux cohortes précédentes (années d’observation), la projection s’effectuant ainsi par récurrence.

31 Deuxièmement, on applique ces taux de prévalence simulés de fumeurs actifs et d’anciens fumeurs à des projections de distribution par âge pour la population française (Blanpain et Chardon, 2010) [12]. On obtient ainsi des stocks de fumeurs par durée de tabagisme et durée d’abstinence durant une année N donnée en additionnant toutes les cohortes ou bien tous les groupes d’âges observés cette année-là.

32 Enfin, on reproduit les étapes de calcul pour la mortalité attribuable au tabac et on obtient, au terme de ce processus, différents scénarios qui reproduisent des « chocs » de la prévalence par âge pour une cohorte donnée, consécutifs à une modification des comportements d’initiation ou de sevrage. Ceci permet de prévoir comment la mortalité attribuable au tabac évoluera en réponse à ces « chocs ».

33 Le matériel supplémentaire en ligne fournit des informations détaillées sur les éléments de méthode suivants : description pas-à-pas du calcul de la mortalité attribuable au tabac (Matériel supplémentaire D) ; calculs nécessaires aux projections de prévalence du tabagisme (Matériel supplémentaire E) ; description des scénarios alternatifs (Matériel supplémentaire F).

III. Résultats : le cancer du poumon en France

1. Parcours tabagiques

34 La composition par âge de la prévalence du tabagisme masculin en France témoigne d’un recul récent de la prévalence totale, qui semble plus lié à une diminution de l’entrée dans le tabagisme des cohortes récentes qu’à une augmentation de l’arrêt du tabac chez les plus âgés (tableau 2). La moitié des hommes qui fument auront arrêté avant 54 ans, en tout cas dans les trois cohortes pour lesquelles on dispose de données après l’âge de 50 ans.

Tableau 2. Prévalence (%) du tabagisme par sexe et âge des cohortes

Tableau 2. Prévalence (%) du tabagisme par sexe et âge des cohortes

Tableau 2. Prévalence (%) du tabagisme par sexe et âge des cohortes

35 Chaque ligne du tableau 2 permet de suivre la prévalence du tabagisme pour une cohorte donnée au fil des groupes d’âges et calculer des estimations rudimentaires de « taux d’arrêt ». En divisant la prévalence tabagique à un groupe d’âges donné par la prévalence maximale observée pour la même cohorte (à 20-24 ans ou 25-29 ans), on obtient la proportion des fumeurs au groupe d’âges du pic de consommation qui fument encore plus tard au cours de leur vie. Le complément à 1 de cette proportion équivaut, pour une cohorte donnée, au pourcentage des fumeurs au pic de consommation qui ont arrêté à chaque âge ultérieur de leur vie.

36 Les taux d’arrêt pour les classes d'âges 40-44 ans et 45-49 ans sont d’un intérêt particulier, dans la mesure où les données épidémiologiques démontrent que le fait de ne pas avoir arrêté de fumer à cet âge charnière de 40/45 ans augmente considérablement la probabilité de cancer du poumon. Pour les hommes, les taux d’arrêt à ces âges ont globalement augmenté au fil des générations. Le taux d’arrêt des 40-44 ans est passé de 31 % pour la cohorte 1946-1950 à près de 40 % pour les trois cohortes suivantes. Une tendance similaire est observée pour la classe d’âges 45-49 ans, à laquelle le taux d’arrêt est passé de 13 % pour la cohorte la plus ancienne à 45 % pour la cohorte 1956-1960, avant de connaître une légère diminution pour la cohorte 1961-1965. Chez les femmes, le taux d’arrêt à l'âge de 40-44 ans est resté stable autour de 30 % pour les femmes nées entre 1946 et 1960, mais il est passé à 38 % pour la cohorte la plus récente (1966-1970). À l'âge de 45-49 ans, ce taux est resté constant autour de 40 % pour les cohortes les plus récentes. Ces résultats sont présentés en détail dans le matériel supplémentaire G.

37 Bien qu’évoluant dans la bonne direction, ces taux d'arrêt sont encore trop bas, puisque plus de la moitié des fumeurs continuent de fumer à des âges qui les exposent à une augmentation exponentielle du risque de cancer du poumon.

38 S’appuyant sur des données brutes similaires pour les pseudo-cohortes, la figure 1 illustre les durées typiques de tabagisme chez les hommes et chez les femmes. Le nombre de fumeurs pour chaque durée est exprimé en pourcentage de la population ayant déjà fumé, 100 % représentant l’effectif maximal de fumeurs observé avant l’âge de 30 ans. L’arrêt du tabac est plus précoce chez les femmes que chez les hommes : la moitié des hommes ayant déjà fumé s’étaient arrêtés au bout de 37 ans et la moitié de leurs homologues féminines après 25 ans environ.

Figure 1. Durées typiques du tabagisme chez les fumeurs

Figure 1. Durées typiques du tabagisme chez les fumeurs

Figure 1. Durées typiques du tabagisme chez les fumeurs

2. La mortalité attribuable au tabac en 2010

39 La simulation avec nos valeurs centrales d’intensité et d’âge d’initiation produit une mortalité par cancer du poumon attribuable au tabac de 20 439 personnes en 2010 : 16 362 hommes et 4 077 femmes, 12 261 fumeurs actifs et 8 178 anciens fumeurs. Ces chiffres sont très proches de ceux publiés pour la mortalité attribuable au tabac en France, comme nous le prévoyions, puisque nos paramètres de calibrage sont des valeurs issues de projections publiées par l’INVS (2005). Après avoir utilisé une méthode mise au point par Ribassin-Majed et Hill (2015) pour corriger le dénombrement de certains décès dont la cause n’est pas connue, Bonaldi et al. (2016) estiment que, pour 2013, le nombre de décès strictement consécutifs à un cancer du poumon se situe entre 19 920 et 22 395 chez les personnes âgées de 30 à 80 ans. Ces estimations sont comparables aux nôtres, bien qu’elles portent sur l’année 2010 et que l’amplitude d’âges soit 40-80 ans. Les résultats détaillés de la mortalité attribuable au tabac par âge, sexe et statut tabagique en 2010 se trouvent dans le tableau 3.

Tableau 3. Nombre de décès par cancer du poumon attribuable au tabac en 2010, réévaluation par âge, sexe et statut tabagique

Tableau 3. Nombre de décès par cancer du poumon attribuable au tabac en 2010, réévaluation par âge, sexe et statut tabagique

Tableau 3. Nombre de décès par cancer du poumon attribuable au tabac en 2010, réévaluation par âge, sexe et statut tabagique

40 L’application d’hypothèses alternatives dans les calculs de lissage et d’interpolation de la prévalence produit des valeurs de mortalité par cancer du poumon attribuable au tabac de l’ordre de 19 904 à 20 799 décès, soit une variation de – 2,6 % à + 1,8 % par rapport au scénario de référence. Il semble donc que notre estimation ne soit pas très sensible aux hypothèses utilisées pour imputer des données manquantes ou imprécises. Les résultats sont davantage sensibles aux paramètres concernant l’âge moyen d’entrée dans le tabagisme et l’intensité moyenne de consommation. Passer de 10 à 20 cigarettes par jour dans la valeur d’intensité utilisée produit une mortalité attribuable au tabac variant de 16 509 à 23 886, soit – 19 % et + 17 % par rapport au scénario de référence. L’utilisation d’une intensité différenciée par âge et sexe, comme dans l’Enquête sur la santé et la protection sociale 2010 (Dourgnon et al., 2012), n’entraîne pas de changements significatifs de la mortalité par cancer du poumon observée (20 041 contre 20 439 dans le scénario de référence). À l’inverse, une amplitude de l’âge de démarrage du tabac de 13,5 à 21,5 ans produit une valeur de la mortalité attribuable au tabac de 24 732 à 16 657 respectivement, soit une évolution de + 21 % à − 19 % par rapport au scénario de référence [13].

3. Projection jusqu’en 2060 et scénarios alternatifs : évolution de la mortalité attribuable au tabac en cas de modifications de l’initiation au tabagisme et du sevrage

41 Si les taux de prévalence sont projetés en suivant la tendance observée (scénario de projection), la mortalité par cancer du poumon attribuable au tabac augmentera rapidement jusqu’à un plafond de 29 100 décès vers 2035. Cette hausse moyenne de 7 % tous les 5 ans reflète le fait que les générations de gros fumeurs nés pendant les années 1950 et 1960 auront un risque maximal de cancer du poumon dans les 20 prochaines années, la mortalité par cancer du poumon attribuable au tabac se stabilisant ensuite aux environs de 30 000 décès (figure 2). À partir de 2040, les projections d’une prévalence stabilisée pour les cohortes futures sont largement déterminées par les hypothèses, car les taux de prévalence sont prédits de manière récursive en utilisant les taux moyens des trois cohortes précédentes.

Figure 2. Mortalité par cancer du poumon attribuable au tabac, prévisions entre 2010 et 2060 (scénario de référence)

Figure 2. Mortalité par cancer du poumon attribuable au tabac, prévisions entre 2010 et 2060 (scénario de référence)

Figure 2. Mortalité par cancer du poumon attribuable au tabac, prévisions entre 2010 et 2060 (scénario de référence)

42 Nous illustrons ici la manière dont la méthode peut être utilisée pour simuler de fortes variations (« chocs ») de la prévalence provoquées par une augmentation de l’arrêt du tabac (accroissement des taux de sevrage de 25 %, 50 %, 100 % et 200 %) ou une diminution notable de l’initiation au tabagisme chez les adolescents (réduction des taux d’initiation de 25 %, 50 %, 80 % et 100 %), avec des effets sur la mortalité qui varient selon la source du choc (initiation ou sevrage). Les chocs en question résultent des politiques qui influent sur les comportements : augmentation de la fiscalité pour réduire l’entrée dans le tabagisme, strict contrôle de la vente aux mineurs, interdiction de fumer dans les lieux publics, campagnes de promotion de la santé, etc. L’augmentation des taux de sevrage est généralement obtenue en subventionnant les méthodes de sevrage et, dans une moindre mesure, en majorant les taxes sur les cigarettes et en interdisant de fumer dans les lieux publics. La littérature sur le sujet est claire : toutes ces méthodes sont relativement efficaces pour réduire l’initiation ou favoriser l’arrêt, voire les deux (Levy et al., 2004).

43 Il est raisonnable de penser que la durée et l’intensité du tabagisme jouent aussi sur la mortalité liée à d’autres causes que le cancer du poumon ; il faut donc garder à l’esprit que ces scénarios et ces conclusions ne concernent que la mortalité par cancer du poumon, exprimée en nombre de décès par an entre 2010 et 2060. Le scénario extrême pour l’initiation est absolu (personne ne commence à fumer), tandis que, pour le sevrage, le scénario extrême est relatif (certains fumeurs n’arrêtent jamais).

44 La figure 3 montre que l’effet sur la mortalité d’une réduction de l’initiation au tabac serait nul jusqu’en 2035. En extrapolant, le nombre total de vies sauvées (mortalité attribuable au tabac évitée) au cours des 50 années de notre simulation est compris entre 10 000 et 41 000, le premier chiffre correspondant à une réduction de 25 % des initiations au tabagisme et le second à un scénario extrême d’absence complète de nouveaux fumeurs (– 100 % d’initiations) dans les cohortes à venir.

Figure 3. Mortalité par cancer du poumon attribuable au tabac entre 2010 et 2060 si l’initiation tabagique décroît chez les jeunes ; scénario de référence et scénarios de baisse du taux d’initiation

Figure 3. Mortalité par cancer du poumon attribuable au tabac entre 2010 et 2060 si l’initiation tabagique décroît chez les jeunes ; scénario de référence et scénarios de baisse du taux d’initiation

Figure 3. Mortalité par cancer du poumon attribuable au tabac entre 2010 et 2060 si l’initiation tabagique décroît chez les jeunes ; scénario de référence et scénarios de baisse du taux d’initiation

45 A contrario, l’effet sur la mortalité attribuable au tabac d’une augmentation des taux de sevrage serait perceptible dès 2015 et le nombre total de vies sauvées dans ce scénario varierait de 28 000 (hausse de 25 % des taux de sevrage) à 144 000 (triplement des taux de sevrage) au cours des 50 prochaines années (figure 4).

Figure 4. Mortalité par cancer du poumon attribuable au tabac entre 2010 et 2060 si le sevrage progresse après l’âge de 30 ans ; scénario de référence et scénarios de hausse du taux de sevrage

Figure 4. Mortalité par cancer du poumon attribuable au tabac entre 2010 et 2060 si le sevrage progresse après l’âge de 30 ans ; scénario de référence et scénarios de hausse du taux de sevrage

Figure 4. Mortalité par cancer du poumon attribuable au tabac entre 2010 et 2060 si le sevrage progresse après l’âge de 30 ans ; scénario de référence et scénarios de hausse du taux de sevrage

IV. Discussion et conclusion

1. Aider les adultes à arrêter de fumer ou éviter que les adolescents ne commencent

46 Cette étude est la première à produire des profils de prévalence du tabagisme par âge ainsi que les durées de tabagisme et d’abstinence pour diverses générations de fumeurs en France. On constate que les réductions de la prévalence tabagique résultent surtout d’un recul de l’initiation au tabac et, dans une moindre mesure, d’une hausse des taux de sevrage. Les seuls éléments de comparaison proviennent des États-Unis, où la durée moyenne du tabagisme diminue de façon substantielle (Mannino et al., 2001), avec une tendance linéaire claire à la baisse de l’âge auquel la prévalence du tabagisme dans une cohorte atteint la moitié de sa valeur maximale (Pierce et Gilpin, 1996). Anderson et al. (2012) confirment la progression récente des taux de sevrage à chaque âge pour les cohortes nées après 1965 aux États-Unis. Étant donné qu’une observation transversale en France montre un gradient évident « niveau d’études / âge du sevrage » dans lequel les fumeurs plus éduqués sont ceux qui arrêtent de fumer plus tôt (Legleye et al., 2011 ; Bricard et Jusot, 2012 ; Khlat et al., 2016), on peut raisonnablement prévoir une baisse de l’âge moyen à l’arrêt du tabac pour les générations suivantes.

47 Cette méthode permet d’utiliser des simulations pour estimer la mortalité par cancer du poumon attribuable au tabac, afin que les analystes puissent élaborer différents scénarios. Ces simulations et scénarios peuvent éclairer les décideurs dans l’allocation des crédits pour la lutte antitabac, lorsqu’ils doivent décider s’il vaut mieux prévenir l’initiation des jeunes ou aider les fumeurs à se sevrer. Même si on peut considérer que ces deux objectifs méritent d’être poursuivis simultanément (Myers, 1999), il n’en demeure pas moins qu’il faut arbitrer pour chaque nouvelle dépense et donc choisir de financer des programmes d’aide au sevrage ou bien de prévention de l’initiation au tabagisme.

48 Les projections de la mortalité attribuable au tabac jusqu’en 2060, dans différents scénarios, montrent que parvenir à augmenter les taux de sevrage serait une stratégie efficace. Plus précisément, une intervention faisant doubler les taux d’arrêt du tabac à tous les âges éviterait 5 000 à 14 000 décès par cancer du poumon chaque année, alors que prévenir l’entrée dans le tabagisme de tous les adolescents permettrait d’éviter 17 000 décès en 2060 mais quasiment aucun avant 2040.

49 Cette analyse est assez intuitive, car elle découle des horizons temporels différents des politiques envisageables (prévenir l’initiation au tabac des adolescents / encourager les adultes à arrêter), et notre méthode fournit des éléments chiffrés sur les avantages et inconvénients de ces politiques. Dans l’ensemble, nos éléments valident de manière quantifiable le fait qu’il faudrait privilégier une aide financière en faveur du sevrage des fumeurs adultes plutôt que pour la prévention en direction des adolescents (Hill, 1999). En dernier ressort, ces recommandations devraient s’appuyer sur une analyse coût-efficacité comparant non seulement les résultats (comme le fait cette méthode) mais aussi le coût de chaque stratégie. Bien que les outils de prévention de l’initiation au tabagisme (fiscalité, contrôle de la vente aux mineurs) soient généralement considérés comme peu coûteux en termes de financement public, ils engendrent des coûts indirects (surveillance de la contrebande et des ventes illégales aux jeunes). De plus, ils sont souvent associés à des campagnes de promotion de la santé qui, elles, génèrent des coûts directs. Il est vrai que les thérapies de sevrage coûtent plus cher, et il faudrait dans un second temps procéder à une évaluation complète du rapport coût-efficacité de ces deux démarches. L’exercice a bien sûr un caractère illustratif et permet de tester les potentialités offertes par notre approche qui n’existent pas dans la méthode canonique.

2. Choix méthodologiques : limites et améliorations possibles

50 Bien que notre méthode soit fondamentalement valable, en permettant aux analystes d’élaborer différents scénarios pour aider les décideurs, ce que la méthode canonique ne permet pas (et n’est pas supposée faire), il est clair qu’elle dépend dans une large mesure de la façon dont elle est appliquée, et donc des hypothèses formulées et des données disponibles. Cette nouvelle méthode postule que ce sont la durée et l’intensité du tabagisme, et pas uniquement la prévalence, qui déterminent la mortalité attribuable au tabac et que, de plus, ces principaux déterminants de la mortalité (intensité, durée et âge au sevrage) sont indépendants. Les formules reposent plus précisément sur l’hypothèse que la durée et l’intensité sont indépendantes, et que l’intensité du tabagisme demeure constante pour toutes les cohortes et à tous les âges. Cependant, il est vraisemblable que les gros fumeurs tendent à fumer plus longtemps et rencontrent davantage de difficultés pour arrêter que les fumeurs ayant une consommation plus faible. Si tel est le cas, on sous-estime la mortalité attribuable au tabac et, surtout, on minimise l’effet des thérapies de sevrage par rapport à celui des baisses des taux d’initiation. Seules des données de panel reflétant un suivi des fumeurs sur une longue période pourraient fournir des estimations du lien entre durée et intensité du tabagisme à différents âges. Cette interdépendance constitue une information pertinente en soi pour le choix des politiques à mener, dont on peut en vérifier l’effet en mettant en œuvre des scénarios avec notre méthode. Prendre en compte toutes les probabilités conjointes de décéder nécessiterait une approche nettement plus complexe, comparable aux modèles de micro-simulation cités précédemment et présentés dans Schultz et al. (2012) et Hazelton et al. (2012). Notre méthode sert au contraire à réaliser des simulations simples offrant une très grande flexibilité, parfois au prix d’un certain manque de réalisme, voire de précision.

51 Cette nouvelle méthode est également plus coûteuse en données que la méthode canonique. Nos résultats sont dépendants d’une série de choix et d’hypothèses destinés à compléter les données disponibles discutés ici.

Reconstitution de pseudo-cohortes

52 Au lieu de reconstituer des pseudo-cohortes à partir d’enquêtes transversales, on aurait pu s’appuyer sur un questionnaire rétrospectif à propos de l’âge d’initiation et de l’âge d’arrêt du tabac dans le cadre d’une unique enquête transversale (Bricard et Jusot, 2012 ; Bricard et al., 2015). C’est effectivement une option intéressante, mais nous lui avons préféré la méthode des pseudo-cohortes pour quatre raisons. Premièrement, les personnes qui répondent à des questions rétrospectives peuvent se tromper en indiquant les âges auxquels elles ont commencé à fumer ou se sont arrêtées. Kenkel et al. (2003) montrent que, dans les enquêtes longitudinales, les âges déclarés par 10 % des enquêtés changent d’une vague à l’autre, même si les erreurs de déclaration sont en moyenne minimes. Les réponses concernant la consommation tabagique sont plus fiables.

53 Deuxièmement, les fumeurs décédés prématurément ne peuvent pas s’exprimer sur leurs pratiques tabagiques passées. C’est un écueil potentiel pour toutes les études sur la mortalité, mais aussi un point important sur le plan empirique quand il s’agit d’établir la prévalence chez les personnes âgées de 60 ans et plus (Christopoulou et al., 2011). Avec les pseudo-cohortes, il y a moins de pertes d’informations concernant les personnes décédées prématurément.

54 Troisièmement, les données rétrospectives ne permettent à l’analyste de reconstituer les durées que pour un nombre limité de cohortes (vivantes à la date de l’enquête), tandis que nos simulations visent à comprendre les évolutions du comportement des fumeurs dans autant de cohortes que possible. Même avec un échantillon important (30 000 répondants dans Bricard et al., 2015), la méthode rétrospective exige de regrouper de nombreuses cohortes pour obtenir des estimations fiables. Bricard et Jusot (2012) ont dû ainsi regrouper 15 années de naissances différentes par cohorte, alors que nos pseudo-cohortes ne regroupent que 5 années.

55 Quatrièmement, enfin, les données rétrospectives ne peuvent pas produire des distributions conjointes de durées et d’intensités (une cohorte donnée a passé D 1 années à fumer I 1 cigarettes par jour, D 2 années à fumer I 2 cigarettes par jour, etc.). En effet, l’intensité n’est généralement connue que pour les fumeurs actifs et valable uniquement pour leur habitude tabagique à la date de l’enquête. La présente application ne produit pas ce type de distributions conjointes, mais c’est théoriquement possible avec les méthodes de pseudo-cohortes [14], qui permettent de simuler les effets d’un arrêt progressif du tabac plutôt que d’un sevrage brutal. Il est à noter que nos parcours tabagiques reconstruits sur la base de pseudo-cohortes sont très similaires à ceux obtenus par une méthode rétrospective, notamment dans Bricard et al. (2015) [15]. Notre méthode de pseudo-cohortes confirme également que la prévalence à l’âge de 40 ans tend à décroître dans les cohortes plus récentes, ce qui s’explique avant tout par une diminution de l’initiation au tabac mais aussi par une augmentation de la probabilité d’un arrêt à un stade plus précoce.

Identification des fumeurs

56 Fumeurs réguliers et occasionnels sont regroupés dans une même catégorie pour calculer les taux de prévalence ; c’est une démarche inhabituelle mais, dans la mesure où on s’intéresse ici au risque à l’échelle de la cohorte et non de l’individu, ne pas respecter cette distinction dans les calculs serait problématique si et seulement si la proportion de fumeurs occasionnels changeait radicalement dans la durée. Les résultats empiriques pour les années au cours desquelles cette distinction est pratiquée dans les enquêtes Baromètre Santé (1995 à 2010) montrent que la proportion de fumeurs occasionnels reste stable (tableau C2 dans le Matériel supplémentaire C). Nos simulations pourraient refléter les modifications du pourcentage de fumeurs actifs occasionnels par des modifications du paramètre de l’intensité moyenne, mais ce n’est pas le but recherché dans cet exercice.

Des risques relatifs dépendant de comportements inobservés

57 Des risques relatifs conditionnels à la durée et l’intensité du tabagisme ne sont peut-être pas non plus des paramètres structurels parfaits, car ils restent dépendants de comportements inobservés. Notre méthode présuppose que la relation entre le risque de mortalité par cancer du poumon et la durée et l’intensité du tabagisme estimée pour la population des États-Unis s’applique à la population française, ce qui n’est sans doute pas absurde dans la mesure où les mécanismes sous-jacents sont essentiellement biologiques. Nous sommes relativement confiants sur la stabilité de cette relation dans la durée aux États-Unis ; en effet, la mortalité par cancer du poumon observée est reproduite pour des générations autres que celles utilisées dans les estimations originales (Hazelton et al., 2012 ; Schultz et al., 2012). La transposition de ces estimations à la France pourrait être moins évidente si, par exemple, les Français fumaient des types de cigarettes différents (comme par le passé).

58 Il existe une autre différence possible entre contextes français et américain, qu’il est plus difficile de rejeter ou de confirmer : les fumeurs actifs peuvent s’auto-sélectionner (c’est-à-dire commencer ou continuer à fumer) différemment selon le pays. D’après une étude, le sevrage n’est pas l’aboutissement d’un processus de sélection aléatoire, il est lié à la connaissance qu’a le fumeur de son état de santé (Mehta et Preston, 2012) ; il est donc possible que des populations différentes réagissent différemment à ce type d’informations, même si les résultats de cette étude sont contredits par une analyse plus solide utilisant des données individuelles aux États-Unis (Lahiri et Song, 2000). Nous ignorons si une étude comparable a été conduite pour la population française et devons admettre que cet aspect pourrait remettre en cause la validité de cet exercice.

59 Il est envisageable que le processus de sélection fonctionne différemment dans les deux pays, les fumeurs français pouvant se distinguer des fumeurs américains par leur façon d’utiliser les informations sur leur santé dans leur décision d’arrêter de fumer ou de modifier leur consommation. Le cas échéant, les risques relatifs dont nous nous servons (tirés de données américaines) ne sont pas parfaitement déterminés par les comportements tabagiques et pourraient varier en fonction du pays. Nous estimons que cette menace pour la validité de notre méthode est mineure par rapport à celle qui pèse sur la méthode canonique, fondée strictement sur la prévalence tabagique à la date de la mesure. De même, si les campagnes de santé publique sont susceptibles d’influencer les (potentiels) fumeurs occasionnels à la fois en leur évitant de commencer à fumer et en les convainquant d’arrêter de fumer avant qu’il ne soit trop tard, la stratégie de prévention de l’entrée dans le tabagisme pourrait être encore moins efficace que ce qui est prédit dans ce travail. Une diminution de l’initiation au tabac serait alors suivie d’une baisse des taux de sevrage 25 à 30 ans plus tard, car les effectifs de fumeurs compteraient moins de fumeurs marginaux. Nous en savons trop peu sur les déterminants de l’initiation au tabagisme et sur leurs liens avec la capacité future d’arrêter de fumer.

60 Cette étude introduit une nouvelle méthode d’estimation et de simulation de la mortalité attribuable au tabac. Elle répond aux questions sur les effets respectifs d’une augmentation du sevrage et d’une diminution de l’initiation, questions auxquelles la méthode canonique ne peut pas répondre. La méthode est opérationnelle, ne nécessite pas de micro-simulations complexes et peut fournir de très nombreuses informations pour éclairer les décisions de santé publique. L’application présentée ici se limite au cas du cancer du poumon en France, mais des enquêtes telles que CPS-II mettent à disposition des données qui peuvent aider à établir les risques relatifs en fonction de la durée et de l’intensité tabagiques pour d’autres causes de décès liés au tabagisme (la BPCO, par exemple). Qui plus est, aucune des limites soulevées n’est théoriquement insoluble. Elles pourraient être dépassées en conduisant des études empiriques sur les facteurs qui déterminent l’arrêt du tabac ou l’initiation ; de telles analyses permettraient d’affiner les estimations et surtout les scénarios utilisés dans les simulations.

Remerciements : Nous tenons à remercier François Beck et Romain Guignard (OFDT) qui n’ont pas ménagé leurs efforts pour nous aider à accéder aux données individuelles des Baromètres santé pour les années récentes et nous ont ainsi permis de créer nos propres classes d’âges à partir des variables d’âge continues qui figuraient dans les enquêtes. Nous sommes reconnaissants à Thierry Rochereau et Stéphanie Guillaume (Irdes), en charge de l’Enquête santé et protection sociale, et à Progedo Diffusion pour leur mise à disposition de l’édition 1980 de l’enquête décennale Santé de l’Insee. Nous remercions Damien Bricard et Florence Jusot pour leurs commentaires précieux sur les versions précédentes du manuscrit, ainsi que les trois relecteurs anonymes dont les suggestions ont permis d’améliorer cet article. Nous sommes reconnaissants à Pfizer Europe pour le soutien financier de 8 000 euros apporté à une version préliminaire de ce travail. Les auteurs souhaiteraient faire part des éléments suivants en termes de potentiel « conflit d’intérêt » vis-à-vis du tabac : le premier auteur, après avoir fumé pendant 10 ans, est abstinent depuis 30 ans ; le second auteur a beaucoup fumé au cours des 25 dernières années et s’efforce désormais d’arrêter. Aucun autre conflit d’intérêt n’est à signaler.

Bibliographie

Références

  • Anderson C. M., Burns D. M., Dodd K. W., Feuer E. J., 2012, Birth cohort specific estimates of smoking behaviors for the U.S. population, Risk Analysis, 32(S1), p. 14-24.
  • Beck F., Guibert P., Gautier A. (eds.), 2007, Baromètre santé 2005, Saint Denis, INPES.
  • Blanpain N., Chardon O., 2010, Projections de population 2007-2060 pour la France métropolitaine : méthode et principaux résultats, Insee, Documents de travail, F1008.
  • Bonaldi C., Andriantafika F., Chyderiotis S., Boussac-Zarebska M., Cao B., Benmarhnia T., Gremy I., 2016, Les décès attribuables au tabagisme en France. Dernières estimations et tendance, années 2000 à 2013, Bulletin épidémiologique hebdomadaire, 30-31, p. 528-540.
  • Bonaldi C., Boussac M., Nguyen-Thanh V., 2019, Estimation du nombre de décès attribuables au tabagisme, en France de 2000 à 2015, Bulletin épidémiologique hebdomadaire, 15, p. 278-284.
  • Bricard D., Jusot F., 2012, Milieu d’origine, situation sociale et parcours tabagique en France, Économie publique, 28-29, p. 169-195.
  • Bricard D., Jusot F., Beck F., Khlat M., Legleye S., 2015, L’évolution des inégalités sociales de tabagisme au cours du cycle de vie : une analyse selon le sexe et la génération, Économie et statistique, 475-476, p. 89-112.
  • Brønnum-Hansen H., Juel K., 2000, Estimating mortality due to cigarette smoking: Two methods, same result, Epidemiology, 11, p. 422-426.
  • Christopoulou R., Han J., Jaber A., Lillard D. R., 2011, Dying for a smoke: How much does differential mortality of smokers affect estimated life-course smoking prevalence?, Preventive Medicine, 52, p. 66-70.
  • Doll R., Peto R., 1978, Cigarette smoking and bronchial carcinoma: Dose and time relationships among regular smokers and lifelong non-smokers, Journal of Epidemiology and Community Health, 32, p. 303-313.
  • Dourgnon P., Guillaume S., Rochereau T., 2012, Enquête sur la santé et la protection sociale 2010, Report 553, Paris, Irdes.
  • Ezzati M., Lopez A. D., 2003, Estimates of global mortality attributable to smoking in 2000, The Lancet 362, p. 847-852.
  • Flanders W. D., Lally C. A., Zhu B.-P., Henley S. J., Thun M. J., 2003, Lung cancer mortality in relation to age, duration of smoking, and daily cigarette consumption: Results from Cancer Prevention Study II, Cancer Research, 63, p. 6556-6562.
  • Forey B. A., Thornton A. J., Lee P. N., 2011, Systematic review with meta-analysis of the epidemiological evidence relating smoking to COPD, chronic bronchitis and emphysema, BMC Pulmonary Medicine, 11(36), p. 1-61.
  • Forster M., Jones A. M., 2001, The role of tobacco taxes in starting and quitting smoking: Duration analysis of British data, Journal of the Royal Statistical Society, 164(3), p. 517-547.
  • Funatogawa I., Funatogawa T., Yano E., 2013, Trends in smoking and lung cancer mortality in Japan, by birth cohort, 1949–2010, Bulletin of the World Health Organization, 91, p. 332-340.
  • Godtfredsen N. S., Lam T. H., Hansel T. T., Leon M. E., Gray N., Dresler C. et al., 2008, COPD-related morbidity and mortality after smoking cessation: Status of the evidence, European Respiratory Journal, 32(4), p. 844-853.
  • Hazelton W. D., Jeon J., Meza R., Moolgavkar S. H., 2012, The FHCRC Lung Cancer Model: The FHCRC Lung Cancer Model, Risk Analysis, 32(S1), p. 99-116.
  • Hill D., 1999, Why we should tackle adult smoking first, Tobacco Control 8, p. 333-335.
  • Holowaty E., Chin S., Cori S., Garcia J., Luk R., Lyons C., Thériault M. E., 2002, Tobacco or health in Ontario, Cancer Care Ontario, Toronto.
  • INPES, 2014, Les profils des fumeurs en France en 2014, http://INPES.santepubliquefrance.fr/10000/themes/tabac/consommation/profils-fumeurs.asp.
  • INVS, 2005, Mortalité par cancer du poumon en France métropolitaine - Analyse de tendance et projection de 1975 à 2014, Paris.
  • Janssen F., van Wissen L. J. G., Kunst A. E., 2013, Including the smoking epidemic in internationally coherent mortality projections, Demography, 50, p. 1341-1362.
  • Kenkel D., Lillard D. R., Mathios A., 2003, Smoke or fog? The usefulness of retrospectively reported information about smoking, Addiction, 98, p. 1307-1313.
  • Keys A., 1970, Coronary heart disease in seven countries, Circulation, 41(1), p. 118-139.
  • Khlat M., Pampel F., Bricard D., Legleye S., 2016, Disadvantaged social groups and the cigarette epidemic: Limits of the diffusion of innovations vision, International Journal of Environmental Research and Public Health 13, p. 1230-1236.
  • Knoke J. D., Burns D. M., Thun M. J., 2008, The change in excess risk of lung cancer attributable to smoking following smoking cessation: An examination of different analytic approaches using CPS-I data, Cancer Causes Control 19, p. 207-219.
  • Lahiri K., Song J. G., 2000, The effect of smoking on health using a sequential self-selection model, Health Economics 9, p. 51-69.
  • Legleye S., Khlat M., Beck F., Peretti-Watel P., 2011, Widening inequalities in smoking initiation and cessation patterns: A cohort and gender analysis in France, Drug and Alcohol Dependence, 117, p. 233-241.
  • Levy D. T., Chaloupka F., Gitchell J., 2004, The effects of tobacco control policies on smoking rates: A tobacco control scorecard, Journal of Public Health Management Practice, 10(4), p. 338-353.
  • Liang P. S., Chen T.-Y., Giovannucci E., 2009, Cigarette smoking and colorectal cancer incidence and mortality: Systematic review and meta-analysis, International Journal of Cancer, 124, p. 2406-2415.
  • López-Nicolás A., 2002, How important are tobacco prices in the propensity to start and quit smoking? An analysis of smoking histories from the Spanish National Health Survey, Health Economics, 11(6), p. 521-535.
  • Mannino D. M., Ford E., Giovino G. A., Thun M. J., 2001, Lung cancer mortality rates in birth cohorts in the United States from 1960 to 1994, Lung Cancer, 31, p. 91-99.
  • Mehta N., Preston S., 2012, Continued increases in the relative risk of death from smoking, American Journal of Public Health, 102(11), p. 2181-2186.
  • Myers M. L., 1999, Adults versus teenagers: A false dilemma and a dangerous choice, Tobacco Control, 8, p. 336-338.
  • Pasquereau A., Andler R., Guignard R., Richard J.-B., Arwidson P., Nguyen-Thanh V., et le groupe Baromètre santé 2017, 2018, La consommation de tabac en France : premiers résultats du Baromètre Santé 2017, Bulletin épidémiologique hebdomadaire 14-15, p. 265-273.
  • Pérez-Rios M., Montes A., 2008, Methodologies used to estimate tobacco-attributable mortality: A review, BMC Public Health, 8(22).
  • Peto R., Lopez A. D., Boreham J., Thun M., Heath C., 1992, Mortality from tobacco in developed countries: Indirect estimation from national vital statistics, Lancet, 339, p. 1268-1278.
  • Peto R., Lopez A. D., Boreham J., Thun M., Heath C., 1994, Mortality from tobacco in developed countries 1950–2000: indirect estimates from National Vital Statistics, Oxford, Oxford Univ. Press.
  • Pierce J. P., Gilpin E., 1996, How long will today’s new adolescent smoker be addicted to cigarettes?, American Journal of Public Health, 86(2), p. 253-256.
  • Preston S. H., Glei D. A., Wilmoth J. R., 2010, A new method for estimating smoking-attributable mortality in high-income countries, International Journal of Epidemiology, 39, p. 430-438.
  • Rachet B., Siemiatycki J., Abrahamowicz M., Leffondré K., 2004, A flexible modeling approach to estimating the component effects of smoking behavior on lung cancer, Journal of Clinical Epidemiology, 57, p. 1076-1085.
  • Ribassin-Majed L., Hill C., 2015, Trends in tobacco-attributable mortality in France, European Journal of Public Health, 25, p. 824-828.
  • Rostron B. L., 2010, A modified new method for estimating smoking-attributable mortality in high-income countries, Demographic Research, 23, p. 399-420.
  • Rostron B. L., Wilmoth J. R., 2011, Estimating the effect of smoking on slowdowns in mortality declines in developed countries, Demography, 48, p. 461-479.
  • Schultz F. W., Boer R., de Koning H. J., 2012, Description of MISCAN-Lung, the Erasmus MC Lung cancer microsimulation model for evaluating cancer control interventions: The MISCAN-Lung Model for evaluating cancer control interventions, Risk Analysis, 32(S1), p. 85-98.
  • Streppel M. T., Boshuizen H. C., Ocke M. C., Kok F. J., Kromhout D., 2007, Mortality and life expectancy in relation to long-term cigarette, cigar and pipe smoking: The Zutphen Study, Tobacco Control, 16, p. 107-113.
  • US Department of Health and Human Services, 1990, The health benefits of smoking cessation, Washington DC.
  • US Department of Health and Human Services, 2004, The impact of smoking on disease and the benefits of smoking reduction, Washington DC.
  • US Department of Health and Human Services, 2014, The health consequences of smoking: 50 years of progress, Washington DC.
  • Tachfouti N., Raherison C., Obtel M., Nejjari C., 2014, Mortality attributable to tobacco: Review of different methods, Archives of Public Health, 72(22).
  • Thun M. J., Apicella L. F., Henley S. J., 2000, Smoking vs other risk factors as the cause of smoking-attributable deaths: Confounding in the courtroom, Journal of the American Medical Association, 284(6), p. 706-712.
  • Zhang B., Ferrence R., Cohen J., Bondy S., Ashley M. J., Rehm J. et al., 2005, Smoking cessation and lung cancer mortality in a cohort of middle-aged Canadian women, Annals of Epidemiology, 15, p. 302-309.

Notes

  • [1]
    Une présentation formelle de cette méthode canonique est fournie dans le Matériel supplémentaire A (en anglais). https://www.cairn.info/docs/population-grignon-renaud-supplementary-material.pdf
  • [2]
    La microsimulation est une version plus sophistiquée de notre méthode et a été proposée dans Brønnum-Hansen et Juel (2000), Holowaty et al. (2002), Schultz et al. (2012) et Hazelton et al. (2012). Notre méthode est en revanche plus directe et offre plus de souplesse aux analystes souhaitant contribuer au débat sur la politique de santé.
  • [3]
    Le tableau B1 (Matériel supplémentaire B) est une synthèse des études abordées dans cette section.
  • [4]
    Elle peut différer largement de la prévalence observée. Au Japon, par exemple, la mortalité masculine par cancer du poumon est bien inférieure à ce que laisserait penser la prévalence observée (Funatogawa et al., 2013).
  • [5]
    L’étude CPS-II fournit cependant toutes les données nécessaires à l’estimation des risques en fonction de la durée et de l’intensité pour chaque cause de décès liée au tabagisme, ou toutes causes de décès confondues.
  • [6]
    Cette description n’est pas définitive et d’autres estimations du parcours tabagique des différentes générations de la population française sont bien sûr possibles. L’application numérique à la France n’est proposée qu’à titre d’illustration et les chercheurs qui disposent de données de meilleure qualité ou d’estimations de durée plus performantes sont invités à faire des simulations avec leurs propres scénarios pour différentes populations, en appliquant notre méthode à ces valeurs empiriques.
  • [7]
    Ces incohérences et les solutions qui y sont apportées afin de reconstituer des séries temporelles de prévalence du tabagisme sont présentées en détail dans le Matériel supplémentaire C. À partir des sources de données annexes et en regroupant plusieurs enquêtes, des analyses de sensibilité rudimentaires ont été menées, confirmant la précision de ces résultats : les estimations de mortalité attribuable au tabac ne varient que de 1 % à 3 % selon les variantes testées (Matériel supplémentaire H).
  • [8]
    Entre 7 % et 14 % des hommes qui fument commencent après l’âge de 20 ans, avec des variations en fonction de la cohorte et du niveau d’études. Chez les fumeuses, 50 % ont commencé après 20 ans pour les cohortes les plus âgées (1930-1944), 25 % pour les cohortes 1945-1964 et 15 % pour les cohortes 1965-1987.
  • [9]
    Le Matériel supplémentaire B fournit d’autres détails sur les différentes valeurs des paramètres par groupe d’âges et de sexe pour Flanders et al. (2003) (encadré B2) et sur l’application numérique par Knoke et al. (2008) de leur principale équation (encadré B3).
  • [10]
    Cette FRA provient de données sur les États-Unis figurant dans l’étude CPS-II. On suppose implicitement que la fraction de risque du cancer du poumon attribuable est la même en France. Ce n’est sans doute pas rigoureusement vrai, justement parce que cette fraction dépend des parcours tabagiques (durée et intensité) respectifs des cohortes de fumeurs américaines et françaises. Néanmoins, les données présentées dans Peto et al. (1992) pour tous les pays développés indiquent qu’en moyenne la fraction de risque du cancer du poumon attribuable est proche de 0,82. La valeur varie en fonction du sexe (de l’ordre de 0,60 pour les femmes à environ 0,90 pour les hommes) et, dans une moindre mesure, de l’âge, ce qui indiquerait que des simulations plus fines par âge et sexe doivent s’appuyer sur des séries de FRA différentes.
  • [11]
    Par exemple, si a représente le groupe 45-49 ans, alors a-1 correspond au groupe 40-44 ans. Il en va de même pour les cohortes : si c désigne les personnes nées au cours de la période 1951-1955, alors c-1 correspond à la cohorte 1946-1950.
  • [12]
    Les chiffres proviennent d’un scénario de référence proposé par les auteurs fondés sur des projections de population pour 2007-2060, selon lesquelles le taux de fécondité restera très élevé (1,95) jusqu’en 2060 (Blanpain et Chardon, 2010).
  • [13]
    Pour plus de détails, se reporter au Matériel supplémentaire H, en particulier la figure H2.
  • [14]
    Cette extrapolation s’appuierait sur les données disponibles pour les distributions des intensités tabagiques, qui ont légèrement changé au fil du temps mais restent centrées autour de 15 cigarettes par jour pour la plupart des cohortes. De manière générale, des distributions approchées seraient reconstituées par catégorie d’intensité (par exemple < 10 cigarettes, 10–14, 15–20, 20–24, 25+), puis appliquées de manière non paramétrique aux différentes générations.
  • [15]
    Dans cette étude, la figure 1 confirme que la prévalence culmine à l’âge de 20 ans puis décline chez les hommes et les femmes dans toutes les générations, sauf pour la cohorte féminine la plus âgée, exactement comme dans nos pseudo-cohortes.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.14.82

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions