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Article de revue

La vie hors couple, une vie hors norme ? Expériences du célibat dans la France contemporaine

Pages 103 à 130

Notes

  • [1]
    Les questions étaient déclinées ainsi : « Pour vous, ne pas être en couple rend la vie quotidienne en général / le fait de partir en vacances, etc. 1) Plus facile 2) Plus difficile 3) Ne change rien 4) Non concerné 5) Ne sait pas ».
  • [2]
    Entre 26 et 65 ans, 22 % des femmes célibataires habitent avec un enfant de moins de 15 ans, contre seulement 6 % des hommes.
  • [3]
    Les enfants s’y emploient aussi. Adultes, ils encouragent leurs parents à se remettre en couple : « Papa, pourquoi tu cherches pas quelqu’un ? Comme par exemple Lucie [une voisine] ? » (homme, 66 ans, divorcé, 7 enfants, ouvrier). En bas âge, ils observent, comparent, questionnent : « Et nous, est-ce qu’on aura un beau-père ? » (femme, 41 ans, divorcée, trois enfants, ouvrière).
  • [4]
    D’autres raisons, moins fréquentes, sont aussi invoquées, comme le fait d’avoir été souvent déçu·e (25 % des femmes et 19 % des hommes) ou de privilégier le travail, les études ou d’autres occupations (11 % des femmes et 18 % des hommes). En cas de veuvage, la mémoire du conjoint est très souvent citée (52 %) et pour les parents, le fait de privilégier les enfants (35 % des femmes et 25 % des hommes). En revanche, les questions d’âge subjectif – « se sentir trop jeune » ou « trop âgé » – sont très peu citées (moins de 1 % et 6 % respectivement).
  • [5]
    On fait des activités en club ; on loue un appartement avec cuisine pour éviter l’épreuve du restaurant en solitaire en vacances ; on déjeune au café, mais avec son portable… À cet égard, le développement des outils de communication (ordinateurs, tablettes et smartphones) qui permettent d’être et de paraître en lien est important.
  • [6]
    C’est le cas de 10 personnes ré-interviewées 12 à 18 mois après Épic ; parmi elles, 8 avaient déclaré que leur célibat était un choix ou qu’il leur convenait dans le questionnaire.
  • [7]
    Parmi les personnes n’ayant jamais connu de période de célibat (d’au moins un an) depuis leur première relation amoureuse, 49 % considèrent qu’« être en couple, c’est tout faire ensemble » contre 34 % de ceux ayant vécu deux périodes de célibat ou plus depuis leur première relation.
  • [8]
    Citons pour exemple cet article paru dans The Times, au Royaume-Uni, en mars 2018, au titre évocateur The rise of the alpha single (« L’essor des célibataires alpha »).
  • [9]
    Dans nombre d’entretiens, tant avec des femmes que des hommes, les personnes interrogées évoquent une baisse du niveau de vie et l’insécurité financière accrue dans la vie hors couple.
  • [10]
    Par exemple, la part des couples qui mettent l’intégralité de leurs revenus en commun – type d’organisation dominant – est d’autant plus faible que les diplômes ou le niveau de vie sont élevés (Ponthieux, 2012).
  • [11]
    Précisons que nous ne traitons pas ici des situations de violences conjugales qui, présentes dans le corpus, le sont aussi dans toutes les catégories sociales (Jaspard et al., 2003).
  • [12]
    Même lorsqu’on n’envisage pas de (re)faire couple, très rares sont les entretiens où l’on ne décèle aucune ambiguïté, contradiction ou brèche en matière d’aspirations conjugales. Si l’image sociale du couple est celle du bonheur, il est sans doute difficile d’y renoncer définitivement.
  • [13]
    Autrement dit, on peut se marier, se pacser ou s’installer ensemble, l’important étant que la mise en couple soit visible socialement, à la différence des amours juvéniles, constitutives de la sphère privée à l’adolescence (Bozon, 2002).
  • [14]
    « Il [un ami] vit dans l’appart de ses parents (…). Il plie son pyjama, il met ses pantoufles devant son lit, etc. (…) Il n’aime pas que ça soit dérangé dans sa vie » (femme, 53 ans, séparée, un enfant, cadre).

1 Cet article porte sur la vie célibataire, entendue comme la situation des personnes qui, pour un temps ou plus durablement, ne sont pas, ou plus, en couple. Avec le report de l’âge à la mise en couple et, surtout, l’augmentation des divorces et des séparations, cette situation est devenue plus fréquente au cours des cinquante dernières années. Dans l’enquête Étude des parcours individuels et conjugaux (Épic), menée en 2013-2014 en France métropolitaine par l’Ined et l’Insee, une personne sur cinq âgée de 26 à 65 ans déclare ne pas être en couple et une personne sur deux a connu au moins une période de vie hors couple (d’un an ou plus) depuis sa première relation amoureuse importante.

2 Paradoxalement, cette situation désormais répandue n’a pas vraiment de nom en français. Si, dans le langage courant, on parle souvent de « célibat », démographes et sociologues entendent par là une catégorie de l’état civil désignant, très précisément, des personnes n’ayant jamais été mariées. Cette définition stricte renvoie à une époque où le mariage permettait de distinguer les personnes n’ayant pas formé d’union (célibataires) des personnes en couple (mariées) et des individus sortis de la conjugalité (divorcés et veufs). Or, avec la diffusion de l’union libre depuis les années 1960, le mariage ne permet plus de situer les individus par rapport au couple et, par conséquent, les catégories légales ont perdu de leur sens sociologique. Les usages profanes du mot « célibat » se sont ainsi émancipés du cadre légal pour désigner l’ensemble des personnes hors couple. En 1991, François de Singly l’observait déjà : « Sous le vocable de célibataires (…), la littérature ou la presse désignent plutôt l’ensemble des personnes qui vivent seules ou qui ne vivent pas en couple, opposé à l’ensemble des personnes qui vivent en couple, ou en famille. Les veufs et les veuves, les divorcé(e)s rejoignent les personnes qui ne sont pas mariées. Le camp des célibataires s’agrandit » (Singly, 1991, p. 75).

3 Ce « célibat élargi » fait l’objet, depuis les années 1970, d’une littérature anglophone consacrée au singleness ou singlehood (Marks, 1996 ; Macvarish, 2006 ; Reynolds, Wetherell et Taylor, 2007 ; Budgeon, 2008). Ce n’est pas vraiment le cas en France, où les travaux sur le « célibat » sont souvent restés attachés à sa signification initiale. Cette rigidité des termes et, par là même, des catégories entretient parfois une confusion des faits. Comme Jean-Claude Kaufmann l’a souligné dans une série d’articles dans les années 1990, nombre de travaux traitent ensemble – et parfois de façon interchangeable – du célibat au sens légal, de la vie hors couple, des ménages constitués d’une personne et de l’isolement (Kaufmann, 1994a, 1994b, 1994c). Ainsi, la situation des individus sans partenaire, lorsqu’elle est évoquée, l’est-elle souvent par le biais de la santé (dépression, alcoolisme ou risque de suicide), de la sociabilité (réseau relationnel et isolement) ou du sentiment de solitude. Ces travaux montrent la vulnérabilité propre aux personnes hors couple et, en écho à la thèse durkheimienne, soulignent le rôle toujours protecteur et régulateur de la conjugalité (Pan Ké Shon, 2002 ; Van de Velde, 2011 ; Pan Ké Shon et Duthé, 2013). Néanmoins, parce que la vie hors couple ne se trouve pas au centre des études et parce qu’elle est abordée à travers le prisme du mal-être, ces travaux en donnent une image partielle et un peu misérabiliste.

4 Un ensemble de recherches fondées sur des entretiens qualitatifs s’intéresse toutefois à la vie hors couple comme objet à part entière. Elles interrogent l’expérience subjective de cette situation et, pour ce faire, elles adoptent une approche particulière : les analyses portent très largement sur des récits de femmes. C’est le cas des travaux anglophones et, plus encore des francophones. Que ce soit l’histoire des formes de célibat (Flahault, 2009), les représentations culturelles du phénomène (Taylor, 2011), les manières de vivre et d’appréhender cette situation (Kaufmann, 1999 ; Macvarish, 2006 ; Reynolds et al, 2007) ou l’expérience de la séparation et ses suites (Singly, 2011), presque tous se concentrent sur les expériences féminines. Le choix se fonde sur la place centrale du couple dans la socialisation féminine et dans les images sociales de ce qu’est une « vraie femme » (Clair, 2007 ; Monnot, 2009). Or cette approche prive les auteurs de la comparaison avec les hommes. Si les attitudes vis-à-vis du couple diffèrent entre les sexes – de même que les places qu’ils sont invités à y occuper – il n’est pas certain que le célibat soit un enjeu moindre pour les hommes, ou que l’expérience de la conjugalité ne soit pas également centrale dans la définition d’un « vrai homme » (Clair, 2011 ; Balleys, 2016). On connaît mal in fine les différentes expériences de la vie hors couple et les significations, communes ou contrastées, qui y sont attachées selon le sexe.

5 Cet article s’intéresse précisément aux expériences subjectives de cette situation – devenue récurrente au fil de la vie – et à la diversité des contextes dans lesquels elles s’inscrivent. Alors que le célibat au sens strict traduit une condition ou un état, l’objectif est de l’appréhender comme un moment au sein d’un parcours. Cette démarche présente l’intérêt de tenir compte de l’évolution majeure représentée par la diffusion de la vie hors couple à tous les âges de la vie (Prioux et al, 2011 ; Buisson et Lapinte, 2013), plutôt que de considérer les célibataires comme un groupe social à part. Elle offre la possibilité de comparer le rapport au célibat et au couple non seulement selon les caractéristiques des individus (sexe, âge et milieu social), mais aussi selon leurs parcours (personnes sans expérience conjugale, séparées, divorcées ou veuves).

6 La double approche méthodologique adoptée confronte les résultats d’une enquête quantitative par questionnaire, mobilisée pour caractériser les différentes formes et appréciations de la vie hors couple ainsi que les populations concernées, et ceux d’une enquête par entretiens, qui permet de capter les expériences subjectives de la vie célibataire et d’identifier le contexte des discours (encadré). L’article s’arrête d’abord sur les expériences communes aux personnes enquêtées, qui, malgré la diversité des situations, révèlent la force persistante de la norme conjugale. Il revisite ensuite les contrastes sociaux et sexués des vécus, qui n’apparaissent pas toujours là où l’on pourrait les attendre. À l’encontre du conservatisme linguistique, qui crée parfois des zones d’ombres scientifiques, les expressions « célibat » et « vie hors couple » sont utilisées ici sans distinction pour brosser ce premier portrait des vies célibataires contemporaines.

Encadré. Articuler des données quantitatives et qualitatives sur la vie célibataire

Cet article articule deux types de sources empiriques. Il mobilise l’enquête Étude des parcours individuels et conjugaux (Épic)*, conduite en 2013-2014, en France métropolitaine, par l’Ined et l’Insee auprès de 7 825 personnes âgées de 26 à 65 ans. À la différence des précédentes enquêtes consacrées à la formation des couples en France, Épic intègre aussi bien des personnes en couple que hors couple au moment de l’étude et interroge la trajectoire et la situation actuelle de chacun. Si une large majorité des répondants étaient en couple, 2 218 personnes ont déclaré ne pas avoir de « relation de couple ou relation amoureuse importante [pour elles] » au moment de l’enquête et ont répondu à un module spécifique sur leur vécu du célibat, leurs aspirations et les attitudes de leur entourage.
L’article s’appuie aussi sur une enquête qualitative menée auprès de 42 répondants à Épic, hommes et femmes sans relation conjugale ou amoureuse au moment de l’enquête. Ce corpus d’entretiens semi-directifs s’est attaché à couvrir une palette aussi diversifiée que possible de situations de célibat (parcours conjugal et amoureux antérieur, aspirations, caractéristiques sociodémographiques des participants). Il explore les expériences subjectives de la vie hors couple – et leurs possibles articulations avec la vie en couple – mais aussi le regard de l’entourage sur cette situation. Ces entretiens ont fait l’objet d’un dépouillement thématique et d’une analyse de contenu selon les caractéristiques des enquêtés.
L’article est le fruit d’analyses croisées de ces deux matériaux, chaque source de données soulevant des hypothèses réexaminées dans la seconde. Dans la même optique, les résultats sont présentés de façon à faire dialoguer observations statistiques et qualitatives au fil des différents axes d’analyse. Cette démarche permet, en outre, de mieux éclairer les cadres normatifs et discursifs dans lesquels les données ont été respectivement produites.
Enfin, si les analyses quantitatives et qualitatives présentées ici portent sur tous les répondants, quelle que soit leur orientation sexuelle, les données ne permettent pas d’analyser spécifiquement les différences ou les similitudes des expériences célibataires entre personnes hétéro-, homo- ou bisexuelles, faute d’effectifs suffisants.
 
*Voir la présentation de l’enquête Épic publiée dans le même numéro de Population que cet article (Rault et Régnier-Loilier, 2019).

I. Vivre hors couple, une expérience banale ?

7 Première enquête en France à s’intéresser à la vie hors couple, Épic permet d’identifier avec précision les personnes célibataires au moment de l’enquête et propose une série d’indicateurs pour saisir le caractère plus ou moins choisi de cette situation, l’éventuel sentiment d’exclusion qui l’accompagne et les répercussions de la vie hors couple sur différentes pratiques sociales. Si les résultats dessinent le portrait d’un célibat fréquent, les entretiens montrent qu’il n’est pas pour autant devenu banal. On l’apprécie ou on compose avec, et ce d’autant mieux qu’il s’agit d’une expérience de plus en plus répandue, mais la conjugalité n’en reste pas moins un modèle de vie.

1. Les différentes formes du célibat contemporain

8 Entre 26 et 65 ans, la vie conjugale est largement majoritaire : 79 % des répondants à Épic, la même proportion pour les deux sexes, déclarent avoir une relation de couple ou une relation amoureuse importante. Le taux de vie hors couple est donc le même pour les femmes et les hommes à ces âges (21 %), mais la nature de leurs situations est différente.

9 Expérience commune aux deux sexes, les ruptures sont en augmentation (Vanderschelden, 2006 ; Prioux et al, 2011) et contribuent à grossir les rangs de célibataires. Entre 26 et 65 ans, les personnes séparées, dépacsées ou divorcées sont majoritaires, représentant 70 % des femmes et 65 % des hommes hors couple. En revanche, le veuvage reste une expérience principalement féminine : 17 % des femmes hors couple le sont en raison du décès de leur conjoint contre seulement 5 % des hommes dans la même situation. Ces derniers sont, eux, plus nombreux à ne jamais avoir connu de relation amoureuse (30 % contre 13 % des femmes) ou avoir été en couple sans cohabiter (20 % contre 13 % des femmes).

10 Ces contrastes sexués dans les formes de la vie hors couple tiennent en partie au décalage entre les calendriers conjugaux des femmes et des hommes. La figure 1 illustre bien ces différences entre les célibats féminins et masculins selon les âges. Parce que les hommes se mettent en couple plus tard que les femmes, ils sont plus nombreux à être célibataires lorsqu’ils sont jeunes. La trentaine constitue cependant un cap pour les deux sexes : à cet âge, un grand nombre de personnes se mettent en ménage et la part des personnes célibataires baisse donc significativement. Passé l’âge de 39 ans, le taux de vie hors couple augmente pour les femmes sans plus véritablement baisser. À la suite des séparations, des divorces et du veuvage, elles sortent progressivement de la conjugalité. Ce n’est pas le cas des hommes, pour qui les tendances sont plus fluctuantes. Alors que la trentaine représente un temps fort de la conjugalité pour les femmes, l’âge joue moins sur la probabilité d’être en couple pour les hommes, qui se remettent plus souvent et plus rapidement en union après une rupture (Cassan et al, 2005 ; Toulemon, 2012) et sont bien moins exposés au veuvage (Delbès et Gaymu, 2005).

Figure 1. Taux et formes (en %) de vie hors couple selon le groupe d’âges et le sexe

Figure 1. Taux et formes (en %) de vie hors couple selon le groupe d’âges et le sexe

Figure 1. Taux et formes (en %) de vie hors couple selon le groupe d’âges et le sexe

11 Les vécus et les appréciations de la vie hors couple diffèrent aussi. Lorsqu’on les interroge sur le caractère plus ou moins choisi de leur célibat, la majorité des répondants disent que « c’est un choix » (46 % des femmes contre 34 % des hommes) ou que « ce n’est pas vraiment un choix mais cette situation [leur] convient » (25 % des femmes contre 28 % des hommes). En général, les femmes sont plus affirmatives et acceptent davantage leur situation que les hommes, plus nombreux à déclarer qu’ils aspirent à une relation amoureuse importante (28 % contre 24 % des femmes) ou souhaitent une ou des relations sans s’engager (7 % contre 4 %).

12 Le rapport au célibat est également lié aux expériences passées (figure 2). Les personnes qui ont eu une ou plusieurs relations amoureuses sans avoir cohabité expriment le plus nettement la volonté de vivre une relation de couple et sont les moins nombreuses à dire que le célibat est un choix. À l’inverse, le fait d’avoir été marié ou pacsé ou d’avoir connu le veuvage favorise l’affirmation d’une vie hors couple choisie. L’aspiration à la conjugalité est ainsi plus manifeste chez celles et ceux, souvent trentenaires, qui n’ont pas encore vécu à deux sous un même toit. Ces tendances se retrouvent chez les deux sexes, mais les différences sont plus marquées chez les femmes, dont le rapport au célibat – et en creux à la conjugalité – dépend davantage des expériences antérieures.

Figure 2. Rapport à la vie hors couple selon le sexe et l’expérience relationnelle

Figure 2. Rapport à la vie hors couple selon le sexe et l’expérience relationnelle

Figure 2. Rapport à la vie hors couple selon le sexe et l’expérience relationnelle

13 Différentes questions de l’enquête Épic visent à déterminer dans quelle mesure le célibat facilite, complique ou ne change rien à différents aspects de la vie quotidienne et sociale [1]. Quelles que soient les dimensions abordées, les répondants sont toujours plus nombreux à considérer que leur vie hors couple « ne change rien » à la vie quotidienne en général (48 % des femmes et 42 % des hommes), aux loisirs (53 % et 54 %), aux sorties entre amis (56 % et 53 %), au fait de partir en vacances (55 % et 56 %) ou à celui d’inviter ou d’être invité (61 % et 62 %). Lorsque des effets sont déclarés, ils sont plus souvent négatifs que positifs et sont davantage rapportés par les personnes en situation de monoparentalité (vivant avec un enfant de moins de 15 ans). Ces parents célibataires – qui sont, en réalité, surtout des mères [2] – sont ceux qui déclarent le plus souvent que la vie hors couple rend « plus difficile » la vie quotidienne (38 % contre 27 % des personnes sans enfant) ou le départ en vacances (27 % contre 19 %), par exemple, même si nombre de ces parents considèrent que le célibat « ne change rien » à la vie de tous les jours (38 % contre 46 % des personnes sans enfant) ou même qu’il la rend « plus facile » (21 % contre 22 %).

14 L’enquête Épic offre ainsi un premier tableau nuancé de la vie hors couple, qui s’éloigne, et de l’enthousiasme, et du misérabilisme que l’on peut trouver dans les médias. L’enquête qualitative permet d’aller plus loin. Elle donne à voir, au-delà des différences démographiques et sexuées, les expériences communes de cette situation de vie, et renseigne, à ce titre, sur le regard social porté aujourd’hui sur le célibat.

2. Entre rappels à l’ordre conjugal et dépréciation de la vie célibataire

15 L’analyse des entretiens montre que les répondants perçoivent un décalage entre la diffusion de la vie hors couple – intermittente ou durable –, d’une part, et la persistance d’une norme conjugale dominante, d’autre part. En effet, qu’elle s’appuie sur leurs observations personnelles dans leur entourage ou sur des informations entendues dans les médias, l’évocation d’un nombre croissant de célibataires, de séparations et de ménages monoparentaux est très fréquente dans le corpus. Elle tend à banaliser la vie hors couple comme une situation de plus en plus courante, en même temps qu’elle souligne la fragilité des liens conjugaux et amoureux : « Il y a beaucoup de gens qui vivent seuls. C’est vrai que ça devient limite normal » (femme, 32 ans, divorcée, un enfant, employée). Pour autant, cette banalisation est inachevée et la plupart des personnes interviewées perçoivent la vie de couple, et de famille, comme le modèle toujours valorisé dans la société :

16

« Aujourd’hui, et par rapport à il y a 20 ou 30 ans, il est plus socialement acceptable, malgré tout, de vivre célibataire […]. Mais voilà, il y a quand même, de manière générale, un modèle dominant qui est, quand même, le modèle du couple avec des enfants. » Homme, 50 ans, séparé, cadre.

17

« Quelque part, le couple, c’est la norme, en fait, qu’on le veuille ou non, enfin, je pense. Et si on n’est pas en couple, on n’est pas dans la norme. » Homme, 31 ans, célibataire, employé.

18 Les manifestations de cette norme conjugale sont peu étayées dans les discours. La norme est diffuse. L’analyse du corpus montre pourtant que les personnes interviewées y sont confrontées concrètement, à travers des remarques de leur entourage. Quelles que soient leurs caractéristiques sociales, leur histoire conjugale ou leurs aspirations, tous sont ou ont été exposés à de « petites » questions, incitations ou interventions de membres de leur famille, d’amis ou de collègues. Elles leur rappellent que la vie de couple est le modèle à suivre et que le célibat n’est pas supposé durer :

19

« C’est souvent des remarques : “Ben alors, toujours seul ?” ou “Quand est-ce que tu me présentes ton amie ?” […], mais ça reste gentil quoi. » Homme, 36 ans, célibataire, ouvrier.

20

« Lorsqu’une cousine s’est mariée à 60 ans, ma tante a dit : “ah ah, Dorothy, tu as toujours une chance !” [rires] » Femme, 59 ans, célibataire, profession intermédiaire.

21 Ces commentaires et questions de l’entourage émaillent les entretiens. S’ils viennent d’acteurs divers, ils émanent le plus souvent de femmes : copines, voisines, collègues, sœurs, tantes et mères surtout. L’analyse du corpus montre que la pression de la norme conjugale est bel et bien exercée sur tous – hommes et femmes – mais qu’elle n’est pas exercée par tous. Investies d’un rôle social qui les place au cœur de la famille et des liens intergénérationnels, les femmes en sont les relais privilégiés.

22 Cette immixtion dans leur vie privée est rarement présentée comme une réelle pression par les répondants. Incidemment évoquées, les questions de l’entourage sont souvent minimisées et dites bienveillantes : c’est « en rigolant », « pas insistant », « pas méchant ». La répétition leur confère même un caractère rituel – c’est la question « fatidique » – qui en atténue la réception. Toutefois, les marques de sollicitude peuvent aussi agacer et blesser, surtout lorsqu’elles font écho à des aspirations personnelles incertaines ou non comblées :

23

« Je ne pouvais plus faire un repas de famille sans qu’on me demande où j’en étais dans ma vie. […] “Alors, tu as un copain ? Tu en es où ? Est-ce que tu vas refaire ta vie ?”. Je déteste cette expression, comme s’il fallait absolument quelqu’un pour refaire sa vie. » Femme, 38 ans, dépacsée, deux enfants, profession intermédiaire.

24

« On m’a même organisé des blind dates, un truc je ne pensais même pas que ça se faisait encore […] Est-ce que vraiment mon cas a l’air si désespéré qu’on m’organise une blind date ? » Homme, 50 ans, séparé, cadre.

25 Séparation, divorce ou veuvage ne dissuadent pas l’entourage. Lorsque la rupture paraît surmontée ou le travail de deuil effectué, des incitations à sortir du célibat se manifestent [3]. Il n’y a pas d’âge pour se remettre en couple. C’était vrai dans la société agricole, où la division du travail entre les sexes poussait les veufs et les veuves à se remarier (Pressat, 1956 ; Cabourdin, 1978). C’est aussi vrai dans la société actuelle, où les bienfaits émotionnels et psychologiques prêtés au couple invitent les personnes séparées ou veuves à « refaire leur vie ». Si 70 % des répondants à Épic (et 80 % de ceux sans partenaire) considèrent que l’on peut « réussir sa vie sans être en couple », une autre question est de savoir si l’on peut vraiment être heureux hors couple. Alors que le terme « réussir » peut être associé à l’univers professionnel, les entretiens explicitent sans équivoque la place centrale du couple dans les images sociales du bonheur :

26

« C’est ancré dans la société que, pour être heureux, il faut vivre à deux. » Homme, 36 ans, célibataire, ouvrier.

27

« Je pense que les gens ont envie de vous voir heureux, votre famille et vos amis. Et donc, bien souvent dans la tête des gens, être en couple… enfin, être seul, c’est pas être heureux. »  Femme, 53 ans, séparée, un enfant, cadre.

28 Tout se passe comme si le bonheur ou le bien-être dans la vie célibataire n’était pas vraiment crédible. Dans le corpus, rares sont les personnes interrogées qui déclarent que leur célibat est parfois envié par leur entourage et, lorsque c’est le cas, ils l’expliquent par l’image – heureuse ou épanouie – qui se dégage de leur attitude et qui vient précisément brouiller ou contredire celle, stéréotypée, d’un célibat nécessairement malheureux. Ces représentations dépréciatives d’une vie hors couple supposée ni heureuse ni vraiment choisie sont présentes dans les productions culturelles (cinéma, littérature, télévision…) et traversent aussi les travaux et le langage scientifiques. Par exemple, lorsqu’elle explore les représentations des répondants, l’enquête Épic cherche à savoir si l’on peut « réussir sa vie sans vivre en couple », et non si l’on peut « réussir sa vie en vivant en couple ». L’approche est asymétrique, comme le sont les questions adressées aux célibataires (« Alors, toujours seul ? »), peu réversibles (« Alors, toujours en couple ? »). Pour cette raison, parler de la vie célibataire est chargé d’enjeux, y compris dans un cadre de recherche.

29

« Après, je peux pas vous dire que je sois le type le plus conseillé pour en discuter du célibat, moi, j’en suis très heureux. Je vis ma vie pleinement ! 

30

– Enquêtrice : Mais je ne cherche pas des gens très malheureux qui vivent très mal leur célibat [rires] ». Homme, 39 ans, séparé, chef d’entreprise.

31 La tension potentielle entre vécu personnel, image de soi et représentations sociales interroge la façon de dire et de capter l’expérience de la vie hors couple dans un entretien ou dans un questionnaire. Un travail de déconstruction de la figure malheureuse du célibataire est à l’œuvre. Si les expressions péjoratives de « vieux garçon » ou de « vieille fille » ne sont plus d’usage, les stéréotypes qui leur sont associés entachent la vie hors couple, notamment lorsqu’elle se prolonge.

32 Les entretiens suggèrent ainsi que la diversification des parcours conjugaux et des formes d’union (concubinage, mariage, pacs, relation non cohabitante…) ne s’est soldée ni par un affaiblissement de la norme conjugale ni par une vraie reconnaissance de la vie célibataire. Les individus paraissent plus que jamais invités à nouer et à renouer avec la conjugalité. Aucune situation n’est, en soi, considérée comme une raison d’abandonner la vie de couple.

3. La liberté et les moments de solitude

33 Parmi les célibataires ne souhaitant pas (re)vivre une relation amoureuse, nombreux sont ceux qui déclarent que c’est pour « garder leur liberté, ne pas avoir de comptes à rendre » (44 % des femmes et 50 % des hommes) [4]. Dans les entretiens, le sentiment de liberté est aussi l’aspect positif le plus cité : une liberté dite « totale », « un avantage imparable », qui permet de « faire ce qu’on veut et quand on le veut et avec qui on le veut ». Il s’incarne dans les petites choses du quotidien, de la sphère domestique – le libre choix des repas, du programme télé, de la couleur du mur à repeindre… – mais aussi par des possibilités très valorisées d’improvisation. Qu’il s’agisse de « manger à n’importe quelle heure », « se décider au dernier moment », « rentrer très tard du travail » ou « chercher les sangliers à 2 h du matin », nombre d’exemples insistent sur la spontanéité des choix. Ils soulignent une gestion du temps non seulement libre, mais aussi décalée par rapport aux rythmes sociaux (des repas, du repos, du travail…) et l’expression d’une fantaisie personnelle qui vient précisément rompre avec les stéréotypes et les représentations de monotonie prêtées à la vie célibataire. Implicitement ou pas, cette présentation pointe les cadres plus contraints et étriqués de la vie de couple, où le temps, les activités doivent être plus planifiés et les sociabilités négociées.

34 L’envers de cette liberté, c’est la solitude. Elle constitue l’inconvénient du célibat le plus souvent mentionné par les interviewés. Elle traduit le fait de « se sentir seul », et non celui d’être isolé sur le plan relationnel. Alors que l’isolement renvoie à un manque ou une rareté de contacts avec d’autres personnes, la solitude peut être éprouvée même bien entouré. Les personnes qui habitent seules sont généralement moins isolées que celles vivant en couple (elles ont plus de contacts avec l’extérieur) mais elles connaissent davantage, en revanche, le sentiment de solitude (Pan Ké Shon, 1999). Les entretiens vont dans le même sens, tout en éclairant une gamme plus nuancée et variée de ressentis. Car la solitude n’est pas toujours vécue comme un désagrément, on peut s’en accommoder et même l’apprécier. Surtout, elle est intermittente : si le sentiment de solitude peut s’imposer au quotidien, il est plus souvent contextualisé et circonscrit à certains moments (le soir, le week-end), où l’absence d’un partenaire privilégié pour « échanger », « rassurer » et « épauler » se fait sentir, et à certains lieux ou activités. Parce qu’ils sont très associés au couple, des endroits comme les restaurants sont fortement appréhendés et évités. Il s’agit précisément de contextes qui exposent le célibat comme écart à la norme (Van de Velde, 2011).

35

« Partir en week-end par exemple. Le week-end, c’est complètement une activité de couple. […] Je déteste manger au restaurant seul, c’est épouvantable. C’est vraiment, pour le coup, vous vous retrouvez tout seul, tout le monde est en couple autour de vous. » Homme, 50 ans, séparé, cadre.

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« Cette année, je vais aussi partir en vacances toute seule, et ça a été très, très compliqué pour moi, psychologiquement, de me dire :  “Bon euh, alors je me force à aller au resto toute seule, au camping toute seule”. Bon, finalement, je suis pas toute seule à partir toute seule. Il y en a plein ! » Femme, 47 ans, séparée, 2 enfants, employée.

37 Il est des moments où les couples se distinguent, des lieux où ils se mettent en scène. Le temps des vacances et les restaurants en font partie et constituent, par conséquent, des contextes de sociabilité où le célibat se vit plus comme solitude. Il s’agit de « lieux du malaise » où le modèle du couple « s’impose à tous » (Kaufmann, 1999, p. 47). Épic confirme le caractère très conjugal de certaines activités : par exemple, 81 % des personnes en couple au moment de l’enquête disent qu’elles passent, toujours ou presque, leurs vacances avec leur conjoint. Le temps des congés est un temps conjugal.

38 Ces malaises, associés à certains contextes de loisir, nuancent les résultats d’Épic quant à l’absence d’impact de la vie hors couple sur les pratiques sociales. Si le célibat n’influe pas forcément sur l’existence ou l’intensité des activités, les entretiens montrent qu’il en change bien la nature et les personnes avec qui on les partage. Certains loisirs sont évités ou gérés autrement [5] pour ne pas être exposé à la stigmatisation ou à la gêne associée au fait d’être seul. De même, inviter ou être invité à dîner, par exemple, n’est pas forcément moins fréquent lorsque l’on vit hors couple, mais les invitations concernent d’autres cercles de sociabilité. Beaucoup d’interviewés l’affirment : « en tant que célibataire, on est souvent entouré de gens célibataires » (Homme, 36 ans, célibataire, ouvrier). Cela s’explique par la capacité d’improvisation de sorties et de rendez-vous des célibataires (et sans jeune enfant au quotidien) et par le partage de préoccupations, de sujets de discussion communs. Mais des logiques d’évitement mutuel sont aussi à l’œuvre entre personnes en et hors couple, génératrices d’un certain entre-soi. « Seul », on n’a pas envie d’être au milieu de couples. « Libre », on peut être perçu comme un risque, ou, comme l’exprime un enquêté, une « mauvaise fréquentation », susceptible de menacer la stabilité des couples. Le célibat oriente, modifie et clive en partie les réseaux et les formes de sociabilité amicale :

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« Il y a eu des fois où j’ai refusé des invitations parce que je savais qu’on serait sept, et trois couples plus moi. Et il y a eu des fois où je le vivais mal. » Femme, 34 ans, séparée, cadre.

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« Bien sûr, ces couples où on considère qu’une personne célibataire est une menace ! Et ça, il y en a ! […] Quand j’étais en couple, j’étais… nous étions invités à des dîners de gens en couple, et maintenant je suis célibataire, je suis plus invité à des dîners de célibataires, bon ! » Homme, 50 ans, séparé, cadre.

41 À la croisée des solitudes et des libertés qu’elle induit, la vie célibataire est aussi souvent dépeinte comme une expérience – une épreuve parfois – féconde. Parce qu’elle permet et oblige tout à la fois à « prendre les décisions tout seul », à « se débrouiller tout seul » et à « repousser ses limites », elle est présentée comme un temps pour soi, qui permet de se (re)construire, de (re)trouver ses centres d’intérêts, d’identifier ses priorités, d’apprendre à se connaître. Sans doute, cette façon de vivre et de parler de la vie célibataire prend-elle sens dans un contexte de psychologisation de la société (Castel et al, 2008). Il s’agit de (re)trouver son équilibre, d’être « bien », en phase avec soi-même, dans un certain idéal d’authenticité et de souci de soi. Les difficultés financières, professionnelles, familiales ne sont ni occultées, ni minimisées dans le corpus – et elles ne sont pas de même nature selon les caractéristiques sociales ou l’histoire familiale des individus – mais, justement, le fait de les surmonter et « d’avancer » est très valorisé en ce qu’il procure ou restaure fierté, confiance et estime de soi. La complexification des trajectoires conjugales, familiales et professionnelles fournit le terreau pour ces valeurs d’autonomie et de débrouillardise. Comme le souligne Cécile Van de Velde, elle impose aux individus de se rendre mobiles, flexibles et capables de s’adapter au changement. Il en résulte « une éthique de la responsabilité de soi dans des vies de plus en plus discontinues » (Van de Velde, 2011, p. 32). Les périodes de vie hors couple se révèlent être des moments contraignants mais privilégiés pour se « réaliser » ou se « consolider », en faisant preuve de sa capacité à se prendre en charge.

42 Précieux, ces acquis et apprentissages en matière de liberté, d’authenticité et de responsabilité de soi sont au cœur des aspirations conjugales dont ils reformulent les enjeux. Si la vie célibataire est dite choisie par 40 % des personnes hors couple à l’enquête, les entretiens rappellent que ce choix n’est pas pour autant figé. Pour certains, le célibat est devenu un choix avec le temps, et les avantages qu’ils y ont trouvés. Pour d’autres, il était un choix à un moment donné – plus jeune ou à la suite d’une rupture – mais il ne l’est plus. Au moment de l’entretien, certains se sont déjà (re)mis en couple [6], d’autres le souhaitent, d’autres encore s’en sont détournés. L’expérience célibataire marque les aspirations en matière de conjugalité et les façons de (re)faire couple. De ce point de vue, préserver son espace personnel apparaît comme un idéal fort, qui influence le fonctionnement et le type d’union envisagés – concubinage ou couple non cohabitant plutôt que (re)mariage, notamment. Alors que les travaux sur les parcours conjugaux tendent à éclipser les périodes hors couple comme des « périodes creuses », cette recherche montre qu’il s’agit au contraire d’une expérience agissante, qui marque les pratiques et les représentations de la conjugalité :

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« Je crois que [la vie solo] c’était le passage obligé pour me découvrir moi aussi, aussi dans ma sexualité, je crois qu’il y avait un truc que j’avais loupé. Je pense que ça, c’est important. » Femme, 38 ans, en couple, deux enfants, profession intermédiaire.

44 L’enquête Épic confirme ce caractère socialisateur de la vie hors couple. Elle montre que l’expérience du célibat se traduit par une plus grande indépendance au sein du couple : plus on a vécu de périodes célibataires, moins on vit dans une relation fusionnelle, où les pratiques de sociabilité (voir les amis, la famille, passer des vacances) se font la plupart du temps à deux, et moins on considère qu’« être en couple, c’est tout faire ensemble » [7]. Si l’habitude est d’expliquer la diffusion de la vie hors couple par une transformation des normes conjugales, on peut aussi penser qu’à l’inverse, le célibat change le couple. Les expériences célibataires nourrissent cette volonté d’être « libres ensemble » souvent soulignée (Singly, 2009).

45 La notion de célibat au sens « élargi » regroupe certes des conditions de vie très diverses, mais les deux enquêtes – qualitative et quantitative – montrent qu’elle renferme bien des expériences partagées par l’ensemble des célibataires, qui justifient de l’aborder dans une acception large. Le célibat révèle la force de la norme conjugale qui s’exerce à tous les âges de la vie et sur les deux sexes. Cette norme s’appuie sur une rhétorique qui pose le couple comme la condition d’une vie « heureuse » – idéal fort de la société contemporaine – et déprécie de ce fait la vie célibataire, assignée à une condition triste et subie, bien que cette image soit parfois contestée dans la presse [8] et dans certaines recherches récentes (Klinenberg, 2012). Ce contexte normatif contribue à rapprocher les vécus du célibat, même si des axes de différentiation existent bel et bien.

II. Des expériences de genre et de classe contrastées

46 Les conditions de vie objectives et les expériences subjectives du célibat varient selon les parcours et les caractéristiques des individus. La manière d’en parler diffère, notamment, selon les milieux sociaux, et ce chez les femmes tout particulièrement.

1. Prix et primes du célibat contemporain

47 Les expériences de la vie hors couple ne sont pas les mêmes dans les différents milieux sociaux, ce n’est guère étonnant. Cependant, les différences ne sont pas forcément celles qui sont avancées dans la presse écrite comme dans les essais, où le célibat est souvent dépeint comme un nouveau « mode de vie », pleinement assumé, dont les classes supérieures seraient les pionnières et les principales actrices (Lardellier, 2006 ; Klinenberg, 2012). En parlant de « nouveaux célibataires », les auteurs dressent le portrait de jeunes cadres urbains qui, sinon choisissent, en tout cas s’accommodent fort bien de la vie hors couple. En creux, ressort l’idée, parfois même explicitée, que « le bonheur en célibataire est accessible pour des personnes autonomes matériellement » (Atlantico, 31 août 2016). Cette image d’un célibat « épanoui » caractéristique des classes supérieures reflète mal la réalité telle qu’elle est captée par l’enquête Épic. Toutes choses égales par ailleurs, les personnes cadres ou appartenant aux professions intellectuelles supérieures ou intermédiaires déclarent moins souvent que les ouvriers que leur vie hors couple est « un choix ». De même, elles disent plus souvent que ces derniers qu’elles se sont senties – parfois ou souvent – exclues parce qu’elles ne sont pas en couple (tableau 1). Ces contrastes sont visibles aussi lorsque l’on compare les individus du point de vue de leur niveau d’éducation. Les personnes diplômées de l’enseignement supérieur – d’un niveau licence ou plus – répondent moins souvent que les personnes peu ou pas diplômées que leur vie hors couple est « un choix » et disent plus souvent se sentir exclues (résultats non présentés).

Tableau 1. Effet de différentes caractéristiques sociodémographiques sur le fait de déclarer que la vie hors couple est « un choix » et sur le fait de s’être déjà senti « exclu » (régression logistique)

Tableau 1. Effet de différentes caractéristiques sociodémographiques sur le fait de déclarer que la vie hors couple est « un choix » et sur le fait de s’être déjà senti « exclu » (régression logistique)

Tableau 1. Effet de différentes caractéristiques sociodémographiques sur le fait de déclarer que la vie hors couple est « un choix » et sur le fait de s’être déjà senti « exclu » (régression logistique)

48 De facto, les femmes et les hommes scolairement dotés sont aussi moins souvent célibataires que les personnes faiblement diplômées (Bouchet-Valat, 2015). Cette tendance est plus forte pour les hommes mais concerne aussi les femmes. Si la vie hors couple était plus fréquente chez les femmes diplômées que chez celles ayant quitté tôt le système scolaire jusque dans les années 1990, la situation inverse prévaut désormais en France (Daguet et Niel, 2010 ; Bouchet-Valat, 2015). Cette moindre prévalence du célibat dans les classes supérieures semble coïncider avec une norme conjugale plus forte. On peut y voir le désir de « réussir sa vie » – aussi bien dans le domaine professionnel que dans la sphère privée – ou simplement la force de ce que paraît être la « normalité » : plus fréquente, la conjugalité serait aussi plus attendue. À l’inverse, dans les classes populaires, où la vie hors couple, de même que la monoparentalité et le célibat définitif sont plus répandus, ces situations sont peut-être aussi moins stigmatisantes et excluantes.

49 Ces différences de classe se doublent de différences de genre : les clivages sociaux dans la façon dont le célibat est vécu sont bien plus marqués chez les femmes. À ce titre, ce sont les femmes au statut social modeste qui se distinguent des autres. Les ouvrières et les employées sont en effet celles qui présentent le plus souvent leur célibat comme un choix (50 %), loin devant les femmes cadres et professions intellectuelles supérieures (25 %). De même, elles considèrent plus souvent que la vie hors couple « ne change rien » à leur vie de tous les jours (43 % contre 34%) alors que les femmes cadres répondent davantage que le célibat rend leur quotidien « plus difficile » (42 % contre 30 %). Ces différences sont exacerbées lorsque l’on tient compte de la parentalité : les mères célibataires des milieux favorisés déclarent bien plus de difficultés associées à la vie hors couple que les mères ouvrières ou employées.

50 Ce résultat peut paraître paradoxal. Ce sont les femmes aux revenus les plus faibles et le plus souvent en situation de monoparentalité qui s’accommodent le mieux de la vie hors couple – situation dont on sait par ailleurs qu’elle appauvrit les femmes (Bonnet et al, 2016). Il s’éclaire toutefois au vu des entretiens recueillis. Ces derniers montrent que si la vie hors couple « coûte cher » aux femmes – et notamment à celles de milieux modestes – c’est aussi le cas de la vie en couple.

2. L’expérience d’une autonomie (re)gagnée

51 L’analyse des entretiens rejoint celle des données d’Épic. Elle révèle que, de façon graduelle, la vie hors couple est d’autant moins satisfaisante et souhaitée dans l’avenir par les femmes que leur niveau de diplôme et leur catégorie sociale s’élèvent. Les femmes ouvrières et employées, en particulier celles ayant déjà vécu en couple, sont celles qui soulignent le plus d’apports véritablement positifs de la vie célibataire. L’acrobatique conciliation de la vie professionnelle et familiale, les difficultés financières, l’insécurité professionnelle ou résidentielle, les responsabilités et les pressions qui en résultent ne sont, certes, pas occultées – notamment pour celles qui ont des enfants à charge – mais elles ne sont ni très nouvelles, ni très différentes de celles connues en couple. Beaucoup soulignent la continuité de leur rôle et de leur charge : seule ou en couple, il leur faut « s’organiser », « tout faire » et « tout gérer » :

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« Je faisais déjà tout toute seule. Donc ça n’a absolument rien changé le fait de cette séparation. […] Pour tout ce qui est... mes domiciles, ma fille, etc., à ce niveau-là, j'étais déjà autonome. Mais ça, par dépit. Ça, j’avais pas le choix ! Alors que là, c'est un choix. » Femme, 32 ans, divorcée, un enfant, employée.

53 Ce qui est nouveau, en revanche, avec le célibat, et particulièrement mis en avant par les femmes de milieux modestes, c’est la liberté de décider, certes sous contraintes, mais de façon autonome, sans comptes à rendre. La gestion de l’argent est emblématique de cette autonomie gagnée. Elle n’est pas seulement abordée sous l’angle des difficultés financières, du défi ou de la capacité à assumer seule les dépenses [9], elle est aussi présentée en termes d’accès et d’usage désormais autonomes. Au vu des travaux sur la gestion de l’argent au sein des couples montrant une indépendance plus importante dans les unions où les conjoints ont un statut social élevé [10] (Ponthieux, 2012), le fait de gérer son budget sans avoir à négocier représente sans doute, pour les femmes ouvrières et employées plus que pour les autres, une liberté nouvelle et un gain significatif :

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« Je fais ce que je veux quand je veux. J’ai pas besoin de dire : “Tiens j’ai acheté ça… y en a eu pour tant”. Pas de compte à rendre sur le plan financier ; c’est pareil avec les enfants, bon ben, y a personne qui va dire : “ben non tu devrais pas leur dire ça, tu devrais pas faire ça, tu devrais l’engueuler pour ci, pas l’engueuler pour ça”. » Femme, 41 ans, divorcée, trois enfants, ouvrière.

55 Néanmoins, l’autonomie que procure la vie hors couple s’illustre aussi dans d’autres domaines, dont les choix éducatifs pour les enfants, les sorties, les sociabilités, les goûts et les loisirs, et ne concerne alors pas exclusivement les catégories sociales les plus modestes. Dans ces différents registres, la vie célibataire contraste avec des expériences conjugales passées – ou observées autour de soi – ancrées dans des rapports de genre et de subordination parfois très marqués, oppressants, voire dépersonnalisants [11].

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« J’ai toujours eu des… – j’ai eu un mari, j’ai été mariée ! – jaloux ou possessifs qui voulaient tout contrôler ou… Fallait juste se résoudre à être une femme, le second rôle, mais on ne me laissait pas choisir moi-même ou… prendre mes décisions. Et ça, anh ! C’est pas possible ». Femme, 32 ans, divorcée, un enfant, employée.

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« Il fallait pas faire ci, il fallait écouter telle radio. La radio que j’écoutais, c’était pas bien. Les bouquins que je lisais, c’était pas bien. Il fallait acheter Télérama et pas télé machin. […] Voilà, si j’avais envie de faire quelque chose […], il fallait que j’amène la chose de façon à ce que ce soit lui qui décide, qui ait l’idée. Un peu comme un patron, en fait, hein. » Femme, 55 ans, séparée, un enfant, profession intermédiaire.

58 C’est à cette autonomie (re)trouvée, source d’estime de soi, que les femmes – surtout celles dont l’expérience ou la représentation du couple sont les plus inégalitaires en matière de relations de genre – sont fortement attachées et elles ne souhaitent pas la compromettre dans une nouvelle relation de couple. Bien sûr, la gestion tendue du quotidien et le manque de temps laissent parfois bien peu d’espace à l’idée même d’une rencontre amoureuse. Toutefois, ce sont aussi ces femmes qui, en se référant souvent à l’augmentation des séparations et des divorces, donnent la vision la plus critique et désillusionnée du couple comme lieu d’épanouissement, et qui aspirent le moins à la vie conjugale. La place d’un conjoint au sein du foyer est souvent remise en cause, et lorsqu’on envisage une relation, on la préfère non cohabitante. Si l’idée du couple n’est jamais tout à fait exclue [12], c’est avec un ton à la fois amer et léger qu’elles imaginent le conjoint qui leur conviendrait : « Un routier ! [rires] Il rentre le week-end ! » (Femme, 41 ans, divorcée, trois enfants, ouvrière).

59 Plus valorisante sur le plan personnel, la vie célibataire des femmes de milieux modestes l’est aussi d’un point de vue social. Sans être vue comme souhaitable ou heureuse, la vie de ces femmes – et notamment de ces mères – est davantage reconnue et valorisée par leur entourage qu’elle ne l’est dans les milieux favorisés. Dans un contexte de forte mobilité conjugale, la norme du couple et la dévalorisation sociale du célibat y paraissent moins prégnantes. À l’opposé, et bien que la vie conjugale des femmes de catégories sociales plus élevées soit aussi marquée par une inégale répartition du travail parental et ménager (Champagne et al., 2015), la vie célibataire ne constitue généralement pas pour elles un tel espace de (re)conquête d’une autonomie personnelle. Elles expriment davantage, en revanche, le fait d’être moins invitées par les couples en vivant célibataire : leur univers de sociabilité semble plus affecté et remodelé par le célibat. En dépit de ruptures éprouvantes, elles ne donnent pas une vision aussi désenchantée des relations conjugales. L’aspiration à (re)vivre en couple et l’envie de se projeter à deux sont donc plus fortes chez les femmes de milieux plus favorisés.

III. Les âges critiques du célibat

60 Parallèlement aux différences de genre et de classe, les expériences du célibat varient selon l’âge : il est des moments de la vie où l’on s’en accommode moins bien. C’est le cas de la trentaine, qui apparaît comme un « moment critique », où l’enjeu de la conjugalité se pose avec une acuité particulière.

1. Le malaise des trentenaires

61 Les différents indicateurs d’Épic convergent : ce sont les jeunes, femmes et hommes, de 30 à 34 ans qui rapportent l’expérience la plus mitigée, voire négative, de leur célibat. Seuls 22 % d’entre eux le disent choisi et ils se distinguent par une démarche plus volontariste que les autres célibataires pour en sortir. Ils sont les plus nombreux à essayer de favoriser un contexte de rencontre et notamment à fréquenter des sites de rencontres sur Internet : 44 % des célibataires de 30-34 ans se sont déjà inscrits sur un tel site contre 27 % en moyenne pour l’ensemble des personnes célibataires. Si la vie hors couple pèse, c’est aussi que la pression sociale ressentie est plus forte qu’à d’autres âges. Les jeunes trentenaires ont davantage l’impression que leurs proches cherchent à leur faire rencontrer quelqu’un (56 % des 30-34 ans contre 38 % de l’ensemble des célibataires de 26-65 ans) et sont les plus nombreux à avoir déjà laissé croire à leurs proches qu’il y avait quelqu’un dans leur vie (18 % contre 11 %).

62 Ce malaise des trentenaires qu’enregistre Épic est, notamment, celui des personnes qui n’ont pas encore vécu en couple cohabitant. Parce que la trentaine marque un cap de l’installation conjugale, les aspirations à la conjugalité sont fortes pour ceux qui ne se sont pas encore « installés ». C’est tout particulièrement le cas pour les femmes, dont le calendrier conjugal est plus précoce, et l’âge fécond plus réduit. L’insatisfaction suscitée par la vie hors couple traduit alors le désir de commencer une vie conjugale et parentale qui tarde, et que beaucoup d’autres ont déjà débutée. Cependant, cette insatisfaction par rapport au célibat n’est pas propre à ces « retardataires ». Elle se retrouve aussi chez les personnes ayant déjà cohabité, et même chez celles qui sont déjà parents. De facto, on observe un effet propre de l’âge : indépendamment du parcours conjugal et familial, les jeunes de 30-34 ans sont significativement moins enclins à affirmer que leur vie hors couple est un choix et plus nombreux à se sentir exclus (cf. tableau 1).

63 De nouveau, cette insatisfaction peut être associée au fait de se trouver dans une situation minoritaire. La figure 3 montre que la propension à vivre le célibat comme un choix ou une situation qui convient varie avec le taux de vie hors couple aux différents âges : ce lien est apparent chez les deux sexes et pour tous les groupes d’âges, à l’exception des hommes de 60-65 ans. La situation du célibat semble d’autant mieux vécue qu’elle est partagée par les pairs. À l’inverse, elle apparaît moins satisfaisante lorsqu’elle est peu courante. Or, c’est justement au début de la trentaine que le taux de célibat est à son minimum. Cela n’échappe pas aux premiers intéressés qui voient les amis de leur âge en couple et sentent leur sociabilité se transformer. Minoritaires, les célibataires se sentent alors marginalisés. Norme statistique et norme sociale tendent ainsi à converger.

Figure 3. Taux de satisfaction de la vie hors couple et taux de célibat par sexe et groupe d’âges

Figure 3. Taux de satisfaction de la vie hors couple et taux de célibat par sexe et groupe d’âges

Figure 3. Taux de satisfaction de la vie hors couple et taux de célibat par sexe et groupe d’âges

64 Les entretiens corroborent cette idée de cap autour de 30 ans. Si l’enjeu de la conjugalité se double alors de celui de la parentalité pour les femmes plus que pour les hommes, il importe de souligner que le désir de vivre en couple et le sentiment d’être décalé par rapport aux pairs se retrouvent dans les témoignages des deux sexes :

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« Surtout, arrivé à la trentaine […] si on n’est pas dans un couple, […] on n’est pas dans une case, pas dans la bonne. » Homme, 31 ans, célibataire, employé.

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« Là, je pense que depuis quelque temps, c’est plus l’âge, je me dis : ben voilà, j’ai 30 ans, si je veux avoir des enfants, même si je rencontre quelqu’un aujourd’hui, je vais pas faire des enfants dans six mois. Donc, forcément, ça pousse, ça pousse, ça pousse. » Femme, 30 ans, célibataire, cadre.

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« Je pense que les gens nous perçoivent pas de la même façon si on a 20 ans ou si on en a 30. […] Ben, à 20 ans, voilà, je pense que les gens sont encore dans leurs études, ils sont pas vraiment là (…). Puis à 30 ans, les gens sont plus posés, on va dire. Donc euh, s’ils ont pas trouvé à 30 ans, ben quand est-ce qu’ils vont trouver en fait ? » Homme, 31 ans, célibataire, employé.

68 La pression personnelle et sociale s’aiguise vers 30 ans. Dans les réunions de famille, oncles, tantes, grands-parents s’enquièrent de l’actualité amoureuse : « tu nous la/le présentes quand ? ». Implicitement, les aspirations des jeunes sont tenues pour évidentes ; il s’agit de savoir quand – et non si – quelqu’un sera présenté. L’existence même d’un partenaire est postulée dans la question, de même que l’hétérosexualité de la relation. Les parents, et tout particulièrement les mères, sondent aussi le sujet, souvent par le détour de la grand-maternité – « Quand est-ce que je serai grand-mère ? » (Homme, 31 ans, célibataire, employé) – ou de plaisanteries qui s’appuient parfois sur une connivence de genre (mère-fille, père-fils) : « Mon père, c’est plus sur le mode : “combien tu en as rencontré cette semaine ?” » (Homme, 28 ans, célibataire, profession intermédiaire). L’univers des pairs constitue aussi un puissant espace de référence, de comparaison et de réflexion. L’idée d’une certaine « normalité statistique » est d’ailleurs très explicite dans certains entretiens :

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« Aujourd’hui, c’est pas normal de ne pas être en couple à mon âge en fait. Aujourd’hui, j’ai très peu d’amis, euh, j’en ai quelques-uns hein, mais j’ai très peu d’amis qui sont célibataires. […] Je suis plus dans la minorité en fait. Ben, je le ressens euh, je le ressens, parce que ça me fait chier quoi clairement parce que ça me pèse […]. Mais ouais, c’est de, de, de ne pas être en fait comme les autres. Je fais partie de la minorité aujourd’hui en fait. Je ne rentre pas dans ce cadre-là quoi. Et ça m’emmerde parce que moi, j’aimerais bien être aussi dans ce, dans ce cadre-là, d’être en couple, d’être bien […] Donc, de fait, je me sens un peu exclu parce que j’ai envie d’être comme ça quoi et que je le suis pas, voilà. » Homme, 28 ans, célibataire, profession intermédiaire.

70 L’analyse des entretiens converge avec les résultats d’Épic : la confrontation avec les pairs à 30 ans donne tout particulièrement à voir la norme conjugale et exacerbe le sentiment de marginalité.

2. La mise en couple cohabitant comme acte d’institution ?

71 D’autres éléments éclairent le malaise observé autour de 30 ans. Dans beaucoup d’entretiens (quel que soit l’âge des interviewés), « faire couple » s’énonce en termes de capacité personnelle, d’aptitude : il s’agit de « savoir » ou « d’avoir su » être en couple et, à défaut, d’avoir un « truc qui manque », une « incapacité », un « vice caché », une « maladie », une « tare ». À l’instar des « rites de première fois » (Bozon, 2002), et sans nécessairement instaurer un nouvel état durable et irréversible, l’entrée dans la conjugalité, qui est au cœur des liens électifs, comporte une dimension personnelle et sociale « performative », au sens où elle intègre, qualifie mais aussi rassure et lève le doute sur soi :

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« Ce qui ne rentre pas dans le schéma pour moi est un peu une tare. C’est qu’on n’est pas… on n’a, on n’a pas les aptitudes, on est incapable de… en fait. Et c’est un peu ça que je crains en fait. Est-ce que moi, je suis capable de, d’être en couple ? Est-ce que j’ai les aptitudes pour être en couple ? Est-ce que j’ai pas une tare en fait ? » Homme, 28 ans, célibataire, profession intermédiaire.

73 Ce qui se joue autour de la mise en couple des trentenaires – âge où la majorité des individus sont installés en couple – présente de grandes similitudes avec les propriétés et les fonctions des rites analysés comme « actes d’institution » par Pierre Bourdieu (1982). Dans les pas de cet auteur, on peut faire l’hypothèse que, si la formalisation du rite importe moins que sa fonction, la mise en couple peut être diluée ou multiforme du point de vue du rite [13], elle n’en garde pas moins sa fonction d’institution : elle sépare bien d’un ancien état et d’un ancien groupe (juvénile), intègre dans de nouveaux états et groupes (adulte, couple, parent) et, à l’instar du mariage auparavant, institue les rôles sexués d’homme et de femme. Les sociabilités, on l’a vu, tendent à se cliver entre personnes « en couple » et « hors couple ». L’entrée dans la conjugalité octroie une valeur et une différenciation sociale et symbolique, qui ne s’observe plus par un titre (« madame » vs « mademoiselle »), mais discrimine et stigmatise néanmoins, par des croyances arbitraires (« les célibataires sont malheureux ») et des suspicions de défaut (« tare », « vice caché », « maladie », etc.), ceux qui n’ont pas fait couple au-delà d’un certain âge.

74 Ce faisant, la mise en couple distingue initiés et non-initiés d’une part, des non-initiables d’autre part : ceux qui sont en couple ou qui le seront, et ceux qui ne le seront supposément jamais. Car s’il n’y a pas d’âge pour se remettre en couple, on ne se met pas en couple à tout âge. Comme le montre l’enquête Épic, seuls 7 % des femmes et des hommes s’installent en couple cohabitant pour la première fois après 30 ans, et environ 1 % après 40 ans. De ce point de vue, si les calendriers et les formes de mise en couple s’assouplissent, la trentaine pourrait préfigurer le moment où se profile le risque de ne plus être « casable », pour reprendre un terme du corpus, ou « mariable », pour reprendre celui de Louis Henry (1969). Les questions rituelles ou injonctives de la famille et la confrontation aux pairs le rappellent. Les portraits de célibataires dits « endurcis » brossés dans le corpus [14] ou les témoignages de célibataires plus âgés témoignent aussi des enjeux latents qui se jouent dans cette mise en couple, certes réversible, mais bel et bien instituante.

75 Le cap des 30 ans clôt une période juvénile où la question de vivre en couple se pose moins, personnellement et socialement. Entre aspirations personnelles et norme sociale, le célibat est moins bien vécu à 30-34 ans et plus difficile à revendiquer : « Je vais pas revendiquer d’être dans la mauvaise case ! [rires] » (homme, 31 ans, célibataire, employé). Passé un certain temps et en l’absence de vie de couple, le tarissement des questions et des remarques de l’entourage (familial notamment) semble refermer cet âge critique de la conjugalité. La trentaine semble cristalliser les enjeux de différenciation entre un célibat temporaire et réversible – vécu comme un moment du parcours conjugal – et un célibat durable, voire définitif – perçu comme une condition malheureuse.

Conclusion

76 Les transformations de la vie affective au cours des dernières décennies – dont la diversification des formes d’union, le renouvellement des partenaires et la diffusion de la vie hors couple – ne se sont pas soldées par un affaiblissement de la norme conjugale. Au contraire, le couple reste la porte d’accès privilégiée à la parentalité et se trouve fortement associé aux idéaux contemporains du bonheur et de l’épanouissement personnel. Pour les hommes comme pour les femmes, le statut social attaché au célibat est moindre que celui accordé au couple et les périodes de vie hors couple qui jalonnent les parcours s’accompagnent d’incitations réitérées à (re)nouer avec la conjugalité.

77 L’enquête par entretien capte les manifestations de cette norme conjugale, certes, diffuse, mais non moins agissante. Elle amène à questionner l’idée selon laquelle le contexte actuel se caractériserait par un regard plus clément sur la vie célibataire qu’autrefois. Le célibat ancien, prévalent encore au tournant du xx e siècle, était un composant à part entière du système matrimonial (Hajnal, 2008 [1965]). Si les célibataires dans les sociétés paysannes souffraient d’un manque de considération sociale, leur situation n’en était pas moins « normale » car allant de soi (Bourdieu, 1962, 2002). La diversification récente des parcours conjugaux a banalisé la vie hors couple dans les faits bien plus que dans les représentations. En effet, l’ouverture des possibles en matière de vie affective semble avoir renforcé plutôt qu’affaibli la norme conjugale : il y a désormais plusieurs manières de faire couple, pourvu que l’on adopte la vie à deux.

78 Prise dans ce contexte normatif, la vie célibataire est cependant différemment vécue selon les milieux sociaux, le sexe et l’âge. De façon inattendue au regard des représentations culturelles desdits « nouveaux célibataires » – mettant en scène des trentenaires, cadres et urbains épanouis dans un célibat présenté comme un nouveau choix de vie – ce sont très précisément les jeunes de 30 ans, les personnes diplômées et les cadres (surtout les femmes), qui sont les moins satisfaits de vivre célibataire et se sentent plus souvent exclus. Aux âges de la première mise en couple, loin d’être plébiscité comme « un nouveau mode de vie », le célibat est d’autant plus mal vécu qu’il constitue une situation minoritaire et que l’on craint de « rater le coche ». De même, ce ne sont pas les classes supérieures qui présentent le plus souvent leur vie hors couple comme un choix, mais les femmes de milieu modeste qui y trouvent, en dépit des difficultés qui l’accompagnent, un espace d’autonomisation personnelle important.

79 Les analyses croisées de ces deux enquêtes convergent pour souligner l’importance des périodes hors couple qui, pourtant, sont éclipsées dans la plupart des travaux sur les trajectoires affectives et conjugales. Le célibat apparaît comme une expérience socialisatrice à part entière qui contribue à questionner la conjugalité et à façonner les manières de faire couple aujourd’hui.

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Mots-clés éditeurs : parcours, célibat, Épic, approche multi-méthodes, conjugalité, vie hors couple, France, genre, norme

Date de mise en ligne : 12/07/2019

https://doi.org/10.3917/popu.1901.0103

Notes

  • [1]
    Les questions étaient déclinées ainsi : « Pour vous, ne pas être en couple rend la vie quotidienne en général / le fait de partir en vacances, etc. 1) Plus facile 2) Plus difficile 3) Ne change rien 4) Non concerné 5) Ne sait pas ».
  • [2]
    Entre 26 et 65 ans, 22 % des femmes célibataires habitent avec un enfant de moins de 15 ans, contre seulement 6 % des hommes.
  • [3]
    Les enfants s’y emploient aussi. Adultes, ils encouragent leurs parents à se remettre en couple : « Papa, pourquoi tu cherches pas quelqu’un ? Comme par exemple Lucie [une voisine] ? » (homme, 66 ans, divorcé, 7 enfants, ouvrier). En bas âge, ils observent, comparent, questionnent : « Et nous, est-ce qu’on aura un beau-père ? » (femme, 41 ans, divorcée, trois enfants, ouvrière).
  • [4]
    D’autres raisons, moins fréquentes, sont aussi invoquées, comme le fait d’avoir été souvent déçu·e (25 % des femmes et 19 % des hommes) ou de privilégier le travail, les études ou d’autres occupations (11 % des femmes et 18 % des hommes). En cas de veuvage, la mémoire du conjoint est très souvent citée (52 %) et pour les parents, le fait de privilégier les enfants (35 % des femmes et 25 % des hommes). En revanche, les questions d’âge subjectif – « se sentir trop jeune » ou « trop âgé » – sont très peu citées (moins de 1 % et 6 % respectivement).
  • [5]
    On fait des activités en club ; on loue un appartement avec cuisine pour éviter l’épreuve du restaurant en solitaire en vacances ; on déjeune au café, mais avec son portable… À cet égard, le développement des outils de communication (ordinateurs, tablettes et smartphones) qui permettent d’être et de paraître en lien est important.
  • [6]
    C’est le cas de 10 personnes ré-interviewées 12 à 18 mois après Épic ; parmi elles, 8 avaient déclaré que leur célibat était un choix ou qu’il leur convenait dans le questionnaire.
  • [7]
    Parmi les personnes n’ayant jamais connu de période de célibat (d’au moins un an) depuis leur première relation amoureuse, 49 % considèrent qu’« être en couple, c’est tout faire ensemble » contre 34 % de ceux ayant vécu deux périodes de célibat ou plus depuis leur première relation.
  • [8]
    Citons pour exemple cet article paru dans The Times, au Royaume-Uni, en mars 2018, au titre évocateur The rise of the alpha single (« L’essor des célibataires alpha »).
  • [9]
    Dans nombre d’entretiens, tant avec des femmes que des hommes, les personnes interrogées évoquent une baisse du niveau de vie et l’insécurité financière accrue dans la vie hors couple.
  • [10]
    Par exemple, la part des couples qui mettent l’intégralité de leurs revenus en commun – type d’organisation dominant – est d’autant plus faible que les diplômes ou le niveau de vie sont élevés (Ponthieux, 2012).
  • [11]
    Précisons que nous ne traitons pas ici des situations de violences conjugales qui, présentes dans le corpus, le sont aussi dans toutes les catégories sociales (Jaspard et al., 2003).
  • [12]
    Même lorsqu’on n’envisage pas de (re)faire couple, très rares sont les entretiens où l’on ne décèle aucune ambiguïté, contradiction ou brèche en matière d’aspirations conjugales. Si l’image sociale du couple est celle du bonheur, il est sans doute difficile d’y renoncer définitivement.
  • [13]
    Autrement dit, on peut se marier, se pacser ou s’installer ensemble, l’important étant que la mise en couple soit visible socialement, à la différence des amours juvéniles, constitutives de la sphère privée à l’adolescence (Bozon, 2002).
  • [14]
    « Il [un ami] vit dans l’appart de ses parents (…). Il plie son pyjama, il met ses pantoufles devant son lit, etc. (…) Il n’aime pas que ça soit dérangé dans sa vie » (femme, 53 ans, séparée, un enfant, cadre).

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