Couverture de POPU_1703

Article de revue

Charmes Éric, Bacqué Marie-Hélène (dir.), 2016, Mixité sociale, et après ?, Paris, Presses universitaires de France, La Vie des idées, 112 p.

Pages 552 à 554

Notes

  • [1]
    Palomares Élise, 2010, « Itinéraire du credo de la “mixité sociale” », Revue Projet, 307(6), p. 23-29.
  • [2]
    Schwartz Olivier, 1998, « La notion de “classes populaires“ », Université Versailles Saint-Quentin, Habilitation à diriger des recherches.
  • [3]
    Chamboredon Jean-Claude, 1985, « Construction sociale des populations », in Duby Georges (dir.), Histoire de la France urbaine, tome 5, Paris, Le Seuil, p. 441-472.
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1Alors que la notion de mixité sociale s’impose comme mode légitime de répartition des populations dans l’espace depuis les années 1980 [1], l’ouvrage collectif dirigé par Éric Charmes et Marie-Hélène Bacqué entend questionner les effets de l’usage de cette catégorie. Il rassemble cinq contributions qui sont certes très diverses, mais dont on retrouve la cohérence dans l’introduction et la conclusion de l’ouvrage, ainsi que dans les mises en perspective en début de chaque chapitre que les directeurs de l’ouvrage ont eu soin de rédiger.

2Le premier chapitre, rédigé par Marie-Hélène Bacqué, questionne ce que la mixité sociale comme catégorie d’action publique fait à la représentation commune des quartiers populaires, et procède à une critique de la disqualification-naturalisation des communautés. Pour ce faire, elle rappelle la définition wébérienne de la communauté (« groupe défini par un sentiment d’appartenance, par la croyance en un héritage commun, par une tradition ou par une origine partagée », p. 19-20), puis montre qu’il peut exister une diversité de communautés (géographiques, religieuses, professionnelles…) et que, par conséquent, une même personne peut appartenir à plusieurs communautés. Dans cette perspective, les communautés ne sont pas que de potentiels lieux de repli, elles peuvent aussi apporter des ressources, une conscience critique et un pouvoir d’agir. La naturalisation des communautés interdit de penser les transformations sociales, notamment les processus de déségrégation des classes populaires – liés à l’allongement des études et à l’accroissement des situations de cohabitation, d’interaction ou de coprésence – que les travaux d’Olivier Schwartz (1998) [2] décrivent finement. Pour l’auteure, la notion de mixité sociale détourne les enjeux réels des quartiers populaires, enjeux qui résident non pas dans le communautarisme mais au contraire dans leurs transformations résultant de la précarisation et de la diversification des classes populaires.

3Le second chapitre est un résumé très dense du cadre théorique de l’ouvrage Great American City de Robert Sampson. Éminent sociologue américain, Sampson est un spécialiste des « effets de quartier », à savoir les impacts des caractéristiques d’un quartier sur les trajectoires sociales de ses habitants. Il montre que la « concentration écologique des handicaps » (pauvreté, chômage, déstabilisations familiales, ségrégation raciale…) influe sur les violences et l’entraide, mais que ce lien n’est pas mécanique. En effet, il développe deux concepts qui complexifient la grille d’analyse de la ségrégation. Le premier est celui de « quartier en miroir » qui permet à l’auteur d’affirmer que les perceptions partagées du désordre prédisent la trajectoire et la transformation d’un quartier, notamment suivant des dynamiques que Jean-Claude Chamboredon (1985) [3] qualifiait de « construction sociale des populations » et qui impliquent que les individus s’installent dans les quartiers dont ils partagent les perceptions. Le second concept est celui d’« efficacité collective », entendant par-là l’efficacité de la régulation sociale qui permet notamment de maintenir un faible taux de criminalité, et qui peut être une ressource, y compris dans les cas de ségrégation. Sampson soutient donc que le quartier populaire peut constituer une ressource et détourne l’étude des effets de quartier de la seule critique de la ségrégation.

4Le chapitre 3, qui reprend une publication du géographe Mathieu Giroud, questionne les effets sociaux ambivalents du mélange social résultant de la gentrification des quartiers populaires. La promotion de la mixité sociale dans ces quartiers laisse dans l’ombre les effets délétères de ces changements sur les populations les plus fragilisées. C’est en effet au nom de la promotion de l’ouverture des quartiers populaires aux classes moyennes que ces quartiers sont « réhabilités » en reléguant les symboles de l’héritage ouvrier à la catégorie de l’esthétique, puis en gommant leur histoire sociale parfois conflictuelle. Giroud montre ainsi, à partir de l’étude du quartier ouvrier historique de Grenoble, comment la mixité sociale y est toujours marquée des rapports de domination et de formes de contrôle social des classes populaires, auxquels ces dernières peuvent néanmoins parfois opposer une « certaine résistance ».

5En s’appuyant sur une synthèse de la littérature américaine et ses propres travaux interactionnistes sur les relations entre passants, Stéphane Tonnelat propose un chapitre qui interroge les effets de la mixité sociale dans les espaces publics. Il adopte d’abord une définition stricte de l’espace public (un lieu de coprésence anonyme) qui se distingue à la fois des espaces privés et des espaces du quartier faits de relations secondaires avec des connaissances plus ou moins distantes. Puis, plutôt que de postuler un rôle idéalisé de l’espace public qui serait le lieu privilégié de la formation de citoyens solidaires, il prend au sérieux la socialisation par et dans ces espaces. Ses analyses montrent ainsi que, dans l’espace public mixte, s’acquièrent des comportements qui promeuvent une accessibilité généralisée fondée sur l’égalité, notamment sur l’absence de discriminations à l’égard des minorités. Autrement dit, les situations de coprésence entre individus d’origines sociales et migratoires diverses participent de la socialisation à la tolérance et au respect des différences.

6Le dernier chapitre est tiré d’une recherche collective menée par Éric Charmes, Lydie Launey et Stéphanie Vermeersch. Il se présente comme une réponse argumentée à Jacques Lévy et à sa théorie du gradient d’urbanité selon laquelle les espaces sont hiérarchisés en fonction de leur diversité fonctionnelle et sociale (ou encore, pour reprendre Tonnelat, de leur propension à produire des lieux de coprésence anonyme). Dans cette hiérarchie, les grandes métropoles s’opposent à l’habitat périurbain, supposé favoriser des attitudes de repli sur l’espace domestique et sur l’entre-soi ainsi que des postures de mise à l’écart de l’altérité. En se basant sur des entretiens qualitatifs menés à la fois à Paris (IXe) et dans une ville périurbaine du département des Yvelines auprès de populations socialement favorisées, les auteurs estiment que « le périurbain n’est pas une version dégradée de la ville ». D’abord, ils montrent la diversité des espaces périurbains, des plus populaires (soumis à beaucoup de nuisances – aéroport, trains) aux espaces des classes moyennes et supérieures. Ensuite, ils affirment que si le périurbain qu’ils étudient est plus homogène socialement que la plupart des quartiers centraux, les sociabilités (sélectives) des habitants du IXe arrondissement le sont tout autant. Pour finir, Charmes et ses collègues remarquent que la peur de l’autre est une représentation qui n’épargne personne. Ainsi, les habitants du IXe ont pu tenir des discours plus « méprisants » et « plus racistes » que ceux du périurbain. La mixité sociale qui caractérise la ville-centre peut donc induire des comportements plus ségrégatifs que ceux des habitants du périurbain.

7À travers ces cinq chapitres, la notion de mixité sociale est donc abordée dans un double sens. L’ouvrage donne d’abord des pistes pour penser cette catégorie en tant que levier de l’action politique. Le « credo » de la mixité sociale est mobilisé à la fois pour justifier la disqualification (et la rénovation) des quartiers populaires étudiée par Marie-Hélène Bacqué, mais aussi pour accompagner la gentrification des quartiers populaires centraux ou réduire la ségrégation dans certains quartiers populaires pourtant caractérisés par une forte « efficacité collective ». À la lecture du volume, force est de se montrer prudent ou circonspect sur les conséquences de cette conception. Mais les diverses contributions interrogent aussi les effets de la mixité sociale effective. Tonnelat montre que, dans l’espace public, le brassage peut favoriser l’émergence de compétences favorables à la tolérance et au respect d’autrui, alors que le travail de Giroud souligne en quoi la coprésence de populations socialement diverses peut engendrer domination et contrôle social. C’est donc tout l’intérêt de l’ouvrage que de livrer cette conclusion à la fois prudente et ambiguë, et de montrer que, loin d’être close, la question des effets supposés de la mixité sociale mérite que l’on continue à s’y intéresser, car s’il est évident qu’une répartition plus équilibrée des populations ne suffirait pas à résoudre les inégalités sociales, il serait imprudent de négliger sa participation à la recomposition sociale.


Date de mise en ligne : 31/10/2017

https://doi.org/10.3917/popu.1703.0551

Notes

  • [1]
    Palomares Élise, 2010, « Itinéraire du credo de la “mixité sociale” », Revue Projet, 307(6), p. 23-29.
  • [2]
    Schwartz Olivier, 1998, « La notion de “classes populaires“ », Université Versailles Saint-Quentin, Habilitation à diriger des recherches.
  • [3]
    Chamboredon Jean-Claude, 1985, « Construction sociale des populations », in Duby Georges (dir.), Histoire de la France urbaine, tome 5, Paris, Le Seuil, p. 441-472.

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