Notes
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Institut de recherche sur l’éducation (Iredu), Université de Bourgogne, CNRS et Centre Maurice Halbwachs, Paris.
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Centre Maurice Halbwachs, Paris.
Correspondance : Annick Kieffer, Centre Maurice Halbwachs, 48 boulevard Jourdan, 75014 Paris, tél : 33 (0)1 43 13 64 05, courriel : annick.kieffer@ens.fr -
[1]
Ce qu’avaient montré les premières études réalisées sur les enfants de nationalité étrangère (Clerc, 1964 ; Boulot et Boizon-Frazet, 1988 ; Mallet et Bousta, 1988). La question se déplace aujourd’hui vers les « secondes générations ».
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[2]
Voir les travaux récents de R. Breen et J. Goldthorpe (1997), R. Erikson (2007), qui analysent, à la suite de R. Boudon, les effets primaires et secondaires du milieu social sur les inégalités d’éducation. Les mécanismes peuvent être différents pour expliquer les inégalités selon les origines migratoires et ethniques (Heath et Brinbaum, 2007).
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[3]
Il s’agit du cinquième panel d’élèves du secondaire, après ceux de 1962, 1972-1973-1974, 1980 et 1989, et du premier qui recueille le lieu de naissance et la nationalité des parents. Cette dernière information repose sur la déclaration des enquêtés et peut comporter certains biais, liés à la connaissance du code de la nationalité.
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[4]
Nous avons utilisé les pondérations calculées par les producteurs du panel qui redressent l’échantillon par rapport aux effectifs entrés en 6e en 1995, représentatifs de l’ensemble des élèves scolarisés dans cette classe à cette date. L’attrition est faible puisque ce sont des données de source administrative, les élèves sont captifs tant qu’ils sont scolarisés.
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[5]
Les parents originaires d’Algérie, du Maroc et de Tunisie ont été regroupés pour des raisons d’effectifs. Les enfants de rapatriés sont exclus de la catégorie des enfants d’origine maghrébine, afin d’avoir une catégorie plus homogène. Très nombreux parmi les descendants d’Algériens, leur niveau d’éducation et leur position professionnelle sont plus élevés que ceux des immigrés algériens (Alba et Silberman, 2002). Les analyses sur le baccalauréat ont été réalisées sur les jeunes originaires d’Europe du Sud, cette catégorie ayant été élargie par rapport aux seuls originaires du Portugal (les descendants de Portugais représentent 86 % de ce groupe), puisque les fichiers fournis aux chercheurs par l’Insee ne permettent plus de réaliser des distinctions aussi fines.
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[6]
« Parents » est ici entendu au sens de couple avec lequel l’enfant vit régulièrement ; cela peut être la mère et son conjoint, ou le père et son conjoint. Ces informations sont issues du questionnaire de recrutement et de l’enquête auprès des familles.
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[7]
Il s’est avéré pertinent de construire une catégorie de milieu social au niveau familial et de regrouper les ouvriers et les employés, dans la mesure où les pères ouvriers sont souvent en couple avec des mères employées. Il importe néanmoins de conserver la distinction selon la qualification.
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[8]
La structure de l’enseignement secondaire en France et les diplômes délivrés (CAP, BEP, brevet, baccalauréats) sont présentés en annexe.
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[9]
Pour plus de détails, voir Brinbaum et Kieffer, 2005. Le taux élevé de non réponse chez les immigrés (33 %), en particulier chez les Portugais (42 %), révèle les difficultés des parents à se projeter dans l’avenir ou encore à naviguer dans un système éducatif complexe, alors qu’ils n’ont pas fréquenté le système scolaire français ou sont peu diplômés. Quant aux Français d’origine, un quart ne se prononcent pas.
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[10]
Les modèles ultérieurs intègrent les attentes scolaires et la langue parlée dans la famille. Ces informations ne sont présentes que dans l’enquête Familles de 1998.
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[11]
Les origines migratoires et nationales expliquent très peu les scores des élèves (le R2 est faible pour le premier modèle et augmente avec la prise en compte des caractéristiques sociales et familiales, puis avec l’ajout des retards scolaires). Les variables qui ont un impact élevé sur les scores sont, par ordre d’importance, l’âge en 6e, la catégorie socioprofessionnelle de la famille (environ 21 % de la variance en français), et le diplôme de chacun des parents à un niveau sensiblement égal (environ 14 % de la variance totale).
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[12]
À la différence du travail de Cebolla-Boado (2008) qui compare les résultats des élèves en 1995 et en 1998, nous ne nous intéressons pas à la mesure comparée des progressions des élèves selon leur origine, mais à l’impact des caractéristiques familiales et des conditions de la scolarité sur les performances à l’entrée et à la fin du premier cycle.
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[13]
Les élèves d’origine maghrébine sont notamment un peu plus nombreux que les autres à obtenir des résultats faibles (inférieurs à 8 sur 20) et un peu moins nombreux à obtenir des notes élevées (supérieures à 15) (Brinbaum et Kieffer, 2005).
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[14]
D’autres facteurs entrent en ligne de compte, comme la taille de la fratrie qui amoindrit les performances ; une partie des résultats plus faibles des jeunes d’origine maghrébine, dont les familles sont plus nombreuses, est expliquée par ce facteur. Toutes choses étant égales par ailleurs, on relève un léger impact négatif (et significatif) de la taille de la fratrie sur les résultats en français en 6e et au brevet, mais en 6e seulement en mathématiques. Elle n’exerce plus d’influence sur les parcours et la réussite au lycée. Ces modèles ne sont pas montrés ici.
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[15]
Si l’on remplace (dans un modèle non montré ici) les redoublements antérieurs par les notes en 6e, les 25 % des enfants les meilleurs en 6e (premier quartile) obtiennent 5,7 points de plus en français (+ 6,6 points en mathématiques) que ceux du deuxième quartile. À l’inverse, les 25 % des enfants les plus faibles (dernier quartile) ont respectivement 3,5 points de moins en français comme en mathématiques.
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[16]
De même que pour les évaluations en 6e, les origines migratoires expliquent très peu les résultats scolaires (1,9 % à 2 % de la variance en français et en mathématiques) ; la variance augmente lorsque les origines sociales et les ressources scolaires des parents sont prises en compte (10,4 % de la variance en français, 12,5 % en mathématiques). Les performances scolaires antérieures mesurées par les résultats en 6e contribuent à améliorer le modèle qui explique alors 17 % à 23 % de la variance.
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[17]
Le CAP se prépare le plus souvent par la voie de l’apprentissage, et le BEP par la voie scolaire.
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[18]
À milieu social contrôlé, la différence n’est cependant plus significative (modèle non montré ici).
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[19]
Des élèves (peu nombreux) peuvent avoir quitté le premier cycle dès la fin de la 5e pour entamer une formation professionnelle, et une partie a abandonné sans attendre la fin de la 3e. C’est pourquoi à une variable de durée nous avons préféré une variable catégorielle.
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[20]
Ce que montrent les interactions entre genre et origines nationales ajoutées dans des modèles non présentés ici.
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[21]
Parmi les publics de la seconde indifférenciée.
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[22]
La suite de cet article est fondée sur l’exploitation du panel 95 repris par l’Insee. Les années de suivi de 2002 à 2005 ont été ajoutées. Les données ont été diffusées avec de nouvelles variables relatives aux pays de naissance et nationalités des parents, agrégées par groupes de pays. En conséquence, notre nouvel échantillon a été légèrement modifié. Celui des jeunes d’origine portugaise, en particulier, s’est élargi à celui des jeunes originaires d’Europe du Sud. Les descendants de Portugais représentent 86 % de ce groupe (par commodité nous continuerons parfois dans la suite de l’article à utiliser la dénomination de Portugais), celui des jeunes d’origine maghrébine reste identique. L’échantillon total est alors de 12 124 jeunes.
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[23]
Notons que le taux de non réponse des élèves d’origine maghrébine à ces questions est beaucoup plus élevé (28 %) que celui des Français d’origine (16 %) ; ceci est dû notamment au fait qu’ils sont plus nombreux à avoir quitté le système éducatif en 2002 que les autres, et qu’ils sont alors plus difficiles à contacter.
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[24]
Les élèves maghrébins sont deux fois plus nombreux que leurs pairs français d’origine à échouer au baccalauréat.
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[25]
Les travaux sur l’insertion professionnelle montrent la bonne insertion des jeunes d’origine portugaise, même après des formations professionnelles courtes.
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[26]
Pour tester l’impact du primaire et du collège dans la formation des inégalités de réussite, nous avons construit des modèles (identiques aux modèles 4) où le retard en 6e a été remplacé par les notes aux épreuves d’évaluation. Qu’il s’agisse des résultats au brevet, du parcours au lycée, des chances relatives d’obtention du baccalauréat ou du type de baccalauréat obtenu, les coefficients associés au retard en 6e sont toujours beaucoup plus élevés que ceux associés aux notes. L’impact des notes au brevet sur le parcours et la réussite au lycée est plus important que celui des résultats aux épreuves d’évaluation à l’entrée en 6e, sans pour autant annihiler leur effet (qui reste significatif). L’influence des notes en 6e en français est plus élevée que celle des notes en mathématiques (notamment sur l’obtention d’un baccalauréat général). Au total, toutes choses étant égales par ailleurs, le temps mis par les élèves à parcourir le primaire et le collège joue davantage que leurs acquis (mesurés par les notes) sur la filière du lycée et la réussite aux examens. Si une grande partie des inégalités se forme dès le primaire, tout n’est pas joué à ce moment.
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[27]
Les odds ratios rapportent par exemple la probabilité d’obtenir un diplôme (plutôt que de ne pas l’obtenir) pour un groupe donné à celle d’un autre groupe pris comme référence, ici les élèves français d’origine.
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[28]
Une petite partie des élèves qui ont obtenu un BEP prépare ensuite un baccalauréat technologique. La création du baccalauréat professionnel a marqué un coup d’arrêt à l’expansion de la première d’adaptation.
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[29]
Calculés sur l’ensemble des élèves du panel, les odds ratios d’obtention du baccalauréat professionnel sont proches de 1 pour les enfants d’immigrés (il n’y a pas d’inégalités liées à l’origine migratoire), mais ils sont inférieurs si l’on considère les seuls enfants d’ouvriers et d’employés (autour de 0,8).
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[30]
L’effet associé à l’origine maghrébine sur le parcours dans les filières générales diminue lorsque l’on ajoute les aspirations dans le modèle. Il en va de même pour l’obtention d’un baccalauréat.
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[31]
Il s’agit d’une première tentative de mesure de la discrimination scolaire au niveau statistique. Un effet négatif de l’origine sur l’accès en seconde indifférenciée (plutôt que professionnelle) « toutes choses égales par ailleurs », compte tenu des variables présentes dans le modèle, indiquerait une éventuelle discrimination.
Si les débats sur la réussite scolaire des enfants d’immigrés, dits de la deuxième génération, suscitent désormais un grand intérêt en France comme en Europe, les études approfondies demeurent peu nombreuses. Réussissent-ils aussi bien que les élèves nés de parents français d’origine ? Connaissent-ils des difficultés particulières ? Comment les inégalités éventuelles se créent-elles ? À partir du panel des élèves entrés en sixième en 1995, Yaël Brinbaum et Annick Kieffer analysent le parcours complet des élèves dans le secondaire, de l’entrée en sixième jusqu’au baccalauréat, en prenant en considération pour la première fois les performances à l’entrée et à la fin des années de collège, les orientations prises au lycée, les diplômes finalement obtenus. Elles précisent ainsi clairement le processus de construction des inégalités. L’article confirme certains résultats déjà connus ou soupçonnés, mais va bien au-delà en mettant en évidence les différenciations selon les types de baccalauréat, les pays d’origine et le sexe.
1Les débats sur la scolarité des enfants d’immigrés restent vifs, tant ils mettent en cause le fonctionnement de l’institution scolaire, le rôle éducatif des familles, et plus largement les principes égalitaires de notre société. Les politiques d’ouverture et l’élévation du niveau scolaire dans les dernières décennies offre des opportunités nouvelles aux enfants de milieu populaire en général et aux enfants issus de l’immigration en particulier. L’accès au baccalauréat s’est démocratisé, les inégalités se sont réduites mais se déplacent vers les filières de l’enseignement secondaire et supérieur (Goux et Maurin, 1995 ; Thélot et Vallet, 2000 ; Duru-Bellat et Kieffer, 2000 ; Merle, 2002). L’émergence de filières différenciées et hiérarchisées ne supprime pas les inégalités mais les transforme : les enfants de milieux populaires se concentrent dans les filières les moins valorisées, le plus souvent professionnelles (Shavit et al., 2007 ; Duru-Bellat et al., 2008). Comment les enfants d’immigrés se saisissent-ils de ces opportunités nouvelles et dans quelle mesure participent-ils au mouvement de démocratisation ? Observe-t-on une diversification des parcours selon l’origine ? Avec quels diplômes sortent-ils de l’enseignement secondaire ?
2Largement étudiées aux États-Unis (Portes et Zhou, 1993 ; Rumbaut et Portes, 2001 ; Thompson et Kao, 2003), les scolarités des enfants d’immigrés dits de la « seconde génération » suscitent un intérêt récent en France (Simon, 2003) et plus généralement en Europe (Crul et Vermeulen, 2003). « L’élève étranger n’est-il pas défavorisé par rapport à l’élève du pays ? » s’interrogeait Clerc dans son étude publiée en 1964. Une question analogue peut être posée à propos de cette population d’élèves, nés en France, où ils ont effectué toute leur scolarité dans un environnement familial à dominante ouvrière, mais marqué par l’expérience de l’immigration. On peut penser que l’appartenance à une double culture exerce une influence sur leur scolarité.
3Les recherches convergent sur les difficultés scolaires spécifiques que rencontrent les enfants d’immigrés. Leurs résultats scolaires sont moins bons que les élèves français d’origine (Vallet et Caille, 1996b ; OCDE, 2007) ; ils sont plus souvent orientés vers des filières moins valorisées (Vallet, 1996 ; Payet, 1995). Ce constat se vérifie dans de nombreux pays d’Europe et aux États-Unis (Alba et al., 1994). Néanmoins, les niveaux de réussite varient selon les origines géographiques (Gibson, 1987 ; Rumbaut et Portes, 2001).
4Deux axes d’explications, sociale et culturelle, peuvent être invoqués. Les écarts s’expliquent par le milieu social (Marks, 2005) et l’enracinement dans la fraction la moins qualifiée du monde ouvrier [1], ou par le niveau d’éducation des parents, leur moindre connaissance du système scolaire et les barrières linguistiques (Bernstein, 1971). D’autres pistes doivent également être envisagées pour comprendre les réussites de certains groupes tels que les enfants d’origine asiatique aux États-Unis ou les échecs de certaines minorités (Zhou et Bankston, 1998 ; Thompson et Kao, 2003 ; Portes et Rumbaut, 2001 ; Heath et Brinbaum, 2007). Le pays d’accueil, l’origine géographique, les aspirations doivent être prises en compte pour comprendre ces inégalités différentielles : les aspirations éducatives des parents immigrés ont en particulier un rôle positif sur la réussite scolaire des enfants, et l’origine migratoire apparaît alors comme une ressource (Kao et Tienda, 1995).
5Si les enfants d’étrangers réussissent globalement moins bien que les élèves français d’origine, à milieu social comparable ce résultat cesse d’être vrai (Vallet et Caille, 1996a). Les auteurs attribuent ce fait au niveau élevé d’aspirations des familles (Vallet, 1996) et à leur mobilisation pour la réussite de leurs enfants ; l’école est un élément essentiel dans les stratégies d’ascension sociale des familles (Sayad, 1999 ; Léger et Tripier, 1986 ; Zéroulou, 1988 ; van Zanten, 2001 ; Santelli, 2001 ; Brinbaum, 2002). Cependant, une moindre maîtrise du français et une méconnaissance du système scolaire limitent les chances d’atteindre leurs ambitions (Brinbaum, 2002). La résidence dans des zones socialement défavorisées rend les familles captives de l’offre scolaire (van Zanten, 2001 ; Oberti, 2005). Au même titre que les familles populaires, elles sont plus réticentes que les autres couches sociales à inciter leurs enfants à se tourner vers des filières nouvellement créées (Gambetta, 1987).
6Les ségrégations urbaine et scolaire sont étroitement liées (Maurin, 2004 ; Portes et Hao, 2004). Les établissements qui concentrent les enfants issus de milieux populaires et immigrés les plus en difficulté sont aussi ceux qui offrent des conditions de scolarisation plus défavorables (van Zanten, 2001) : niveau plus faible, notations moins sévères, moindre progression des élèves (Duru-Bellat et Mingat, 1997, Duru-Bellat et al., 2004). Les enseignants tendent à adapter leur enseignement et leurs pratiques de correction au public scolaire, amorçant ainsi un processus de « nivellement par le bas » (Duru-Bellat, 2002). Dans l’académie de Bordeaux, Felouzis et ses collègues (2005) dénoncent une situation de ségrégation ethnique au collège et parlent même d’« apartheid » ou de « ghettos scolaires » (voir aussi Maurin, 2004). Cette ségrégation a des effets paradoxaux sur les parcours scolaires. Les élèves originaires du Maghreb, d’Afrique noire et de Turquie obtiennent de moins bons résultats que les autres, mais, à résultats comparables, ils sont plus souvent orientés vers une seconde indifférenciée (Felouzis, 2003). Enfin, d’autres auteurs invoquent, pour rendre compte des inégalités de résultats, un phénomène de discrimination scolaire (Lorcerie, 2003 ; Dhume et Sagnard-Haddaoui, 2006).
7Un certain nombre de facteurs ont ainsi été mis en évidence ; pourtant, certaines zones d’ombre subsistent que nous allons tenter de réduire. Entre une vision misérabiliste des parcours et une vision parfois trop positive et optimiste, le bilan est incertain (Lorcerie, 1999). Les profils contrastés des scolarités des enfants d’immigrés amènent à reprendre cette question et à réactualiser l’étude de Vallet et Caille (qui repose sur les données du panel d’élèves réalisé en 1989) au vu des résultats du panel 1995.
8Les études quantitatives récentes soulignent une plus grande probabilité d’orientation vers les filières professionnelles, mais, à milieu social contrôlé, une moindre présence des enfants d’immigrés dans ces dernières (Vallet et Caille, 1996a et 1996b ; Felouzis, 2003). Comment se déroulent leurs parcours dans le secondaire ? Suivent-ils ces filières jusqu’à l’obtention d’un baccalauréat, observe-t-on une « élimination différée » ?
9Les inégalités primaires ou inégalités de performances et les inégalités secondaires ou inégalités d’orientation (Boudon, 1973 ; Duru-Bellat, 2002) ne se combinent pas nécessairement de la même façon chez tous les publics scolaires [2]. Les données de panel nous permettront de tester l’impact des performances scolaires sur l’orientation et les diplômes obtenus, progressant ainsi dans la connaissance des mécanismes explicatifs des inégalités sociales d’éducation.
Cet article entend décrire comment se construisent les inégalités d’éducation selon l’origine en prenant en compte les différents facteurs : individuels (parcours scolaire et caractéristiques du jeune), familiaux (sociaux et culturels), contextuels (établissement en zone d’éducation prioritaire ou non) et psychosociologiques (les aspirations). L’analyse est élargie à l’ensemble du parcours des élèves dans le secondaire, de la 6e au baccalauréat (voir annexe), avec les performances des élèves en 6e et au brevet, les orientations successives au lycée, et les sorties et types de diplômes obtenus. Cette perspective longitudinale permettra une connaissance plus approfondie des mécanismes d’échec ou de réussite scolaire des élèves en fonction de leur origine. Il s’agit de déceler comment les origines sociales, migratoires et géographiques se combinent ou se compensent au cours de la scolarité dans le secondaire. Nous examinerons aussi comment les élèves issus de l’immigration et leurs familles ajustent leurs attentes en fonction des résultats scolaires et des propositions d’orientation.
Après avoir présenté les données statistiques et l’environnement familial des élèves, nous analyserons l’évolution de leurs performances au collège selon les origines sociales et migratoires. Nous nous interrogerons ensuite sur la manière dont les inégalités liées aux origines et au genre se combinent au cours du second cycle : orientation, filière fréquentée et diplôme éventuellement obtenu.
I – Rendre visibles les scolarités des enfants d’immigrés
10Les études statistiques sur les scolarités des enfants d’immigrés, et en particulier de la « seconde génération », demeurent peu nombreuses en France. Nés en France, les descendants d’immigrés ne sont pas repérés comme tels dans la statistique publique jusqu’à une époque récente (Simon, 2003). Les enquêtes produites par le ministère de l’Éducation n’enregistraient que la nationalité de l’enfant. Cette invisibilité renvoie au modèle de l’école républicaine et assimilationniste, « indifférente aux différences », qui se veut accueillir de façon égale tous les enfants, quelles que soient leurs origines. Cette conception interdit de facto de mesurer les éventuelles inégalités et d’évaluer comment les origines migratoires pèsent sur les inégalités sociales ou de genre. Pour contourner cette difficulté, les chercheurs ont donc été amenés à construire des variables de substitution permettant d’approcher cette population (indicateur « proxy»). Vallet et Caille (1996a et 1996b) ont élaboré des indicateurs à partir du nombre d’« attributs étrangers » (langue parlée, nationalité, etc.) dans leur étude sur le panel d’élèves entrés en 6e en 1989 ; Felouzis et ses collègues (2003 ; 2005) ont utilisé les prénoms pour leur étude dans l’académie de Bordeaux, mais ces indicateurs restent imparfaits pour identifier les enfants d’immigrés.
11Sont immigrées les personnes nées étrangères à l’étranger. Vivant en France à la date de l’enquête, elles ont pu acquérir la nationalité française. Leurs enfants peuvent être nés à l’étranger, ou être nés en France et de nationalité française. Prendre la nationalité comme unique critère ne permet d’appréhender qu’une partie des enfants issus de l’immigration, ceux qui ne sont pas nés en France et ne possèdent pas la nationalité française. Or la question du devenir des enfants de la seconde génération nécessite d’élargir le champ d’analyse à l’ensemble de cette population. Le prénom, pour sa part, constitue un indicateur intéressant, mais insuffisant dans la mesure où son choix résulte d’arbitrages familiaux (identification culturelle ou au contraire volonté de s’éloigner du groupe d’appartenance).
12Avec le panel des élèves entrés en 6e en 1995, nous disposons pour la première fois à l’échelle nationale [3] d’informations sur le lieu de naissance et la nationalité des parents, ce qui permet d’identifier les enfants nés en France de parents immigrés.
13Le panel des élèves entrés en 6e en 1995, réalisé par la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’Éducation, suit les élèves tout au long du secondaire. Il est constitué des élèves scolarisés en France métropolitaine dans un établissement public ou privé à la rentrée de l’année scolaire 1995-1996, nés le 17 d’un mois (hormis les mois de mars, juillet et octobre) ; seuls des jumeaux peuvent donc être présents au sein d’une fratrie. Les redoublants qui étaient entrés en 6e en 1994 ont été exclus de l’échantillon. Les trajectoires scolaires au collège et au lycée peuvent être reconstituées avec précision grâce à l’enregistrement de la classe par les chefs d’établissement chaque année scolaire. Un questionnaire adressé aux familles en 1998 recueille des informations sur l’environnement familial de l’enfant et sur les aspirations scolaires des parents. Notre échantillon est constitué des élèves entrés en 6e en 1995, dont les familles ont répondu à l’enquête qui leur était adressée en 1998, soit un échantillon de 12 138 élèves [4].
14Les enfants d’immigrés sont identifiés à partir du lieu de naissance détaillé et de la nationalité à la naissance des deux parents. Deux variables ont été construites au niveau familial afin de comparer les enfants d’immigrés aux Français d’origine et, parmi eux, les enfants d’origine portugaise et maghrébine, les deux groupes les plus nombreux. La première distingue les familles où les deux parents sont français de naissance et nés en France (que nous appelons les « Français d’origine »), la deuxième les Français qui sont nés à l’étranger ou dans les Dom-Tom et les parents étrangers nés en France ; les catégories suivantes concernent les familles immigrées (les deux parents sont nés étrangers à l’étranger) et enfin les familles mixtes (un parent immigré, un parent français d’origine), afin de disposer de populations comparables du point de vue des origines géographiques et nationales. Les familles mixtes ont des comportements éducatifs proches de ceux des Français de naissance (Brinbaum, 2002) et les parcours scolaires de leurs enfants sont comparables. La catégorie des Français nés à l’étranger ou dans les Dom-Tom est certes hétérogène, mais elle présente des caractéristiques distinctes de celles des Français nés en France qui seront peu traitées ici. La seconde variable détaille, parmi les enfants d’immigrés, l’origine géographique de leurs parents, le Portugal (ou l’Europe du Sud) et les pays du Maghreb [5] ; les autres origines étrangères ont été regroupées dans une dernière catégorie en raison de leurs faibles effectifs (annexe A.1).
Afin de prendre en compte les caractéristiques de chacun des parents [6], nous avons restreint notre étude aux élèves vivant dans des familles complètes (les familles monoparentales sont exclues). Le rôle du niveau d’instruction du père et de la mère sur les scolarités des enfants a été amplement montré dans la littérature sociologique (voir les travaux de Blossfeld, Müller, Shavit, Mare, Duru-Bellat), c’est pourquoi nous avons pris en compte le niveau d’éducation de chacun des parents.
Pour estimer l’effet du milieu socioprofessionnel, nous avons construit une variable qui combine la PCS (profession et catégorie socioprofessionnelle) du père à celle de la mère à partir des informations fournies dans l’enquête Familles de 1998, ou par le questionnaire de recrutement rempli par le chef d’établissement lorsque cette information était absente de l’enquête. Le point de départ du classement est toujours la PCS la plus élevée de l’un des parents, l’autre pouvant être actif occupé, chômeur ou inactif [7]. Six catégories hiérarchisées et exclusives ont ainsi été créées (voir encadré ci-après). Une famille dont le père est technicien (profession intermédiaire) et la mère cadre supérieur, est classée dans la catégorie « cadres supérieurs ». La dernière catégorie regroupe deux ouvriers ou employés non qualifiés, ou au moins un chômeur ou un inactif n’ayant jamais travaillé, en raison de la faiblesse des effectifs des familles à deux inactifs et de la proximité des comportements éducatifs. Les inactifs ayant travaillé sont classés dans leur catégorie professionnelle antérieure.
Encadré. PCS et milieu socioprofessionnel
Encadré. PCS et milieu socioprofessionnel
15La dernière caractéristique familiale utilisée dans les modèles est la situation du père au regard de l’emploi.
16Un second groupe de variables vise à fournir les informations sur la scolarité antérieure et sur les conditions de scolarité des élèves : retard (en catégories) ou âge en 6e, notes aux évaluations en 6e ou au contrôle continu du brevet, durée de scolarisation au collège, type d’établissement (ZEP, secteur public ou privé). Enfin un dernier groupe de variables concerne le contexte éducatif familial : les aspirations au baccalauréat général, la langue parlée dans la famille.
II – Familles et école : tension entre origine ouvrière et ambitions scolaires
17Les enfants issus de l’immigration grandissent dans des familles où les parents ont un faible niveau d’études et occupent des emplois peu qualifiés (annexe A.1). Dans l’ensemble, les parents français d’origine ont un niveau scolaire relativement élevé. La majorité détient un diplôme du secondaire (68 %), un CAP ou un BEP [8] (pour plus d’une mère sur quatre et d’un père sur trois) ou un baccalauréat (12 % des pères, 15 % des mères). En revanche, le niveau d’éducation atteint par les parents immigrés varie fortement selon le pays d’origine, le parcours migratoire et le sexe (Tribalat, 1995 ; Brinbaum, 2002 ; Borrel, 2006). Une partie des parents originaires du Maghreb n’a jamais été scolarisée – les mères (44 %) plus que les pères (38 %) – surtout lorsqu’ils sont arrivés à l’âge adulte en France, une autre partie a souvent quitté l’école précocement (15 %). En revanche, la plupart des Portugais ont été scolarisés au maximum jusqu’à la fin du premier cycle du secondaire (76 % des pères, 85 % des mères).
18Les emplois d’ouvriers et d’employés dominent chez les immigrés, à des degrés divers selon l’origine : 88 % parmi les Maghrébins, 77 % parmi les Portugais, soit des proportions considérablement plus élevées que pour les Français d’origine (43 %). Les Portugais occupent le plus souvent des emplois qualifiés (ouvriers, employés ou artisans) essentiellement dans le bâtiment, tandis que les Maghrébins sont davantage concentrés dans des emplois non qualifiés. Les immigrés appartiennent rarement aux catégories socioprofessionnelles supérieures (22 % parmi les Français d’origine, à peine 1 % parmi les immigrés). Le rapport à l’activité diffère selon les populations. Toutes PCS confondues, le taux de chômage des pères portugais est relativement faible (quoique double de celui des pères français) et le taux d’activité des mères portugaises se situe à un niveau comparable à celui des mères françaises. En revanche, les pères maghrébins subissent un taux de chômage particulièrement élevé (19 % contre 6 % des Portugais et 2 % des Français d’origine) et les mères maghrébines présentent le lien le plus faible à l’emploi (environ 75 % sont inactives et n’ont jamais travaillé).
Pourtant, quel que soit leur niveau d’études ou leur catégorie socioprofessionnelle, l’obtention du baccalauréat est devenue une norme pour toutes les familles. Dans un contexte de fort allongement des scolarités, leurs aspirations se précisent ; il ne s’agit plus seulement que leurs enfants obtiennent un baccalauréat, quel qu’il soit, mais le baccalauréat général, le plus valorisé dans la mesure où il donne accès à une large palette de formations ultérieures (institut universitaire de technologie, université, écoles supérieures, etc.). Les familles immigrées adhèrent également à ce modèle : interrogés en 1998 (soit trois ans après l’entrée de leur enfant en 6e), les Portugais hésitent à se prononcer et citent plutôt les diplômes professionnels, à l’instar des Français d’origine [9], tandis que les Maghrébins privilégient pour leurs enfants les filières générales menant à l’enseignement supérieur (tableau 1).
Aspiration des parents au baccalauréat général (en 1998) et part du baccalauréat général parmi les bacheliers entrés en 6e en 1995 selon leur origine (%)
Aspiration des parents au baccalauréat général (en 1998) et part du baccalauréat général parmi les bacheliers entrés en 6e en 1995 selon leur origine (%)
19Parmi les ouvriers et employés, les Maghrébins expriment des aspirations scolaires plus ambitieuses pour leurs enfants que les Français ou Portugais d’origine. Ouvriers non qualifiés dans leur majorité, ils connaissent la dureté des conditions de travail des ouvriers, les dégâts du chômage et les ravages de la discrimination qu’ils subissent sur le marché du travail (Silberman et Fournier-Mearelli, 2006) ; l’investissement scolaire est sans doute pour eux la seule alternative pour que leurs enfants échappent à ces perspectives (Beaud et Pialoux, 1999).
20Les enfants d’immigrés entament leur scolarité second aire dans des conditions difficiles (faible capacité de soutien scolaire des parents en raison de leur propre niveau d’éducation, connaissance modérée du système scolaire et de son fonctionnement, revenus modestes, maîtrise insuffisante de la langue française) avec, pour principal atout, les aspirations scolaires particulièrement élevées de leurs parents.
21Les effets de ces conditions initiales, et plus généralement des facteurs migratoires dans leurs dimensions sociales, psychosociologiques et contextuelles sur les performances scolaires au début et à la fin du collège, constituent le fil directeur de notre analyse.
III – Des difficultés scolaires précoces
22Les inégalités d’éducation se forment dès l’école maternelle et les premières années de scolarisation (Duru-Bellat, 2002). Les enfants d’immigrés rencontrent des difficultés spécifiques, comme en témoignent les redoublements fréquents en primaire dont la moitié s’est produite dès le CP (Caille et Rosenwald, 2006). Ils sont plus âgés lorsqu’ils entrent au collège : 36 % des élèves d’origine maghrébine et 32 % des élèves d’origine portugaise ont au moins un an de retard contre 15 % des Français d’origine (tableau 2). Les garçons issus de l’immigration redoublent deux fois plus souvent que les filles une classe du primaire : 43 % et 28 % respectivement parmi les jeunes d’origine maghrébine, 41 % et 23 % parmi les Portugais d’origine (17 % et 12 % pour les Français d’origine).
Répartition des élèves entrés en 6e en 1995 selon l’origine migratoire, « l’âge » scolaire, l’origine sociale et le sexe (%)
Répartition des élèves entrés en 6e en 1995 selon l’origine migratoire, « l’âge » scolaire, l’origine sociale et le sexe (%)
23Par ailleurs, le type d’établissement diffère selon l’origine. Du fait de la ségrégation urbaine et sociale (Oberti, 2005), les élèves issus de l’immigration sont plus souvent inscrits dans un collège en ZEP (annexe A.1) : cinq fois plus souvent (37 %) pour les élèves d’origine maghrébine que les Français d’origine (7 %) et trois fois plus souvent que les Portugais d’origine (12 %). Ces établissements sont plus homogènes socialement que les autres et la part des élèves d’origine étrangère y est plus élevée (30 %) mais 7 % seulement lorsque le collège n’est pas situé en ZEP (Lacerda et Ameline, 2001). Dans ces établissements, l’émulation est moindre et la progression plus faible. Les enfants d’immigrés sont plus fréquemment scolarisés dans des établissements publics que les Français d’origine (86 % des jeunes d’origine portugaise, 95 % des Maghrébins d’origine, contre 77 % des Français d’origine).
Le niveau scolaire des élèves à l’entrée en 6e varie-t-il selon les origines ? Un bon indicateur est fourni par les résultats en mathématiques et en français aux épreuves nationales d’évaluation qui se déroulent dès l’entrée au collège. Nous avons construit des modèles statistiques (régressions des moindres carrés ordinaires, MCO) dont le tableau 3 présente les résultats. Ils prennent en compte successivement les origines migratoires et géographiques (modèle 1), les origines sociales et culturelles (catégorie socioprofessionnelle des familles, niveau d’éducation de chaque parent, modèle 2), les caractéristiques de l’élève (genre et parcours scolaire antérieur) et le contexte de scolarisation (ZEP et secteur de l’établissement) dans le modèle 3 [10]. Les épreuves sont notées sur 68 en français et sur 78 en mathématiques. Pour en faciliter la lecture, nous les avons ramenées à une moyenne sur 20.
Impact des caractéristiques familiales et scolaires sur les notes aux évaluations de 6e en français et en mathématiques pour les élèves entrés en 6e en 1995 (régressions MCO)
Impact des caractéristiques familiales et scolaires sur les notes aux évaluations de 6e en français et en mathématiques pour les élèves entrés en 6e en 1995 (régressions MCO)
24En français comme en mathématiques, les performances scolaires varient fortement selon les diplômes des parents et l’origine migratoire (annexe A.3). Les scores sont très inférieurs à la catégorie de référence lorsqu’au moins l’un des deux parents est ouvrier ou employé non qualifié (2 points de moins en français et en mathématiques que lorsque les parents appartiennent à une catégorie intermédiaire), lorsque le père et surtout la mère n’ont jamais été scolarisés (2 points de moins que les titulaires d’un CAP ou d’un BEP), ou lorsque le père est au chômage, ces notes sont inférieures de 1,5 point, populations où les élèves d’origine maghrébine sont surreprésentés (annexe A.1). À l’inverse, les notes s’élèvent si l’un des parents est doté d’un diplôme de l’enseignement supérieur (2 points supplémentaires). Le score diminue de près de 1,5 point en français et de 2 points en mathématiques si le collège est classé en ZEP (annexe A.3), et il est très légèrement inférieur dans les établissements privés (0,45 et 0,6 point).
25Les scores en français sont en moyenne inférieurs de 1,3 point pour les élèves d’origine portugaise et de 2,3 points pour ceux d’origine maghrébine (tableau 3, modèles 1) à ceux des Français d’origine (14 sur 20) [11]. En mathématiques, l’écart se creuse : respectivement – 1,5 et – 2,9 points par rapport à la moyenne de 13,5 sur 20 qu’obtiennent les Français d’origine (les statistiques descriptives relatives aux notes sont fournies dans l’annexe A.2). Les enfants de couples mixtes ou dont les parents sont Français nés à l’étranger ou dans les Dom-Tom ont des résultats relativement proches de ceux des Français d’origine. Les enfants issus de l’immigration débutent donc le collège avec un niveau scolaire bien plus faible en français comme en mathématiques.
Les écarts par rapport aux résultats des Français d’origine s’amenuisent cependant si l’on prend en considération les caractéristiques sociales de la famille, et disparaissent même chez les jeunes d’origine portugaise ou issus de couples mixtes (modèles 2). Le poids de l’origine sociale et de l’environnement familial subsiste lorsque l’on tient compte du parcours scolaire antérieur des élèves (modèles 3). Le redoublement dans le primaire ne permet donc pas de rattraper le niveau scolaire des élèves « à l’heure » ; à caractéristiques familiales, sexe et contexte scolaire contrôlés, les redoublants de primaire parviennent en 6e avec 1 point de moins en français et en mathématiques. Or le taux de redoublement en primaire est très élevé parmi les jeunes issus de l’immigration. Au total, les scores en français des enfants d’immigrés restent comparables à ceux des élèves français d’origine, mais significativement inférieurs (près d’un demi-point) pour les élèves maghrébins en mathématiques. On peut également invoquer la concentration des enfants d’immigrés, notamment d’origine maghrébine, dans des quartiers socialement défavorisés et homogènes : à caractéristiques comparables, les performances sont inférieures tant en français (– 0,5 point) qu’en mathématiques (– 0,8 point) lorsque les élèves sont scolarisés en ZEP.
Des performances plus faibles en français et mathématiques en classe de 3e
26Comment ces performances évoluent-elles au collège ? Le niveau à la fin du collège est évalué par les notes obtenues au contrôle continu du brevet en français et en mathématiques (quelle que soit l’année d’obtention [12]. Nous avons construit des modèles statistiques identiques aux précédents (tableau 4). Les écarts entre enfants d’immigrés et Français d’origine subsistent (modèles 1). Les élèves d’origine maghrébine obtiennent 1,5 point (sur 20) de moins en moyenne que les Français d’origine (– 0,95 pour ceux d’origine portugaise) aux épreuves de français [13]. Les écarts sont sensiblement supérieurs en mathématiques. Les coefficients associés aux origines migratoires et géographiques sont négatifs (et significatifs) sur les notes en français comme en mathématiques.
Impact des caractéristiques familiales et scolaires sur les notes au contrôle continu du brevet en français et en mathématiques pour les élèves entrés en 6e en 1995 (régressions MCO)
Impact des caractéristiques familiales et scolaires sur les notes au contrôle continu du brevet en français et en mathématiques pour les élèves entrés en 6e en 1995 (régressions MCO)
27À caractéristiques socioprofessionnelles et niveau éducatif des familles comparables, les élèves d’origine portugaise et maghrébine ne se distinguent plus des Français d’origine, alors que les élèves d’autres origines étrangères conservent des notes légèrement plus faibles (modèles 2) [14].
28Les notes au brevet dépendent fortement de la scolarité antérieure (modèle 3). Les enfants qui ont redoublé dans le primaire obtiennent en moyenne 2 points de moins en français et près de 3 points de moins en mathématiques que les élèves « à l’heure » (annexe A.3). Le redoublement amplifie les différences initiales de compétences (Paul, 1996 ; Crahay, 2004). Ces écarts demeurent une fois pris en compte l’ensemble des facteurs (1,7 point de moins en français et 2 points en mathématiques). Mais le niveau à l’entrée en 6e explique pour une grande partie le niveau de 3e [15]. Notons enfin que les résultats des filles en 6e étaient supérieurs en français à ceux des garçons, et légèrement inférieurs en mathématiques. En 3e, elles améliorent leurs performances en mathématiques, dépassant ainsi légèrement le niveau des garçons, et elles maintiennent leur avantage en français.
29Les parents immigrés dotés d’un faible capital scolaire éprouvent des difficultés pour accompagner la scolarité de leurs enfants, du fait de leur plus ou moins bonne maîtrise de la langue française. Les mères se sentent souvent dépassées dès l’école primaire, alors que se joue l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, et cela s’accentue au collège (Brinbaum, 2002). Les notes au brevet diminuent de 1,2 point en français et de 1,3 point en mathématiques lorsque les parents parlent le plus souvent une autre langue que le français à la maison (annexe A.3). Pourtant, l’impact de la langue étrangère parlée en famille sur les scores au brevet est faible, si l’on prend en compte l’ensemble des caractéristiques familiales, les conditions de scolarisation et les aspirations (modèles 4). En revanche, celui des aspirations des parents est élevé et très significatif.
30Les enfants d’immigrés redoublent moins au collège que les élèves français d’origine (Brinbaum et Kieffer, 2005), mais avaient fréquemment redoublé une classe dans le primaire ; on pourrait en déduire qu’il y a un rattrapage de niveau. Or si l’écart se stabilise en français, il s’accroît sensiblement en mathématiques, notamment pour les élèves maghrébins d’origine, lorsque l’on ne prend pas en compte la situation scolaire des élèves à l’entrée au collège (modèles 1 et 2 des tableaux 3 et 4), mais se réduit légèrement lorsque l’on contrôle le retard en 6e et le contexte scolaire. Ceci va dans le sens d’un très léger rattrapage de niveau au cours du collège pour les élèves les moins favorisés. Le retard en 6e et la scolarisation dans un établissement de ZEP ont un impact négatif important sur les performances scolaires à la fin du collège, en français comme en mathématiques ; cependant l’écart entre les élèves maghrébins et français d’origine s’amenuise légèrement, à caractéristiques familiales et scolaires comparables. De ce point de vue, les ZEP remplissent en partie leur mission si l’on tient compte du fait que la progression y est plus difficile (Duru-Bellat et Mingat, 1988 ; Felouzis et al. 2005 ; Piketty et Valdenaire, 2006).
Pour conclure ce point, une grande partie des inégalités d’éducation se joue avant l’entrée au collège, au sein du primaire. Les inégalités de performances rencontrées par les descendants d’immigrés se situent à un niveau comparable au début et à la fin du collège. Les moins bonnes performances des élèves issus de l’immigration au collège s’expliquent donc en grande partie par le milieu socioéconomique des familles, le faible capital scolaire des parents, le chômage du père, le contexte de scolarisation et les retards accumulés à l’école primaire [16].
Plus que toutes autres captives de l’offre, les familles tentent rarement de déjouer la carte scolaire et acceptent l’établissement proposé (van Zanten, 2001 ; Brinbaum, 2002 ; Beaud et Beaud-Deschamps, 2003). Lorsqu’on les interroge sur la connaissance du droit d’appel des parents en fin de 3e, 40 % des immigrés répondent par la négative contre 17 % des Français d’origine (enquête Familles, 1998). Les élèves d’origine immigrée n’accèdent donc pas au second cycle avec les mêmes chances que les élèves français d’origine ; leur niveau scolaire demeure en moyenne plus faible. Leur scolarité ressemble à une course d’obstacles où les enfants d’immigrés devront rattraper ce retard initial.
IV – Du collège au baccalauréat : orientations, échecs et réussites
31Au terme du collège unique, les élèves ont le choix entre deux possibilités : l’orientation vers une classe de seconde indifférenciée ou vers une seconde professionnelle. À l’issue de la seconde indifférenciée, une nouvelle bifurcation les conduira soit vers un baccalauréat général, soit vers un baccalauréat technologique. La seconde professionnelle prépare à un CAP ou un BEP [17] qui peuvent conduire à un baccalauréat professionnel. Nous examinerons les sélections à ces deux niveaux, puis les sorties sans diplôme et les diplômes obtenus à la fin du cycle secondaire. Les performances des élèves, les caractéristiques des familles, les pratiques des enseignants et les facteurs institutionnels entrent en jeu dans ce processus complexe (Cousin, 1998 ; Duru-Bellat, 2002).
L’accès différencié aux filières du second cycle selon le milieu social des élèves a été amplement décrit en sociologie de l’éducation. L’orientation des élèves issus de l’immigration a été moins étudiée, à l’exception de Vallet et Caille (1996a) et de Felouzis (2003).
L’orientation vers les filières professionnelles domine chez les enfants d’immigrés
32L’expansion du baccalauréat a été fortement favorisée par l’ouverture de nouvelles filières professionnelles et technologiques à partir du milieu des années 1980. Les établissements se sont diversifiés : les lycées technologiques et professionnels ont ouvert des classes d’enseignement général à côté des formations industrielles ou tertiaires ; des lycées généraux ont créé des classes technologiques essentiellement à dominante tertiaire. Les filières d’enseignement apparaissent ainsi davantage brouillées, elles ne se lisent plus directement au travers du type d’établissement dans lequel l’élève effectue sa scolarité. L’offre de formation s’est principalement développée dans les spécialités tertiaires et le ministère de l’Éducation a freiné l’ouverture de classes dans les filières industrielles pour des raisons de coûts. L’éventail de l’offre de formation au niveau local influe sur les possibilités d’orientation des élèves.
33En vue d’analyser la répartition des élèves entre les différentes filières du secondaire selon leurs origines, nous avons étudié dans un premier temps leur situation scolaire en 2002 (tableau 5), à une date où tous ont terminé leur premier cycle.
Situation en 2002 des élèves entrés en 6e en 1995 selon l’origine migratoire, la filière, le diplôme obtenu ou les motifs de sortie du système éducatif
Situation en 2002 des élèves entrés en 6e en 1995 selon l’origine migratoire, la filière, le diplôme obtenu ou les motifs de sortie du système éducatif
34Sept ans après leur entrée en 6e, un peu plus du quart des élèves issus de l’immigration fréquentent une filière générale (27 % contre 42 % pour les Français d’origine) conformément aux aspirations exprimées par leurs parents quatre ans plus tôt, et un peu moins une filière technologique (23 % contre 19 % des Français d’origine). Les jeunes d’origine maghrébine, en majorité scolarisés dans l’enseignement professionnel, entreprennent rarement un apprentissage. En revanche, les jeunes d’origine portugaise, plus enclins à préparer un diplôme professionnel, sont surreprésentés dans ces filières, notamment dans l’apprentissage. À cette date, peu d’élèves possèdent déjà un diplôme professionnel (entre 1 % et 2,7 % des élèves du panel). Une minorité est sortie du système scolaire sans diplôme, surtout parmi les élèves issus de l’immigration (environ 2 fois plus souvent que les Français d’origine) et les élèves d’origine maghrébine [18]. Les motifs de sortie sans diplôme sont les abandons en cours de cycle, principalement pour les enfants d’immigrés quelle que soit leur origine, puis les échecs aux examens. Les garçons et les filles y sont représentés en proportion équivalente.
À milieu social comparable, priorité à la seconde indifférenciée
35Pour saisir le processus de sélection dans sa dimension temporelle, nous avons construit deux séries de régressions logistiques (tableau 6). La première oppose une orientation vers une seconde indifférenciée à une seconde professionnelle ; puis la série suivante oppose, parmi les jeunes issus d’une seconde indifférenciée, la fréquentation d’une filière générale à celle d’une filière technologique. Les groupes de variables ont été ajoutés de façon identique aux modèles précédents. L’indicateur des performances scolaires comprend désormais les notes au brevet, l’âge en 6e (variable continue) et la durée de la scolarité dans le premier cycle [19].
Impact des caractéristiques familiales et scolaires des élèves entrés en 6e en 1995 sur l’orientation en seconde puis de première (logit binomial)
Impact des caractéristiques familiales et scolaires des élèves entrés en 6e en 1995 sur l’orientation en seconde puis de première (logit binomial)
36La durée de la scolarité dans le primaire et dans le premier cycle du secondaire joue un rôle déterminant sur les orientations à l’issue de la 3e, de même que les performances scolaires ou l’établissement fréquenté dans le premier cycle (annexe A.3).
37La probabilité globale d’accès des enfants issus de l’immigration à une seconde indifférenciée (plutôt qu’à une seconde professionnelle) est inférieure à celle des Français d’origine (modèle 1). Cet écart disparaît si l’on prend en compte l’origine sociale : la différence avec les élèves français d’origine devient alors très faible et les chances d’orientation vers les filières générales et technologiques deviennent légèrement supérieures, notamment pour les élèves d’origine maghrébine (les coefficients associés aux enfants d’immigrés deviennent tous positifs, voir modèle 2). Plus encore, en dépit de résultats scolaires plus faibles au collège, les écarts se creusent entre les élèves issus de l’immigration et les Français d’origine « toutes choses égales par ailleurs » : à origine sociale et performances scolaires comparables, les premiers ont plus de chances d’accéder à une seconde indifférenciée, en particulier s’ils sont d’origine maghrébine (modèles 3 et 4). Pourtant, on trouve concentrées dans cette population des caractéristiques susceptibles de freiner l’accès à une filière générale ou technologique : parents peu diplômés, peu qualifiés, âge élevé d’entrée en 6e, moins bons résultats au brevet, toutes caractéristiques qui accroissent la probabilité de préparer un diplôme professionnel. La langue parlée à la maison ou le type d’établissement fréquenté ne jouent plus de rôle spécifique (modèle 4). Enfin, les filles issues ou non de l’immigration, sont davantage orientées vers les filières générales et technologiques que les garçons [20].
Les stratégies de ces élèves et de leurs familles pour échapper aux filières conduisant aux emplois ouvriers ou employés semblent converger avec celles des enseignants (Vallet et Caille, 1996a ; Felouzis, 2003). L’orientation plus fréquente en seconde indifférenciée peut également résulter de la scolarisation dans des collèges plus homogènes socialement, plus ségrégés, notamment en ZEP où l’évaluation et la notation sont moins exigeantes (Duru-Bellat et Mingat, 1988 ; Felouzis et al., 2005).
La classe de première, dernière étape de l’orientation
38La sélection à la fin de la seconde indifférenciée est d’abord sociale : les chances d’être scolarisé dans une filière générale (plutôt que technologique) sont très élevées pour les enfants de cadres supérieurs, ou ceux dont les parents sont titulaires d’un diplôme du supérieur (annexe A.3). On a vu que le fait d’avoir redoublé au collège augmentait le risque d’être orienté vers les filières professionnelles après la classe de 3e ; cependant, au moment de l’orientation en fin de seconde, ce mécanisme s’estompe, alors que l’impact négatif du retard à l’entrée en 6e reste très important. La scolarité à l’école primaire a des effets rémanents sur toute la carrière scolaire.
39D’une manière générale, les enfants d’immigrés, en particulier ceux d’origine maghrébine, sont moins souvent orientés vers les filières générales (tableau 6). Le niveau d’éducation des parents et la scolarité antérieure, notamment l’âge en 6e, sont les plus fortement corrélés à l’orientation vers un baccalauréat général ou technologique. Faute de performances suffisantes, une majorité des élèves issus de l’immigration ne parvient pas à se maintenir dans une filière générale (modèle 3). Les élèves d’origine portugaise [21] en revanche, à milieu social et performance scolaire comparables, se maintiennent mieux dans cette filière. Avoir été scolarisé dans un établissement de ZEP en 3e affaiblit également la chance d’accéder à une filière générale (alors que cela n’affecte pas la probabilité d’accéder à une seconde indifférenciée, la sélection est différée), tandis qu’avoir été scolarisé dans un établissement privé l’accroît sensiblement.
On peut évoquer deux pistes explicatives. D’une part les enseignants ont des pratiques plus clémentes à l’égard de ces élèves (notations, orientations moins sévères au collège), mais on peut penser toutefois que certains sont déjà orientés vers les filières technologiques en fin de 3e. D’autre part, à l’entrée au lycée, les élèves d’origine immigrée font l’expérience d’une plus grande hétérogénéité sociale et scolaire et d’attentes plus fortes de la part des enseignants. Notés plus sévèrement, ils peinent à se maintenir dans la filière générale, hormis une minorité dans laquelle les filles sont bien représentées.
La distinction entre les filières générales et technologiques amène ainsi à nuancer les « réussites » mises en avant dans la littérature sociologique (Vallet et Caille, 1996a). Les jeunes d’origine maghrébine, s’ils ne se conforment pas au vœu d’un baccalauréat général exprimé par leurs parents, gardent leurs chances de poursuite d’études dans l’enseignement supérieur, bien qu’ils cumulent cependant les désavantages : âge tardif d’entrée en 6e, scolarisation en ZEP, résultats scolaires plus faibles que la moyenne des élèves en 6e comme au brevet.
V – Un bilan contrasté à la fin du cycle secondaire
Abandons des garçons, réussites des filles
40Compte tenu des différences de réussite au collège et des orientations au lycée, comment aboutissent les scolarités des jeunes issus de l’immigration ? Les sorties du système scolaire peuvent résulter d’un abandon en cours de cycle (sortie précoce), d’un échec à un examen (sortie contrainte) ou d’une réussite aux examens (sortie réussie) ; on s’intéressera alors au type de diplôme obtenu. Le tableau suivant présente le diplôme le plus élevé obtenu à la fin du secondaire [22] (tableau 7).
Diplôme le plus élevé obtenu à la fin du secondaire par les élèves entrés en 6e en 1995 selon l’origine migratoire (%)
Diplôme le plus élevé obtenu à la fin du secondaire par les élèves entrés en 6e en 1995 selon l’origine migratoire (%)
41Les sorties sans diplôme sont 2,5 fois plus fréquentes chez les élèves issus de l’immigration (comparés aux Français d’origine) et le taux d’obtention du baccalauréat est plus faible, avec un écart de 10 points en faveur des Français d’origine. Les différences selon le genre sont très marquées (tableau 7bis). Revenons sur ces résultats.
Diplôme le plus élevé obtenu à la fin du secondaire par les élèves entrés en 6e en 1995 selon l’origine migratoire et le sexe (%)
Diplôme le plus élevé obtenu à la fin du secondaire par les élèves entrés en 6e en 1995 selon l’origine migratoire et le sexe (%)
42D’un côté, on note l’importance des sorties sans diplôme : 9 %. Cette proportion s’élève à 19 % parmi les enfants d’immigrés. L’ampleur de ces échecs, très inquiétante, justifie les analyses pessimistes sur la persistance des inégalités scolaires liées aux origines.
43Chez les enfants d’immigrés, les échecs aux examens (sorties contraintes) l’emportent nettement sur les abandons (12 % et 6 %), à l’exception des jeunes d’origine portugaise qui sont les plus nombreux à quitter le système éducatif sans se présenter à un examen. La moitié des sortants munis d’un brevet ont poursuivi leurs études dans le second cycle mais ont échoué au baccalauréat ou à un diplôme professionnel.
44Rappelons que le taux d’échec est, d’une manière générale, plus important pour les diplômes professionnels que pour les diplômes généraux (cf. les statistiques annuelles de la DEPP). On peut suggérer que cette différence de sélectivité est liée au fait que les diplômes professionnels ne sont pas un enjeu exclusivement scolaire ; inscrits dans les conventions collectives, ils attestent de la maîtrise de savoirs propres à un métier ou une profession et conditionnent l’accès à la qualification. Cependant, les jeunes d’origine maghrébine échouent deux fois plus souvent dans ces filières professionnelles que leurs homologues d’origine portugaise, en raison de performances scolaires plus faibles, mais également d’une orientation vécue comme subie vers un enseignement professionnel ou une spécialité (Brinbaum et Kieffer, 2005 ; Zirotti, 2006). Dans l’Enquête complémentaire auprès des jeunes (2002), 21 % des élèves d’origine maghrébine déclarent que leur vœu d’orientation en seconde a été refusé contre 14 % des élèves français d’origine. Au total, 39 % des premiers se sont vus refuser un vœu d’orientation au cours de leur scolarité, contre 23 % des Français d’origine [23]. On peut également invoquer les difficultés à trouver un stage en entreprise ou un maître de stage (Beaud et Pialoux, 2003 ; Dhume et Sagnard-Haddaoui, 2006), situations qui les confrontent directement à la discrimination sur le marché du travail, puisque le rapport de stage est pris en compte dans la notation finale.
45Autrefois diplômes les plus courants, les CAP et BEP ne représentent plus que 16 % des diplômes de la cohorte (dont deux tiers de BEP et un tiers de CAP), qu’il s’agisse d’élèves français d’origine ou issus de l’immigration. Toutefois, à milieu socioprofessionnel des parents comparable, la possession de ces diplômes est moins fréquente parmi les enfants d’immigrés d’origine ouvrière ou employée que parmi les élèves français d’origine (deux fois moins souvent chez les enfants d’ouvriers non qualifiés). Les spécialités suivies diffèrent : les jeunes originaires du Maghreb sont davantage concentrés dans des formations de gestion-administration et moins souvent dans des formations industrielles ou artisanales, au contraire des jeunes d’origine portugaise, qui se forment dans les métiers du bâtiment, de la coiffure et de l’artisanat (Okba et Lainé, 2005).
46Toutefois, la majorité des élèves de la cohorte (67 %) obtient un baccalauréat, toutes origines confondues. Le taux de réussite au baccalauréat est de 88 % chez les enfants de cadres supérieurs, 78 % pour ceux issus des catégories intermédiaires, 61 % pour les enfants d’ouvriers et d’employés qualifiés et 43 % pour ceux dont les parents sont peu ou pas qualifiés, soit un écart de 45 points entre les deux extrêmes. Plus de la moitié des élèves d’origine portugaise et maghrébine (respectivement 55 % et 58 %) obtient ce diplôme [24]. Les écarts liés à l’origine sociale sont donc de plus grande ampleur que ceux liés à l’origine migratoire, ce qui peut surprendre compte tenu des différences de structure entre ces populations (les immigrés sont concentrés dans les emplois non qualifiés). Parmi les élèves dont les parents sont ouvriers ou employés non qualifiés, le taux d’obtention du baccalauréat des enfants issus de l’immigration est même supérieur à celui des Français d’origine (46 % et 40 %).
47Le déroulement de la scolarité dans le secondaire et les résultats scolaires au collège jouent un rôle important sur l’obtention du baccalauréat. La scolarité en primaire exerce un impact durable sur toute la carrière scolaire ultérieure et sur la réussite au baccalauréat (Coudrin, 2006). De même, un redoublement au collège, ou la fréquentation d’un établissement ZEP en 3e diminue la chance d’obtenir un baccalauréat (annexe A.3).
48L’écart de réussite entre les garçons et les filles justifie que nous nous attardions sur cette question. Les échecs complets (sorties sans diplôme) concernent plus souvent les garçons (12 %) que les filles (6 %). Ils sont particulièrement élevés chez les garçons d’origine maghrébine : 28 % sortent de l’école sans diplôme, 35 % avec au plus un brevet, contre respectivement 9 % et 15 % des filles de même origine (confirmant ainsi Okba et Lainé, 2005). Les élèves d’origine portugaise sortent aussi plus précocement que les autres du système éducatif, les garçons en particulier, sans doute parce qu’un certain nombre accède à un emploi au cours de la formation professionnelle ou de l’apprentissage [25].
49Plus nombreux à être orientés dans les filières professionnelles, les garçons n’en sortent finalement pas plus souvent diplômés. Les filles se maintiennent mieux dans le système scolaire et adaptent mieux leurs choix en fonction de leurs résultats, meilleurs en moyenne il est vrai. Elles se trouvent également moins confrontées aux échecs rencontrés dans les filières professionnelles.
Le taux d’obtention du baccalauréat est plus élevé chez les filles, quelle que soit leur origine, mais les écarts selon le genre s’accroissent parmi les jeunes de la seconde génération : 74 % des filles et 64 % des garçons français d’origine contre respectivement 70 % et 46 % parmi les enfants d’immigrés, 74 % et 43 % pour les jeunes d’origine maghrébine, 69 % et 43 % pour les Portugais d’origine. C’est parmi les jeunes d’origine maghrébine que les différences sexuées sont les plus marquées, les filles dépassant les garçons de 31 points.
Un rapport positif à l’école et une plus forte volonté d’émancipation peuvent être évoqués pour expliquer la meilleure réussite des filles (Zéroulou, 1988 ; Hassini, 1997 ; Guénif-Souilamas, 2000). L’échec scolaire chez les garçons est plus délicat à expliquer. L’orientation vers certaines spécialités du professionnel et la difficulté à trouver un stage peuvent y contribuer.
Quel type de baccalauréat ?
50Quel est le poids des origines sociales et géographiques sur le type de baccalauréat obtenu ? Avec la démocratisation du baccalauréat, les inégalités sociales se déplacent vers le type d’examen préparé (Duru-Bellat et Kieffer, 2008) : 69 % des enfants de cadres supérieurs obtiennent un baccalauréat général, contre 13 % des enfants d’ouvriers et d’employés peu qualifiés ; à l’inverse 3 % des premiers obtiennent un baccalauréat professionnel contre 14 % des seconds. L’obtention d’un baccalauréat technologique concerne davantage les enfants de classes moyennes salariées, d’indépendants, d’ouvriers et d’employés qualifiés, dans des proportions assez proches (entre 19 % et 22 %).
Finalement, seuls 20 % des jeunes d’origine maghrébine ont un baccalauréat général à la sortie du lycée, 24 % des jeunes d’origine portugaise et 38 % des Français d’origine (tableau 8). En revanche, ils dépassent les autres groupes quant à l’obtention du baccalauréat technologique (respectivement 27 %, 17 % et 19 %). Pour le baccalauréat professionnel, les écarts sont faibles entre les élèves français d’origine et les élèves issus de l’immigration. Les élèves d’origine portugaise sont les plus nombreux à posséder ce diplôme (14 %). Le taux d’échec au baccalauréat des enfants d’immigrés est le double de celui des Français d’origine.
Proportion de bacheliers et type de baccalauréat obtenu selon l’origine migratoire des élèves entrés en 6e en 1995 (%)
Proportion de bacheliers et type de baccalauréat obtenu selon l’origine migratoire des élèves entrés en 6e en 1995 (%)
51Pour explorer plus finement le rôle respectif de l’origine sociale et des facteurs scolaires, nous avons construit de nouveaux modèles logistiques (tableau 9).
Impact des caractéristiques familiales et scolaires sur la réussite au baccalauréat des élèves entrés en 6e en 1995 et sur l’obtention d’un baccalauréat général plutôt que technologique (logits binomiaux)
Impact des caractéristiques familiales et scolaires sur la réussite au baccalauréat des élèves entrés en 6e en 1995 et sur l’obtention d’un baccalauréat général plutôt que technologique (logits binomiaux)
52Globalement, les chances des élèves d’origine immigrée d’obtenir un baccalauréat sont clairement inférieures à celles des Français d’origine (modèle 1). Cependant, si l’on adopte une optique relative, le constat s’inverse pour les Maghrébins (modèles 2 et 3) : en dépit de caractéristiques scolaires (retard à l’entrée en 6e, résultats médiocres au contrôle continu du brevet) et sociales (parents peu diplômés, occupant des emplois peu qualifiés, chômage du père) qui devraient constituer un lourd handicap, ceux-ci ont une probabilité significativement plus élevée d’obtenir un baccalauréat que les autres élèves de même milieu social. Les facteurs linguistiques (langue parlée à la maison) semblent ne pas avoir d’impact sur l’obtention d’un baccalauréat (cette population est sélectionnée) tandis que le rôle joué par les aspirations des parents est sensible (modèle 4).
53Si les élèves d’origine maghrébine entrés en seconde indifférenciée obtiennent moins souvent un baccalauréat général qu’un baccalauréat technologique, l’écart avec les élèves français d’origine n’est plus significatif lorsque l’on tient compte des caractéristiques familiales. D’une manière générale, l’obtention du baccalauréat général est corrélé à une origine sociale élevée, parents cadres supérieurs ou titulaires eux-mêmes d’un baccalauréat (modèle 2). « Toutes choses égales par ailleurs », les filles obtiennent davantage un baccalauréat général que technologique ; les filles d’origine maghrébine en revanche détiennent plutôt un baccalauréat technologique. Enfin le type de baccalauréat obtenu est fortement corrélé aux performances scolaires : un redoublement en primaire ou au collège ou la fréquentation d’un établissement en ZEP en 3e diminue les chances d’obtenir un baccalauréat général, tandis que de bons résultats en français et en mathématiques au brevet ou la fréquentation d’un établissement du secteur privé les améliorent (modèle 3) [26].
54Un écart important apparaît donc entre les élèves français d’origine et ceux issus de l’immigration. Pour ces derniers, des résultats scolaires plus faibles ne permettent pas une orientation vers la filière générale, réservée aux meilleurs élèves. La distinction entre ces catégories d’élèves porte donc non seulement sur le fait de détenir ou non un baccalauréat, mais sur le type de baccalauréat obtenu. Les filières les moins valorisées socialement canalisent les élèves issus des milieux populaires et parmi eux, les élèves issus de l’immigration.
Une approche complémentaire consiste à utiliser l’odds ratio [27]. Nous avons calculé la probabilité d’obtenir un baccalauréat pour tous les élèves du panel selon les origines, puis pour la seule population d’origine ouvrière ou employée, afin de tenir compte de la plus grande homogénéité sociale des élèves issus de l’immigration (tableau 10).
Inégalités d’accès au baccalauréat et au bacccalauréat général pour les élèves d’origine immigrée par rapport aux élèves français d’origine (odds ratios)
Inégalités d’accès au baccalauréat et au bacccalauréat général pour les élèves d’origine immigrée par rapport aux élèves français d’origine (odds ratios)
55Les odds ratios, calculés sur l’ensemble des élèves, mêlent les inégalités de cursus (l’orientation à l’issue de la 3e et les abandons) et les inégalités de réussite (sélectivité des diplômes). Afin d’évaluer les différents types d’inégalités, nous avons ensuite calculé les odds-ratios d’obtention d’un baccalauréat général sur les élèves entrés en seconde indifférenciée qui constituent le vivier de l’accès à ce diplôme [28], puis sur l’ensemble des bacheliers afin de tenir compte de la sélectivité différentielle des types de baccalauréat.
56Dans l’ensemble, les enfants d’immigrés ont des chances relatives plus faibles d’obtenir un baccalauréat que les élèves français d’origine (odds ratio de 0,62). Concernant le baccalauréat général, elles sont même deux fois moindres (odds ratio de 0,56) et elles sont plus faibles encore pour les élèves d’origine maghrébine (odds ratio de 0,40). La majeure partie de ces inégalités est sociale ; si l’on considère les enfants d’ouvriers et d’employés, les odds ratios sont proches de 1 [29].
57Pour les élèves qui ont été orientés en seconde indifférenciée, l’écart se resserre sensiblement entre l’ensemble des enfants d’immigrés et les enfants français d’origine (odds ratio de 0,63) traduisant le fait qu’une grande partie des inégalités se joue au moment de l’orientation à la fin du collège. Toutefois, les élèves d’origine maghrébine maintiennent leur écart relatif aux jeunes français d’origine. Ils sont ensuite plutôt orientés vers le baccalauréat technologique, une partie d’entre eux ayant un niveau insuffisant pour suivre une filière générale. Les inégalités se jouent donc pour eux à deux moments, à l’entrée puis à l’issue de la classe de seconde.
58Les inégalités observées sur la population des bacheliers concernent les types de baccalauréat (général, plutôt que technologique ou professionnel) finalement obtenus et leur sélectivité différentielle. Elles s’estompent fortement (comparées à celles observées sur l’ensemble de la population), mais restent plus marquées pour les élèves d’origine maghrébine que pour les descendants de Portugais. En revanche, sur la seule population d’origine ouvrière et employée, les inégalités se situent à un niveau comparable à celui des élèves entrés en 6e : ils obtiennent en effet davantage un baccalauréat technologique, mais moins souvent un baccalauréat professionnel.
Les parents immigrés exprimaient des aspirations scolaires fortes en fin de collège, qui jouent un rôle positif aux différents moments du processus scolaire : sur les orientations au lycée jusqu’à l’obtention du baccalauréat, une fois contrôlés l’environnement social et familial, l’origine nationale, le sexe de l’élève et son niveau scolaire (tableaux 6 et 9). Particulièrement élevées dans les familles maghrébines, les aspirations, ancrées dans la dynamique migratoire, jouent un rôle de levier sur les scolarités de leurs enfants, puisqu’elles contribuent à expliquer la réussite [30]. Beaud et Beaud-Deschamp (2003) constatent également dans leur travail sur les ouvriers de Sochaux-Montbéliard (qui sont en majorité d’origine maghrébine) un « surinvestissement scolaire (passant par des études longues) de la part des familles populaires frappées de plein fouet par le chômage, l’insécurité salariale et la paupérisation des lieux d’habitat social ». Les stratégies des élèves s’inscrivent dans cette dynamique de la réussite. Le choix d’une filière technologique apparaît alors comme une stratégie de repli ou une adaptation plus ou moins contrainte des élèves, de leur famille et des enseignants, face aux performances en moyenne plus faibles. On peut interpréter cette réorientation comme une alternative raisonnable qui maintient les chances de poursuite des études.
Un double décalage apparaît parmi les familles maghrébines : au niveau des aspirations des parents par rapport à leur milieu social, et au niveau des parcours effectifs de leurs enfants par rapport aux aspirations initiales. D’une part, l’aspiration à la filière générale est décalée par rapport à celle des parents ouvriers français qui privilégient les voies professionnelles ou technologiques (même si les aspirations tendent à se transformer). D’autre part, les parcours des enfants, davantage scolarisés dans les filières professionnelles ou technologiques, sont décalés par rapport aux filières générales souhaitées et tendent à se conformer à celles des élèves de même origine socioprofessionnelle. Les aspirations des parents vont moduler les scolarités de leurs enfants au profit de la filière technologique plutôt que professionnelle (BEP, baccalauréat professionnel). En revanche, les scolarités des enfants d’origine portugaise sont pour une partie d’entre eux conformes aux représentations positives des formations professionnelles, notamment de l’apprentissage, mais on note une progression des filières générales et une tendance à l’uniformisation des parcours (Brinbaum et Kieffer, 2005).
Au terme de ce travail, se dessinent des parcours objectifs d’élèves qui peuvent être appréhendés à travers la combinaison de dimensions subjectives (telles que les aspirations, la persévérance, le vécu de l’expérience scolaire) et de caractéristiques spécifiques des populations (genre, origines sociale, migratoire et géographique).
Quatre grands types de parcours peuvent ainsi être dégagés. Le premier type comprend les sorties précoces volontaires. Les élèves d’origine portugaise sont un peu plus nombreux dans ce cas. Pour une partie d’entre eux, l’expérience de l’école est différente, dans la mesure où la sortie de l’institution scolaire coïncide avec une entrée précoce dans l’emploi. Un deuxième type de parcours est caractérisé par des sorties contraintes, après échec aux examens ; il est plus fréquent parmi les élèves d’origine maghrébine. Il traduit à la fois leur persévérance (ils attendent la sanction de l’examen) et les difficultés qu’ils affrontent depuis le primaire. Ils ont plus souvent été orientés contre leur gré et vivent leur expérience scolaire comme une relégation. Les garçons dominent dans ces deux types de parcours. Le troisième type de parcours regroupe des élèves qui, du fait de leurs performances insuffisantes ou jugées comme telles, adaptent ou réajustent leurs ambitions. C’est le cas des élèves d’origine maghrébine qui obtiennent un baccalauréat technologique, les filles y sont un peu plus nombreuses. Leur parcours est en décalage par rapport aux aspirations des parents, c’est une voie « faute de mieux ». Le passage par la filière technologique correspond pour certains à une bifurcation qui leur permet de préserver toutes leurs chances d’accéder à l’université. Le dernier type de parcours est composé des jeunes qui ont des parcours plus conformes aux aspirations soit dans les filières professionnelles (plutôt des garçons d’origine portugaise), soit dans la filière générale (plutôt les filles d’origine portugaise ou maghrébine), et qui y réussissent.
Conclusion
59Élargie à l’ensemble du parcours dans le secondaire (à travers les orientations successives, les types de filières et les diplômes obtenus), cette étude apporte de nouveaux résultats. Nous confirmons des résultats antérieurs (Vallet et Caille, 1996a), notamment relatifs aux difficultés précoces des enfants d’immigrés et à leur orientation plus fréquente en seconde indifférenciée « toutes choses égales par ailleurs ». Une nette différenciation des baccalauréats technologiques et professionnels est ici mise en évidence. Loin d’être homogènes, les parcours varient selon le pays d’origine (Portugal ou Maghreb) et selon le genre, avec des écarts plus marqués parmi les jeunes issus de l’immigration que parmi les Français d’origine. Les réussites des enfants d’immigrés reflètent avant tout celles des filles, particulièrement élevées parmi les filles originaires du Maghreb.
60Peut-on parler d’inégalités liées à l’origine ? Les inégalités de réussite scolaire sont principalement sociales, ce qui va dans le sens des théories de la reproduction sociale. Les familles immigrées cumulent des caractéristiques défavorables à la réussite scolaire de leurs enfants, par la faiblesse de leurs ressources et la précarité des parents, associées aux conditions de scolarisation peu propices du fait de la ségrégation urbaine. De ce point de vue, les scolarités des enfants d’origine maghrébine se déroulent « toutes choses inégales d’ailleurs » (Héran, 1996). Les politiques de discrimination positive mises en place pour limiter les injustices liées à ces phénomènes, par l’attribution de moyens plus importants en ZEP, ne produisent pas les résultats escomptés (Meuret, 1994 ; Bénabou et al., 2004). Il y aurait donc lieu de repenser les moyens et les dispositifs orientés vers les élèves en difficulté dès les premières années d’éducation, une grande partie des inégalités se jouant dès le primaire, voire en maternelle. La difficulté de certains à rattraper le retard initial, non comblé par les redoublements, nécessite de repenser aussi l’accompagnement scolaire des enfants très tôt en échec.
61À la différence des parents des classes moyennes ou supérieures dont les stratégies scolaires sont plus adaptées au fonctionnement du système (cf. les travaux d’Agnès van Zanten), les parents immigrés disposent de moyens très limités par leur faible capital social et scolaire pour accompagner la scolarité de leurs enfants. Leurs enfants disent, plus que les autres, n’avoir pas été aidés par leurs parents ni informés par les enseignants et conseillers d’orientation aux moments clés de l’orientation (Brinbaum et Kieffer, 2005). En particulier, les jeunes d’origine maghrébine orientés dans les filières professionnelles expriment davantage un sentiment d’injustice envers les verdicts scolaires, parfois perçus à tort ou à raison comme de la discrimination à leur égard. Les échecs en cours de scolarité sont une expérience scolaire vécue comme douloureuse, avec le sentiment d’être « exclus de l’intérieur » (Bourdieu et Champagne, 1999 ; Beaud, 2002). Ces résultats interrogent notre système éducatif sur les processus d’orientation et sur l’accès aux spécialités dans les filières professionnelles, ces jeunes étant orientés vers des spécialités qui ne sont pas toujours souhaitées, inégalement valorisées, et qui ne garantissent pas le même accès à l’emploi. Confrontés à la fois à l’offre limitée et au monde de l’entreprise dans la recherche des stages, un certain nombre font l’expérience de la discrimination sur le marché du travail (Dhume et Sagnard-Haddaoui, 2006), les Maghrébins plus que les jeunes d’origine portugaise. Ces derniers peuvent bénéficier des réseaux familiaux et communautaires, à la différence des premiers.
62En revanche, l’orientation en classe de seconde est moins sélective à l’égard des jeunes d’origine maghrébine (une fois contrôlés notamment le milieu socioéconomique et éducatif, le sexe, les performances antérieures et le contexte de scolarisation), indiquant à l’échelle nationale une absence de discrimination lors de l’orientation en seconde de ces enfants [31]. Le mécanisme observé est différent de celui qui rend compte des inégalités sociales d’éducation : les origines migratoires réduisent les performances scolaires en début de parcours (effet primaire), mais les augmentent au moment de l’orientation à l’issue du collège (effet secondaire).
63Certains sociologues ont mis en avant des pratiques institutionnelles plus indulgentes envers les élèves issus de l’immigration, un « filtre de l’institution scolaire moins serré » (Beaud et Beaud-Deschamp, 2003 ; Felouzis 2003) qui favorisent l’orientation vers une seconde indifférenciée d’élèves dont le niveau est insuffisant pour assurer leur succès à l’issue du cycle secondaire et au-delà. Une autre explication est à rechercher du côté des aspirations élevées des parents immigrés, maghrébins en particulier, et de la persévérance des enfants à rester dans les filières académiques, pour éviter les métiers non qualifiés, le chômage et anticiper la discrimination sur le marché du travail. Les mobilisations familiales sont fortes dans certaines familles compte tenu des ressources initiales.
Les élèves d’origine maghrébine sont ensuite dirigés principalement vers les filières technologiques. S’agit-il d’une « seconde chance ou [d’une] élimination différée ? » (Felouzis et al., 1995). D’un côté, ils augmentent leur chance d’obtenir un baccalauréat, plutôt technologique, de l’autre, les élèves dont les performances sont faibles accèdent à des filières plus exigeantes. Les enfants de la « seconde génération » participent alors au mouvement de démocratisation scolaire et obtiennent, pour une bonne part, un baccalauréat. In fine, le niveau d’éducation a considérablement progressé d’une génération à l’autre, notamment des mères aux filles. Ces dernières se saisissent plus des opportunités nouvelles offertes par l’expansion scolaire, ajustent davantage leur parcours et réussissent finalement mieux.
Une partie de la cohorte entrée en 6e en 1995 accède maintenant à l’enseignement supérieur. Or, en 2002, les jeunes issus de l’immigration exprimaient dans leur majorité le souhait de poursuivre des études universitaires, plutôt un BTS ou un DUT, quelles que soient les filières suivies dans le secondaire. Cependant, ils ne sortent pas de l’enseignement secondaire avec les baccalauréats qui fournissent des chances égales de réussite dans le supérieur (Thomas, 2003). Utilisant les données de l’enquête « Génération 1998 », Frickey et Primon (2002) ont montré que les abandons et les sorties de l’université sans diplôme sont plus fréquents chez les jeunes issus de l’immigration, notamment d’origine maghrébine. Pour ceux qui ont réussi, le diplôme universitaire ne « garantit pas un égal accès au marché du travail ». Ces jeunes ont subi des inégalités sociales d’éducation et une ségrégation scolaire qui, pour un certain nombre d’entre eux, limitent leur progression et l’égalité d’accès aux diplômes, en particulier les plus valorisés. À l’entrée sur le marché du travail, cette ségrégation se double d’une discrimination (Silberman et Fournier-Mearelli, 2006) à laquelle viendront se heurter les aspirations d’ascension sociale de ces jeunes issus de l’immigration. Pour que leur parcours ne soit pas une course d’obstacles, les jeunes issus de l’immigration devraient avoir, en amont, les mêmes chances de réussite à l’école.
Remerciements
Nous remercions Benoît Tudoux, ingénieur au CMH pour ses conseils et son aide, Laurence Coutrot et le comité de rédaction de Population pour leur lecture attentive, leurs remarques et leurs suggestions judicieuses.L’enseignement secondaire en France
64Comme dans la plupart des pays, le système scolaire est divisé en trois grandes parties hiérarchisées, appelées degrés, auxquelles il convient d’ajouter l’enseignement préscolaire. Celui-ci scolarise les enfants dès l’âge de 3 ans au sein des écoles maternelles. Le taux de fréquentation approche la totalité de la classe d’âge dès 3 ans. L’enseignement primaire scolarise les enfants à partir de l’âge de scolarité obligatoire (soit à 6 ans révolus en France) pendant cinq années.
65L’enseignement secondaire est divisé en deux cycles. Le premier cycle scolarise tous les enfants à l’issue du primaire au sein du collège. Il comprend quatre années (de la 6e à la 3e), mais une faible fraction de la population, parce qu’elle cumule un grand retard ou est âgée, peut débuter une formation professionnelle, le plus souvent en vue du certificat d’enseignement primaire (CEP) en un an ou du certificat d’aptitude professionnelle (CAP) en trois ans. Ce cycle peut déboucher sur le brevet des collèges, dont l’obtention est fondée sur les notes relevées au contrôle continu en 4e et en 3e (les deux dernières années du collège) et sur les notes de l’examen proprement dit. Le brevet n’est pas requis pour la poursuite des études.
66La scolarité en primaire et au collège peut se dérouler dans une Zone d’éducation prioritaire (ZEP). Créées en 1981, les ZEP visent à promouvoir l’égalité des chances par un traitement différencié des établissements. Les établissements situés dans des zones socialement défavorisées sont dotés de moyens supplémentaires, notamment pédagogiques. Les acteurs locaux intéressés par la scolarité de leurs élèves sont incités à s’associer à ces programmes. Les résultats sont inégaux, les moyens spécifiques alloués étant souvent trop modestes.
67Une orientation s’effectue à la fin de la 3e qui affecte les élèves dans les deux grandes filières du second cycle : l’enseignement professionnel ou l’enseignement général et technologique. Le premier prépare deux diplômes professionnels : le CAP en deux ou trois ans, le plus ancien, qui fait maintenant une large place à l’apprentissage ; le BEP (brevet d’études professionnelles) en deux ans, pour lequel la forme scolaire domine, et qui permet à ses titulaires de préparer ensuite un baccalauréat professionnel en deux ans. Les élèves orientés dans l’enseignement général et technologique effectuent une année de scolarité commune, la classe de seconde dite « indifférenciée », où cependant le jeu des options annonce l’orientation ultérieure. Les deux dernières années du lycée préparent les différentes spécialités du baccalauréat technologique (sciences et technologies industrielles, sciences et technologies du tertiaire, sciences médico-sociales, hôtellerie, techniques de la musique et de la danse) ou les options du baccalauréat général (scientifique, littéraire, économique et social).
L’accès à l’enseignement supérieur est soumis à l’obtention d’un baccalauréat, quel qu’il soit. En pratique, seul un titulaire d’un baccalauréat professionnel sur cinq s’engage dans cette voie, plus de trois titulaires du baccalauréat technologique sur quatre et la quasi-totalité des titulaires du baccalauréat général.
Caractéristiques des familles et des conditions de scolarisation des élèves entrés en 6e en 1995 (%)
Caractéristiques des familles et des conditions de scolarisation des élèves entrés en 6e en 1995 (%)
Notes des élèves aux évaluations de 6e en 1995 et au contrôle continu du brevet en 3e
Facteurs influençant les notes et l’orientation des élèves entrés en 6e en 1995 jusqu’au baccalauréat (coefficients bruts des variables explicatives des modèles)
Facteurs influençant les notes et l’orientation des élèves entrés en 6e en 1995 jusqu’au baccalauréat (coefficients bruts des variables explicatives des modèles)
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Notes
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[*]
Institut de recherche sur l’éducation (Iredu), Université de Bourgogne, CNRS et Centre Maurice Halbwachs, Paris.
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[**]
Centre Maurice Halbwachs, Paris.
Correspondance : Annick Kieffer, Centre Maurice Halbwachs, 48 boulevard Jourdan, 75014 Paris, tél : 33 (0)1 43 13 64 05, courriel : annick.kieffer@ens.fr -
[1]
Ce qu’avaient montré les premières études réalisées sur les enfants de nationalité étrangère (Clerc, 1964 ; Boulot et Boizon-Frazet, 1988 ; Mallet et Bousta, 1988). La question se déplace aujourd’hui vers les « secondes générations ».
-
[2]
Voir les travaux récents de R. Breen et J. Goldthorpe (1997), R. Erikson (2007), qui analysent, à la suite de R. Boudon, les effets primaires et secondaires du milieu social sur les inégalités d’éducation. Les mécanismes peuvent être différents pour expliquer les inégalités selon les origines migratoires et ethniques (Heath et Brinbaum, 2007).
-
[3]
Il s’agit du cinquième panel d’élèves du secondaire, après ceux de 1962, 1972-1973-1974, 1980 et 1989, et du premier qui recueille le lieu de naissance et la nationalité des parents. Cette dernière information repose sur la déclaration des enquêtés et peut comporter certains biais, liés à la connaissance du code de la nationalité.
-
[4]
Nous avons utilisé les pondérations calculées par les producteurs du panel qui redressent l’échantillon par rapport aux effectifs entrés en 6e en 1995, représentatifs de l’ensemble des élèves scolarisés dans cette classe à cette date. L’attrition est faible puisque ce sont des données de source administrative, les élèves sont captifs tant qu’ils sont scolarisés.
-
[5]
Les parents originaires d’Algérie, du Maroc et de Tunisie ont été regroupés pour des raisons d’effectifs. Les enfants de rapatriés sont exclus de la catégorie des enfants d’origine maghrébine, afin d’avoir une catégorie plus homogène. Très nombreux parmi les descendants d’Algériens, leur niveau d’éducation et leur position professionnelle sont plus élevés que ceux des immigrés algériens (Alba et Silberman, 2002). Les analyses sur le baccalauréat ont été réalisées sur les jeunes originaires d’Europe du Sud, cette catégorie ayant été élargie par rapport aux seuls originaires du Portugal (les descendants de Portugais représentent 86 % de ce groupe), puisque les fichiers fournis aux chercheurs par l’Insee ne permettent plus de réaliser des distinctions aussi fines.
-
[6]
« Parents » est ici entendu au sens de couple avec lequel l’enfant vit régulièrement ; cela peut être la mère et son conjoint, ou le père et son conjoint. Ces informations sont issues du questionnaire de recrutement et de l’enquête auprès des familles.
-
[7]
Il s’est avéré pertinent de construire une catégorie de milieu social au niveau familial et de regrouper les ouvriers et les employés, dans la mesure où les pères ouvriers sont souvent en couple avec des mères employées. Il importe néanmoins de conserver la distinction selon la qualification.
-
[8]
La structure de l’enseignement secondaire en France et les diplômes délivrés (CAP, BEP, brevet, baccalauréats) sont présentés en annexe.
-
[9]
Pour plus de détails, voir Brinbaum et Kieffer, 2005. Le taux élevé de non réponse chez les immigrés (33 %), en particulier chez les Portugais (42 %), révèle les difficultés des parents à se projeter dans l’avenir ou encore à naviguer dans un système éducatif complexe, alors qu’ils n’ont pas fréquenté le système scolaire français ou sont peu diplômés. Quant aux Français d’origine, un quart ne se prononcent pas.
-
[10]
Les modèles ultérieurs intègrent les attentes scolaires et la langue parlée dans la famille. Ces informations ne sont présentes que dans l’enquête Familles de 1998.
-
[11]
Les origines migratoires et nationales expliquent très peu les scores des élèves (le R2 est faible pour le premier modèle et augmente avec la prise en compte des caractéristiques sociales et familiales, puis avec l’ajout des retards scolaires). Les variables qui ont un impact élevé sur les scores sont, par ordre d’importance, l’âge en 6e, la catégorie socioprofessionnelle de la famille (environ 21 % de la variance en français), et le diplôme de chacun des parents à un niveau sensiblement égal (environ 14 % de la variance totale).
-
[12]
À la différence du travail de Cebolla-Boado (2008) qui compare les résultats des élèves en 1995 et en 1998, nous ne nous intéressons pas à la mesure comparée des progressions des élèves selon leur origine, mais à l’impact des caractéristiques familiales et des conditions de la scolarité sur les performances à l’entrée et à la fin du premier cycle.
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[13]
Les élèves d’origine maghrébine sont notamment un peu plus nombreux que les autres à obtenir des résultats faibles (inférieurs à 8 sur 20) et un peu moins nombreux à obtenir des notes élevées (supérieures à 15) (Brinbaum et Kieffer, 2005).
-
[14]
D’autres facteurs entrent en ligne de compte, comme la taille de la fratrie qui amoindrit les performances ; une partie des résultats plus faibles des jeunes d’origine maghrébine, dont les familles sont plus nombreuses, est expliquée par ce facteur. Toutes choses étant égales par ailleurs, on relève un léger impact négatif (et significatif) de la taille de la fratrie sur les résultats en français en 6e et au brevet, mais en 6e seulement en mathématiques. Elle n’exerce plus d’influence sur les parcours et la réussite au lycée. Ces modèles ne sont pas montrés ici.
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[15]
Si l’on remplace (dans un modèle non montré ici) les redoublements antérieurs par les notes en 6e, les 25 % des enfants les meilleurs en 6e (premier quartile) obtiennent 5,7 points de plus en français (+ 6,6 points en mathématiques) que ceux du deuxième quartile. À l’inverse, les 25 % des enfants les plus faibles (dernier quartile) ont respectivement 3,5 points de moins en français comme en mathématiques.
-
[16]
De même que pour les évaluations en 6e, les origines migratoires expliquent très peu les résultats scolaires (1,9 % à 2 % de la variance en français et en mathématiques) ; la variance augmente lorsque les origines sociales et les ressources scolaires des parents sont prises en compte (10,4 % de la variance en français, 12,5 % en mathématiques). Les performances scolaires antérieures mesurées par les résultats en 6e contribuent à améliorer le modèle qui explique alors 17 % à 23 % de la variance.
-
[17]
Le CAP se prépare le plus souvent par la voie de l’apprentissage, et le BEP par la voie scolaire.
-
[18]
À milieu social contrôlé, la différence n’est cependant plus significative (modèle non montré ici).
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[19]
Des élèves (peu nombreux) peuvent avoir quitté le premier cycle dès la fin de la 5e pour entamer une formation professionnelle, et une partie a abandonné sans attendre la fin de la 3e. C’est pourquoi à une variable de durée nous avons préféré une variable catégorielle.
-
[20]
Ce que montrent les interactions entre genre et origines nationales ajoutées dans des modèles non présentés ici.
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[21]
Parmi les publics de la seconde indifférenciée.
-
[22]
La suite de cet article est fondée sur l’exploitation du panel 95 repris par l’Insee. Les années de suivi de 2002 à 2005 ont été ajoutées. Les données ont été diffusées avec de nouvelles variables relatives aux pays de naissance et nationalités des parents, agrégées par groupes de pays. En conséquence, notre nouvel échantillon a été légèrement modifié. Celui des jeunes d’origine portugaise, en particulier, s’est élargi à celui des jeunes originaires d’Europe du Sud. Les descendants de Portugais représentent 86 % de ce groupe (par commodité nous continuerons parfois dans la suite de l’article à utiliser la dénomination de Portugais), celui des jeunes d’origine maghrébine reste identique. L’échantillon total est alors de 12 124 jeunes.
-
[23]
Notons que le taux de non réponse des élèves d’origine maghrébine à ces questions est beaucoup plus élevé (28 %) que celui des Français d’origine (16 %) ; ceci est dû notamment au fait qu’ils sont plus nombreux à avoir quitté le système éducatif en 2002 que les autres, et qu’ils sont alors plus difficiles à contacter.
-
[24]
Les élèves maghrébins sont deux fois plus nombreux que leurs pairs français d’origine à échouer au baccalauréat.
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[25]
Les travaux sur l’insertion professionnelle montrent la bonne insertion des jeunes d’origine portugaise, même après des formations professionnelles courtes.
-
[26]
Pour tester l’impact du primaire et du collège dans la formation des inégalités de réussite, nous avons construit des modèles (identiques aux modèles 4) où le retard en 6e a été remplacé par les notes aux épreuves d’évaluation. Qu’il s’agisse des résultats au brevet, du parcours au lycée, des chances relatives d’obtention du baccalauréat ou du type de baccalauréat obtenu, les coefficients associés au retard en 6e sont toujours beaucoup plus élevés que ceux associés aux notes. L’impact des notes au brevet sur le parcours et la réussite au lycée est plus important que celui des résultats aux épreuves d’évaluation à l’entrée en 6e, sans pour autant annihiler leur effet (qui reste significatif). L’influence des notes en 6e en français est plus élevée que celle des notes en mathématiques (notamment sur l’obtention d’un baccalauréat général). Au total, toutes choses étant égales par ailleurs, le temps mis par les élèves à parcourir le primaire et le collège joue davantage que leurs acquis (mesurés par les notes) sur la filière du lycée et la réussite aux examens. Si une grande partie des inégalités se forme dès le primaire, tout n’est pas joué à ce moment.
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[27]
Les odds ratios rapportent par exemple la probabilité d’obtenir un diplôme (plutôt que de ne pas l’obtenir) pour un groupe donné à celle d’un autre groupe pris comme référence, ici les élèves français d’origine.
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[28]
Une petite partie des élèves qui ont obtenu un BEP prépare ensuite un baccalauréat technologique. La création du baccalauréat professionnel a marqué un coup d’arrêt à l’expansion de la première d’adaptation.
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[29]
Calculés sur l’ensemble des élèves du panel, les odds ratios d’obtention du baccalauréat professionnel sont proches de 1 pour les enfants d’immigrés (il n’y a pas d’inégalités liées à l’origine migratoire), mais ils sont inférieurs si l’on considère les seuls enfants d’ouvriers et d’employés (autour de 0,8).
-
[30]
L’effet associé à l’origine maghrébine sur le parcours dans les filières générales diminue lorsque l’on ajoute les aspirations dans le modèle. Il en va de même pour l’obtention d’un baccalauréat.
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[31]
Il s’agit d’une première tentative de mesure de la discrimination scolaire au niveau statistique. Un effet négatif de l’origine sur l’accès en seconde indifférenciée (plutôt que professionnelle) « toutes choses égales par ailleurs », compte tenu des variables présentes dans le modèle, indiquerait une éventuelle discrimination.