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Article de revue

Des causes aux conséquences du divorce : histoire critique d'un champ d'analyse et principales orientations de recherche en France

Pages 155 à 182

Notes

  • [*]
    EHESS – Centre Maurice Halbwachs.
    Correspondance : Anne lambert, École normale supérieure bât. B, 48 boulevard Jourdan, 75014 Paris, courriel : anne. lambert@ ens. fr
  • [1]
    Le divorce pouvait alors être prononcé par consentement mutuel, pour « incompatibilité d’humeur ou de caractère », ou pour des causes imputables à l’un des époux.
  • [2]
    Dans la loi du 11 juillet 1975, le divorce par consentement mutuel comprend deux cas de divorce : le divorce par requête conjointe et le divorce par demande acceptée. C’est la loi de 2004 qui a assimilé consentement mutuel et requête conjointe, en laissant à l’extérieur la demande acceptée.
  • [3]
    Il est vrai que, pour Durkheim (2007 [1893]), les recherches sociologiques ne vaudraient pas « une heure de peine si elles ne devaient avoir qu’un intérêt spéculatif ».
  • [4]
    « S’agissant du divorce, il est établi depuis longtemps qu’il existe une corrélation significative entre le divorce et la criminalité, lorsqu’on prend en considération non pas le nombre de divorces en valeur absolue, mais leur proportion par rapport aux nouveaux mariages. S’agissant de l’époque la plus récente, on ne peut manquer de mettre en relation en France l’accroissement de la criminalité avec la courbe de la « montée du divorce » qui est passée progressivement depuis les années 1970-1975 d’un divorce pour dix nouveaux mariages à un pour deux à trois mariages nouveaux. Le nombre de vols commis par les jeunes de 13 à 19 ans est mieux corrélé au nombre de divorces qu’au taux de chômage » (R. Gassin, 2007).
  • [5]
    Les données sont tirées de sources officielles (« data from official sources ») qui ne sont toutefois pas précisément mentionnées.
  • [6]
    Le Compte général de la Justice est devenu, à partir de 1980, l’Annuaire statistique de la Justice.
  • [7]
    À noter que la réforme du divorce en 1975 n’a pas fondamentalement infléchi la courbe des divorces, malgré la hausse observée en 1976.
  • [8]
    La note bibliographique de Sully Ledermann paraît dans Population en 1947, dans le troisième numéro de l’année. Son article intitulé « Les divorces et les séparations de corps en France » paraît en 1948, dans le deuxième numéro de l’année.
  • [9]
    S. Ledermann retrace l’évolution du divorce depuis la loi Naquet et son influence sur la natalité, notamment à la veille de la seconde guerre mondiale.
  • [10]
    Les principaux résultats ont été publiés dans deux Cahiers de l’Ined (Boigeol et al., 1974 et 1975). Voir aussi Roussel (1974 et 1975).
  • [11]
    En effet, contrairement à Nicolas Herpin qui a exploité l’enquête Insee « Suivi des chômeurs 1986-1988 », Serge Paugam montre à partir de l’enquête Insee « Situations défavorisées 1986-1987 » que le risque de perturbation de la vie conjugale est proportionnel aux difficultés rencontrées sur le marché de l’emploi, particulièrement pour les hommes. L’indice d’instabilité conjugale apparaît ainsi maximal pour les chômeurs de longue durée.
  • [12]
    Les modalités d’enquête choisies par Herpin et Paugam expliqueraient les divergences dans les conclusions des auteurs sur le lien entre chômage et rupture conjugale. Herpin recourt à une enquête par panel sur 18 mois, trop courte pour faire apparaître les effets du chômage sur l’économie des relations domestiques selon Paugam. Pour autant, ce dernier a construit à partir d’une enquête longitudinale, ou biographique, des indices d’instabilité conjugale qui tendent à transformer la rupture conjugale en état plutôt que de l’appréhender comme un processus. Par ailleurs, non situés dans le temps, les indices de précarité professionnelle et d’instabilité conjugale ne peuvent en aucun cas traduire des liens de causalité entre les deux phénomènes. Ils n’expriment, au mieux, que des corrélations. Ces débats illustrent ainsi les problèmes liés à l’imputation de la causalité et à la détermination d’une variable explicative du divorce.
  • [13]
    L’enquête Famille est accolée au recensement de la population depuis 1954. Les enquêtés remplissaient un questionnaire complémentaire à ceux du recensement (bulletin individuel et feuille de logement), dans lequel ils indiquaient les principaux événements de leur vie de famille, leurs dates, ainsi que la profession de leur conjoint. Si le principe de ces enquêtes courtes, rétrospectives et auto-administrées n’a pas été remis en cause, les questionnaires ont été plusieurs fois refondus afin de tenir compte des évolutions démographiques. L’enquête de 1999 marque à cet égard une évolution très nette : d’une part, le champ de l’enquête a été élargi aux hommes ; d’autre part, les questions sur l’histoire conjugale se sont concentrées sur les unions de fait, avec ou sans mariage. Toutefois, sur les recommandations de la CNIL, l’interrogation a été limitée aux premières et dernières unions.
  • [14]
    C’est aussi le cas des enquêtes portant sur des institutions totales (asiles, prisons, sectes, etc.).
  • [15]
    G. S. Becker et al. (1977). Ses thèses ont été importées en France, entre autres, par l’économiste libéral B. Lemennicier (1980).
  • [16]
    Pour un état des lieux, voir Kellerhals et al., 1993 [1984].
  • [17]
    En ce sens, les approches développées par Louis Roussel d’une part et par Jean Kellerhals et son équipe d’autre part diffèrent quelque peu. Pour ce dernier, les styles d’interactions conjugales demeurent sensibles à l’influence du milieu social. Par exemple, les couples à faibles capitaux scolaires tendent à fonctionner sur un style fusionnel (couple-bastion ou couple-cocon) alors que les couples à forts capitaux scolaires valorisent davantage l’autonomie des conjoints et les échanges avec l’extérieur, sur le modèle du couple-association.
  • [18]
    Jean Kellerhals et Louis Roussel ont qualifié ce type de raisonnement, dans le numéro spécial de LAnnée sociologique de 1987 consacré à la famille, de « sociologie du déficit » et d’« économie du manque ».
  • [19]
    Les années 1960 ont été marquées par l’extraordinaire développement des recherches sur les facteurs de la stabilité et du bonheur conjugal. Certains de ces modèles qui visaient à prédire la longévité des couples étaient basés sur des « tests of marital adjustment ». Pour avoir une vue de l’ensemble des études développées au cours des années 1960, voir M.W. Hicks et M. Platt (1970).
  • [20]
    Dans sa « théorie critique de l’homogamie », François de Singly (1987) récuse par exemple l’idée selon laquelle la proximité sociale serait associée à la stabilité conjugale, et l’hétérogamie à la désunion. L’hétérogamie apparaît même, selon lui, au bas de la hiérarchie des facteurs produisant le plus la séparation.
  • [21]
    Alors que le statut socioprofessionnel élevé des femmes et le fait d’avoir des parents eux-mêmes divorcés constituent des facteurs d’exposition au divorce, les enfants, notamment en bas âge, et la pratique religieuse protègent du divorce.
  • [22]
    Voir aussi D. T. Lichter, 2001, et R.M. Blank et R. Haskins (eds.), 2001.
  • [23]
    Pour une analyse de l’impact du PRWORA sur la nuptialité, on pourra se reporter à l’article de M. Bitler et al., 2004. Pour une analyse du lien entre mariage et pauvreté des mères, on pourra consulter T. Daniel et al., 2003. Dans cet article, les auteurs soutiennent que si le mariage est tout spécialement bénéfique aux mères issues de milieux défavorisés, le taux de pauvreté de celles qui divorcent ultérieurement est supérieur au taux de pauvreté des mères qui ne se sont jamais mariées. L’effet du mariage sur la pauvreté est donc dissymétrique. Par ailleurs, le mariage ne saurait en aucun cas réduire la distorsion existant entre les taux de pauvreté des différents groupes ethniques.
  • [24]
    Il s’agit de l’enquête sur la régulation des naissances, dite enquête « Fécondité » effectuée par l’Ined en 1988, dans laquelle ont été interrogées 2 995 femmes âgées de 18 à 49 ans. Voir l’exploitation qui en a été faite par X. Thierry (1993).
  • [25]
    D’après l’enquête « Étude de l’histoire familiale » (1999), dix ans après le début de leur union, 28 % des personnes s’étant mises en couple en 1988 se sont séparées de leur conjoint, 1 % ont perdu leur conjoint, 53 % sont mariées et 18 % vivent toujours en union libre. Parmi les personnes qui se sont mises en couple en 1950, à peine 4 % se sont séparées de leur conjoint dix ans plus tard ; 84 % sont mariées et 11 % vivent en union libre (Vanderschelden, 2006).

1À partir des années 1970, alors que le divorce était en pleine expansion, nombreux ont été les travaux de démographes et de sociologues – dont la revue Population s’est largement fait l’écho – qui ont cherché à mesurer l’évolution de la fréquence du divorce et à en comprendre les mécanismes sous-jacents. Aujourd’hui, alors que divorces et ruptures d’unions se sont banalisés, les travaux sociologiques en France se tournent davantage vers les conséquences de ces ruptures – sur les enfants notamment – que vers l’analyse de leurs déterminants sociologiques. En revanche, aux États-Unis et dans les pays anglo-saxons, il existe toujours une littérature sociologique abondante sur les facteurs associés au divorce, dans une optique clairement affichée de prévention du divorce et de la rupture. Ces différences entre pays dans les orientations de la recherche sur le divorce dépendent largement de considérations politiques et idéologiques. Telle est la thèse soutenue par Anne Lambertdans cet article, qui fait une vaste synthèse et une lecture critique très stimulante de la littérature consacrée au divorce en France depuis Durkheim.

2Très tôt, de nombreuses disciplines se sont intéressées au divorce : la psychiatrie, le droit, la criminologie, etc. Celui-ci constitue à la fois la forme légale de la dissolution du mariage et la rupture d’un type particulier de lien social : le lien conjugal. Abordant tour à tour la question sous l’angle des causes de la désunion, de ses modalités et de ses conséquences, ces disciplines n’ont pas moins contribué à véhiculer une représentation normative du divorce. Jusque dans les années 1960, le mariage était en effet considéré comme le mode normal de l’union conjugale et le divorce apparaissait tantôt comme une tare individuelle, tantôt comme un problème social. La sociologie qui a été associée, dès ses débuts, aux débats sur la crise du mariage et de la famille, a ainsi longtemps souffert de la dévalorisation attachée à l’idée même du divorce (Michel, 1972). Ce n’est qu’avec l’augmentation brusque et massive de la divortialité au milieu des années 1960, et sous l’impulsion du ministère de la Justice, que le divorce a véritablement fait l’objet d’un traitement sociologique.

3Il est vrai que le divorce est demeuré un phénomène relativement marginal pendant près de deux siècles, d’abord parce que le cadre juridique en restreignait la possibilité. La loi révolutionnaire de 1792 (loi de floréal an II) [1] avait mis fin au principe de l’indissolubilité du mariage contenu dans le droit canon de la France d’Ancien Régime. Très libérale, elle avait toutefois rapidement été remise en cause du fait de la hausse soudaine de la divortialité qui avait suivi ; le Code napoléonien a ainsi considérablement restreint les possibilités de divorce et celui-ci fut définitivement interdit en 1816. La loi Naquet (27 juillet 1884) qui avait rétabli le divorce dans le droit français, ne concernait que les cas de fautes graves commises par l’un des époux contre son conjoint (adultère, injures, abandon du foyer conjugal) et la preuve de la faute était indispensable. La procédure était donc très contraignante. Ce n’est qu’avec la loi du 11 juillet 1975, entrée en vigueur le 1er janvier 1976, qu’a été réintroduit dans le droit français le divorce par consentement mutuel [2], aux côtés du divorce pour rupture de la vie commune et du divorce pour faute. La modification du cadre législatif par la loi du 26 mai 2004, entrée en vigueur le 1er janvier 2005, conserve la pluralité des cas de divorces – du divorce sanction au divorce faillite – et continue d’en libéraliser l’accès en allégeant les procédures et en créant entre elles de nombreuses passerelles.

4La banalisation du divorce dans les années 1970 s’est ainsi accompagnée du développement des études macrosociologiques destinées à en accroître la connaissance et à orienter l’action publique dans le cadre de la refonte du Code civil. Toutefois, le recul des mariages, la hausse des divorces et la progression des unions libres qui ont remis en cause l’ordre familial et sexué décrit par Parsons (1955) dans son étude sur la famille nucléaire américaine, ont rapidement donné naissance à de nouveaux modèles théoriques influencés par l’interactionnisme symbolique et l’individualisme méthodologique. Ces modèles du « divorce désamour » (Théry, 1993) qui font l’objet d’un large consensus au sein de la sociologie de la famille, privilégient l’explication du divorce par la fragilité intrinsèque des couples. Par ailleurs, la majorité des études conduites en France dans ce domaine se concentrent désormais sur le temps de l’après-divorce, laissant de côté la question des causes et des modalités du processus de rupture. En rappelant le rôle joué par les inégalités sociales dans les pratiques conjugales, le programme de recherche lancé dans les années 1970 par le ministère de la Justice avait pourtant pointé l’extrême complexité du divorce.

5Cet article vise à faire une revue critique de la littérature sur le divorce dans une perspective sociohistorique. Il a pour ambition de rendre compte, à partir d’une démarche réflexive, de la lente constitution du divorce comme un objet d’étude pour la sociologie. Dans la première partie, le texte retrace les conditions sociales de l’émergence d’un savoir sociologique sur le divorce. L’histoire de la sociologie montre son extrême sensibilité au contexte politique et social dans lequel elle s’est développée : de l’opposition durkheimienne au rétablissement du divorce par consentement mutuel, jusqu’aux travaux réalisés dans le cadre de la refonte du droit de la famille en 1975, le divorce apparaît pris dans des considérations politiques et idéologiques qui dépassent largement les enjeux scientifiques. La deuxième partie du texte met en avant le tournant théorique, méthodologique et épistémologique pris par les sociologues contemporains du couple à partir des années 1980 sous l’influence notamment des travaux anglo-saxons. Elle questionne du même coup le sens de ces évolutions récentes qui semblent nuire à la connaissance du divorce comme fait social.

I – De la question familiale à la refonte du Code civil : les conditions d’émergence de la sociologie du divorce

1 – Science de la morale ou morale de la science ?

6À l’heure de l’institutionnalisation de la sociologie, à la fin du XIXe siècle, une vaste crise sociale et morale agite la société française (Mucchielli, 1998). Non seulement le pays, éprouvé physiquement et moralement par la défaite de 1870, traverse de graves crises politiques (Boulangisme, affaire Dreyfus, scandales financiers) qui menacent la consolidation du jeune régime républicain, mais il doit faire face à la nouvelle « question sociale ». Dans un contexte d’essor du mouvement ouvrier, la mobilité et le déracinement générés par la seconde révolution industrielle semblent conduire, pour les observateurs de l’époque, à la dislocation des familles et à la hausse de la criminalité et de la délinquance juvénile. En ce sens, la famille constitue pour l’élite intellectuelle française de la fin du XIXe siècle un enjeu politique et social majeur : elle apparaît au fondement de la cohésion sociale. Émile Durkheim, témoin de la disparition de l’ordre sociopolitique ancien et père fondateur de la sociologie, voit ainsi dans la famille une instance primordiale de la régulation sociale (Durkheim, 1888). Bien que le divorce n’occupe qu’une place marginale au regard du reste de sa production scientifique, il mène un combat actif, dans deux textes polémiques (Durkheim, 1906 et 1909), contre la proposition de loi relative au divorce par consentement mutuel. Vingt ans après le rétablissement du divorce pour faute proposé par le député d’extrême gauche Alfred Naquet (1884), alors qu’environ un mariage sur vingt s’achevait par un divorce, Durkheim avait en effet pris position dans le vif débat qui opposait progressistes et conservateurs à propos de « la crise du mariage » (Cossart, 2004). Bien que sympathisant socialiste, il s’était engagé aux côtés des conservateurs fidèles au dogme catholique pour défendre le mariage et s’opposer au projet de loi de divorce par consentement mutuel, en mobilisant les conclusions de son travail sur les causes du suicide et les études de Jacques Bertillon (1880 et 1882). Le démographe avait en effet montré que le nombre de suicides en Europe variait comme celui des divorces et des séparations de corps, une corrélation que Durkheim avait retrouvée quelques années plus tard au niveau des départements français : « partout où l’on divorce beaucoup, on se tue beaucoup, partout où l’on divorce peu, on se tue peu » (Durkheim, 1906). Toutefois, Bertillon tenait la fréquence des suicides et des divorces pour un indicateur de la présence de « gens mal équilibrés » parmi la population, ce que Durkheim contestait fermement (pourquoi la Suisse, qui comptait sept fois plus de divorces que la France, aurait-elle plus de « déséquilibrés » ?). Pour ce dernier, l’augmentation du taux de suicide des personnes mariées dans les sociétés où le divorce est le plus répandu traduisait le fait que le divorce affaiblissait considérablement le rôle protecteur du mariage face au suicide. En ce sens, la famille conjugale remplissait aux yeux de Durkheim des fonctions socialisatrice et régulatrice aux noms desquelles il convenait de défendre l’institution matrimoniale.

7Outre le fait que le projet de transformation sociale dépasse ici largement le projet scientifique [3], la fragilité des séries statistiques qui fondent les « variations concomitantes » du Suicide (Durkheim, 1976 [1897]) et la rapidité de l’analyse contextuelle rappellent la grande subjectivité des thèses durkheimiennes sur le divorce. Il est d’ailleurs significatif que Halbwachs n’ait pas repris, dans son étude sur Les Causes du suicide, les conclusions de Durkheim relatives au lien entre divorce et suicide (Halbwachs, 1930). À l’exception du tableau statistique sur la Russie, les seules catégories statistiques mobilisées sont les « célibataires », les « mariés » et les « veufs ». Aussi les thèses de Durkheim sur le divorce ne présentent-elles plus guère qu’un intérêt historique.

2 – L’emprise de l’expertise juridique et psychologique sur le discours savant relatif au divorce

8Le climat politique et intellectuel qui a présidé aux réflexions durkheimiennes sur le divorce a durablement marqué la sociologie. Dès son rétablissement dans le Code civil (1884), le divorce est davantage conçu comme un problème social que comme un objet d’étude, y compris pour les sociologues comme en témoigne l’absence de recherches dans cette discipline pendant près d’un siècle. En fait, l’analyse sociologique du divorce peine à trouver sa légitimité face à la profusion d’essais émanant de médecins, de psychiatres et de juristes et qui ouvrent la voie à une longue tradition d’analyse de la genèse familiale de la criminalité (Lefaucheur, 1989 et 1994). Les experts qui avaient tendance à considérer le divorce comme une tare psychologique trouvaient là une explication possible de la hausse de la délinquance juvénile dans la société française. L’étude pionnière du médecin carcéral et directeur de la circonscription pénitentiaire du Rhône, M. Raux, sur L’enfance coupable, montrait ainsi que les deux tiers des jeunes criminels incarcérés dans le quartier correctionnel de Lyon étaient issus de familles dissolues ou pauvres (Raux, 1890). Repris par l’influent médecin et père de la psychiatrie infantile, Georges Heuyer (1966 [1952]), ainsi que par le juriste Raymond Gassin dans un célèbre manuel de criminologie plusieurs fois réédité [4], le thème de l’explication de la délinquance juvénile par les carences affectives et les désordres psychologiques consécutifs au divorce imprègne encore largement le discours savant sur la dissociation familiale dans l’après-guerre (Mucchielli, 2001). Mais c’est aux décennies 1960 et 1970, véritables « années psy », que l’on doit l’extraordinaire développement des travaux anglo-saxons de psychologie clinique sur les effets psycho-affectifs de la désunion (Martin, 1997).

9Face à la progression rapide de la divortialité tout au long du XXe siècle aux États-Unis (le nombre de divorces prononcés pour 1 000 mariages a triplé entre 1900 et 1959, passant de 75,3 à 259, W. J. Goode, 1963 [5]) et suite à la mise en place du No Fault Divorce Act en 1969, le pouvoir judiciaire américain avait en effet incité les praticiens et la communauté scientifique à analyser le phénomène. La plupart des études convergeaient alors pour souligner l’impact négatif de la dissociation des parents sur le développement social et affectif de l’enfant. Les sociologues, en retrait dans ce débat, n’adoptèrent une perspective critique qu’à la fin des années 1970. Soulignant l’importance des facteurs socio-économiques et culturels dans la genèse de la délinquance, ils rappelaient le caractère normatif des études de psychologie clinique sur le divorce (Léomant, 1974 ; Bourguignon et al., 1985). Plus récemment, Laurent Mucchielli (2001) a entrepris de déconstruire la liaison empirique longtemps établie entre délinquance juvénile et séparation conjugale.

10En fait, la question s’est progressivement déplacée, sous le regard des sociologues, des effets de la désunion sur la délinquance juvénile à son impact sur l’échec scolaire. La virulence des débats en la matière témoigne de la permanence de la représentation du divorce comme comportement déviant dans l’opinion commune. Si, selon Claude Martin (1997), huit enfants de divorcés sur dix ne présentent aucun retard scolaire, un taux identique à celui des « familles intactes », Paul Archambault (2001 et 2002) démontre que la séparation des parents avant la majorité de l’enfant est systématiquement associée à une réduction des chances scolaires et de la durée des études, de six mois à un an en moyenne. Pour l’économiste Thomas Piketty, qui a notamment étudié le devenir scolaire d’une cohorte d’élèves entre 1995 et 2002, il apparaît difficile de déduire une relation causale entre la moindre réussite scolaire des enfants de parents divorcés et la rupture conjugale. Les conflits et les carences affectives pourraient en effet jouer un rôle tout aussi important sur la carrière scolaire (Piketty, 2003).

11Aujourd’hui, alors que le divorce s’est banalisé dans la société française, le discours savant reste encore largement dominé par l’expertise psychologique et juridique. Parce que la norme est au « bon divorce », c’est-à-dire à la gestion pacifiée du conflit et au respect du principe de coparentalité (Théry, 1993), les psychologues et les médiateurs familiaux constituent désormais, aux côtés des avocats et des juges aux affaires familiales, des acteurs centraux dans le processus de rupture. Médiatisée par la presse féminine, par l’édition de guides pratiques sur le divorce ainsi que par la création de sites spécialisés en ligne, la parole des experts s’adresse ainsi aux divorcés, futurs ou anciens, afin de les accompagner dans la gestion technique et affective de la rupture. En retour, face à l’inflation du nombre d’experts prodiguant des conseils, le discours sociologique peine d’autant plus à trouver sa légitimité qu’il ne revêt pas d’utilité pratique immédiate. En outre, il ne mobilise plus que rarement les « grandes » variables sociologiques telles que le niveau d’étude, le revenu, ou la catégorie socioprofessionnelle, témoignant en cela du déclin plus général de l’intérêt pour la problématique des classes sociales au sein de la discipline. Les explications de la crise du couple par les désajustements quotidiens, dans une perspective microsociologique, rapprochent dès lors le savoir sociologique de la psychologie, jusqu’à en brouiller les frontières.

3 – La complexité de l’appareil d’enregistrement et la marginalité statistique comme freins à l’analyse

12Plusieurs raisons peuvent expliquer l’intérêt tardif des sociologues français pour le divorce outre l’emprise de l’expertise juridique et psychologique sur le discours savant. En effet, les chiffres du divorce ont longtemps été ignorés ou méconnus à la fois des sociologues et des démographes du fait de la complexité et de la médiocrité de l’appareil statistique d’enregistrement (Sardon, 1996). Jusqu’en 1970, date de la première rénovation du système statistique du ministère de la Justice, les données sur le divorce provenaient soit du Compte général du ministère de la Justice [6], soit de l’exploitation des bulletins statistiques de l’état civil, mais elles ne se recoupaient que partiellement. Le comptage systématique des demandes de divorce et des jugements prononcés dans le cadre des statistiques d’activité des tribunaux, qui avait été mis en place en 1884 suite au rétablissement du divorce dans le droit français, était peu fiable en raison de l’imprécision des renseignements transmis par les greffiers des tribunaux de grande instance à l’administration centrale de la Justice. Les statistiques ne fournissaient par ailleurs pas de données sur les divorces traités en appel et ne comportaient aucun renseignement sur les caractéristiques sociodémographiques des justiciables. Pour autant, l’exploitation entre 1946 et 1974 par la Statistique générale de la France, devenue Insee, des registres de l’état civil, n’a constitué qu’une réponse imparfaite au problème. Si la mention du jugement du divorce en marge de l’acte de mariage sur les registres de l’état civil était devenue obligatoire, les délais de transcription et la non-transcription d’environ 10 % des divorces prononcés chaque année entachaient la valeur des statistiques issues de l’état civil (Munoz-Pérez, 1993). Ainsi, les deux sources principales d’informations sur le divorce présentaient chacune des défauts qui limitaient leur possibilité d’exploitation.

Figure 1

Indicateur conjoncturel de divortialité

Figure 1

Indicateur conjoncturel de divortialité

Sources : J.-P. Sardon (1996) et F. Prioux (2007).

13Difficilement mesurable, la croissance du nombre de divorces a aussi été lente et modérée entre 1884 et le début du XXe siècle, avant de se stabiliser à un niveau relativement bas (figure 1). À l’exception des pics de 33 000 divorces en 1920 et de 64 000 divorces en 1946 liés aux rattrapages des après-guerres et aux régularisations des situations nouvelles issues des conflits (la guerre entraînant de fortes perturbations dans la vie des couples – P. Festy, 1988b), environ 30 000 divorces étaient prononcés chaque année. De fait, le niveau de divortialité en France au début du siècle était donc plutôt bas : l’indice conjoncturel de divortialité, qui mesure la proportion de mariages qui se dissoudront par divorce si les tendances observées pour chaque durée de mariage l’année considérée perdurent, n’a pas dépassé 10 % entre 1884, date du rétablissement du divorce dans le Code civil, et le milieu des années 1960. Le nombre de divorces n’a véritablement augmenté qu’à cette époque, d’abord à un rythme modéré puis de façon accélérée [7].

14Comme le résume Louis Roussel, « les divorces ont jusqu’ici été un point faible de la statistique et des études démographiques parce qu’ils n’ont longtemps joué qu’un rôle secondaire et que leur étude se heurte à des difficultés spécifiques » (Roussel, 1970, p. 275).

4 – Le rôle de la démographie et de la demande sociale dans l’essor de la sociologie du divorce

15Tandis que les sociologues sont apparus, pendant près d’un siècle, comme les grands absents du champ de l’analyse du divorce, les démographes ont progressivement constitué une connaissance sociodémographique et statistique de la désunion. Le premier ouvrage de démographie quantitative sur le divorce, Le Divorce en France, émane d’un juriste de formation (Desforges, 1947). Il constitue d’ailleurs encore en 1972, selon les propos d’Andrée Michel qui réalise alors la première synthèse des savoirs en sociologie de la famille, « la plus récente enquête en France » sur ce sujet (Michel, 1972, p. 155). À l’aide de séries statistiques, Desforges avait retracé l’évolution du divorce « dans le temps », « dans l’espace » et « dans la conjoncture démographique et économique » afin de mesurer l’influence de facteurs macrosociologiques tels que la législation, la guerre, la religion ou le statut socioprofessionnel sur la divortialité. Il semble que ce soit en réaction à cet ouvrage, par ailleurs critiqué quant à la qualité de l’information statistique mobilisée, que les démographes de l’Ined, institution créée par l’ordonnance du 24 octobre 1945, aient inscrit le divorce au rang de leurs objets d’étude. Le compte rendu critique de l’ouvrage de Desforges par Ledermann précède en effet d’à peine un an [8] le premier article de Population, la revue de l’Ined, consacré à ce sujet. Si pour Ledermann (1948) rien ne permet d’affirmer que les lois autorisant le divorce aient été défavorables à la natalité française [9], Louis Roussel écrira plus tard du travail de Desforges qu’il « est avant tout une œuvre polémique, contre l’institution du divorce » (Roussel, 1974, p. 109). Suite au décès prématuré de Ledermann en 1967, et devant l’augmentation massive du phénomène, Louis Roussel et Chantal Blayo ont repris au sein de l’Ined la charge du suivi de l’évolution de la divortialité, dans une perspective essentiellement descriptive (Roussel, 1970 ; Blayo, 1973). Le véritable essor de la sociologie du divorce date du milieu des années 1970, alors que se constitue autour du doyen Jean Carbonnier un groupe d’experts chargés de préparer la grande réforme du Code civil (Vérin, 1973 ; Festy et Prioux, 1975 ; Boigeol et al., 1974 et 1975 ; Festy et al. 1975).

16Les démographes de l’Ined avaient en effet enregistré une progression des divorces aussi forte qu’inattendue dès 1964. Leur nombre était passé de 32 000 en 1963 à plus de 40 000 en 1971. La puissance publique, soucieuse d’adapter ses institutions à l’évolution des mœurs, souhaita alors appuyer la réforme du divorce sur de solides données statistiques couvrant à la fois les aspects sociologiques, démographiques et juridiques du phénomène. Les sociologues travaillèrent ainsi aux côtés des démographes et des juristes sur deux grands chantiers orchestrés par le ministère de la Justice, véritable « maître d’œuvre » (Roussel, 1974, p. 110) de la réforme. Le premier chantier, qui consistait en une enquête auprès de 900 personnes qui avaient divorcé entre 1960 et 1969 et une enquête d’opinion auprès de l’ensemble de la population française (1972), fut mené à l’initiative du ministère de la Justice, en étroite collaboration avec le Laboratoire de sociologie juridique de l’université Paris II, créé et dirigé par le doyen Jean Carbonnier, et le département de psychosociologie de l’Ined [10].

Jean Carbonnier et la sociologie juridique [*]

Éminent civiliste et professeur d’université reconnu, Jean Carbonnier (1908-2003) se définissait lui-même à la fois comme juriste et sociologue. Rédacteur des avant-projets des réformes du droit de la famille qui ont eu lieu entre 1964 et 1975 (tutelle, régimes matrimoniaux, adoption, autorité parentale, filiation), il est notamment à l’origine de la grande réforme du droit du divorce de 1975 qu’il a largement contribué à faire évoluer. Carbonnier a aussi durablement marqué la sociologie du droit. Œuvrant au rapprochement des juristes et des chercheurs en sciences sociales, il a très tôt apporté son soutien à la création du Comité de recherche en sociologie du droit de l’Association internationale de sociologie. En 1968, il a fondé avec l’aide de Jacques Commaille et de Jean Hauser un Laboratoire de sociologie juridique au sein de l’université Panthéon-Assas, dont il a assuré la direction jusqu’à sa retraite. Auteur de nombreux ouvrages parmi lesquels un célèbre Manuel de droit civil en cinq volumes (1955) et un ouvrage de Sociologie juridique (1972) régulièrement réédités, Carbonnier a aussi été chroniqueur puis président pendant une quinzaine d’années du comité de direction de L’Année sociologique. Conscient des excès du droit positif et attentif à la « demande de droit » de ses concitoyens, Carbonnier s’est fait l’apôtre du « non-droit » ou du « droit flexible », c’est-à-dire d’un droit sensible à l’évolution des mœurs. Traduction immédiate de sa conception du droit, son empirisme irréductible – comme le choix d’appuyer la réforme du divorce sur une vaste enquête sociologique – a révolutionné l’art de légiférer.

17L’objectif de ces enquêtes était de connaître le point de vue des divorcés et, plus largement, l’image du divorce dans l’opinion des Français. Il s’agissait de mesurer les difficultés rencontrées par les divorcés lors de la procédure et leur degré de satisfaction à l’égard du jugement rendu (garde, pension alimentaire, droit de visite), et d’évaluer l’écart entre l’opinion publique et la législation mise en œuvre dans le Code civil, dans une perspective de comparaison des législations européennes. En même temps, le ministère de la Justice mit en place une « enquête statistique spéciale sur le divorce » entre 1970 et 1978. Ce second chantier, pris en charge par l’Insee, fut rendu possible grâce à la rénovation du système statistique d’enregistrement. Une série de bulletins devait être remplie à chaque étape de la procédure par les juridictions, mentionnant les propriétés sociales des époux (date de naissance, date de mariage, profession, nombre et dates de naissance des enfants) ainsi que les aspects judiciaires de leur affaire (demande en divorce, motif de la demande et résultat du jugement) (Munoz-Pérez, 1993). La publication des résultats de l’enquête apporta ainsi une connaissance nouvelle de la divortialité des Français (Baillon et al., 1981 ; Boigeol et al., 1984). Le divorce apparaissait plus répandu dans les grandes agglomérations que dans les campagnes, et plus fréquent chez les employés, les cadres moyens et le personnel de service que chez les ouvriers, les agriculteurs et les patrons du commerce et de l’industrie. De même, alors que le divorce par consentement mutuel, récemment réintroduit dans le Code civil par la réforme du 11 juillet 1975, ne concernait que 35 % des demandes totales de divorce en 1977, il apparaissait nettement plus fréquent chez les cadres supérieurs que chez les ménages dans lesquels l’époux était ouvrier ou personnel de service. Enfin, les femmes se trouvaient plus souvent à l’origine des demandes de divorce que les hommes.

18Parallèlement se constituait le Groupe international de recherche sur le divorce (GIRD) interdisciplinaire, soutenu financièrement en France par l’Ined et le service de coordination de la recherche du ministère de la Justice, et en Suisse par le Centre d’étude, de théorie et d’évaluation législatives de l’université de Genève. Issu du 13e Séminaire de recherche sur la famille, organisé par l’Association internationale de sociologie en septembre 1973, le GIRD, qui avait pris acte de la hausse tendancielle de la divortialité en Europe au cours des années 1960-1970, cherchait autant à mesurer l’ampleur du phénomène qu’à en comprendre les ressorts. L’originalité de ce projet résidait dans la démarche comparative, par monographies de pays : en rassemblant pour chacun des douze – puis quinze – pays d’Europe de l’Ouest étudiés, des séries statistiques sur le divorce et des notices juridiques sur les principales évolutions législatives, les auteurs cherchaient à repérer d’éventuels liens de causalité entre la fréquence du divorce et sa régulation juridique, c’est-à-dire à mettre en rapport « la Loi » et « le Nombre ». Suite à la publication d’un premier ouvrage en 1975 (Festy et al. 1975), le travail du GIRD a été complété et actualisé en 1983 (Commaille et al., 1983), concluant à l’absence de corrélation générale entre l’évolution observée de la divortialité dans les différents pays européens et les réformes législatives qui s’y étaient opérées. Celles-ci ne constituaient qu’une étape d’un changement beaucoup plus large du système matrimonial et ne provoquaient donc pas de rupture brutale dans l’attitude des couples mariés. Ainsi, l’histoire de l’institutionnalisation de la sociologie du divorce révèle l’importance du décideur public et de la demande sociale dans le développement de ce champ scientifique. Les grandes enquêtes sur le divorce réalisées à cette époque constituèrent de réelles avancées dans la connaissance du phénomène.

II – Les nouvelles orientations de la recherche

1 – Du divorce à l’après-divorce

19Le caractère macrosociologique des études sur le divorce menées au cours des années 1970 dans le cadre de la refonte du Code civil, suite à la forte progression de la divortialité, contraste avec l’orientation microsociologique des analyses contemporaines de la désunion. Le cloisonnement des objets de recherche et la focalisation sur le temps de l’après-divorce conduisent par ailleurs à une fragmentation des savoirs autour de la question des foyers monoparentaux (Lefaucheur, 1985, 1986, 1991 ; le Gall et Martin, 1987), des « enfants du divorce » (Neyrand, 1994 ; Archambault, 2001 et 2007 ; Martin, 2007), de la place des pères divorcés (Bertaux, 1990 et 1991), du statut des beaux-parents et des familles recomposées (Meulders-Klein et Théry (dir.), 1993 ; Martin, 1997 ; Cadolle, 2000). D’autres études se sont intéressées à la procédure judiciaire, soulignant la logique de privatisation du divorce (Bastard et al., 1987), ou à ses « à-côtés » : rôle de la médiation familiale dans la gestion du conflit (Bastard et Cardia-Vonèche, 1990 ; Bastard, 2002), paiement des pensions alimentaires (Festy et Valetas, 1993). Enfin, les recherches menées depuis le début des années 1980 ont porté sur les événements biographiques consécutifs au divorce : trajectoire résidentielle des femmes après la séparation (Festy, 1988a, 1990 et 1992), évolution et recomposition des pratiques conjugales et sexuelles des ex-conjoints (Festy, 1988, 1991 ; Festy et Valetas, 1990 ; Cassan et al., 2001 ; Beltzer et Bozon, 2006). Certes certains sociologues se sont intéressés à l’impact de la précarité professionnelle et du chômage sur le couple (Herpin, 1990 ; Paugam, 1994), sans toutefois parvenir à déterminer de manière univoque le sens de la causalité [11]. Commaille (1999) y voit d’ailleurs un effet des difficultés méthodologiques liées à ce type d’enquêtes [12]. Cependant la banalisation du divorce semble s’être accompagnée du déplacement des orientations de recherche des causes et des circonstances du divorce vers la question de l’après-divorce. Aujourd’hui, « on ne s’interroge plus sur ses causes spécifiques mais sur ses effets, à court et moyen terme, le mode de vie qu’il engage, les recompositions familiales qu’il va engendrer » (Théry, 1993, p. 232). Pour François de Singly, « il est d’ailleurs tout à fait significatif que peu de travaux – sinon aucun – n’aient porté sur la période précédant la demande de divorce. En France, aucun appel d’offres du ministère ou d’une institution n’a demandé de comprendre les raisons d’un tel succès, la production d’une telle évidence du divorce » (de Singly, 1999, p. 16). L’enquête spéciale sur le divorce menée de 1970 à 1978 n’a en effet jamais été reconduite en raison de la lourdeur du protocole et de son coût croissant lié à la progression du divorce dans la société française. Quant au bilan démographique annuel de l’Ined, il constitue un état des lieux utile mais essentiellement descriptif de l’évolution de la divortialité. Si le déplacement du champ de la recherche sociologique tient bien évidemment à l’évolution de l’objet de recherche lui-même (stabilisation du taux de divorce dans la société française, progression des unions libres et des séparations sans divorce), il semble en outre tenir à un tournant épistémologique qui ne doit pas masquer les obstacles idéologiques et surtout méthodologiques.

2 – Quand le divorce devient une évidence statistique

20L’abandon des recherches sur les causes du divorce coïncide avec la relative stabilisation du taux de divorce au cours des années 1990, après vingt années de progression soutenue. Entre 1995 et 2000, 38 divorces pour 100 mariages étaient en effet prononcés chaque année en France. L’évolution du champ de recherche semble ainsi fortement liée à la banalisation du divorce dans la société française, même si la progression des unions sans mariage (concubinage) et des séparations sans divorce (séparation de fait) lui fait perdre un peu de sa prééminence dans le paysage des ruptures : concernant plus du tiers des mariages, le divorce serait devenu « naturel » aux yeux des sociologues et de la puissance publique (Commaille, 1991).

21Devant l’évolution des mœurs, le législateur a ainsi cherché à libéraliser le divorce par une série de dispositions législatives chargées d’affaiblir la logique normative du Code civil au profit d’une logique sociale (Commaille, 1996). Le Code civil s’attache désormais davantage à réguler les effets du divorce qu’à en contrôler l’accès, comme en témoigne la progression des articles de loi portant sur l’après-divorce (garde d’enfant, effet matériel et financier) au détriment de ceux qui, consacrés aux causes du divorce, en restreignent les possibilités. La loi du 11 juillet 1975 avait déjà élargi les cas de divorce en réintroduisant dans le droit français, aux côtés du divorce pour faute, le divorce par consentement mutuel (soit à la demande conjointe des époux, soit à la demande d’un époux acceptée par l’autre) et le divorce pour rupture de la vie commune. La loi du 26 mai 2004, tout en conservant la pluralité des modalités de divorce, a allégé les procédures et supprimé l’obligation d’indiquer les motifs du divorce. Elle a aussi organisé la liquidation des régimes matrimoniaux très en amont de la dissolution du lien conjugal en dissociant l’établissement des torts conjugaux du règlement des effets du divorce. En définitive, devant l’évidence statistique du phénomène et la familiarité entretenue avec celui-ci, les causes du divorce n’apparaissent plus comme une question prioritaire aux yeux des sociologues.

22Il est d’ailleurs significatif que l’essentiel des données statistiques contemporaines concernant le divorce, qu’elles soient obtenues en sous-produit de la gestion des juridictions ou par le biais des grandes enquêtes démographiques de l’Ined, soient exploitées dans une perspective essentiellement démographique. Les données récentes disponibles proviennent en effet de l’Annuaire statistique du ministère de la Justice et des enquêtes « Famille » (1990) [13] et « Étude de l’histoire familiale » (1999) de l’Insee et de l’Ined, qui sont accolées au recensement de la population. Rétrospectives et auto-administrées, ces enquêtes comportent un questionnaire de quatre pages s’adressant aux femmes, avant d’être étendu aux hommes en 1999. Ce questionnaire permet de connaître la catégorie socioprofessionnelle des enquêtés au moment de l’enquête, ainsi que celle du dernier conjoint au moment du divorce ou de la séparation, uniquement si l’enquêté n’a pas formé de nouvelle union. En revanche, il ne comporte aucune donnée sur les revenus, actuels ou passés. Par ailleurs, sur les recommandations de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), l’interrogation sur l’histoire conjugale a été limitée à deux unions – la première et la dernière – laissant dans l’ombre la complexité de certaines histoires conjugales. Si plusieurs publications issues de ces enquêtes évoquent la question du divorce, elles portent essentiellement sur la définition des nouvelles configurations parentales et conjugales après la désunion. Deux publications traitent plus directement des ruptures d’union, mais avec des approches très spécifiques : l’une concerne les hommes détenus (Cassan et Mary-Portas, 2002) et l’autre apporte un regard essentiellement démographique (Prioux, 2005).

23D’autres enquêtes ponctuelles sur les transformations des structures familiales ont été conduites par l’Ined, telle l’enquête « Les femmes face au changement familial » de 1985. Conçue par Patrick Festy et Marie-France Valetas, et conduite auprès d’un échantillon représentatif de 2 300 femmes divorcées ou séparées entre 1968 et 1982, l’enquête permettait de reconstituer précisément la biographie matrimoniale des enquêtées (devenir de chaque type d’union, fécondité, rang de l’union, caractéristique de l’union avant séparation) et de caractériser la situation socioprofessionnelle des conjoints. Toutefois l’exploitation de l’enquête est restée essentiellement tournée vers l’après-divorce (paiement des pensions alimentaires, avenir du nom d’usage des femmes après la séparation, mobilité résidentielle, formation de nouvelles unions et transformation de la structure familiale) et aucune publication n’a porté sur la diversité des causes et des modalités de rupture en lien avec le milieu social des enquêtés. Quant à l’Annuaire statistique du ministère de la Justice qui remplace depuis 1980 le Compte général, il n’établit de statistiques que sur les demandes de divorce, la nature des jugements prononcés et les caractéristiques démographiques des justiciables (âge des conjoints au moment du divorce, durée du mariage, nombre d’enfants). Ces données sont donc insuffisantes pour permettre de procéder à une analyse sociodémographique plus fine des ruptures d’union.

24Grâce à ces différentes sources statistiques, les sociologues ont donc une bonne connaissance du calendrier des divorces contemporains – ils sont les plus fréquents après cinq années de mariage, notamment pour les couples sans enfant – ainsi que des événements biographiques consécutifs à la désunion. Mais l’avant-divorce, qui reste considéré comme du ressort du privé et du psychologique, reste dans l’ombre de l’analyse sociologique.

3 – Résistances pratiques et idéologiques

25En réalité, certains obstacles idéologiques peuvent également expliquer le tarissement des études consacrées à l’avant-divorce. Pour François de Singly, « tout se passe en effet comme si les sociologues (français) […] considéraient que le fait d’étudier l’avant-divorce pourrait être interprété comme une résistance au divorce, comme une manière de prévenir cet acte, comme un signe de familialisme, de défense de la famille classique » (de Singly, 1999, p. 17). C’est même l’une des raisons principales pour lesquelles, selon Irène Théry (1993), les sociologues se sont détournés des causes du divorce après s’y être beaucoup intéressés. Étudier les origines du divorce relevait traditionnellement d’un travail sur la déviance dont les juristes et les psychiatres ont longtemps été, comme nous l’avons vu, les principaux instigateurs. De plus, l’expertise psychologique qui concurrence directement le savoir sociologique en matière de divorce nie l’hétérogénéité sociale des familles et ramène la crise conjugale à un pur conflit interindividuel. La montée du « psychologisme juridique » en matière de divorce s’est ainsi faite au détriment d’une réflexion d’ensemble sur le processus social et familial dans lequel intervient la rupture : « plus on décline “les familles” au pluriel, plus on pense “le divorce” au singulier : on ne distingue plus les divorces issus de graves problèmes économiques ou de maltraitances réelles, du divorce désamour, modèle des classes moyennes intellectuelles auquel tout un chacun doit “raisonnablement” se conformer. […] Le débat sur l’intérêt de l’enfant ignore totalement ce qui saute aux yeux des responsables des politiques sociales, l’existence de deux grandes catégories de divorcés, très nettement séparés par une véritable barrière sociale, culturelle et économique » (Théry, 1993, p. 171-172).

26S’ajoutent à cette résistance idéologique des obstacles pratiques liés à la spécificité de l’objet d’étude [14]. En effet, deux grandes barrières institutionnelles empêchent le sociologue de pénétrer dans l’arène judiciaire : si le magistère d’un avocat est obligatoire dans la procédure de divorce, le secret professionnel lie ce dernier à ses clients, tandis que les audiences de conciliation se tiennent à huis clos dans le cabinet des juges aux affaires matrimoniales. L’enquête ethnographique implique par ailleurs de se frotter à la parole des enquêtés et de surmonter leur réticence première liée au caractère souvent douloureux de la rupture. Les personnes divorcées candidates à l’entretien ne sont en effet pas nombreuses tant il est vrai que le divorce est vécu sur le mode de l’intime et, encore bien souvent, sur celui de l’échec personnel. La difficulté d’obtenir des entretiens croisés entre les conjoints, les effets de recomposition propres à la mémoire ou liés à l’attribution des responsabilités dans la faillite conjugale, rendent tout aussi problématique le statut de la parole des enquêtés. Pourtant, si « les choses dites ne sont pas des informations immédiatement vraies sur le monde, pas plus qu’elles n’équivalent à des réalités directement observées et contrôlées par l’enquêté, […] leur valeur est souvent irremplaçable » (Schwartz, 1993, p. 283), soit qu’elles constituent les seuls modes d’accès à l’objet de recherche, soit qu’elles sont imprégnées du savoir et de l’expérience des enquêtés.

4 – Rupture épistémologique et succès du paradigme individualiste

Vers une approche relationnelle du couple

27L’analyse du divorce a fait l’objet de développements théoriques et empiriques variés. Tandis que de nombreux travaux statistiques ont été menés en France, comme nous l’avons vu, dans le cadre de la refonte du Code civil, la montée de l’expertise psychologique dans les années 1980 et la banalisation du divorce se sont accompagnées du développement des thèses sociologiques centrées sur l’individu (Touraine, 1984). L’influence du modèle interactionniste d’une part et de la théorie du choix rationnel développée par Gary Becker [15] d’autre part se traduisent en effet par un changement d’approche dans le traitement du divorce. Les tenants de la théorie du choix rationnel, dont l’audience est relativement limitée en sociologie, privilégient l’explication du divorce par le coût croissant de l’union pour au moins l’un des partenaires : lorsque les satisfactions tirées du mariage sont plus faibles que les gains espérés de la désunion, c’est-à-dire lorsqu’il y a désutilité, les conjoints ont intérêt à rompre leur union. La décision de divorcer constitue, de ce point de vue, le fruit d’un arbitrage (Becker et al., 1977 ; Lemennicier, 1980). Influencée par l’interactionnisme symbolique, la microsociologie de la famille, aux développements beaucoup plus nombreux [16], a cherché à distinguer à l’intérieur de la catégorie générale de la famille nucléaire différents styles d’interactions conjugales (Roussel, 1980 ; Kellerhals et al., 1982 et 2004). Ces analyses, qui s’appuient parfois sur une méthodologie innovante comme l’exploitation de données de panel sur dix ans (Kellerhals et al., 1982 et 1985), entendent mesurer les conséquences de l’adhésion à l’idéal d’autonomie individuelle sur la longévité des couples. Dans cette perspective, les modèles contemporains de mariage se trouvent fondamentalement fragilisés par des changements qui tiennent à leur finalité intrinsèque et à la priorité accordée à l’individu sur le groupe. Au sein du « mariage association » qui semble remplacer, pour Louis Roussel (1980), le « mariage institution », le couple fonctionne comme une équipe et l’investissement des conjoints est plus faible [17]. Le divorce devient, en cas d’échec, l’issue logique du mariage, l’association n’offrant plus les avantages qui avaient présidé à sa formation. La hausse de la fréquence des divorces apparaît dès lors comme la conséquence de son passage « d’un statut de recours ultime à celui de solution normale, et donc de celui de procédure rare à celui de démarche banale » (Roussel, 1980, p. 925).

28Une seconde tradition d’analyse, marquée par l’école de Chicago et par le travail pionnier de Berger et Kellner (1988 [1964]), a cherché à analyser les conflits conjugaux à partir des difficultés relationnelles du couple. L’absence de conversation conjugale, au fondement de l’ajustement des attentes réciproques et de la construction conjointe des identités, et le désenchantement amoureux produit par la routine du quotidien, apparaissent alors comme des ressorts centraux de la désunion (Théry, 1993 ; de Singly, 2000 ; Kaufmann, 2007). Avec l’étude du Couple à l’âge de la retraite, Vincent Caradec (1996) s’inscrit lui aussi dans l’analyse relationnelle du couple en décrivant les recompositions (par ajustement) et les ruptures (quand l’ajustement est impossible) de la vie conjugale entraînées par le passage à la retraite, qui marque l’effacement des rôles professionnels qui structuraient fortement les emplois du temps des conjoints. François de Singly propose, dans le prolongement de ces recherches, de réaliser une « sociologie de la déception » (de Singly, 1999, p. 19) qui expliquerait précisément le passage de la satisfaction à l’insatisfaction conjugale et qui décrirait les modalités d’expression du mécontentement conjugal. Ses travaux sur L’individualisme dans la vie commune (de Singly, 2000) se nourrissent du modèle de la « relation pure » proposé par Anthony Giddens (1992) comme forme idéale de la vie conjugale dans les sociétés avancées, sans toutefois s’y conformer. Pour Anthony Giddens en effet, la démocratisation de la vie personnelle signe l’avènement d’une relation sexuellement et émotionnellement égalitaire où seuls comptent le libre consentement, l’autonomie individuelle et la qualité des échanges. Dans cette relation idéale marquée par le primat de l’intimité personnelle sur l’intimité conjugale – et dont François de Singly (2003) a fait la critique – l’instabilité constitue un état normal de la relation amoureuse (Beck et Beck-Gernsheim, 1990).

Influences américaines et modèles de déficit

29En fait, les approches interactionnistes et relationnelles du couple se sont développées en réaction aux « modèles de déficit [18] » très tôt explorés par la sociologie américaine de la famille (Goode, 1951 et 1962 ; Blood et Wolfe, 1960 ; Burgess et al., 1963 ; Whitehurst, 1968) [19]. Selon ces modèles, la plus forte propension à divorcer de certains couples s’explique prioritairement par le manque de ressources socioéconomiques (faibles revenus, absence de diplôme), les carences de la socialisation conjugale (mariage précoce, absence de cohabitation juvénile) et les différences culturelles entre les conjoints (hétérogamie, mariages mixtes, différences religieuses). Or, avec le tournant des années 1980, les modèles culturalistes comme les modèles économicistes ont semblé perdre de leur pouvoir heuristique en ne permettant pas d’expliquer la hausse soudaine de la divortialité survenue quelques années auparavant (Kellerhals et Roussel, 1987). Par ailleurs, des recherches empiriques remirent en cause certaines liaisons statistiques établies dans ces modèles [20].

30Malgré ces critiques, cette tradition de recherche est restée très présente à l’étranger, notamment dans les pays anglo-saxons et aux Pays-Bas, où de nombreux modèles économétriques ont été construits. À la suite de l’article fondateur de Goode (1951) qui établissait une corrélation statistique entre faible position économique et forte divortialité, ils visent à tester le lien de causalité entre variables déterminées : statut socioprofessionnel des femmes, niveau d’études, nombre d’enfants, mais aussi état de santé, pratique religieuse, conjoncture macroéconomique – faisant varier les facteurs culturels et économiques (Kalmijn et al., 2004). Dans le numéro spécial de la revue European Sociological Review (2006, vol 22, n°5) consacré au divorce, quatre des cinq articles présentés procèdent ainsi à l’étude quantitative des déterminants sociaux du divorce tandis qu’un seul article porte sur l’étude comparée des conséquences économiques du divorce en Europe (Andreß et al., 2006). Alors que l’effet de la religion, du statut socioéconomique de la femme, du divorce des parents et de la présence des enfants sur le taux de divorce semble stable dans le temps [21] (de Graaf et Kalmijn, 2006), la nouveauté serait liée à la surexposition des classes populaires au divorce (Dronkers et Harkonen, 2006), confirmant la thèse de Goode (1962) sur la démocratisation de l’accès au divorce. D’après ces enquêtes quantitatives, les individus les moins diplômés présenteraient désormais les plus forts taux de divorce parce qu’ils cumuleraient les difficultés économiques et qu’ils seraient moins dotés en ressources communicationnelles que les classes supérieures qui, bien que sous-représentées dans les mariages contemporains, auraient des stratégies de reproduction sociale extrêmement fortes jouant comme un antidote au divorce. Pour autant, l’effet du capital culturel sur la divortialité n’est pas tranché. D’après les travaux de Lyngstad (2006), les couples dont les parents ont un haut niveau de diplôme ou qui appartiennent à un milieu favorisé divorcent plus que les autres : issus d’une culture bourgeoise plus libérale et moins empreinte de valeurs religieuses, ils recevraient aussi plus souvent de la part de leurs parents un soutien psychologique et matériel au moment de la rupture conjugale.

31D’autres articles complètent l’approche socioéconomique et macrosociologique du divorce en s’attachant à tester l’influence de variables isolées telles que l’état de santé des conjoints (Wilson et Waddoups, 2002), le travail des femmes (Poortman, 2005 ; Kalmijn et Poortman, 2006), ou encore l’indice de confiance des consommateurs relativement à la situation économique du pays (Fischer et Liefbroer, 2006) sur la divortialité. Ainsi par exemple, aux Pays-Bas, le taux de dissolution des premières unions apparaît plus fort en période de récession économique, c’est-à-dire quand l’indice de confiance des consommateurs est bas et ce, quel que soit le niveau de diplôme des conjoints ; selon Fischer et Liefbroer, cela s’explique par la pression plus forte qui pèserait sur les ménages durant ces périodes. De même, il apparaît que les couples matures (« mid-life ») qui présentent un état de santé comparable ont moins de risques de divorcer que les couples à l’état de santé dissymétrique. Toutefois, « l’effet santé » apparaît significatif pour les seuls couples qui ont jusqu’alors été satisfaits de leur union, c’est-à-dire les couples dont le fonctionnement heureux sera effectivement perturbé par la dégradation significative de l’état de santé d’un des conjoints ; pour les couples malheureux, « l’effet santé » est faible. Au final, il serait trop long de faire ici le tour des facteurs d’exposition au divorce récemment examinés dans la littérature anglo-saxonne. Mais force est de constater la vigueur de la recherche dans ce domaine, qui privilégie un modèle explicatif extraconjugal.

5 – Le couple comme nouvelle catégorie de l’action publique ?

32Si la divergence d’approche entre la sociologie française, centrée sur l’après-divorce, et la sociologie anglo-saxonne, dont les analyses portent plus fréquemment sur les facteurs et les processus de rupture, peut s’expliquer par la spécificité des traditions scientifiques nationales, elle révèle aussi l’importance du facteur politique dans la constitution et l’orientation des champs d’analyse respectifs. Une partie de la recherche sociologique américaine sur le divorce s’est par exemple nourrie du débat initié, depuis le milieu des années 1990, par la réforme de l’État providence qui a abouti à la mise en place d’une politique publique explicitement tournée vers la promotion du mariage et la restriction du nombre de divorces. Cette politique s’inscrit par ailleurs dans le cadre plus général des politiques de lutte contre la pauvreté et la délinquance des mineurs. L’objectif du Personal Responsibility and Work Opportunity Reconciliation Act de 1996 (PRWORA) était en effet de limiter la dépendance des familles pauvres envers l’État américain en renforçant les incitations au travail – par exemple, en limitant la durée totale de versement des allocations dans la vie d’un individu – mais aussi en « encourageant la formation et la survie de familles biparentales » (Sigle-Rushton et McLanahan, 2002, p. 522) [22]. Peu développé dans un premier temps, ce dernier aspect du PRWORA a ensuite été renforcé par la mise en place au niveau fédéral d’incitations financières pour les États qui mèneraient des politiques ostensiblement favorables au mariage (création de « primes de mariage » pour les couples qui se marient avant la naissance de leur enfant, cours de préparation au mariage dans les collèges et lycées, restriction de l’accès aux allocations pour les conjoints non mariés, création de programmes de tutorat conjugal). Au total, l’argumentaire politique selon lequel le recul du mariage serait une des principales causes de la pauvreté s’est nourri tout autant qu’il a suscité une importante production scientifique, sans que celle-ci parvienne à déterminer la nature du lien entre mariage, divorce et pauvreté [23]. Ainsi, alors que certains voient dans le mariage un rempart contre la pauvreté, et donc une alternative à l’assistance publique (Horn et Sawhill, 2001 ; Murray, 2001), d’autres imputent une grande partie des différences observées entre couples mariés et non mariés en termes de niveau de vie à des facteurs externes à la situation matrimoniale (Sigle-Rushton et McLanahan, 2002).

33Au contraire, l’État français soutient par de nombreux dispositifs la parentalité (aide au parent isolé, soutien à la garde des enfants) mais « se détourne de la conjugalité comme relation sociale » (Verjus, 2007, p. 4). Depuis plusieurs années, et notamment depuis la libéralisation de l’accès au divorce, la conjugalité est laissée hors de toute intervention étatique ; la parentalité devient progressivement le seul « maillon par lequel l’État lutte contre le “ risque familial ” » (Verjus, 2007, p. 3). Le divorce est ainsi considéré du point de vue de ses enjeux purement parentaux, de sorte que le débat public et la production scientifique qui le nourrit portent presque exclusivement sur le temps de l’après-divorce.

Conclusion

34Selon une enquête française de 1988 [24], la quasi-totalité des femmes nées après 1938 ont déjà vécu en couple, maritalement ou non, au moins une fois au cours de leur vie (Festy, 2001). La vie en couple continue donc de présenter un caractère universel même si en France comme en Europe « les unions se fragilisent » (Prioux, 2006). D’une part, les ruptures d’union sont plus fréquentes, que ce soit dans le cadre d’un divorce, d’une séparation ou d’une dissolution de Pacs (Vanderschelden, 2006). En ce qui concerne le divorce, l’indicateur conjoncturel de divortialité s’est ainsi établi à 47 divorces pour 100 mariages en 2006, un niveau jamais atteint à l’exception de l’année 2005 où le nombre de divorces avait fortement augmenté, suite à la mise en place de la nouvelle procédure de divorce par consentement mutuel (Beaumel et Vatan, 2008). De même, si 77 400 Pacs ont été conclus en 2006, le nombre de dissolutions augmente également et concerne, en 2006, 9 600 Pacs (Carrasco, 2007). D’autre part, on se marie de moins en moins. On estime à 30 % environ la proportion d’hommes et de femmes nés en 1970 qui ne se marieront pas (Prioux, 2007) ; c’était moins de 10 % pour la génération d’avant-guerre (Festy, 2001). Ce recul du mariage se fait au profit des unions libres. Or les études montrent qu’à caractéristiques sociodémographiques et date de début de vie maritale égales, le mariage protège de la rupture même s’il n’en constitue pas un rempart imparable (Prioux, 2005). Au total, les nouveaux comportements conjugaux qui se diffusent progressivement dans la société française à partir du milieu des années 1960 modifient durablement la place du mariage et du divorce dans les carrières conjugales. Tandis que le mariage constituait « la forme presque exclusive de la vie en couple » (Festy, 2001, p. 26), la part des couples en union libre, cohabitante ou non, ne cesse d’augmenter, engendrant de nouveaux modes de rupture [25]. Il n’est donc pas surprenant que le divorce n’apparaisse plus comme un thème central de l’analyse sociologique : l’évolution des recherches en sciences sociales tient aussi à la modification des contours de l’objet d’enquête. La multiplication des situations intermédiaires entre population mariée et non mariée, en couple et célibataire, ouvre en retour un « champ infini de mesure et d’application » (Festy, 2001, p. 36) à la démographie, mais aussi à la sociologie, à la psychologie et au droit.

35Toutefois, les inégalités sociales continuent, à notre avis, de peser durablement sur les opportunités et les modalités de la séparation. Certes, l’horizon de la rupture fait aujourd’hui partie intégrante de l’univers cognitif des ménages. Mais tandis que les tenants de l’individualisme ont prioritairement cherché à expliquer la fréquence des ruptures d’union par des facteurs « endogènes » liés à la fragilité intrinsèque du nouveau modèle matrimonial, ces analyses n’épuisent pas le sens des ruptures conjugales. L’ancrage culturel, social et matériel des individus paraît en effet jouer un rôle important dans la genèse du conflit conjugal (reposant la question du lien entre statut professionnel et divorce), la gestion de la crise (choix de l’avocat, recours à un thérapeute conjugal) ou dans la possibilité même du divorce (la précarité des ressources économiques constituant souvent un frein à la rupture). Le redéploiement du champ de la recherche en sociologie de la famille ne doit donc pas se faire dans une sorte d’indifférenciation sociale généralisée, sous peine d’offrir une image extrêmement réductrice de la réalité de l’expérience conjugale contemporaine.

36Enfin, l’orientation des recherches en France vers l’après-divorce comme celle des recherches américaines vers l’avant-divorce rappellent l’importance des liens existant entre sciences sociales et évolutions législatives. Constitué en catégorie de l’action publique aux États-Unis, le couple, avec ses modalités de formation et de dissolution, irrigue la recherche sociologique américaine et se trouve à l’origine de nombreux modèles économétriques. En ce sens, l’évolution des politiques publiques, et plus largement des normes sociales et des idéologies dominantes concernant le divorce, contribue à légitimer certains types d’études sociologiques ; elle explique les différences observées entre les pays.

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Date de mise en ligne : 22/07/2009

https://doi.org/10.3917/popu.901.0155

Notes

  • [*]
    EHESS – Centre Maurice Halbwachs.
    Correspondance : Anne lambert, École normale supérieure bât. B, 48 boulevard Jourdan, 75014 Paris, courriel : anne. lambert@ ens. fr
  • [1]
    Le divorce pouvait alors être prononcé par consentement mutuel, pour « incompatibilité d’humeur ou de caractère », ou pour des causes imputables à l’un des époux.
  • [2]
    Dans la loi du 11 juillet 1975, le divorce par consentement mutuel comprend deux cas de divorce : le divorce par requête conjointe et le divorce par demande acceptée. C’est la loi de 2004 qui a assimilé consentement mutuel et requête conjointe, en laissant à l’extérieur la demande acceptée.
  • [3]
    Il est vrai que, pour Durkheim (2007 [1893]), les recherches sociologiques ne vaudraient pas « une heure de peine si elles ne devaient avoir qu’un intérêt spéculatif ».
  • [4]
    « S’agissant du divorce, il est établi depuis longtemps qu’il existe une corrélation significative entre le divorce et la criminalité, lorsqu’on prend en considération non pas le nombre de divorces en valeur absolue, mais leur proportion par rapport aux nouveaux mariages. S’agissant de l’époque la plus récente, on ne peut manquer de mettre en relation en France l’accroissement de la criminalité avec la courbe de la « montée du divorce » qui est passée progressivement depuis les années 1970-1975 d’un divorce pour dix nouveaux mariages à un pour deux à trois mariages nouveaux. Le nombre de vols commis par les jeunes de 13 à 19 ans est mieux corrélé au nombre de divorces qu’au taux de chômage » (R. Gassin, 2007).
  • [5]
    Les données sont tirées de sources officielles (« data from official sources ») qui ne sont toutefois pas précisément mentionnées.
  • [6]
    Le Compte général de la Justice est devenu, à partir de 1980, l’Annuaire statistique de la Justice.
  • [7]
    À noter que la réforme du divorce en 1975 n’a pas fondamentalement infléchi la courbe des divorces, malgré la hausse observée en 1976.
  • [8]
    La note bibliographique de Sully Ledermann paraît dans Population en 1947, dans le troisième numéro de l’année. Son article intitulé « Les divorces et les séparations de corps en France » paraît en 1948, dans le deuxième numéro de l’année.
  • [9]
    S. Ledermann retrace l’évolution du divorce depuis la loi Naquet et son influence sur la natalité, notamment à la veille de la seconde guerre mondiale.
  • [10]
    Les principaux résultats ont été publiés dans deux Cahiers de l’Ined (Boigeol et al., 1974 et 1975). Voir aussi Roussel (1974 et 1975).
  • [11]
    En effet, contrairement à Nicolas Herpin qui a exploité l’enquête Insee « Suivi des chômeurs 1986-1988 », Serge Paugam montre à partir de l’enquête Insee « Situations défavorisées 1986-1987 » que le risque de perturbation de la vie conjugale est proportionnel aux difficultés rencontrées sur le marché de l’emploi, particulièrement pour les hommes. L’indice d’instabilité conjugale apparaît ainsi maximal pour les chômeurs de longue durée.
  • [12]
    Les modalités d’enquête choisies par Herpin et Paugam expliqueraient les divergences dans les conclusions des auteurs sur le lien entre chômage et rupture conjugale. Herpin recourt à une enquête par panel sur 18 mois, trop courte pour faire apparaître les effets du chômage sur l’économie des relations domestiques selon Paugam. Pour autant, ce dernier a construit à partir d’une enquête longitudinale, ou biographique, des indices d’instabilité conjugale qui tendent à transformer la rupture conjugale en état plutôt que de l’appréhender comme un processus. Par ailleurs, non situés dans le temps, les indices de précarité professionnelle et d’instabilité conjugale ne peuvent en aucun cas traduire des liens de causalité entre les deux phénomènes. Ils n’expriment, au mieux, que des corrélations. Ces débats illustrent ainsi les problèmes liés à l’imputation de la causalité et à la détermination d’une variable explicative du divorce.
  • [13]
    L’enquête Famille est accolée au recensement de la population depuis 1954. Les enquêtés remplissaient un questionnaire complémentaire à ceux du recensement (bulletin individuel et feuille de logement), dans lequel ils indiquaient les principaux événements de leur vie de famille, leurs dates, ainsi que la profession de leur conjoint. Si le principe de ces enquêtes courtes, rétrospectives et auto-administrées n’a pas été remis en cause, les questionnaires ont été plusieurs fois refondus afin de tenir compte des évolutions démographiques. L’enquête de 1999 marque à cet égard une évolution très nette : d’une part, le champ de l’enquête a été élargi aux hommes ; d’autre part, les questions sur l’histoire conjugale se sont concentrées sur les unions de fait, avec ou sans mariage. Toutefois, sur les recommandations de la CNIL, l’interrogation a été limitée aux premières et dernières unions.
  • [14]
    C’est aussi le cas des enquêtes portant sur des institutions totales (asiles, prisons, sectes, etc.).
  • [15]
    G. S. Becker et al. (1977). Ses thèses ont été importées en France, entre autres, par l’économiste libéral B. Lemennicier (1980).
  • [16]
    Pour un état des lieux, voir Kellerhals et al., 1993 [1984].
  • [17]
    En ce sens, les approches développées par Louis Roussel d’une part et par Jean Kellerhals et son équipe d’autre part diffèrent quelque peu. Pour ce dernier, les styles d’interactions conjugales demeurent sensibles à l’influence du milieu social. Par exemple, les couples à faibles capitaux scolaires tendent à fonctionner sur un style fusionnel (couple-bastion ou couple-cocon) alors que les couples à forts capitaux scolaires valorisent davantage l’autonomie des conjoints et les échanges avec l’extérieur, sur le modèle du couple-association.
  • [18]
    Jean Kellerhals et Louis Roussel ont qualifié ce type de raisonnement, dans le numéro spécial de LAnnée sociologique de 1987 consacré à la famille, de « sociologie du déficit » et d’« économie du manque ».
  • [19]
    Les années 1960 ont été marquées par l’extraordinaire développement des recherches sur les facteurs de la stabilité et du bonheur conjugal. Certains de ces modèles qui visaient à prédire la longévité des couples étaient basés sur des « tests of marital adjustment ». Pour avoir une vue de l’ensemble des études développées au cours des années 1960, voir M.W. Hicks et M. Platt (1970).
  • [20]
    Dans sa « théorie critique de l’homogamie », François de Singly (1987) récuse par exemple l’idée selon laquelle la proximité sociale serait associée à la stabilité conjugale, et l’hétérogamie à la désunion. L’hétérogamie apparaît même, selon lui, au bas de la hiérarchie des facteurs produisant le plus la séparation.
  • [21]
    Alors que le statut socioprofessionnel élevé des femmes et le fait d’avoir des parents eux-mêmes divorcés constituent des facteurs d’exposition au divorce, les enfants, notamment en bas âge, et la pratique religieuse protègent du divorce.
  • [22]
    Voir aussi D. T. Lichter, 2001, et R.M. Blank et R. Haskins (eds.), 2001.
  • [23]
    Pour une analyse de l’impact du PRWORA sur la nuptialité, on pourra se reporter à l’article de M. Bitler et al., 2004. Pour une analyse du lien entre mariage et pauvreté des mères, on pourra consulter T. Daniel et al., 2003. Dans cet article, les auteurs soutiennent que si le mariage est tout spécialement bénéfique aux mères issues de milieux défavorisés, le taux de pauvreté de celles qui divorcent ultérieurement est supérieur au taux de pauvreté des mères qui ne se sont jamais mariées. L’effet du mariage sur la pauvreté est donc dissymétrique. Par ailleurs, le mariage ne saurait en aucun cas réduire la distorsion existant entre les taux de pauvreté des différents groupes ethniques.
  • [24]
    Il s’agit de l’enquête sur la régulation des naissances, dite enquête « Fécondité » effectuée par l’Ined en 1988, dans laquelle ont été interrogées 2 995 femmes âgées de 18 à 49 ans. Voir l’exploitation qui en a été faite par X. Thierry (1993).
  • [25]
    D’après l’enquête « Étude de l’histoire familiale » (1999), dix ans après le début de leur union, 28 % des personnes s’étant mises en couple en 1988 se sont séparées de leur conjoint, 1 % ont perdu leur conjoint, 53 % sont mariées et 18 % vivent toujours en union libre. Parmi les personnes qui se sont mises en couple en 1950, à peine 4 % se sont séparées de leur conjoint dix ans plus tard ; 84 % sont mariées et 11 % vivent en union libre (Vanderschelden, 2006).

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